Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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3. Cologne Vendredi 4 Juin 1852

Notre petit ami m'a remis votre lettre hier matin, et m’a raconté le reste c’est assez d’accord avec ce que m'a dit Van Praet. J'ai fait la route très agréablement dans une excellente voiture. Au débarcadère hélas je me suis séparée de mon fils avec chagrin très réciproque.
À Malines, j’ai aperçu Changarnier je l'ai appellé, il est venu très empressé. La vue de Madame |Kalerdgi] l'a contrarié. Il l’a appelée scélérate. A moi Il m’a fait compliment de mon nouvel ami Persigny. J’ai dit, ami, non, c’est trop fort, mais bonne connaissance. Il a parlé du serment d'amour qu'on avait voulu lui faire prêter après l’avoir traité comme il l’a été. Il a parlé de sa tranquillité, de sa philosophie. Il a bonne mine & l'air aussi arrangé qu'à Paris.
D'ici je serai escortée par le comte Goly et des amis de Mad. [Kalerdgi] Je coucherai à Coblence.

6 heures Coblence. J'arrive, journée très orageuse et ma malle, celle qui contient toutes mes parures, perdue, égarée entre Bruxelles et Cologne. Grande consternation et impossibilité d'avaler jusqu'à ce que je la retrouve. Cela me contrarie horriblement. Voilà comment je suis servie, vous voyez ma colère ! Je n’ai littéralement, absolument rien à mettre. Je me soulage en vous contant ma misère.

Samedi 5. 9 heures. La malle est retrouvée, à force de télégraphes & de protection prussienne elle m’est arrivée cette nuit. Je ne pars cependant qu’à midi. Cela convient ainsi à Mad. [Kalerdgi] et je lui dois de faire un peu sa volonté. Je coucherai sans doute à Biberich, et je serai rendue à Schlangenbad demain matin.
Pas la moindre nouvelle à ramasser en route, beaucoup de curieux, petits renseignements à recueillir de ma compagne. Elle a beaucoup d’esprit mais sans suite aucune. Elle sait assez bien observer. Elle amusera son oncle. Adieu. Adieu.
Je suis très impatiente de Schlangenbad. Je crois que l'[Impératrice] y restera plus longtemps qu'on n’avait dit. Le temps est assez froid, et toujours à l'orage. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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7 St. Germain vendredi le 17 juillet 1846.

Me voici depuis hier assez bien casé, et assez bien de santé ! Il fait froid. Cela m’étonne, beaucoup et ne me déplait pas. Madame Danicau est une personne très utile, avec toutes les vertus qui me manquent. Cela me rendra ma vie ici plus confortable. Elle a de l’autorité du savoir faire, et elle est pleine de désir de me plaire sans m’incommoder. J'attends votre lettre. Je vous en prie ayez soin de vous. A Trouville il y a peut être quel qu'assassin, ou en route. Quand vous êtes loin j’ai peur de tout pour vous, quand vous êtes près j’ai peur aussi mais cela va mieux, il me semble que je suis là pour parer le coup. Voici votre lettre d’hier. Certainement faites dire à Palmerston par Jarnac exactement ce que vous m'écrivez. C'est de la franchise, de la loyauté, dans ma première affaire, & la plus grosse entre vous. Cela éclaire d'emblée votre position avec l'Angleterre sur ce point capital, & vous donne une bonne base. Tout le tort sera à lui s’il n’accepte pas cela. Fleichman vient dîner avec moi aujourd’hui. Hervey viendra diner dimanche. Dites moi si vous avez quelque chose à les faire insinuer ou dire. Il est très confiant, très bien, & moi aussi je suis bien pour lui, en m'observant toujours comme avec tout le monde. Il n’aime pas beaucoup Palmerston. Cowley lui a dit que ses amis à Londres n'aiment pas qu'il donne sa démission, et au fait il ne l’a pas donné d'une manière franche. Lettre particulière simplement et en demandant à Palmerston si cela lui convient. Adieu. Adieu. On demande ma lettre. Je vous prie, je vous prie, prenez soin de vous. Mes yeux vont mieux, mais je les ménage beaucoup. Adieu encore. Êtes-vous un peu surveillé ? Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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9. St Germain Dimanche 19 juillet 1846

J’ai oublié de vous dire hier qu’entre autre commérages Fleichman m'a assuré que le roi se préoccupait de faire Sébastiani président du conseil si le M. Soult se retirait. Cela se dit couramment, & cela se croit. Fleichman voit des gens de la cour, et beaucoup Mad. Dolomieu. Hier personne n’est venu. Rodolphe est couché avec une jambe malade. Aujourd’hui j’attends Hervey sans accident. La journée a été laide. Mais je me suis promenée. Mad. Danicau décidément lit très mal mais des restes elle me convient tout-à-fait. De l’ordre comme une Anglaise, de l’élégance comme une française et du savoir faire, de l’intrépidité comme une Russe bonne à tout, se prêtant à tout. Je suis curieuse maintenant de savoir si elle ne me méprise pas un peu pour tout ce que je ne sais pas et qu’elle sait très bien ; et si je ne l’ennuie pas pour ce que je sais et qu’elle ignore. Il est vrai que je n’en fais pas parade. J'ai un piano, très grande ressource et piano excellent. C'est elle qui me l'a procuré de Paris. John Rusell m'a l'air un peu embarrassé. Déjà ! Il n’aura pas la vie douce, ni commode. Ni longue j'espère.
2 heures. Voici votre lettre, toujours intéressantes vos lettres. La mienne aujourd’hui ce sera bien peu. J'attends des visiteurs ce matin, & puis Hervey à dîner. Je demeure ici à côté de Henri IV sur la terrasse aussi mais de côté. Mon cuisinier Dieu merci. Très joli salon de plein pied avec la terrasse. Chambre à coucher au premier, bon air et sec. J'ai eu une aimable & bonne lettre du petit cousin. Je vous l'envoie, renvoyez la moi, car je je n’ai fait que la parcourir rien de Lady Palmerston. Voilà qui est un peu long. Vraiment je ne crois par qu'ils se sentent en solide situation, et elle n’aime guère écrire que pour la vanter. Adieu. Adieu. La forêt est charmante je m'y fais trainer au moins deux fois le jour. Adieu dearest adieu .

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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16 . St Germain dimanche 26 juillet 1846

Je serai charmée de vous savoir revenir de votre banquet, & content & reposé. Moi, je vais un peu mieux. Hier, j'ai eu la visite de Fagel, & Fleichman, plus tard, Pahlen à dîner. Nous avons beaucoup ri de mille vieilleries. Il est plein de bonne gaieté de souvenirs, avec un fond de mélancolie très triste, car cela frise l'homme prêt à se tuer. Les diplomates n’avaient rien de nouveau du tout à me conter. Toujours Sébastiani.
Génie est d'une étourderie bien ennuyeuse. Et c’est trop long à vous conter, mais enfin il m’a livré 1829 au lieu de 1827, et cela après des commentaires qui rendent sa distraction encore plus singulière. C’est cependant fort triste pour moi car je lui avais bien dit, ce qui est vrai, que 27 allait faire ma seule joie. St Germain l’autre jour, il vous a envoyé mes lettres et billets au lieu de les envoyer à la poste. C’est un drôle d'homme de Cabinet. Frenchman ! Je n’aime pas Lamoricière en face de Casimir Perrier. Pourquoi tout cela va t-il comme cela ? c.a.d. pourquoi le général est-il opposition ? Thiers a dû partir hier pour Le Havre, où sa belle mère l’a précédé.
Madame Danicau est une personne très utile très résolue, elle a pris une autorité étonnante sur tout mon monde. Elle me trouve parfaitement incapable de me faire obéir. Elle ne cesse de s’étonner de l'embarras que je me donne pour n’aboutir à rien. Elle ne trouve bien dans les gens qui me servent qu’auguste. Stryborn décoration. Mes femmes, des dames que je sers. Elle a peu d’esprit, ce n’est pas une ressource. Son maintien est excellent. Elle a du tact. Voilà. Et puis elle ne sait pas lire. Que ferons nous de tout cela ? Pauvre femme comme elle doit s'ennuyer avec moi. Je suis pour elle très affectueuse, elle est plein d'envie de me plaire et de me servir. Je m'ennuie beaucoup ici. S'il se passait un jour sans une visite à dîner je n’y tien drais pas. Il fait froid ici. Voici votre lettre, bonne charmante. Je vous en prie soignez-vous aujourd’hui. Que je suis bête ! J’ai peur du 10 milles personnes sous la table. Vous savez que j'ai peur de tout. Je n’aime pas ce dîner. Je vais rester inquiète jusqu’à mardi. C'est bien long ! Bacourt m'écrit une lettre intéressante que je vous envoie renvoyez la moi. Adieu. Adieu. J’ai peur du dix mille. Je ne suis pas raisonable. Adieu. L'armistice du Pape me fait un grand plaisir. Vous avez remarqué que lord Landsown a dit de bonnes paroles pour l’Autriche. Adieu encore dearest, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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27 Val Richer 24 août 1845

Voici un ennui. Page, qui habite à Neuilly, écrit à Guillet qu’il est fort malade, qu’on va lui faire une opération grave, (je ne sais quoi) et qu’il est hors d’état d’entrer chez vous dans ce moment. Guillet me dit que son second aide, Charles, qui est resté à Paris, peut faire votre cuisine jusqu’à notre arrivée et que lui Guillet continuera de s'en charger, si cela vous convient jusqu’à ce que Page soit rétabli. Je le fais écrire à Charles d'être à votre disposition, si vous le faites demander. Il est à Beauséjour. Chargez Mlle Lallemand de le chercher, et de vous l’amener. Cela me contrarie, car on mange tous les jours, vous serez probablement à Beauséjour demain lundi, et votre dîner ne peut pas attendre jusqu’à samedi. J’espère que Charles sera suffisant pour une semaine. Nous serons donc ensemble Samedi.
Voilà, le n° 25. J’espère que vous aurez trouvé un oiseau de passage convenable. Je ne demande pas mieux que d’en finir avec les 20 mille francs de Pritchard. C’est à Londres à présent qu’on demaude autre chose, Tenez pour certain que ce que je vous écrivais l’autre jour est vrai. Lord Aberdeen à ces complaisances là pour les missionnaires, pour l’amirauté, pour ceux de ses collègues qui grognent. Mais je ne suis pas obligé de ménager également les grogneries, et je ne me laisserai pas intimider par leur obstination. J'ai réduit Taïti à ce qu’il devait être pour qu’on n'eût à Londres, point de grief légitime. Je n'irai pas plus loin. Je suis d'ailleurs de plus en plus persuadé que Lord Aberdeen, au fond, n’y attache pas grande importance, & veut seulement avoir quelque chose à dire aux grognons. J’espère que nous viderons cela ensemble dans trois ou quatre semaines. J'ai la plus petite nouvelle.
Je suis toujours trés préoccupé de l’Allemagne et de la nécessité d'y avoir des agents capables. Là va passer le centre de l’agitation européenne. Je suis content de la correspondance de d'Eyragues. Je vais faire aujourd hui une longue promenade. Soyez tranquille ; pure promenade de quelques heures dans les vallées des environs. Nous n'avons ici point de tempête. Rouen est affreux. J’espère garder le soleil jusqu'à Samedi et puis le retrouver à Beauséjour. Adieu. La correspondance, m'impatiente. Je soupire après la conversation. Adieu. Adieu. Il n’y aura point de mer à Beauséjour. Donc plus de bile. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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29. Boulogne Mardi le 26 août 1845, neuf heures

Pas de Bulwer. Il faudra m'embarquer avec un inconnu. Un révérend de Boulogne dont je vais faire la connaissance ce matin, je deviens bien impatiente de vous revoir, de causer avec vous. Nous voilà avancés dans notre semaine. Quel plaisir de se dire cela. Lord Cowley a eu hier une traversée fabuleuse. Le même bâteau se retrouvait à Boulogne au bout de cinq heures. Madame de Flahaut a bien envie qu'Andral lui conseille de passer l'hiver à Paris. Je vous préviens de cela ; avisez car cela ne vaudrait rien. C’est toujours la même Mad. de Flahaut au fond.

Midi. Voici votre lettre de dimanche. J'ai du malheur pour la cuisinière. Mais enfin le mois de Septembre coulera sous la protection de Guillet. Et vendredi je trouverai moyen de me nourir à Paris. Je compte partir demain matin pour aller coucher (très mal) à Granvilliers. Jeudi je serai à Paris. J'y trouverai deux lettres j’espère. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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31 Bruxelles le 16 avril 1854

Voici que j'ai bien besoin de vous. Et vite. Andral avait ordonné Ems à Melle de Offenberg. Ici, un médecin le déconseille, & veut l'envoyer à Spa. Elle consulte Andral aujourd’hui par lettre, lui soumettant le motif du changement, mais attendant qu'il décide par ce que sa confiance est à Andral tout-à-fait. Je vous en conjure décidez Andral à persister dans son premier jugement. Je suis perdue s'il fléchit, car tout ce voyage est pour la santé de cette jeune personne & Hélène y subordonne tous ses mouvements.
Voyez comme c’est pressé et comme c’est grand pour moi. Je suis curieuse de votre rencontre avec Marion. Ah que de choses frappantes à lui dire. M’abandonner, parce que je suis dans le malheur ? Avoir de la résolution et de la volonté pour s'amuser, en manquer quand il s'agit de charité. Je ne suis pas un Cosaque, elle le sait bien et vous encore mieux. Tout ceci me tracasse beaucoup et m'empêche de dormir. Ni embarquer avec une étrangère, grande dame, car on me dit qu’elle l'est quoique ce soit une affaire d’argent. Les mouvements de la dame de compagnie avec l’obligation de faire des cérémonies. Les alle mandes tiennent à cela. Il faudra peut-être que je lui porte sa chaise. Voyez-vous. tout cela se présente à moi sous un jour peu engageant. Ah Marion ! A propos si son père lui refusait de l’argent vous savez bien avec quelle joie je lui livrerais tout ce que j'ai. Je me souviens qu’elle me disait à Brighton : " Si vous me donniez comme à Miss Gibbon 100 £ comme je vous servirais mieux qu’elle ! " Enfin je rabâche avec moi- même, & je vous envoie en rabâchant avec nous. Dans ce moment le pressé, très pressé c’est Andral, car il est capable de répondre dans la journée. Hélas il n'y a donc pas une minute à perdre. Le ferez-vous ?
Hier Brunnow, Van Praet, Van Straten, Brockhausen, celui-ci deux fois par jour régulièrement. Vous ai-je dit qu’ici on a envoyé promener une fois pour toutes les insinuations à propos de la réunion russe. Jamais on ne dit rien de Paris. Les tracasseries venaient de Londres. On dit que la Prusse tente des nouvelles propositions auprès de nous, pour que nous en fassions à notre tour. Tout ce que vous me dites aujourd’hui est plein de good sense. Brockhausen a dû recevoir son courrier régulier ce matin, il ne m'a rien apporté. Sans doute oubli. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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33 Bruxelles le 18 avril 1854

Merci de tout ce que vous faites pour moi. Quelle révélation que tout ce que vous me dites sur Marion. Je m'interroge et je vous jure que je ne me trouve d’autre tort que de l’avoir trop aimée, et de l’avoir trouvé trop indis pensable à mon bonheur. Oui égoïste comme cela et sans réflexion, car une fois la parole donnée j'ai cru que ni elle ni sa soeur n’y manqueraient et j’avais arrangé ma vie sur cela et je me suis donc trompée, que de déception dans la vie ! J’ai appris que la lettre pour Andral n’est partie que hier, je serai bien inquiète jusqu'à la réponse. Vous avez été bien exact et bon. Vous ne me tromperez pas vous !
M. Ozeroff notre Ministre à Lisbonne est arrivé se rendant à son poste, et ne sachant comment y aller. On croit que je pourrai l’y aider. Il faut traverser ou l'Angleterre ou la France et on ne communique plus avec l'un ou l’autre. On écrit d’Italie de grands éloges sur la Duchesse de Parme elle montre beaucoup de tête et d’énergie, elle vient de faire un emprunt pour lequel elle a offert la garantie de toute sa fortune privée. Montessin est allé la complimenter de Florence. Pas de nouvelle. Tout le monde dit Cronstadt imprenable. Sweaburg ditto. Si cela est, cette grande expédition navale fera peu de chose, et c’est cependant de ce côté qu’on porte le plus de forces, et qu’on fait le plus de fracas comme tout ceci peut devenir ridicule. Adieu, Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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36 Bruxelles le 21 avril 1854
Vendredi

Je vous envoie l’article du journal de St Pétersbourg pour le cas où il ne paraîtrait pas à Paris. Vous m'en direz votre avis. à moi il me parait très bien, mais je suis sujette à me tromper. C’est la déclaration dont je suis contente. Je n’aime pas autant l’autre article sur les publications secrètes je n’ai lu celui-ci au reste que très en courant. Mais vraiment l’autre me plait et beaucoup. J’attendrai avec impatience ce que vous m'en direz Adieu.
Pas de réponse d’Andral encore. Je m’inquiète.

J'aurai une grande joie à revoir le duc de Noailles Lundi. Mais quelle différence avec l’autre joie ! On me dit qu'il y a eu une entrevue entre Bual & Meyendorff dans laquelle celui-ci aurait demandé quelles seraient les conditions auxquelles on voudrait traiter de la paix. Bual aurait répondu : " très dures, la mer noire & les bouche du Danube. "
Tout ceci prouve que nous sommes disposés à la paix mais également qu’elle est impossible encore. Si j'étais de l’Empereur je n'essaierai plus rien. Il me paraît que le fils de Montebello, ne courra guère de danger. Je ne vois pas comment on parviendra à se battre. Votre mot : les deux géants avec des épées trop courtes. On dit que la convention entre les deux Allemands est conclue. On dit aussi que Bunsen est rentré en grâces.
Avant de me décider à déménager il m’a semblé que je pouvais faire une tentative directe. Elle a deux buts, avoir l’[appartement] qui me convient & finir la tracasserie. Si cela échoue je n’en serai pas plus mal avec [Kisseleff] car nous ne nous voyons plus du tout. La question est de savoir si cela est digne, car il me semble qui c’est suffisamment marquer le dire de rapprochement est-ce que je l'embarrasse, ou le tire d'embarras ? Je ne ferai rien sans votre avis. Vous corrigerez, ou vous direz non, comme fait mon fils. Voyez comme je suis helpless je ne sais pas me mouvoir sans vous.
Je ne vous envoie que le premier article, le bon. Je n’ai pas l’autre sous la main. Adieu.

Je vous ai cru Monsieur quand vous m'avez dit que vous cherchiez un appartement dans le but de rendre possible, de me céder celui que vous occupez et que vous m'avez offert dans le premier moment avec beau coup de bonne grâce, je me semble qui c’est suffisamment trouve donc autorisée à vous prévenir qu'il y a à l'hôtel Bellevue même un apparte ment complet contenant plus même que le nombre de pièces que vous occupez et où la salle à manger à la quelle vous sembliez tenir surtout est plus grande et meilleure. Le seul motif qui me fait hésiter à le prendre moi même est l'obligation de monter l’escalier je ne puis pas douter qu'il ne vous convienne, et je ne veux pas douter qu’il ne vous soit agréable de me rendre un léger service. Ni vous ni moi ne pouvons renier le passé et j'aurai pour mon compte beaucoup de plaisir à reprendre des relations que je regrette d’avoir vue interrompue depuis notre exil commun.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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36 Dieppe le 13 juillet 1852

Me voilà et tout seule, et logée loin du peu de personnes qui sont ici parmi mes connaissances. Et un orage épouvantable, des éclairs, la foudre qui tombe à côté. Je suis dans le désespoir la terreur. Toute seule c’est affreux. Triste sort. Aggy pouvait arriver aujourd’hui. Elle l’avait promis. Je suis venue la prendre ici. J’ai envoyé la chercher à Boulogne, toutes les précautions prises. Je vais pleurer, je n'ai que cela à faire.
Hier j'ai vu Fould encore très longtemps. Il a été très intéressant mais vous êtes trop loin. Votre petit ami me dit que d'ici vous n'êtes pas loin. C'est bien dommage que je ne vous vois pas. J’ai une bonne chambre à vous donner. Mais je n’aime pas faire des invitations qui seraient refusées.
Mercredi matin ma lettre n'a pas pu être finie pour la poste. Je l'achève ce matin. Je viens de recevoir la vôtre d’avant hier. Avant de me coucher j’ai encore vu venir tous les Delessert très aimables pour moi. Ils seront ma meilleure ressource. Aggy m'écrit qu’elle sera ici demain. Je le croirai quand je la verrai. Ah que je suis devenue soupçonneuse !
Fould n'était pas encore sûr de partir avec le Président. L’entourage n'aime pas je crois sa faveur. Il attendait qu'on lui répète l’invitation. Il a bien du tact, de la réserve, de la finesse, et de l’esprit. Le changement de [Ministère] qui va se faire en Belgique plaira au Président. On veut de là lui envoyer Ligne comme ministre, j’avais cru que ce serait très bien accueilli. Pas du tout. Des préventions. Il a tort. Mais on peut être un très excellent Président & n'avoir pas toujours raison.
L'air de la mer est excellent. Je suis heureuse d’être sortie de Paris cette fournaise. Adieu. Adieu.
Il y a ici les Cowley, les Mouchy, les Delessert, le duc de Richelieu, les Delmas. Mais on est éparpillé. Adieu.

2 heures. Votre lettre de hier 13 m’arrive à l’instant, c’est bien vite, nous sommes donc bien près ! Inutile.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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37 Bruxelles le 22 avril 1854
Dimanche 23

Voilà où j’en étais restée hier ; je n’avais absolument pas un mot à vous dire. Aujourd’hui rien non plus que des commérages. On dit que le gouvernement Canrobert n'a rien trouvé de préparé à Galipoli et qu'il est allé s’en plaindre à Constantinople. En Turquie hommes & choses sont épuisés. Tout serait fini si vous n’arriviez.
Le silence d’Andral me parait ominous. Je suis toujours sûre de ce qu'il y a de pire. Ceci serait affreux pour moi. Ni Hélène, ni mon fils, et personne ! Me concevez vous dans cette situation ? Je pense souvent à la cigale & la fourmis. Exacte ressemblance. Comment danser maintenant ? Hier il y a eu ici un orage épouvantable. Trois orages réunis aujourd’hui il fait froid. à quand donc la bataille ? Je sèche d'impatience. Je n’ai pas vu Barrot depuis longtemps. Lord Howardest à la campagne, invisible à tous. Brunnow court les Théâtres. Assis au balcon entre un marchand de toiles & un marchand de bière, causant avec eux de leur industrie, s’instruisant et se rendant très populaire. Si j'essayais cela m'amuserait peut-être. Je suis décidée. Votre lettre m’a décidée. Je ne veux pas que vous me méprisiez un peu plus. Voici des petits papiers. La cire m’a mangé un mot de votre lettre ce matin. Adieu. Adieu.
Savez-vous si Madame. Hatzfeldt est accouchée et de quoi ?

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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37 Dieppe jeudi 15 juillet 1852

Delessert que j’avais chargé de me trouver une maison, m'en a donné une fort commode, sur la rue, un peu loin de tout le monde c’est vrai, mais enfin très bien, seulement je la trouve bien humide et je commence à avoir peur. J’aime mieux les auberges mais il n'y a pas un trou. Il faut donc rester.
J’attends Aggy avec impatience aujourd’hui enfin. Je n’ai pas de nouvelle à vous dire. J’ai écrit à l’Impératrice une longue lettre ce matin. Je puis lui écrire tendrement bien à mon aise. Je lui ai mandé mes observations de Paris, il y a un courrier prussien.

5 heures. Voilà Aggy arrivée. Dieu merci. Bien mauvaise mine, il faut que je raccommode cela. Lord Cowley croit que le parti ministériel aura 300 voix à la chambre, ce n’est pas la majorité, mais c'est un parti très compacte, et dont on pourra toujours tirer de bonnes choses. La grande aigreur est entre les Peelistes & les Derby. Est-il possible ! et Aberdeen en est ! Adieu. Adieu.
Je n’ai rien de plus à ajouter.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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46 Paris, samedi 22 avril 1854
9 heures

Je viens de lire les deux pièces de votre Empereur. La première la réponse à la déclaration de guerre, est bien faite, modérée, simple, digne et plausible, quoique toujours entachée, à mon avis, du défaut que j’ai toujours trouvé, vous le savez dans le langage de Pétersbourg depuis un an, ne pas avouer assez franchement la politique géographique, naturelle et traditionnelle de la Russie dans ses rapports avec la Turquie. Vous auriez inspiré moins de méfiances si vous aviez accepté hautement votre situation permanente et obligée, et l'on vous aurait su plus de gré de votre modération depuis 1830. La seconde pièce sur les publications Anglaises ne me plaît pas ; elle est embarrassée et évasive sans efficacité ; elle n'affaiblira point l'impression que les rapports de Seymour ont partout produite. En tout, ne vous fâchez pas, c’est la netteté qui manque surtout à votre diplomatie. Elle s'enveloppe de sa modération comme d’un manteau, autant pour se cacher que pour se faire valoir. Parce que vous n'êtes pas, des ambitieux agressifs, vous voulez qu'on vous croie des Saints désintéressés. Et comme vous ne voulez cependant renoncer réellement, ni à votre passé, ni à votre avenir russe, cela jette, dans votre conduite et dans votre langage, des embarras, des obscurités, des inconséquences qui vous rendent suspects, et vous affaiblissent, même quand vous n’avez aucun secret dessein.
Voilà votre N° 36. Vous voyez que mon impression sur les deux pièces. ressemble à la vôtre.
Je passe à la politique privée. La question est de savoir si vous avez plus d'envie de l'appartement de Kiss. que de fierté blessée par son mauvais procédé. Je ne trouve dans votre démarche ni dans votre lettre, rien d'inconvenant pour vous, et contrairement c'est lui qui sera dans l'embarras s’il vous cède tant mieux, s'il ne vous cède pas, vous ne serez pas plus mal avec lui que vous n'êtes, et il sera encore plus dans son tort. Ne me demandez pas ce que je ferais à votre place, vous savez que mes envies sont moins vives que les vôtres et ma susceptibilité plus raide.
Je vous quitte pour recevoir l'évêque d'Orléans qui vient me parler de sa candidature à l'Académie. Il sera élu le 18 mai, ainsi que M. de Sacy. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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52. Bruxelles Lundi le 8 mai 1854

C'est bien triste deux jours sans nouvelles de vous ! Je n'ai de lettres de personne non plus de sorte que je vis du Moniteur et du Journal des Débats devenu très bon courtisan.
Rothschild est arrivé hier pour quelques heures. Il est guerroyant et croit à la durée de la guerre. Il dit que c’est une expérience à faire mais que jusqu’ici loin d’être ruineuse elle profite à l’industrie du pays. Toutes les actions de chemin de fer montent. L'augmentation de l’armée fait marcher les fabriques. Enfin il est très content et confiant et croit que la guerre ne peut être mauvaise qu’à la Russie. Je suis un peu de son avis.
On m'envoie nos bulletins sur Odessa, je pense que vos journaux n'oseront pas les publier. La prétendue insulte au parlementaire est une fausseté, on n’a pas tiré sur lui, mais sur une frégate qui avait voulu s’approcher après le départ du parlementaire. Le récit de l’affaire ressemble assez à ce que vous dites. Quelques ouvrages détruits, quelques maisons de commerce brûlées. La ville épar gnée. Au fond cela n’a été ni très brillant pour vous, ni très désastreux pour nous. La perte d’hommes insignifiante, 4 tués, 45 blessés.
Rothschild est convaincu que l’Autriche nous fera la guerre ; & la Prusse aussi plus tard. Le temps est affreux et l'ennui est grand. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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54 Paris, Dimanche 30 Avril 1854
2 heures

Je rentre de l'Eglise. Avant d'y aller, j'ai été assiégé de visites, suite du discours d’hier. Je n'ai que le temps de vous dire, adieu. Je vous écrirai demain à mon aise. J’ai eu de vos nouvelles par le duc de N. mais je ne l’ai pas encore vu.
Je le verrai dans la matinée ou ce soir. Merci de toutes vos lettres, malgré vos yeux. Je ne puis vous dire, à quel point je suis préoccupé de votre séparation d'Hélène. Je reviens encore à Mlle de Chériny. Les eaux sont un prétexte convenable pour une expérience. Si elle ne vous va pas, vous vous séparerez après, et on cherchera autre chose. En attendant la paix. Montebello est revenu de Brott après avoir embarqué son fils sur l'Hercule. J'insisterai pour qu’il aille vous voir. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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57 Paris. Mercredi 3 Mai 1854

J’ai passé hier chez Andral sans le trouver ; rien n’est plus difficile que de le joindre. J’ai porté et laissé chez lui une lettre de moi, précise et pressante, et contenant le vôtre. S’il y a moyen de décider un grand médecin à en mécontenter de loin un petit, j'espère que cela le décidera.
Marion m’a amené hier Mlle de Chériny qui part ce matin pour aller passer quelques jours à Bruxelles. J'en suis bien aise. Vous avez raison de ne pas vous décider sans la voir et j'incline à croire que vous la trouverez bien, assez bien du moins. J’ai encore été frappé hier de son air doux, honnête, de bonne compagnie et empressée sans manquer de dignité. Soyez bonne pour elle pendant ces quelques jours et ne l’intimidez pas trop. Ellice est parti et Marion est restée pour huit jours encore chez Charlotte Rothschild. Elle a ici un autre oncle, un M. Finch, qui la ramènera en Angleterre. Je persiste à ne pas bien comprendre l'affaire d'Odessa. Il y a évidemment des choses qu’on ne nous dit pas. Ou bien l’on n’a pas pu faire ce qu’on voulait, ou bien l'on n’a pas voulu faire tout ce qu’on pouvait. En tout, ce n’est pas une grosse affaire.
Ce qui est plus gros, c'est le nombre de tromper qu'on envoie, et le redoublement d'activité qu’on met à les envoyer. Je ne sais ce qu’elles feront cet été ; mais soit pour cet été, soit pour l'été prochain, on semble vouloir faire beaucoup. Je ne vois là point de symptômes de paix.
J'en vois davantage dans les dispositions qui se développent de plus en plus dans le public, non seulement, en France, mais en Angleterre. Si après la campagne de cet été, vaine des deux partis, votre Empereur, je ne sais par quelle voie, propose de nouveau ce qu’il a déjà proposé, l’évacuation simultanée des Principautés, et des deux mers et un congrès à Berlin pour régler Européennement la question, ou je me trompe fort, ou la paix se fera. Les Congrès ont toujours beaucoup de peine à conclure la paix ; mais quand une fois ils sont réunis, ils ne recommencent pas la guerre.
J’ai causé l'autre jour avec Moltke à qui j’ai fait vos amitiés, et que j’ai éclairé sur votre brouillerie avec Kisseleff. On lui avait dit que vous avez d'abord demandé, puis refusé, puis redemandé l'échange ; la versatilité était mise à votre compte. J’ai rétabli les faits. Du reste, je n’en entends plus parler.

10 heures
Voilà votre N°46. Je suis charmé que la question d’Ems soit vidée. Ma lettre à Andral a été remise hier. Il n'y a pas de mal. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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58. Bruxelles le 16 mai 1854

Je n’ai rien eu hier le 66 manque. N’ayant rien d’autre part & rien à dire je ne vous ai pas écrit. Aujourd’hui voici le 67. Qu’est encore devenu l’autre ?
Je n’ai pas besoin de vous demander ce que vous aurez dit de la lettre de l’Empereur à Osten Saken !!
C’est inquiétant. L'Autriche a fait une démarche chez nous. Si nous passons Les Balkans, elle nous attaque. La forme donnée à cet avertissement est tel, dit-on, qu'il pourrait servir de base à une négociation quand on voudra négocier. Mais quand voudra-t-on ? La Prusse a été d’avis de ce que je vous dis là, cela prouve que ce n’est pas mauvais.
La fugue du Prince de Prusse produit un prodigieux effet et a fait cela bien légèrement. C’est après demain que les grands allemands communiqueront leur traité aux petits à Francfort. Les 4 royaumes sont très russes c.a.d. les rois, pas le public. Ils adhéreront, il le faudra bien. Cette Grèce est une grande complication. La Bavière est très animée pour le roi Othon. Je m’intéresse à cause de vous au procès des assassins de Rossi. Je vois qu’ils sont condamnés. Si vous voyez Mlle Cerini dites-lui que je n’ai besoin d’elle que depuis le 1er juin. Non qu’elle ne me soit agréable avant, mais il pourrait peut- être lui convenir de traîner jusque là. J'espère qu’elle sait faire la lecture. J’ai plus que jamais besoin de cela, mes yeux me tracassent, & mon foie, & ma toux. Tout plein de petits maux. Ils finiront avec la guerre. Finira-t-elle ?
Le roi Léopold est convaincu de la paix en automne. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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64. Bruxelles le 23 Mai 1854
Mardi

Je vous remercie d’avoir remis mon affaire entre les mains de Génie. Il traitera fort bien avec Rothschild et cela pourra aller vite. Mais reverrai-je jamais mon appartement ? D’abord la paix, quand viendra-t-elle ? & ma santé qui s’en va au grand galop. J’ai tous les jours quelque mal nouveau. Maintenant mal à la poitrine, hier névralgie à la tête. C'est une misère. Je crois le climat de Bruxelles bien mauvais. Quelle est l’adresse de Génie ? J'ai lu des choses curieuses. Il paraît que la faction allemande est débordée à Pétersbourg. Et nos agents diplomatiques sont tous allemands. En Autriche, Prusse, Danemark, Brunnow est à Vienne. Tout cela est pour la paix et la prêche. On dit même que Paskevitch aurait dit : "Je ne sais pas pourquoi je vais faire la guerre." Et bien tout cela n'a pas cours chez nous. Je commence à croire que le petit Grand Duc Constantin gouverne.
Comme vous voyez beaucoup Mad. Mollien depuis quelques temps je suis devenue jalouse et j’ai demandé ce qu’elle était. De bonnes manières, je le sais je la connais, mais après on me dit qu’elle est très ennuyeuse, de la prétention, de l’affectation de la flatterie & des phrases. Cela ne vous va pas il me semble et je me rassure. C'est bien long toute une journée avec elle.
Le ministre Belge chez nous raconte Odessa comme nous l’avons raconté nous-même. Pas une grosse affaire, pas grand dommage à la ville même point, et celui fait à vos vaisseaux c’est les 4 canons de notre petit lieutenant d’artillerie qui l’a causé. Tout cela est donc peu de chose. Les préparatifs à Cronstadt, Sveaborg et surtout Pétersbourg formidables, & même exagérés. La Finlande très dévouée. La Suède pas de danger qu’elle tourne contre nous. Vienne l'hiver & elle aurait tout à craindre de notre part. Elle ne peut pas s'y exposer. Levorin, Courlande, Estonie, les plus affectionnées provinces de l’Empire. Enfin nous sommes en pleine confiance. Ai-je raison de dire que nous sommes très mal à l'aise, mais pas ridicules ?
Comme je suis triste de penser que vous allez être si loin. Et que moi je m'éloignerai à mon tour. Quel espace entre nous ! Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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64 Val Richer, Jeudi 11 Mai 1854

Le langage de Rothschild prouve qu’il a bien envie que la paix se fasse, et que vous cédiez assez pour qu’elle se fasse. Je ne connais pas d'homme dont toutes les paroles tendent plus constamment au but de son intérêt personnel, par instinct ou avec dessein. Il ne s'oublie pas un moment.
Le jour même de mon départ de Paris, j’ai fait un effort pour vous envoyer Montebello qui était venu me voir. Mais je n'y crois pas, malgré son envie. Outre ses enfants, il a des affaires qui le clouent à Paris. Son second fils doit faire, bientôt ses examens pour entrer à l'École de St Cyr. Il n’ira chez lui, en Champagne, que tard, vers la fin de Juillet. Duchâtel part le 22 de ce mois pour La Grange, et de là à Vichy, où d'Haubersart va aussi. Dumon part aussi pour aller inaugurer la moitié de son chemin de fer de Lyon à Avignon. Je trouverai encore tout notre monde à Paris jeudi prochain, mais, en en repartant, je n’y laisserai plus personne.
Moi aussi cela me déplait que vous vous éloigniez encore davantage. Ce sera pis encore quand vous serez à Schlangenbad ou à Bade. Je connais Ems ; je vous y vois. Que de sentiments puissants et doux il faut refouler dans son coeur quand on est loin ! Que de choses qu’on voudrait se dire quand on ne le peut pas, et qu’on n'aurait pas besoin de se dire si on était ensemble !
Le journal des Débats a fait un bon article sur la duchesse de Parme. Elle se fait vraiment honneur. Lord Clauricard, et M. Disraeli s’en font moins par leurs taquineries sur l'amiral Dundas et le Duc de Cambridge. Le gouvernement anglais n'a pa grandi ; mais l'opposition a bien plus baissé. Est-il vrai que lady Clauricard a perdu une de ses filles, Lady Larcelles, je crois ?
Vous voyez bien que je n’ai rien à vous dire. Je vais faire ma toilette en attendant la poste. Adieu. Midi. Voilà le N°53. Adieu, Adieu.
Je n’ai pas encore ouvert les journaux. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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68. Bruxelles le 27 mai 1854

Très vilain petit mot de Paris. Vilain, car il était si court. Et j'aurai eu besoin de distraction. Je suis fort ennuyée d'un vol fait chez moi, quelques lettres pas compromettantes car je serais comme disait de moi Dumon une personne dé-compromettante, mais des lettres d’autres personnes pas aussi bien pensantes que moi p. e. ce bon neveu qui me conseille de lire la [? ?] et de faire de la charpie. Tout juste cette lettre est dans le paquet perdu avec je ne sais quoi encore. Pas de remède mais une leçon de prudence. Je n'ai rien vu ni su depuis hier. Mad. Sebach babille. L’Empereur a été très gracieux pour elle. Persigny aussi. Mais elle étouffe à Paris car elle est très orthodoxe, et je suis bien en défaut disant toutes ces exaltations. En général les Russes se méfient un peu de moi. Je suis cependant très fidèle, mais trop française pour eux. I cannot help it.
Les diplomates mandent de Pétersbourg que nous faisons beaucoup la cour aux Etats- Unis, & que nous sommes fort contents d'eux. Au mois de juillet nous aurons un million 300 mille hommes sous les armes. Les particuliers donnent le 10ème de leur revenu dans tout l’Empire. Hélène en est pour 250 mille Francs par an. Tout cela c’est bien des sacrifices. La cour est allé s’établir à Peterhof et espère bien y voir venir les flottes alliées. Voilà le ton.
Adieu. Adieu.
Génie ne me dit pas un mot. Je ne sais pas même ce que Rothschild a dit de ma lettre, à ce train mon affaire n'ira pas vite, & elle est cependant bien simple. Puisque je paie qu'on m'envoie donc mon bail. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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69. Bruxelles le 28 mai 1854

Je n’aurai pas de lettre aujour d'hui, cela me désole. Génie ne m’a pas écrit un mot. Vous ne m'avez pas dit non plus où en est mon affaire. Voilà huit jours de perdus pour quelque chose qui peut être réglé dans un quart-d’heure. Cela m'impatiente de ne pas être à Paris pour faire moi-même mes affaires. Puisque j’ai tout accepté, il n’y a pas de quoi lambiner. Je voudrais que ce fut fait et signé cette semaine. Je pars Mardi de l’autre.
Il n’est venu aucune nouvelle. Moi je n’ai pas de lettre, & je n’ai pas de nouvelle invention en tête. Je trouve seulement que tout s'embrouille davantage de jour en jour. Brunnow le trouve plus que moi encore. Il est très frondeur, je serais même étonné que dans cette disposition qui dit être comme chez nous, on lui donnât un poste important. Ah que je m'impatiente de tout. Cette maudite guerre ! Demain Melle Cerini m’arrive. Voyons comment je pourrai m'acclimater à elle ? Adieu. Adieu.
Comme vous êtes loin !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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70 (je ne me souviens pas bien) Paris, Jeudi 18 mai 1854

J’ai vu assez de monde hier, Broglie, Duchâtel, Sacy, Mallac, Mornay, & Je trouve tout, les faits et les esprits, exactement dans le même état. Le gouvernement redouble ses efforts pour la guerre, les envois de troupes, de matériel, les préparatifs des camps de St Omer et de Marseille. On croit qu’il va demander au Corps législatif une sorte de pouvoir discrétionnaire en fait d'emprunts dans l’intervalle des sessions. Il l'aura et il en usera. Un nouvel emprunt est indispensable, et assez prochain. C'est dans cette vue qu’on prend tant de peine pour soutenir la Bourse ; on m’a très bien expliqué les moyens ; je ne vous les répèterai pas ; ils sont efficaces en ce moment et le seront quelque temps, pas bien longtemps, mais assez probablement pour que le nouvel emprunt se fasse passablement, sauf à avoir plus tard une baisse générale dont les badauds payeront les frais. Le public se préoccupe peu de la guerre et il en souffre peu.
Morny dit vrai ; les affaires reprennent assez. Il se trouve, à l'épreuve que le commerce avec la Russie est peu important pour la France et pour l'Angleterre. Les progrès de la consommation à l’intérieur et du commerce général rendent ce vide spécial peu sensible.
Quant à la politique de la guerre, personne n'y pense ; personne ne s'inquiète de savoir si Baraguey d'Hilliers sera ou non remplacé. L'Empereur est parfaitement le maître de prendre Lord Stratford pour ambassadeur, et s'il est content de ses services, le public sera content aussi. Les journaux Anglais ont publié de grands détails (et piquants) sur la querelle de Baraguey d'Hilliers avec Reschid et Redcliffe. Il y a eu défense absolue aux journaux Français d'en traduire un seul mot. Baraguey a eu tous ses défauts et quelque fierté. Pour Redcliffe, tous les défauts sont aujourd’hui des qualités.
Je suppose que vous savez tous les détails sur M. Lazareff et la visite de sa femme à M. de Persigny pour le remercier. " Mon mari était assez mal en cour ; vous lui avez rendu un grand service, en le mettant à Mazas ; il aura enfin un trône qu’il désire depuis longtemps sans pouvoir l'obtenir. " J’ai demandé si ce serait [?] André.
Je ne vous ai pas parlé du général Osten Sacken et de la lettre qui lui a été adressée par ménagement pour votre goût du pouvoir absolu. Car on a tort de s'en prendre à votre Empereur en personne pour ces bévues hautaines ; c’est de sa situation qu'elles viennent. La pouvoir absolu y est condamné, et tôt ou tard, les plus grands génies y tombent. Quand on est très puissant, il faut être, à chaque instant, averti et contenu pour ne pas devenir fou à lier, ou à faire rire.
Vous savez probablement que Mad. de Bauffremont est retrouvée ! Elle s’est rendue d'elle-même au couvent des Augustines pour y réfléchir, dit-elle, sur sa situation. Elle a tout bonnement erré dans les environs de Paris, presque sans se cacher. On se moque un peu de la police.
Thouvenel avait et aurait encore envie d'aller à Constantinople. Son chef ne veut pas. Ils sont de plus en plus mal ensemble. Le chef a besoin de l'intérieur, et craint que, si l'inférieur devenait ambassadeur, il ne devint bientôt ministre. Je ne vois pas pourquoi, si l'Empereur voulait faire Thouvenel ministre, il prendrait la peine de le faire passer par Constantinople. Je ne verrai probablement pas Mlle de Cerini.
Si j’ai un moment, je ferai une visite à Mad. Sebach que je prierai de lui redire ce que vous me dites. Je vais m'occuper de Rothschild. Il est bien juif ; mais la chose est très claire. Il vous demande 12 000 fr. de loyer, et une somme de 12 000 fr pour faire remettre l’appartement tout-à-fait en état, comme quand on change de locataire. Il y a à redire sur ceci. Par malheur Génie ne sera ici que dans quatre jours. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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71 Bruxelles le 30 mai 1854

Melle Cerini m’est arrivée hier saine et sauve. Et aujourd’hui j’ai eu votre premier mot du Val Richer. Nous ne sommes guère avancés ici, ici pour la guerre ni pour la paix. Tout ce que vous & d’autres me disent me fait regarder celle-ci comme désespérée. Quand je pense à notre joie le 5 avril, jour de votre départ ! 24 heures d’illusion ! Que vais-je donc devenir si cela dure ? Pas un Russe ne peut rentrer en France pas plus qu’un Français en Russie.
En attendant je me tracasse de ne pas entendre parler de mon bail. Grande bêtise, je ne reverrai peut-être Paris jamais, mais je veux garder mon nid. Vos troupes vont donc garnir Athènes. Rome, Athènes, Constantinople ! Certainement votre Empereur fait très bien ses affaires et nous ne l'y avons pas mal aidé.
Mes habitués commencent à se chagriner de mon prochain départ. Je vais faire vide ici comme à Paris. à quoi cela est-il bon, je n’y ai pas le plus petit plaisir de vanité. Je n’ai plaisir à rien. La guerre m’a complètement démoralisée.
Pas de Montebello, ni de ses nouvelles. Vous verrez qu'il arrivera lorsque je serai partie. Tout va de travers. Je n’ai point de lettre. Constantin me néglige fort. Nous nous querellons un peu. Il est vraiment un peu ... bête. Adieu. Adieu. Hélène parle souvent de vous. Olga est devenue ma grande favorite. Elle m’accompagne à la Cambre & me divertit fort. Très exaltée & spirituelle, et si jolie. Vous savez comme j’ai le culte de la beauté. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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72. Bruxelles le 31 Mai 1854

Pas de lettre aujourd’hui. Ni de vous, ni de personne. Si cela doit prendre ce train là je serai vraiment bien malheureuse, et pour commencer je ne vous enverrai pas ceci. D’ailleurs je n'ai rien à vous dire. Il n'y a rien absolument rien.
Le 1 Juin. Aujourd’hui deux lettres. A la bonne heure. Il y a toujours tant d’esprit & de good sense dans ce que vous me dites. J'en envoie quelques extraits aujourd’hui au roi de Prusse connaisseur et amateur.
On dit beaucoup que l’armée turque à la Turquie elle même sont dans un état déplorable et l’on doute beaucoup que de ce côté-là on puisse rien entreprendre contre nous cette année. On dit aussi que les querelles d’ambassadeurs à Constantinople ont eu quelque chose dans les Camps. Je ne sais jusqu'à quel point ceci est vrai. On mande de Paris que le camps de St Omer ne sera pris que le 15 juillet, & qu’il ne se composera que de 50 m hommes.
J'ai remis mon départ à mercredi le 7. Génie m’a enfin envoyé le bail, mais avec soumission. C’est trop ennuyeux d’avoir à discuter article par article par lettre. J’aime mieux perdre quelque chose et en avoir fini.
Pas un mot d'Angleterre. Les courses d'Epsom absorbent. On me dit (Ly Allice) que les d'Aumale voient beaucoup de monde. Ils sont tout-à-fait. lancés. Adieu. Adieu. Et Adieu.
Je crois que Cerini me plaira.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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72 Paris, Samedi 20 Mai 1854

J’ai vu hier Mlle de Cerini. Elle devait partir mercredi 24 pour tenir bien exactement sa parole. Je lui ai dit la certitude que vous lui laissiez. Elle hésitait à en profiter, quoiqu'elle en eût envie. Comme je veux lui remettre, pour vous un livre qui ne doit paraître, et que je ne puis avoir que Vendredi, je l’ai engagée à prendre deux jours. Elle partira Samedi prochain 27. J’ai été vraiment content de sa conversation et de sa disposition. Elle m’a dit que vous aviez été parfaitement bonne pour elle qu’elle désirait de tout son coeur répondre à votre bonté, qu’elle voudrait être pour vous une fille. Tout cela avec une émotion simple et franche qui m’a touché. J’ai parlé de la lecture. Elle la fera. Elle demande seulement un peu d'indulgence au commencement, si elle ne lit pas très bien. C'est une habitude à prendre.
J'attends, mon homme pour votre arrangement avec Rothschild. Cela ne peut se traiter que par un homme d'affaires. Le mien sera ici demain.
Voilà votre N°61. J’approuve tout à fait votre lettre à Rothschild. Il ne peut pas ne pas accepter. Vous revenez au prix de l’ancien bail et vous vous chargez des réparations, dont vous êtes le juge naturel. Envoyez-la lui. L'affaire sera réglée. Le Duc de Noailles doit venir me voir aujourd’hui à cinq heures. Je lui en parlerai. Il sera certainement de mon avis.
Dîner hier chez Mad. de Staël, avec les Broglie et les d’Haussonville. Le soir, chez Duchâtel, où il y avait un peu de musique 40 ou 50 personnes. Presque tout notre monde. Point de diplomate. Je n'ai vu personne qui eût vu Hübner depuis son retour. Il me revient que son langage est plus contenu. Evidemment on compte ici tout à fait sur l’Autriche, et on n'a pas la moindre inquiétude sur la Prusse qu’avec raison on regarde comme définitivement liée par la convention Austro Prussienne. Les politesses qu'elle vous fait sont naturelles, et insignifiantes. Mais on dit que les menaces du Times n’ont pas été inutiles pour amener le Roi de Prusse à ce point.
Le nouveau ministre des Etat-Unis à Paris M. Mason est venu me voir hier. Gros homme qui à l’air d’un grand sens. Très résumé, et je crois, très indifférent sur la politique Européenne. Il en parle en passant, comme d’une curiosité qui l'amuse et ne le regarde pas. Uniquement préoccupé du prodigieux développement de richesse et de puissance de son pays sur ceci, il ne tarit pas. Un de ses amis, qui n'aime pas les villes, avait bâti son habitation à trois milles de celle à laquelle il appartenait, dans l’Etat des Illinois. Il a été un an absent de chez lui, pour le congrès, pour les affaires. Quand il y est retourné, il a retrouvé sa maison dans une rue ; la ville était venue le rejoindre à la campagne. Il est plus contenu. Évidemment on compte. Vous voyez qu’il n’y a rien de nouveau.
e cherche si on m'a raconté quelque histoire. Le comte Branicki a accompagné le Prince Napoléon. A Marseille, il a imaginé de se faire lui-même colon Français et il s'est promené dans les rues avec l'uniforme. Le ministre de la guerre, informé par le télégraphe, est allé trouver l'Empereur qui lui a demandé " Êtes-vous sûr du fait ? Voilà la dépêche du général qui commande à Marseille. - Eh, bien, faites, ce que vous voudrez " Ordre transmis immédiatement par le télégraphe de déshabiller le comte Branicki qui a été déshabillé en effet, et a continué de suivre le Prince, en uniforme de fantaisie.
Adieu, Adieu.
Je vais demain passer la journée à la campagne, chez Mad. Mollien. Je pars à 9 heures et demie. Il est probable que je ne vous écrirai pas demain. Je ne comprends pas ce qu'est devenu le N°66. Mercredi dernier, en arrivant à Paris, je ne vous ai pas écrit. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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72. Vendredi le 27 octobre 1837.
9 heures

Quel plaisir de voir finir ce mois, cette semaine ! Vous ne viendrez donc mardi que pour le dîner, mais au moins soyez chez moi à 8 ¼. Car j’ai beau me retourner je ne vois aucun moyen d’éviter ce jour là de recevoir mon monde accoutumé. Je comptais sur l’opéra, mais ce n’est pas le jour et mon ambassadeur ni celui de la petite Princesse dans la semaine qui vient. Mes promenades quand j’en ferai, car me voilà prisonnière, mes promenades seront de 2 à 4. Vos visites seront donc depuis 4 heures. Enfin nous réglerons tout cela ; mais je suis impatiente en pensant que nous commencerons si pauvrement Mardi.
Je suis toujours fort souffrante. Comme toute la matinée, & combien le soir aussi. M. de Pahlen deux fois le jour, Lady Granville & la petite Princesse deux fois aussi. Le Duc de Palmella fort longtemps hier de 4 à 6. Il n’aura plus cette heure-là. Savez-vous que je ne puis pas même occuper ma chaise à ma table ronde Je suis très affaiblie, je ne l’ai jamais été autant. Mais c’est très naturel, je ne vous ai pas assez dit ce qu’a été pour moi le séjour de mon fils. Mon sang en mouvement, en irritation. Il faut me soigner beaucoup et puis je n’ai pas d’air, & je ne vis que par l’air. Je vois qu’il vous en coûte de quitter la campagne. Je le conçois. Que de froideur, ma vie, j’ai envié la vie des Bohémiens. De la liberté, de l’air, de l’indépendance un abri, le plus petit possible, mais de la place pour deux. Je vous conte là des choses que vous n’avez jamais vues peut-être. Il ne m’est pas arrivé de rencontrer des Bohémiens en France. Y en a-t-il ? En Angleterre ils sont très nombreux.
Ah ! qu’on me connait peu quand on parle de moi comme d’une femme politique. Vous me connaissez. Je le crois, vous savez ce qu’il me faut une seule chose et je l’ai. Il est vrai que c’est immense car tout disparait à côté de cela.
Midi
Vous m’annoncez pour ce matin une lettre de M. de Grouchy. Je l’attends, je la désire avec ardeur. Je la crains. Elle me fera peut-être du mal. Vous savez ce que sont pour moi vos paroles. Non vous ne les avez pas, je crois que vous le saurez jamais. Ah ! Quelle puissance que vos paroles !
Je vous annonce un changement dans mon ménage. Woodhouse a fait un riche héritage en Angleterre, il m’a quittée. J’en ai pleuré, presque. C’est un Anglais encore qui le remplace. J’aime les domestiques anglais pour deux raisons : la première parce qu’ils se lavent les mains trois par jour ; la seconde, parce qu’ils ne parlent jamais. J’ai beau attendre et souhaiter, pas de Génie aujourd’hui ! Adieu, comme de coutume, mais si la lettre était venu, l’adieu s’en serait ressenti. Il eût mieux valu encore. Cependant celui ci est bon.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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73 Bruxelles le 2 juin 1854

C'est bien malheureux que vous ne soyez pas à Paris et que Génie soit un étourdi. Le 3. 6. 9. qui est l'usage pour tout le monde est converti pour moi en 9 absolu. Si cela me garantit l’occupation, de l’autre côté cela m’expose à avoir un Club sur ma tête.
Et la faculté de résilier au bout de 3 ans était au moins une ressource. C’est là ce que je veux obtenir, c'était dans le contrat primitif. Il me semble que j’ai parfaitement raison.
Le 3 juin samedi. J'ai été prise au milieu de ma lettre par une longue visite que j'ai faite à la campagne, en revenant J’ai trouvé un notaire avec le quel j’ai dû m'occuper de cette d... d’affaire de loyer, l'heure de la poste a passé.
C’est de Mardi 6 que vous m’adresserez vos lettres à Ems. Duché de Nassau près Coblence. Jusque là ici.
Je ne relève rien de nouveau quoi que j’ai eu beaucoup de causeries. On vous trouve bien puissants au dehors comme à l’intérieur, et l'esprit de l'Europe est bien changé à votre profit. La paix est possible, mon Empereur doit la vouloir, car les sacrifices pour la guerre sont immenses et les profits pas possibles. L'Angleterre qui voulait nous humilier et nous diminuer a déjà réussi.
Les Allemands ont tout intérêt à amener la paix, et si les Turcs font ce que vous leur demandez pour les Chrétiens, les Grecs y profitent assez pour que l'Emp. puisse dire à son peuple qu'il a obtenu plus même qu’il ne voulait. Et tout le monde serait content. Moi surtout !
On ne croit pas que l’Autriche passe à l’action. On puisse ici comme vous sur la situation de Lord Aberdeen (faible), et de l'Angleterre. L’union entre l'Ang. & la France durera. Je m’occupe de mes paquets. Quel ennui que ces ennuis-là ! Savez-vous que Cerini ne sait ni lire, ni écrire en Français. Mais pas un mot ! Du reste très convenable. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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73 Paris, Lundi 22 mai 1854

Je commence aussi par l'affaire. Je vous renvoie la copie de votre lettre à [Rothschild] Je suis d’avis que Génie la remette et vide cette petite question. Je viens d'en causer avec lui, il sait très bien ce qu’il faut dire, et il la dira comme il faut le dire. Vous devez garder votre appartement, sans obligation ni charge de réparations, sauf celles que vous jugerez vous-même à propos de faire, et que vous paierez vous-même.
Je ne m'étonne pas que votre Empereur rappelle Brunnow et Kisseleff de Bruxelles. Il était difficile de comprendre pourquoi, ils y restaient. Brunnow n'en fera pas plus à Vienne que M. de Meyendorff. La question n'est plus aujourd’hui dans le savoir-faire des agents de l'Empereur, mais dans la disposition réelle, personnelle et intime de l'Empereur lui-même. S’il veut sérieusement la paix, la paix est encore possible, les intermédiaires et les agents ne manqueront pas. S'il ne la désire pas sincèrement et sérieusement, personne ne viendra pas à bout de la faire. Il arrivera alors de deux chose l’une, ou bien toutes les puissances européennes seront successivement amenées à s’engager contre vous, grandes et petites, ou bien l'Europe entière tombera, dans le chaos révolutionnaire. La première chance est bien mauvaise pour vous ; la seconde est mauvaise pour tout le monde, vous compris.
Comment pouvez-vous vous dire si sûrs de la Prusse après son traité d'alliance et de garantie mutuelle, avec l’Autriche ? Il se peut que les intentions et les paroles soient toujours de votre côté ; mais les engagements et les actions sont évidemment de l'autre. Et comme ici on pèsera de plus en plus sûr l’Autriche, les mêmes causes qui l’ont amenée et la Prusse avec elle, où elle est aujourd’hui, les mèneront toutes deux plus loin. Les puissances Allemandes peuvent vous être très utiles pour arriver à la paix ; mais si la paix ne se fait pas l’hiver prochain, ce n'est pas vers vous que le courant les pousse ; et vous ne réussirez pas plus à les désunir que vous n'avez réussi à désunir la France et l'Angleterre.
J’ai passé hier la journée à la campagne, chez Mad. Mollien. Je ne suis rentré chez moi qu'à minuit. C’était un peu long.
La reine a dû partir avant hier de Séville, par Cadix et l'océan. Cependant, au dernier moment encore, elle a pu se décider à revenir par la Méditerranée. Elle était mieux, mais toujours très faible. Il me revient de Claremont que le Duc de Nemours partait pour aller au devant d'elle jusqu'à Cadix et la ramener en Angleterre où le Prince de Joinville ne revenait pas encore. Adieu.
Je ferai aujourd’hui votre commission à Duchâtel. J’ai vu Montebello qui veut toujours aller vous voir, mais qui ne sait pas bien encore quel jour. Je repartirai Vendredi soir pour le Val Richer. C'est là qu’a partir de vendredi, je vous prie de m'écrire. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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74 Bruxelles le 4 juin 1854

Je me suis trouvée entraînée hier à une soirée chez moi. On a voulu me faire entendre un chanteur italien de premier ordre. Cela ne m’a pas beaucoup amusé. J’avais tous mes habitués. Ce qui fait que de tous les Russes Kisseleff seul est resté à la maison. J’avais prié les autres.
Aujourd’hui je vais à l’église, & je ferai mes visites d’Adieu. Le temps est possiblement froid. On parle beaucoup du Prince Gortchakoff envoyé à Vienne dit-on. Je le connais fort, il est resté 8 ans premier secrétaire à Londres. Mon mari l'a chassé. Pareille aventure lui était arrivée sous d’autres chefs. Très intelligent. Capable, excellent rédacteur. Insolent, insupportable. Il vaut peut être mieux, je n’en sais rien. Je l’ai revu à Schlangenbad. Là aussi il a fait une impertinence au Roi de Prusse. Le pauvre. Meyendorff ne m'écrit plus du tout. D’abord, malade et bien triste. On me dit ici que dès l'origine de l’affaire on a trouvé à Pétersbourg qu'il faisait fausse route. Il n'était pas assez russe, il voulait qu’on s’arrange. comme cette guerre marche drôlement.
C’est le 1er juin seulement que l’Autriche nous a envoyé une invitation polie de sortir le plus tôt possible des Principautés. La Prusse l’aura fait de son côté. La prise de Silistrie n’est pas cas de guerre. Même le passage des Balkans s’il pouvait avoir lieu, demanderait encore des éclaircissements. Il n'y a donc rien d'imminent du côté de l’Autriche. On dit que l’Impératrice est grosse, Wallisky doit l’avoir annoncé.
Rothschild m’autorise aujourd’hui à ajouter au bail la promesse de ne pas me mettre de club sur la tête. Il n’a pas voulu du 3. 6. 9. Cela m'est égal. J’accepte l’autre forme quoique ce soit drôle. J'envoie le tout à Génie avec l'espoir que je recevrai mon titre Mardi. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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75 Bruxelles le 5 juin 1854

Je fais mes paquets & mes adieux. & je rentre de l’Eglise où j’ai commencé. Ici cela se passe le lundi de la Pentecôte. Brunnow part jeudi, décidement il reste en l’air pour le moment, il retourne à son petit Darmstadt. Kisseleff part également cette semaine pour Wisbade et puis l’Italie. Ces deux messieurs ne sont pas en bonne odeur à Pétersbourg, surtout dans le public. Creptovitch est ravi d’être débarrassé d'eux. Cela le gênait et l'offusquait. Il ne restera plus un russe à Bruxelles.
Pas de nouvelles. On s’étonne des lenteurs partout. Ceci ne ressemble aux choses qui se passaient jadis. Quand on était en guerre on se battait. Cela a passé de mode. Mais comment viendra la paix ? C'est indevinable. Adieu. Adieu. Je suis triste, et vous aussi. Adieu.

Mardi le 6. Voilà une lettre de Morny, il me dit ceci. " Il va se passer en Orient des événements importants, mais seront ils décisifs ? Si nous croisons décidement le fer nous serons en guerre pour bien longtemps. Je crains bien que votre Empereur ma bonne Princesse ne se repente amèrement d’avoir entrepris ces choses. Je devrais dire, j’espère bien, car je suis Français & bon Français. Si l’Allemagne se joint à nous, Dieu sait quel mal on peut lui faire. Et puis toutes les flottes qui n'osent pas sortir du port même à nombre supérieur, ce n'est pas une preuve de grande force ici de confiance en soi. Maintenant chez nous la confiance a repris. Les fonds ont remonté. On ne s’inquiète plus beaucoup de la guerre, on s’y intéresse voilà tout, et si elle est heureuse on s'en amusera. Il n’y aura plus de raison pour qu’elle finisse. Au fond pour nous et notre Empereur nous y avons gagné une position inespérée que 10 ans de paix n'auraient pas produite. Que Louis Philippe serait jaloux s'il vivait encore. "
La reine Amélie passe aujour d’hui. Le roi ira la trouver à Malines et l’accompagnera à moitié chemin d'Ostende. Elle n’a pas voulu s’arrêter ici ni à Laken. Ma lettre était restée hier je la trouvais bête. Je la trouve bien triste aujourd’hui comme je suis triste. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N° 80 Vendredi 6. 9 heures

Que vous m’avez manqué aujourd’hui. J’avais commencé ma journée avec vous. On nous a séparés quand nous causions intimément. Je vous ai cherchée tout le jour. Mes regards, mes paroles tout mon être allaient à vous à chaque instant. Nous sommes si bien ensemble. La petite Princesse a raison. Nine fifonne Dorfattais ! Mais quand le Ciel accorde nin fégönnb Banfoittngh, il devrait l’accorder complet, permanent. La perfection est si rare ! C’est un supplice de la rencontrer pour l’entrevoir seulement.
J’étais bien difficile ; vous m’avez rendu plus difficile encore. Je me suis surpris deux ou trois fois près d’avoir de l’humeur, non pas contre vous, mais contre tout ce qui n’est pas vous. J’ai essayé de tout pour me distraire, la promenade, le travail. Rien ne m’a réussi. Tout à l’heure, c’est pour me distraire que je suis rentré dans mon Cabinet que je vous écris. J’avais tant à vous dire ce matin ! Rien ne me revient. Ce papier me déplait. Qu’y puis-je mettre ! C’est encore une manière de me faire sortir ce qui me manque. Je suis en trop mauvaise disposition. Je vous quitte. Si vous étiez là !

Samedi 9 heures

Je me suis levé tard. J’avais mal dormi. Je me suis rendormi ce matin. J’attends que vous me disiez que vos nuits sont meilleures. Fait-il assez beau, assez chaud pour que vous vous promeniez quelques minutes le soir, dans votre jardin, presque en robe de chambre, au moment de vous mettre dans votre lit ? Et votre dîner et votre lunchéon comment se passent-ils ? Êtes-vous toujours contente de votre cuisinier ? Vous donne-t-il souvent du ragoût ? Tout cela me manque. Dites-moi tout cela. Envoyez-moi vos pommes de terre et vos cotelettes. Elles valent bien mes carpes. Soyez tranquille. Je ne me donnerai pas les indigestions de M. de Talleyrand. Voilà votre n° 83, le nouveau facteur est charmant. Mais sa diligence fait qu’il est pressé de repartir. Vous n’aurez donc qu’une courte lettre. J’en suis fâché. Le N°83 me va au cœur, sauf un mot pourtant qui y va ausi, mais tristement, tristement. Je ne sais si vous devinerez lequel. J’aimerais mieux que vous ne le devinassiez pas. Vous l’auriez écrit plus légèrement. Moi aussi, j’ai mes bêtises. Ce ne sont pas des bêtises. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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82 Val Richer, Jeudi 1er Juin 1854

Voilà un nouveau mois qui commence ; le temps s'écoule et rien ne finit. Vous allez partir pour Ems. Nous nous éloignons l’un de l'autre. Quand nous retrouverons-nous ? Moi aussi, je suis triste.
Je comprends le parti que vont prendre les Anglais pour un ministre de la guerre. Ils ont raison. Mais Lord Palmerston me plaît encore moins là qu'ailleurs. Chargé de diriger la guerre, il aura probablement plus de moyens de l'étendre. Il est de ceux qui accepteront le remaniement de l’Europe, et les révolutions pour s’assurer dans la mer noire ou sur le Danube, un peu plus de succès.
Qu’y a-t-il de vrai dans ce qu’on dit de la mauvaise santé de Lord Stratford ? Cela aussi serait un événement. On s'en réjouirait certainement chez vous. Pour moi, je ne suis pas sûr que la paix y gagnât rien, et dans le peu le rapports que j'ai eus avec Lord Stratford, j’ai pris pour lui de l'estime et presque du goût. Je ne sais rien d'ailleurs.
Je n'ai point de lettres de Paris. Tous mes amis sont partis ou endormis. Il faudra pourtant bien que Génie me donne des nouvelles de votre appartement. Je l’ai sommé d'en finir de façon à mettre fin à toute combinerie. Midi Me voilà tranquille sur votre bail. Génie me dit qu’il vous l’a envoyé. Quand changera-t-on d'autres signatures. Point de nouvelles d'ailleurs. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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83 Val Richer, Vendredi 2 Juin 1854

Je suis bien aise de savoir Mlle Cerini auprès de vous. Elle me paraît réunir les qualités essentielles aux convenances extérieures. Je souhaite qu'à l'user elle vous plaise, et que cela dure. Mettez du vôtre. Ce qu’elle a est déjà assez difficile à trouver. Ne vous querellez pas avec Constantin. C'est un excellent homme et il a de l'affection pour vous. Que vous importe son plus ou moins d’esprit ? Vous ne vivez pas avec lui. Il se conduira toujours honorablement, et il vous sera toujours dévoué. Ne lui en demandez pas d'avantage. Vous ne lui donneriez pas l'esprit qu’il n’a pas et vous lui ôteriez les bons sentiments qu’il a.
Génie m’écrit que demain samedi ; il vous aura renvoyé votre bail paraphé et signé. J'en suis charmé, non seulement pour votre repos d’esprit, mais pour notre avenir de Paris auquel je crois toujours très décidément, sans entrevoir comment il reviendra. La foi ferme est dans ma nature. J’y ai été souvent trompé, mais pas toujours. J’ai eu quelquefois raison d'espérer contre toute apparence, assez pour ne désespérer jamais.
On me dit qu’entre l’Autriche et la Prusse, indépendamment de l'article addi tionnel qui a été publié et qui spécifie les cas de guerre, il y a un article secret par lequel l’Autriche s’engage à ne rien entre prendre d'effectif, contre vous sans une entente préalable avec la Prusse. Je suis assez porté à y croire. Savez-vous qu’on vient de frapper à la Monnaie de Paris une médaille destinée à consacrer le souvenir de l'alliance Franco- Anglo-Turque ? Sur une face, l'Empereur Napoléon III donnant la main droit à la Reine Victoria, et la gauche, au sultan Abdul Medjid, avec ces mots autour. Catholicisme, Protestantisme, lslamisme, Civilisation ; Dieu les protége - sur l'autre face : - sous le règne de l'Emp. Napoléon III et sous celui de la Reine Victoria, la France et la Grande Bretagne se sont unies pour assurer la paix du monde. Il faut convenir qu'elles n’ont pas pris, vers la paix, le chemin le plus court. On prétend que cette médaille a été distribuée à tous les Évêques Français. Mauvaise plaisanterie. Mais quant à la médaille même, on m’assure qu'elle existe, et qu’on l’a vue. Quand je l'aurai vue, je vous le dirai.
Je suppose que je vous écrirai encore demain à Bruxelles, et puis à Ems. Vous me donnerez vos instructions. Je pense avec plaisir que la Princesse Kotchoubey et sa charmante fille sont encore pour deux ou trois mois avec vous. Remerciez les je vous prie, de ma part, de leur aimable souvenir. Et quand vous quitterez Bruxelles, soyez assez bonne pour dire un mot de moi à M. Barrot. J’ai été touché et point surpris de sa courtoisie. C'est dommage que M. Van Praet n'aille pas aussi à Ems ; vous ne remplacerez pas sa conversation.
Onze heures
Je n’ai rien de vous ce matin. Adieu donc. J'espère bien que vous n'êtes pas malade. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°84 Mercredi 11 6 h 1/2

J’ai passé hier un sotte journée à demi hébété. J’avais quelques uns de mes voisins à dîner. S’ils m’ont trouvé aimable, ils sont bien bons. Je crois qu’ils mont trouvé aimable. Je suis mieux ce matin. J’ai peu dormi, mais peu éternué. Je partirai pour Broglie, vers 1 heures, quand le facteur sera arrivé. Le facteur, c’est l’événement de ma journée. Il faut un événement à chaque journée. A Paris j’en ai deux, midi et demie et huit heure, & demie. Au Val-Richer, il n’y en a qu’un et qui ne vaut pas le moindre des deux de Paris. Il est pourtant bien impatiemment attendu même quand il apporte du chagrin et un peu d’humeur. La vivacité du chagrin me console un peu de l’injustice, de l’humeur. J’ai tort ; je me fais plus mauvais que je ne suis ; si je croyais à une humeur vraie, même injuste, je n’en serais pas si aisément consolé. Et je n’aurais point de repos que je ne l’eusse dissipée. Il y a des cœurs et des regards, entre lesquels ne doit jamais s’élever le moindre nuage.
Je vous désire tout-à-fait l’entresol de l’hôtel Talleyrand. Il vous plaît et il me semble que vous y serez bien. Vous aurez l’amusement de vous y arranger. Prenez garde seulement à ne pas vous plonger là dans un Océan de poussière et de bruit. Il se pourrait qu’après vous avoir loué l’entresol on bouleversât le reste de l’hôtel qu’on fît abattre bâtir tout près de vous sur la rue St Florentin, & alors vous seriez très mal. Avant de rien conclure assurez-vous bien des projets des acquéreurs. Vous êtes difficile, presque aussi difficile avec le monde matériel qu’avec le monde moral. Ne vous engagez pas facilement dans une situation inconnue.
Je ne sais pas les raisons de la confiance de Lord Aberdeen. Mais en tout, il me paraît un peu confiant, du moins dans ce qu’il dit. Je suis bien aise de trouver l’occasion de renvoyer ce reproche à un Anglais. Il me semble de plus en plus que les Torys n’auront de chances sérieuses que lorsque les questions d’Irlande seront à peu près vidées. D’ici là, ils ne gouverneraient pas sans guerre civile, ou à peu près en Irlande ; et l’Angleterre me parait décidée à ne plus vouloir de la guerre civile & de ses violences en Irlande. Elle le lui doit en vérité pour tout le mal qu’elle lui a fait si longtemps. Je ne connais par M. O’Connell, et ce n’ai nul goût pour son langage ; mais je m’intéresse à sa cause. Il ne me revient rien de nos affaires à nous, & je crois qu’il n’y a rien. Le Duc de Broglie me dira aujourd’hui tout ce qu’il peut y avoir. L’accident de Mad. la Duchesse d’Orléans n’est rien du tout. Est-ce que la petite Mad. Pozzo se serait dit grosse pour revenir plutôt à Paris ? On dit qu’elle s’ennuie effroyablement à Londres.
Je ne m’étonne pas de la sécurité de Kielmansegge ; mais j’ai quelque envie d’en sourire. Il est de ceux qui ne prévoient jamais les fautes et les échecs de leur maître ; ce qui n’empêche rien. Si l’affaire va à la Diète, et si la Diète condamne le roi de Hanovre, jamais condamnation de Roi n’aura fait faire à la cause Constitutionnelle, comme nous disons ; un si grand pas. Est-ce que le Roi Ernest ne s’en doutera pas d’avance ? Du reste je juge tout cela de loin, et peut-être à tort et à travers. Je suis fort revenu de la prétention de juger de loin. Il faut bien pourtant. Quoiqu’il arrive, je porterai toujours à cette bonne Reine de Hanovre, un véritable intérêt et j’espère bien qu’elle aura toujours autant de beaux manteaux dorés qu’elle voudra.

10 heures
Je pars pour Broglie avec votre n° 87. Comme on ne m’a rien fait dire je suppose que le duc y arrivera aussi ce matin. Dans tous les cas, je n’y passerai que 24 heures et je serai ici après-demain. Point de dérangement dans nos lettres. Adieu, Adieu. Oui quinze jours. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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86 Val Richer. Lundi 3 Juin 1854

Je ne sais où je vous écris, ne sachant pas à quelle heure vous partez après demain de Bruxelles et si vous pouvez y recevoir encore cette lettre. L’absence a mille petits déplaisirs.
Quand vous serez établie à Ems, faites-vous lire, par Mlle du Cerini, Madame de Sablé de M. Cousin. Cela vous amusera, et elle avec vous. M. Cousin exploite un peu trop sa passion pour Mad. de Longueville ; il la débite en détails dans la Revue des deux monde, puis en gros dans de gros volumes. Mais peu vous importe. Je ne suppose pas que vous ayez lu Mad. de Sablé dans la Revue des deux mondes.
Les lettres du général Brown et de Lord Raglan démentent-elles ou confirment-elles ce qu’on vous a dit sur les mésintelligences qui se glissaient dans les armées à la suite des mésintelligences entre les ambassadeurs ?
Nos marins de la Baltique sont charmés, de l'accueil que leur font les Danois. Il y a encore là des souvenirs du bombardement de Copenhague. On est bien aise que la flotte Anglaise ne soit pas seule. Il me paraît que vous aurez bien à faire en Circassie ; tous les forts que vous aviez construits là, à chaque progrès que vous faisiez dans le pays sont ou détruits, ou au pouvoir des Circassiens.
Je vous écris là une sotte lettre. Je n’ai rien à vous dire. Je n'aurai point de journaux et matin. Il est pourtant sûr que, si nous étions ensemble, nous aurions des conversations intarissables.

Midi
Voilà votre lettre. Vous avez raison de vouloir 3, 6, 9 et Génie aurait dû y penser. Je trouve indispensable que Mlle de Cerini l’apprenne elle-même à lire haut en Français. Elle parle très bien ; il ne doit pas lui être difficile de lire. Adieu, Adieu. Le courrier ne m’apporte rien. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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88 Val Richer Mercredi 7 Juin 1854

Votre soirée est une malice que vous avez faite à Kisseleff en partant. Il la méritait. Je suis toujours bien aise quand je vois les sottises de l’égoïsme un peu punies. Il ne faut pas que tous les désagréments de ce monde soient pour la générosité imprévoyante.
Il fait aussi froid ici qu’à Bruxelles. Cela me vaut des éternuements interminables. Ayez soin, à Ems, de ne pas vous promener tard le soir, en voiture découverte. La vallée de la Lahn est bien aussi humide qu'à la mienne.
Rothschild est bien juif de ne pas vouloir vous donnez 3, 6, 9 mais vous avez raison ; peu vous importe ; il est bien sûr que vous garderez toujours cet appartement-là ; il faut pouvait y revenir à l'heure même où la paux sera faite. Et vous y reviendrez tranquille sur les clubs. Aristocratiques ou démocratiques, il ne faut pas les avoir pour voisins. On apprend tous les jours.
Ce qui vient de se passer pour cette malheureuse guerre a jeté, pour moi, des traits de lumière sur l’histoire. Que de guerres commencées comme celle-ci, sans le vouloir, et pour rien. La vraie différence entre les grands hommes et les petits, c'est que les premiers font toutes choses, même les sottises, par de grands motifs, et que les seconds font, même les grandes choses, par de petits motifs, ou sans motifs. " Mon dieu, pardonne leur car ils ne savent ce qu’ils font ! " C'est la plus profonde comme la plus divinement douce parole qui ait jamais été prononcée.
Pauvre Meyendorff ! Est-ce que le Prince Gortschakoff serait envoyé à Vienne pour l’y remplacer à poste fixe, ou bien seulement en mission temporaire, comme le comte Orloff ? La première mesure serait bien dur pour M. de Meyendorff, et le Prince Gortschakoff me paraît bien petit pour la seconde.
Je voudrais que vous sussiez vous distraire un peu de cette triste attente de tristes nouvelles, et penser quelque fois à autre chose. Engagez Mlle de Cerini à prendre l'habitude de vous lire. Ce n'est vraiment, pour une personne intelligente et cultivée comme elle, qu’une affaire d'habitude. Et je vous recommande encore M. de la Rochefoucauld de M. Cousin. Le Journal des Débats, en donnait hier une longue citation excellente et charmante.

Midi
Point de lettre ce matin. Adieu donc jusqu'à demain. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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95. Ems le 8 juillet 1854

Il n’y a pas moyen de trouver un appartement à Schlangenbad, je ne sais ce que je vais devenir. Voilà un souci de plus, par dessus mes malheurs. Ma vie ici se passe assez agréablement. Mes écritures, les bains, quand le temps me permet de les prendre ; la promenade, ditto. A 3 heures je dîne ; Brignoles vient causer avec moi. Il a beaucoup plus d'esprit que je ne croyais. Ou bien est-ce Ems qui fait cela ? Après une longue promenade en calèche. à 8 heures mon monde, toujours les mêmes. Le Prince George & le bel aide de Camps. Les Melas, les d’Ayne Hélène et Olga. Musique superbe. Le public s’assemble sous les fenêtres pour entendre ces belles voix. De la conversation pas trop. à 10 heures tout le monde est rentré chez soi. A propos du Pce George. Je lui montre de vos lettres. Grande fête pour lui. Il a de l’esprit, il comprend, & il admire avec fureur.
Si j'en crois l’Indépendance il y aurait dans notre réponse de quoi s’arranger. Mais ni vous ni les Anglais ne le voudrez. Il me semble que l’Espagne donne de l’inquiétude à Paris. Je ne crois pas comme vous que la Reine s’en tire maintenant. Et si elle tombe, quoi ? Restauration ? Règne ? L’infante Montpensier ? La réunion au Portugal ? La république ? Rien de tout cela ne peut vous convenir. Vous finirez par aller occuper Madrid, et de quatre. On peut tout croire, & surtout on peut tout rêver quand on s'ennuie à Ems. Adieu. Adieu.
Ma santé n'est ni mieux, ni pire. Dîtes moi que vous n’éternuez plus. Je compte que le soleil vous viendra un jour. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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134. Paris jeudi le 13 Septembre 1838

Vous êtes toujours égal, toujours bon pour moi. Votre lettre ce matin me fait plaisir à relire. Mais au milieu de vos plus douces paroles je vois bien que je ne vous plais plus comme je vous plaisais et me je prends moi en véritable horreur. Il n’y a pas de sentiment plus pénible que celui-là. Je ne m’aime pas, voilà ce qui fait mon humeur. Du reste j'ai bien de quoi en avoir et de la très mauvaise. Il me semble que tout, en grand, en détail tout est en décadence pour moi, de temps en temps il s’offre à mon imagination quelque lueur, mais elle n’a pas de duré. Vous seul vous êtes pour moi une réalité, je le sens mille fois le jour, & je ne vous le dis jamais comme je le sens, parce qu'il me parait que je n’en ai pas le droit, que mon humeur mobile me porterait le lendemain à vous dire des paroles, plus tièdes, que tout cela n’est pas. digne de vous. Ah mon Dieu quelle confusion dans mon cœur ! Ma destinée est si triste que mon pauvre esprit succombe et quand vous n'êtes pas auprès de moi, il ne me reste pas un brin de courage, pas un brin de raison.
Le temps froid me tient loin du bois de Boulogne, j'ai été du côté de la ville hier, dans quelques boutiques. C’est des meubles que je vais voir. Quelques fois l’envie de m’arranger me prend, et puis, je trouve si pitoyable de m’arranger à la Terrasse. J’attends un bel hôtel ; le luxe, le confort dans lesquels j'ai vécu toute ma vie, et mon bivouac actuel me parait insoutenable. C’était drôle en commençant, cela ne me parait plus drôle du tout. J'en suis excédée. La petite princesse a tous les jours quelque nouveau récit à me faire sur Marie ; elle me démontre claire ment que Marie me déteste et qu’elle parle mal de moi. Cela ne me fâche pas, mais cela m’afflige. Comment pas un peu de reconnaissance pour tout ce que j'ai fait pour elle. Je ne sais par quoi nous finirons.
A propos Marie hait les petits enfants de la petite princesse. et a proposé un jour à sa nourrice de lui jeter une pensée à la tête ; une autre fois de l’étouffer. Eh bien & le médecin dit qu’il n’y a pas l'ombre de folie en elle ! Sneyd est arrivé & m’a fait une longue visite hier matin. Il m’a apporté une lettre de Lady Clauricarde que je vous enverrai. J’ai été dîner à Auteuil, j'y ai rencontré Fagel que j'aime beaucoup. Nous nous sommes arrangés pour un long tête à tête Samedi. Pas de lettre pas la moindre nouvelle de mon mari. Adieu. Adieu. Pourquoi ne suis-je pas née en province, d'une famille amie de la vôtre. Vous auriez pris soin de me former, plus tard de m’aimer, & puis. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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155. Paris Samedi 6 octobre 1838

Vous n'aurez qu’un mot aujourd’hui. J'ai eu une nuit abominable qui me démoralise complètement. Je suis obligée d’aller de bonne heure à Auteuil, je déménage aujourd’hui à la Terrasse. J'attends Marie, & mon fils Alexandre. Voilà toutes mes raisons, et un rhume par dessus tout cela, si vous en voulez encore.
J’ai dînér hier chez Madame de Castellane avec M. Molé, le Chancelier, M. Salvandy, M. de Pahlen et la petite princesse. J'ai été le soir chez Lady Granville. J'y ai rencontré Montrond qui me semble rajeunir. Il a passé son temps chez Thiers qui parait l’avoir diverti. Votre Princesse Marie est bien malade Les médecins en sont inquiets. Il n'y aura point de Fontainebleau en conséquence.
Léopold arrive la semaine prochaine. Les affaires ne marchent pas. Palmerston ne veut rien faire, & on ne sait pas du tout ce qu’il en pense. Il est très vrai que vous m’apprenez M. Jacqueminot. La diplomatie ne s’en est pas émue. M. de Médem mande à M. de Pahlen, que mon frère est bien monté contre moi. Est-ce que par hasard l'homme d’esprit m’aurait plus mal servi que les sots ? Car à moins que Médem ait dit des choses de nature à irriter mon frère, je ne conçois pas ce qui peut être survenu.
Voyez la sotte lettre. Pardonnez moi. Je me sens fatiguée & malade. Que je vous remercie de me dire que le temps avance, c’est la plus agréable parole que je puisse entendre. Adieu. Adieu. Que je suis impatiente de l’autre espèce d’adieux !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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156. Paris, dimanche 7 octobre 1838. Champs Elysées

Comment cette année encore. je n’ai pas su quel était le jour anniversaire de votre naissance ? Et cependant ce jour-là à ce que vous dites je vous aimais mieux & je vous le disais ! Je me sais gré au moins de cet instinct là, mais je devais le savoir et je ne le savais pas. C'est bien maladroit, c’est bien mal.
J’ai couché ici encore cette nuit, mais tout a passé à la Terrasse et moi-même je vais y porter cette lettre. Je me suis sentie si malade hier qu’après être rentrée de chez Mad. Apony je me suis couchée. Il y avait beaucoup de monde, un bal en règle. Et je ne puis plus supporter la musique d'un bal surtout quand il y a des enfants. J’y ai mené le petit Coke que j’ai laissé à d’autres. Pahlen était de meilleure humeur. Il croyait avoir trouvé une maison.
Marie m’est revenue hier au soir, engraissée & avec une fort bonne mine, et fort belle humeur. La Déclaration de Lady Granville arrivera dans un ou deux jours.
Je suis triste, triste de rentrer à la Terrasse. Je ne sais pourquoi. C'est reprendre l’hiver sans avoir joui de l’été. Car le passer comme je l'ai fait, c’est n'en avoir pas du tout. Et moi qui aime tant le beau temps, la campagne. Il fait gris et froid ; je n’ai pas dormi, j'ai reçu éveillée. Je suis en mauvaise disposition, en disposition de mauvais pressentiments. Il me semble si facile de mourir.
On me disait hier que Madame d’Haussonville était arrivée. Personne n’a vu M. de Broglie que M. Rossi. Lord Granville ne savait même pas qu'il fut en ville. Madame de Talleyrand a tout-à-fait captivé ma nièce. Elle a été à Valençay aussi ; le petit duc y fait les honneurs à merveille. On a trouvé le petit amant Lecouteux à la dernière couchée en revenant à Paris.
Adieu. Je suis souffrante et maussade. Je me porterai très bien le 1er Novembre. Adieu. Adieu, vos lettres iront me trouver à la Terrasse. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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193 Du Val-Richer, Samedi 8 juin 1839 2 heures

Je me doutais de ce qui vous est arrivé. Mad de Talleyrand m’avait répondu en termes très aimables, mais vagues, et comme un peu inquiète de son impuissance à vous être bonne à quelque chose. Mes prétentions n'allaient pas jusqu'à espérer qu’elle vous cédât le rez-de-chaussée pour prendre le second ; ce sont là des dévouements héroïques que je n'attends pas des amitiés du monde. Mais venir quelque fois dans votre voiture, et vous désennuyer pour son propre plaisir, j’y comptais un peu. Apparemment elle aime mieux le confort de sa solitude que le plaisir de votre conversation. Gardez de ceci non pas de la rancune, ce qui est un sentiment déplaisant et fort peu dans votre nature, mais de la mémoire, ce qui sera beaucoup et ce que vous ne savez point faire. Vous oubliez le mal avec une facilité très aimable, mais très déplorable. C’est ainsi qu’on retombe toujours avec les autres dans la dépendance ou dans l’illusion. Vous avez beaucoup de pénétration mais elle ne vous sert à rien, comme prévoyance. vous recommencez avec les gens comme si vous ne les connaissiez pas du tout , et vous êtes obligée de rapprendre à chaque occasion, ce que vous aviez parfaitement vu ou deviné à la première. Vous avez bien raison d'être au Val-Richer. Vous ne serez nulle part en aussi tendre compagnie. Restez-y un peu plus que vous ne comptiez. Je n’en partirai que samedi prochain 15.
On m’écrit que le rapport de l'affaire d'Orient n'aura lieu que le 19 et le débat le 20. Le Maréchal est allé à la commission ; inculte, ignorant, mais rusé et se conformant assez habilement à ses instructions. Il a annoncé très confidentiellement et en demandant le secret, que le gouvernement voulait maintenir en Orient le statu quo, mais un statu quo durable, en assurant au Pacha l'hérédité de l’Egypte et de la Syrie. Du reste rien de plus ; des communications de pièces parfaitement insignifiantes, ou déjà imprimées ; rien qui mette la commission au courant de l'état de l'Empire Turc et des relations des diverses Puissances avec lui ou entre elles. La commission a, dit-on, assez d'humeur; et cela paraîtra.
Le Cabinet n'est pas en bonne veine. Il a vivement combattu, aux Pairs, la proposition de M. Mounier sur la légion d’honneur et elle a passé malgré lui. Aux Députés, une autre proposition, fort absurde, pour retirer aux fonctionnaires députés leur traitement pendant la durée de le session, et qui avait toujours été rejetée jusqu'ici, a été adoptée, au grand étonnement des Ministres qui n'avaient pas même ouvert la bouche, tant ils se croyaient sûrs du rejet. Un crédit de cinq millions, demandé pour achever le chemin de fer de Paris à Versailles sur la rive gauche, a été fort mal reçu. En tout il y a du décousu, de l’inertie dans le pouvoir, et de la débandade dans son armée. Thiers ne va plus à la Chambre, et annonce son très prochain départ. Plusieurs de ses amis. craignent qu’il n'attende même pas la discussion des Affaires d'Orient. Vous voilà au courant, comme si nous avions causé, au plaisir près. Mais le plaisir vaut mieux que tout le reste, n’est-ce pas ?

Dimanche 7 heures
Hier, il a plu sans relâche ; aujourd’hui le plus beau soleil brille. Hier vous me manquiez pour rester dans la maison et oublier la pluie ; aujourd’hui, vous me manquerez pour me promener et jouir du soleil. J’attends quelques personnes cette semaine, M et Mad. de Gasparin, Mlle Chabaud. Celle-ci m’est très précieuse pour mes filles et ma mère. Je suis très touché de l'amitié infatigable avec laquelle elle s’en occupe. C’est une excellente personne, très isolée en ce monde, et qui avec un cœur vif, n’a jamais connu aucun bonheur vif. Elle reporte sur les affections collatérales la vivacité, et le dévouement qu'elle n'a pas trouvé à dépenser en ligne directe. Mes filles l'aiment beaucoup. Henriette fait vraiment, avec elle, des progrès sur le piano. Elle a de très bons doigts. Adieu.
Vous me tenez dans l'anxiété en me disant que vous avez de mauvaises nouvelles pour vos affaires, sans me dire ce qu’elles sont, ni d’où elles viennent. J’en suis très impatient, car nous sommes impatiens de savoir le mal comme le bien. Mais je ne puis me résoudre à croire que, sur les terres de Courlande, tout le monde se soit jusqu'ici si grossièrement trompé. Encore une preuve de plus de votre barbarie. Les plus éclairés n'ont pas la moindre connaissance sûre des lois du pays. Adieu. Adieu. Enfin, votre prochaine lettre sera de Baden, & notre correspondance régulière sera établie. Mais vous avez été bien aimable, vous avez mis de la régularité en courant la poste adieu encore. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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200 Baden le 20 juin 1839 jeudi 6 1/2 du matin.

Je n’ai vu personne hier, ni Mad. de Talleyrand ni Mad. de Nesselrode ma seule récréation a été une promenade le soir avec Mad. Wellesley. Vous voyez que c’est trop peu pour moi et que la journée est bien longue ! Et il y a encore au moins deux grands mois à passer de la sorte. Mon fils Alexandre me doit bien des lettres. La Dernière était du 23 mai. c’est long.

Vendredi 21 à 11 heures
Voilà tout ce que j'avais pu vous dire hier, j’étais fatiguée, triste, découragée, et dans l’angoisse d'une lettre de mon fils Alexandre venus à 5 h. et que mon médecin m'avait prié de ne pas ouvrir. afin de ne pas déranger ma nuit je l'ai donc envoyée à Mad. de Talleyrand et je ne l’ai ouverte que ce matin. Elle ne renferme rien absolument. Il est à la campagne chez ma sœur, il va tous les matins en ville pour les affaires voilà tout ce qu'il me dit. Et au fait je suis charmée qu'il ne me parle pas affaires. Ce n’est pas par lui que j'en apprendrai rien, cela doit en venir de mon frère pourvu que cela vienne bientôt ! Je suis surprise du complet silence de Matonchewitz. Je ne veux pas vous parler de ma santé jusqu'à ce que j’ai quelque chose de bon à vous en dire. Jusqu'à présent je suis comme j’étais.

3 heures 1/2
La comtesse Nesselrode est venue m’interrompre. Elle est certainement très bien disposée, elle écrit à son mari, j'ai bien insisté sur ce que je préfère la carrière de mon fils à mes propres intérêts ; ainsi je ne veux pas qu’on dise rien qui puisse lui nuire, en même temps je ne veux pas qu'on puisse me croire des torts envers lui. Tout cela est bien délicat, tout cela est difficile à ménager, c'est une mauvaise situation, et tous les jours cela m’afflige davantage Notre Ambassadeur Pahlen. m'écrit pour me dire qu'il quitte Paris aujourd'hui même. Il sera à Pétersbourg le 2 de juillet et me demande ce qu'il peut faire pour moi. Je lui écrirai pour le prier de me défendre s'il entend dire qu’on m'attaque, je ne veux pas autre chose. Mad. de Talleyrand prétend qu'aujourd’hui tout à l’air de se placer mieux pour moi et elle croit que de tout cela ressortira un bon dénouement. Moi je ne crois encore à rien de bon je suis si accoutumée au mauvais.
Lady Cowper me mande que son frère est bien fatigué, bien tracassé, que les Torys sont très violents que s'il y avait un changement elle et lord Melbourne viendraient, tout de suite de ce côté-ci. Le chevalier Courrey quitte l'Angleterre. C’est le grand événement de Londres. Peut être cela ramènera-t-il la paix entre la mère et la fille ? Lady Cowper est très désappointée de ce que je n’aille pas en Angleterre, elle m’attend en automne. Elle me reparle d’Orloff, de ses promesses. Elle me fait des messages d’amitié de Palmerston, voilà la lettre. J'aurais dû vous l’envoyer ce matin, et vous aurez dû me la rapporter à midi 1/2 ! Ah le bon temps passé !
Puisque vous allez avoir du loisir voyez un peu si vous ne pourriez pas me trouver une maison. Ne soyez pas trop exclusif pour le Fbg St. Honoré. Au fond les bonnes maisons ne sont que de l’autre côté. Vous savez qu'il me faut le soleil avant toutes choses. Non pas, pas avant vous; mais après vous. Adieu. Adieux, je suis impatiente de vos lettres de Paris que pensez-vous de la situation, éclairez- moi, racontez-moi. Adieu. Adieu.

6 h. Voici votre lettre de Paris, & il faut que la même partie. Je vous remercie tendrement, bien tendrement. Ecrivez, Ecrivez. Vous êtes dans votre maison je suppose ?

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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201 Paris lundi 24 Juin 1839 8 heures

J’ai dîné hier avec Lady Jersey. Le Duc de Broglie dit qu'elle est toujours belle. Elle parle toujours beaucoup avec la confiance d’une jeune femme, d’une jolie femme, d’une grande dame et d’une bonne personne. Elle a été très bonne pour moi et sa bonté a fini par me demander de signer mon nom sur son album, qu’elle avait évidemment apporté pour cela. Elle m’a paru un peu piquée que vous ne l’eussiez pas attendue à Paris. Elle repart jeudi pour l'Angleterre. Elle y trouvera à sa grande joie, le Cabinet, bien malade. Se retirera-t-il encore une fois pour une majorité de 5 ? Il a eu tort de rentrer. Du reste ce qui me revient est d'accord avec Lady Cowper. Les Tories sont violents, & inquiètent leurs chefs modérés ; si le duc de Wellington, par l’âge, par la santé, se trouvait hors d'état de prendre aux affaires une part active, ni Peel, ni Lord Aberdeen n'auraient assez d'autorité pour contenir et gouverner le parti. Et ses fautes rendraient bientôt le pouvoir à ses adversaires. Si vous étiez ici, vous verriez un Cabinet bien aussi chancelant en apparence, quoi qu’il le soit bien moins au fond. Vous entendriez dire tout le jour que M. Molé se rapproche de M. Thiers, et aussi de moi, et moi de M. Thiers que M. Cousin part pour Plombières avec M. Molé ; que l'autre jour, de la voix et du geste, j'ai approuvé M. de Salvandy à la tribune. Je n’ai jamais vu tant de commérages. Il n’y a rien, rien du tout, et le Cabinet tiendra jusqu'à des événements.

5 heures
Je reviens de la Chambre et j'en rapporte peut-être des évènements. Deux dépêches télégraphiques disent que les Turcs ont envahis quinze villages égyptiens qu’Ibrahim s'est mis en mouvement avec 25 000 hommes pour les reprendre ; que la flotte Turque est dans le Bosphore, occupée à embarquer 7000 hommes de débarquement ; que le Sultan est très malade &. On attend cette nuit les dépêches écrites qui donneront des détails. En tout cas, lisez attentivement le rapport que M. Jouffroy vient de lire à la Chambre. C’est un morceau remarquable par la netteté et la mesure, au fond et dans la forme. Le langage est excellent. Il a été accueilli avec grande faveur. Il est très douteux qu’il y ait un débat.
Votre N°200 vaut mieux à la fin qu'au commencement. Quand je vois, pour tout un jour, quelques lignes, écrites comme on se traine quand on ne peut plus marcher, mon cœur se serre pour vous. Du reste, j'ai la même impression que Madame de Talleyrand. Je pressens un meilleur tour de vos affaires. A la vérité il faut bien qu'à force de descendre le moment de rencontre arrive. J'emploierai mon loisir à vous chercher une maison. Et si je trouvais de l'autre côté de l'eau quelque chose qui vous convient vraiment je n'hésiterais pas ; au risque d’y perdre, et par conséquent de vous y faire perdre quelque chose. Mais n’arrêtez aucun projet donc aucune maison avant les arrangements de Pétersbourg. Il faut savoir ce que vous aurez.

Mardi 8 heures
J’ai été hier soir faire ma cour à Neuilly. J’ai trouvé le Roi en bonne humeur, et comptant que les affaires d'Orient s’arrangeront de concert entre vous nous, et tout le monde. Il m'a gardé longtemps, et m’a paru penser qu’il avait aujourd’hui du pouvoir presque ultra petita. Il me semble que cela ne va pas au delà de votre latin. De Neuilly, j’ai été chez Lady Granville. Elle part, dans une quinzaine de jours pour les eaux de Kitsingen (dis-je bien ? ) près de Würtsbourg, où elle ne trouvera personne et c’est ce qu’elle cherche. Je suis allé hier chez votre Ambassadeur. Il était parti. Adieu. Voilà des visites. Quoique vous ne me disiez rien de bon sur votre santé, j'ai à son sujet, le même pressentiment que sur vos affaires. Et je crois entrevoir que vous même l’avez un peu. Ainsi soit-il ! God bless you ! Adieu Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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222 Du Val Richer, Samedi 20 Juillet 1839 9 heures

Je sors de mon lit. Je suis arrivé hier avec une grosse migraine. J’ai dormi stupidement et la migraine a disparu. Il fait très beau. Mes enfants sont ravis de me revoir. Mais je n’ai point de joies complètes sans vous, pas plus qu'avec vous. Voilà vos numéros 217 et 218. Je ne sais pourquoi je n’ai pas eu le premier avant-hier à Paris ! J’ai été deux jours sans lettres et point par votre faute. Outre le chagrin, il y a pour moi beaucoup d'étonnement quand un jour s’écoule sans que vous y ayez pris votre place. Je suis lente de dire comme Titus. Certainement, il n’aimait pas autant Bérénice. Ne soyez donc pas si près de la foudre. Je n'aime pas les dangers passés. Ils menacent.
Je suis charmé que vos arrangements de fortune soient conclus. J’attends le détail avec impatience ; mais je suis tranquille, puisque votre situation reste la même. J'en étais très, très préoccupé. Je ne me fie à personne chez vous et pour vous. Rien ne peut plus m'étonner de là, si ce n'est le bien. Que cette conclusion donne au moins à vos nerfs un peu de repos. Vous pourrez à présent régler d’une façon définitive le matériel de votre vie. Est-ce bien conclu ? Y a-t-il quelque chose de réglé pour le partage des meubles, tant ceux de Pétersbourg que le capital de Londres ? Tout sera-t-il bientôt effectivement exécuté ? Je vous demande là ce que vous me direz probablement demain. A demain aussi plusieurs petites choses que j’ai à vous dire. Le facteur me presse pour repartir.
Adieu. Adieu. Vous aurez été deux jours aussi sans lettres et celle-ci n'est rien. Continuez d’être mieux. Je vous le demande. Je vous en conjure et je vous l'ordonne. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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224 Du Val-Richer, Dimanche 21 Juillet 1839 5 heures

Je viens de passer deux heures bien ennuyeuses. J’ai écrit treize lettres, en arrière depuis je ne sais quel temps. Quand on rentre dans la solitude, il faut rentrer en paix avec sa conscience. Mais, j'ai besoin de me délasser du travail de cette paix-là. Décidément je suis content de vos arrangements. Pur contentement matériel ; mais je n’espérais pas si bien ni si vite. J’ai toujours vu ces affaires-là fort en noir. Je suis de l’avis de M. de Pahlen. Il faut se contenter de la garantie de vos fils, stipulée dans l’acte et sans hypothèque. Pour jour l’hypothèque aurait peu de valeur, car une hypothèque, le jour où on a besoin de l’invoquer, c’est un procès, et vous êtes propre à tout plus qu'aux procès. Malgré mon noir, il me paraît impossible que dans leur situation, la garantie de vos fils ne soit pas suffisante.
Vous avez deviné l'expédient. On ne traitera à Vienne que de l’arrangement à conclure entre les deux Chefs Barbares ; et alors vous pouvez y venir. Et probablement vous y viendrez. Le point de départ de la question sera la restitution de la Syrie à la Porte et la reconnaissance de l'hérédité en Egypte pour le Pacha. Mais il ne se dessaisira pas de tant, et il sera appuyé. On finira par trancher le différend et par lui donner héréditairement aussi deux des quatre Pachalik de la Syrie, St Jean d’Acre et Jérusalem. On dit que vous préparez dans la mer noire sous le manteau de la Circassie, une expédition qui suffirait à la conquête de la moitié de l'Asie. On dit aussi qu’on s’occupe sérieusement à Vienne de la Diète de Hongrie, et qu’une dissolution. pourrait bien avoir lieu. Espartero a écrit à Madrid que le 24, jour de la fête de la Reine, il tenterait une attaque décisive. Je suis décidé à ne croire à rien de décisif au delà des Pyrénées. Mais ce que je vous ai mandé des dires de M. Sampayo sur l’Espagne revient de plusieurs côtés. C’est une anarchie prospère partout où la guerre n’est pas, et elle n’est que sur bien peu de points.

Lundi 7 heures et demie
Je ne suis pas comme vous. J’aimerais mieux qu’on eût fait pour vous plus que le droit. Bien moins pour quelques mille livres de rente de plus que pour trouver là une bonne occasion de rapprochement. Plus qu’une bonne occasion une bonne raison ; car c'eût été un bon procédé, une preuve qu’il y avait dans la conduite passée plus d'humeur que de froideur, plus d'emportement barbare que de sécheresse. Vous avez tort dédire tant mieux de ce que vous ne devrez rien à personne. J'aimerais mieux que vous dussiez quelque chose à vos fils. J’aimerais mieux que leur tort ne fût pas complet ; et que vous fussiez provoquée à pardonner il faut tant pardonner en ce monde ! Jamais oublier, ce qui est absurde puisque c’est se tromper soi-même ; mais pardonner, pardonner sincèrement, en se résignant à l’imperfection des hommes et de la vie. Vous savez qu’il n’y a qu’une seule imperfection à laquelle je ne me résigne pas.

10 heures
Je vous ai parlé hier ou avant-hier de la situation du Cabinet. Je vous parlerai demain de la commutation de Barbés. Je me suis imposé à Paris une grande réserve de langage à ce sujet. Il y avait un parti pris d'user et d'abuser de mes paroles. Adieu. Vous avez très bien fait de ne pas envoyer votre lettre à Orloff. Laissez ces gens-là, vous voilà hors de leurs main. Vous n'aurez plus besoin d’eux. C’est tout ce que je souhaitais, et plus que je n'espérais. Adieu. Adieu à demain. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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225. Du Val Richer Lundi soir 22 Juillet 1839 7 heures et demie

Je laisse mon monde dans le jardin et je rentre, quoiqu'il fasse très beau. Le serein m’est décidément insupportable. J’ai éternué toute la nuit dernière.
Votre frère a été bien content quand il a vu que vous étiez riche comme il dit, et qu’il ne serait pas absolument obligé de braver pour vous l'humeur du maître. On fusille un pauvre diable qui a peur de l'ennemi, et lui tourne le dos. Il y a des peurs moins fondées qui ne coûtent pas si cher.
Je lisais tout à l'heure des lettres d’un spirituel républicain, M. Jefferson, qui range précisément, au nombre des immenses supériorités de la condition républicaine, celle-ci qu’un homme n'ait jamais peur d’un autre homme. Il se vante un peu ! Pourtant je comprends que la vue des embarras et des pusillanimités de cour donne aux républicains cet orgueil là. Vous voulez savoir mon avis sur la commutation de Barbés. Je trouve le fait bon en général et pour l'avenir du pays, pitoyable dans le moment et pour les personnes.
Vous savez ou vous ne savez pas que, sous la Restauration du milieu des conspirations et des condamnations, j’ai écrit contre l'emploi de la peine de mort en matière politique. Ce petit volume fort modéré et où il y a de belles pages, fit assez de bruit dans le temps et est resté populaire. Lorsque MM. de Lamartine, de Tracy, Arago, Dupont de l'Eure, George de Lafayette & sont allés faire une démarche, auprès du Garde des sceaux pour l'engager à empêcher l'exécution de Barbes, ils m'ont envoyé M. Dupont de l’Eure pour m'inviter à me joindre à eux. Je m'y suis refusé comme de raison, et j’ai prié M. Dupont de l’Eure de relire ce que j’avais écrit en 1821 : " Je viens de le relire moi-même, lui ai-je dit, et loin d'en rien désavouer, j'ai quelque fierté d'avoir écrit cela, il y a 18 ans, car je le pense encore aujourd'hui." Encore aujourd’hui, je désire l'abolition de la peine de mort dans les délits purement politiques. Je la voulais en 1835 quand j’ai fait poser en principe dans les lois de septembre, que les crimes politiques pourraient être punis de la détention dans un lieu de déportation, loin du territoire continental du Royaume. C’était là évidemment la peine qui devait remplacer, et par conséquent abolir la peine de mort. Le côté gauche n’en a pas voulu. Il a fait échouer cette loi là, savez-vous pourquoi ? Parce que ces messieurs, qui ne veulent pas de la peine de mort contre les crimes politiques ne veulent pas non plus d'aucune autre répression vraie, efficace. Point de répression, au fond voilà, leur désir. Et le gouvernement se trouve ainsi place entre la peine de mort et point de répression. Que voulez-vous qu’il fasse ? Pour moi, je désire l'abolition de la peine de mort pour ce genre de délits ; mais je veux à la place une peine réelle, efficace, qui intimide et réprime vraiment. Instituons-la ; je serai des vôtres. " M. Dupont de l’Eure, qui est au fond un homme honnête et sincère n’a su que me répondre, et nous nous sommes séparés bons amis. En voilà bien long ; mais vous voyez où j'en suis. Au fait, et je m'en félicite sans m'en vanter ceci est un pas immense vers l'abolition de la peine de mort en matière politique. Je ne sais comment on trouverait désormais pour l'appliquer, quelqu'un qui en eût fait plus que Barbés. Et quand on ne pourra plus l'appliquer, il faudra bien qu'on en vienne à instituer, une peine moins irréparable et pourtant efficace, car la société, à coup sûr ne consentira pas à rester sans défense contre les faiseurs de conspirations et d’insurrections, fanatiques, ou bandits. Mais en attendant, elle est réellement sans défense ; et les honnêtes gens s'en inquiètent ; et ils accusent de lâcheté le pouvoir qui les laisse sans défense ; et ils disent que c’est dans le seul intérêt de sa sûreté personnelle qu’il abandonne l’intérêt et la sûreté publique. Et de tout cela résulte un affaiblissement, un abaissement dont je ne m'alarme guère parce que j’ai confiance dans l'avenir, mais qui ont grand besoin que l'avenir arrive.

Mardi, 9 heures
Voilà l’armée Turque battue et dispersée. Si j'étais à Paris vous l'apprendriez par moi ; mais les journaux de ce matin vous en auront donné la nouvelle avant que j’arrive. Vous avez raison. Nous sommes plus loin, donc plus séparés. Je vous répète ce que je vous ai dit. Point de joie complète sans vous ; point avec vous. Je ne vous en aime pas moins. Adieu. Adieu. Les bains froids me préoccupent. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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226 Baden le 27 juillet 1839 9 heures

Je vous écris après une laide et triste promenade car il pleut ; et avant mon bain qui ne sera pas agréable non plus. Le médecin veut que je poursuive. J'obéirai encore jusqu'à ce que cela me rende malade. J’ai écrit à M. Démion et je viens d'écrire à M. de Pogenpohl au sujet de l’appartement qu'occupe le capitaine Jennisson. C'est sans contredit ce qui me conviendrait le mieux. Mais il faut savoir d’abord, s'il part ; et puis si ce n’est pas trop cher. Je ne veux pas donner au delà de 10 mille francs. Mes causeries politiques ont cessé depuis le départ de M. de Malzahn mais les journaux allemands me tiennent assez au courant de ce qui se passe, et le ministre de ce pays-ci M. de Blittersdorff vient me montrer les rapports qu'on lui fait de Vienne. Il a à Vienne un agent fort intelligent que je connais depuis bien longtemps le général Fittenborn partisan dans notre armée l’année 12 et les suivantes.
Le 10 on se flattait à Constantinople que l’armée Turque pourrait s'y rallier et empêcher les progrès d'Ibrahim. Mais on y savait la trahison patente du Capitan Pacha qui avait rallié la flotte égyptienne à Rhodes. Voilà le fait grave 5 heures. Il a plu toute la matinée et depuis mon bain j'ai eu une succession de visites.
Voici votre lettre. Vous me paraissez croire qu'Ibrahim, et le Capitan Pacha vont remuer le monde, c’est possible Mais je crois que la diplomatie fera les derniers efforts pour empêcher cela. Votre cabinet est bien faible pour une semblable crise. Ou pour agir s'il faut agir ! Nous saurons bientôt ce que va devenir l’Empire ottoman. Adieu. Adieu, vos lettres courtes ou longues me font toujours un grand plaisir, mon seul plaisir. Il y a quinze jours que je n’ai rien reçu de mon fils Alexandre. Je l’avais prié de me dire comment se porte Paul rien que cela, est-ce peut être là ce qui l’empêche de me répondre ? Adieu. Adieu mille fois.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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226 Du Val-Richer, Mardi 23 Juillet 1839 5 heures

Je viens d'avoir une minute très désagréable. Henriette s'est pincé le doigt dans une porte. Elle criait : " ouvrez-moi, ouvrez-moi !"" J’ai trouvé bien long le temps d’un saut jusqu'à la porte. Ce n’est rien. Elle en sera quitte pour une compresse d’extrait de Saturne pendant quelques heures ce que Madame de Talleyrand vous a fait mettre pour pareil accident. Je lui sais très bon gré de son courage (à Henriette) ; elle n’a pas pleuré du tout.

8 heures
J’ai été interrompu par un homme qui venait de Paris me demander quelques mots de recommandation pour M. Duchâtel. Je les lui ai données. Il a dîné. Il vient de repartir. Il aura fait 90 lieues pour une lettre qui, je crois, ne lui servira pas à grand chose. Je ne m'étonne pas que la conversation de M. Humann vous plaise. Il a assez d’esprit, et ce qu’il en a est bon et net, comme vous dites. Caractère peu élevé d'ailleurs, quoique grave et dont l’honnêteté naturelle a été singulièrement altérée par l’habitude, et le goût de gagner de l’argent. Vrai allemand, susceptible sans être fier ; sentimental et personnel et fort relâché dans la pratique quoique sans corruption. Je suis bien aise que vous l’ayez à Baden ; il vous distraira quelques fois.
La destruction de l'armée Turque préoccupe beaucoup le Cabinet. Non qu’il craigne les folies du vainqueur, tout indique qu'Ibrahim selon les ordres de Méhémet, se conduira, très sagement et attendra. Mais c’est un coup bien rude pour Constantinople ; et si comme on me le mande le Capitan Pacha fait défection avec sa flotte et passe à Méhémet, que deviendra, le jeune Sultan au milieu de ce tremblement de terre ? Les personnes pourraient bien, malgré leur retenue, être encore une fois lancées malgré elles dans de grandes choses. S'il est possible qu’il y ait de grandes choses pour ceux qui n'en veulent pas. Moi aussi je suis très préoccupé de ceci.Toucherions-nous déjà au moment où l’Europe sera remise en question ? Je ne crois pas. Je ne le souhaite pas. Je ne veux, à aucun prix, d'une nouvelle grande lutte révolutionnaire. Je crois que le bonheur de l’Europe des deux Europes, et ce qui me touche bien plus, son honneur, son état moral en seraient profondément altérés, et pour longtemps. Mais s'il se pouvait que les questions fussent grandes, et point révolutionnaires, et que devenues inévitables, elles contraignissent la politique à grandir aussi, ce serait bien heureux, et j'en serais bien heureux. Nous verrons.

Mercredi 24 9 h 1/2
Je n’ai pas de lettres. Cette fois, j’en suis fâché mais non pas inquiet. J’ai peut-être tort. Nous vivons dans les ténèbres. Adieu. Adieu. Vous ne m’avez pas dit à quelle époque l’arrangement de vos affaires serait définitivement conclu et signé. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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227 Du Val-Richer, Mercredi 24 Juillet 1839, 5 heures

Je viens d’écrire à Madame de Talleyrand. Je trouve ridicule d’écrire à Baden et que ce ne soit pas à vous. Vous m'aviez promis un petit dessin de votre maison, de ce qui l'environne, de la vue. Est-ce qu’il n'y a pas à Baden un dessinateur ? J’aime les lieux honorés par les pas, éclairés par les yeux... Je ne continue pas avec La Fontaine. La suite ne vous va pas du tout. Mais ceci est vrai, et tendrement dit.
La session finit mal pour le Cabinet. L'affaire de Barbés lui a porté un rude coup, un coup analogue à celui que reçut le Cabinet du 22 février de la suppression de la revue de la garde nationale en juillet 1836. Presque personne ne croit qu'ils puissent gouverner jusqu'à la session prochaine. Moi, je suis convaincu que, sauf de grands incidents, ils iront jusques là, et qu'alors, le remplacement sera très difficile. Je persiste à croire qu'une seule combinaison est efficace. Je ne ferai jamais rien qui la rende impossible, mais j'attendrai qu'elle vienne me chercher. Elle rôde beaucoup autour de moi depuis six semaines, même ici. Je suis sûr que les ministres se regardent eux-mêmes comme très atteints. Deux seulement ont un peu gagné, M. Villemain comme orateur, M. Dufaure comme homme d’affaires et debater. Il me semble que je vous ai déjà dit tout cela. Mais vous vous plaignez que je ne vous parle pas du Cabinet. Savez-vous pourquoi on dit autour de vous que la gauche est en progrès ? Parce qu'on en a peur. Il y a longtemps que les peurs de l’Europe nous font ce mal là Je dis de votre Europe. La gauche lui semble irrésistible et elle se hâte toujours de prédire son triomphe. Ce n'est pas la gauche qui gagne du terrain, c’est la faiblesse universelle. La gauche s'affaiblit et se décolore comme le reste. Pas plus de gouvernement que d'opposition ; pas plus d’opposition que de gouvernement; voilà notre mal. S’il durait une nouvelle gauche apparaîtrait bientôt sur les ruines de l'ancienne, une vraie gauche révolutionnaire. Peut-être faut-il cela pour qu’un gouvernement reparaisse aussi. J’espère que non.

Jeudi 10 heures
Imaginez que tout à l'heure, quand le facteur m'a remis son paquet, j’y ai tout de suite cherché votre lettre. Point de lettre. Il y en avait dix au douze que j'ai jetées là avec une immense humeur. Puis j’ai cherché encore. Votre lettre s’était glissée dans un journal. Quand vous avez mal à la tête, essayez-vous d'aller vous asseoir en plein air, dans quelque coin bien tranquille, et de rester là immobile, les yeux fermés, loin de toute lumière et de tout bruit, & y dormir même ? Ce complet repos, dans un bain d’air a toujours été pour moi le seul remède aux maux de tête, dans un temps où j'en avais beaucoup.
Comment me demandez-vous pourquoi je n’ai pas été à Neuilly ? Vous n'avez donc pas vu dans les journaux, même officiels, que j’y ai été le samedi soir 20. Il est vrai que j'étais ici le vendredi matin 19. Apparemment quelqu'un y été pour moi. J’y serais allé sans l'affaire de Barbés. Je ne voulais pas m'en expliquer, et on m'en aurait certainement parlé. J'ai dit à deux personnes que je n'irais pas, et pourquoi. Elles l’ont sans doute redit et on m'a supplié. Savez-vous ce que fait le rédacteur du nouveau journal qu’on vous attribue, le Capitole ? Il fait auprès de la grille du bois de Vincennes, des discours en l’honneur d’Armand Carrel dont la statue a été inaugurée là hier matin. Il y est enseveli. Il y avait assez de monde, quoique fort paisible. Plusieurs discours ont été prononcés. On n’a remarqué que ceux de M. Arago et de M. Charles Durand, ce rédacteur.

Vendredi, 8 heures
Vous me dites que le chaud vous empêche de sortir. Nous avons froid, depuis mon retour ici. Je n’ai jamais vu si peu d’été. Il y a un grand et bel appartement à louer rue de Lille au coin de la rue de Bourgogne. La position est bonne ; mais pas de jardin. Et puis, cela ne me paraît pas gai. Plus, un joli petit hôtel nue Lascazes entre la rue Belle-Chasse et la place Belle-Chasse. Le Duc de Crussel l’occupait naguère. Un rez-de chaussée et deux étages, et un petit jardin, 5 à 6000 francs. Ceci serait mieux, quoiqu'un peu plus loin. Pour vous, la maison est gaie, la vue gaie, et vous seriez seule chez vous. Pour moi, c’est près de la Chambre. Voulez-vous que je le fasse visiter avec soin et que je vous en envoie la description détaillée ? C'est presque en face les derrières du jardin de l’hôtel Danson, où est M. de Stackelberg. Adieu. Quand nous occuperons-nous ensemble de l’arrangement de votre maison ? Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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230 Du Val-Richer, Mardi 30 Juillet 1839 2 heures

Je rentre d’une longue promenade avec mes enfants. J'ai découvert, à quelques minutes de la maison, un terrain presque inculte que je ne me connaissais pas dans une position charmante, à droite la vue de la maison dont on n'est séparé que par un ravin où coule une petite source, à gauche, une percée sur une vallée large et riante, en face et derrière de grandes bois en amphithéâtre. Je planterai là un petit bois. L’idée de cette plantation et votre idée me sont venues en même temps absolument en même temps ; je ne saurais dire qu’elle a été le première. Tout ce qui me plaît me fait penser à vous. Rien ne me plaît vraiment qu'avec vous.
Je voudrais que votre frère eût raison pour votre fortune. Je connais cette façon de se débarrasser de toute inquiétude sur le compte des gens en exagérant leurs avantages. Certainement on dit hableur. Quand vous aurez reçu de nouveaux détails sur vos arrangements, sur le partage des meubles sur l'époque où vous toucherez les capitaux, mettez-moi au courant. Je suis beaucoup plus tranquille que je ne l'étais. Je ne le suis pas encore assez pour mon plaisir.
Mes dernières nouvelles d'Orient restent un peu en suspens. Ce qu'on m’avait mandé me paraît plutôt commencé qu'accompli. Si Méhémet trouve moyen de donner satisfaction à l'Angleterre pour l'isthme de Suez, ses affaires seront bonnes. Mais il faut qu’il fasse cela. Je n’ai rien reçu le matin.

9 heures
Vous voulez revoir ce que vous avez aimé. Vous voulez y croire. Vous y croyez bien plus que vous ne pensez. Vous y croyez naturellement, spontanément, par instinct, c’est-à-dire par l'élan primitif et libre de votre âme. Vous croyez à bien plus qu'à la réunion dans l'avenir. Vous vous croyez en rapport avec eux encore à présent, toujours d’un monde à l'autre. Pourquoi les appelez-vous les priez-vous ? Pourquoi levez-vous les yeux, joignez-vous les mains vers eux. Feriez-vous tout cela, la moindre de ces choses-là si réellement, au fond de votre âme, vous les croyiez sourds, insensibles, tout-à-fait étrangers à vous, morts vraiment morts ? Nous portons en nous une foi obscure, mais invincible à une relation inconnue, mais réelle, avec les êtres chéris qui nous ont quittés. Ils ont des droits sur nous, nous avons des devoirs envers eux. En nous acquittant de ces devoirs, nous croyons satisfaire à quelqu'un. Si nous y manquions nous croirions avoir manqué à quelqu'un. A cette croyance se joint même le sentiment que les morts ne pouvant réclamer, ni se faire rendre eux-mêmes, ce qui leur est dû la dette n'en est pour nous que plus sacrée. Qu’est-ce à dire ? Les morts jouissent-ils ou souffrent-ils donc de ce que leur accordent ou leur refusent les vivants ? Je ne puis pas vous répondre. Je ne dois pas toutes de vous répondre. Comment l'être qui n’est plus de ce monde peut-il être encore affecté de ce qui s’y passe ? Quelle société peut l’unir encore à ceux qui y sont restés ? L'homme ne le conçoit pas, et dès qu’il le cherche, il s'égare. Cependant il y croit, et ne peut pas plus échapper à l’instinct de sa nature que dépasser les limites assignées à sa science. Et remarquez que cet instinct n'a point de prétentions scientifiques ; il se suffit à lui-même. Au moment où l'homme, obéissant à cette voix intérieure, s’acquitte envers les morts de quelque devoir pieux, aucune curiosité, aucun doute ne le préoccupe ; il n’a nul besoin de savoir quel est leur mode d'existence ou quel mode de communication est possible entre eux et lui. Il agit en vertu d’une foi irréfléchie dont il se contente, certain, sans s’inquiéter de la route ni du moyen, que son action a un objet, que ses sentiments iront à leur but. C’est seulement lorsque d’acteur l'homme devient spectateur, lors qu’il interroge sa nature au lieu de la suivre et s'examine au lieu de se croire c’est alors que s'élèvent en lui les doutes de l’esprit, les besoins de la science, et qu’il entreprend, pour devenir savant, de franchir des limites au delà desquelles ses croyances instinctives ne le portaient point. Regardez dans l'âme de cette femme, de cette fille qui vont auprès d’un tombeau, offrir à un mari, à un père, tant de marques de tendresse et de respect. Croient-elles savoir, sur son état depuis la mort, sur sa relation avec elles, ce que cherchent les philosophes ? Pas du tout. Les problèmes qu'agitent les philosophes n'existent pas pour elles ; si elles les voyaient, elles seraient, comme les philosophes, tourmentés du besoin et de l’impossibilité de les résoudre. Essayez de soulever ces problèmes dans leur pensée : demandez-leur comment elles se figurent que le parfum de ces fleurs qu'elles cultivent la fraîcheur de cet ombrage qu'elles entretiennent, vont charmer l'être à qui s'adressent leurs soins. Vous les verrez saisies de trouble ; vous n'en recevrez que des réponses timides, contradictoires. Peut-être même leurs paroles démentiront- elles leurs actes ; peut-être s'accuseront-elles de faiblesse et d’erreur avant votre intervention, elles ne croyaient pas en savoir davantage ; elles ignoraient ce qu'elles. ignorent ; mais elles ne le cherchaient point. Elles adhéraient fortement à une foi simple, naturelle ; et jouissaient de ses espérances, et agissaient selon ses inspirations, sans rien demander de plus. C'est le caractère de cette foi qu'elle n’a point de réponse aux doutes, point de solution des problèmes qu’élève la curiosité de l’esprit. Elle n’est point curieuse elle-même ; elle existe ; elle affirme les faits qu'elle entrevoit. Ne lui demandez pas de les démontrer, de les expliquer. Elle est invincible et sans aucune prétention. Ecoutez-la ; elle vous consolera ; ne l’interrogez pas, car elle ne se chargera point de vous instruire, sublime et modeste à la fois, elle révèle l'avenir et ne tente pas de le dévoiler.

Mercredi 10 h.
Ne manquez pas de me répondre sur le petit hôtel de la rue Belle-Chasse, qu’occupait M. de Crussot. Beaucoup de vos convenances m'y paraissent réunies. J’aimerais bien mieux l'entresol de la rue St Florentin. Mais je crains qu'on n'en veuille 12 mille francs. Adieu. Adieu. Pendant une semaine, vous n'aurez eu de lettre que tous les deux jours. Mais nous voilà, au même pas. Encore adieu. G.
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