372. Paris le 13 mai 1840
J’ai revu l’écriture de mon fils, j’en ai remercié Dieu du fond de mon âme. Je respire ; je me mets maintenant à sa disposition, je lui ai écrit aujourd’hui. Dans mon inquiétude je faisais ma volonté, et demain je partais. Dans sa convalescence je veux faire sa volonté à lui, afin de ne point contrarier le projet qu’il aurait de venir passer quelques temps encore à Paris. Il me dira donc, si sa convalescence devait durer, il veut se rendre de suite après à Baden, alors je me rends de suite à Londres. Si au contraire il veut et peut venir à Paris passer quelques semaines, Je l’attends. Vous saurez donc mon mouvement par d’autres que, par moi. Car cela va se décider entre Brodie et mon fils. Benkhausen sera instruit de cela aussi ; je lui avais écrit hier comme à vous que je partais demain. Je vous avoue que ce répit me soulage. Mon angoisse, mes tracasseries m’avaient donné la fièvre, je déraisonnais, tant j’étais agitée, il me semble que deux jours de vrai repos seulement me feront grand bien. Je vous conjure de m’écrire tous les jours, de ne pas vous fâcher des reproches que je vous ai faits. Songez un peu à tout ce qui traverse la tête quand on a le cœur vraiment inquiet. Voyez les contradictions entre vos lettres et celles des autres. Vous ne voyant pas mon fils, les autres le voyant. Enfin pardonnez-moi, et écrivez-moi je vous en supplie, sachez me dire tous les jours un mot de lui, mais un mot vrai. N’est-ce pas vous le ferez ? Si je partais demain, je vous verrais dans peu de jours ! Cette pensée un fait tressaillir. Mais enfin ce que je décide, ou plutôt ce que j’abandonne à la décision de mon fils me paraît raisonnable. N’est-ce pas ?
Le coup de théâtre a été frappant hier à la Chambre, mais j’ai cherché votre nom dans le discours de M. de Rémusat sans le rencontrer cela m’étonne ! Le fait a beaucoup d’éclat, en a-t-on bien pesé la portée ? Défendez-vous à la famille Bonaparte d’assister aux obsèques ? Ce serait une inique injustice. En le permettant, cela n’est pas sans danger. Cette cérémonie touchant peut-être dans le moment de nouvelles élections (car vous les aurez) n’est-elle pas un coup monté par la Gauche ? Enfin, enfin, tout est étrange.
Je viens de voir Génie. ce que j’ai lu est parfait mais ce qu’il m’a dit de la séance d’hier de la commission est bien mauvais. L’été ne se passera pas sans quelque événement qui doit influer sur votre destinée. C’est là ce qui me préoccupe beaucoup. Je n’ai vu personne ces deux derniers jours quoique tout le monde. soit annoncé. Je n’ai reçu que lady Granville tous les jours à 6 heures, et mon ambassadeur le soir à 10. Personne ne m’a vue du reste. J’étais dans un état abominable. Le petit mot de mon fils m’a fait un bien immense. Il me semble que je sois d’une grande maladie. J’étais en démence. A propos M. Molé était donc mieux enformé que vous quand il me disait il y a cinq semaines qu’on redemandait les restes de Napoléon ! Vous le niiez alors.
Adieu. Je suis pressée, parce que devant partir demain je me suis mis sur le corps une quantité d’embarras dont je ne puis pas sortir tout de suite. Adieu. Adieu. Adieu. Encore Adieu. N’essayez par de voir mon fils cela le troublerait mais faites encore parler Brodie, c’est infiniment plus sûr. Adieu.