Des Nymphes.
CHAPITRE XIII.
Genealogie des Nymphes.NOVS auons cy-deſſus appris, que ſelon la doctrine des Platoniciens, les Demons ſont vne moyenne diſpoſition entre les Dieux & les hõmes : mais il faut entendre qu’il y a encore vn autre ſubalterne moyen entre ces deux dernieres creatures, qui ſont les Nymphes, filles ſelon le dire des Anciens, de l’Ocean & Tethys. Ainſi l’atteſte Orphee en l’hymne des Nymphes. Virgile au 8. liure les appelle meres des riuieres. Orphee en l’hymne ſuſdit ne les qualifie pas ſimplement du nom commun de Nymphes, mais les appelle Filles Hamadriades. Diuiſion des Nymphes en general.C’eſt pource qu’elles ſont diſtinctes en pluſieurs claſſes & rangs ; car les vnes ſont celeſtes, les autres terreſtres, les vnes preſident ſur les riuieres, les autres ſur la mer, les autres ſur les eſtangs & marais. Cette diuision a eſté faicte par Mneſimache Phaſelite, & Homere en l’hymne de Venus fait mention d’vne partie de leurs ordres :
S’il s’y voit quelque Nymphe ou de celles qui gardent Les paſtis forestiers, ou bien qui ſe mignardent En ce coſtau ſacré, où qui nagent és eaux, Ou qui cueillent des fleurs és verdures des preaux.
Quelques-vns ont eu opinion que les Nymphes terreſtres ont nourry Cerés & Bacchus. Quant aux celeſtes, on croyoit que ce fuſſent les ames des ſpheres, nommees auſſi Muſes, & les forces & vertus qui de là paruiennent iuſques à nous. Nymphes terreſtres.Entre les terreſtres, les vnes eſtoient commiſes ſur les foreſts, comme les Dryades ; les autres ſur les montagnes, comme les Oreades, autrement Oreſtiades ; les autres ſur chaſque arbre ſpecialement, cõme les Hamadryades ; les autres ſur les paſturages vergers & iardinages, comme les Nappes, car napos ſignifie verger & paſturage. Celles qui preſidoient ſur les riuieres, s’appelloient Naiades (& donnoient la declaration des Oracles que Themis proferoit au Parnaſſe, ſi embroüillez & ſi ambigus, qu’autrement on ne les pouuoit entendre) pource que les riuieres coulent touſiours, car naiein ſignifie couler. Item les Nymphes des eſtangs ſe nommoient Limniades, de limné, c’eſt à dire eſtang. Et celles qui dominoient ſur les fontaines, on croyoit qu’elles ſe tinſſent cachees dans les eaux, & pour ce regard ont eſté nommees Ephydryades : auſquelles auoient accouſtumé de ſacrifier ceux qui foüiſſans en terre trouuoient quelque fontaine, ou vifue ſource d’eau, croyans que ce fuſt par le benefice deſdictes Nymphes. Les autres eſtoient marines, & ſe nommoient Nereides, ou Nereïnes. Or que certains lieux fuſſent ſanctifiez à pluſieurs diuinitez, & pourquoy cela ſe faiſoit, Denys de Halycarnaſſe l’enseigne au 1. liure, disant : Les montagnes et paſquis ſont conſacrez à Pan, les prairies & lieux de verdure aux Nymphes, & les iſles aux Dieux marins : quant aux autres lieux, chaſque Dieu en a ſa part ſelon qu’ils ſont conuenables à ſa nature.
Pauſanias faict mention d’vne Nymphe qu’il nomme Lilee, fille de Cephiſe ; & d’vne autre, Nomie, natifue d’Arcadie, & dit que les Nymphes ne ſont pas bonnement immortelles, ny exemptes du treſpas ; bien viuent elles vn nombre infiny d’annees, ſelon l’aduis des anciens Poëtes. Plutarque en la ceſſation des oracles, fait les Demõs & Nymphes ſubjets à treſpas, deſquelles Herodote limite la vie à celle de dix Phœnix : de ceux-cy ; à neuf Corbeaux : du Corbeau à trois Cerfs : du Cerf, à quatre Corneilles : de la Corneille, à neuf hommes. Ce qui reuiendroit, à prendre ſeulement l’aage de l’homme à ſoixante ans, ans, à cinq cens quatre-vingts trois mille deux cens. Mais Plutarque prend ce mot d’Herodote geneà, pour vne annee, non pour l’aage que l’homme vit communément ; & fait reuenir cette ſomme à neuf mille ſept cens vingt ans, que dure la vie des Nymphes. Or elles n’inſpiroient pas moins les Poëtes que faiſoient les autres Dieux. C’eſt pourquoy Pauſanias eſcrit és Meſſeniaques, que quelques vns diuinement inſpirez par les Nymphes auoient predict les ruines de certaines villes : joint qu’on croyoit qu’elles fuſſent auſſi inuentrices des deuinemens. Sacrifices des Nymphes.Theocrite és Voyagers nous apprend que ceux qui leur ſacrifioient, leur offroient du laict & de l’huile :
Aux Nymphes i’offriray de laict vne grand taſſe, Ie leur en donneray vne autre d’huile graſſe.
On leur ſacrifioit auſſi vne cheure, comme il teſmoigne en ladicte Eclogue :
Crocyl me la donna n’agueres immolant Aux Nymphes en offrande vne Cheure bélant.
Et parce qu’elles prenoient plaiſir à cueillir des fleurs, deſquelles le miel ſe fait, quelques vns ont pris occaſion de penſer qu’il leur falluſt auſſi preſenter du miel, ſuiuant l’aduis deſquels Virgile les introduit recueillans des fleurs :
Les Nymphes vont portans à pleins paniers des lis Pour t’en faire preſent, et la blanche Nais Te cueille de ſa main violetes palliſſantes, Et teſtes de pauot de ſommeil ſopiſſantes.
Les autres aiment mieux dire que c’eſt pour auoir monſtré à Ariſtee, nourry (ce dit-on) de leur main, la facon de faire le miel & l’huile. On leur offroit auſſi du vin, comme dit Euſebe, ſuiuant vn Oracle d’Apollon. Voilà quant aux Fables des Nymphes.
¶Mythologie des nymphes.Or ils les font filles de l’Ocean & meres des riuieres, entendans par elles la vertu de l’humeur accompagnant la terre & les plantes, & la nature de l’eau qui ſert de beaucoup pour la procreation des animaux, des fruicts, & des plantes, leſquelles auec Cerés & Bacchus engendrent toutes choſes. Il les faut prendre pour ladite vertu d’humeur, non pas que toute la matiere des eaux ſoit propre & commode, ou pour engendrer, ou pour nourrir les creatures : mais vne partie d’icelle ſe conſume en ce qui prend naiſſance, l’autre tourne en la nourriture de ce qui eſt procreé, comme l’on void és œufs ; l’autre partie s’en va en excrement, par l’opifice de nature. Les anciens ont doncques appellé Nymphes les forces & facultez deſquelles conſiſte la generation de tout ce qui eſt és eaux ; leſquelles eſtans encore en la nature vniuerſelle des eaux, ils les ont dict filles de l’Ocean, pource qu’elles tiroient de là leur premiere naiſſance. Raiſon de leurs noms.Et parce que de ces meſmes facultez proceda tout ce qui depuis vint à s’eſpandre en ri- uieres coulantes, elles ſont qualifiees meres des riuieres, & generalement de toute generation. C’eſt pourquoy les Poëtes les appellent fruictieres, porte-fleurs, nourrices de Bacchus, voire de toutes perſonnes & animaux, Deeſſes des paſtres, & des prez, & preſidentes des haras & troupeaux. Que la force de l’humeur des Nymphes ſoit telle, cela ſe monſtre par la nature de cette herbe que Dioſcoride appelle Nymphee (communément Nenuphar) comme qui diroit aquatique, pource qu’elle aime fort l’eau. On a dict qu’elles habitoient ſous terre, d’autant que l’on tient la ſource des eaux douces venir de ſoubs terre en lieux cauerneux, & ſe faict de l’air mué en eau, ainſi qu’elles croiſſent par les vapeurs de la mer conuerties en pluyes. Et d’autant que les ſuſdites vertus propres à engendrer eſtoient diffuſes & eſpanduës par la mer, par les fleuues, eſtangs, fontaines, ruiſſeaux, & montagnes, voila pourquoy ils ont eſtably les Nymphes pour preſider ſur tous & chacuns les lieux ſuſdits. Et comme ainſi ſoit que les Eſtoilles meſmes, ſelon l’opinion de quelques vns, ſe nourriſſent d’humeur, ils ont auſſi logé les Nymphes auec les ſpheres : leſquelles, exceptees quelques-vnes, ils n’ont pas eſté curieux de nommer par noms particuliers. De leur mortalité.La pluſpart des Poëtes les tiennent eſtre mortelles : ce qu’il ne faut pas rapporter à quelque ſeparation de corps & d’ame : mais bien à ce que toute l’humidité & la liqueur dont elles conſiſtent, ſe doit en la finale conflagration du ſiecle, exterminer par l’ardeur du feu qui conſumera l’vniuers. Quant à la nature des Nymphes, les Sacrifices qu’on leur offroit montrent aſſez quelle elle eſt : car tout ainſi qu’és Sacrifices des Dieux celeſtes ils ſe ſeruoient de feu, de luminaires, & de pluſieurs autres choſes appartenans à la veuë : & qu’en ceux des Demons aëriens ils appliquoient des airs de muſique, & des odeurs qui par leur douce melodie, & leur doux parfum, pouuoient accoiſer l’air : auſſi és myſteres & ſolemnitez des Dieux terreſtres & marins, ou de ceux qui generalement preſidoient ſur les eaux, ils leur preſentoient des choſes concernans le gouſt, & qui ſont ſolides : d’autant que telles deïtez denotoient vne groſſiere matiere, comme nous auons dict. En vn mot, de telle nature & qualité qu’eſtoient les Dieux, tels eſtoient les lieux, les ſacrifices & ceremonies qu’on leur dedioit, affin qu’on les peuſt mieux cognoiſtre. Or il eſt temps de quitter les Nymphes, & entaſmer le diſcours de Bacchus.