Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - IX, 14 : De Ganymede Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Images : BnF, Gallica
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Ganymede.

CHAPITRE XIV.

Voyez liure 2. chap. 5.Ganymede, rauy par l’Aigle & emporté aux cieux pour ſeruir de couppe à Iupiter au lieu de Hebé fille de Iunon, fut fils de Tros, Roy de Troye, ſi beau & de ſi bonne façon, qu’il fut trouué digne d’auoir cet honneur d’eſtre eſchanſon de Iupiter, non pour en abuſer à ſon plaiſir comme quelques-vns ont voulu dire, auſquels s’oppoſe Homere au 20. de l’Odyſſee, diſant :

Erichthon engendra Tros le Roy des Troyens. Tros ſe vid trois enfans Princes de citoyens, Ilus & Aſſarace, et le beau Ganymede, A qui toute beauté des autres hommes cede. Son extreme beauté fut cauſe que les Dieux Le voulurent auoir & transferer aux cieux, Afin comme eſchanſon qu’il leur verſaſt à boire, Et veſquiſt parmy eux en eternelle gloire.

Mais Apollonius Rhodien au troiſieſme liure des Argo-Nochers dit ſimplement que Iupiter le rauit, afin qu’il paſſaſt ſon aage en la compagnie des Dieux. Or il fut enleué prés de la ville de Cyzique, en vn lieu qui pour cette cauſe fut nommé Harpage, comme qui diroit, lieu de rauiſſement, ſelon le dire de Strabon au treizieſme liure. Virgile dit que ce fut comme il chaſſoit ſur la montagne d’Ida en Phrygie. Et pour les bons & fideles ſeruices que Iupiter auoit receus de l’Aigle, tant pour luy auoir apporté vn bon & heureux augure en la guerre qu’il eut contre les Titans ; & pour l’auoir fidelement fourny de tonnerres & foudres tandis qu’il fut à la charge, comme auſſi pour auoir faict bon deuoir & diligence au rauiſſement de Ganymede, il le fit Roy des oyſeaux, comme dit Horace au quatrieſme des Carmes :

Tel qu’au blond Troyen damoiſeau A fidelle eſprouué l’oyſeau Qui ſert à porter le tonnerre, Iupiter des Dieux le grand Roy, Luy donnant l’empire & la loy Sur tout oyſeau qui par l’air erre.

Les autres diſent que Iupiter transfiguré en Aigle vint trouuer Ganymede, & l’emporta aux cieux. Ainſi le teſmoignent ces vers :

Iupin deuenu Aigle enleua Ganymede, Et ſe fit Cigne afin de s’esbatre auec Lede.

D’autres veulent dire que Ganymede fut rauy par Iupiter, ny par l’Aigle, mais par Minos pour en tirer vn tres-ſale & deteſtable plaiſir. Echemene Cyprien eſt de cet aduis.

¶Voila les contes fabuleux des anciens touchant Ganymede, de la fauſſeté deſquels il ne faut aucunement douter. Xenophon au Banquet, eſcrit que Ganymede fut enleué aux cieux pluſtoſt pour la beauté de ſon eſprit & prudence, que pour celle de ſa perſonne. Suiuant cet aduis on tire le nom de Ganymede non pas de gánymi, ſignifiant banqueter & faire bonne chere : mais pluſtoſt de trois mots ioints enſemble pour exprimer l’excellence & merite de la prudence & du conſeil, agan, ny, & médos, deſquels les deux premiers donnent accroiſſement & renfort aux mots auec leſquels ils ſont compoſez : le dernier ſignifie conſeil. Or Ciceron au 1. des diſputes Tuſculanes dit, que cette fable contient quelque choſe de diuin : Ie n’ay point *(dit-il)/* de creance à Homere, diſant que les Dieux rauirent Ganymede pour ſon extreme beauté, afin qu’il fuſt Eſchanſon de Iupiter. Il n’y a point de raiſon de faire cette iniure à Laomedon. Homere feignoit ce conte, & tranſportoit aux Dieux les choſes humaines. Quelques-vns eſcriuent que cette fable fut inuentee pour la conſolation des parens & alliez de Ganymede apres qu’il eut eſté ſecretement enleué comme il eſtoit à la chaſſe ; & qu’on leur fit acroire qu’il auoit eſté placé entre les eſtoilles, & mué en ce ſigne que nous appellons Aquarius ou Vers’eau. Ie ſuis d’autre aduis, & ne penſe pas qu’il faille tranſporter à nous les choſes diuines, ains pluſtoſt qu’il vaut beaucoup mieux rapporter à la nature diuine les humaines. Car qu’eſt-ce que les anciens ont voulu montrer par cette fable, ſinon que Dieu aime l’homme ſage, & que luy ſeul approche le plus prés de la nature diuine ? Car Ganymede eſt l’ame humaine, que Dieu (comme nous auons dit) rauit à ſoy, à cauſe de l’excellente & ſinguliere prudence d’icelle, au lieu que les fols ne ſont vtiles ny à eux-meſmes ny aux autres. Et la plus belle ame qui ſoit, c’eſt celle qui le moins eſt ſoüillee des ordures & ſaletez humaines, & moins ſubiette aux pollutions corporelles. C’eſt celle que Dieu aime & rauit à ſoy. Car comme ainſi ſoit qu’il n’y a rien ſous la voute du ciel qui plus prés approche de la nature du Dieu Tout-puiſſant, que la ſageſſe, que les Anciens entendoient par le rauiſſement de Ganymede aux Cieux ; ie ne puis que ie ne blaſme entierement la folie de quelques-vns, qui par cette Fable entendent quelques ordures & pollutions que l’on n’oſeroit meſme impoſer aux beſtes ſans vergongne, comme s’il eſtoit neceſſaire que l’on fuſt par quelques chatoüillemens induits à ſi maudit & deteſtable vice. Au contraire les ſages Anciens ont eu du tout autre inten- tion, laiſſans à leur poſterité cette Fable pour luy ſeruir d’exemple de vertu. Car qu’eſt-ce autre choſe verſer à boire à Iupin, ſinon que Dieu prend vn ſingulier plaiſir és offices de ſapience procedans de l’ame des ſages ? La bonté de Dieu eſt touſiours alteree d’vne perpetuelle ſoif ; c’eſt à dire, deſire extremément que nous ſoyons ſages : & quand nous ſerons tels, nous approcherons fort prés de la nature d’iceluy par charité & innocence, & preſenterons à noſtre ſouuerain Dieu & Pere, le doux boire Nectar. Dauantage rien ne peut eſchoir à l’homme de plus agreable que la ſageſſe ; car viuans ſelon icelle nous deuenons preſque Dieux, & quittons les ſoüilleures de nos corps terreſtres & mortels pour nous reueſtir d’vne immortalité celeſte & glorieuſe : ce que reconoiſſant fort bien Ptolomee il dit tres-ſagement :

Ie me conois mortel & de peu de duree : Mais eleuant les yeux vers la voûte azuree, Quand ie voy ces brandons du tiel reſplendiſſant, Ie penſe eſtre deſia tout à plein iouiſſant Des celeſtes feſtins, & que ia ie m en voiſe Me paiſtre chez Iupin de nectar & d’ambroiſe.

Ils le depeignent ſi parfaitement beau, non ſeulement pource que le ſage ne ſe ſoüille point en ſon ame ; mais auſſi d’autant que, comme dit Platon, la ſapience eſt ſi belle, que ſi l’on la pouuoit voir des yeux, elle attireroit merueilleuſement les affections des hommes à ſon amour. Et parce que la commune creance eſt qu’il mourut d’vne mort ſubite, ils appellent tels deceds, proye & rauiſſement d’Aigle ; & diſent que l’Aigle l’emporta aux Cieux, à cauſe de la perſpicacité de ſa veuë : voire meſme Iupiter deſguiſé en Aigle ; parce que ſans l’aide de Dieu l’on ne peut proffiter en ſageſſe. Ainſi donc les Poëtes voulans donner à connoiſtre que la bonté diuine ayme & rauit à ſoy les gens de bien, les ſages & viuans en integrité de conſcience & ſelon Dieu, controuuerent cette Fable de Ganymede : & pourtant ils nous renuoyent plus vtilement aux choſes diuines, qu’ils n’euſſent ramené les diuines vers nous. Voila quant à Ganymede : s’enſuiuent Harmonie & Cadmus.