Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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411. Wrest Park, Jeudi 13 août 1840

J’ai quitté Londres hier sans lettre je n’ai eu de vous qu’un mot de Calais, et un mot d’Eu de Samedi matin. Depuis rien du tout. Cela m’inquiète et m’afflige. Je suis venue ici malade. On me drogue ici ; je suis vraiment, souffrante. Des vertiges abominables. Je m’ennuie parfaitement : c’est bien long d’y rester encore aujourd’hui et demain !
Si j’avais une lettre je partirais peut être demain. Dans tous les cas je serai à Stafford house.
Samedi 3 heures. Je vous préviens que j’ai accepté dîner à Holland house dimanche. Lady Palmerston est ici ; elle va à Windsor demain, son mari y est et y reste jusqu’à Mercredi. J’ai eu à me plaindre de la cour et de mes amis ministériels ces derniers jours. J’ai eu une lettre de Mad. de Flahaut. Une lettre de mon frère. La première ne n’envoie pas de copie. L’autre ne me répond pas encore. Il n’avait par reçu Adieu, adieu. Je suis très mécontente de n’avoir pas eu de lettres. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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414. Douvres 1 heure après midi
Lundi 7 Septembre 1840

J’arrive, tous les bateaux de Calais et de Boulogne sont partis. Je passerai donc la journée ici. Je n’ai pas été bien cette nuit, mais au total cependant j’ai du repos et je sens que mes nerfs y gagnent. à midi vos jambes se seront senties incommodées de ne pas prendre le chemin de Stafford house. à midi je vous fuyais à bride abattue. Que c’est absurde, que c’est horrible ! Et nous ne sommes qu’au début de cette abominable carrière.

4 heures
J’ai mangé, je me suis reposée. J’ai donné des ordres pour demain, c’est à 6 h. du matin que je m’embarque pour Calais si le temps. n’est tout-à-fait beau, pour Boulogne s’il y a sûreté d’un bon passage. Je manquerai donc votre lettre, car la distribution ne se fait qu’à 8 heures. Et la marée n’attend pas. Je suis triste de cela, je ne verrai cette lettre qu’à Paris ! Ma fleur était morte hier soir. La vôtre n’aura pas duré plus longtemps. J’avais mal choisi. Je vous envoie ce qui convient mieux, ce qui me ressemble. Envoyez-moi par la première occasion la feuille correspondante une feuille de chêne, allez la prendre vous même. Le lierre, et le chêne c’est bien. C’est venu sur terre anglaise dans cette Angleterre que nous aimerons toujours, n’est-a pas ? Traitez bien ce lierre il vous porte un adieu bien tendre.

6 heures
J’ai écrit au duc de Wellington. Il était sorti pour la chasse. A son retour il m’a écrit, il était très fatigué, il ne peut pas venir et il se fâche que je ne lui aie pas fait savoir mon arrivée plus tôt. Voici qu’il m’envoie lord Burghersh qui me dérange. 8 heures bonsoir, bonne nuit, adieu. Adieu toujours, toute ma vie.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°4 Vendredi 7. 11 heures du matin.

Vous voilà à Londres. Et vous avez été, en y arrivant bien émue, mais pas bouleversée pas malade. J’en tremblais. Et il est si triste de trembler de loin ! Je sais ce que c’est de trembler de près, de voir souffrir à côté de soi, d’assister minute par minute aux douleurs du corps et de l’âme. C’est affreux. Et pourtant il reste toujours au fond du cœur je ne sais qu’elle foi dans la puissance de l’affection qui vous persuade que, même sans y rien faire, vous soulagez, en les ressentant, en les voyant, les souffrances d’un être chéri. Et il y a du vrai dans cette foi, car enfin, un mot, un regard. une chaise rapprochée, une main pressée, C’est quelque chose, c’est beaucoup. Mais de loin, les plus douces paroles, les regards, les plus tendres, les plus ardents élans du cœur se perdent dans ce espace immense, vide, froid, qui vous sépare. J’ai toujours trouvé qu’on prenait trop aisément son parti de la séparation, qu’on n’en prévoyait jamais tout le mal. Quand on le prévoyait, quand on le sent tout entier, on a bien plus de mérite qu’on ne croit à y consentir, car on fait bien plus de sacrifices qu’il ne paraît. Le pauvre Brutus se trompait beaucoup s’il est vrai qu’il ait dit en mourant : " Ô vertu, tu n’es qu’un vain nom ! " Il faut que la vertu soit au contraire quelque chose de bien réel, car elle impose, et on accepte, pour lui obéir, de bien lourds fardeaux.
J’aime John Bull de vous avoir si bien reçue. Mais une autre fois, ne prenez personne pour votre fils. Comme à vous, les cottages de votre route me paraissent charmants, et j’y vois tout ce que vous avez pu y voir. Cependant. croyez-moi quelque heureuse que vous y fussiez, votre pensée votre caractère, toute votre âme se trouveraient bien à l’étroit dans un cottage. Il faut que le chêne s’étende, que le palmier s’élance, que la rose s’épanouisse. Nul n’est bien que dans un habit à sa taille ; et notre taille, Madame ce n’est ni vous, ni moi qui la réglons ; nous n’y pouvons pas plus retrancher qu’ajouter une coudée. Acceptons donc, quelque lourd qu’il puisse être quelques fois. l’habit qui nous va. Mais sous tous les habits, dans toutes les situations, les sentiments simples naturels, les sentiments primitifs et puissants qui sont le fond de l’âme humaine doivent trouver leur place et garder leur empire. Je ne sais ce qui a pu arriver à d’autres ; pour moi, je n’ai jamais éprouvé que les grands désirs, les grands travaux de la vie publique étouffassent, altérassent le moins du monde en moi, le besoin d’affection bien reçue, passionnée de sympathie intime, les joies du cœur et de la famille, tout ce qui remplit et anime la vie privée des hommes. Plus au contraire mon esprit s’est élevé et ma destinée s’est étendue, plus ces sentiments se sont développés en moi: plus ils me sont devenus chers ; plus même ils ont gagné, je crois en énergie, en fécondité en délicatesse! Il me semble qu’ils ont toujours participé au progrès général de mon être, et qu’en montant un échelon de plus, je n’ai jamais laissé en arrière aucune partie de moi-même. Il est vrai aussi que je suis devenu de plus en plus difficile pour la satisfaction intérieure de ces sentiments si doux de plus en plus exigeant quant aux mérites, aux perfections de leur objet. En ceci comme ailleurs, mon ambition a toujours été croissante, et je n’ai jamais accepté ni mécompte ni décadence. Mais en ceci surtout, ma plus haute ambition est satisfaite, car il a plu à Dieu de placer sur ma route des créatures dont la rencontre est de sa part, un bienfait infiniment supérieur à tous ses autres dons.
Samedi 8. Je n’ai pas eu de lettre hier. Vous l’avez peut-être adressée au Val Richer, m’y supposant déjà. Elle m’y attendra ; mais en attendant elle me manque beaucoup. J’espère que les miennes vous arrivent exactement Je ne sais que vous dire de ma course à Châtenay. J’ai été là dans l’état intérieur le plus mêlé, le plus combattu, tantôt charmé d’y être tantôt m’y trouvant plus seul que partout ailleurs. "Cette fois vous venez pour moi.» m’a dit Mad. de Boigne. Elle m’a parlé de vous, très bien, selon le monde. Le monde vous trouve très aimable Madame mais il vous craint un peu. Il lui semble que vous le regardez d’en haut, vous mettant plus à l’aise avec lui que vous ne lui permettez de l’être avec vous. Il soupçonne qu’au fond vous êtes un peu autre que vous ne lui paraissez. N’y ayez point de regret. La familiarité du monde n’est pas bonne ; il faut toujours se montrer à lui un peu dans le lointain et lui rester un peu inconnu.
Les bruits de dissolution prennent ici depuis deux jours, assez de consistance. Je suis allé avant. hier soir à Neuilly prendre congé du Roi et de la Reine. Le Roi, n’y était pas. Je n’ai donc point eu de conversation sur laquelle je puisse former quelque conjecture. En tout cas, les élections n’auraient probablement lieu qu’au mois d’Octobre. L’indisposition de M. le Duc d’Orléans n’était rien du tout, un pur accès de fièvre éphémère. Il passe demain une revue de la garnison de Paris. Les propos qui couraient sur son désir de commander lui-même, l’expédition de Constantine étant tout à fait tombée. Adieu., Madame. Je vais recommencer à trier dans ma bibliothèque les livres que je veux envoyer à la campagne. C’est un travail presque mécanique qui me convient à merveille. Mon âme pendant ce temps pense à qui elle veut. va où il lui plaît. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°6. (J’ai oublié de numéroter le billet que je vous ai écrit de Paris Dimanche 9 juillet. C’était le n°5.)
Du Val-Richer, Jeudi 13.

Certainement vous êtes malade, Princesse, assez malade pour ne pouvoir écrire quatre lignes. Sans cela, je ne comprends pas, je ne puis comprendre comment je n’ai point de lettres. Quelle ressource pour me rassurer ! J’en ai une autre moins triste quoique l’effet en soit fort triste. Il y a quelque irrégularité dans le service de la poste au fond de mes bois. Mes journaux ne m’arrivent pas encore exactement. Deux lettres ne me sont revenues qu’après avoir été me chercher à Caen. Peut-être y en a-t-il une de vous qui court ainsi après moi. Je viens de régler avec le Directeur des postes de l’arrondissement le service du Val-Richer, voici, quand vous voudrez m’écrire directement, ma vraie et sure adresse. Au Val-Richer, Commune de St Ouen le Paing. par Lisieux. Calvados. Adressées ainsi mes lettres m’arrivent le lendemain de leur départ de Paris. Quand en aurai-je une de vous ?
Je ne veux pas vous dire tout ce qui me vient à l’esprit, quel espace parcourt mon imagination, quels ennemis, quel fantôme elle y rencontre. Je n’ai pas en général l’imagination inquiète et noire : mais quand une fois elle prend ce tour là, elle échappe tout à fait à l’empire de ma raison, tout devient possible, probable, réel. Il faut se taire alors, se taire absolument, ne pas se parler à soi-même. Je vous quitte donc Madame. Pourquoi êtes-vous devenue un si grand intérêt dans ma vie ?

Vendredi 14. Voilà une lettre, une longue, un excellente lettre. Et c’est bien celle que j’attendais. Il n’y en a point de perdue. Celle-ci est allée en effet me chercher à Caen, le service encore mal réglé de la poste a causé le retard. Un nom de village pour un autre, une négligence de commis, cinq minutes de sommeil d’un courrier qui passe, sans s’en apercevoir, devant une route de traverse, qu’il faut peu de chose pour faire beaucoup souffrir ! Enfin, la voilà. Et j’espère que les autres viendront plus régulièrement.
Vous n’êtes point malade. On vous trouve bonne mine. Ne permettez pas à tout ce monde de vous accabler de fatigue ; ils n’ont pas de quoi vous en dédommager. Ils vous aiment pourtant et ils ont raison ; et vous avez bien raison aussi d’accueillir toutes les amitiés, quels que soient leur nom et leur drapeau.
Entre nous, j’ai plus d’une fois regretter de ne pouvoir être avec mes adversaires politiques, aussi cordial aussi, bienveillant que je m’y serais senti enclin. J’en sais plus d’un en qui, politique à part, j’aurais trouvé peut-être un ami du moins une relation facile et douce. Mais le soin de la dignité personnelle, les devoirs envers la cause, les exigences et les méfiances de parti, tout cela jette entre les hommes, une froideur, une hostilité souvent sans motifs individuel et intimes. Il faut s’y résigner ; c’est la loi de cette guerre, car il y a là une guerre.
Mais vous, Madame, profitez, profitez toujours et sans hésiter de votre privilège de femme; soyez juste envers tous, bonne pour tous, amicale pour tous ceux qui le mériteront de vous. C’est quelque chose de si beau et de si rare que l’équité et l’amitié ! Je suis charmé que vous en jouissiez, et plus charmé encore que vous soyez si capable d’en jouir, que vous ayez l’esprit si libre et le cœur si affectueux. Je n’y mets qu’une condition Vous la devinez et elle est bien remplie, n’est-ce pas ? Pendant que vous retrouvez à Londres, vos douleurs, pendant que vous n’y pouvez faire un pas, regarder à rien sans avoir le cœur bouleversé au souvenir de vos fils, moi j’achève ici, dans ma maison, les arrangements que le mien y avait commencés. Je fais descendre dans ma chambre son fusil de chasse, je me promène suivi de son chien.
C’est un lien puissant entre nous, Madame, que cette triste ressemblance de nos destinées, et cette parfaite intelligence que nous avons l’un l’autre de nos peines. Il me semble que j’ai connu vos enfants ; je leur prête les traits, les qualités qui me charmaient dans le mien ; je les unis à lui dans mes regrets. Ne vous défendez pas, Madame, du sentiment qui vient émousser ce que les vôtres ont de plus poignant ; laissez-vous guérir autant que se peut guérir une vraie blessure. A mesure que nous avançons dans la vie, c’est la condition de notre âme d’éprouver et d’associer dans je ne sais qu’elle mystérieuse unité, les émotions les plus contraires, de souffrir et de jouir, de regretter, et de désirer à la fois, et avec la même vérité, la même énergie. Acceptons ces secrets de notre nature. Si vous étiez là, si nous causions en liberté, vous me parleriez de vos fils, je vous parlerais du mien. Nous nous raconterions toute leur vie, toute la nôtre, et un sentiment d’une douceur infinie et souveraine se répandrait sur notre entretien. Que mes lettres vous en apportent l’ombre ; les vôtres ont pour moi tant de charme !

Samedi 15, 9 h 1/2 du matin.
Que je dis vrai dans ces derniers mots, & bien plus vrai que je ne dis ! Voilà, le N° 5 qu’on m’apporte. Dearest Princess, je crains qu’à votre tour vous n’éprouviez quelque retard pour mes lettres, pour celle-ci du moins. Je m’en désole. Pardonnez le moi. J’aurais dû la faire partir avant-hier ; mais j’étais si impatienté de ne voir rien arriver que j’ai attendu. Je vous aurais écrit en trop mauvaise disposition. Aujourd’hui je ferais peut-être mieux d’attendre aussi. Ma disposition est trop bonne.
Tout à l’heure Madame j’irai me promener dans les bois qui m’entourent. Ils sont bien verts, bien frais, bien sombres, quoiqu’un beau soleil brille au dessus et les enveloppe de sa lumière. Ce lieu-ci est très solitaire, très sauvage. Autrefois quelques moines y venaient orner. Aujourd’hui quelques bûcherons y travaillent. J’y serai bien seul. Je n’y entendrai rien. Je n’y verrai personne. Je relirai vos lettres. Je serai charmé. Et pourtant, que le fond du jardin de la Duchesse de Sutherland me fera envie ! Et ma pensée tantôt m’y transportera, tantôt vous amènera vous-même dans les bois du Val-Richer. Et je me laisserai bercer à ces doux rêves jusqu’à ce que j’en sente le mensonge. Je rentrerai alors dans ma maison.
Je suis très préoccupé de ce que vous me dites des projets de M. de Lieven. Vous ne pouvez songer, ce me semble, à aller le rejoindre à Carlsbad. Vous voilà à peine en Angleterre. La saison des eaux serait passée avant que vous arrivassiez, en Bohème. Après les eaux, s’il y va M. de Lieven retournera sans doute auprès du grand duc. Non, Madame, il ne faut pas chercher le bonheur à tout prix ; mais il faut penser sans relâche aux moyens de lever les obstacles. Vous ne pouvez ni vous fier à Pétersbourg, ni errer sans cesse en Europe. Que ces deux points là soient bien arrêtés ; ils feront le reste.
Midi. C’est trop de bien en un jour. Je tremble pour les jours qui vont suivre. Je reçois à l’instant votre N°6. Mon pressentiment ne me trompait pas tout à fait quand je vous craignais malade. Reposez-vous, beaucoup, beaucoup. Je suis charmé que vous n’alliez pas à Howick.
Que je vous remercie d’avoir pensé à me rassurer sur votre mauvaise écriture ! Elle m’eût inquiété en effet. Je vais attendre bien impatiemment vos prochaines lettres. Je les crains pourtant un peu. Vous aurez attendu celle-ci. Vous vous serez, comme moi naguère, impatientée, tourmentée. Vous voyez que j’ai aussi ma fatuité. C’est un lieu commun que je dis là, Madame. Non, je n’ai avec vous, point de fatuité. Ce mot ne convient ni à vous, ni à moi. Mais j’ai confiance, je crois. Et vous aussi, n’est-ce pas ? Nous avons donc bien le droit de nous parler comme gens qui croient, c’est-à-dire tout simplement et en disant les choses comme elles sont, non pas comme on est convenu de les dire quand elles ne sont pas. Il faut pourtant que je finisse si je veux que ma lettre parte !
Il me semble que j’ai à peine commencé que je ne vous ai parlé de rien. Je vais au plus pressé à ce qui me touche vraiment ; et je laisse en arrière (comme je laissais le cahier rouge) la politique anglaise, la politique française, votre jeune Reine, la dissolution de son parlement, celle du nôtre, que sais-je ? Tout cela cependant m’intéresse beaucoup, et je lis très curieusement les détails que vous me donnez, et j’ai sur tout cela, des milliers de choses à vous dire. Et ma prochaine lettre, si dans celle-là encore, j’en trouve le temps. Adieu Madame.
Remerciez, je vous prie, la petite Princesse de son bon souvenir. J’y tiens beaucoup et j’en suis très touché. C’est à vous de lui demander pardon, pour moi d’un langage si familier. Je copie. Je suis bien heureux d’apprendre que Madame la Duchesse de Sutherland veut bien se rappeler mon nom. C’est du luxe en vérité d’être si bonne quand on est si belle. Mais le luxe qui vient de Dieu est charmant ; et il a comblé votre noble hôtesse de tant de dons qu’en effet elle nous doit peut-être à nous autres pauvres mortels de nous traiter avec un peu de bonté. Quelque place qu’elle me donnât à sa table, je serais ravi de m’y asseoir. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°9 Vendredi 21 Midi.

Madame que vous dirai-je ? Je n’aime pas les sentiments combattus ; ils sont peu dans ma nature. En général, quand deux impressions contraires m’arrivent ensemble, mon cœur choisit décidément choisit et l’une devient bientôt dominante, tout à fait dominante. Mais aujourd’hui que faire ? Vos N°7 et 8, le dernier surtout que je reçois à l’instant, me pénètrent de tristesse et de bonheur. Votre inquiétude me désole et me charme. Je lis, je relis, je relis vingt fois les paroles pleines d’une agitation pour vous si douloureuse, pour moi si tendre ! Que ne donnerais-je par pour vous l’épargner? Que ne vous dois-je pas pour l’avoir sentie? Pardonnez-moi dearest Princess, pardonnez-moi mon égoïste joie ; elle n’ôte rien, je vous jure à ma peine pour votre peine. Je crois que si ce n° 8 était arrivé avant-hier, le chagrin, l’eût emporté en moi. Je vous aurais vue encore si triste, si troublée ! Mais, depuis hier j’espère, le mal est passé ; hier au plus tard, vous avez reçu une lettre; vous en aurez une autre demain ; elles iront à vous désormais régulièrement, souvent, bien souvent. Chacun à notre tour, nous avons traversé l’un et l’autre un bien sombre nuage. De petites circonstances, des circonstances tout-à-fait étrangères à notre volonté, mon déplacement, des adresses inexactes, des postes mal réglées voilà la vraie cause du mal. Il ne se reproduira plus. Nous y veillerons. J’y veillerai comme les Guèbres sur la dernière étincelle du feu sacré, comme une mère sur son enfant malade. Les témoignages de votre affection me sont mille fois plus doux que je ne vous le dirai jamais. Mais je ne veux jamais les devoir à une minute de souffrance de votre cœur.
Et Lord Aberdeen ? Il est donc parti ? Et je puis en toute sûreté, le plaindre, être juste envers lui ? Que je vous remercie de m’avoir ainsi mis à l’aise avec moi-même ! Je ne connais rien de plus pénible que de nourrir en son âme un mauvais sentiment contre un galant homme malheureux. Et pourtant vous êtes une noble créature. Et moi j’ai le cœur bien fier. Je pressentais cela et depuis longtemps. Même avant votre départ, le nom de Lord Aberdeen me frappait plus sérieusement qu’aucun autre. Pauvre homme ! C’est si naturel !
Vous ne savez pas Madame, pour un homme sérieux et malheureux, quel charme il y a en vous, dans votre air, dans votre accent, dans ces entretiens où éclatent, avec tant de dignité et d’abandon, votre esprit si haut si simple, si libre, votre âme si gravement et si finement émue, si sensible aux grandes choses, si indifférente aux petites, pleine de tant de sympathie et de tant de dédain ! Je voudrais avoir quelque occasion d’être en bon rapport avec Lord Aberdeen de lui être agréable en quelque chose. Je me sens comme des devoirs envers lui. Vous me direz s’il vous écrit s’il doit revenir à Londres avant votre départ. Vous me direz tout, comme vous l’avez fait.
Samedi 22 midi. Dearest Princess, il n’y a plus de sentiment combattu. Je n’en ai plus qu’un absolument qu’un. Je suis désespéré de votre inquiétude. Je crains quelle ne vous fasse mal. Je reçois à la fois votre petit billet, sans numéro du lundi 17 qui m’est venu directement, après être encore allé me chercher à Caen et votre N°9, du Mardi 18, qui m’arrive par Paris. J’ai beau me dire qu’à présent, depuis Jeudi vous êtes tranquille, que vous savez combien vos inquiétudes étaient vaines. Je n’en suis pas moins désolé, troublé, inquiet de nouveau moi-même et de la façon la plus douloureuse. Je vous vois, vous êtes là devant mes yeux, impatiente, préoccupée quel charme agitée, triste, attendant, attendant encore. Vous me pardonnez, n’est-ce pas? Je veux que vous me pardonniez, quoique je n’ai point de tort, non certainement point de vrai tort, point de tort devant Dieu; car moi aussi j’ai attendu et bien des jours, et avec une impatience dont j’ai contenu, dont j’ai étouffé l’expression en vous la témoignant. Et si j’avais suivi ma pente, quand vos lettres ne m’arrivaient pas quand mon imagination se lassait, s’épuisait à chercher la cause du retard ou du silence, je vous aurais écrit tous les jours ; tous les jours je vous aurais demandé pourquoi je n’avais pas de lettre. J’aurais mieux fait. Je ne l’ai pas fait à cause de vous, de vous seule. J’ai craint quelque odieuse malice. J’ai voulu y voir clair.
Enfin tout est passé n’est-ce pas, bien passé? Vous ne craignez plus, vous ne souffrez pas, vous n’êtes pas malade ? Que la parole est pitoyable, & que tous mes efforts seraient vains pour vous envoyer sur ce papier, ce que j’ai en ce moment dans le cœur ? Voyez le, devinez-le. Vous le pouvez, j’en suis sûr ; je me confie à vous. C’est ma consolation dirai-je ma joie, mon inexprimable joie de savoir, d’avoir vu, de voir tout ce qu’il y a dans votre cœur de tendresse et de puissance. Ceci encore, cette joie vous me la pardonnez également. Dites-le moi, que j’aie le plaisir de l’entendre, quoique je n’en aie pas besoin. Demain enfin, après demain au plus tard j’aurai une lettre rassurée, et qui me rassurera j’espère. Mais que d’heures encore d’ici à demain ! Aujourd’hui, il me serait impossible de vous parler d’autre chose.
Adieu adieu. Mais, je vous en conjure, soignez-vous ; ne vous livrez pas à des émotions comme celle que ce petit chien a causée. L’absence est déjà assez lourde ; au moins faut-il être tranquille sur votre santé. Je ne serais pas tranquille quand vous vous porteriez toujours le mieux du monde. Comment l’être un moment si des secousses continuelles vous assiègent ? Éloignez-les ; abrégez-les. Vous pouvez avoir de l’empire sur vous? Vous m’avez dit que vous réprimeriez tout ce qui pourrait m’affliger. Pensez à moi. Je suis sûr que vous le ferez comme vous me l’avez dit. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°11 (duplicata) Mardi 25.

Je viens de vous écrire par la voie que vous m’indiquez aujourd’hui. J’en essaie une autre. Nous romprons cette glace fatale. Non certainement, il n’y a rien de pis que d’attendre là, immobile, sous le feu des coup du sort bien plus redoutable que toute l’artillerie du monde. Mais encore une fois, il est impossible que demain vous ne me disiez pas que vous avez reçu une lettre. J’en ai tant écrit ! Cinq du Dimanche 16 au lundi 24. Comment pouvez-vous craindre que la vivacité de votre peine me déplaise ? Ah, dearest Princess, si je suis coupable, c’est par là, et ce n’est pas par un sentiment de déplaisir. Je vous dirai un jour, tout ce que j’ai éprouvé, pensé. Mais d’ici là, au nom de Dieu, soignez-vous. Souffrir de votre chagrin et trembler pour votre santé, c’est trop. Je le sais depuis longtemps, ce qui m’épouvante le plus en ce monde, c’est de voir tout ce qu’on peut supporter.
Adieu. Adieu. Il n’y a pas moyen de vous dire un mot de quoi que ce soit. G.
Mercredi 10 h Enfin, enfin, vous avez une lettre. Votre N°12 me l’annonce. Quelle délivrance, pour moi comme pour vous, oui pour moi comme pour vous. Vous vous trompez sur mes N°. Vous aviez reçu le N°4 et vous me l’aviez dit. Le n° 5 était ce petit billet de Dimanche 9 que j’avais oublie de numéroter. Il ne vous manque que le N° 6 qui vous arrivera certainement. Il était allé par une autre voie qui aura retardé. Adieu, Adieu, dearest. Vous allez être accablée de lettres, accablée. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°15 Caen 1er Août 1837

J’ai bien peur que vous ne m’ayez averti trop tard et que ma lettre ne vous trouve plus à Boulogne. J’ai bien peur ! Qu’est- ce que je dis là ? Si vous n’êtes plus à Boulogne, vous serez à Paris. Cela est vrai ; cependant je voudrais que vous me trouvassiez à Boulogne. Je voudrais être le premier à vous parler, en France. Mais dans le n°15, il y a sur votre santé, des paroles qui me font frémir. Je ne serai un peu tranquille que quand j’aurai vu, bien vu. J’irai voir dès que vous serez arrivée. En attendant, je vous écrirai demain à Paris. Je suis ici pour trois jours. J’étais ce matin au bord de la mer à Trouville. Mais l’autre, rive ne m’attirait presque plus. Que j’aurais voulu me promener avec vous sur la rive où j’étais ! Chaque fois que je revois la mer, c’est un monde nouveau que je découvre ; et je ne découvre plus un monde nouveau sans vous y chercher, ou vous y mettre. Mais je ne veux pas que vous soyez malade.
11 h 1/2 du soir J’ai été interrompu par je ne sais combien de visites, et je sors un moment du salon, qui en est encore plein, pour vous dire adieu et donner ma lettre qui partira de grand matin.
Adieu donc. Adieu sur la terre de France. Je vous l’ai déjà dit; il y a des moments en bien comme en mal, où il faut se taire, se taire absolument. L’insuffisance de la parole est trop évidente. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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231 Du Val-Richer. Mercredi 31 Juillet 1839 5 heures

Aujourd'hui c’est tout seul que je me suis promené. Je viens de marcher trois heures, au petit pas, dans les bois, les près avec ou sans chemin, pensant à vous et à Washington. Vous vous ressemblez peu. Pourtant c'était une grande matière, et il a bien vraiment accompli sa destinée quand il a vaincu et gouverné. Il l’a fait très simplement et de sang froid, sans vit plaisir, mais aussi sans prétention ni effort. C’est peut-être le seul grand homme qui l'ait été par occasion seulement, poussé en haut par la nécessité des choses et non par l'élan de son propre esprit et de sa propre volonté. Deux choses lui manquaient : la passion et la pensée ; la passion ardente, insatiable ; la pensée spontanée, variée, illimitée dans son activité. Mais appelé à agir, je ne connais point de jugement, plus droit, plus imperturbable dans la vérité, point de caractère plus ferme et plus serein, toujours au niveau des grandes choses sans jamais se croire au dessus. Je vous en dirais long si je vous disais tout ce qui me vient à l'esprit sur lui en lisant sa vie et ses Lettres. J’ai pensé à vous bien plus qu'à lui. J’aime extrêmement à penser à ce que j’aime. On dit que les avares passent des heures à contempler leur trésor. Je suis un avare. Bien certainement je le suis. Je me comptais à regarder mon trésor, & je veux le garder pour moi seul.

Jeudi 6 heures
Le soleil est admirable ce matin. C’est une rareté. Je voudrais que vous vissiez ma bibliothèque au soleil levant. Il y entre à flots par neuf grandes croisées et se répand sur deux vastes jardinières pleines de fleurs et sur une série de gravures, encadrées le plus simplement du monde, en chêne et en sapin de Suède, comme la bibliothèque, mais toutes fort belles, saintes et profanes des Saintes Familles, la communion de St Jérôme, le spasimo de Raphaël, Napoléon à Eylau à Austertitz, à St Hélène, Henri 4 à Paris, Gustave Wasa à sa dernière diète & Je suis sûr que cela serait de votre goût, la bibliothèque et le soleil. Si le Cardinal Fesch qui répand son argent à tort et à travers, m'en avait laissé un peu je ferais du Val-Richer une habitation charmante. J'ai, pour cela la matière et l’esprit. Rien ne me manque que l’argent. Je comprends que l’Europe s'amuse du spectacle des Buonaparte, se disputant cet argent. Quand Fesch fut fait Cardinal, le maréchal Lefèvre ( duc de Dantzick ) homme d’esprit malicieusement grossier, lui dit avec son accent alsacien : « Sap.. Monseigneur, c'est pien heureux que je ne fous ai pas fait pendre ce chour que fous safez pien, quand fous étiez fournisseur ! " A coup sûr tous les Buonaparte trouvent aujourd'hui comme lui que c’est bien heureux. Chaque pays a ses scandales et ses hontes. L'Angleterre a vu le squelette de Cromwell de l'homme à qui elle avait obéi et qui compte au rang de ses plus grandes gloires, pendu à Tyburn et jeté dans la Tamise. Il n'en arrivera jamais autant à Caradoe. Le voilà Pair d'Angleterre. La Princesse Bagration sera-t-elle Pairesse ?

9 h. 1/2
Comment, quatre mois sans nous voir ? Est-ce que de manière ou d'autre, vous ne reviendrez pas à Paris dans le cours de septembre, soit pour y rester, soit pour y passer en allant en Angleterre ? Dans l'un et l'autre cas, j’irai vous y voir. Vous ne comptez certainement pas rester à Baden jusqu'au mois de Décembre. Dites-moi un peu vos projets. Ayez des projets si j'étais près de vous, je m'en chargerais. Je suis décidé à m'en charger désormais jusqu'à la dernière limite du possible pour moi. Mais à présent, je suis loin. Adieu. Adieu. Voilà quatre jours qui me pèseront jusqu'à ce que vous ayez recommencé à avoir des lettres tous les jours. Vous savez que je ne jouis de rien à moi seul. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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17 Val Richer. Vendredi 15 août 1845

Ceci vous trouvera à Boulogne. Je pense avec plaisir que la mer n’est plus entre nous. Quand je nagerais aussi bien que Léandre, le Pas de Calais est plus large que le Bosphore. Et ce pauvre Léandre n'est pas arrivé.
Guillet a écrit à Page de passer à la rue St Florentin et d’y donner son adresse. Je vous engage encore à passer quelques jours à Boulogne avec les Cowley. Vous n'aurez personne à Beauséjour, surtout le soir. Le Roi de Prusse a beaucoup d'humeur de ce que la Reine comme elle le lui a fait savoir ne reste à Stolzenfels que jusqu’au 14 et veut en partir le 15 pour être à Cobourg le 17. Il avait fait de plus longs préparatifs. Il s’est écrié, sur cette nouvelle : " Ah, c’est trop fort. Il y a de la part des Princes allemands et des hommes considérables, fort peu d'empressement pour se présenter chez le Roi de Prusse & lui rendre des devoirs pour lui-même, avant l’arrivée de la Reine d'Angleterre. On va au contraire beaucoup au Johannisberg. On peut évidemment se montrer froid pour le Roi de Prusse et confiant dans M. de Metternich. Le Roi en est choqué. Et comme il est surtout homme d'impressions et d'amour propre, cette petite manœuvre n’aura probablement pas l'effet qu’on s’en promet.
La Reine d’Espagne et même la Reine Christine ont été très bien reçues à St Sébastien et dans les Provinces basques, en général ; mieux qu’on ne s’y attendait. Voilà encore des conspirations qui échouent. Ce ne sont pas les conspirations que le général Narvaez a à craindre ; c'est l'opposition dans son propre parti. Les prochaines cortes seront orageuses. Le grand Duc de Modène a décidément et pour la seconde fois refusé sa fille à M. le Duc de Bordeaux. On a donné un bal à Schönbrunn dans cette vue. Il a déclaré que si le Duc de Bordeaux y allait, ses filles n'iraient pas. Le Duc de Bordeaux a été indisposé. Le parti est très chagrin, très déconfit de cet échec. Ils disent qu’ils n’ont plus d’espoir que dans la seconde fille du Prince Jean de Saxe, 15 ans, bien laide & pauvre ; et que si cela aussi échoue, il faudra que le Duc de Bordeaux épouse une française de bonne maison, car il faut absolument qu’il se marie. La Dauphine a fort essayé de causer politique et France avec l’Electrice douairière de Bavière qui s’y est refusée. Elle (la Dauphine) s'est montrée parfaitement découragée et résignée. On lui a demandé si elle passerait l’hiver à Vienne ou à Frohsdorf : " Je n'en sais rien et cela ne me fait rien, avec le peu de jours qui me restent à vivre, et ce que j’ai à en faire, qu'importe ? " Voilà mon bulletin. Le calme est profond.
Le Roi et tout le château d’Eu ont été charmés de mon discours à St Pierre. Il m'écrit avec effusion. Henriette est décidément très bien. Mais le temps redevient mauvais, froid. Quel été ! J’ai écrit à Charles Greville. Adieu. Adieu.
Vous avez déjà passé où vous passerez après-demain. Il n'y a pas de vent aujourd’hui. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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18 Londres jeudi le 14 août 1845, à midi

Décidément je me suis encore trompée de N° & celui-ci est le 18ème. Votre dîner hors de chez vous, dimanche dernier me dérange. Je crains une indigestion ; & puis un assassinat, ou bien, une voiture versée. Vous savez comme je suis, parfaitement déraisonnable. Je suis tranquille quand je vous ai à Beauséjour, chez moi, ou bien dans votre cabinet que je regarde.
Hier longue promenade & causerie avec Dédel qui a tout plus de good sense & d'esprit & de connaissance de ce qui se passe ici. Beaucoup de monde chez moi le matin car tout ce qui est resté vient. Bulwer je crains me fera faux bon. Il voudrait que je retarde, & moi, je suis décidée à partir après demain. Flahaut part Lundi mais tout le monde va par le rail way. Il n'y a plus que moi dans le monde qui me serve de très mauvais chevaux de poste. Je ne sais vraiment qui partira avec moi, & je ne veut pas partir seule. Lady Cowley m’attend avec impatience et curiosité à Boulogne. J’y serai sans doute dimanche à moins de mauvais temps.
Je vous ramène des yeux assez ressemblants à ceux que j'avais en vous quittant, mais il est bien avéré que ce n’est que de l’ennui, des soins, des précautions, des privations, mais point de véritable danger. Il n’y a que Verity qui sache me traiter. Il sera à Paris au commencement de septembre. Londres est parfaitement dull, plus un seul homme public, et pas une nouvelle. Adieu, adieu, j'ai des yeux très capricieux et j'y ai mal dans ce moment, il faut que je vous quitte. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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20 Val Richer Samedi 16 août 1845
8 heures et demie

J’écris depuis six heures du matin, et je viens de recevoir, un courrier énorme qui me donnera à écrire toute la journée. La Syrie, la Grèce, l’Espagne, Rome la Prusse. A tout prendre tout va assez bien partout ! C’est à dire que partout, nous marchons à notre but, et nous grandissons en marchant. Les chemins sont difficiles. Nous bronchons quelques fois. Nous nous arrêtons de temps en temps, tantôt par nécessité, tantôt volontairement. C'est le cours ordinaire des choses. Il n’y a que les enfants qui s'en plaignent. Mais, je vous le répète tout va assez bien partout. Ce qui n'empêchera pas que l'avenir ne soit chargé d’embarras, d'ennemis, de combats, de périls. Je ne m'en plaindrai pas davantage, si, en dernière analyse, j’obtiens les mêmes résultats. Vous vous rappelez le mauvais début de la dernière session. Et bien aucune n’a aussi bien fini, ni laissé dans le pays une si profonde impression de succès et de progrès.
Je suis très content de Piscatory. Lyons travaille avec passion à faire ce qu’il lui reproche d'avoir fait, à allier M. Mavrocordato et M. Metaxa pour renverser. M. Colettis. L'alliance Anglo-Russe à la place de l'alliance Franco-Russe maintenant debout. Lyons a échoué. Et dans l'alliance Franco-Russe, Colettis a gagné beaucoup de terrain. Piscatory a vraiment beaucoup de savoir faire. Et je ne vois pas qu’il se soit écarté de l'épaisseur d'un cheveu, de la ligne que je lui ai tracée à Constantinople, on s'occupe sérieusement des affaires de Syrie. Le Ministre des Affaires étrangères, Chékib Etfendi, y est envoyé en mission pacificatrice, avec de grands pouvoirs. Nous verrons s'il en sortira quelque chose. Le public est exigeant. Il ne se contente pas d'être bien gouverné lui-même. Il veut que tous les gouvernements soient bons, même le Turc.
En Espagne, le duc de Séville a réellement, gagné un peu de terrain. Même ce me semble dans l’esprit de la Reine Christine. Vous savez que nous n'avons ni extérieurement ni au fond du cœur, pas la moindre objection à cette combinaison. J’ai averti à Naples qu’elle était en progrès. Le langage de M. le Duc de Nemours à Pampelune sera très bon. Il a été un peu indisposé à Bordeaux. Pure fatigue du voyage, qui est fatigant en effet, mais utile.
Thiers aussi va voyager en Espagne. Pour voir les champs de bataille. Et aussi en Portugal. Il y emploiera, le mois de septembre. Il va en compagnie. peut-être MM. de Rémusat, Mérimée (votre bon député), &... Bülow de plus en plus mal. D'après le langage, de ses amis mêmes, on croit sa situation désespérée. Les émeutes religieuses se multiplient en Prusse. Halberstadt a eu la sienne pour Ronge comme Posen pour Cgerski. Je ne crois pas au succès des nouvelles religions. Mais elles feront du mal aux anciennes, et j’en suis fâché. Adieu.
C'est mardi seulement que je vous saurai arrivée à Boulogne, car je compte que vous n'aurez quitté Londres qu'aujourd'hui. Ce que vous me dîtes de vos yeux me charme. Adieu. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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19 Londres, vendredi le 15 août 1845 dix heures.

Mauvaise journée hier. Mes yeux allaient mal. J’ai eu bien peur le matin je suis mieux. Je serai curieuse de me faire lire votre discours du dîner. J’aurai cela à Douvres sans doute. Je pars demain matin à 9 heures avec Bulwer. J’irai à Folkston peut être, mais toujours par terre et non par fer. Si le temps n’est pas mauvais je passerai dimanche. Dietrichstein est revenu hier. Décidément il me fait sa cour pour arriver à Paris ! Pas d’autres news. Londres est [?] on avait bien envie de m’entraîner à la campagne. Le genre de vie et la lumière ne me vont pas.
Que de choses à vous raconter ! Tâchez que ce soit bientôt. Adieu. Adieu. J'ai mes paquets à faire & les bills à payer. Adieu beaucoup de fois adieu. Je viens de lire votre discours. Excellent. Parfait. Adieu. excellent.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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21 Val Richer, Dimanche 17 août 1845
8 heures et demie

Je voudrais vous savoir positivement entre Douvres et Boulogne dans ce moment-ci. Il fait un temps superbe, point de vent, un beau soleil. Nous n'avons pas eu une telle journée depuis que nous nous sommes séparés. Cela me plaît que vous rentriez en France par un beau temps. Je veux aussi qu’il fasse beau le 30 août. Et puis dans le mois de septembre, j’espère que nous aurons encore de beaux jours, à Beauséjour. Mais il faudra rentrer en ville, au commencement d’octobre. L’humidité ne vaut rien ni à vous ni à moi, ni à mes enfants. Et la campagne est toujours plus humide que la ville.
Henriette est très bien, mais maigrie et pâle. Elle a été très fatiguée. Elle a besoin de se remplumer.
Je vais bien loin de Beauséjour. J'ai des nouvelles de Perse qui m’intéressent assez. Sartiger s'y conduit très bien. Il y a fait rentrer les Lazaristes que M. de Médem en avait fait chasser. M. de Médem a été très mauvais pour nous. Il vient d’être rappelé et remplacé par un Prince Dolgorouki qui était à votre Ambassade à Constantinople. On dit qu’il sera plus modéré que Médem. On m'en parle bien. Un petit incident à Constantinople dont je suis bien aise. Le duc de Montpensier doit y être arrivé ces jours-ci. Bourqueney a communiqué d'avance à Chekib Effendi la liste des officiers qui l'accompagnaient, & devaient être présentés au Sultan. Dans le nombre, se trouvait un Abd el-At, Algérien, Arabe, Musulman, sous lieuteuant de Spahir à notre service. Vive émotion parmi les Turcs ; Comment présenter un tel homme au Sultan ? Insinuations, supplications à Bourqueney d’épargner ce calice. Il a très bien senti la gravité du cas et répondu très convenablement mais très vertement. On s'est confondu en protestations ; Abd el-Al sera reçu comme les autres officiers du Prince. Tout le régiment des Spahir serait reçu s’il accompagnait le Prince. Et de bonnes paroles sur notre possession d’Alger qu’on sait bien irrévocable, ceci fera faire un pas à la reconnaissance par la Porte. Adieu. Adieu.

J’ai des hôtes ce matin. Puis, dans la semaine où nous entrons & les premiers jours de la suivante, trois grands déjeuners de 25 personnes chacun. Mes politesses électorales à la campagne, le déjeuner est plus commode que le dîner.
Je regrette Bulwer pour votre route. Comme agrément, car comme utilité, si vous aviez besoin de quelque chose, je doute qu’il fût bon à grand chose. Quand vous reviendrez de Boulogne vous savez que Génie a, si vous voulez, quelqu'un à votre disposition. Adieu. Adieu.
Je me porte très bien. J’ai le sentiment que marcher beaucoup me fait beaucoup de bien. Seulement il n’y a pas moyen de réunir les deux choses, le mouvement physique et l'activité intellectuelle. Il faut choisir. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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22 Boulogne Mardi 19 août 1845, 10 heures.

J’ai passée une mauvaise nuit, mon attaque de bile provenant d’un mauvais dîner. A Londres mon dîner & ma santé étaient parfaits. J’ai vu les Cowley à peu près toute la journée hier. C’est une grande ressource. Il est vrai de dire que s'ils n y étaient pas, je ne serais pas à Boulogne.
Londres m’a fait au fond un grand plaisir. Ce sont d'aimables et bonnes gens. C’est de la grande société. Je me trouve dans mon élément, et je n'en ai jamais autant joui. Mes yeux ont été un grand chagrin pour moi seulement parce que je n'ai pas pu vous écrire, car du reste ils ont servi beaucoup à l'agrément de mon séjour. Je vous expliquerai cela c’est trop long pour l’écrire.
L’impression générale que je remporte est, une excellente situation pour Peel, de la résignation du côté de la partie sensée de l'apposition (John Russel) bonne envie de tous de rester bien avec la France. Peu d'espoir que cela dure par plusieurs raisons que je réserve aussi pour la causerie. Très bonne entente avec la Russie et grande confiance de la solidité de cette amitié là. Pas beaucoup de vénération pour le Metternich d’aujourd’hui et complète pitié pour le Roi de Prusse, un extravagant, un fou.
Je suis bien aise que la reine des Belges se soit trouvé à Brüchl. Jeudi pas de lettre aujourd'hui. Qu’est ce que cela ?... la voilà qui arrive. Merci, merci. Surtout de me nommer le 30 août. Quel plaisir nous nous reverrons ce jour-là ; ce sera un Samedi. Samedi en huit. C'est charmant jusque là je me traînerais un peu ici, un peu à Mouchy peut-être. Je ne sais pas bien encore. En attendant adieu, & bien des adieux.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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29 Val Richer Mardi 26 août 1845

Je me brouille dans mes Numéros. Mais ce n'est plus la peine de compter sur mes doigts. Je n’ai plus que trois fois à vous écrire. Charmant plaisir samedi. Jarnac m'écrit : " Ma petite course à Southampton m’a fait perdre les deux derniers jours de Madame de Lieven à Londres ce que j’ai fort regretté. Je crois qu’elle s’est plu ici, et qu’elle est contente de ses consultations. Ce qui m'en revient indirectement est fort satisfaisant. " J'ai toujours préféré que vous passassiez le temps de mon absence, en Angleterre. Quand vous n'êtes pas avec moi, je vous aime mieux là qu'ailleurs. Je ne vous trouve bien que là.
J’ai eu hier mes 20 amis à déjeuner, bien contents de moi, je crois, et de Guillet. Après déjeuner, c’est-à-dire vers 4 heures comme j’allais me promener, le général de la Rue m'est arrivée du château d’Eu où il venait d'arriver d'Afrique après avoir échangé les tarifications du dernier traité avec le Maroc. C’est un homme d'assez d’esprit avec le plus beau coup de sabre imaginable sur la joue gauche. Il m’a intéressé sur l’Afrique, le maréchal Bugeaud, l’Empereur de Maroc, Sir Robert Wilson, Sidi Bousalam &. Sir Robert malgré la verte réprimande de Lord Stanley, continue toujours à se mêler beaucoup du Maroc et à y faire ce qu’il peut contre notre influence. Il agit par le consul Marocain à Gibraltar et par le Pacha de Sétuan, jeune grand seigneur marocain avec qui il est lié et qu’il va voir souvent. Notre campagne de l’année dernière contre le Maroc a fait là un effet immense et qui subsiste, à ce qu’il parait.
Le pauvre Consul Général d'Angleterre, M. Drummond Hay excellent et très loyal homme, est mort de chagrin de n'avoir pas réussi à prévenir l’évènement et d’avoir vu la prépondérance, à peu près exclusive de son pays périr là, entre ses mains. Le nom du Prince de Joinville reste là fort grand. Il a laissé chez les Marocains une vive impression de courage, de savoir-faire, de sagesse, et de politesse. Le Général de la Rue m'a quitté à 9 heures. Le Maréchal Bugeaud vient passer trois mois en France, chez lui, et va faire, en arrivant une visite de quelques jours au Maréchal Soult à Soultberg-(Le Maréchal ne dit et n'écrit jamais autrement. Par tendresse pour la Maréchale Allemande.) La conversation entre les deux Maréchaux sera fort tendue, fort diplomatique, & par moments fort orageuse. Je vais faire ma toilette. J’attends tout-à-l ’heure Salvandy et Broglie.

9 heures
Voici un courrier qui m’apporte de grosses nouvelles, la destitution de Riga Pacha à Constantinople la retraite de Métaxa à Athènes. Je m’attendais à celle-ci et elle me déplaît quoique tout ce qui me revient de Grèce me porte à croire que Colettis n’en sera pas ébranlé. Mais rien absolument n’annonçait la première, et elle a été imprévue pour tout le corps diplomatique européen. Bourqueney ne se l’explique pas bien encore. Cependant, au premier aspect, il la considère comme une victoire du parti réformateur en Turquie.
Je vais lire tout cela, attentivement. Raisonnablement, le moment vient de retourner à Paris. C’est bien heureux que la raison me fasse tant de plaisir. Je reçois une lettre du Duc de Noailles. Il a eu son fils malade, mais le rétablissement est complet. Il me demande beaucoup de vos nouvelles. et finit en me disant : " Madame de Lieven aurait bien mérité, par son aimable intérêt, d'être invitée à la cérémonie qui aura lieu ici. Dimanche prochain, la pose de la première pierre du viaduc à Maintenon du chemin de fer de Chartres. " Adieu. Adieu. G.
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