La tradition mythographique constitue un domaine particulièrement fécond pour répondre à ces questions. Comme l’a montré Jean Seznec[2], le tournant vers la Renaissance fut causé par un sens inédit de la perte du patrimoine antique, en même temps que par le sentiment d’une urgence à le sauvegarder. Cette urgence fut à la mesure de l’admiration qui amena savants et poètes à désigner l’Antiquité gréco-romaine comme le berceau de la pensée européenne. Mais elle raviva du même coup des questions d’ordre théologique, moral et historique : comment accepter que le paganisme soit à la fois un modèle – spirituel, moral, intellectuel et artistique – et le berceau exécré d’une religion ennemie, encore sentie comme telle malgré le recul du temps?
Les mythographes renaissants, qui infléchissent la longue tradition herméneutique consacrée aux fables antiques, entendent répondre à cette injonction de conservation et ménager des voies de compromis inédites entre paganisme et christianisme.
Ces textes déjouent la logique narrative ou poétique des mythes, qui nous est familière, pour lui substituer une logique interprétative, fondée sur d’autres cohérences : la généalogie et l’étymologie plutôt que l’histoire ; le réseau paradigmatique des figures plutôt que leur lien narratif ; l’accumulation des versions et des autorités qui laisse à chacune sa validité plutôt qu’une synthèse qui chercherait à unifier, à ordonner et à hiérarchiser pour expliquer. Proliférantes, répétitives, sans autre logique immédiatement perceptible qu’un sens presque affolé de l’ajout, les mythographies renaissantes mettent à mal notre sens moderne de la non-contradiction et proposent un mode de relation au savoir qui nous est devenu étranger. On sait pourtant qu’aux XVIe et XVIIe siècles les mieux diffusées, en particulier Le Imagini degli dei degli Antichi de Vincenzo Cartari (1556) et les Mythologiae libri decem de Natale Conti (1567), étaient dans toutes les mains.
[1] Jean Racine, préface d’Alexandre le Grand, 1666.
[2] Jean Seznec, La Survivance des dieux antiques, Londres, The Warburg Institute, 1940.
Le projet proposera la transcription de deux des quatre éditions publiées : celle de Francfort, 1581 (en latin et en grec) et celle de Paris, 1627 (en français).