Archives Marguerite Audoux

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Entrée en matière

Le projet d'une édition de la Correspondance générale de Marguerite Audoux n'avait pas, jusqu'à présent, été formé, bien que ses lettres, ou celles qui lui furent adressées, fussent souvent citées ou présentées dans les divers documents qui donnent accès à l'existence de la romancière : articles de journaux ou de revues, quelques livres où elle trouve place parmi d'autres figures, trois biographies et un certain nombre de travaux universitaires.

Pour avoir été nous‑même biographe, puis thésard, pour avoir ensuite continué à consacrer la plupart de nos études à cette femme que, depuis 1987, nous ne quittons plus guère, nous savons combien il est périlleux d'avoir l'ambition de cerner la totalité d'un être, combien il est difficile d'échapper aux pièges de l'interprétation et de la subjectivité, voire combien il est tentant, parfois, d'aller chercher dans l'œuvre ce que la vie ne veut pas nous livrer.

Mais dans sa production épistolaire, Marguerite Audoux elle‑même, va‑t‑on objecter, échappe‑t‑elle à cet écueil, elle qui, dans la lettre qu'elle envoie à Maurice Genevoix, ou dans l'envoi qu'elle adresse à Louis Pergaud dans un exemplaire de son premier roman, devient – ou redevient – Marie‑Claire ?... Pourquoi fait‑elle à Romain Rolland cette invraisemblable révélation qu'Alain‑Fournier avait pour lui « une très grande affection » ? La correspondance alducienne, qui pourtant semble la meilleure caution contre les à‑peu‑près et les peut‑être, trahirait‑elle à son tour la réalité ‑ elle‑même, il est vrai, impossible à définir ‑ ?

La réponse est simple : dans les lettres que Marguerite Audoux écrit ‑ et cela est bien sûr pertinent dans l'autre sens, pour ses correspondants –, ce n'est plus le critique, mais elle‑même qui mène le jeu. Ses fantaisies, son parti pris, ses imperfections, mais aussi sa délicieuse spontanéité, son art de conter ou de portraiturer, tout cela forme l'essence même du tissu épistolaire, sans doute plus réel que la réalité, plus vrai qu'une vérité longtemps convenue. Ce qui est interdit à l'homo criticus devient ainsi permis et bienvenu chez celle ou celui dont il partage, derrière son bureau, l'aventure humaine et littéraire. Et c'est là tout l'intérêt de cette matière brute que de nous permettre de rompre avec le ronron des commentaires qui se reflètent les uns les autres, ou s'autoalimentent d'une substance inchangée : un terroir bien précis (qui n'est pas forcément le bon…), une certaine idée de la pureté (qui peut transformer certains biographes en autobiographes), et autres litanies sur la sainteté laïque.

Sainte Marguerite, Dieu merci, était loin d'être parfaite… Eussions‑nous pu, d'ailleurs, cohabiter de si longues années avec un dragon de vertu ?... Les lettres, en effet, offrent cet avantage de dévoiler un individu sous toutes ses facettes, par le biais d'une écriture moins soumise qu'une autre à un acte conscient de création. Effeuillées une à une, elles composent progressivement une juste polyphonie. Cette musique, en dépit et à cause du geste artistique qui en partie la fonde, ne ment pas.

Nous tenons donc bien là un matériau de choix. Peut‑être le méritons‑nous, après tant de patientes années passées à le glaner, dans l'humble certitude (à la fois décourageante et stimulante) que cette quête ne sera jamais terminée, que le corpus, à jamais, demeurera ouvert…

Bernard-Marie Garreau


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