Les Lettres Françaises que l’on pourrait penser comme situées dans l’arrière-plan de l’œuvre poétique et romanesque d’Aragon doivent être réévaluées et placées au même niveau que les autres actes de création dans l’oeuvre d’Aragon voire situées au cœur même du processus de création. La pensée de l’image et en particulier des arts figuratifs dans Les Lettres françaises joue ainsi un grand rôle dans la citation iconique au sein des poèmes (Le Nouveau Crève-Coeur, 1948, Les Yeux et la mémoire, 1954) et peut servir de terrain préparatoire à l’écriture du roman. C’est le cas pour La Semaine sainte : obsessionnellement attaché à la figure de David D’Angers, Aragon lui rend hommage de manière très appuyée dans les Lettres françaises en 1956, envisageant un moment de l’utiliser comme « focale » esthétique et politique de l’épisode des Cent jours, avant de choisir le peintre Géricault. Mais on réalise également que la « stéréoscopie » voulue par Aragon dans le système narratif et perceptif de La Semaine sainte renvoie à de multiples textes des Lettres françaises consacrés aux progrès des dispositifs optiques des caméras chez Abel Gance et des systèmes de projection en polyvision, précisément pour son Napoléon

Ce n’est qu’un exemple de la considération de ce corpus immense comme source globale de certains phénomènes d’écriture chez Aragon, comme lieu de naissance de certaines figures récurrentes, d’événements historiques, de thèmes importants, mais aussi comme source de certains « textes-seuils » qui rebrassent les données antérieures et font des pages des Lettres françaises une écriture-temps que le roman et la poésie déconfigurent, réécrivent, dont ils retissent les liens (voir à ce sujet les travaux initiés par Alice Lebreton à l’université de Poitiers). Ces échanges parfois massifs et très visibles, parfois plus discrets, ont également lieu dans le traitement des illustrations dans les Œuvres romanesques croisées (1064-1974), dans celles de l’Œuvre poétique (1974-1981) et jouent un rôle considérable dans Henri Matisse, roman (1971). Ce sont quelques unes des raisons qui font de la numérisation des Lettres françaises dans leur ensemble un complément majeur à la recherche sur l’oeuvre d’Aragon. En rattachant la plupart de ses écrits à des éléments antérieurs présents dans les articles ou essais publiés dans cet hebdomadaire, Aragon en a fait un réservoir d’informations qu’il nous appartient de retrouver et d’envisager. Une approche anthologique des seuls textes d’Aragon ou de ses collaborateurs, importante pour rendre hommage à cette mémoire de l’autre siècle, ne suffirait pas à rendre compte de l’écriture de presse: la densité allusive des romans et des poèmes d’Aragon nous invite plutôt à observer, avec tous les moyens du numérique pour les ensembles vastes, les allers-retours permanent établis par cet auteur avec Les Lettres françaises comme œuvre-monde.

Missions

Les opérations prévues sur le corpus numérique, hébergé par la plateforme EMAN sous la direction de Richard Walter, relèvent donc de l’indexation simple, de l’indexation analytique (repérage des éléments des sommaires qui réapparaissent dans les oeuvres), du repérage des liens entre les articles et de leur contact avec des textes ultérieurs, de l’établissement des schémas génétiques, des phénomènes de pré-édition et de post-édition, des variantes entre texte publié dans les Lettres françaises et des textes édités, du repérage et de l’indexation des illustrations, de leurs interactions avec d’autres revues d’art et de culture contemporaines. Les opérations de génétique classique auront également lieu, en fonction des manuscrits présents au fonds Aragon de la BnF.