132. Une baleine à Kankan ?

Auteur(s) : Sassine, Williams

Les folios

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Sassine, Williams, 132. Une baleine à Kankan ? , 1994/09/24.
Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle).
Consulté le 25/04/2024 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3474

Texte de l'article

Transcription

N° 132, 24 sept 1994 : « Une baleine à Kankan ? »

Mon chien portait mes lunettes et il avait une cigarette dans sa gueule. Je me suis dit qu’il ne fallait pas en faire une histoire. On est en 3è roue publique. Peut-être que l’animal se préparait lui aussi pour la députation. Il avait une chance, parce qu’il était très populaire parmi les chiens du quartier. Quand je poussais le portail il ne fit que remuer la queue. Sa façon de me dire : « patron est-ce que tu m’as trouvé à bouffer ? » Non, je n’avais pas vu le salaud qui me devait. Je l’avais fait arrêter. On l’avait libéré 24 heures après. Il avait plus d’argent que moi. Mon argent en plus ! Depuis je le recherchais pour le fourrer dans un autre commissariat. Je suis comme Fory Coco, je ne suis pas pressé. A fakoudou !

- Personne n’est venu ?

L’animal souleva à peine la tête. J’en profitai pour lui retirer mes lunettes et ma cigarette. Il émit un faible aboiement, une espèce d’éternuement, et se rendormit. Travailler pour un chien, quelle galère ! Pour mon perroquet, j’étais tranquille. On l’avait volé ou il s’était envolé. Où est le problème ? Ce n’était pas une grosse perte, parce que quand il ouvrait son bec, c’était pour me lancer en rigolant « N’fatara ! N’fatara ! », pendant que je balayais sa merde. Le boy s’était barré avec une constipation bizarre qui durait depuis des mois. Dire que des gens crevaient autour de diarrhée cholérique. Chacun a son problème !

Margot la baleine m’attendait au salon.

- Mon chéri j’étais de passage. Comme ton chien n’a rien dit, je suis entrée. C’était juste pour t’annoncer que je suis effectivement en grossesse. Comme tu le sais, je ne vois pas mes affaires rouges-là depuis deux ans. Mon infirmier m’a dit : « Margot, ne blague plus. Tu peux pondre d’un instant à l’autre ».

- Margot, je t’en prie, ne sors pas le monstre-là, ici !

- Mon chéri, je ne sais même pas à qui il va ressembler. En tout cas si c’est un bébé édenté, c’est pour toi.

- S’il sort le bras tendu ?

- C’est pour Bâ Banque Route

- Avec 9 doigts ?

- C’est pour un type du PUP

- Avec des favoris ? Alors c’est un produit de Sidim de la Basse Cour Suprême. A moins que ce soit celui de Assan Abraham Keita, notre rédacteur en chef.

- Et si tu as un bébé avec un petit sac noir ?

- Dans ce cas, c’est Souleymane Diallo, Le Gros Lynx qui fera le baptême.

- Margot, si ton bébé sort avec un gros ventre ?

- Ça veut dire que c’est pour Bah Mamadou Lamine, Le Gros du Lynx.

Sacré Margot !

- Et je veux pour le baptême de l’enfant, un taureau blanc. Mon chéri, est-ce que tu sais où en trouver ?

- On peut toujours se renseigner auprès du nouveau ministre de Poly ! Il paraît que c’est un spécialiste des taureaux albinos.

Bon ! Il était l'heure de rejoindre un de mes « bureaux » parmi les maquis de la place, les seuls endroits où les informations non Ertégé circulent. On chen fout ! Si Fory Coco est prési à Conakry I, moi je m’étais fait élire patron à Conakry II. Pour mon élection, j’avais trouvé ma « gomme et un autre La Mine », pour les considérants.

Dans un pays immobile, on fait ce qu'on peut ! Heureusement que le Guinéen se déplace, pour se donner l'illusion que ça bouge autour de lui. Margot la baleine soufflait derrière moi comme une vieille forge. Je m’arrangeai pour la semer, à travers des raccourcis, et des mares capables de noyer des caïmans. Je pensai à elle en sifflotant : « Fidèle, je suis toujours fidèle… »

Un jour j’envisagerai une carrière de chanteur de charme comme Iglesias. Ça paye mieux que le journalisme. Ça viendra ce jour ! Ce jour on arrêtera les excisions et on respectera les jeunes filles à l’école. N’est-ce pas la Baïcha ?

Je rencontrai Jean-Pierre, l’homme aux 36 métiers. Il ne bougeait jamais même sous la pluie, appuyé sur sa canne. Capable de faire accoucher et de préparer un cercueil. Personne ne connaissait son âge. Il connaissait lui, celui des autres.

- Jean-Pierre, les nouvelles ?
- A Fakoudou, ça va pour moi ! Il y a un jeune qui est mort hier. L’enterrement a lieu à 14 heures, après la prière. Pourquoi les jeunes meurent ici, si jeunes ?
- Jean-Pierre, pose la question à un petit. Moi, il y a longtemps que mon passé est plus long que mon avenir.
- Tu sais Lynx qu’on a besoin de toi à Kankan, c’est urgent !

Quand on veut voir quelqu’un à Kankan, ce n’est pas toujours bon signe. On ne pouvait y choisir un maire sans problème. Le Kankanais est une espèce de chauve-souris. Quand une chauve-souris s’accroche à une branche, toutes les chauves-souris s’accrochent à la même branche, jusqu’à ce qu’elle casse. Ensuite on déménagera sur la branche voisine. Dans « l’affaire Diarra », il a été facile de ramasser les Kankanais. Quand tu vois un Kankanais, il est toujours assis parmi d’autres Kankanais. Il faut compter les tasses de café pour connaître le nombre de Kankanais. Mais personne ne peut soumettre Kankan. Samory l’a essayé. Sékou Touré également. En vain ! Une chauve-souris est un être multiforme. Elle a des dents et des oreilles, mais ce n’est pas une souris. Elle a des ailes, mais ce n’est pas un oiseau. Elle vole la nuit, sans voir. Elle dort la tête en bas, sans avoir le vertige. Quand elle tient quelque chose, elle le tient jusqu’à la mort. L’exemple le plus illustre et le plus récent, est celui de notre regretté Ibrahim Baba Kaké. Le Kankanais sait qu’il n’y a pas de cadeau dans la vie. Comme tous ceux qui font du NON, une religion sur cette terre. La chair de chauve-souris, carbonisée et transformée en pommade, est très efficace contre les serpents. Donc je vais aller à Kankan. Mais Kankan, quand ? Le train est fatigué. La route trop longue et en partie inachevée. L’aéroport, le plus grand du monde puisqu’il n’a pas de limite, est dangereux. En effet, il est le seul depuis la naissance de l’aéronautique, à avoir enregistré une collision entre un avion et une moto. On chen fout ! A fakoudou ! Dès que j’annonçais mon départ, des cris s’élevèrent.

- Moi je veux du rat Agouti !
- Moi, c’est une perdrix
- Moi, je veux une patte de n’importe quoi !
- Ma femme veut des ignames
- Mon oncle désire un chapelet phosphorescent
- Moi, c’est du sable du Milo. C’est du bon sable. Je dois terminer ma maison !
- Mon frère, aide-moi ! Je veux simplement que tu casses la gueule à ma sœur. Dès que tu la verras, botte-la correctement, elle me doit…

Je notais ou faisais semblant. Ces cons ne savaient pas que je n’avais même pas mon transport aller au complet. Pour revenir, je comptais sur Allah. On pouvait me commander du diamant. Du diamant, « Aredor » ne marche pas. Qu’est-ce que j’en avais à foutre ? Revenir de Kankan, enfin, pouvoir en revenir, est une solution. Le problème est d’y aller. C’est comme avec la 3è roue publique. On y est, d’après les rumeurs, en plein ! Mais peu s’en sortiront. A Fakoudou ! Que les morts dorment tranquilles. Un jour, ils voteront eux-aussi. Je montais sur une chaise pour pouvoir apercevoir Kankan. 800 kms plus loin, je la vis. Après tout je pouvais y aller à pieds. Ça me prendra la durée de la 3è roue publique. Ce n’est pas grave. Il y a bien une folle qui s’était traînée sur les fesses pendant des semaines pour dire un mot inutile à Fory Coco.

- Mon chéri, je te retrouverai partout.

C’est Margot la baleine

- Je dois aller à Kankan, ma chère !
- Je rêve d’y aller, moi aussi. Du pont, je veux plonger dans le Milo !
- Le vieux pont ne pourra pas supporter ton poids. Sans compter que le pauvre Milo risque de déborder de son lit.
- J’adore les lits ! Je passe ma vie, couchée sous des gens, dans les lits. Le lit d’une rivière ! Ça doit être intéressant. Pardon, amène-moi à Kankan ! Une baleine à Kankan. Rien que chat.

Williams Sassine

Billet

« Un chat m’a conté »

L’hyène dit un jour au lion

- J’ai du diamant
- J’ai de l’or
- J’ai une plantation
- J’ai une chèvre
- Je dois recevoir un car
- On m’a promis des poulets
- Il faut qu’on monte notre roue publique
- Après on partagera tout

Le lion ouvrit un œil, puis la moitié de sa gueule et dit :

- Hyène je m’en fous de tout ça. C’est toi que je vais manger à midi.

W.S.

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 132

Présentation

Date1994/09/24

GenreDocumentation - Presse

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Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

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