La lucidité est première et elle détruit les illusions comme l’amour, le bonheur, l’espoir, la certitude, l’idéal, la grandeur, la transcendance d’un être supérieur et juste, consolateur et rédempteur. Mais elle ne se contente pas de jeter à bas et de détruire les valeurs communément admises, elle propose en son jeu de bascule une coïncidence des opposés qui renvoie dos à dos amour et indifférence, désir et sentiment, bonheur et malheur, espoir et désespoir, doute et certitude, idéal et perte d’idéal, grandeur et trivialité, transcendance et immanence, vie et mort. L’œuvre du « belluaire », en maîtrisant la bête, est d’ouvrir à une « centrale pureté » où, par le travail d’oubli et de déprise, de déception et de délaissement, s’actualisent une manière d’infini et une paradoxale ataraxie. Les derniers mots ne sont-ils pas : « les bornes de l’infini sont abolies. / jouis » (XXV) ?
Cette possible dimension de jouissance, assimilable au dieu qui serait en chacun, que chacun serait à sa manière, ne se sépare pas du sentiment le plus humble et le plus vivace de la vie qui se contente de soi. À la seule condition de « t’OUBLIER » (XX), tu te réconcilieras, non pas avec ce que tu n’es pas et n’as jamais été, mais avec ce que tu deviens en te livrant à la puissance de tout l’extérieur, de « l’étranger qui t’étonne », de « ton sur-moi » (X). JJR éclaire cette visée, à la fois nihiliste et mystique, de quelques exemples littéraires et se donne des intercesseurs comme « baudelaire » bien sûr, « cette forme d’ennui qui caractérise l’art laforguien » (XVIII) et « nerval » (XIX). Il trouve in extremis en « andré breton », dont il fait un adepte du « dadaïsme vécu » (XXV), un allié aussi inattendu que substantiel !
]]>Voici une étrange série de très courts fragments, numérotés tout comme ceux d’un Bijou rose et noir en chiffres romains, mais impossibles à dater et qui poussent d’abord au plus loin la tendance nihiliste assez souvent sensible chez JJR, dans les CB en particulier. Le caractère lapidaire ou laconique de l’expression, renforcé par un certain nombre de partis pris typographiques comme l’abolition (à deux exceptions près) de toute majuscule, même aux noms propres, et la multiplication des points séparant souvent sèchement des mots plus que des groupes syntaxiques, revêt par instants une sorte de nudité désespérée. Le titre donné à cette suite n’éclaircit pas d’emblée le mystère, car un « belluaire » c’était un gladiateur qui combattait les bêtes féroces dans les amphithéâtres romains, ou c’est encore un dompteur de bêtes féroces. Qui est ici le « belluaire » ? S’adresse-t-on d’abord à celui-ci ? Ou se contente-t-on d’en évoquer de biais la condition intime ? Faut-il tuer la bête ou la dompter seulement ? Le « belluaire » risque bien d’être l’homme en général vivant son destin d’homme, ou, plus singulièrement, le poète ou l’artiste assumant sa condition. La bête féroce semble être la conception, à la fois vulgaire et savante, religieuse et philosophique, artistique et même éthique, du « moi » comme entité conquérante et possédante, gonflée de l’ordinaire vanité qui fait les outres et les moulins à vent. Le travail du « belluaire », sa vocation, est de combattre le moulin et de dégonfler l’outre à force d’oubli et d’ignorance, en jouant d’une méconnaissance active et de la coïncidence des opposés.
La lucidité est première et elle détruit les illusions comme l’amour, le bonheur, l’espoir, la certitude, l’idéal, la grandeur, la transcendance d’un être supérieur et juste, consolateur et rédempteur. Mais elle ne se contente pas de jeter à bas et de détruire les valeurs communément admises, elle propose en son jeu de bascule une coïncidence des opposés qui renvoie dos à dos amour et indifférence, désir et sentiment, bonheur et malheur, espoir et désespoir, doute et certitude, idéal et perte d’idéal, grandeur et trivialité, transcendance et immanence, vie et mort. L’œuvre du « belluaire », en maîtrisant la bête, est d’ouvrir à une « centrale pureté » où, par le travail d’oubli et de déprise, de déception et de délaissement, s’actualisent une manière d’infini et une paradoxale ataraxie. Les derniers mots ne sont-ils pas : « les bornes de l’infini sont abolies. / jouis » (XXV) ?
Cette possible dimension de jouissance, assimilable au dieu qui serait en chacun, que chacun serait à sa manière, ne se sépare pas du sentiment le plus humble et le plus vivace de la vie qui se contente de soi. À la seule condition de « t’OUBLIER » (XX), tu te réconcilieras, non pas avec ce que tu n’es pas et n’as jamais été, mais avec ce que tu deviens en te livrant à la puissance de tout l’extérieur, de « l’étranger qui t’étonne », de « ton sur-moi » (X). JJR éclaire cette visée, à la fois nihiliste et mystique, de quelques exemples littéraires et se donne des intercesseurs comme « baudelaire » bien sûr, « cette forme d’ennui qui caractérise l’art laforguien » (XVIII) et « nerval » (XIX). Il trouve in extremis en « andré breton », dont il fait un adepte du « dadaïsme vécu » (XXV), un allié aussi inattendu que substantiel !