334. Paris mardi 31 mars 1840,
Vous avez bien raison, M. Molé ne peut pas être votre rival. De plus j’ajouterai, que je ne vous ai jamais trouvé inquiet à son égard. Je cherche si vous l’avez jamais été pour quelqu’un, je ne trouve pas. Vos lettres sont charmantes vous ne sauriez croire comme elles m font rire quelque fois, tant les portraits sont ressemblants. M. de Neumann qui mange avec autorité ! Comme je le vois d’ici !
Lord Holland mande à lord Granville que vous plaisez extrémement à lord et Lady Palmerston et que la danse du Russian bear n’enlève, rien à vos succès. Au fait que dit-on de M. de Brünnow ? Est-ce qu’on ne le trouve pas un peu ridicule. J’ai été enfin au Bois de Boulogne hier, mais pour un moment il faisait encore froid ; j’ai fait une courte visite à Lady Granville et voilà tout. J’ai dîné chez les Appony avec Médem. Il ne quittera Paris qu’en été. Il ira à son poste, il y passera l’hiver, il prend son parti, il n’y a pas autre chose à faire. J’ai vu le soir Madame de Boigne, Fagel, Arnim, Esham, le duc de Noailles, les Poix. Fagel est ravi que son maître ne se marie plus. Madame de Boigne est excessivement officielle d’ailleurs il y avait du monde. Le Duc d’Orléans va toujours en afrigue. J’ai eu une lettre de mon frère pour m’annoncer que Pahlen venait de se mettre en voiture le 18. il me remercie beaucoup de mes intéressantes lettres. Il parle du changement de Ministère ici comme de nouveaux visages, sans dire ni mal ni bien. Voilà la lettre, rien du tout. Il m’annonce sa femme pour l’hiver prochain. Je me réjouis beaucoup de voir Ellice. Lord Brougham s’annonce aussi pour le 1 avril. Pahlen sera ici le 10. Voilà bien des ressources à la fois. Je crois que Lady William Russel vient. Au fond vous avez raison dans ce que vous dites d’elle, mais si vous y regardiez de plus près vous seriez frappée de son instruction. Lady Jersey a une querelle de robe avec Madame Appony qui est pour mourir de rire. Celle ci croit bien faire de lui envoyer des couleurs de son âge, l’autre est furieuse, elle renvoye et prétend qu’on reprenne, Palmyre ne veut pas reprendre. la Robe pensée reste flottante entre Douvres et Boulogne, Lady Jersey jure qu’elle ne payera pas ; Mad. Appony pleure, c’est vrai elle pleure. Elle a écrit à lady Jersey une lettre vive pour l’assurer qu’elle ne ferait plus ses commissions. Quelle idée d’en faire jamais.
Mercredi 1er avril. 9 heures
Voici du soleil, il n’y en a pas eu depuis longtemps, mais j’en suis indigne. Je me sens souffrante vraiment je n’ai plus deux jours de santé. Le médecin me dit que c’est la bile qui me tourmente mais c’est bien long et je ne mange pas, et rien ne me plaît. J’ai fait une assez longue promenade hier avec Marion au bois de Boulogne. Je n’ai point fait de visites. J’ai été dîner chez Mad. de Talleyrand. Il y avait le duc et la duchesse. de Noailles, Médem, Armim, quelques autres rien de nouveau si ce n’est un commérage de M. Molé à M. Royer Collard, dit par celui-ci à Mad. de Talleyrand qui a bien fait de me le conter. J’ai dit à M. Molé que vous aviez présenté une note à lord Palmerston à laquelle il a répondu par une courte note fort peu aimable, que vous aviez eu à la suite de cela une scène des plus violentes avec M. de Brünnow ; après quoi vous ne vous parliez plus ! Je demande comment avec M. Molé on peut être à l’abri des mensonges quand il n’y a pas le premier mot de vrai ou même de vraisemblable à tout cela. En vérité je serais bien habile si je découvrais dans vos lettres un seul mot sur les affaires. Et je serais particulièrement une sotte si, devinant même quelque chose que ce soit j’allais en faire part à M. Molé ! Il ne m’a pas été facile de convaincre Mad. de Talleyrand qui s’est engagée à prévenir M. Royer Collard de ne jamais croire un mot de ce que M. Molé lui dira sur mon compte. J’ai cru devoir vous raconter ce petit rapportage.
J’ai vu le soir chez moi, le petit Graham, le plus glorieux des hommes de la grossesse de sa femme. L’Internonce, très longtemps seul et Brignoles, voilà tout. Le dernier opéra avait enlevé tout le monde. L’internonce a de l’esprit, on peut causer avec lui. Il m’a raconté des souffres. Il m’a un peu raconté les embarras d’archevêque. J’ai mal dormi, j’ai le rhumatisme au bras gauche.
10h 1/2
Voici le 332. Que vos lettres sont charmantes à lire ! Je vous remercie de tout ce que vous avez pensé en vous promenant dans le Regent’s Park. Il y a un cottage sur la colline qui a toujours fait mon envie, c’est l’un de ceux que vous avez regardés. Vous rencontrerez peut être à Londres, un M. Danson Dancer, frère de Lord Portarlington, il revient d’Egypte ; il est très égyptien et très Tory. C’est un ami d’Ellice et ils viennent ensemble je crois à Paris, où il a laissé sa femme. On dit qu’il est assez intéressant à entendre sur l’Egypte, il a causé avec le Pacha. Croyez-vous que vous arriverez à conclure quelque chose à Londres ? Thiers a dit hier à Brignoles qu’Ibrahim Pacha avait 130 mille hommes sous ses ordres ! Thiers a promis à Médem de conserver M. de Barante à Pétersbourg. Il paraît en général qu’on ne déplacera personne. Appony est toujours de bien mauvaise humeur. Si le Roi fait des confidences à quelqu’un c’est à lui. Le Roi dit peu, et quand il parle, c’est tristement. Il est très éffacé.
Adieu. Il me semble que je n’ai plus rien à vous conter, mais j’attendrai deux heures. Adieu. Adieu.
J’ai lu à Lady Granville la lettre de la Duchesse. Elle m’a avoué qu’elle n’avait pas cru que les Sutherland m’attendirent chez eux, parce que le duc est toujours un peu nervous et qu’un nouveau visage, quoique le mien soit bien vieux, pouvait peut être le géner. Cependant la lettre de la duchesse l’ébranle, sans tout-à-fait la convaincre. Pour éclaircir cela elle va écrire à sa sœur Lady Carlisle? J’attendrai la réponse. Madame de Tumilhac est morte à Rome, le Duc de Richelieu vient de partir pour ramener le corps.
2 heures rien de nouveau. Adieu.