Nous vous livrons cette semaine un des textes inédits de Sassine
Président, j'ai appelé à la présidence
J'ai appelé le ministre des finances
J'ai téléphoné à la culture, mais ils ont déménagé
J'ai téléphoné à un taxi, mais on m'a dit ici, c'est un ministère
J'ai appelé un ami, lui il m'a dit je vais voir le gouvernement qui me doit
Je suis allé à Enelgui, on m'a répondu « on verra »
Au cimetière de Donka, on m'a rassuré : « si tu veux une place, tu fais une courte maladie »
J'ai écouté Alpha Blondy, il faisait beau. mangues (sic) pendouillaient tristes comme un polygame obligé de se lever très tôt pour ne pas donner le prix du sel.
Bâ Banque Route était attendu. Les marchés fermés. Des enfants bouchaient les rues avec des branches arrachées qui saignaient. Ils chantaient le nom de Lan-Chat-na.
A côté Alpha Grimpeur recevait un cheval et un hamac. On m'a dit un de tes copains vient de mourir. Il avait fait 30 ans dehors sans mourir. Un autre s'est approché pour me confier « un ancien ministre m'a escroqué ».J'ai demandé quel ancien ministre ? Tous les ministres et présidents seront anciens. Il m'a dit encore, « toi tu fais de la politique, je ne veux pas d'histoire »
J'ai acheté alors une mangue qui avait l'air gai. Une mangue de Kindia. En pensant à un ami maintenant en Suisse, torturé et renvoyé de son service. Djibi Thiamje te salue.
Je n'avais même pas fini de le saluer, qu'une « connaissance »m'a dit : je sais que tu viens du Canada. Est-ce que tu m'as apporté mes journaux porno ?
Il m'a raconté la suite, enfin...après qu'il a feuilleté les belles filles. De quoi allumer tout le quartier, gratis ! Il faudrait brancher ce vieux sur Enelgui.
Je commençais à me reposer, quand le hamac m'a laissé tomber. Alors je me suis dit que la journée commençait bien. D'ailleurs, on tapait à la porte. C'était un agent d'Enelgui venu pour couper. Alors je me foutais qu'on coupe ce qui est déjà coupé. On coupe les arbres, et le reste. Alors pourquoi pas le courant ? Il m'a demandé « toi, Guinéen ? » je lui ai répondu, « la Guinée est rouge, jaune, vert ». Il m'a dit qu'il reviendra.
Dix minutes après, j'ai été obligé de rechercher ma chèvre. Elle était partie brouter à côté. Un type m'a dit « ta chèvre est à Madina, je l'ai vue là-bas » j'ai dit : « tu es sûr que c'est ma chèvre ? » il a répondu « sur les seins de ma mère, ce n'est pas cette chèvre qui bêle ! »
A Madina, j'ai demandé une chèvre qui bêle. On m'a présenté des moutons. Ils bêlaient tous ! J'ai cherché dans le tas, un chameau mais il n'y en avait pas. Un éléphant ou un tigre du Bengale auraient pu faire mon affaire, mais c'est comme si vous demandiez le bon dieu. C'est pour ca que le pape n'est pas resté longtemps. Heureusement qu'il n'est pas allé à Kankan. Là-bas on attrape les poissons dès qu'ils ont leurs dents de lait.
Alors je suis revenu. Mais le hamac avait disparu. Si j'étais resté un peu plus longtemps, je n'aurais pas retrouvé la maison. Le proprio était à la porte. Il m'a dit : « c'est toi qui logesici ? »Je lui ai dit « depuis plus d'un an », il a rétorqué ;« on se voit après ? » J'ai rétorqué à mon tour « Dans plus d'un an. Le délai n'est pas trop court ? »Il a eu l'air satisfait.
Et puis je me suis souvenu que j'avais des enfants à Poly et d'autres qui préparent le bac. Pas le bac de Kouroussa qui marche rarement ! Il y a une qui m'a parlé d'intégrale, l'autre d'intégration. Un autre a ajouté, c'est quoi la désagrégation d'une université ? Et un autre encore m'a parlé d'agrégation. J'ai pris les dictionnaires, mais il paraît que quelqu'un était venu, et avait prétendu que je l'avais envoyé pour réparer mes lunettes. Il est parti avec mes verres.
J'ai répondu : vos problèmes de toutes façons, je ne veux pas les voir ! En ce moment, un type est entré. Le chien a aboyé, il lui a donné un coup à la gueule. Je crois que lui et les chiens se connaissent depuis longtemps. Vous voulez des soutiens-gorge et des sardines ?J'ai répondu : est-ce que je suis une femme ou un poisson ? ».Le chien n'était pas d'accord pour que je lui réponde, mais est-ce que je n'ai pas le droit de parler chez moi ?
Tu es un patron, tu es petit, mais toi, très fort. Beaucoup d'argent, toi un peu blanc.
Comme si c'était moi qui vendais les bauxites. Je n'ai rien dit Monsieur le président. Vous nous connaissez au Lynx. On voit mais on ne parle pas beaucoup. La preuve, c'est un résumé d'une journée que je vous donne. Ensuite j'ai été au Musée. Et puis encore j'ai vu des musiciens. Quand tu les vois tu es triste, quand tu ne les vois pas tu penses à eux. Ils sont enceints de notre culture.
Et la pluie a commencé. Ce n'est pas la pluie qui embête, ni la tête qui sera mouillée, mais où mettre les pieds ?
Conakry est bonne à visiter en hélico. Sauf que votre hélicoptère n'appartient qu'à vous. Dites aux chauffeurs de cet appareil de changer de parcours. La Guinée est assez grande. Alors on ne va pas se bagarrer pour un morceau de ciel. Si Bana Sidibé était là, j'aurais fait lotir mon morceau là-haut.
Quand la pluie a refusé de s'arrêter, je suis sorti pour trouver à manger. Mais je suis revenu après dix pas. J'ai oublié de faire ma chronique, mon billet et mon poing de vue pour le Lynx, un de vos journaux préférés. Il paraît que la présidence a l'intention de s'abonner.La lecture forme la jeunesse. Vous êtes jeune encore. Alors si vous voulez vivre sans mourir, il ne faut pas mourir sans vivre.
A bientôt ou « bientard » mon général !
Williams Sassine
PS : j'oubliais mon général ! Tous les partis veulent votre départ. Pourquoi ne créez vous pas 50 autres partis qui vous apporteraient leurs soutiens ? C'est chat la démocratie ! On attend votre abonnement. On vous fera un prix présidentiel. Dépêchez-vous, la monnaie glisse. En plus il commence à pleuvoir.
Merci encore de cette liberté.