Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Montalivet, Camille Bachasson, comte de (1801-1880)
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Je désirais vous prier de me remettre la copie que vous avez bien voulu faire faire pour moi des lettres que j'ai eu l'honneur de vous adresser sur le procès des Ministres de Charles X : c'eût été pour moi une précieuse occasion de vous revoir et de causer avec vous.

[De la main de Guizot] Je lui ai renvoyé les copies le juillet 1869.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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98 Val Richer. Lundi 19 Juin 1854

Voilà donc le Maréchal Paskévitch hors de combat ; sa vieillesse ne vaut pas celle du Maréchal Radetzky. Que deviendra le traitement de Maréchal que votre Empereur donne à ce dernier, si l’Autriche se déclare contre vous ? Continuerez-vous de le lui donner ? Certainement, il y avait, dans votre patronage sur les officiers Autrichiens et Prussiens, quelque chose de bien régulier et de bien arrogant. Je comprends que l'Empereur d’Autriche saisisse l'occasion d'en finir avec votre Bolection. Il s’agit de savoir si l'occasion est sûre.
Si vous lisiez les Mémoires de Ste Aulaire en 1838 et 1839. Vous y verriez que le Prince de Metternich lui disait toujours à propos des affaires d'Orient : " Garantissez-moi que la France et l'Angleterre resteront unies, et je me mets sur le champ avec elles. " Apparemment il croit aujourd’hui à la solidité de l’union.
Si on vous prend Sébastopol, regarderez-vous la prise de Silistrie comme un dédommagement suffisant ? Evidemment, le rassemblement des troupes Franco-Anglaises à Varna a pour objet d'attaquer Sébastopol ou de vous faire lever le siège de Silistrie. Il est impossible que le mois de juillet n’amène pas là quelque gros événement.
La Reine Marie-Amélie est arrivée à Claremont en assez bon état. Elle a trouvé à Cologne Mad. la Duchesse d'Orléans qui l’attendait avec son fils, et qui l’a accompagnée jusqu'à Ostende. Le Roi Léopold lui a aussi amené ses petits-enfants. Il est vrai que les Aumale voient beaucoup de monde à Twickenham Le monde n'empêche pas le Duc de travailler à son histoire de la maison de Condé. Il a été question dernièrement d'en insérer un fragment, qu’on dit très intéressant, dans la Revue de Deux Mondes, mais la revue n’a pas osé. Je ne trouve pas l’offre à la Reine du passage par la France de bon goût ; on était trop sûr qu’elle ne serait pas acceptée. Il y a des offenses après lesquelles il ne faut pas avoir des prétentions de courtoisie. Du reste je n’ai pas entendu parler de celle-ci.
Je suis de l’avis du Times ; je trouve la conduite de Lord John dans les arrangements ministériels bien pauvre. C'est sans doute pour se faire pardonner qu’il a tonné si fort contre vous dans son élection à la Cité. Tout cela fait une série d'engagements qui rendent la paix de plus en plus difficile. Lord Palmerston avait-il envie de devenir ministre de la guerre, et regardait-il ce pas comme un acheminement vers le premier ?

Midi.
Point de lettre d'Ems et point de nouvelles d'ailleurs. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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74 Paris, Mardi 23 Mai 1854

Dîner hier chez Duchâtel ; un petit dîner tout Français assez agréable. D'Haubersart part le 5 juin pour Vichy et n'ira pas ailleurs auparavant. Le soir, chez le Duc de Broglie. Le traité des Allemands est la seule préoccupation du moment. On se demande s’ils se maintiendront de concert à l’état de neutralité jusqu'à l'automne, ou si les cas de guerre très précisément prévus dans l’article secret trouveront bientôt leur application.
Duchâtel disait hier soir que les bruits du château étaient à la paix. J’avais eu ce matin des renseignements tout contraires, l'Empereur prévoyant une longue guerre, s'y préparant, et prenant des mesures pour rallier contre vous toutes les petites puissances de l’Europe occidentale, et méridionale, de cette sorte que l’Autriche ne puisse se dispenser de suivre le mouvement. A l’Europe méridionale, il faut ajouter la Suède qu’on dit de plus en plus ébranlée contre vous, et prête à fournir 40 000 hommes si on veut les payer.
Voilà votre N°60 qui a été courir je ne sais où, à Lisieux d’abord, puis encore ailleurs. Ces irrégularités sont bien ennuyeuses.
Je regrette de ne pas lire la lettre de votre grande Duchesse ; l'allure de son esprit me plaît. En fait de lettres royales, j'en ai reçu une du Roi de Wurtemberg, très aimable, à propos de Cromwell. Mais son français est plus spirituel que correct.
Quand vous aurez Mlle de Cerini, faites vous lire un roman feuilleton de l'Assemblée nationale, intitulé : Pourquoi nous sommes à Vichy, de M. de Pontmartin. Je ne lis aucun roman ; mais on dit que celui-là est très joli. L’auteur est un homme d'esprit, de bonne compagnie, et un galant homme. Je suppose qu’il ne vous serait pas difficile à Bruxelles de vous procurer les numéros du commencement.
L’instruction contre Montalembert se poursuit toujours, mollement, mais toujours. On a interrogé de nouveau M. Villemain. On recommence aujourd’hui avec Montalembert lui-même. On dit qu’on traînera jusqu’au départ du Corps législatif, et qu'alors, on abandonnera ce qu’il y a de grave dans la poursuite, pour la réduire à de très petites proportions ; plus d’offense contre l'Empereur, plus d'excitation à la haine et au mépris du gouvernement ; une simple plainte en mauvais bruits répandus et mauvais propos tenus, de manière à avoir une condamnation quelconque ; insignifiante en fait, condamnation pourtant en principe, une amende sans prison. Régulièrement, cela est difficile, mais tout se peut.
Autre livre à lire, réellement amusant, quoique je voie d’ici la mine que vous ferez au nom : Histoire de la réunion de la Lorraine à la France, par M. d'Haussonville, Tome 1er. Je doute qu’il continue. Il avait puisé des documents curieux dans les archives des affaires étrangères. On lui a refusé toute communication de la suite. C'est tout simple. On répond à l'hostilité par la maussaderie. Adieu.
Je ne sais si j’aurais aujourd’hui des nouvelles de votre affaire avec Rothschild ; mais il ne peut pas vous faire faire des réparations que vous ne demandez pas. Adieu. Adieu. G
Savez-vous que Hübner est baron ?

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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59 Paris, Vendredi 5 Mai 1854

Croyez-vous que, lorsque l'Empereur Napoléon mourait, à pareil jour, il y a 33 ans à Ste Hélène, il prévoyait son neveu Empereur aujourd’hui à sa place. Nous ne sommes pas assez frappés de la grandeur des spectacles que nous avons vus et de leur sens. Il me prend par moments l’envie de dire, sans réserve, à mon temps ce que je pense de lui. Mais cela ne se peut pas.
J’ai eu beaucoup de monde hier soir. Pour derniers Anglais, senior et sir John Boileau. Je regrette d'avoir manqué le matin Lord Napier qui a passé chez moi en traversant Paris pour se rendre à son poste, à Constantinople. Tenez pour certain que les Anglais sont modifiés, et que la perspective de la paix faite l'hiver prochain, par l’entremise des Allemands, les préoccupe et leur convient beaucoup. Ici, tout le monde dit que le gouvernement désire aussi la paix et tout le monde l’y pousse. Pourtant on parlait hier d’une levée nouvelle de 120 000 hommes, par anticipation sur le recrutement de l’armée 1854 qui ne doit légalement avoir lieu qu’en 1855. Voilà la garde impériale au Moniteur. Adieu.
Je vous quitte pour faire mes paquets de papiers. Je pars ce soir. Je reviendrai le 17 jusqu'au 27. Le beau temps revient aujourd' hui, le soleil doux. Il y a eu, depuis trois semaines, assez de cas de choléra à Paris, et graves. Ils diminuent beaucoup. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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45 Paris, Vendredi 21 Avril 1854

Hier à dîner chez Duchâtel, Lord Brougham, les trois Ellice, M. et Mme Emile Cornudet, Flahault, Dalmatie d'Haubersart, Dejean. Je m’en suis allé en sortant de table. J'avais du monde chez moi, le soir, les Boileau. Dumon, Senior, Liadières, le Prince, et la Princesse de Broglie et huit ou dix anciens déportés conservateurs que vous ne connaissez pas même de nom. Trés honnêtes gens, à la fois fidèles et sensés. Il y avait, et il y a encore là, dans notre ancien parti conservateur, un fonds d'excellent parti de gouvernement. Trop petits ; ils ne voyaient pas d’assez haut. Mais leur bon sens subsiste ; ils sont toujours pour la politique de la paix et de l’ordre Européen. Ils en veulent à votre Empereur de l'avoir sacrifiée pour courir après un peu plus d'influence, apparente peut-être, à Constantinople.
Personne ne croit à aucun arrangement. actuel ; il faut qu’on se batte, et qu’on se batte en vain. L'Autriche se réserve pour reprendre le rôle de médiateur l'hiver prochain, quand on se sera battu en vain tout l'été. Les Anglais se résignent à ne pas faire grand chose dans la Baltique, grand' chose d'éclatant ; mais ils bloqueront tous vos ports, toutes vos côtes ; effectivement, ce qui écarte les neutres et ce qui doit ruiner tout-à-fait votre commerce, c'est-à-dire vos grands propriétaires. Je les trouve un peu tristes dans leur langage, mais obstinés et patients ; ils sentent qu’ils ont fait trop de bruit et trop promis ; mais ils persistent, quoique plus modestement.
Voilà leur traité d'alliance offensive et défensive avec la France conclu et signé. On prépare ici de nouveaux envois de troupes. On crie beaucoup contre la folie des Turcs qui, en expulsant les grecs, ont expulsé tous les négociants, tous les fournisseurs avec lesquels ils avaient passé des marchés pour l'approvisionnement des armées alliées. Les marchés s'en vont avec les marchands de là de grands embarras et une juste humeur.
Le Moniteur énumère ce matin nos trois escadres. On dit que M. Ducos a dit à l'Empereur qu’il en avait dans la main une quatrième ; à quoi l'Empereur répondu : " Fâchez de la faire remonter dans la manche." Mad. de la Redorte vient d'être très malade. Sa fille était très jolie hier, chez Duchâtel ; mais on dit que ses yeux ont plus d’esprit qu’elle. Mad. de Caraman avait avant hier soir, une lecture des Mémoires sur les Cent Jours, de M. Villemain. J'en ai entendu un long fragment l’hiver dernier. C'est piquant. Cela paraîtra au mois d'octobre.
On dit beaucoup que la Chambre du Conseil va déclarer qu’il n’y a lieu à suivre contre M. de Montalembert. Ce bruit se soutient, et se confirme depuis plusieurs jours. Ce serait, pour le gouvernement, un désagrément momentané qui lui épargnerait un long embarras. Adieu.
Il a plu hier tout le jour. On dit que c’est excellent et je le crois. Pour moi, j’aime mieux le soleil. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 9 Nov. 1853

Je viens de parcourir, cet immense acte d'accusation contre le complot, de l'opéra comique. Ce sont les mêmes idées, les mêmes desseins, les mêmes paroles que de mon temps. Les noms propres ne signifient plus rien, ni pour le gouvernement, ni pour les conspirateurs. C'est une perversité et une démence permanente, abstraite, qui passe de génération en génération, sans qu’il vaille, la peine de savoir qu’ils en sont les instruments momentanés ; ils ne se distinguent pas les uns des autres, et ils s'attaquent indifféremment à Charles et à Louis-Philippe, à Napoléon III, à Frédéric Guillaume à Ferdinand. Le premier qui trainera réellement ce démon rendra un immense service à l'humanité.
Les journaux ne m’apprennent absolument rien. Sans doute on ne s’est pas encore battu. On ne cache pas longtemps une bataille. Je suis décidé à croire que vous rejetterez les Turcs dans le Danube, et que l'affaire finira par là. J’ai bien des choses à vous dire, mais nous sommes trop près de nous revoir. Nous causerons la semaine prochaine. Je pars décidément. Mercredi soir 16.
J’ai des nouvelles de Broglie, de Piscatory et de Barante qui m’en disent encore moins que les journaux. Barante est frappé de l'apathie universelle, sauf une seule espèce d'homme, la démagogie révolutionnaire : " C'est la seule opinion qui conserve quelque vivacité. De jour en jour, elle manifeste plus de démence et de rage. Elle espère et menace. Les chefs qu’on a ménagés, les envolés des sociétés secrètes qu’on a rappelés du bannissement sont les plus animés. Leur action sur les classes marchandes et sur les gens de la campagne est tout-à-fait nulle ; mais la cherté du pain et surtout du vin, leur donne assez de prise sur les ouvriers de nos villes. " Piscatory ne pense qu’à l'hiver prochain et à la disette.

Onze heures
Adieu, Adieu, à nos prochaines conversations.
Orosmane dit à Zaïre : Mais la mollesse est douce et sa suite est cruelle ; je mets la faiblesse à la place de la mollesse et un politique à la place d'Oromance ; si on n’avait pas été, en commençant, faible avec Lord Stratford, faible avec les Turcs & &, on ne serait pas si embarrassé.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 3 Novembre 1853

Je suis décidé à croire que votre Empereur ne veut pas la guerre, et par conséquent à croire qu’il saisira la première occasion de sortir d’un mauvais pas qui mène à la guerre à la guerre révolutionnaire générale, au chaos Européen.
Si malgré cette perspective, vous aviez votre parti pris de pousser la botte à fond et de jeter bas l'Empire Ottoman pour mettre la main sur les gros morceaux, je comprendrais l'obstination et je n'aurais rien à dire, sinon que le moment est mal choisi pour un si grand coup. Mais je suis convaincu que vous ne voulez pas porter ce coup et alors je ne comprendrais pas que vous ne missiez pas fin, le plutôt possible, à la situation actuelle. Vous n’avez qu'à y perdre. Vous y avez déjà pas mal perdu ; vous y avez perdu votre grand caractère de pacificateur général, de conservateur suprême de l'ordre Européen ; vous avez reveillé les méfiances des autres puissances ; vous vous êtes séparés de l'Angleterre ; vous l’avez unie à la France ; vous avez placé votre plus sûr allié, l'Autriche, dans la situation la plus périlleuse. Vous avez fait autre chose encore ; vous avez fourni à la Turquie une nouvelle occasion de s'établir dans le droit public Européen.
Taxez moi de rancune si vous voulez ; mais ce fût là, en 1840, votre faute capitale, pour isoler, pour affaiblir le gouvernement du Roi Louis Philippe, vous avez alors mis de côté votre politique traditionnelle qui était de traiter les affaires de Turquie pour votre propre compte, à vous seuls sans concert avec personne, vous avez vous-mêmes porté ces affaires à Londres par le traité du 15 Juillet 1840 vous en avez fait de vos propres mains, l'affaire commune de l’Europe. Vous avez été obligés l’année suivante, de faire encore un pas dans cette voie, et la convention des détroits du 13 Juillet 1841, et, de votre aveu, confirmée, pour la Turquie, l’intervention et le concert de l'Europe. Ce n’est pas là, je pense, ce qui vous convient toujours et au fond, et vous deviez être pressés de rentrer avec la Turquie dans vos habitudes de tête à tête. L'affaire des Lieux Saints vous en fournissait, il y a quelques mois une bonne occasion ; après y avoir essuyé, par surprise, à ce qu’il paraît un petit échec, vous y aviez repris vos avantages ; vous l'aviez réglée comme il vous convenait, sans vous brouiller avec la France, et de façon à être fort approuver de l'Angleterre. Pourquoi n'en êtes vous pas restés là ? Tout ce que vous avez fait depuis vous a mal réussi, vous avez eu l’air de vouloir plus que vous ne disiez ; vous n'avez pas fait ce que vous vouliez ; vous vous êtes bientôt trouvés engagés plus avant que vous ne vouliez ; vous avez rallié l'Europe contre vous et jeté la Turquie dans les bras de l’Europe. Pourquoi ? Encore un coup, je ne le comprends pas. Je ne le comprendrais que si je vous croyais décidés à jouer, en ce moment, la grande et dernière partie de cette question, et à mettre, à tout risque, la main sur Constantinople. Et comme je ne crois pas cela, je persiste à penser qu’une seule chose vous importe ; c’est de mettre fin promptement à une situation qui a le triple effet de vous isoler en Europe, d’unir l'Europe contre vous et de placer de plus en plus la Turquie sous la sauvegarde du concert Européen. Vous pouvez sortir de ce mauvais pas, sinon sans quelque déplaisir momentané, du moins sans aucun inconvénient sérieux pour votre politique nationale, et son avenir ; la géographie et le cours naturel des choses vous donnent, dans la question Turque, des forces et des avantages que rien ne peut vous enlever. Pourquoi susciter contre soi un orage quand il suffit de laisser couler l'eau ? Adieu.
J'en dirais bien plus si nous causions. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 14 oct. 1853

Il fait un temps magnifique depuis quatre jours. J’ai envie que cela dure une quinzaine. Je pars lundi pour aller passer dix ou douze jours à Broglie. Je me promènerais beaucoup là. Ici, mon jardin et mon Cabinet me suffisent et se passent plus aisément de beau temps. Écrivez-moi lundi à Broglie (Eure). J’y aurai votre lettre mardi matin. Barante m’a quitté hier. Douce et agréable société. Il sera à Paris lundi et veut être rentré dans ses montagnes, le 29 octobre pour y rester jusqu'à la fin de Mars. Il est occupé de son histoire du Directoire qui éclaira celle de la Convention. Ce sera certainement ce qu’il y aura de plus vrai, faits et appréciations, sur la grande révolution Française. Vous ne lisez pas le siècle, ni moi non plus ; il m'en est tombé l'autre jour un numéro sous la main, le 57e fragment, je crois d’une histoire de de M. de Lamartine.
L'Assemblée constituante, qu’il publie là, en articles, pour gagner de l'argent. A peu près aussi révolutionnaire que son histoire de la Restauration est légitimiste, et beaucoup moins de talent. Personne, ce me semble, n'y fait attention. C’est-à-dire dans notre monde à nous ; mais le monde du Siècle est nombreux, et tenez pour certains que les préjugés, et les manies révolutionnaires vont s'enracinant là, bien loin de s'éteindre.
Les Débats m'ont manqué hier. Ce que je tiens pour évident et pour très rassurant, c’est que si la guerre commence elle se passera entre vous et les Turcs et qu’on ne s’en mêlerait que si vous portiez la main sur Constantinople, ce que vous ne ferez pas, je pense. C'est un accident que cette guerre un malentendu, une bêtise, passez-moi le mot, de tout le monde. On ne souffrira pas qu’elle devienne une folie. Ce n’est pas du tout pour vous rassurer, et pour me rassurer moi-même, que je dis cela ; je le pense bien réellement.

Onze heures
Vous auriez tort d'aller à Bruges. Vous n'êtes pas assez forte pour faire de belles équipées. Adieu, adieu. Ce que dit Balabine est bien drôle.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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56 Val Richer. Lundi 5 Sept 1853

Il y a aujourd’hui trente sept ans que M. de Cazes, Pozzo, le chancelier et moi nous étions ravis du succès de plusieurs notes que nous avions rédigées pour Louis XVIII, et qui l’avaient décidé à dissoudre la Chambre introuvable de 1815. La France à peu près entière était aussi ravie que nous. Qui pense aujourd’hui à la chambre introuvable et à l'ordonnance du 5 septembre ? Il y a pour les événements, un mauvais moment ; c’est celui, où ils ne sont plus du présent, et pas encore du passé ; il faut vivre dans la politique ou dans l’histoire. Y a-t-il quelque chose de vrai dans ce que racontent les journaux sur la rencontre de l'Empereur d’Autriche et de la princesse Bavaroise à Ischl, et sur la soudaineté de ce mariage ? Tous les hommes, les Allemands plus que d’autres ont envie d’un peu de roman partout. C'est un signe de folie chez un peuple que d'en vouloir trop ; c’est un signe de décadence morale de n'en plus vouloir du tout.
Parle-t-on du remplacement de ce pauvre Garibaldi, et par qui ? Si les gens de Mazzini tentent encore, comme il paraît des conspirations à Rome, cela servirait-il, ou non, auprès du Pape, les désirs de l'Empereur Napoléon ? Le temps qui s'écoule ôte de la chance à ces désirs comme de la valeur à leur objet. Il y aurait quelque chose d'étrange et presque de ridicule à être sacré Empereur longtemps après l'être devenu. Il faut que le ciel et la terre concourent, en même temps aux grandes choses ; Dieu ne peut pas y venir quand on n’y pense plus, et comme un ornement de surérogation. Au lieu de questions de loin nous causerons la semaine prochaine, je compte, sauf obstacle imprévu, partir d’ici, samedi soir 10, et être à Paris, Dimanche matin. J'espère vous trouver reposée, Sauf les diplomates, vous n'avez, ce me semble, ni causeur, ni informateur en ce moment. Fould et Morny sont absents. Il vous faut quelqu’un de ce côté-là. Adieu, adieu. Voici ma réponse à Marion.

Onze heures
Ni moi, non plus comme de raison, je n’ai rien de nouveau à vous dire. On me dit qu’en effet les Anglais en général sont assez noirs. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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45 Val Richer, Mardi 9 Août 1853
3 heures
Il se peut fort bien que votre Empereur ait eu raison de penser à la Russie plus qu’à l'Europe. Je ne suis pas juge du cas particulier ; mais en thèse générale, on a toujours raison de se préoccuper du dedans plus que du dehors. Le pauvre roi Louis-Philippe se préoccupait infiniment du dedans ; à ce point qu’il en désespérait. Il a certainement en grand tort de faiblir le 22 février, et cette faiblesse a été la cause prochaine de sa chute ; mais il a été de tous, le moins surpris de ce qui lui est arrivé, tant, il en connaissait les causes générales et lointaines, et les regardait comme irrésistibles. Deux dispositions parfaitement contradictoires s'alliaient en lui ; dans l’ensemble, il était sans espérance, sans confiance, convaincu qu’il ne réussirait pas à fonder sa monarchie, que la France était vouée à l’anarchie et à la révolution dans chaque occasion particulière, quand le jour du péril venait, il était imprévoyant et sanguin, convaincu qu’avec un peu d'adresse, de souplesse et de patience. Il reviendrait sur l'eau et se relèverait après avoir plié, les deux dispositions ont également contribué à le perdre ; il a vu à la fois trop en noir et trop en beau ; il a trop désespèré du présent et trop espéré de l'avenir. On pouvait très bien résister en Février 1848, il ne l’a pas cru. Il a cru qu’il reviendrait du renvoi de son cabinet et même de son abdication ; et cela ne se pouvait pas. Il avait cela, et seulement cela, de commun avec Louis XI qu'il faisait beaucoup de fautes, et qu’il excellait. à s'en tirer, et qu’il espérait toujours avoir le temps de s’en tirer. Le temps lui a manqué pour se tirer de la dernière. Le chagrin a été pour plus de moitié dans sa mort. Le désespoir de votre N°43 est mal tombé, ce matin, après les quatre lignes du Moniteur d'hier. Vous aurez certainement eu directement l’avis de l'adhésion de votre Empereur à la proposition combinée à Vienne ? Je tiens pour impossible que le sultan n’y adhère pas aussi. Je suis donc de l’avis du Moniteur, et de la Bourse Je regarde l'affaire comme finie. Vous vous serez beaucoup tourmentée en pure perte. A part l’intérêt Européen, je suis charmé que vous voyez un terme de vos inquiétudes.

Mercredi 10 9 heures
Il me revient que Kisseleff est très content, et qu'on est très content de lui à Paris. Son attitude. et son langage, pendant toute cette crise, ont été très fermes et très tranquilles. C'est Morny qui a renversé M. de Maupas, et fait supprimer le ministre de la police. Il s'est allié pour cela avec Persigny. L'Empereur Napoléon est content de Drouyn de Lhuys et du mélange de pacifique et de guerrier qu’il a mis dans ses conversations et dans ses pièces. Bon pour tous les en cas. M. d’Hautpoul a obtenu la permission de recommencer à se promener, en mer avec son yacht de Trouville.
Mad. la Duchesse d'Orléans confie M. le comte de Paris à Paul de Ségur pour aller faire un tour en Irlande. Adieu, adieu. J'espère que demain le facteur m’apportera votre tranquillité au lieu de votre désespoir.
Par grand hasard, j’ai reçu hier une lettre de Massi ; on me dit : " La paix jusqu'ici n’est pas troublée par l'occupation ; les troupes russes observent la plus exacte discipline et payent tout ce qu'elles consomment.” Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 12 oct. 1852
5 heures

Puisque Aggy attend les avis de Clothall, elle ne partira pas. C’était le premier mouvement qui était à craindre. Marion elle-même lui dira, et lui dit déjà de rester. Sa lettre est touchante. Il faut bien que l’âme se dépense quelque part ; quand le bonheur naturel et régulier lui manque, elle se jette dans l’exaltation. Les vieilles filles (pardonnez moi ce mot brutal qui me déplait) sont ou très sèches, ou un peu folles. Marion n’est rien moins que folle ; mais partout où elle trouve un sujet d'émotion, d'affection, de passion, elle s’y précipite, et le cœur déborde. Quand je n'aurais pas déjà de l’autre pour elle, cette lettre m'en donnerait. Qu'ont donc fait ses parents pour la blesser à ce point ? Je suppose qu’Aggy n’a pas besoin que je vous renvoie la lettre de sa sœur.
La Gazette de France, seule, m’a apporté ce matin le discours de Bordeaux. Moins bien fait que celui de Lyon, sauf le para graphe sur la paix qui est très bien dit et très positif. C’était le paragraphe important. Je n'ai jamais douté que ce ne fût là le premier langage et même le premier dessein. Saura- t-on s’y tenir ?
Je présume, d'après ce discours, que l'Empire suivra de très près le retour à Paris. On dit que les Sénateurs iront au devant du président jusqu'à Tours. J’ai peine à le croire.
M. Troplong était, il y a quatre jours, bien tranquille dans sa petite maison de campagne, à huit heures de chez moi. Je crois comme vous que le Pape viendra. Et quand l'Empire aura été reconnu par les grandes puissances, je ne vois pas comment il s'y prendrait pour ne pas venir.
Le Roi Léopold ferait bien de prendre lui-même son parti et de mettre son gouvernement, ministres et chambres, au pied du mur sur cette question de la presse. Il y a certainement là, et depuis longtemps, un grand désordre Européen. Il ne se peut pas que le premier venu ait le droit de pousser, d’une frontière à l'autre, les états voisins dans les révolutions et son propre pays dans la guerre, sinon son propre pays, du moins le pays qui lui donne l'hospitalité.

Mercredi 9 heures
Avez-vous remarqué un article des Débats d’hier sur le suffrage universel ? Trop métaphysique pour votre goût mais spirituel et vrai par un côté ; faisant seulement servir la vrai à voiler et faire passer le faux, ce que je déteste.
Salvandy commence dans l’Assemblée nationale une série d'articles sur l’histoire de la restauration de M. de Lamartine. A en juger par la premier, ils ne seront pas sans intérêt. Je vous parle des articles de journaux, faute d'événements, car aujourd’hui, l'Empire n’est pas un événement. Il en redeviendra un, plus tard.

Onze heures
Vous avez raison de soigner vos yeux. J'espère que cette fluxion passera bientôt. Je vous ai dit à première impression sur le discours. Je viens de le lire et j’y persiste. Le paragraphe qui s'adresse à l'Europe est bon, et bien tourné. Le reste a plus de prétention que d'effet. Si le suffrage universel pouvait tenir ces promesses-là, il serait le maître depuis longtemps. Il n’a jamais fait ce qu’il avait dit. C'est sa nature. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 10 oct. 1852

Lisez, si vous avez des yeux et de la patience pour lire les discours adressés au Président par l’évêque de Carcassonne l'archevêque de Toulouse, et le premier président de la cour d’appel de Toulouse ; ils sont remarquables par la mesure politique gardée au milieu des expressions de la reconnaissance et de la louange. C'est le langage sincère et réfléchi d'hommes sérieux. Dans mes tristesses sur mon pays, je prends plaisir à rencontrer quelques actes, ou quelques paroles qui m’en soulagent un peu.
J’ai aujourd’hui, le plus beau ciel et le plus beau soleil possible. Je me promènerai. Il a fait froid cette nuit, de la glace. Je ferai rentrer demain mes orangers. Si le froid s’établit, nous aurons du beau temps. Nous avons depuis deux mois un temps aussi mauvais que triste. J’espère que celui-ci vous vaudra mieux. C’est un tonique. Mais prenez bien garde ne pas vous enrhumer.
Que signifie cette singulière ordonnance donnée sur la frontière de la Prusse Polonaise, que tout voyageur sera obligé de déclarer en entrant, combien il a d'argent et l’usage qu’il compte en faire ? C'est bien curieux. Est-ce une curiosité Prussienne ou Russe ? ce que j'approuve tout-à-fait et ce qui me paraît un bon petit symptôme de civilisation pacifique, c’est la convention conclue entre la France et les Puissants Allemandes, y compris la Belgique, pour la transmission des dépêches télégraphiques par un chiffre diplomatique pour chaque Puissance, connu seulement de chaque gouvernement et de ses agents au dehors. C'est la seule manière de rendre le télégraphe électrique praticable et utile pour les gouvernements. On se promet probablement qu’on devinera les chiffres étrangers. Mais il s'en faut bien qu’on y réussisse toujours.

Onze heures
Je ne vous dis qu'adieu. Je réponds quatre lignes à Aggy, très présomptueuses. J’espère que ma lettre d’hier lui aura fait quelque effet. Je veux y ajouter tout de suite ma réponse à celle que je reçois d’elle ce matin. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Jeudi 23 sept. 1852

Je trouve le discours du Président à Lyon très bien fait, le meilleur qu’il ait fait. On ne tire pas mieux parti de sa situation et de son nom. On ne fait pas mieux servir les faits passés aux intérêts présents. Toutes les paroles répondent à des dispositions instinctives du peuples, réelles et bien comprises. Je n’y vois qu’une faute ; c’est la malice contre la légitimité à propos de la statue équestre de Napoléon. Cela n’est ni grand, ni juste. Le gouvernement de Juillet a remis la statue de Napoléon sur la colonne de la place Vendôme, et Napoléon lui-même sous le dôme des Invalides. Cela vaut bien une statue équestre. J'étais ministre à l’une et l'autre époque et j’ai bien le droit de dire que jamais gouvernement ne s’est plus généreusement conduit envers la mémoire d’un prédécesseur dont les descendants restaient des rivaux. Cela m'amuse de prendre, en ceci, fait et cause pour la légitimité et de reporter sur elle le mérite des actes du gouvernement de Juillet. Mais je n’ai pas tort.
Au fond, ce n’est pas contre la branche légitime seulement, c’est contre les deux monarchies précédentes, contre toute la maison de Bourbon que l'allusion est dirigée, et là est l'injustice comme l’artifice ; à cela près, le discours est habile et a très bon air.
Voilà la guerre commerciale engagée entre la France et la Belgique. On vient. de doubler les droits d’entrée, sur les houilles et les fontes belges. La nouvelle négociation a donc tout-à-fait manqué. Cela peut devenir sérieux. Mais rien ne devient sérieux maintenant, rien du moins de ce qui peut aboutir à la guerre.
Je vous parle toujours des Feuilles d’Havas. Je suis frappé d’un petit article que je trouve dans celles d’hier, pour prendre le parti du Duc de Wellington contre les journaux qui l'ont attaqué, en attaquant l’article de l'Assemblée nationale. La défense est très convenable, de fond et de ton. On veut évidemment n'être point responsable des mauvais procédés et du mauvais langage envers l’Angleterre.
Vous ne lisez plus le Journal des Débats. Faites-vous lire pourtant, dans le numéro d’hier mercredi, un article de M. St Marc Girardin sur les Mémoires de Mallet Dupan. Très sensé, très spirituel et très piquant. Avez vous lu, ou du moins parcouru ces Mémoires de Mallet Dupan ? C'est, sans aucune comparaison, ce qui a été écrit de mieux sur la Révolution Française. C'est la vérité vue et entendue au milieu de la fumée et du bruit du canon.
Je ne vous parle que de discours et de journaux, et c’est à votre santé que je pense surtout. J'espère avoir ce matin de vos nouvelles, par vous et que vous me direz que vous recommencez à manger. Adieu, en attendant je vais faire ma toilette.

Onze heures
Voilà une lettre qui me fait bien plaisir. Mangez et dormez. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 7 Sept. 1852

Je vois que M. de Nesselrode en arrivant à Naples s'est rendu à Castelle mare, dans la maison de votre fils Alexandre où demeure son gendre Creptovitch. Votre fils, a donc prêté sa maison à celui-ci. Cela devrait mettre, M. de Nesselrode en bonne disposition pour vos fils. Mais les petits services n'étouffent pas les petites passions. On fait quelques politesses de plus, et on garde sa mauvaise humeur. M. de Nesselrode aura trouvé à Naples M. Turgot. Conversation qui ne l'aura ni beaucoup instruit, ni beaucoup amusé.
Avez-vous entendu dire qu’on rappelât notre Ministre de La haye parce que les Chambres de Hollande ont rejeté la convention conclue avec la France pour la contrefaçon et la propriété littéraire ? Ce serait un peu vif. Il est sûr qu’on n'aura pas fait grand chose en supprimant la contrefaçon, en Belgique si elle va s’établir en Hollande.
Je ne m'étonne pas que M. Molé ne soit pas content de M. de Lamartine ; il ne sera content d'aucune histoire. Les mérites, et les agréments de M. Molé sont des agréments et des mérites essentiellement contemporains ; il faut les voir de près, et en jouir soi-même d’un peu loin, ce sont des ombres pâles qui disparaissent bientôt tout-à-fait. De son temps, M. Molé aura été prise plus qu’il ne vaut, après, il ne le sera pas assez.
Le récit de Waterloo est en effet frappant et attachant dans Lamartine ; trop long et trop arrangé. Cet homme gâte ses richesses en les étalant trop, mais l'étalage est beau, comme dans les magasins de Paris.
Galignani me dit que Lady Lovolace est très malade. Jolie, savante, pédante, folle et coquette. Coquette avec ce singulier. mélange d'affectation et de naïveté que les Anglaises mettent dans la coquetterie. Bonne personne au fond, et de sentiments nobles. Son mari est ce qu’on appelle un homme de mérite.
Je n'ai point de nouvelles des Broglie si ce n’est par Mad. de Staël qui écrit à ma fille Henriette que Madame la Duchesse d'Orléans est venu les voir à Coppet avec ses enfants. Pas contente de sa santé. Les jeunes Princes très bien. Le comte de Paris étonnamment bon cavalier pour son âge. Pas d’autres détails.

10 heures et demie
Bonne longue lettre, qui me plait doublement, d'abord parce qu'elle me donne à penser que vous vous sentiez mieux hier, et puis pour elle-même. La lettre de l'Impératrice est charmante. Le voyage d’Aggy me déplait. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer. Lundi 6 sept 1852

Vous me demandez des lectures. Vous intéressez-vous d’autant plus à un temps que vous vous en êtes plus, et plus récemment occupé ? Si c’est là votre disposition, quand vous aurez fini l’histoire de la Restauration de Lamartine, prenez l’histoire des deux restaurations de M. Vaulabelle, un moment ministre de l’instruction publique sous le gouvernement provisoire, après Carnot, je crois. Six volumes non terminés ; cela va jusqu'en 1827 et à la chute de M. de Villèle. C'est l’histoire révolutionnaire de la Restauration ; parfaitement révolutionnaire ; tout est bon pour défendre ou répandre la révolution ; tout est légitime contre la légitimité ; l’auteur accepte et accepterait tout y compris la ruine de la France, plutôt que de transiger une minute avec les adversaires quelconque de la Révolution. Cela dit, c’est un livre curieux, sérieux, fait avec soin, avec un certain talent lourd, mais passionné, avec conscience quant à la vérité des faits et même avec une certaine intention d'impartialité quant aux personnes. C’est un mauvais livre qui mérite d'être lu.
Il y a quatre ouvrages à lire sur l’histoire de la Restauration ; Lamartine et Vaulabell, plus Lubis, celui- ci est la droite Villèle et gazette de France ; plus Capefigue, recueil d'anecdotes, de documents, écrit avec une fatuité pédante et intelligente. Tous livres faux, et dont aucun ne restera parce que, ni pour le fond, ni pour la forme, aucun n'est l’histoire ; Lamartine seul offre çà et là pour la forme, des traces d’un esprit et d’un talent supérieurs ; mais tous amusants aujourd’hui et nécessaires à consulter plus tard, pour qui voudra connaître notre temps. Si vous aimez mieux quelque chose encore plus près de nous, lisez l’Europe depuis l'avènement du Roi Louis-Philippe, jusqu’en 1842, par Capefigue, dix volumes. C'est bien long et bien médiocre, mais animé, plein de détails sur les faits, sur les personnes, et plutôt vrai que faux, un long bavardage écrit par un coureur de conversations et de nouvelles qui ne vit pas habituellement dans le salon, mais qui y entre quelque fois.
Si vous voulez les romans, demandez les trois ou quatre nouvelles de Mad. d'Arbouville, la femme, laide et morte, du Général d’Arbouville. Vous l’avez rencontrée, je crois, chez Mad. de Boigne. Vraiment une femme d’esprit, dans le genre roman, du cœur elle-même, et l’intelligence du cœur des autres. Je crois qu’il y en a quatre, Marie, Le médecin de village, je ne me rappelle pas le nom des deux autres. Ils ne portent pas le nom de l'auteur, mais tout le monde sait de qui ils sont. Voilà ma bibliographie à votre usage.
Je m'attendais à votre réponse sur Lady Palmerston. Il y a beaucoup de sa faute, un peu de la vôtre. Elle a mérité que vous vous détachiez (je ne veux pas dire détachassiez) d'elle ; mais vous vous détachez aisément quand vous n'aimez plus beaucoup. Vous ne tenez pas assez de compte du passé, même du vôtre.
Deux romans qui me reviennent en tête vraiment spirituels et intéressants, Ellen Middleton et Grantley manor, de Lady Georgia Fullarton. Moi qui n’en lis point, j’ai lu Grantley Manor qui m'a plu, et surtout attaché. C’est un peu tendu.
Comme je ne lis jamais les journaux Allemands, je ne savais pas qu’ils fussent violents contre le Président. Mais je vois que faute de répression à Berlin, Tallenay vient d'adresser à ce sujet une note à la diète de Francfort. C'est faire une bien grosse affaire. Je ne doute pas que la diète me réponde, très convenablement ; mais après ? Gouvernements, ou amants les plaintes inefficaces ont mauvaise grâce.
On annonce l’arrivée à Paris du Marquis de Villamarina, comme ministre de Sardaigne en remplacement de M. de Collegno. S'il vient, vous ferez bien de l’attirer chez-vous. C’était autre fois un homme d’esprit. Il y a longtemps à la vérité.
Pauvre Anisson qui est venu mourir subitement à Dieppe. C’était un bon et honnête homme, aussi honnête que laid. Ce sera un chagrin pour Barante.
Quel volume ! Presque comme si nous causions. C'est bien différent pourtant. Adieu. en attendant la poste, je vais faire ma toilette.

11 heures
Je n'ai plus de place que pour adieu. Adieu. G. On m'écrit que le Sénat sera convoqué pour le 20 novembre.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche le 5 Septembre 1852

J'ai manqué la petite princesse hier. Elle m’a fait attendre. Je suis partie sans elle, de sorte que je ne sais rien de sa journée de St Cloud. J’ai vu du monde le soir. Pas Molé, il était aux pieds de Kalardgi arrivée dans la journée et trop fatiguée pour venir chez moi, de sorte que je n’ai pas joui des premiers transports. Mad. Roger est venue me voir. Elle a passé quelques semaine en Suisse auprès de la Duchesse d'Orléans, qui est en assez mauvais état de santé. Elle va à Eysenach mais il n’y a rien de là pour l’hiver.
Comme la description de la bataille de Waterloo est belle dans Lamartine ! L'avez vous lue ? C'est charmant. Molé trouve qu’il ne sait pas le français et que tout est menti dans son ouvrage. Lamartine ne trouve pas M. Molé un grand homme. Adieu, car je n'ai rien à vous dire. Il pleut aujourd’hui ; j'aime mieux, cela que le beau temps, parce qu'alors je me résigne mieux à Paris. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris samedi le 4 Septembre 1852

Si je vous avais écrit hier je ne vous aurais parlé que de mes souffrances, j’ai préféré me taire. Mauvaise journée. Je ne vois pas que ma docilité me profite, et je continue cependant à faire tout ce qu'on m'ordonne. Molé est venu ici deux jours de bonne heure avant huit heures, ce qui me donne de longs tête-à-tête. Il est fort triste, & stérile. Mais sa conversation me fait un grand plaisir. Je suis trop accoutumée aux gens d’esprit, et je crois vraiment que c’est cette absence qui est pour beaucoup dans mes maux. Mad. Kalerdgi n’est pas arrivée encore. Il l’attend. Tant mieux pour moi. Je crois que Fould doit arriver aujourd’hui. Je ne saurai que tantôt le dîner d’hier à St Cloud. La petite princesse vient se promener avec moi. Je vais toujours à Bagatelle. Je prends mon livre & je reste là couchée. Je lis la Restauration avec un grand plaisir. Recom mandez moi quelque autre lecture après. Beauvale me mande que sa soeur a été à la mort, elle est hors de tout danger. Je répondrai très sincèrement à votre question. Mon amitié est très refroidie, et il ne reste si peu que j'ai peur de convenir qu'il y eut en difficulté pour des larmes. C'est bien mal ce que je dis là. Pas de nouvelles du tout. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 2 sept 1852

2 septembre ! J'étais bien jeune ce jour-là, il y a soixante ans ; mais j’ai été nourri dans une sainte horreur de son souvenir, et je ne vois pas cette date écrite sans retrouver ce sentiment. Le massacres des prisons de Paris ont été certainement quelque chose de plus affreux encore que la Saint Barthélemy ; la haine n’y était pas.
Avez-vous remarqué l’article du Morning Post répété par le Moniteur et par les Débats ? Cela a bien l’air d’un nouvel ajournement de l'Empire et du mariage.
On a raison de se moquer du discours de M. de La Rochejaquelein ; la platitude et la fanfaronnade ne vont pas à ce nom- là. Du reste le Président a très bien fait de le nommer président ; pour lui, il n’y a que profit.
Je suis porté à croire que Lord Granville pourrait bien avoir raison. Quand un homme d’esprit, et de caractère a été longtemps chef d’un grand parti il ne tombe. pas, même quand il déchoit.
Je n'ai point de nouvelles d'Aberdeen. Leur bon vouloir mutuel à Lord John et à lui est ancien ; leur alliance officielle serait étrange, Lord John, Lord Aberdeen et sir dans Graham. Je n'y crois pas. Je crois à Derby pour assez longtemps.

11 heures
J’ai été interrompu par des visites de chasseurs, très matinales. Je n'ai absolument rien qui en vaille la peine à vous dire. Comme j’ai bon cœur, je suis bien aise que Lady Palmerston soit sauvée, pour elle, pour son mari et pour vous que sa mort aurait chagrinée. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 15 août 1851

Je commence par vous quereller. Je remarque que vous ne m'avez pas écrit du tout dimanche le 10. Pourquoi ? J'aurai fait pendant mon voyage une nouvelle connaissance importante, Mirabeau ah qu'il a d'esprit ! Et quel courage, quelle confiance en lui-même, quelle énergie, quelle puissance de volonté. Un homme comme celui-là aujourd’hui ! Que cela ferait de bien ! Il y a des lettres de lui merveilleuses, vraiment je vous remercie de m’avoir donné cette lecture. Je vous la rapporte en bon état.

7 heures Voilà qui est trop fort. Après m’avoir planté là le dimanche & donné quatre lignes seulement. Lundi vous ne me dites rien du tout. Mardi. Pas de lettres. Et j’en attendais une très intéressante. Les dissipations de Paris font que je vous passe du souvenir. J’étais bien fatiguée, bien harassée à Francfort je vous écrivais tout de même.

Samedi 16 Je ne me console pas de n’avoir pas eu de lettre, & j’allais dire, je ne pardonne pas. Voyons aujourd’hui mais il faut attendre jusqu'à 4 h. Et il est huit heures ! Pas une âme hier. Je me partage entre la promenade, les journaux & Mirabeau. Ce soir un peu de piquet avec Marion & mon lit à 9 heures. Et incendie aux Invalides tous les drapeaux brûlés. Sébastiani ne valait pas cela. Adieu. Adieu.
Ma tête & ma bouche vont toujours mal, je ne sais ce que c’est.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 6 mars 1851

L’article du Constitutionnel est en effet très remarquable, et celui de l’Univers peut-être encore plus. Armand Bertin doit être bien perplexe. Je crains beaucoup qu’il ne finisse par tomber du mauvais côté. Par camaraderie et par faiblesse plutôt qu'avec confiance et par goût. Même dans ce cas, je doute fort qu’il prête un appui bien énergique et bien actif. La désapprobation percera à travers l'apologie. De tout ceci, quoi qu’il arrive il restera toujours un grand mal ; une recrudescence de désunion et d'aigreur dans les partis monarchiques, et des Princes très compromis et affaiblis. Si la République était viable, elle aurait bien des chances de vivre. Étrange pays où il se fait au même moment des mouvements en sens contraires ; c’est au moment où, dans l’Assemblée et dans les Conseils Généraux, les deux grands camps monarchiques, se rapprochent, et agissent ensemble, que dans la région princière, l’esprit de division et de politique égoïste pénètre et prévaut. M. Royer Collard disait souvent, en parlant de Thiers : " Ce sera l'homme fatal de la Monarchie de Juillet, et si on le laisse faire de la France ! Nous verrons si la seconde moitié de la prédiction s'accomplira. J'espère toujours que non.
Est-ce que vous n'avez pas revu le Général Changarnier. A part l’intérêt positif, qui est grand, il y a, dans cet homme, un problème qui excite vivement ma curiosité. S’il était vraiment sincère et décidé dans ce qu’il nous dit, il y aurait un grand parti à tirer de lui, précisément dans le trouble actuel.
Qu’entendez-vous dire de la Belgique depuis que la loi sur les successions directes a été rejetée par le Sénat ?
J'irai le 16 ou le 17 passer huit ou dix jours à Broglie. Tout ce qui me revient de la disposition du duc en bon ; s’il n'est pas décidé pour le bon côté, il l’est tout-à-fait contre le mauvais.
Je viens de lire les deux volumes d'Histoire de la Restauration de M. de Lamartine. Grand pamphlet politique comme l'histoire des Girondins. D'abord pour gagner de l'argent, puis pour faire de l'effet théâtral, puis, pour servir à la situation personnelle de l’auteur, puis pour nuire à la Restauration comparée à la République, puis pour nuire surtout à la Monarchie de Juillet comparée à la République et à la Restauration. Grande profusion d’esprit et de talent sur un chaos continu de vrai et de faux. C'est certainement un homme très remarquable. Il a l'abondance et l'éclat. Il se promène magnifiquement à la surface des choses. Au fond, artisan de désordre. Je crois pourtant qu’à tout prendre ce livre-ci fera plutôt du bien que du mal. Mais s’il le continue sur ces dimensions là, il fera vingt volumes.

10 heures
L’article de ce matin dans les Débats me plaît fort. Il éluderont la polémique, au lieu de l'y enfoncer, et je suis charmé que ma conversation y soit répétée. J'étais bien sûr que j’avais raison de parler. Je ne concevais pas mon silence. Adieu. Adieu. Je vous dirai ce que j'écrirai à Lord Aberdeen. Mais le Prince de Schwartzenberg à tort de dire de lui ce qu’il en dit ; il ne faut pas jeter ainsi le manche après la cognée à la tête de ses amis. Adieu G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, Mardi 27 août 1850.

Est-ce que vous vous sentez plus fatiguée que de coutume ? Vous me parlez de votre besoin de repos en personne vraiment fatiguée. Vous renoncez à passer par Baden qui vous amuserait. Cela me préoccupe. Donnez moi quelques détails. Les eaux fatiguent quelque temps, même quand elles font du bien. Tout le monde le dit. Il me semble que Schlangenbad vous a moins réussi qu’Ems. Je sais gré à Fleischmann d'être venu vous y voir. Il aura un peu rompu votre solitude. Et je suis sûr qu’il ne vous aura pas rendue germaine unitaire. Cette question Allemande me déplait parce que je n'y vois pas clair. J’ai un instinct plutôt qu'un avis. Mais un instinct ne satisfait pas. Je ne veux pas de ce qu’on veut faire, et j’entrevois qu’il y a quelque chose à faire. Cette passion d’unité qui tient tant d'Allemands ne doit pas être uniquement l’ambition Prussienne ou la folie révolutionnaire. Il y a probablement là dessous quelque chose de sérieux et de nécessaire. Comment s'y prendre pour reconstituer la confédération germanique et la diète de Francfort d'une façon qui donne satisfaction à ce qui n’est ni révolution, ni bouleversement territorial ? Ou bien serait-ce là un but chimérique ? Et l'Allemagne, en serait-elle venue à l'une de ces époques où les gens sensés comme les fous, les honnêtes gens comme les coquins, sciemment ou aveuglément, veulent absolument refondre toutes choses et se lancent au hasard dans les nouveautés, n'importe à quel prix. La France en était là en 1789. J’ai peur que l'Allemagne n’y soit à son tour, si cela est, la guerre européenne est infaillible, et nos 34 ans de bon gouvernement et de paix n'auront été qu’une oasis dans le désert, une halte dans le chaos.
Je conjecture et je spécule comme si nous causions. J'ai peur aussi que M. de Nesselrode n'ait raison, et que Wiesbaden n'ait fait plus de fracas qu’il ne convient. Le fracas rouge sur le passage du Président est une compensation. Mais tenez pour certain qu’à son retour il y aura à Paris un effort en faveur d’un ministère tiers-parti.
Je suis bien aise de retourner au Val Richer. Le temps est superbe ce matin. J'ai droit à un beau mois de septembre. Août a été affreux excepté les jours d’Ems.
Je suis très occupé de mon Monk. J’y ai pas mal changé, ajouté. Je crois que c’est amusant et à propos. Une grande comédie politique remise en scène devant des spectateurs acteurs eux-mêmes. Et on veut réimprimer en même temps mon Washington. Comment on rétablit une Monarchie et comment on fonde une République. Choisissez. Pourvu qu'on ne me réponde pas : ni l’un ni l'autre ! Hélas je suis un peu, pour la décadence de mon pays comme Mad. Geoffrin pour les revenants " Je n’y crois pas, mais je les crains. "

Onze heures
Pas de lettre ici. Je suppose que vous m'avez écrit au Val Richer, et que j’y trouverai votre lettre en arrivant. J'ai de bien mauvaises nouvelles de Claremont d'avant-hier. Dumas mécrit : " Il est douteux que l'état du Roi permette que S. M. aille s’installer à Richmond où se trouvent déjà M. la Duchesse d'Orléans et Mad la Duchesse de Saxe Cobourg. Les forces déclinent, tous les organes s'affaiblissent, à l'exception des facultés intellectuelles qui restent entières. J'ai dû faire une absence de quatre jours pour aller porter à Dreux le Corps de l’enfant morte dont est accouchée Mad la Duchesse d’Aumale. J’ai trouvé à mon retour avant hier, les progrès de l'affaiblissement très notables. Le Roi a fait appeler les docteurs Chamel et Fouquier. Mad. la Duchesse d'Orléans est aussi bien que possible. La Reine se maintient en bonne santé. Le Duc de Nemours est très souffrant d’un Anthrax. M. le Prince de Joinville qui a été en Belgigue chercher sa soeur la Duchesse de Saxe Cobourg et qui a dû séjourner deux jours à Ostende, à cause du mauvais état de la mer, y a été l'objet d’un accueil remarquable de la part du grand nombre de Français qui y résident. Cela s’est passé sous les yeux du Roi des Belges. "
Adieu, Adieu. Je voudrais vous envoyer ce soleil. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, jeudi 6 juin 1850
7 heures

Deux choses me frappent dans les conversations et les journaux de province : le travail assez actif qui se poursuit pour rallier et échauffer le parti modéré au nom de sa récente victoire dans l'assemblée ; l'ardeur de la portion intrigante du parti légitimiste à accueillir et à propager les idées de la gazette de France et de M. de la Rochejacquelein. Le parti modéré a vraiment le sentiment de la victoire. La guerre légitimiste s'agite avec l’aveugle impatience d’enfants mal élevés qui se croient près de mettre la main sur l'objet de leurs désirs. Jamais peut-être le parti modéré n'a été plus disposé à s'organiser politiquement, et jamais le progrès qu’ont fait les théories et les habitudes anarchiques dans le parti légitimiste lui-même n’a été plus évident. Il faut absolument que cette queue là soit coupée et rejetée parmi ces débris de toutes nos révolutions qui feront longtemps encore une opposition absolue et absurde à tout gouvernement. Le vrai et complet parti modéré, ne s'organisera qu'à cette condition, et en luttant contre cette queue là comme contre toutes les autres.

9 heures
Voilà les journaux et votre lettre. Je comprends l'émotion ; mais convenez qu'elle est bien ridicule. Il faut choisir ; veut-on, avoir un président de la république comme on en a un aux Etats-Unis, ne voyant personne, ne donnant un verre d'eau à personne, faisant tout simplement les affaires du pays sans aucun lien ni rapport avec la société du pays ? Cela se peut ; cela ne va pas mal aux Etats- Unis. Mais si cela convient à la France et à l'Assemblée nationale, il faut le dire tout haut, et non seulement permettre, mais prescrire au Président cette façon de vivre. Je dis prescrire car il y a en France, sur ce point des habitudes, des traditions des siècles d’habitudes et de traditions à abolir. Ce n'est pas trop d’une loi formelle pour les abolir et introduire un régime nouveau. Si on ne veut pas de cette abolition, si on ne la croit pas possible, si le président. doit être un personnage non seulement politique, mais sociable, si la République française entend conserver un peu la physionomie de la France, France de l'ancien régime, France de l'Empire, France de la Restauration, France de la Monarchie de Juillet, il faut absolument donner au président ce qu’il lui faut absolument pour jouer ce rôle-là. Je ne connais rien de plus honteux et de plus odieux que cette double prétention d'avoir un Président qui dépense, et de ne pas payer ce qu’il dépense, ce double parti pris des fêtes, et de la banqueroute, des charités et de la banqueroute. Et quand cette situation éclate, on se récrie ou s'indigne : on dit : " Ne nous parlez pas de cela. ". Si j'étais le président, je n’en parlerais peut-être pas ; mais je publierais toutes les semaines, dans le Moniteur, les comptes de ma maison, de toutes les dépenses de ma maison, et je laisserais au public à juger, si c'est moi qui suis le banqueroutier. Sur cette misérable question domestique comme sur les grandes questions politiques le pays-ci ne sera pas gouvernable tant qu'on ne l'obligera pas à voir les choses comme elles sont, et à entendre toute la vérité.
Si l'affaire grecque n'est pas tout-à-fait arrangée et conclue, Normanby en familiarité publique avec le président est quelque chose de plus que du mauvais gout ; c'est de l’insolence. Adieu. Adieu.
Je suis bien impatient des réponses que j’attends sur le véritable état de St Léonard. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Lundi 6 août 1849 6 heures

Trezet vient de repartir. J’aime bien les gens qui viennent passer la journée et ne couchent pas. C’est beaucoup plus commode quand on a peu de domestiques. Il ne m’a rien appris et je n'attendais rien de lui. Quelques détails, sur le passé ; quelques souvenirs que je l’ai prié d’écrire. Je veux que chacun de mes collègues me donne son récit du 20 au 24 février. Je m’en servirai un jour. Duchâtel m’a promis le soir qui est le plus important. Il l'a déjà écrit. Il m’a écrit en partant de Londres. Ce qu’il vous avait dit. Il rentrera plus de deux jours à Paris.
La lettre de Morny est assez curieuse. Il en sera pour ses peines d’embauchage impérial. A moins de quelque gros incident nouveau qui le jette de force dans l'Empire, le Président n'ira pas. Personne ne fait plus, et ne veut plus rien faire aujourd’hui que par force. Personne ne veut avoir à répondre de ce qu’il fait " Je n’ai pas pu faire autrement. " C'est l’ambition de tous. Ils ne sont pas fiers. M. de Metternich non plus n'est pas fier. Quand on est petit, je comprends qu’on mente pour se faire croire grand. On a tort ; on est découvert ; on devient ridicule ce qui est un grand obstacle à devenir grand. Pourtant je le comprends. Mais quand on est grand mentir pour faire croire que les Princes sont reconnaissants, et qu'on a encore leur faveur ce n’est pas de l’orgueil quoi que vous lui fassiez l’honneur de ce nom, c’est une vanité d'antichambre. J’en suis fâché. A en croire les apparences, M. de Metternich prend bien sa disgrâce, simplement et fermement. Et il a raison ; un chêne reste chêne, même déraciné, quand il a fallu un tremblement de terre pour le déraciner. Je suis fâché que M. de Metternich soit au fond et dans le secret de la vie intérieure, moins digne qu’il n'en a l’air.
Dearest cette phrase de votre lettre me va au cœur : " Vous, et du repos, voilà ce que je demande. " Je ne voudrais pas vous donner plus de sécurité qu'il n'en faut avoir. Je n’ai que trop eu déjà trop de sécurité (Phrase bizarre que vous comprendrez). Mais vraiment je crois et tout le monde croit qu'il y aura désormais du repos à Paris du repos matériel ; pas de bruit et pas de danger dans les rues. C'est, pour longtemps, le seul repos auquel nous puissions prétendre. J’espère que celui-là vous suffira.

Mardi 7 8 heures
Je reçois beaucoup de lettres dont quelques paragraphes, quelques phrases vous intéresse raient. Je ne puis ni vous tout envoyer ni tout copier. L'absence. L'absence ! Je trouve dans ces lettres des symptômes curieux, des traits de lumière, sur le présent et sur l'avenir. Curieuse société à la fois si inerte et si active, qui se laisse tout faire et ne se laisse définitivement prendre par personne gardant toute l’indépendance de son esprit dans la servilité et l’impuissance de sa conduite ! J’en suis honteux. Mais je n'en désespère pas.
Avez-vous lu l’article de M. Forcade dans la Revue des deux Mondes (N° du 15 Juillet) sur l’histoire de la révolution de Février de M. de Lamartine ? Plein de talent et d'honnêteté. C'est le commencement de la flagellation publique de M. de Lamartine. Et le 5° Numéro qui vient de paraître, du Conseiller du Peuple de M. de Lamartine. Une Philippique contre Thiers. Ces deux choses valent la peine que vous les lisiez.

Onze heures
Je fais toujours la découverte du mardi au moment où la poste arrive. Elle ne m’apporte rien d'ailleurs. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 27 Juillet 1849 6 heures

Ma journée d'hier a été une conversation continue. D’abord avec Salvandy, arrivé à 9 heures et demie, parti à une heure. Puis, avec Bertin et Génie, partis après dîner à 8 heures et demie. Presque toujours dans la maison, à cause de la pluie, vent, orage, grêle. Pourtant quelques intervalles lucides pour se promener en causant. Mon sol est promptement sec.
Salvandy très vieilli. Sa loupe presque doublée. Ses cheveux très longs, pour la couvrir, et très éclaircis, ce qui fait qu’ils la couvrent mal. Toujours en train, mais d’un entrain aussi un peu vieux. Il m'a dit qu’il réimprimait une ancienne brochure de lui, de 1831. Il fait de ses conversations comme de ses brochures. Il est à Paris depuis trois semaines, et y retourne aujourd’hui pour y rester jusqu'aux premiers jours d’août. Après quoi, il revient dans sa terre, à Graveron à 18 lieues de chez moi. Il viendra me voir souvent. A Paris il a vu et il voit tout le monde, excepté Thiers qui ne l'a pas cherché et qu’il n'a pas rencontré. Il raconte Molé, Berryer, Changarnier, le pauvre Bugeaud.
Molé plus animé, plus actif, écrivant plus de billets, faisant plus de visites donnant plus d’aparté que jamais. Président universel et perpétuel, de la réunion du Conseil d'état, de la société pour la propagande, anti-socialiste, de son bureau à l'Assemblée de je ne sais combien de commissions, de tout, excepté de la République. On a fait de lui une caricature très ressemblante, mais où on l'a vieilli de dix ans, avec cette devise : Espoir de notre jeune République.
Il était vendredi dernier à un dîner du Président, faisant les honneurs du salon à MM. S Marc Girardin, Véron, Jules Janin, Janvier & & C'est le dîner où Bertin a refusé d'aller. Le Président, en habit noir cravate blanche, bas de soie, tenue très correcte. M Molé en habit marron, cravate noire, et pantalon gris. Le plus heureux des hommes d’aujourd’hui fort sensé, fort écouté, fort compté, satisfait dans ses prétentions pour lui-même, espérant peu, se contentant de peu, et peu puissant pour le fond des choses. Laissant tomber l'idée de la fusion et s’attachant de plus en plus à la combinaison actuelle n'importe quelle forme nouvelle elle prenne tôt ou tard, car tout le monde croit à une forme nouvelle.
Les voyages du Président préoccupent beaucoup, en espérance ou en crainte. Il est très bien reçu. Il est très vrai qu'on lui crie : Vive l'Empereur et pas de bêtises ! M. Dufaure était un peu troublé à Amiens, et disait : "Je ne croyais pas ce pays-ci tant de goût pour l'autorité. " On se demande ce qui arrivera à Tours, à Angers, à Saumur, à Nantes, surtout à Strasbourg, où il ira ensuite, et qui paraît le principal foyer des espérances impériales. Je suis porté à croire qu’il n’arrivera rien. Tout le monde me paraît s'attendre à un changement et attendre que le voisin prenne l'initiative du mouvement. Point de désir vif, grande défiance du résultat, grande crainte de la responsabilité. Ni fois, ni ambition, ni amour, ni haine. On se trouve mal ; mais on pourrait être plus mal et il faudrait un effort pour être mieux. Et quel mieux ? Un mieux obscur, peut-être pas sûr, qui durerait combien ? Voilà le vrai état des esprits. Le Président ne pousse lui-même à rien. Ceux qui le connaissent le plus le croient ambitieux. Mais personne ne le connait. Il n’a un peu d'abandon. que pour faire sa confession de son passé. Le sang hollandais domine en lui. Il fera comme tout le monde ; il attendra. En attendant ses voyages et ses dîners le ruinent. Il ne peut pas aller. On va redemander de l'argent pour lui. Douze cent mille francs de plus. L'assemblée les donnera. Tristement, car l'état des finances est fort triste. M. Passy tarde à présenter son budget parce qu’il se sent forcé d'avouer, pour 1849, un déficit de 250 millions, & d’en prévoir un de 320 millions pour 1850. On espère ressaisir 90 à 100 millions de l'impôt sur les boissons. Mais comment faire un emprunt pour le reste ? Les habiles sont très perplexes.
La Hongrie n'est pas si populaire à Paris qu'à Londres. Toute l’Europe est impopulaire à Paris les révolutions et les gouvernements. On craint Kessuth et votre Empereur. On croit que c’est l’Autriche qui ne veut pas en finir avec le Piémont afin de tenir en occident une question ouverte qui puisse motiver l’intervention en Italie quand on en aura fini avec la Hongrie.
Il y a eu un temps, déjà ancien de 1789 à 1814, qui était le temps des confiances aveugles. C’est aujourd’hui le temps des méfiances aveugles, suite naturelle de tant de déceptions et de revers. Et la suite naturelle de la méfiance, c'est l'inertie. La France ne demande qu’à se tenir tranquille en Europe. Elle ne se mêlera des affaires de l'Europe qu'à la dernière extrémité, par force et toujours plutôt dans le bon sens, à travers toutes les indécisions et toutes les hypocrisies, comme à Rome. Le gouvernement de Juillet, qui n’a pas su se fonder lui-même, a fondé bien des choses, et on commence à s'en apercevoir. Sa politique extérieure surtout est un fait acquis que tout le monde veut maintenir. Et non seulement on la maintient, mais on en convient et bientôt en s'en vanterai. On m'assure, et je vois bien que comme Ministre des Affaires Etrangères, je suis déjà plus que réhabilité, même auprès des sots. Je vous quitte pour répondre autour Préfet du Havre qui m’a écrit la lettre la plus respectueuse et la plus heureuse que j'aie approuvé sa conduite. Il me dit : " En conformité du désir que vous en avez exprimé, j'ai l’honneur de vous apprendre que les individus qui avaient été arrêtés vendredi dernier ont déjà été relâchés à l'exception de deux que la justice revendique comme habitués de la police correctionnelle, et comme étant d'ailleurs coupables d'avoir joint à leurs cris stupides une tentative d’escroquerie chez un boucher de la rue de Paris. Votre approbation m’a été précieuse et m’a prouvé que j’avais eu raison de ne pas donner à cette ridicule gaminerie les proportions d’une émeute en l’honorant de la présence des baïonnettes citoyennes ou militaires. "

Je reçois beaucoup de lettres, des connus et des inconnus, des fidèles, et des revenants Bourqueney, de qui je n’avais pas entendu parler depuis le 21 février m’écrit avec une tendresse de Marivaux embarrassé : « Dites-vous bien, en recevant cette tardive expression de mon dévouement, que les cœurs les moins pleins ne sont pas ceux dont il n’était encore rien sorti. " Il a voulu dire : " que les cœurs dont il n'était encore rien sorti ne sont pas les moins pleins " Mettez cela à côté de ce billet que m’écrit Aberdeen : " It has been a great satisfaction to me, to see the universal respect and esteem with which you have been regarded in this country. At the same time, it has been to me a cause of sincere regret that I have been so little able to afford you any proofs of m’y cordial friendship during your stay among us. " Je ne le reverrais jamais, je l’aimerai toujours de tout mon cœur.
Merci de m'avoir envoyé le Morning Chronicle J’oublie mon sous Préfet du Havre. Je cause comme si j'étais dans mon fauteuil du Royal Hotel. Pauvre illusion ! Adieu. Adieu. Je vous redirai adieu après la poste. Que de choses j’aurais encore à vous dire.

Onze heures
Voilà votre lettre. Mais mon papier et mon temps sont pleins. Adieu, adieu. à demain. Que l’ancien demain était charmant. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Kimbolton Castle. Mardi 20 mars 1849.

20 mars ! Quel jour, il y a 35 ans! Louis XVIII avait fui de Paris dans la nuit. Napoléon y entrait le soir. très tard, et en se cachant, quoique le maître. Trois trônes sont tombés à Paris depuis ce jour-là. Trois Rois ont fui de nouveau. Et qui sait ?
Merci de votre lettre. Je l’avais ce matin, à 5 heures et demie. Vous d'abord. et puis des nouvelles. Mais voici un grand déplaisir. Il m’est absolument impossible d’en finir aujourd’hui avec les papiers. Il y en a plus que je n'en attendais. Il me faut la journée de demain. Et Guillaume aura à copier sans relâche pendant ces deux jours. Je ne puis pas être venu ici pour n'en pas remporter ce que j’y ai trouvé. J’en partirai après-demain Jeudi, vers 10 heures du matin, pour être à Bedford à onze heures trois quarts, à Londres à 3, à Brompton à 4, et chez vous le soir avant 8 heures. Pouvez-vous m'envoyer votre voiture à 7 heures et demie ? Je vous écrirai encore demain. J’ai deux déplaisirs, le mien et le vôtre. Ce serait bien pis si je n'en avais qu’un. Je travaille depuis ce matin. Il n'y a pas moyen. Le manifeste de la Rue de Poitiers est ce que j'attendais. Une sonate sans défaut. L'impression universelle sera celle-là. Par conséquent complète impuissance, ce qui n'est jamais bon pour des hommes importants. Il faut parler pour tous, ou parler seul et pour soi seul. Mais parler tous ensemble et tous du même ton, c’est si impossible que cela devient ridicule, quelque irréprochable que soit le ton. Je suis toujours sans nouvelles de Paris. Ce qui fait que j’en suis chaque jour plus curieux. Ce voyage m'a fort dérangé. Si je n’avais pas quitté Brompton, ce que j'ai à écrire eût été écrit cette semaine.
Je crois à l’arrangement des affaires de Sicile. Les Siciliens se résigneront. Le monde a vu des fanatismes qui ne se résignaient pas et qui résistaient, même sans chances de succès. Mais aujourd'hui ce n’est pas au fanatisme, c’est à la folie que nous avons à faire. La folie se décourage bien plutôt. Le Roi de Naples donne aux Siciliens tout ce à quoi ils ont droit, et peut-être plus qu'ils ne pourront porter. Mais cela n'en fera pas moins pour l'Angleterre, en Sicile l'effet d’un abandon honteux après une provocation coupable. Je suis, quant à la situation du cabinet, de l'avis de Peel qui en sait plus que moi. Et c’est l'avis que je trouve ici, parmi deux ou trois hommes simples et sensés qui vivent loin des Affaires. Quand les hommes simples et les hommes d’esprit sont du même avis, ils sont probablement bien près de la vérité. Pourtant je parierais pour le maintien. Adieu. Adieu. Cela me déplait beaucoup de voir les jours s'écouler. Vous partirez dans onze jours, et je serai plus de six semaines, sans vous voir. Ecrivez-moi encore un mot demain. Je l’aurai après-demain à 8 heures et demie, et je ne partirai qu'à 10. Adieu. Adieu.
G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft samedi 26 août 1848
4 heures

Je suis de l'avis de Montebello. Je crois que le gouvernement Cavaignac choisira pour le rouge s'il est absolument forcé de choisir. Et le jour viendra où il y sera forcé. Mais de part et d’autre on s'efforcera de reculer ce jour. Personne n'a assez d'envie de gagner la bataille pour l’engager volontairement. Je ne m'accoutume pas à la pusillanimité des honnêtes gens. Ce n’est pas faute d'expérience. Certainement je n'ai pas cru aux révolutions de Pétersbourg. Et je crois que si l'Empereur aime mieux la république que la Monarchie constitutionnelle, c’est qu’il la croit moins contagieuse. Il penserait autrement s’il était le voisin des Etats-Unis. Et s’il avait raison dans la préférence que vous dites, et que vous êtes tentée de partager Cavaignac et Marrast auraient raison. Car renoncez à Louis XIV. On refait encore bien moins Louis XIV que Napoléon. Si nous n'avions d'autre alternative que Louis XIV ou la confusion permanente, je me ferais moine. Il me faut de l'avenir, dans ce monde et dans l'autre.

Dimanche 27
8 heures

J’ai eu hier au soir quelques mots de Paris qui me prouvent qu’on y est de nouveau et sérieusement inquiet. Inquiet d’une nouvelle bataille dans les rues. La république rouge ne veut pas accepter sans mot dire la politique qui accepte la déroute Italienne, ni l'ordre du jour motivé, quel qu’il soit, qui terminera le débat de l’enquête. Elle veut protester et sa protestation, c'est l’insurrection. Cavaignac la battra, nul doute et la victoire l'affermira pour aujourd’hui, mais l’usera pour demain. Le voilà engagé dans le défilé où la Monarchie de Juillet a péri, entre deux feux et deux feux bien plus étendus, bien plus ardents qu’ils n'étaient contre elle. Et il n’a pas comme elle, de qui se défendre longtemps. La Monarchie de Juillet s’est défendu avec deux armes ; par la prospérité du pays, par l'opinion, généralement accréditée, qu’elle était réellement la fin des révolutions. La république n’a ni l’une ni l'autre. Je persiste dans mon avis. Ce sera plus long que ne croient les badauds et moins long que les gens d’esprit, comme vous et moi, ne sont quelques fois tentés de craindre. Je vous envoie les impressions qui m’arrivent de Paris et mes raisonnements sur les impressions en attendant samedi.
Tempête hier, mauvais temps aujourd’hui. Je vais faire ma toilette pour aller au sermon. Je suis correct ici. Je vais au sermon tous les dimanches. Une heure Je suis désolé que vous ayez eu deux mauvaises heures. Ce n'est pas ma faute. Il est impossible d'être, en fait d’exactitude, plus minutieusement soigneux que je ne suis. Comment ne le serais-je pas ? J'ai tant besoin de votre exactitude à vous ? Elle est parfaite aussi. Je trouve que nous ne nous remercions pas assez de nos vertus mutuelles. Nous souffririons tant de nos défauts ! Enfin samedi prochain, nous n'aurons, ni à nous remercier, ni à nous plaindre.
C'est le lundi qui est mon blank day à moi. On distribue ici les lettres le dimanche. La lettre de Sabine est drôle et aimable. Je commence à être assez frappé de ces rumeurs sur Henri V. Non pas que je croie à aucun résultat prochain. Si l'explosion est prochaine. Henri V y périra, comme Louis Bonaparte a péri. Le produire aujourd’hui, c’est le détruire. Mais si on continue à parler de lui sans le lancer dans l’arène, s’il apparait de plus en plus, mais dans le lointain, il prendra du corps et grandira. Et la fusion, aujourd’hui chimérique pourrait bien devenir possible. Elle sera possible le jour où tout ce qu’il y a de monarchique en France verra là, la seule chance de salut. Ce jour-là, tout le monde se réunira pour imposer la fusion à qui de droit et de bonne ou de mauvaise humeur, on l'acceptera sans grande résistance. On y verra aussi son salut.
Avez-vous écrit dernièrement au voyageur pour la fusion ? Je pense très bien de Montebello et je suis bien aise que vous en pensiez très bien, le connaissant comme vous le connaissez à présent. Faites-lui je vous prie, mes amitiés savez-vous pourquoi Morny est revenu à Londres ? Savez-vous aussi, ou pourriez-vous savoir, si Lord Palmerston connait un M. Rothery, dont vous m’avez peut-être entendu parler, et avec qui M. Dumon est très lié ? C’est un proctor que le foreign office a quelques fois employé, du temps de Lord Aberdeen. Il vient de m’écrire qu’il partait subitement pour Madrid, m’offrant de se charger de mes commissions pour Paris. Il me dit : you will doubtless be surprised et my suddon determination to start for so turbulous a country as Spain, et ne me dit pas du tout pourquoi. Je serais curieux de savoir si c’est Lord Palmerston qui l'envoie. Il fait faire assez souvent sa diplomatie incorrecte par des voyageurs, et celui-ci est intelligent. Vous avez vu que M. d’Haussonville m’avait demandé un programme de ce qu’il devait dire, voulant écrire sur notre politique extérieure. Voici ce que je lui ai répondu. Gardez-moi cette copie que j'ai gardée pour moi. Je crois qu'il est maintenant possible et utile de dire en France ces choses-là. Ne faites usage de ceci que pour vous, à cause de M. d’Haussonville. Adieu. Adieu.
Je suis bien aise que vous n’ayez pas eu besoin de m'envoyer votre homme pour savoir si j'étais vivant. Mais s’il était venu, je l’aurais embrassé. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park. Mardi 8 août 1848
Onze heures

J’ai cinq minutes. Je vais rejoindre à Norwich le train du chemin de fer qui va à Yarmouth. C’est à Yarmouth que mes enfants prendront quelques bains de mer. Le médecin sort d’ici. Il trouve Pauline pas mal, c’est-à-dire point de vrai mal, mais encore assez ébranlée. Il veut encore deux ou trois jours de repos. Puis quelques bains à Yarmouth, près d’ici, à peine un voyage. Les habitants de Ketteringham viendront nous y voir. A part la raison de santé, je vous dirai mes raisons pour aller à Yarmouth, près d’ici. Vous les trouverez bonnes. Je vous quitte. L’heure du train me presse. Merci de votre longue et bonne lettre qui vient de m’arriver. Je vous écrirai demain à mon aise. Adieu. Adieu. G.

Une heure On m’a fait observer que tout bien calculé, je n’arriverai probablement pas à Norwich à temps pour le train d’Yarmouth. Je n’irai donc que demain matin. Je vais là choisir un logement. Je reviendrai ici, et nous irons à Portsmouth à la fin de la semaine. Toujours pour trop longtemps mais pas pour longtemps. Le médecin n'a point d’inquiétude pour Pauline, mais elle a été [shaked] in her whole frame. Je ne lui ai pas refusé une promenade à cheval par ce qu’il y a beaucoup monté. Soyez tranquille ; je n’y monterai point. Guillaume monte très bien.
Je ne crois plus à l’intervention en Italie. On n'en veut évidemment pas plus à Paris qu'à Londres. L’Autriche cédera sur la Lombardie. On forcera les Italiens de céder sur la Vénétie. Et le Roi Charles Albert battu aura son royaume comme, s'il l’avait conquis. Quoique peu en train de rire, je ne puis m'empêcher de rire de la république ; elle copie, timidement ce qui s’est passé après 1830. La Lombardie sera la contrepartie de la Belgique. On règlera cette question là, comme l'autre, de concert entre Paris et Londres. Mais sans mettre le pied au delà des Alpes. Il faut dire de la République ce qu’on a dit de je ne sais plus qui : " ce qu’elle fait de nouveau n’est pas bon, ce qu’elle fait de bon n'est pas nouveau. "
Je compatis fort au chagrin de l'Empereur sur sa fille Olga. Mais elle a raison. Quelle honte au Roi de Wurtemberg ! Pis que le Roi de Bavière. Je suis humilié de la conduite des Rois comme si j’étais un Roi. J’ai mon Journal des Débats. On est fort en trais de refaire un autre parti conservateur. Et celui-là enterrera un jour la République. Chaque crise révolutionnaire en France fait monter au gouvernement une nouvelle couche de la société, prise plus bas. Et celle-là est à son tour forcée de devenir conservatrice, tant bien que mal. Je ne vois pas comment on s'y prendrait pour descendre plus bas que le suffrage universel. J’ai écrit à Lord Aberdeen. J’aurai demain ou après-demain tout ce qui m'a été envoyé à St Andrews. Ecrivez-moi encore ici, Adieu, Adieu. Quel plaisir quand nous nous retrouverons. Mais que de choses nous nous serions dites que nous ne retrouverons pas ! Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Résignez-vous à me dire encore deux fois des nouvelles de votre nuit & de vos forces. How are you ? Si vous avez sous la main les Mémoires de Fléchier vous me feriez bien plaisir de me les envoyer. Ayez la bonté aussi de demander à Génie le dénouement de l’affaire de la loge. Adieu, adieu. Un coup de vent m'a réveillée cette nuit. S'il y en a eu lundi je ne me rendormirais pas. A midi 1/4. Adieu.

Vendredi 8 3/4
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