Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - III, 15 : Du Somme Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

Du Somme.

CHAPITRE XV.

Origine du SommeNOUS auons dit cy-deſſus que le Somme eſt né de l’Erebe & de la Nuict. Entre les autres ſœurs qu’il eut, Orphee y comprend la Mort, & les Poëtes l’appellent frere germain de la mort. Quelques Anciens luy donnent auſſi pour ſœurs les Eſperances. Virgile toutesfois au 5. liure ne dit pas qu’il ait eſté enuoyé à Palinure de l’Erebe ou des Enfers, mais bien du Ciel :

Quand le ſomme leger, des luiſantes eſtoilesGliſſant, l’air tenebreux eſcarte de ſes ailes,Et les ombres eſpard, tout-droit vers toy haſtantSon vol, ô Palinure.–

Et Orphee en ſon hymne l’appelle bien-heureux, d’vn ample & large vol, benin, grand vaticinateur aux mortels. Car le repos (dit-il) du doux Sommeil ſ’accoſtant coïement aux ames humaines, luy cependant les arraiſonne, leur reſueille l’entendement, & deſcouure durant le dormir, les intentions & les deſſeins des Dieux bien-heureux : & ſans mot dire aux eſprits taciturnes, annonce les choſes à venir à ceux au moins qui ſous la pieté des Dieux ont vn bon Genie pour guide. Somme ailé.Les Poëtes luy attribuent des aiſles, d’autant qu’en peu de temps il fait vne courſe par tout le monde, & vient ſans bruit & tout coy ſaiſir les yeux de ceux qui ne penſent point en luy, comme dit Tibulle au 2. des Elegies :

Le Somme vient aprés equipé d’ailes ſombres,Et les Songes nuitaux, qui d’un pied ſi legerS’auancent qu’on n’en void tant ſeulement les ombres,Viennent d’un pas voilé chaque corps ombrager.

Quant à ce qu’Homere au commencement du 2. liure de l’Iliade, dit que Iupiter enuoye le Somme reſueiller Agamemnon, pour faire prendre les armes à ſes gens, ie ne ſcay à quel propos cela ſe dit, veu que la charge du Sommeil eſt d’endormir plus fort ceux qui ſont deſia appeſantis de ſomme, pluſtoſt que de les eſueiller : ſi ce n’eſt que par le Sommeil nous entendions les Songes. Ce Somme fait des playes, afin que cependant qu’il eſt preſent, les hommes prennent en gré & patience les priſons, la ſeruitude, les liens, & toutes autres incommoditez, & qu’ils mettent en oubly tous maux, chaſſans tout chagrin, tout ſoin & ſolicitude de leur eſprit, ſelon ce que dit Oreſte en Euripide :

Dous Sommeil, par qui chaſque noiſePar tout heureuſement ſ’acoiſe,Des chagrins ſoulas et repos,Que tu me viens fort à propos !Sainte Oubliance de deſtreſſe.Que tu és acorte DeeſſeQue tu viens en temps opportunCharmer noſtre ennuy importun !

Pour cette cauſe les Sicyoniens auoient vn ſimulacre du Sommeil ſurnommé Epidotés, endormant vn Lyon ; comme voulant montrer qu’il a moyen d’aſſopir la plus cruelle faſcherie & ennuy qui ſoit au monde. Et les Trœzeniens auoient vn Temple des Muſes, baſty par Ardale, fils de Vulcan, auec vn Autel tout auprés fort ancien, où l’on ſacrifioit aux Muſes & au Sommeil, comme compatiſſans fort bien entr’eux, d’autant que le repos d’eſprit, & le dormir ſont neceſſaires aux gens de lettres. On l’accompagnoit auſſi de Mercure, pour les raiſons que nous deduirons en ſon traicté. Ce Somme ainſi qu’vn rigoureux peager, ſelon ce qu’Ariſton auoit couſtume de dire, emporte la moitié de noſtre vie : & pourtant à bon droit Orphee le dit frere d’Oubly, & repos de toutes choſes en l’hymne du Somme :

Sommeil Roy des heureux, Sommeil Roy de tout homme,Qui ne crains nullement qu’aucun ſoucy t’aſſomme,Que le mignard repos accompagne touſiours,Qui des plus griefs ennuis és ſeur & ſaint recours :Qui conſerues l’eſprit deſſous vn faux viſageDe la mort blemiſſant, dont tu portes l’image.Car auec toy naſquit & l’oubly & la Mort,Qui d’un ſomme eternel toutes choſes endort.

Ouide auſſi en l’onzieſme de ſes Metamorphoſes, où Iunon depeſche Iris vers luy, le met au nombre des Dieux pour les biens & les plaiſirs qu’il fait aux hommes :

O doux plaiſant Sommeil, & le plus agreableQui ſoit entre les Dieux, paix des eſprits aimable,Qui chaſſes tout chagrin, et qui regaillardisLes corps las de trauail, qui les rend plus hardis,Plus frais pour ſe remettre au labeur ordinaire.

Deſcription du Palais du SommeVn peu auparauant cette inuocation d’lris il deſcrit d’vne merueilleuſe elegance & douceur poëtique la maiſon du Somme, dont ie croy que la traduction ne ſera ennuyeuſe :

Prés de la region & gent CimmerienneOn deſcouure vne grotte obſcure et ancienneDeſſous vne montagne, en ce lieu ſombre & creuxEſt l’engourdy dortoüer du Somme ſonge-creux,Dortoüer où le Soleil iamais ne fait entree,N’au matin, n’a midy, ny meſme à la veſpree.Nuees et broüillas occupent ce ſejourClair comme on void vn peu deuant le poinct du iour.Icy l’oyſeau veillant n’annonce point encoreD’vn goſier encreſté le reſueil de l’Aurore.L’aboy des chiens guettans, ny l’oye encor plus promptLe ſilence qu’on oyt là dedans n’interrompt.Ny fere ny brebis les ſentimens reſueillePar beeler ou rougir de celuy qui ſommeille.On n’oit point cracqueter des arbres les rameauxAu ſouffle de Zephirs, point de babils nouueauxD’hommes ſe querellans : repos plein de ſilenceFait ſous cet antre obſcur ſon giſte & demeurance.Mais d’un rocher profond de Lethé l’onde y ſort,S’eſcoulant d’un doux bruit qui les humains endort.Auparauant qu’entrer en cette grotte obſcureOn void croiſtre & fleurir maint Pauot chaſſe-cure.Semblablement auſſi pluſieurs herbes y ſont,Que la Nuict va cueillant, & qui cette force ont,Qu’eſtans par cette terre humides diſperſees,D’infinis hommes ſont les teſtes renuerſeesD’un ſommeil aſſopy. Toute cette maiſonNulle porte ne cloſt, non pour autre raiſon,Sinon pour empeſcher que les verroux n’eſtonnentCeux qui loing de ſoucis à repoſer ſ’addonnent.Et parce qu’aucun huis ne ferme ce manoir,Perſonne auſſi n’y fait de portier le deuoir.Iuſtement au milieu de ce brouillé domaineSe void le lict Royal haut-leue, faict d’ebeine,D’vn duuet delicat ; ſon atour, ſes rideaux,Sont de meſme couleur que celle des corbeaux :Sa couuerte, ſes draps, toute ſa garniture,Ainſi comme l’ebeine, eſt de noire teinture.Dans ce lict de parade il prend vn doux ſoulasToutes les fois qu’il ſent que ſes membres ſont las.Tout autour de ce Dieu l’on void voler les Songes ;Qui vont repreſentans mainte forme & menſonges ;En telle quantité qu’en la ſaiſon des blezOn void d’eſpis enſemble et de grains aſſemblez,Tout autant qu’és foreſts il y à de fueillages,Et de ſablons giſans ſur les marins riuages.

Enfans du Somme.Peu aprés il luy donne mille enfans, c’eſt à dire vne grande quantité ; mais il n’en nomme que trois des principaux, Morphee, qui ſignifie forme ou figure : Icele ou Phobetor, ſimulacre ou effigie eſpouuenttable : Phantaſe, imagination. Pris moderément, c’eſt la choſe la plus agreable, la meilleure & plus profittable qui ſoit au monde : & pourtant à bon droit Orphee l’appelle Roy des hõmes & des Dieux. Homere au 2. de l’Iliade montre combien miſerable eſt la condition de ceux qu’on penſe communement eſtre bien-heureux ; qui ont le gouuernement d’vn Eſtat, introduiſant tous les Dieux, & tous les hommes dormans ; excepté ſeulement Iupiter. Somme précipité dans la mer par Iupin.Le meſme Poëte au 14. de l’Iliade dit que Iunon fit vn iour de belles & riches promeſſes au Somme, afin qu’il endormiſt Iupiter, comme il auoit fait autrefois ſur la montagne Idee, au moyen du demy-ceint de Venus, que Iunon auoit emprunté pour l’accabler de ſommeil, & fuire qu’il ſe reconciliaſt auec elle, & n’aydaſt plus aux Troyens : qui luy reſpondit qu’il auoit autre-fois entrepris de le faire ; mais que Iupiter de colere le ietta dans la mer : & que ſi la Nuict, domptrice des hommes & des Dieux ne l’euſt ſauué, à laquelle il eut recours, il eſtoit perdu. Et pourtant il luy dit en vn mot, qu’il ne l’oſeroit faire ; ſi grande eſt la felicité des Roys & ſouuerains Seigneurs, leſquels encore qu’on leur faſſe autant d’honneur qu’à des Dieux, ils ſont neantmoins les plus miſerables de tout le monde. Ville du SommeLucian au 2. liure de ſa vraye Hiſtoire, deſcrit aſſez elegamment la ville du Somme, en laquelle on diſoit que les Songes habitoient : diſant qu’elle eſt ſituee & baſtie en vne belle plaine, autour de laquelle y a vne foreſt de hauts & drus arbres, qui ſont pauots, & grandes mandrogores ; & pluſieurs autres herbes dont le jus cauſe le ſommeil, qui fleuriſſent par toute cette cãpagne. Il y a vne grand’ quantité de chauue-ſouris, voltigeans autour de ces arbres ; de chats-huans, hibous & autres oyſeaux nocturnes : & n’y hantent aucuns autres. Contre ladite ville paſſe vne tres-douce & coye riuiere, nommee Lethé, qu’autres appellent Nyctipore, dont le cours eſt paiſible & doux, coulant comme huile. Elle vient de deux fontaines, rejalliſſans en vn lieu obſcur, & qui n’eſt connu à perſonne ; dont l’vne ſ’appelle Pannychie, l’autre Negret. Deux portes des SongesLadite ville a deux portes, l’une de corne faicte & taillee d’vn merueilleux artifice, en laquelle ſont repreſentez comme en vn ttableau de pourtraicture tous les vrays ſonges qui auiennent aux hommes dormans, & qui ſont nottables, dilucides, & denotent quelque cas ſignalé ; l’autre eſt d’yuoire tres-blanc, en laquelle ſont aſſis les ſonges : mais non pas pourtraits, ains ſeulement groſſoyez au crayon : ſonges dy-je incertains, douteux, confus & de nulle ſignifiance. En cette ville là eſt le Temple de la Nuict, tres-magnifique, où elle eſt auec beaucoup de deuotion ſeruie. Il y a en oultre les Temples de deux Deeſſes, Apate & Alethie ; Deception & Verité, eſquels il y a des caues & lieux ſecrets, où n’eſt loiſible à perſonne d’entrer, & les Oracles ſ’y rendent. Quant aux Songes qui en grande quantité habitent dant cette ville, ils ne ſe reſemblent point l’un l’autres car les vns ſont greſles & menus, les autres ont les jambes tortes, les autres ſont vouſtez, les autres ſemblables à des monſtres : les autres ſont de haute taille, & d’vn bel air de viſage, vermeil & blond comme or : les autres ont vn regard hideux & effroyable, & ont des aiſles, & ſemble qu’ils menacent ſans ceſſe de quelque mal-encontre : les autres ſont habillez à la Royale & ſomptueuſement. Si quelque homme vient a entrer en cette ville, quand & quand les Songes domeſtiques & priuez le viennent accueillir & bien-veigner, & touſiours quelques formes des ſonges ſuſdicts ſe repreſentent à luy, annoncans tantoſt bonne, tantoſt mauuaise nouuelle ; qui quelquefois ſe trouuent ve-rittables (mais peu ſouuent : car la plus grand part des habitans cette ville-là ſont menteurs & trompeurs) quelqueſfois dient d’vn, & penſent d’autre.

Mythologie du ſommeilVoila quant au Somme ; eſpluchons-en maintenant les fictions. Il n’oſa pas endormir Iupiter : d’autant que celuy qui à la charge & adminiſtration de toutes choſes, ne doit point eſtre trop endormy, joinct que la nature diuine n’a que faire de ſommeil, pour recouurer par ſon moyen ſes forces, ou prendre accroiſſement, veu qu’elle ne ſouffre aucun trauail ny incommodité. Lethé (c’eſt à dire Oubly) eſt ſœur du Somme, d’autant que le Somme nous fait oublier toute affliction & aduerſité. Et pource qu’en vn meſme temps il ſaiſit beaucoup de ſortes d’animaux, on le fait tres-leger, ſoudain, ailé, & fils de la Nuict. Cauſe du ſommeil.Car puis que l’humeur de la nuict augmente les vapeurs de l’eſtomach, qui montent aux plus hautes parties du corps, leſquelles puis aprés ſe refroidiſſans à cauſe de la froidure du cerueau, deſcendent en bas, & par ce moyen engendrent le Sommeil, à bon droit le dit-on fils de la Nuict. C’eſt par luy principalement que toutes plantes & animaux prennent leur croiſt, au moins ceux à qui l’aage le permet, ce qui ſe fait par le benefice de l’humeur de la Nuict, lors que la force de la chaleur du iour ſe cache cependant és corps, quand la nuict ſuruient. Ces vapeurs doncques engendrent pluſieurs formes de ſonges, ſelon la varieté des viandes, des regions, des ſaiſons, des affaires qu’on a en la ceruelle, & ſelon que chacun eſt temperé, toutes leſquelles choſes il faut conſiderer en expoſant les ſonges. Car ils ſeruent quelqueſfois de guide & d’eſpions aux Medecins pour deſcouurir & connoiſtre les maladies, veu qu’ils ſe diuerſifient ſelon les vapeurs : combien que les ſonges repreſentent quelquefois les choſes qu’on ſouhaite, leſquelles la phantaſie fournit. Car comme dit Artemidore au 1. liure des Songes, Le Songe eſt vn mouuement ou fiction de l’ame, qui ſe fait en pluſieurs ſortes, denotant les biens ou les maux auenir. Pour cette meſme raiſon les Eſperances ſont ſes Sœurs, parce que bien ſouuent nous les fondons ſur choſes bien douteuſes, incertaines & remplies de vanité : auſſi ſ’eſuanoüiſſent elles comme ſonges. Quant à cette ville cy-deſſus deſcrite, à cauſe de l’abondance d’humeurs dont les ſonges naiſſent, on la ſituë prés l’Ocean, teſmoin ces vers :

Ils vont vers l’Ocean et la roche Leucade,Et les huis du Soleil,Et cette nation qu’on appelle peupladeOu bourgeois du Sommeil.

Deux portes des ſonges.On dit que les Songes ont deux portes, & que les vrays ſortent par  la porte de corne, d’autant que comme le feu enfermé dans vne lanterne de corne, ou d’autre matiere déliee & tranſparente, enuoye hors ſa lumiere, & eſclaire aiſément ; auſſi lé corps humain eſtant par temperance & ſobrieté repurgé de toutes immundices de ſales & ordes humeurs, l’ame void aiſément à trauers luy la verité, & reçoit les viſions qui luy ſont diuinement enuoyees, leſquels ſonges viennent de Iupiter. Mais ſi les corps ſont maſſifs & replets ; & remplis d’vne grande quantité de viandes, ou pleins de mauuaises humeurs, cauſees d’vne continuelle diſſolution de bouche ; alors leſdits corps ne permettent pas que l’ame encloſe, comme dans vne lanterne, ayant les coſtez d’yuoire d’vne matiere groſſiere, puiſſe cognoiſtre la verité des ſonges. Toutesfois Dydime dit que la premiere pellicule des yeux a la forme de corne, & ſignifie les viſions : l’yuoire denote les dents, qui maſchent les ſonges faux ; car ce qu’on void eſt bien plus verittable & plus certain que ce qu’on oid, & qu’on ne ſçait que par ouyr dire, Voila quant au Somme : reſte à parler d’Hecate.