343 Paris Mardi 14 avril 840
J’ai fait visite à Lady Granville hier matin, et une très longue promenade avec Marion. Je me suis même fatiguée, je suis rentreée pour me reposer. J’ai dîné seule. Le soir j’ai vu Mad. de Boigne, Razonmowsky & Lobkowitz, quelques petits hommes et mon Ambassadeur nous sommes restés seuls après onze heures. Il est très difficile de tirer de Pahlen quelque chose, cependant cela est venu. Et bien il n’y a rien de nouveau. L’Empereur est ce qu’il était, toujours la même hostilité personnelle toujours la même passion. M. de Pahlen a toujours combattu sans gagner un pouce de terrain. Il n’est chargé d’aucune parole aimable, de rien du tout. Il a vu Thiers. Ils ont un peu causé. Il lui a dit que favoriser le Pacha, c’est affaiblir la porte & que puisqu’on veut l’intégrité de l’Empereur ottoman, puisqu’on le dit, il faut lui rendre la Syrie. The Old story again and again. Voilà tout. On pense mal de tout ceci. il est bien égal qui gouverne ici Thiers ou tout autre. Cela s’en va. Je crois que je vous ai donné l’essence. Pahlen a fort bonne mine ; il est content d’être ici et de n’être plus là. Il ne parle pas très bien de M. de Brünnow, un plat courtisan dont les longues et habiles dépêches sont lardées de flatteries pour l’Empereur. On le croit un grand homme. Sa nomination a fort mécontenté en Russie. Lady Clanricarde me le mande aussi. A propos, elle m’a écrit une lettre fort spirituelle. Je vous l’enverrai, par courrier Français car elle est volumineuse. Il n’y a rien de pressé, car il n’y a rien de nouveau, mais vous la lirez avec plaisir. Le temps est doux et charmant aujourd’hui. J’ai déjà marché. Et puis j’ai fait ma longue toilette et je ne viens à vous qu’à une heure. Aujourd’hui vous dînez chez les Berry. Je suis sûre qu’elles vous donneront lady William Russell et que sans jamaisvous plaire beaucoup elle vous paraîtra une bonne ressource de conversation. L’impératrice vient en Allemagne à Erns. La grande duchesse Hélène aussi.
Mercredi 15 avril 1 heure
Je réponds au 341. Pardon de cette rature. Vous ne savez pas comme j’ai été tracassée de bêtises, toute la matinée. J’expie le péché d’avoir été lire votre lettre sur la terrasse des Tuileries, et d’y être restée avec vous et un charmant souffle du midi pendant une heure. Tout est retardé, renversé, & maintenant il faut que je vous écrive et vous aime vite, ce qui m’est on ne peut plus désagréable car il me semble que j’ai beaucoup à vous dire. Mais d’abord merci, merci de votre lettre, de Richmond de tout. Ah si vous saviez comme vous avez raison d’être ému en voyant Richmond. Toute ma vie jusqu’au 15 juin se résumait dans ce lieu Richmond. Car ce n’est que là, là que j’ai connu un vrai bonheur. Mon Dieu mon Dieu, que j’y ai été heureuse comme je le sentais, comme le disais, et comme en le quittant je me suis dit avec ferveur, ma vie est finie. Ah quel souvenir ! Je suis si occupée de l’idée que vous avez vu Richmond ; regardé ce que j’ai tant regardé, marché là où je goûtais tant de joies innocentes et pures, & vives et passionnées car je les aimais avec passion.
Je suis tellement occupée de cette idée que je ne vois que cela dans votre lettre par le premier moment des pars. Est-ce que rien ne m’avertissait que vous seriez à Richmond un jour ? Voilà que je bavarde et je veux parler.
J’ai été voir votre mère hier. Pauline est souffrante sa mine m’a un peu alarmée, mais il est vrai qu’elle a toujours l’air délicat. On me dit qu’elle est mieux aujourd’hui. Elle m’intéressait hier beaucoup. D’abord elle vous ressemble beaucoup elle a vos yeux, elle a l’air triste de cette tristesse maladive, chère petite j’espère qu’elle va se remettre par cet air doux. Je n’aimais pas l’air de ces chambres hier, un air de cave tandis que dehors il faisait si doux et si calmant comment ne pas tenir un peu les fenêtres ouvertes ? J’aurais voulu arranger cela la placer du côté du midi les autres ont une mime excellente, votre mère aussi. Il y avait une dame et deux hommes ils avaient tous l’air bien shabby. Je ne sais pas au monde qui c’était. Ils parlaient de vous comme il convient d’en parler mais dans un langage un peu banal. Imaginez que je ne sais pas faire votre éloge ce qui s’appelle éloge, c’est trop vulgaire, mais mon silence me donne un air d’intimité ou d’hostilité comme on voudra le prendre. Je crains cependant qu’on ne s’en tienne à la première explication ; et cela m’embarrasse un peu, et cependant les paroles ne viennent pas. On ajoutait, c’est cependant un poste bien difficile. Alors j’ai dit, un peu avec l’accent que vous y auriez mis, " Mais c’est pour cela seulement qu’il l’a accepté."
Voilà qui a dû avoir l’air un peu trop ménage. Je ne sais qu’y faire. Je n’ai pas vu Mad. de Meulan, j’en suis bien aise. On dit qu’elle bavarde et pérore; et qu’elle va toujours à Londres. N’a-t-elle donc pas compris ? J’ai été seule au bois de Boulogne mais bien longtemps ; j’ai dîné seule. Le soir Granville, Brignole, Miraflores, Capellen, Armin, Médem, Pahlen junior. le Senior faisait des visite, lady Landwich, le Prince de Chalais. On parlait beaucoup de la séance à la Chambre des pairs. Granville y avait été. Mais j’en ai une meilleure idée après avoir parcouru ce matin les journaux. Savez-vous que M. de Broglie n’a pas lieu d’être tout-à-fait content. M. Thiers ne regarde comme exactes que les paroles qu’il dit lui même. Est ce que cela veut dir que M. de Broglie a menti ? Je serai curieuse d’appendre ce qui l’en pense. On disait généralement que M. de Villemain avait été de mauvais goût dans son attaque contre Thiers. Thiers me parait avoir parlé très habilement.
Génie est venu me trouver ce matin, il dit que les médecins ne sont pas d’opinion que votre mère puisse passer la mer. Vous le dit-on ? Je suis très préoccupée de cela maintenant. Je voudrais que vous eussiez plein contentement dans les projets que vous me dites à cet égard. Génie ne le croit guère. Je passerai à votre porte pour savoir moi-même des nouvelles de Pauline. Ai-je quelque chose à vous dire encore ? Je n’en sais rien. Je suis pressée. Mad. Appony s’annonce et je veux avoir fermé ceci. Je savais bien que Holland House vous plairait, et bien voilà ce caractère qu’ont tous les chateaux anglais, en y ajoutant une même magnificence, qui elle aussi atteste la durée. Tout y est vieux respectable respecté et puis le luxe, le soin, le confort par dessus le marché. Ces Anglais sont trop heureux ! Il n’y a pas de grandes existences à côté de celles-là. Adieu, je vais écrire à la Duchesse de Sutherland, ils m’attendent chez eux. Mais il faut qu’ils sachent que je ne puis pas monter d’escaliers, et je ne sais pas s’ils ont encore à me donner un appartement au rez de chaussée ; car coucher au second, j’aime mieux coucher dans la rue. Pardon de cet horrible griffonnage ; ma main tremble, je crois que ce changement de temps subit m’agace les nerfs.
Adieu, adieu, à demain.