Du Sanglier de Calydon.
CHAPITRE IV.
MAIS dautant qu’à peine y a-il aucun des anciens Poëtes qui n’ait faict mention du Sanglier de Calydon, voyons brefuement ce qu’ils en diſent. Oenee Roy d’Etolie, & par conſequent ſeigneur de Calydon ville de ce meſme Royaume, Prince aſſez deuot de ſon naturel, auoit accouſtumé d’offrir tous les ans à chacun des Dieux les premices, tant de ſes fruits que de ſon beſtail domeſtique, à cauſe de la fertilité & bon rapport de ſes terres. Aduint vne fois (ſi ce fut par chicheté ou meſpris, on ne ſçait) qu’il frauda Diane de ſes premices ordinaires, & ſacrifiant aux autres Dieux il la mit au rang des pechez oubliez, fuſt par meſgarde & inaduertance, ou que pour l’auoir autrefois inuoquee à ſon beſoing, elle n’euſt tenu conte de le ſecourir, comme eſcrit Homere au neufuieſme de l’Iliade. Vengeãce de Diane ſur Oenee.Dequoy Diane s’offenca ſi fort qu’elle ſuſcita vn Sanglier d’vne prodigieuſe grandeur & fierté, qui repairoit en la montagne d’Oeta, & l’enuoya dégaſter le pays autour de Calydon, ſuiuant ce qu’en dict Ouide au huictieſme des Metamorphoſes :
Calydon à Theſé de priere ſemblable
Humblement demanda ſa vertu ſecourable,
Combien qu’elle euſt en main le preux Meleager
Fils du Roy Oeneus qui la pouuoit venger
Du rauage inhumain & fureur inſenſee
Du Sanglier venge-honneur de Diane offenſee.
Car on dit qu’Oeneus regnant en Calydon
Ayant vne fois eu de fruicts ample rendon,
Offrit à chaque Dieu condignes ſacrifices.
Il preſente à Cerés de ſes grains les premices :
Il reſerue à Bacchus le raiſin autonnier,
A la blonde Pallas du fruit de l’oliuier.
Il commence à ces trois auteurs du labourage,
Puis tous les autres Dieux guerdonne : mais, peu ſage,
Faiſant en recompenſe vn ſacrifice tel,
Il oublie encenſer de Diane l’autel.
Certainement des Dieux il conuient croire & dire
Que bien ſouuent ils ſont enflambez de griefue ire.
Eſt-il vray ? (dit Diane en indignation)
Ce trait ne paſſera ſans grand’punition.
S’il ne m’a point rendu l’honneur d’obeïſſance,
I’ay bien de me venger d’Oenee la puiſſance.
Description du ſanglier de Calydon.Ce Sanglier ne vomiſſoit que feu, heriſſonné d’vne rude ſeie ſemblant pluſtoſt vne foreſt de dards. Dés qu’il ſe prenoit à rugir, on le voyoit tout blanchir d’eſcume, ſon cri reſembloit vn eſclat de tonnerre, ſon halene eſtoit ſi violente & infecte, que d’icelle il hauiſſoit les bleds, fueilles & fruits, de ſes defenſes outrageuſement dangereuſes il rauageoit tous les grains ; ſi que pour cette annee là l’on n’eut que faire d’appreſter ni granges, ni greniers, ni celliers. Il deſracinoit les oliuiers, arrachoit les figuiers, & ne pardonnoit à aucun arbre fruittier, En ſuitte ſe ruant ſur le beſtiail, en deſchiroit tout autant qu’il en pouuoit rencontrer. Le peuple meſme fut cõtraint d’abandonner le plat païs & les champs pour s’enfermer en la ville. Or entres autres dommages qu’il faiſoit en cette prouince, il hachoit & deſtrenchoit vne belle vigne d’Oenee, qu’Ancæe fils de Neptun & d’Aſtypalæe luy auoit auec beaucoup de fatigue plantee : pour laquelle edifier Oenee auoit beaucoup trauaillé, comme eſcrit Homere au 1. de l’Iliade, en ayant appris l’inuention de Bacchus : Car ce Dieu logeant vne fois chez le Roy Oenee s’enamoura de ſa femme Althee : dequoy le mary s’eſtant apperceu, pour luy donner loiſir de iouir de ſes amours, s’en alla aux champs : ſi que Bacchus l’engroſſa de Deianire depuis femme d’Hercule, & pour la courtoiſie qu’il en auoit receuë, luy dõna du plant de vigne, auec le moyen de la cultiuer, & dés lors le vin fut en Grec appellé œnos. Au demeurant cet Ancæe fut vn hõme extremément rude, & auſtere enuers ſes ſeruiteurs tandis qu’il plantoit cette nouuelle vigne, les faiſants trauailler iour & nuict ; tellement qu’vn iour l’vn d’iceux s’auanca de luy predire, qu’il n’auoit que faire de ſe fatiguer de cette ſorte ; auſſi biẽ ne gouſteroit-il iamais du fruit qu’elle rapporteroit : Mais quand elle eut cõmencé de porter, & qu’Ancæe, vandanges faites, ſe vid preſt d’en boire du vin, il ſe print à baffouër ſon valet, & voulut qu’il allaſt luy meſme tirer du vin & luy en verſaſt pour en boire en ſa preſence, & le conuaincre de menſonge. Et cõme il fut preſt de porter le hanap à la bouche, il luy reprocha que ſa parole ſe trouuoit faulſe & menſongere, l’autre repliqua ſur le champ :
Entre le verre & la cloſture
Des leures vient mainte auenture.
Sur ces entrefaites, comme Ancæe tenoit le verre pour boire, voicy qu’on luy vient annoncer en grand’haſte qu’il y auoit dedans ſa vigne vn grand & eſpouuentable Sanglier, qui y faiſoit vn merueilleux rauage. Lors Ancæe quittant le hanap, empoigna vne coignee, & l’alla charger, où il fut bleſſé (les autres diſẽt tué.) Pauſanias és Arcadiques eſcrit, que non ſeulemẽt Ancæe ioignit le sanglier ; mais auſſi que ſecourrant Meleager, fils d’Oenee, ce Sanglier le tua.) Chaſſe du Sanglier.Puis aprés toute la fleur de la nobleſſe d’Etolie s’aſſembla pour en faire vne chaſſe Royale ſous la conduite de Meleager. Si le vindrent trouuer ; Iaſon, Theſee & Pirithe, Lyncee, Idas, Cænee, Eupalamon, Leucippe, Acaſte, Ampycide, OEelide, Telamon, Phylee, Eurytion, Lelex, Echyon, Hylæe, Hippaſe, Pelagon, Neſtor, Panopæe, Pollux & Caſtor, Iole, Pelee, Prothoë, Comete, Hippothoë, Dryas, Phœnix, Pheretias, Laërte, & autres ſuiuis de valets, de limiers & de veneurs, auec les meutes de chiens courans, le vaultrei, & leuriers d’attache, pour non ſeulement courre la beſte dans les foreſts & en la fuſtaye, & l’eſtriquer à la plaine ; mais auſſi l’aborder encore aux abois. Voyez le 8. chap. de ce liu.Mais entre tous ces ieunes Seigneurs paroiſſoit la belle Atalante, fille de Schœnee, Roy d’Arcadie, vertueuſe Princeſſe, qui ne s’amuſoit point à faire l’amour, ny à manier ou viſiter les ventres enflez des Dames : mais paſſoit ſon temps à la chaſſe. Auſſi eut elle cet honneur que d’auoir la premiere aſſené cette mauuaiſe & formidable beſte par l’aureille ; dont le Prince Meleager, auquel vne amoureuſe flamme auoit deſia attiſé le cœur, receut tel contentement, qu’il ſentit cette tendre chaleur redoubler ſes aiguillons. Iaſon l’atteignit auſſi, mais Diane deferra ſon eſpieu, ſi que le coup fut inutile. Eupalamon & Pelagon moururent acrauantez des defenſes du Sanglier, qui quand & quand empoigna Hippocoon par le jarret, & le defit. Meſme Neſtor n’euſt depuis faict tant de beaux exploits en la guerre de Troye, ſi fichant ſa picque en terre, il ne ſe fuſt d’vn habile ſaut eſlancé ſur vn arbre. Il deſchira toutes les cuiſſes d’Orythias. Ancæe jaloux de la playe qu’Atalante auoit faict à cet animal, ſe ietta au milieu, brauant de voix & de contenance, iuſques à ſe vanter, que combien qu’il fuſt en la tutelle & protection de Diane, toutefois il feroit paroiſtre qu’vn coup dardé d’vn bras viril auoit plus de force que deſcoché d’vn bras feminin. Mais comme il luy penſa deſcharger vn coup de hache, le Sanglier l’empoigna par le ventre, & luy eſpancha ſes entrailles. Iaſon luy eſlanca derechef vn dard, mais il porta ſur vn chien. Finalement Meleager l’atteignit d’vn jauelot droit à l’eſcu, entre le col & l’eſpaule, & l’abatit, puis luy couppa la hure, dont il fit preſent à ſa Maiſtreſſe, des amours de laquelle il iouyt depuis, & l’eſpouſa. Defenſe du Sanglier és iardins de Ceſar.Or la grandeur de ce Sanglier paroiſt en ce que Pauſanias és Arcadiques dit qu’il y auoit és iardins d’Auguſte Ceſar à Rome, dans le Temple du pere Liber, l’vn des crochets de cet animal, long de demye aulne, que l’on reſtreind à trois pieds, equipollans dix-huict poulces ; ainſi cette defenſe auroit eu vn pied & demy de long faiſant 9. poulces, choſe neantmoins incroyable pour vn Sanglier naturel : ſinon qu’elle fuſt (cõme il y a apparence) plus artificielle que naturelle. Nous auõs à ce propos veu cy-deſſus, pluſieurs 0 feres eſtranges auoir eſté par vengeance diuine ſuſcitees pour la punition des mal-viuans en diuerſes ſaiſons : comme les Sangliers d’Erimanthe & de Crommyon, & le Taureau de Neptun contre les Candiots : pource que Minos Seigneur de toute la plage maritime de la Grece, n’auoit pas rendu plus d’honneur à Neptun qu’à l’vn des autres Dieux.
¶Mythologie du Sanglier.Les Poëtes ont mis en auant tels contes ; pour apprendre que iamais on ne laiſſe en arriere le ſeruice diuin qu’on ne s’en trouue mal : & que toutes aduerſitez, ſoit ſterilité des champs, ſoit mortalité de beſtail, ſoit deſtruction par beſtes ſauuages, n’aduient que par le conſeil & prouidence de Dieu pour chaſtier la malice des hommes : quoy que les cauſes en ſoient quelquesfois ſi cachees, qu’elles ſemblent dépendre plus d’vn inſtinct de nature, ou de quelque conionction d’eſtoilles, ou du diuers mouuement du Soleil, que de la volonté & ordonnance de Dieu. Si faut-il faire eſtat que rien ne ſe paſſe, qui ne ſoit determine au conſeil de Dieu. De là vient que par fois ce dont les aſtres nous menacent, par la bonté de Dieu tourne en fumee : & d’autre coſté ce que nous n’auions ne preueu ne preſenty vient tout à coup comme vne tempeſte fondre ſur noſtre dos, quoy que ce ſoit, ſçachons que tout ſe fait iuſtement auec bon examen, ſelon l’arreſt & ordonnance de Dieu. Et pour faire court ils n’ont voulu donner à entendre autre choſe par ces feintes, ſinon que par nos pechez nous attirons ſur nous beaucoup d’afflictions, & qu’il faut eſtre zelateurs de la Religion de Dieu que iamais perſonne ne mettra à nonchaloir, qu’il n’en ſoit griefuement chaſtié. Parlons des Centaures.