Transcription Transcription des fichiers de la notice - <em>Mythologie</em>, Paris, 1627 - VI, 16 : De Marsias Conti, Natale 1627 chargé d'édition/chercheur Équipe Mythologia Projet Mythologia (CRIMEL, URCA ; IUF) ; projet EMAN, Thalim (CNRS-ENS-Sorbonne Nouvelle) PARIS
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1627 Images : BnF, Gallica
Paris (France), BnF, NUMM-117380 - J-1943 (1-2)
Français

De Marſyas.

CHAPITRE XVI.

Parents de Marſyas.MARSYAS auſſi ioüieur d’inſtrumens, natif de Celene ville de Phrygie, fut pour ſemblable temerité & petulance tres-rigoureuſement chaſtié. Il fut fils d’Hyagnis, qui le premier entre tous autres accommoda les loix, meſures & accords de Muſique aux loüanges des Dieux que les Grecs chantoient en leurs feſtes ſolemnelles. Outrecuidance de Marſyas.Ce Marſyas auoit de grandes familiaritez auecque Cybele : mais apres auoir beaucoup voyagé, il veint à Nyſe trouuer Bacchus, qui pour lors regnoit en ces quartiers là : où rencontrant Apollon, qui eſtoit en honneur & credit pour beaucoup de belles inuentions, & notamment de la harpe & maniere de la toucher ; il le desfia, ayant au preallable trouué le fifre que Minerue auoit ietté, auquel il s’exerça ſoigneuſement pour inuenter touſiours quelques plus doux & melodieux accords. Il y prouffita de fait tellement qu’il oſa temerairement prouoquer Apollon à venir à l’eſpreuue de leurs muſiques. Leur compoſition fut telle : Que le vaincu demeureroit à la diſcretion du vainqueur. C’eſt pourquoy l’on obſerua depuis ceſte couſtume, que les ſacrifices de la Grand-mere Cybele, furent touſiours accompagnez de ioüeurs de fifre & haut-bois. En ce conteſte apres qu’Apollon auoit ioüé des inſtrumens, il ſe prenoit auſſi à chanter de la voix : mais Marſyas ne ſçauoit que les inſtrumens : auſſi fut-il vaincu & puny de ſa temerité. Ceux qui ont voulu expliquer plus amplement le faict diſent qu’ils eſleurent des Iuges de Nyſe lors qu’ils entrerent en contention. Et du commencement Marſyas enfla ſon flageollet ſi melodieuſement qu’il rempliſſoit d’admiration toute l’aſſiſtance ; voire penſoit-on deſia qu’il emportaſt ſon compagnon. Et comme chacun voulut donner preuue aux Iuges de ce qu’il ſçauoit faire : Apollon derechef accommoda ſa voix au ſon de l’inſtrument. Ainſi fut-il declaré vainqueur. Plaidoyé contre Apollon & Marſyas.L’autre remonſtroit aux Iuges ; Que ſans raiſon la victoire eſtoit aſſignee à ſon aduerſaire, d’autant qu’il falloit faire comparaiſon de l’art, non de la voix, à laquelle il faut rapporter le ieu des inſtrumens, & que c’eſtoit choſe iniuſte de mettre en ieu & conferer deux choſes auec vne ſeule. Apollon repliqua qu’il n’obtenoit rien que de raiſon ; d’autant que Marſyas enflant le flageollet, auoit faict ce qui eſtoit en luy, qu’il falloit donc impoſer ceſte loy à l’vn & l’autre, que ou tous deux, ou pas vn, ne ſe ſeruiſt de la bouche : que par les doigts ſeulement chacun monſtraſt ſon expe- rience à qui mieux pinſeroit la harpe. Ce combat fut fait pres de Celene ville de Phrygie ; depuis dicte Apamee, vers vn lac qui produit de fort bons chalemeaux pour en faire des fluſtes, comme dit Strabon au douzieſme liure. Les autres nous content que le premier fifre façonné par Minerue fut d’vn os de cerf, dont elle ioüa en vn banquet des Dieux. Cette laideur de cõtenance fut cauſe qu’Alcibiades ne voulut apprendre à ioüer des fluſtes, cõme inſtrumẽt de mauuaiſe grace, & indigne d’vn enfant de bonne maiſon.Mais comme Iunon & Venus ſe mocquoient d’elle de ce qu’ayant les yeux gris à guiſe d’vn chat, elle enfloit par meſme moyen les ioües, & ſe contrefaiſoit toute ; elle s’en alla vers vne fontaine, & ſe mira dans l’eau, pour voir ſi la grimace qu’il luy conuenoit faire en ioüant, eſtoit ſi difforme qu’elles la crioient ; ce qu’ayant trouué verittable, elle de deſpit ietta ſes fluſtes, diſant, Arriere de moy vous qui me peruertiſſez mon geſte & ma contenance : & maudit auec execration celuy qui les releueroit pour s’en ſeruir, luy ſouhaitant de mourir cruellement. Le ſort tõba ſur Marſyas, que quelques vns font fils d’Oeagre, paſteur, & l’vn des Satyres, lequel en fit ſi bien ſon profit, qu’il s’y rendit le plus habile maiſtre de tous, meſme depuis il inuenta la Muſique Dorique, & la fluſte à deux tuyaux, ainſi qu’Amphion inuenta la Lydienne, ſelon le teſmoignage de Plutarque au liure de la Muſique. Marſyas vaincu, & eſcorché.Or Marſyas vaincu par Apollon, fut par luy attaché à vn Pin, puis eſcorché tout vif, comme teſmoignent Nicandre, & Ouide au 6. des Metamorph. l’introduiſant au milieu de ſes tourmens tenir tels propos à Apollon :

O Dieu, pourquoy m’arraches tu ma peau ? Helas ! ſi i’ay enflé le chalemeau, Ie m’ens repens : telle n’eſt mon offence Pour meriter ſi cruelle vengeance.

En ceſte Metamorphoſe de Marſyas il dit que c’eſtoit vn Satyre fort ſçauant au ieu du flageollet, auquel il oſa prouocquer Apollon, tant il fut arrogant & temeraire : & que les autres Satyres faunes, Nymphes & autres Dieux champeſtres ; les bergers & paſtres pleurerẽt tant ſa mort, qu’à force des larmes qu’ils ietterent, la terre deuint humide, & beut premierement ceſte humeur, puis il en ſortit vne ſi grande quantité d’eau, qu’elle fut ſuffiſante pour en faire vne riuiere, qui fuſt nommee Marſyas. Les autres diſent que le ſuſdit contens fut fait vers la riuiere de Midas, qui dés lors changea de nom & fut dicte Marſyas : & que du ſang qu’il eſpancha en terre lors qu’Apollon l’eſcorchoit, les Satyres naſquirent. Repẽtance d’Apollon.Toutesfois Apollon ſe repentit de s’eſtre tant laiſſé tranſporter à ſa colere, & fut ſi deſplaiſant de ceſte cruauté, qu’il en rompit les chordes de ſa harpe. Puis l’appendant auec ſes fluſtes & haults-bois dans la grotte de Bacchus, il s’en alla auec Cybele qu’il aimoit iuſques aux Hyperborees. Les Muſes ayants trouué la harpe ſuſdicte, la racommoderent, y adiouſterent la moyenne, Line le lichanon, Orphee l’hypate, Thamyris la parhypate. De la peau de Marſyas on en fit vn ouïre qui fut pendu à Celene, comme dit Herodote en ſa Polymnie, où il appelle Marſyas Silene, & donne à entendre que le faict ſuſdict aduint vers la riuiere de Meandre qui prend ſa ſource à Celene. A quoy ſe rapportent ces vers de Philippe Poëte Grec.

Tu mentois, Marſyas, te faiſant du flageol Inuenteur, car iadis il fut rauy par dol A Minerue, autrement, Hyagnis ton eſclandre N’euſt, dolent, regretté ſur les eaux de Meandre.

Car certes ce que dit vn iour l’Oracle eſt tres-verittable :

Suiuant les actes qu’on veut faire, On doibt attendre ſon ſalaire.

Apollon porta touſiours depuis vne dent de laict à tous ceux qui faiſoient meſtier de ioüer du fifre, iuſqu’à ce que Sacade l’eut appaiſé, ayant le premier de tous autres chanté à Delphes vn air en faueur d’Apollon Pythien.

Mythologie morale.Ie croy qu’il n’y a celuy qui ne voye bien quelle a eſté l’intention des anciens en l’inuention de ceſte Fable, d’autant que nous auons deſia dict que beaucoup de Fables ont eſté controuuees pour reprimer la temerité des orgueilleux & arrogans, qui ſeruent auſſi pour la conſolation de ceux qui ſe ſentent accablez d’vn fardeau d’afflictions & de calamitez. Car comme Dieu chaſtie les temeraires, auſſi donne-il ſecours aux gents de bien qui ſont detenus en aduerſité, ce qu’auſſi les Anciens nous donnent à entendre par leurs contes fabuleux. Car Cretheis fille d’Hippolyte, femme d’Acaſte Roy de Theſſalie, fils de Pelias oncle de Iaſon, eſpriſe de l’amour de Pelee, ſans toutesfois le pouuoir perſuader de coucher auec elle, l’accuſa enuers Acaſte d’auoir voulu faire effort à ſa chaſteté : Trop legere credulité d’Acaſte.Ce qu’Acaſte croyant eſtre verittable, il le print auec luy ſoubs ombre de le mener à la chaſſe, & le conduiſant ſur la montagne de Pelion, le laiſſa là lié & garotté à la mercy des beſtes ſauuages, ſans aucunes armes pour ſe defendre de leur violence, comme eſcrit Diognote en l’Eſtat de Smyrne. Mais Iupiter ayant pitié de ſon innocence, luy enuoya l’eſpee de Vulcan par les mains de Mercure (ou de Chion) au moyen de laquelle il ſe remit en liberté : Cauſe de ſa mort, de ſa & femme.puis retournãt à la maiſon accompagné de peu de gents, tua Acaſte & ſa femme, & obtint leur Couronne. Horace au troiſieſme liure des Carmes appelle cette Cretheïs Hippolyte du nom de ſon pere, & la ſurnomme Magneſienne, de Magneſe prouince de Macedoine annexee à la Theſſalie.

Il conte comment d’Hippolyte De Magneſe fuyant l’amour Pelee vid preſque reduite Sa vie au Tartaré ſeiour.

Comme donques ce n’eſt pas bien faict à vn homme ſage de s’eſleuer contre la volonté de Dieu pour quelque felicité ou opulence temporelle, auſſi ne faut-il pas ceder à la violence des tempeſtes d’aduerſité ; ains conuient en l’vne & l’autre ſaiſon faire preuue d’vn eſprit raſſis & moderé.