Paris, le 10 nivôse de l'an IV de la République française
Je suis à peine excusable, mon cher Marey[1], de tarder si longtemps à vous écrire ; mais le travail de l'École polytechnique[2] m'occupe si fort que je ne puis presque plus penser à autre chose. C'est un petit chef-d'œuvre que je ne veux abandonner à lui-même que quand il sera entièrement terminé. J'ai encore environ pour un an de travail pour rédiger et mettre en ordre le matériel des études[3] ; il faut de plus pour le courant que je fasse onze leçons par décade ; tout cela ne me laisse presqu'aucun moment de libre.[4] Je me souviens d'avoir vu un tableau représentant les mathématiques. C'était un jeune homme d'une physionomie très spirituelle, profondément occupé de l'objet de ses méditations, à la lueur d'une lampe, et ayant un coq perché sur le dos de son siège. J'ai toujours pensé que le peintre avait voulu exprimer par la lampe que le mathématicien devait veiller tard ; et par le coq qu'il devait se lever tôt.[5] Eh bien, depuis votre départ, je mets le conseil à exécution, comme je le faisais avant mon mariage.[6] Souvent, il est plus de minuit quand je me couche, et souvent il n'est pas encore quatre heures du matin quand je me lève. Tout cela ne me rend pas excusable; mais cela explique la négligence, et c'est tout ce que j'ai prétendu faire par tout ce verbiage.
Vous désiriez, mon cher ami, avoir des nouvelles, et surtout des renseignements sur l'esprit public[7] ; car c'est là ce qui donne de l'inquiétude aux patriotes qui sont persuadés qu'avec du zèle, de l'enthousiasme pour la liberté et les vertus républicaines, la France ferait des miracles, comme elle en a fait tant que ce zèle a existé, qu'elle forcerait ses ennemis à l'admiration pendant la guerre, et qu'elle porterait pendant la paix, l'esprit humain au plus grand degré de perfection.[8] Si une petite république comme celle de Genève, dont le gouvernement même n'était pas démocratique, sans territoire et avec une très petite population, a su perfectionner son industrie au point de procurer à tous ses citoyens une existence plus aisée et plus douce que celle des habitants de tous les autres gouvernements, à la vérité par l'esprit mercantile, et en mettant à contribution l'ignorance et l'inattention des peuples voisins, ce qui n'est pas très philosophique,[9] que ne devrait pas produire une grande nation comme celle des Gaulois, avec un meilleur gouvernement, avec une connaissance plus exacte des principes de la liberté et de l'égalité, avec un superbe territoire tant par son étendue que par sa position[10] ; lorsque les lumières rendues populaires iraient partout déterrer les hommes de génie; lorsque ceux-ci, en augmentant la masse de lumières acquises, dirigeraient les efforts de la multitude.[11] Et lorsqu'en faisant tout pour le peuple, ce qui tourne toujours au profit du riche qui en profite comme peuple et comme riche, on soulagerait le pauvre d'une foule de travaux pénibles, en mettant à contribution, non l'ignorance des peuples voisins, mais les forces inépuisables de la nature, et en ne réservant à l'homme que l'exercice de son intelligence pour diriger l'emploi de ces forces.[12] Voilà ce qui a fait désirer aux hommes éclairés le gouvernement républicain. C'est le seul gouvernement qui puisse entretenir une exaltation continuelle et une disposition habituelle de la part de tous ses membres au dévouement et aux sacrifices pour la patrie. C'est le seul qui puisse donner à l'esprit humain toute sa perfection ; c'est le seul qui ne trouve rien de difficile, rien d'impossible de la part d'une grande nation. Mais pour cela il vaudrait mieux avoir des républicains sans République qu'une République sans républicains.[13]
Les malheureux qui, pour satisfaire de petites passions, ont crié à la perversité lorsque la morale du peuple était la plus digne d'admiration, et qui ont changé cette belle nation en une troupe de brigands qui se trompent les uns les autres et qui sacrifient tout sans pudeur pour le gain le plus révoltant, ces malheureux, dis-je, swont bien coupables. Ils ont ôté au peuple tous les moyens d'instruction qui s'étaient accumulés lentement depuis Charlemagne[14] ; ils l'ont abandonné aux prêtres qui sont les apôtres du mensonge, qui, dominant par la terreur qu'ils inspirent pour des chimères, sont perpétuellement en guerre contre les lumières et le courage, leurs ennemis naturels, et qui, décriant à leur tour un gouvernement qui doit les apprécier à leur juste valeur, en sont les ennemis les plus acharnés. C'était en établissant partout des moyens d'instruction, en élevant partout des chaires de vérités en opposition aux chaires de mensonges et d'absurdités qu'on pouvait espérer de détruire un jour tous les moyens de domination que la cour de Rome a mis tant de temps à dresser. Mais on n'a rien fait de tout cela ; et peu à peu la République se paralyse.[15]
Le véritable thermomètre de l'esprit public sont les assignats. Ce n'est pas par leur nombre ; ce n'est pas par leur rapport avec les biens nationaux qui en sont le gage ; ce n'est pas même par la crainte qu'on pourrait avoir sur l'existence du gouvernement qui doit les soutenir; ce n'est pas tout cela, dis-je, qui les discrédite. Ils sont tombés parce qu'ils étaient l'instrument d'une révolution qu'on a rendue odieuse à la multitude au lieu de la lui faire chérir. Ils sont tombés parce qu'il était de l'intérêt des prêtres d'ôter à la République un si bon véhicule. Ils sont tombés comme les décadis à mesure que les dimanches se sont reproduits ; ils sont tombés pour la même raison qu'un mauvais papier royal aurait la plus grande faveur s'il pouvait en paraître ; de même que les maîtres de poste ont conduit avec le plus grand zèle la fille de Louis XVI à Bâle et gratis tandis qu'ils refusent tout service aux fonctionnaires de la République.[16]
Néanmoins, mon cher Marey, tranquillisez-vous. La liberté est semée en France. Des gens courageux avaient voulu planter cette forêt nouvelle d'arbres tout venus, et dans la force de l'âge; des méchants, pour se battre entre eux, ont arraché ces arbres ; mais en les agitant, ils ont semé le gland et il poussera lentement. Les orties s'efforcent d'étouffer les jeunes pousses; elles donnent de l'inquiétude aux amis de la forêt qui, peut-être aussi, sont trop pressés de jouir. Ils ne croient pas pouvoir arracher jamais tant de mauvaises herbes. Qu'ils laissent agir la nature, la pluie, le soleil, et la vertu du gland le fera tôt ou tard triompher de ses obscurs ennemis ; et quand la forêt sera grande, il ne restera pas trace des orties dont les racines serviront d'engrais à des chênes vigoureux qui seront l'appui du lierre, les patrons du gui, l'asile des oiseaux, l'ornement de la terre, qui fourniront au bétail une nourriture abondante, au génie l'encre qui communique les lumières, les vaisseaux qui les portent d'un bout de l'univers à l'autre, et à l'industrie tous les moyens par lesquels l'homme substitue à ses faibles bras la force des éléments, et s'approprie pour ainsi dire toutes celles de la nature entière.
Mais le papier va me manquer et je n'ai encore rien dit. Embrassez bien pour moi tout notre monde.[17] Ma femme devrait écrire un petit mot à la mère de la citoyenne Faipoult.[18] Vandermonde[19] qui l'a vue m'a dit qu'elle était un peu piquée de la constance avec laquelle on avait refusé les offres pour lesquelles elle avait fait des frais; et les frais méritent un remerciement.
Salut et fraternité ! J'ai du monde dans ma chambre.[20] Je suis obligé de finir. [Monge]
[1] Nicolas-Joseph MAREY (1760-1818) épouse en mai 1795 Émilie MONGE (1778-1867), la fille aînée de Gaspard Monge. Après l’exécution de Louis XVI, Marey se retire de la scène politique parisienne et reprend ses activités de négoce à Nuits en Bourgogne. La correspondance que Monge adresse à Marey résulte non seulement de leur amitié fondée sur une préoccupation politique commune mais aussi de la volonté de conduire Marey à se maintenir dans l’action politique. (Voir la lettre n°90). Cela répond aussi à une demande de sa femme Catherine Huart et de sa fille Émilie Monge. Ces deux dernières vivent mal l’éloignement d’Émilie en Bourgogne depuis son mariage et désirent que le couple revienne vivre à Paris. Catherine l’exprime à plusieurs reprises dans les lettres à son mari : de Paris, le 26 thermidor an IV [13 août 1796] « Elle me fait un grand vide cette pauvre Émilie qui ne m’a jamais donné que des jouissances, m’en voilà séparée pour toujours. » ; le 17 floréal an V [6 mai 1797] « Passerez-vous par Nuits ? Fais en sorte de passer par là, Émilie est encore grosse, [elle] s’ennuie toujours dans ce pays-là, adieu mon ami. » ; le 10 messidor an V [28 juin 1797] « Tu ferais bien mieux de ramener avec toi Émilie et lui, ils passeraient l’hiver avec nous, cela ferait bien plaisir à cette pauvre Émilie… » ; le 17 germinal an VI [6 avril 1798] « Je ne sais pas si je t’ai dit que le C.[itoyen] Marey était électeur, il est sur la liste de la Côte-d’Or pour être député, Eschassériaux lui a écrit à la sollicitation d’Émilie pour l’engager à accepter. Je ne sais ce qu’il fera, cela me rendrait ma pauvre Émilie pour 3 ans. C’est tout ce que je vois de beau […]. » Émilie l’exprime à son tour dans une lettre de Nuits le 25 germinal an V [ le 14 avril 1797] en soulignant la spécificité de son premier départ de Paris au printemps 1795 accompagnée de sa mère et sa sœur Louise : « J’ai eu beaucoup plus de peine à m’habituer à Nuits cette fois-ci que l’autre, je quittais brusquement toute ma famille sans emmener avec moi quelqu’un comme à la première fois, et notre petite ville m’a parut encore plus triste qu’elle ne l’est. » Lorsque Monge écrit cette lettre à Marey ses deux filles et sa femme se trouvent à Nuits. Voir la fin de la lettre.
[2] L’École a changé de nom par le décret de la Convention du 15 fructidor an III
[1er septembre1795].
[3] En 1796, Monge ne publie qu’un article « Sur les lignes de courbure de la surfaces de l’ellipsoide ; JEP, 2e cahier, pp. 145-165. L’année 1795 est particulièrement féconde puisque sont publiés Les cours de Géométrie descriptive de l’École normale de l’an III (1795 ; 160 p.) et les Feuilles d’analyse appliquée à la géométrie pour l’École polytechnique (1795 ; ensemble de 28 feuillets comportant deux à huit pages de texte). Il semble alors que jusqu’à son départ en Italie en mai 1796, Monge perfectionne pour l’École polytechnique son mode d’exposition de son enseignement de Géométrie descriptive élaborée d’abord pour l’École normale en cherchant à l’organiser son enseignement de l’Application de l’analyse à la géométrie.
[4] Après son retour à l’École en juillet 1795 jusqu’à son départ pour l’Italie en mai 1796, Monge reprend son cours de géométrie et donne le matin des leçons de coupe des pierres et des bois, puis sur les ombres et la perspective six fois par décade à la division de stéréotomie et deux fois par décade aux deux divisions supérieures. Voir la lettre n°1, 62, 127 et 170.
[5] Il ne m’a pas été possible d’identifier ce tableau ni même de trouver des allégories des mathématiques qui correspondent à la description de Monge. Les personnifications des mathématiques sont le plus souvent féminines.
[6] Gaspard Monge épouse Catherine HUART veuve HORBON (1747-1846) le 12 juin 1777. Sur leur rencontre et leur mariage. Voir les lettres n°8 et 187. Les années 1770 sont particulièrement fécondes. Monge détermine précisément les axes théoriques de son œuvre scientifique en développant les rapports entre les sciences mathématiques, entre les mathématiques et la technique, entre les mathématiques et la physique. Son élaboration scientifique est menée aussi bien au sein de son enseignement de mathématiques et de physique à l’École du génie de Mézières qu’au sein de sa recherche inscrite dans les préoccupations collectives des mathématiciens de la deuxième moitié du XVIIIe siècle. Après avoir été répétiteur de Mathématiques lorsque Bossut est professeur à Mézières, il devient son correspondant à l’Académie des sciences en 1772. Le 14 janvier 1780, Monge devient adjoint géomètre en remplacement de Vandermonde promu associé et s’installe à Paris six mois de l’année. En 1784, il quitte définitivement Mézières.
[7] L’esprit public est le premier objet de leur correspondance. Voir les lettres n°85 et 90. C’est aussi l’objet de sa correspondance avec les membres de sa famille lors de sa seconde mission en Italie en 1798, voir les lettres n°156, 160, 167 et 176.
[8] Monge en janvier 1797 dans une lettre à sa femme s’exprime un peu différemment. L’objet de l’enthousiasme nécessaire pour l’accomplissement de la République n’est pas la liberté et les vertus républicaines, mais le bonheur et le perfectionnement de l’espèce. (Voir la lettre n°51.) Cette nuance pourrait être déterminée par la nature politique du public auquel est destinée cette lettre. On retrouve la même précaution dans une autre lettre adressée à Marey le 14 floréal an V [3 mai 1797]. (Voir la lettre n°90.) Monge place la République et la France avant le perfectionnement de l’esprit. Par contre, dans la lettre à sa femme datée de Rome, le ler prairial an V [20 mai 1797], il estime que la papauté ne s’oppose ni à la République, ni à la France, mais au perfectionnement de l’esprit. (Voir la lettre n°96.) De la même façon, dans sa lettre de Paris le 19 germinal an VI [8 avril 1798], Catherine détermine avec précision les principes qui conduisent Monge à l’action en qualifiant les premières années de la Révolution d’années de réflexion spéculative qui ont précédé l’action : « Les premières années de la révolution qui ont été les plus brillantes, se sont passées pour toi en spéculations sur le bonheur général et futur. »
[9] L’utilisation de la République de Genève comme exemple dans le discours de Monge fait évidemment penser à l’article « Genève » dans l’Encyclopédie, rédigé par d’Alembert, et qui avait suscité une forte réaction de la part de Rousseau. ((1758) Lettre de J.-J. Rousseau, citoyen de Genève à M. d’Alembert, de l’Académie Royale des Sciences de Paris, de celle de Prusse, de la Société Royale de Londres, de l’Académie Royale des Belles-Lettres de Suède, et de l’Institut de Bologne : Sur son article Genève Dans le VIIe Volume de l’Encyclopédie, et particulièrement sur le projet d’établir un théâtre de comédie en cette Ville, Amsterdam, Marc-Michel Rey) Monge emprunte la même attitude critique que d’Alembert. Il faut aussi indiquer que Monge est ami depuis plus de vingt ans avec un Suisse, Jean Nicolas Pache qui quitte la France pour la Suisse en 1787 pour ensuite rentrer en France après juillet 1789. Pendant son absence, les deux amis restent en relation en échangeant une correspondance. Les questions politiques devaient vraisemblablement être l’objet des échanges des deux amis.
[10] Monge a acquis une très bonne connaissance du territoire français au cours de ses tournées d’examinateur de la marine. (TATON R. (1951), p. 32.) Monge le souligne aussi dans le programme qui sert d’introduction à sa Géométrie descriptive en indiquant qu’il faut exploiter « cette heureuse circonstance » d’ « avoir à sa disposition les principales ressources nécessaires à la connaissance d’un grand nombre de phénomènes naturels ». MONGE G. [1795] (1827), p. xv. Voir la lettre n°108.
[11] Monge a déjà vécu l’expérience concluante de ce qu’il préconise ici. En Septembre 1793, il doit mobiliser les résultats des recherches sur la métallurgie et la chimie acquis depuis une vingtaine d’année par la communauté scientifique qui s’est lancée dans le programme ouvert par Lavoisier. Il est chargé avec Vandermonde et Berthollet de moderniser la fabrication de l’acier pour laquelle l’industrie française était très en retard sur l’étranger, d’accélérer la fabrication des armes et de fournir les directives techniques. (TATON R. (1951), p. 36 et voir BRET P. (2002), L'Etat, l'armée, la science. L'invention de la recherche publique en France (1763-1830), Rennes, P. U. de Rennes.) L’action de Monge est saluée par le Comité de salut public par un arrêté du 16 décembre 1793 mais aussi remarquée par J.N. Jomard architecte ingénieur, chargé d’effectuer un rapport au Comité de salut public sur l’action de Monge et de ses collègues. L’ingénieur est le frère d’Edme-François Jomard qui accompagne Monge en Égypte en 1798. Il décrit en introduction de ses Souvenirs l’action de Monge au service de l’armement français. (JOMARD E. F. (1853) Souvenirs sur Gaspard Monge et ses rapports avec Napoléon […], pp. 3-4.) Le succès de l’action des savants tient à l’action pédagogique qu’ils ont mené au sein du programme des cours révolutionnaires sur la fabrication du salpêtre des poudres et des cannons. Monge rédige un ouvrage Description de l’art de fabriquer les canons, publié en 1794, qui selon Taton est un « modèle d’exposition théorique et technique ». (TATON R. (1951), p. 37.) Le rapport nécessaire entre sciences et industrie réalisé par le biais de l’action pédagogique des savants est une idée chère à Monge. Dès les années 1792-1793, alors ministre de la Marine, Monge en donne une première expression dans une note manuscrite. « Ce qui fait qu’en France les arts qui exigent quelques degré d’exactitude sont presque dans un abandon total c’est que dans l’éducation d’aucune partie de la nation on ne s’est appliqué à donner aux jeunes gens le sentiment et l’habitude de la précision en sorte que les consommateurs qui n’en ont aucune idée et qui n’y attachent aucun prix, ne l’exigent pas dans les ouvrages qu’ils commandent, et que les ouvriers à qui ce travail ne serait pas payé (puisqu’il ne serait pas apprécié) se gardent bien de prendre une peine inutile. Si l’on achète une montre, par exemple, c’est à la forme de la boëte que l’on s’attache, c’est à la chaîne, c’est aux breloques que l’on pense, et le mouvement est la chose de laquelle on s’occupe le moins. Aussi quoique nous ayons peut-être un ou deux ouvriers capables de faire des garde-temps comparable à ceux d’Angleterre, il y a si peu de consommateurs de ces sortes d’objets, qu’après en avoir fait un très petit nombre ils n’ont font plus. Nous n’avons presque point d’opticiens, nous avons fort peu d’ouvriers en instruments de mathématiques, de marine, d’astronomie ; parce que personne ne sait ce que c’est qu’une lunette acromatique ; c’est que personne ne sait se servir des instruments et qu’il ne s’établit pas de fabrique de choses sans débit. » (note manuscrite citée dans TATON R. (1951), pp. 346-348.) Monge développe cette même idée dans son programme qui précède son premier exposé de la Géométrie descriptive le 1er Pluviôse an III [20 janvier 1795] à l’École normale. Ce programme est par la suite conservé dans les rééditions successives de la Géométrie descriptive : « Pour tirer la nation française de la dépendance où elle a été jusqu'à présent de l'industrie étrangère, il faut, premièrement, diriger l'éducation nationale vers la connaissance des objets qui exigent de l'exactitude, ce qui a été totalement négligé jusqu'à ce jour, et accoutumer les mains de nos artistes au maniement des instruments de tous les genres, qui servent à porter la précision dans les travaux et à mesurer ses différents degrés : alors les consommateurs, devenus sensibles à l’exactitude, pourront l’exiger dans les divers ouvrages, y mettre le prix nécessaire ; et nos artistes, familiarisés avec elle dès l’âge le plus tendre, seront en état de l’atteindre. […] Il faut enfin répandre parmi nos artistes la connaissance des procédés des arts, et celle des machines qui ont pour objet, ou de diminuer la main-d'œuvre, ou de donner aux résultats des travaux plus d'uniformité et plus de précision ; et à cet égard, il faut l'avouer, nous avons beaucoup à puiser chez les nations étrangères. C'est, d'abord, en familiarisant avec l'usage de la géométrie descriptive tous les jeunes gens qui ont de l'intelligence, tant ceux qui ont une fortune acquise afin qu'un jour, ils soient en état de faire de leurs capitaux un emploi plus utile et pour eux et pour la nation, que ceux mêmes qui n'ont d'autre fortune que leur éducation, afin qu'ils puissent un jour donner un plus grand prix à leur travail.» (MONGE G. (1799), Géométrie descriptive : leçons données aux Écoles normales, l'an 3 de la République, Baudouin, Paris, pp. 1-2, voir aussi DHOMBRES J. (dir.) (1992), pp. 305-307)
[12] Arago mentionne les travaux de Monge sur la composition des machines selon un axe pédagogique décrit dans processus de simplification, de réduction et de réorganisation. Monge s’inscrit dans le programme de recherche de la communauté scientifique initié par d’Alembert avec son traité de Dynamique en 1743 : la détermination des principes élémentaires des différents domaines de la mécanique. « Ses investigations réduisirent les machines les plus compliquées à un nombre très limités d’organes élémentaires Monge fut bientôt frappé de tout ce que les inventeurs et les simples constructeurs trouveraient de ressources dans une énumération complète de ces divers organes ; dans des tableaux synoptiques réunissant les moyens connus de transformer les mouvements des pièces sur lesquelles des moteurs exercent directement leurs action, en des mouvements très différents imprimés à d’autres pièces ; dans la représentation graphique des combinaisons ingénieuses, où l’on voit la force d’impulsion de l’eau, celle de l’air, la force élastique de la vapeur, tantôt forger à coups redoublés l’ancre colossale du vaisseau de ligne, tantôt enlacer avec une régularité mathématique les filaments de la dentelle la plus délicate. » ARAGO F. [1853] (1965), p. 38.
[13] Monge détermine le motif de son engagement pour la République en exprimant les liens solidaires et réciproques entre l’ordre politique républicain et le perfectionnement de l’esprit. Monge est républicain parce que ce système politique permet le progrès des sciences, le perfectionnement de l’esprit et le bonheur de l’espèce par le biais de l’institutionnalisation d’une pratique scientifique spécifique fondée sur les rapports entre transmission et élaboration du savoir et sur ceux entre les sciences ainsi qu’entre les sciences et les arts. Ce qui compte c’est l’instruction publique. La posture d’enseignement constitue une stratégie pour les savants afin de mettre en ordre, réduire et simplifier les principes scientifiques afin de contribuer aux progrès des sciences et au développement de nouveaux domaines scientifiques.
[14] CHARLEMAGNE (742-814) En 789, Charlemagne rédige un capitulaire ordonnant au clergé d'ouvrir des écoles pour tous. Il souhaite développer l'apprentissage de la lecture, de l'écriture et du calcul. Fourcy commence son histoire de l’École polytechnique avec la même référence à Charlemagne pour décrire comme Monge l’état de l’instruction publique fin 1793. FOURCY A. (1828), Histoire de l’École polytechnique, Paris, p. 1. L’association entre Charlemagne et l’instruction pour tous devance la fortune qu’elle atteint sous de la IIIe République.
[15] Aubry dans sa biographie supprime le passage sur l’instruction publique, tout en laissant cette dernière phrase du paragraphe. (AUBRY P.V. (1954), p. 166) Il efface ainsi l’expression du lien que Monge établit entre un système politique et une activité scientifique communautaire par le biais de l’institutionnalisation de l’instruction publique. La transmission est un axe déterminant de l’idée de progrès qui détermine l’action de Monge avant, pendant et après la Révolution. Et c’est dans ce cadre et dans une perspective historique que Monge développe son propos anticlérical. C’est bien l’opposition et les obstacles que l’Église lève contre la diffusion des Lumières qui constituent les motifs de l’anticléricalisme de Monge. Ils font écho à ceux de Condorcet exprimés à plusieurs reprises dans son Esquisse […]. Voir notamment CONDORCET [1795] (1988), pp. 157-158. Voir aussi la lettre n°99.
[16] Marie Thérèse-Charlotte de France (1778-1851), fille aînée de LOUIS XVI (1754-1793) et de Marie-Antoinette. Comme ses parents, elle est emprisonnée au Temple le 10 août 1792. Après la mort de son frère le 8 juin 1795, elle est la seule survivante de la famille royale. Son sort suscite une forte émotion au sein de l’opinion publique et dans la presse jusqu’à ce qu’elle soit récupérée par les mouvements contre-révolutionnaires et devienne un enjeu politique. Dans la séance du 2 messidor an III (1er juillet 1795), Treilhard, au nom des Comités de Salut public de Sûreté générale, propose un décret imposant à l’Autriche en échange de la princesse la libération des députés et ministres français – notamment Beurnonville, ministre de la Guerre ; les députés Bancal, Lamarque, Camus, Quinette, Drouet par ailleurs l’homme de Varennes ; les ambassadeurs Constant-Benuveau et Semonville- qu’elle détient. Ce n’est que dans la nuit du 18 au 19 décembre 1795 que Marie-Thérèse de France est conduite à Bâle pour y être remise à son cousin François II. Sur la question de l’impact du sort de la fille de Louis XVI sur l’opinion publique voir BECQUET H. (2005), « La fille de Louis XVI et l’opinion en 1795 : sensibilité et politique », Annales historiques de la Révolution française [En ligne], 341 | juillet-septembre 2005, mis en ligne le 15 septembre 2008. URL : http:// ahrf.revues.org/1620
[17] Louise MONGE (1779-1874) la fille cadette et Catherine HUART (1748-1847), sa femme, ont accompagné les jeunes mariés Émilie MONGE et son mari Nicolas-Joseph MAREY à Nuits en Bourgogne. Monge est resté seul à Paris. Voir supra.
[18] Anne-Charlotte DUCHÉ née MARRIER (1737-1814) mère de Anne-Germaine DUCHÉ (1762-1815) qui épouse Guillaume-Charles FAIPOULT DE MAISONCELLES (1752-1817).
[19] FAIPOULT et Alexandre-Théophile VANDERMONDE (1735-1796) ont été en contact dès 1792 à la Société patriotique du Luxembourg fondée en janvier 1792 par Pache, l’ami de Monge. Vandermonde meurt quelques jours après le 1er janvier 1796. Vandermonde est une rencontre déterminante pour la vie sociale et scientifique de Monge à Paris. Dès le premier voyage du jeune géomètre à Paris en novembre 1771, c’est Vandermonde qui le présente à Diderot et d’Alembert. Il se rend chez le mathématicien une fois par semaine et y rencontre de nombreuses et diverses personnalités. Dans ses Notes de voyage, le général Desaix rapporte une conversation au cours de laquelle Monge effectue le récit de ses premiers contacts parisiens. Voir DESAIX [1797] (1907), Journal de voyage du Général Desaix, Suisse et Italie (1797), p. 265.
[20] Il arrivait à Monge de recevoir ses élèves dans sa chambre. « Ses nombreuses leçons, données dans les amphithéâtres, sur l’analyse, la géométrie, la physique ne l’empêchaient pas d’aller dans les salles d’études lever les difficultés qui eussent entravé la marche du travail. Ces visites se prolongeaient souvent jusqu’à l’heure de la sortie ; alors groupés autour du professeur illustre, les élèves l’accompagnaient jusqu’à sa demeure, jaloux de recueillir encore quelques uns des ingénieux aperçus qui jaillissaient, semblables à des éclairs, de la plus féconde imagination dont l’histoire des sciences ait conservé le souvenir. » Arago F. (1854), T. II, pp. 498-499 in Sergescu P. (1947), p. 302.
[1] Nicolas-Joseph MAREY (1760-1818).
[2] L’Institut national est créé par le décret du 3 Brumaire an IV [25 octobre 1796]. Ce décret général est consacré à l’organisation de l’instruction publique et est constitué de six parties : I. Écoles primaires ; II. Écoles normales ; III. Écoles spéciales ; IV L’Institut national des sciences et des arts ; V. Encouragement, récompenses et honneurs publics ; VI, Fêtes nationales. Après un projet de Talleyrand et Condorcet, c’est finalement le projet du chimiste et conventionnel Fourcroy qui est retenu. Monge souligne que les savants ont déterminé eux-mêmes les règles de leur pratique scientifique au sein de l’Institut national et qu’ils n’ont pas été soumis à la discussion au sein des deux conseils créés avec le Directoire. Cela montre non seulement les nouveaux rapports que veulent entretenir les institutions savantes avec les institutions politiques en manifestant la volonté d’indépendance de la nouvelle communauté scientifique, mais aussi la volonté d’inscrire la pratique de la communauté dans le domaine public au travers d’un système institutionnel consacré à l’instruction nationale. Monge préférait agir en lien direct avec l’exécutif comme ministre de la Marine et au sein des commissions sous l’autorité du Comité de Salut public. Cela donne plus d’efficacité à l’action du savant dans le domaine public et réduit les délais des réalisations et de mises en œuvre des projets. Malgré sa nomination au corps législatif en avril 1798, Monge n’y siégea pas. (Voir la lettre n°176.) En revanche, il répond à sa nomination au Sénat conservateur créé lors de la promulgation de la Constitution de l’an VIII le 24 décembre 1799 et quitte son poste d’examinateur de la Marine. Voir la lettre n°204.
[3] Le 21 janvier 1796 [1er Pluviôse an IV] est le jour de la fête de l’Abolition de la Royauté. La loi du 21 nivôse an III [10 janvier 1795] crée une fête destinée à célébrer le 1er pluviôse (21 janvier) de chaque année, dans tous les communes de la République et par les armées de terre et de mer, « l’anniversaire de la punition du dernier roi français ». C’est un an plus tard que son organisation est fixée. Pour une description détaillée de la fête voir MAINDRON E. (1889), Le Champ-de-Mars – 1751-1889, Paris, Danel, pp. 117-119.
[4] Bataille navale lors de laquelle la flotte grecque s’oppose à la flotte perse de Xerxès en 480 av. J.-C.
[5] XERXÈS Ier (519-465 av J.C.), roi des Perses.
[6] Les vertus de l’enthousiasme sont difficiles à défendre en cette deuxième partie de la Révolution française qui succède à la Terreur. Monge prend soin de préciser que l’enthousiasme doit être dirigé vers un but utile notamment lorsqu’il s’adresse à son gendre Marey retiré de l’action politique après l’exécution de Louis XVI le 21 janvier 1793. C’est en dirigeant l’enthousiasme vers un but utile et honnête que l’on peut produire des prodiges et perfectionner l’esprit. Or c’est le même principe que les savants affichent désormais dans leur pratique scientifique. Deux buts ont été attribués à la pratique scientifique : le progrès de l’esprit et l’utilité commune. Ces buts ne font pas que diriger l’enthousiasme, ils le provoquent. « Cette idée d’étendre à la fois le domaine de toutes les sciences est si grande, si élevée, le but en est si utile, qu’elle suffit pour exciter dans les têtes vraiment philosophiques un enthousiasme capable de balancer les penchants personnels, les intérêts particuliers. Ces intérêts, ces penchants se partagent entre divers objets, ne sont pas les mêmes dans les différents individus ; cet enthousiasme, au contraire, les dirige tous vers un même point : fût-il plus faible dans chacun d’eux, il aura sur la masse totale une force unique, supérieure à ses forces divisées. » CONDORCET [1804] (1988), Fragments sur l’Atlantide, p. 309. Condorcet par contre est opposé à un usage des sciences en spectacle afin de frapper les esprits comme le préconise Monge dans la lettre suivante. Voir la lettre n°5.
[7] LOUIS XIV dit LOUIS LE GRAND ou le ROI SOLEIL (1638-1715). Sous son règne est fondée l’Académie des sciences en 1666.
[8] Voir la lettre n°3.
[9] Voir les lettres n°3 et 18. Ce jugement est toujours présent dans le discours de Monge en Égypte. Voir les lettres n°192 et 195.
[10] Ces deux vers sont tirés de la « Marseillaise » chant patriotique de la Révolution française écrit par Rouget de Lisle en 1792 pour l’armée du Rhin. Elle est adoptée comme hymne national par le Directoire le 14 juillet 1795 jusqu’en 1804. Il faut ensuite attendre la Troisième République pour l’adoption définitive.
[11] Elle coïncide avec l’anniversaire de la mort de Louis XVI.
[12] Son domicile.
[13] Émilie MONGE (1778-1867), fille aînée de Monge, Catherine HUART (1747-1846) et Louise MONGE (1779-1874), fille cadette de Monge. Catherine et Louise ont accompagné Émilie à Nuits après son mariage avec Marey. Voir la lettre n°3.
[14] Louise joue de la harpe. L’idée de progrès est ici associée à une marche orientée et un objectif pédagogique. Monge se montre père et pédagogue. Il semble que le plus important ne soit pas les progrès qu’elle accomplit en musique mais bien l’acquisition même de l’idée de progrès et la volonté d’en accomplir. Alors que Monge est en mission en Italie, Catherine lui écrit le 27 thermidor an IV [14 août 1796] : « […] son oncle [Louis Monge] trouve qu’elle a fait beaucoup de progrès sur sa harpe cela lui donne de l’émulation. » Sur le caractère de Louise voir les lettres n°14 et 20.
[15] Monge se fait accompagner de ses filles lors de ses tournées d’examinateur de la Marine. Sur l’attitude de Monge envers les enfants et les jeunes gens voir les lettres n°9, 13, 14, 20, 48, 171 et 173.
[1] Nicolas-Joseph MAREY (1760-1818).
[2] Lettre n°4.
[3] Dans la Constitution de l’An III qui fonde le régime du Directoire de 1795 à 1799, les fêtes nationales sont comprises dans la dixième partie intitulée Instruction Nationale. « Art.. 301 : Il sera établi des fêtes nationales pour entretenir la fraternité entre les citoyens et les attacher à la Constitution, à la patrie et aux lois. ». De même que dans le décret du 3 Brumaire an IV [25 octobre 1795]. Selon Sergescu, ce projet de fête nationale porte toute la conviction de Monge. Il tente en Égypte d’appliquer ces principes mais sans succès. (SERGESCU P. (1947), p.305.) Voir infra.
[4] Le physicien Jacques Alexandre César CHARLES (1746-1823) et le fabricant d’instrument Nicolas Louis ROBERT (1760–1820).
[5] Adelaïde MONGE (1780-1783), appelée « Nanan ». Elle meurt le 5 décembre 1783.
[6] Ascension du ballon à hydrogène de Charles et Robert du 1er décembre 1783 aux Tuileries. Elle est décrite par Lavoisier dans les Mémoires de l’Académie. Le chimiste comme le géomètre reconnaît la puissance spectaculaire de l’effet produit par l’expérience du 1er décembre aux Tuileries. Le compte-rendu des nombreuses expériences publiques sur les aérostats rend manifeste l’implication du public le plus large dans sa stratégie pour convaincre. « Au reste, on a vu avec quel succès MM. Charles et Robert s'en sont servis dans l’expérience faite au Champ de Mars le 27 du mois d'août dernier, et comment ils l’ont employé tout récemment, d'une manière encore plus frappante, dans l’expérience mémorable du 1er de ce mois. Tout Paris les a vus portés dans un char soutenu par un globe de 26 pieds de diamètre, rempli d'air inflammable, s'élever du milieu du bassin des Tuileries, et monter successivement à une hauteur de plus de 300 toises ; poussés par un vent du sud-est, ils ont parcouru ensuite, à travers les airs, un espace de plus de 9 lieues avant de descendre ; et M. Charles, resté seul dans le char, après ce voyage, animé par un nouveau courage, s'est élevé jusqu'à une hauteur de près de 1,700 toises, et a montré aux physiciens comment on pouvait aller jusque dans les nuages étudier les causes des météores. » (LAVOISIER [1783] (1865a), « Rapport […] sur la machine aérostatique de MM. de Montgolfier », pp. 719-735, p. 733.) La singularité du récit de Monge tient dans le fait qu’il ne décrit pas l’événement du point de vue de l’homme de science mais de celui du simple spectateur mêlé à la foule, inquiet au sujet de l’état de santé de sa plus jeune fille Adélaïde qui n’a alors que trois ans. De même, hors du domaine scientifique, le récit de Madame Vigié-Lebrun exprime la forte impression provoquée par l’ascension du ballon en décrivant la réaction de la foule. « Quand on eut coupé les cordes et que le ballon s’éleva majestueusement à une si grande hauteur que nous le perdîmes de vue, l’admiration, la peur pour les deux braves que portait la petite nacelle firent pousser un cri général. Beaucoup de personnes, et j’avoue que j’étais du nombre, avaient les larmes aux yeux. » ((1835) Souvenirs de Madame Louise Élysabeth Vigié-Lebrun, Paris, Fournier, p. 315.) Les recherches expérimentales qui visent une production d’hydrogène « en grand » telles que les préconise Lavoisier dans ses Mémoires de l’Académie, ont un enjeu déterminant pour le développement théorique de la chimie, notamment pour montrer la nature non élémentaire de l’eau et de l’air ainsi que pour le combat mené contre la théorie du phlogistique. Monge y participe activement depuis son laboratoire de Mézières par le biais d’une correspondance avec Vandermonde. Une autre ascension est effectuée sur le champs de Mars le 27 aôut 1789. La réception est identique. Monge n’a pas qu’une expérience théorique des aérostats, il participe en 1794 à la mise au point d’utilisations militaires de surveillance par les ballons qui favorisent la victoire de Fleurus. À cette période, il effectue une ascension avec une de ses filles (voir la lettre n°46). En septembre 1798 après la prise du Caire et l’établissement de l’Institut d’Égypte (voir lettre n°189) Monge profite de l’expédition pour réaliser une fête comme il l’entend. Le 1er Vendémiaire an VII [22 septembre 1798], fête du 1er jour de la République il organise un lancé de Montgolfière. (Voir la lettre n°195.) Il est très déçu par l’absence de réaction des Égyptiens. (Voir la lettre n°192 et aussi VILLIERS DU TERRAGE (1901), Les aérostiers militaires en Égypte : Campagne de Bonaparte, 1798-1801, Paris, Camproger, pp. 14-15). Cet échec doit sans doute être éclairé par la remarque de Condorcet au sujet des aérostats. Voir infra.
[7] Avec l’expression « d’utilité prochaine », c’est-à-dire non immédiate, Monge ne réduit pas l’utilité des recherches scientifiques à des applications techniques, industrielles directes et immédiates et laisse ainsi la place à des recherches plus théoriques et plus curieuses. Il manifeste l’importance de considérer le décalage entre le temps de la science et le temps social et politique.
[8] Condorcet est très méfiant face à une mise en scène de la science qui relève plus d’une exploitation de l’ignorance que de la volonté de diffuser les lumières et de former les esprits. « […] ces aérostats jusqu’à présents inutiles […] cesseront de l’être lorsqu’un enthousiasme éclairé et durable pour le progrès des sciences, et non le désir de mettre à profit pour son intérêt ou sa célébrité l’engouement de l’ignorance, dirigera ceux qui s’occuperont de les employer. » CONDORCET [1794] (1988), pp. 312-313.
[9] William PITT le Jeune (1759-1806), Premier ministre britannique.
[1] Voir la lettre n°110 et la réponse de Catherine du 14 thermidor an V [1er août 1797] en note.
[2] Selon Monge c’est le moyen de provoquer l’enthousiasme national. Voir les lettres n°4 et 5.
[3] En Avril 1797, les Royalistes gagnent les élections lors du renouvellement d’un tiers du conseil des Cinq-Cents. Ils sont alors en majorité au conseil des Cinq Cents. Monge n’en est pas tout de suite affecté, il compte sur les victoires de la république à l’extérieur de la France pour la renforcer à l’intérieur. Voir les lettres n°76, 89 et 90. Sur la montée es Royalistes et la réponse du Directoire avec le coup d’état du 18 fructidor, voir les lettres n° 110, 116, 118, 127, 131, 132 et 135.
[4] Godechot utilise notamment cette lettre de Monge pour compléter ce qui est exprimé par les adresses aux Armées des généraux et traiter du recours aux armées dans la gestion de la crise de Fructidor. « Si le Directoire avait ainsi lâché la bride aux généraux et surtout à ceux des armées d’Italie et de Sambre-et-Meuse qui passaient pour le plus nettement républicains, c’est qu’en retour ils attendaient d’eux des services particulièrement importants.[…] [Le Directoire] prévoyait […] qu’il aurait besoin de leur intervention dans la politique pour lutter contre les modérés. […] Le gouvernement était dûment averti par l’opposition. Néanmoins, il lui apparaissait impossible de lutter contre les modérés par des moyens constitutionnels. L’abrogation des lois des 3 et 4 Brumaire an IV, qui avaient exclu des assemblées électorales un certain nombre de citoyens, émigrés, déportés, auteurs ou provocateurs « de mesures séditieuses » ; l’abrogation d’une grande partie de la législation électorale contre les émigrés et leurs parents, la proposition d’abroger les lois contre les prêtres réfractaires, indiquaient à tous et d’une manière suffisamment nette les intentions des modérés : eux-mêmes pour compléter leur victoire, songeaient à faire appel à l’armée, ils comptaient sur Moreau. Le Directoire répandit habilement ces nouvelles dans les armées qui passaient encore pour très républicaines, celles de Bonaparte et de Hoche. Elles répondirent en envoyant des adresses aux armées. Bonaparte donna l’exemple […] le 14 juillet 1797 : « Soldats, s’écrie-t-il, je sais que vous êtes profondément affectés des malheurs qui menacent la Patrie, mais la Patrie ne peut courir de dangers réels. Les mêmes hommes qui l’ont fait triompher de l’Europe coalisée sont là. Des montagnes nous séparent de la France, vous les franchiriez avec la rapidité de l’aigle pour maintenir la Constitution, défendre la liberté, protéger le gouvernement et les républicains[…] ». Godechot complète en indiquant que les sentiments de l’armée d’Italie se manifestent aussi dans les correspondances privées en citant d’abord le général Dupuy et Monge, d’après DE LAUNAY L. (1933), p. 163. In GODECHOT J. (1941), pp. 660-662. Voir les lettres n°131, 132 et 135.
[5] Voir les lettres n°116 et 118.
[6] Monge se montre très attaché aux républicains de Rome. Voir la lettre n°113. Monge n’admet pas l’abandon des républicains italiens après les avoir utilisés au sein de stratégies diplomatiques, et il écrit à Bonaparte à ce sujet. La lettre ne figure pas dans le corpus mais Bonaparte en fait mention dans une lettre à son frère Joseph BONAPARTE (1768-1844) le 16 fructidor an V [2 septembre 1797] alors ambassadeur auprès de Pie VI « Vous trouverez ci-joint, citoyen ambassadeur, une lettre que m’avait écrite dans le temps le citoyen Monge ; je crois très essentiel pour la dignité de la République française, comme pour le bien de l’humanité que vous fassiez sentir à la cour de Rome la nécessité de ne pas sacrifier des hommes aussi universellement estimés que ceux dont il est question dans cette lettre. Il est indispensable ; je pense, que, tout en cherchant à maintenir une bonne amitié entre la République française et la cour de Rome ; vous deviez cependant freiner cette fureur, qui semble animer plusieurs ministres de cette cour, d’opprimer les hommes qui ont accueilli nos artistes ou servis nos ambassadeurs. » (1955, CGNB). Voir la lettre n°132.
[7] Monge exprime clairement dans quel projet il s’inscrit et que vise son action publique : transmission et progrès des sciences, perfectionnement de l’espèce humaine c’est à dire de l’esprit. Sur l’idée de progrès, voir les lettres n°3, 4 et 5.
[8] Voir la lettre n°113.
[9] Napoléon BONAPARTE (1769-1821)
[10] Sur le rassemblement à Livourne de tous les objets remis par le Pape à la France selon le Traité de Tolentino du 1er ventôse an V [19 février 1797], voir les lettres n°81, 92, 94, 95, 98, 102, 109, 110, 114 et 115.
[11] Jean-Guillaume MOITTE (1746-1810). Sur l’embarquement voir les lettres n°121 et 122.
[12] Claude-Joseph TROUVÉ (1768-1860). Il est le gendre du commissaire André THOÜIN (1747-1824). Secrétaire de légation à la cour de Naples.
[13] Jean-Simon BERTHÉLÉMY (1743-1811).
[14] Claude-Louis BERTHOLLET (1748-1822) est le dernier membre de la commission à quitter l’Italie fin novembre 1797. Voir la lettre n°138.
[15] MOINEAU ( ?- ?) domestique de Monge attaché à la commission.
[16] Fête de l’abolition de la royauté et de la naissance de la République.
[17] Charles-François DUPUIS (1742 -1809) auteur de l’ « hymne au soleil » et de l’Origine des religions. Voir les lettres n°39 et 104.
[18] Les préliminaires de Leoben signés le 29 germinal an V [13 avril 1797], prévoient que l’Autriche cède la Belgique et récupère la Vénétie. Et en effet, Monge, ancien ministre et examinateur de la Marine (voir la lettre n°118 et 132), voit juste lorsqu’il craint que l’Autriche ne devienne ainsi une puissance maritime dangereuse. Monge qui n’envisage pas encore le projet d’une expédition en Égypte ne comprend pas l’enjeu de la prise des îles de Corfou, Zante et Céphalonie en juin 1797 (voir les lettres n°90 et 110) ni même pourquoi la Vénétie révolutionnée (voir les lettres n°76, 84, 90, 93, 96 et 99) a pu constituer une monnaie d’échange avec l’Empereur, François II (1768-1835). Monge se montre alors ici sincèrement solidaire des révolutions en Italie et ne perçoit pas comme Bonaparte le mouvement italien de démocratisions comme un moyen de pression et un instrument de persuasion utilisable dans la guerre avec l’Empereur. Dès le 7 prairial an V [26 mai 1797], Bonaparte exprime au Directoire sa volonté de se saisir des îles ioniennes : « J’envoie le général Gentili avec 1500 hommes, 5 ou 600 Vénitiens et une partie de nos flottilles, pour s’emparer de Corfou, Zante et de Céphalonie. Pour Corfou je crois que nous devons irrévocablement le garder. » (1580, CGNB) Le même jour au général Gentili, il indique comment la France doit avancer masquée dans cette affaire : « Vous trouverez à Venise cinq frégates commandées par le citoyen Bourdé, et vous vous embarquerez avec vos troupes sur ces frégates er sur quelques autres bâtiments de transport, s’il est nécessaire, et vous partirez le plus promptement et le plus secrètement possible, pour vous rendre à Corfou et vous emparez de tous les établissements vénitiens au Levant. Vous aurez soin de n’agir que comme auxiliaire de la République de Venise et de concert avec les commissaires que le nouveau gouvernement aurait envoyés ; enfin, de faire l’impossible pour nous captiver les peuples, ayant besoin de vous maintenir le maître, afin que, quel que soit le parti que vous preniez pour ces îles, nous soyons dans le cas de l’exécuter. » (1582, CGNB). Enfin, Bonaparte exprime clairement au Directoire son projet d’une campagne en Égypte de Milan cinq jours plus tard, le 29 thermidor an V [16 août 1797] : « L’empereur paraît diriger toutes ses forces vers l’Italie ; les nombreuses recrues qu’il fait, jointes aux prisonniers qu’on lui a rendus, et qu’il a le temps d’exercer, le mettront dans le cas de m’opposer une armée formidable. […] Les îles de Corfou, Zante et Céphalonie sont plus intéressantes pour nous que toute l’Italie ensemble. Je crois que si nous étions obligés d’opter il vaudrait mieux restituer l’Italie à l’Empereur et garder les quatre îles, qui sont une source de richesse et de prospérité pour notre commerce. L’empire des Turcs s’écroule tous les jours ; la possession de ces îles nous mettra à même de le soutenir autant que cela sera possible, ou d’en prendre notre part. Les temps ne sont pas si éloignés où nous sentirons, que pour détruire véritablement l’Angleterre, il faut nous emparer de l’Égypte. Le vaste empire ottoman qui périt tous les jours, nous met dans l’obligation de penser de bonne heure à prendre des moyens pour conserver notre commerce du Levant. » (1908, CGNB) Sur ce même sujet, voir aussi les lettres du même jour à TALLEYRAND (1910 et 1911, CGNB). Voir la lettre n°131. Sur les différents projets d’une expédition en Égypte de la diplomatie française voir la préface de Fourier. FOURIER J. [1809] (1821) « Préface historique », Description de l’Égypte ou Recueil des observations et des recherches qui ont été faites en Égypte pendant l’expédition française, Paris, Pansckoucke, 1, i-clv. et HITZEL F. (1999) ; DUPOND M. (2014), “ The triangular relationship between science, politics and culture determined by the idea of progress and implemented through the Expedition to Egypt (1798-1799) ” in KATSIAMPOURA G. (2014), Scientific cosmopolitalism and local cultures ; Religions, ideologies, societies, Proceedings of 5th International conférence of the European society for the History of science, novembre 2012, Athens, N.H.R.F., pp. 409-417.
[19] La position de Monge est ici bien différente de celle défendue dans une lettre à Marey. Voir la lettre n°90.
[20] Monge quitte l’Italie dans la nuit du 26 vendémiaire an V [17 octobre 1797].
Bibliothèque de l'Institut de France (Paris).
Huart, Catherine (1748-1847)
[1] Cette lettre est transcrite à partir de la copie Ms 2192 BIF. Le manuscrit ne figure pas dans le volume relié de la correspondance de Monge IX GM 1. Une note indique qu’une copie se trouve dans la B.E. T. III pp. 182-183.
[2] Bonaparte écrit à Desaix le 21 floréal an VI [10 mai 1798] : « Je suis depuis hier à Toulon, mon cher général. La division du général Reynier est partie hier soir de Marseille ; je l’attends ici à chaque instant dans la rade de Toulon. Je partirai sur le champ pour aller à la rencontre du général Baraguey d’Hilliers [dirige le convoi de Gênes], et de là passer entre l’île d’Elbe et la Corse, faisant route entre la Sicile et la Sardaigne. Nous vous enverrons prévenir par un aviso, afin que vous veniez nous rejoindre. Il faut donc que vous soyez en rade embarqués, afin qu’en quatre heures vous puissiez mettre à la voile. Si vous avez des avisos à votre disposition, vous pouvez envoyer reconnaître. Si le temps est bon, il est probabale que le 28 ou 29 nous passerons à votre hauteur. Vous ne recevrez cette lettre que le 27 : ainsi vous n’avez guère que vingt-quatre heures pour vous préparer. Tout le monde est rendu ici, et notre colonie de savants est en très bonne disposition. Saluez, je vous prie, Monge de ma part. Je vous salue et vous aime. » (2461, CGNB). Louis-Charles-Antoine Desaix (1768-1800). Voir les lettres n°174, 178 et 179.
[3] Catherine tente de suivre son conseil. Mais n’y parvenant pas, elle lui répond de Paris le 20 Prairial an VI [8 juin 1798] : « […] ta lettre du 28 que [je] n’ai reçue qu’hier, m’avait mise en gaieté, je crois qu’Émilie arrive aujourd’hui, et ton frère qui n’est parti de Toulon que le 28 qui m’a dit tous les détails qu’il a pu recueillir [sur] cette expédition Enfin tout m’avait fait entreprendre de t’écrire, et je m’aperçois que c’est comme le premier jour. D’ailleurs peut-être ne recevras-tu jamais ma lettre, où il y aura longtemps qu’elle sera écrite autre chose t’occupera […]. »
[4] Sur le goût de Monge pour la mer et son enthousiasme à l’idée de participer non seulement à une campagne militaire, une expédition scientifique mais aussi une expédition maritime, voir les lettres n°38, 176, 177, 180, 184 et 187. Catherine lui répond le 20 Prairial an VI [8 juin 1798] : « J’accepte toutes tes prophéties sur l’Expédition, je ne peux guère compter sur le temps il est trop variable, quant à ton bonheur qui ne t’a jamais quitté, il est confondu avec celui de tant d’autres que tu auras de la peine à le faire prévaloir, il ne faut qu’un moment pour qu’il t’abandonne… »
[5] Voir la lettre n°184. En réponse le 20 Prairial an VI [8 juin 1798], Catherine lui fait part des informations qu’elle a apprises, elle lui écrit : « […] ton frère dit qu’à Marseille surtout l’enthousiasme était extrême tous les négociants ont contribué à l’armement, ils croient déjà voir tous les trésors de l’Inde dans leurs ports, maudit or ! Combien de sacrifice et de malheur tu coûtes au genre humain. Il ne m’a pas dit qu’un bataillon de volontaires de soit formé à Bordeaux, il est vrai que je ne l’ai encore vu qu’une fois, j’étais ainsi que lui plus occupé de toi que de la flotte. […] Tout le monde ici se perd en conjecture. Chacun fait des vœux pour la réussite du grand projet que tous admirent sans savoir ce que c’est, on vous voit déjà en Égypte former une colonie, y établir les arts et les sciences, d’autres assurent que vous êtes maintenant à Malte, d’autres à Livourne que vous avez battu le lord St Vincent qui doit être dans les parages. Enfin les géants de la fable n’allaient plus vite que vous, les Argonautes vos prédécesseurs n’étaient que des enfants près de vous, je suis bien de leur avis, ce projet a été conçu par des hommes qui méritent la confiance de tous, tout le monde en a la plus grande idée, on ne doute nullement de la réussite, quant à moi j’attends en tremblant les 1ères nouvelles officielles que personne ne saura avant les conseils. »
Bibliothèque de l'Institut de France (Paris)
Huart, Catherine (1748-1847)