Espace Afrique-Caraïbe

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Biographie

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Biographie et liste des éditions originales préparées par Karolina Resztak (2015)

Mouloud Feraoun (Tizi-Hibel – le 8 mars 1913 – Alger, le 15 mars 1962).

Le grand auteur classique francophone naît et grandit en Kabylie, une région qui influence profondément sa sensibilité littéraire, son regard sur le monde et, par conséquent, son œuvre. Peuvent en témoigner, entre autres, les propos de Germaine Tillion qui, interrogée sur la Kabylie de Mouloud Feraoun, répond:

"Je voyais la Kabylie comme une patrie, comme une terre… une terre magnifique. […] Une terre où il y avait beaucoup de soutien, de loyauté et d'honneur… […] Une terre d'honneur. Et de justice[1]."

Cet apprentissage où s'entrelacent l'éducation familiale, la beauté et la dureté des paysages kabyles ainsi que l'école républicaine française concourt à la formation d'un grand écrivain qui avoue, dans une lettre à Louis Julia, que l'histoire de son héros, Fouroulou Menrad, "ressemble comme une sœur" à la sienne et à celles d'autres instituteurs kabyles.

Tout commence donc un matin de 1920, dans une école primaire de Tizi-Hibel. Une aventure ambiguë pour le petit garçon gâté, car premier dans la famille. Il ne découvre l’importance de l’éducation qu’au bout de la première année de son instruction qui n'était pas celle de grands succès. Ali Feraoun, fils de l’écrivain, le rappelle en ces termes:

"La première année, comme le fils du pauvre, il est dépassé : il n'était pas né doué. Un jour, son père l'engueule, lui dit : "Le maître m'a dit que tu travailles mal. Il a pris conscience […] que le maître faisait attention à lui […] ça fait de lui l'être studieux qu'il a toujours été depuis la deuxième année de l'école primaire[2]."

Nous savons tous ce qui s’est passé après: champion d’assiduité et de persévérance, Mouloud Feraoun gravit les échelons de l’éducation française. En 1928, il entre au collège de Tizi-Ouzou, grâce à une bourse d'enseignement; suit le concours et l'admission à l’École normale des instituteurs à Bouzaréah (1932). Commence alors une nouvelle vie. L’idéal républicain est mis en question, le futur écrivain et instituteur prend davantage conscience des inégalités qui, à Alger, étaient plus visibles qu’au collège de Tizi-Ouzou. Mais en même temps, ce fut une époque de grandes découvertes littéraires. Des années "normale" feraouniennes, nous gardons ce témoignage de son condisciple, ami et éditeur, Emmanuel Roblès:

"C’était un grand garçon aigre, souriant ou rêveur, descendu de ce massif de Kabylie qui barre l’horizon à l’est de la ville […] […] Feraoun ne pratiquait aucun sport et utilisait ses loisirs pour de grandes lectures. Ce fut à cette époque qu’il connut les auteurs russes qui devaient avoir sur lui une si forte influence, de Gorki à Gogol et de Tchékhov à Dostoievsky. Comme je dirigeais à l’époque une petite revue estudiantine intitulée Le Profane, j’obtins qu’il y collaborât et il le fit de bonne grâce à deux ou trois reprises. Il était très apprécié de tous ses condisciples à la fois pour sa douceur tranquille et son scepticisme amusé[3]."

Une fois son éducation achevée (1935), Mouloud Feraoun est nommé instituteur, d'abord à Tizi-Hibel qui l'avait vu grandir, puis à Taourit-Moussa. Il réalise son rêve d'être instituteur au jour le jour, comme le commente Ali Feraoun:

"C'était un bon, un très bon pédagogue. […] Il mettait un point d'honneur à avoir plus de succès au certificat d'études que toutes les écoles qu'il y avait autour et, surtout, d'élever le nombre de certificats d'études […] dont il avait la charge. Et l'école dont il avait la charge, c'était une école à une classe où il faisait tous les cours, y compris celui de certificat d'études[4]."

À cette époque, il se met à écrire d'abord le Fils du pauvre, dont les premiers manuscrits connus datent de janvier 1944. Ce roman d'inspiration autobiographique fut publié en 1950 au compte d'auteur aux Cahiers du Nouvel Humanisme et reçut le Grand prix littéraire de l'Algérie la même année. Un an plus tard, en 1951, Mouloud Feraoun part en France. C'était un voyage de documentation, sur les travailleurs kabyles en métropole; les notes lui servent à la rédaction de La Terre et le sang et Les Chemins qui montent. Ayant obtenu l'argent pour Le Fils du pauvre, il achète sa première machine à écrire.

En 1952, il prend la direction du cours complémentaire à Fort-National (Larbâa Nath Irathen actuelle). Là-bas, il vit avec sa famille deux années paisibles. Il travaille et il lit: il découvre notamment Hemingway, Steinbeck et Caldwell. Son écriture est un succès: le deuxième roman de Feraoun, La Terre et le sang lui vaut le Prix populiste (mai 1953). Charles Brouty lui apporte une série de ses dessins en lui demandant les récits sur la Kabylie. Le recueil paraît en 1954 sous le titre Les Jours de Kabylie (Alger, Le Baconnier).

La vie de l'instituteur-écrivain à Fort-National est secouée par la guerre qui éclate le 1er novembre 1954. Dès 1955, Mouloud Feraoun fait objet des sollicitations de la part du pouvoir colonial désireux de le voir condamner le mouvement nationaliste. On lui propose notamment, de participer, en 1956, (en qualité de directeur d’établissement scolaire) aux festivités de commémoration de la prise de Fort National par les Français (1870). Son refus, poli mais public, lui vaut une réponse publique aussi, contenant une menace de mort. Les provocations et perquisitions se multiplient; les lettres de menace aussi. Mouloud Feraoun finit par déménager à la capitale. C'était une Alger de 1957, Alger en bataille. La ville blanche où avait abouti son rêve de devenir instituteur est rongée par la guerre: elle se donne à l'écrivain comme "une maison vidée de ses propriétaires, dont se seraient emparés des étrangers […], qui néanmoins s’arrogeraient le droit de la gérer en dépit du bon sens et auraient réussi à la transformer en asile de cinglés[5]." Cette année est aussi celle de la publication de son troisième roman, Les Chemins qui montent, suite de La Terre et le sang paru au Seuil.

Depuis novembre 1955, Mouloud Feraoun tient un journal où il raconte les horreurs de la guerre. Initialement, ce ne sont que des notes qui allaient servir pour l'élaboration d'un nouveau roman, mais les événements pesent tellement que l'écrivain décide de noter au fur et à mesure tout ce qui arrivait aux deux communautés ennemies qui: "vivaient côte à côte depuis un siècle, se tournant délibérément le dos, […] n’ayant de commun que leur mutuelle indifférence, leur entêtement à se mépriser et cet inhumain commerce qui lie le faible au fort, le petit au grand, le serviteur au maître[6]."

Au bout de trois ans, Mouloud Feraoun quitte l'école Nador du Clos-Salembier, quartier populaire algérois où il avait été initialement nommé directeur et où l'atmosphère est devenue intenable à cause des "vexations des chefs, [d]es méchancetés des grands directeurs, mes voisins […] le métier finit par [l]e dégoûter[7]". Il accepte, depuis octobre 1960, le poste d'inspecteur des Centres Sociaux d'Éducation à El-Biar, fondés par Germaine Tillion pour donner l'accès à la formation aux jeunes Algériens les plus démunis. Cette même année, Mouloud Feraoun lance la publication, avec L. Groisard et H. Combelles, d'une série de manuels de français intitulés L'Ami fidèle (niveaux de CE1 à CM2, Hatier, édition entre 1960 et 1963) et sa traduction des poèmes de Si Mohand (Éditions de Minuit). C'est également à El-Biar qu'il est assassiné, le jeudi 15 mars 1962, à peine 72 heures avant la cessation définitive des hostilités. L'attentat, réclamé par l'O.A.S., est connu sous le nom de "l'assassinat de Château-Royal".

Mouloud Feraoun avait décrit un attentat contre un directeur d'école, un attentat dont les circonstances étaient très similaires à celles dans lesquelles il perd la vie peu de temps après. Ce texte est en réalité un hommage au collègue assassiné par l'O.A.S. peu avant Feraoun. L'hommage a été publié en 1982 comme un inédit. L'éditeur l'a intitulé "Les Tueurs":

"Le directeur sonne à 8h25 et aligne des élèves sous le préau. Serre, par la fenêtre fait signe aux siens de monter. Ayed n’est pas encore arrivé, heureusement pour lui. À ce moment au lieu d’Ayed, deux étrangers rentrent dans la cour, vont sous le préau, le premier s’avance vers Djaffer [le directeur], le second va vers les maîtres qu’il dévisage.

Le premier s’approche, la main dans la poche.
-         Vous êtes le directeur ?
-         Oui, que voulez-vous ?
-         Des papiers à signer.
-         Montrez.

Il sort son arme, tire, le directeur s’affaisse, il tire, tire encore. Le directeur est touché à mort, une balle ricoche sur un élève et lui traverse la poitrine. Les deux hommes sortent, montent dans leur voiture, disparaissent. Ayed arrive une minute après. L’autre tueur n’a pas eu sa proie[8]."

Celui de Mouloud Feraoun eut la sienne. L'inspecteur du centre et ses cinq camarades furent menés dans le préau de l'école et fusillés. L'écrivain tomba le dernier. Il était en cours d'écrire Anniversaire, le roman conçu auparavant sous le titre de La Cité des roses.


Les éditions originales des œuvres et d'articles de Mouloud Feraoun (liste non exhaustive et susceptible de modifications) :
Le Fils du pauvre, Le Puy, Cahiers du Nouvel Humanisme, 1950.
« Hommage à l'école française », Algéria, no 22, 1951.
« Le Départ du père », Algéria, no 22, 1951.
« Le Désaccord », Soleil, no 6, 1951.
« L'Instituteur du bled en Kabylie », Examens et concours, no 18, 1951.
« Mœurs kabyles », La Vie au soleil, sept.-oct., 1951.
« Sur l'École  nord-africaine des lettres », Afrique no 241, 1951.
« Les Bergères », Journal des instituteurs et des institutrices de l'Afrique du Nord, no 4, 1952.
« Les Rêves d'Ima Smina », Les Cahiers du Sud, no 316, 1952.
La Terre et le sang, Paris, Le Seuil, 1953.
« L'Auteur et ses personnages », Lire, juillet 1953.
« La Vache des orphelins », Algéria, no 30, 1953.
« Les Beaux jours », Terrasses, no 1, 1953.
« Ma mère », Simoun, no 8, 1953.
« Mon village », Lire, mai 1953.
Les Jours de Kabylie, Alger, Le Baconnier, 1954.
« La Légende de Si Mohand » poèmes oraux kabyles traduits en français, Affrontement, no 5, 1957.
Les Chemins qui montent, Paris, Le Seuil, 1957.
« Les Écrivains musulmans », Revue française de l'élite européenne, no 91, 1957.
« Monsieur Maschino, vous êtes un salaud », Démocratie no 18, Casablanca, le 6 mai 1957.
Les Poèmes de Si Mohand, Paris, Éditions de Minuit, 1960.
L'Ami fidèle, avec Louis Groisard et Henri Combelles, Paris, Hatier 1960-1963.
« Mekidèche et l'ogresse », Algéria, no 60, 1961.
« Le Dernier message », Preuves, no 110, 1962.
Journal 1955-1962, Paris, Le Seuil, 1962.
L'Anniversaire, Paris, Le Seuil, 1968.
« Les Tueurs », Revue CELFAN numéro spécial « Mouloud Feraoun », no 2, 1982.


[1] Témoignage de Germaine Tillon tiré d'un documentaire Hommage à Mouloud Feraoun, diffusé le 15 mars 2015, mis en ligne le 17 mars 2015, consulté le 2 septembre 2015, disponible à l'URL : https://www.youtube.com/watch?v=ez-n9y4z70o.

[2] Témoignage d'Ali Feraoun, ibidem.

[3] Revue CELFAN numéro spécial « Mouloud Feraoun », n° 2 1982, p. 3.

[4] Témoignage d'Ali Feraoun tiré d'un documentaire Hommage à Mouloud Feraoun, diffusé le 15 mars 2015, mis en ligne le 17 mars 2015, disponible à l'URL : https://www.youtube.com/watch?v=ez-n9y4z70o. Consulté le 2 septembre 2015.

[5] Extrait d’une lettre à Emmanuel Roblès, citée par celui-ci dans Les Lettres françaises, n119, 22-28 mars 1962, p. 5.

[6] Feraoun, Mouloud, « La Source de nos communs malheurs. La lettre d'un Algérien musulman à Albert Camus », texte paru dans le supplément « Les textes sur l'Algérie » à la revue Preuves, no 139, septembre 1962, p. 10.

[7] Extrait d’une lettre à Emmanuel Roblès, citée par celui-ci dans Les Lettres françaises, n119, 22-28 mars 1962, p. 5.

[8] Revue CELFAN numéro spécial « Mouloud Feraoun », n° 2 1982, p. 14-15.

Comment citer cette page

Claire Riffard, "Biographie"
Site "Espace Afrique-Caraïbe"
Consulté le 25/04/2024 sur la plateforme EMAN
https://eman-archives.org/francophone/feraoun-biographie
Page créée par Claire Riffard le 15/09/2015
Page modifiée par Richard Walter le 01/09/2022