La correspondance inédite du géomètre Gaspard Monge (1746-1818)

La correspondance inédite du géomètre Gaspard Monge (1746-1818)


57. Monge à Bonaparte

Auteurs : Monge, Gaspard

Transcription & Analyse

Transcription linéaire de tout le contenu
Ancône, le 22 pluviôse de l'an V de la République française une et indivisible
 
Citoyen général,[1]
 
Suivant les ordres que vous me donnâtes à Pesaro,[2] je me suis rendu le 20[3] à Saint-Marin qui est à la distance de 35 milles et où je ne pus arriver qu'après la fermeture des portes.[4] Dans le moment, j'écrivis une lettre à chacun des deux capitaines dépositaires du pouvoir exécutif de cette république.[5] L'un est citadin et demeure dans la ville ; l'autre est toujours un contandin[6] et celui-ci demeurait à la distance de 5 milles. L'objet de ces lettres était de les prévenir du sujet de ma mission, et de les prier d'assembler le Conseil de la République pour le lendemain, à 7 heures du matin si cela était possible. Le capitaine de l'intérieur députa sur le champ vers moi deux citoyens pour m'assurer que les deux chefs de la République seraient prêts à me recevoir le lendemain et en même temps pour me prouver l'impossibilité de convoquer aussi promptement le conseil, dont la plupart des membres étaient distribués sur tout le territoire.[7]
Le lendemain, deux députés vinrent me prendre à mon auberge, me conduisirent dans la ville et m'introduisirent jusqu'à la porte de la salle dans laquelle m'attendaient les deux capitaines. Je prononçai à ces deux chefs le discours dont je joins ici copie.[8] Dans la réponse verbale et provisoire qu'ils me firent, ils m'assurèrent qu'en voyant arriver l'armée d'Italie dans leur voisinage, ils avaient été non seulement sans inquiétude, mais même pleins de confiance dans la générosité connue du peuple français ; que cette démarche honorable pour eux, de la part d'un général victorieux et occupé des intérêts de la liberté d'un grand peuple, surpassait leurs espérances et jetait quelques rayons de gloire sur la République de St Marin « Elle est pauvre, me dirent-ils, mais tous ses habitants sont prêts à mourir pour la défense de leur antique indépendance et de leur constitution ». Quant aux offres obligeantes que vous leur faisiez au nom de la République française, ils me dirent qu'ils ne pouvaient prendre sur eux de faire sur un pareil sujet aucune proposition ; que le conseil serait assemblé le dimanche suivant, et que, d'après l'autorisation qu'ils en recevraient, ils vous écriraient avec confiance ; « votre marche étant trop rapide pour qu'ils pussent vous envoyer de députés ».[9]
Avant que de prendre congé d'eux, je leur demandai s'ils avaient des objets d'antiquité qui fussent de quelque intérêt pour l'histoire. Ils me conduisirent dans leurs archives dont les manuscrits ne remontent pas au-delà du 14e siècle. Ils y conservent avec soin plusieurs lettres en parchemin qu'ils reçurent en 1469 de la République de Florence avec laquelle ils étaient alliés. Elle les traitait de lllustrissimi viri, amici, carissimi. Dans l'une d'elles, elle les exhorte à faire une rigoureuse défense et leur dit que « Dieu qui aime la liberté les protégera ».[10]
Ils ne voulurent pas me laisser partir sans accepter une escorte de 4 hommes commandés par un officier, plutôt pour faire honneur à votre député que pour le défendre contre quelques soldats du pape, fugitifs de Césène, et qui passent en armes commettant des excès sur leur territoire.[11]
Je fus reconduis à mon auberge par une députation suivie d'une foule de citoyens, et je partis avec mon escorte que je congédiai aux limites.
                                                 [Monge]

[1] Napoléon BONAPARTE (1769-1821).

[2] Voir la lettre n°55.

[3] Le 20 Pluviôse an V [8 février 1797].

[4] Voir la lettre n°58 dans laquelle Monge fait le récit de sa mission à sa femme.

[5] Les deux lettres de Monge écrites aux capitaines régents Marino FRANCESCONI ( ? - ?) et Antonio ONOFRI ( ? - ? ),  le 20 Pluviôse an V [8 février 1797] n’ont pas été retrouvées et ne sont donc pas intégrées au corpus.

[6] Par souci de représentation un régent est issu de la ville et l’autre de la campagne. 

[7] Voir lettre n°58 sur la composition du conseil et le choix des capitaines régents de la République.

[8] Voir les lettres n°56 et n°58 dans laquelle Monge effectue le récit de son ambassade. Bonaparte l’envoie à son tour au Directoire avec sa lettre du 1er ventôse an V [19 février 1797] de Tolentino. (1394, CGNB). Ce discours a été publié dans le Moniteur universel en faisant de Bonaparte son auteur. Voir la lettre n°56.

[9] Réponse reçue par Monge le 18 février 1797 [30 pluviôse an V], rédigée par les deux capitaines régents de Saint-Marin après l’assemblée du conseil du 12 février 1797. Voir la lettre n°64.

[10] Voir les lettres n°104 et 105.

[11] Voir la lettre n°54 et la lettre de Bonaparte au Directoire de Faenza du 15 pluviôse an V [3 février 1797] (1352, CGNB).

Relations entre les documents


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Notice créée par Marie Dupond Notice créée le 12/01/2018 Dernière modification le 05/02/2024