227. Le match du siècle ou la guerre entre les anciens et les nouveaux

Auteur(s) : Sassine, Williams

Les folios

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Sassine, Williams, 227. Le match du siècle ou la guerre entre les anciens et les nouveaux , 1996/07/29.
Claire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle).
Consulté le 20/04/2024 sur la plate-forme EMAN : https://eman-archives.org/francophone/items/show/3570

Texte de l'article

Transcription

N°227, 29 juillet 1996 : « Le match du siècle ou la guerre entre les anciens et les nouveaux »

J’étais au marché. Les prix des pommes de terre, des tomates, de la viande, du paquet de sucre étaient intouchables. Même le petit sachet de Nescafé avait subi une hausse de 30%. On me répondait partout : c’est à cause de la TVA. J’ai compris que la TVA signifie : Tout Va Augmenter.

Je me suis tourné vers une vendeuse de poissons. C’était pire, le prix du poisson. En plus il était pourri. Elle m’expliqua que c’était la faute du courant. Je lui répondis que si elle attendait que le garage Garafini marche, elle-même a le temps de pourrir. Elle me dit que son marabout lui a prédit une longue vie, qu’elle a cotisé pour le barrage et que quand le courant viendra elle ne le paiera pas, ça sera gratuit pour tout le monde. J’abandonnais la discussion. Car entre tous les voleurs, les sots sont les pires. Ils vous volent à la fois le temps et la bonne humeur.

Je m’en allai vers notre stade assister au match du siècle. Devinez un peu, l’ancien gouvernement contre le nouveau. Si l’un avait l’avantage du nombre de joueurs, l’autre avait la confiance de l’arbitre, je veux parler du premier ministre. On en était à l’hymne national. Le temps était lourd. A coup sûr un orage se préparait. Comme l’aurait dit Sow Baïlo, le rebelle de Hamdallaye. « Demain, je vous dirai s’il a plu hier ». Ha, la météo du pays !

L’hymne était terminé. Le prési descendit majestueusement, dans le calme et la dignité. J’ai pris mes appareils de reportage que j’avais emprunté à notre radio locale pour la retransmission.

« Bons chers auditeurs, le président est en train de serrer les mains. Mais c’est incroyable ! Arrivé aux membres de l’ex, il s’arrête et regagne sa place. Le match peut commencer. Dès le premier coup de sifflet de l’arbitre, l’ex Makline de l’aigriculture s’empare du ballon. Elle fonce, dribble, La Koumabattante, le nouveau ministre des sports. Elle continue, feinte encore Kandjou le Drame de la Santé qui est en train de chercher une seringue. Mais Makline tombe à cause de ses hauts talons.

L’Ex Saliflouflou de la justice reprend la balle. Mais il n’ira pas loin. Il est taclé par Maurice Showman, le gardien des sceaux. Mais l’arbitre « le Sid de la primature » ne siffle pas la faute. Le jeu continue. Ex Makline s’est relevée, court après le ballon, vite rejointe par « Popaul le char » le nouveau minustre de l’Agritout. Il pousse l’ex dans le dos. L’arbitre refuse toujours de siffler une faute.

Il commence à pleuvoir. Quel beau match ! Maurice Showman avance toujours vers le camp des ex. Il vient de passer le ballon à « Germain-la-Moue » de la Ponction publique. Balle perdue, « Germain » (devait penser à ses déflatés) mais récupérée par l’ex « Voix de son maitre » John le chauve. La p’tite Cellule des Transports poussifs essaie de lui barrer la route. Mais son adversaire sans façon lui assène un coup sur la tête. Il continue son chemin sans le presser, laissant « La p‘tite cellule » évanouie. L’autre « Cellule publique » des TP lève la main pour réclamer à l’arbitre un carton rouge. Mais de l’autre côté vient d’éclater une bagarre.

Le premier ministre s’y dirige. Il pleut de plus en plus. Ce n’est plus une bagarre, c’est une mêlée de rugbymen. Je distingue mal qui est qui. Le prési fait signe à son premier ministre de ne pas s’en mêler. Il met son sifflet en poche. Et contemple sous la pluie. Le public applaudit. Fof-Grise Mine de l’énergie est assis à califourchon sur La Baïcha l’ex de l’enseignement pré-tout. Baniré le Taureau-blanc, l’ex des universités, vient au secours de la dame, et ne fait pas mine de gifler. La gifle on l’entend de la tribune. Le minustre s’écroule au ralenti.

Allô, Pathé Diallo ? Si tu m’entends, viens vite ! Le rugby est en train de devenir du catch. L’ex Makline essaie de se relever, mais glisse dans la boue. Autant Michou Komando de la culture. Il pleut toujours de plus en plus et le vent souffle fort….La «Koumbattante» des scores réussit à prendre le ballon et court avec vers le camp des ex. Elle y trouve son prédécesseur, Sakoumany le sac des scores, au goal. Elle lance le ballon des mains. On en est maintenant au basket.

Sakoumany renvoie la balle de la tête. Ha ! Quelle journée mémorable. Du jamais vu ! Pendant que notre « Koumabattante » des scores va chercher la balle, son prédécesseur est à genoux en train d’essayer de trouver quelque chose dans le gazon. Il l’a trouvé. C’est son dentier.

Le président rigole. Son premier minustre est toujours sous la pluie à regarder son équipe en train de cogner dur. Les dames utilisent leurs griffes ou leurs dents. Y a pas de cadeaux, wallahi ! Tout le monde a oublié le temps réglementaire. Mais on chen fout ! Les Nouveaux et les Anciens ont l’air tous fatigués.

Ha ! Un ancien vient de faire son entrée. Il cherche le ballon et bouscule la « Koumbattante » pour le prendre. Ensuite il sort une arme et tire sur le ballon. Il s’agit de La Gomme, ex minustre de l’insécurité. Ensuite il tire un deuxième coup en l’air. Tous les joueurs se couchent dans la boue sans respirer. Le public s’est tu. Seul le prési continue à rigoler. Un obus ne lui fait pas peur, alors une balle …

Allô ! Diallo Pathé ? C’est un match à suspense. Vous m’entendez ?...Bon chat ne fait rien ! Je continue quand même. Bon pendant que je parlais à notre petite radio, le remplaçant du minustre de l’insécu se dirige vers La Gomme. Je crois qu’ils se menacent…Bon, ils ont trouvé un accord. « Sans Pile » s’éloigne de la Gomme, de 6 pas. C’est bien ce que je pensais. C’est un duel. Le public retient son souffle : deux coups de feu éclatent. Aucun d’eux n’est encore tombé. Ce n’est pas possible ! Se rater à 6 pas. Enfin le premier minustre intervient ; il pleut toujours. Je n’entends pas ce qu’il dit aux deux équipes…Mais je vois chaque joueur ramasser de la boue. Est-ce pour nettoyer notre terrain national pourri ?...Oui chaque joueur a une motte. C’est bien chat…je crois que c’est le tir aux penaltys qu’a décidé le premier minustre, l’arbitre. Comme il le disait, il est venu pour changer les choses.

Chers Auditeurs, je suis obligé d’interrompre mon reportage. La nuit tombe et il n’y a toujours pas de courant.

Je retournais dans mes maquis. On y parlait encore de la nomination d’un premier ministre. Fory Coco avait bien feinté tout le monde. Un diaspo premier ministre ? Les aigris, les casseurs, les pieuvres-voleuses, les budgétivores n’en revenaient pas. Pourtant ce sont les yeux d’un étranger qui voient plus clair. Beaucoup de ceux qui ont été remerciés et qui partiront devaient dire merci à Sydia. Parce qu’il aurait pu les arrêter. Ce ne sont pas les raisons qui manquent. A fakoudou ! Notre pays a trop souffert. Classé parmi les derniers, dans tous les domaines. Et ça ne nous gène pas de clamer partout qu’il est un scandale géologique. Laissons nos richesses souterraines en paix. Travaillons d’abord. La Mauritanie n’a ni or ni diamant, ni bauxite. Pourtant elle se porte mieux que la Guinée. Là-bas on ne parle pas de diaspo. Ils ne connaissent même pas ce mot. Nous avons un « diaspo »à la tête du gouvernement. Le type a fait ses preuves ailleurs…J’utilise le mot « diaspo » malgré moi. Parce que les diviseurs du pays l’utilisent. Dans le tout premier gouvernement, il y avait même un minustre qui a proposé en conseil de minustre de lui donner un passeport de couleur différente à celui du guinéen qui n’est jamais sorti. Pour qu’on puisse prendre et expulser plus facilement les diaspo. Nous prions pour toi Sidya.

Jamais n’a été plus intense, ni plus légitime le sentiment de vivre une mutation sans précédent. Sans précédent, parce que pour la première fois, elle concerne tous les guinéens, consciemment associés dans une histoire commune. Un nouvel âge géologique est en train de soulever l’écorce en bouleversant les plus profondes couches de notre terre mentale. Chacun de nous est en train de vivre l’expérience dont, énigmatiquement parlent les vieux mythes. Entrer de son vivant dans UT, monde où il ne peut naître qu’en mourant. A lui même (sic:de) descendre vivant aux enfers.

Sydia ne nous propose pas autre chose. Suer pour être sauvé.

Permettez-moi d’ajouter que je suis adepte du Méliorisme, c’est à dire qu’il n’y a pas longtemps, j’ai décidé d’agir en optimiste du jour, en veilleur du jour, parce que le pessimiste empêche d’agir. Mais pour peu qu’on ait à choisir, on ne doit pas se soustraire à sa tâche, au risque de se diminuer sur le plan humain. N’est-ce pas petit Leno ? Ne t’amuse plus à arrêter un journaliste. Ton patron Saliflouflou en sait quelque chose aujourd’hui.

Quelqu’un racontait : « Moi je ne fais plus d’aumône. Chacun n’a qu’à se débrouiller. L’autre jour j’ai pris un car « Allakabon ». Avant j’avais laissé 100 francs à un mendiant. Sans calculer ce qu’il y avait dans ma poche. Seulement, arrivé en ville, il manquait les 100 francs. On a discuté avec le chauffeur, il disait toujours qu’il voulait ses 100 francs ? Je lui ai dit que j’ai donné à un mendiant. Il me répondait toujours qu’il s’en foutait des mendiants. Il n’a pas eu pitié. Il m’a amené au commissariat. Là-bas, ils lui ont donné raison. Ils m’ont demandé : est-ce que tu es obligé de donner l’aumône à un mendiant, est-ce qu’il n’y a pas une loi pour chat ? Les salauds m’ont déshabillé pour 100 francs. Je ne ferai plus d’aumône. Après, pour retrouver ma culotte, j’ai été obligé de donner ma montre. Le chauffeur ne savait pas qu’elle ne marche plus depuis sa naissance. Tout ça à cause de 100 francs guinéens. Alors maintenant quand je vois un mendiant, je change de trottoir. A fakoudou ! »

Billet

UN CHAT M'A CONTÉ

Certains minustres sont dehors

C’est bien

Certaines ordures sont toujours là

C’est mal

Nous avons de nouveaux projets

C’est bien

Les vieux projets ne font qu’attendre

C’est mal

Nous sommes optimistes

C’est bien

Nous chantons, avant la victoire

C’est mal.

Par Williams Sassine

Description & analyse

Auteur de l'analyseDegon, Elisabeth

Contributeur(s)Degon, Elisabeth (collecte et saisie)

Éditeur(s) de la ficheDegon, Elisabeth

Auteur(s) de la transcriptionDegon, Elisabeth

Informations générales

LangueFrançais

CoteLe Lynx, n° 227

Présentation

Date1996/07/29

GenreDocumentation - Presse

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Fiche : Elisabeh Degon, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes, CNRS-ENS ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle). Licence Creative Commons Attribution – Partage à l’Identique 3.0 (CC BY-SA 3.0 FR)

Éditeur de la ficheClaire Riffard, équipe francophone, Institut des textes et manuscrits modernes (CNRS-ENS) ; projet EMAN (Thalim, CNRS-ENS-Sorbonne nouvelle)

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Notice créée par Elisabeth Degon Notice créée le 30/07/2019 Dernière modification le 01/09/2022

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