Paris, le 14 pluviôse de l'an VI de la République française
Le chef de l'École polytechnique au ministre de l'Intérieur
Citoyen ministre,[1]
D'après les ordres que j'ai reçus hier du Directoire, je suis forcé de quitter pour un temps la place de chef de l'École polytechnique, pour me rendre à Rome, comme directeur de la Commission qu'il y envoie.[2]
Dans des circonstances, citoyen ministre, où l'École va peut-être recevoir une organisation nouvelle, dans un temps où elle sera peut-être exposée à un changement de local, il est impossible que la place de chef ne soit pas promptement remplie par intérim. Permettez-moi de vous présenter pour cet objet le citoyen Guyton. Étant membre du conseil et instituteur de cette école depuis sa création, il en connaît parfaitement le régime ; il jouit de la plus grande considération, et par ses talents et par son attachement à la République, et je suis persuadé que le Directoire ne pourra qu'applaudir à ce choix.[3]
Il est aussi nécessaire, citoyen ministre, pour que le service de l'instruction de l'École n'éprouve aucune suspension, que vous y attachiez en qualité d'instituteurs de géométrie descriptive, le citoyen Sganzin, ingénieur des ponts et chaussées attaché au dépôt,[4] et le citoyen Gay-Vernon, officier retiré du corps du génie[5] et frère du représentant du peuple de ce nom.[6] Les talents de ces deux citoyens sont indispensables à l'école pour que le but de son institution soit rempli, et leur nomination est urgente.[7] Leur zèle pour le maintien de notre gouvernement les rend dignes de la confiance du Directoire.
En partant, citoyen ministre, je recommande à votre sollicitude un établissement qui a le plus grand besoin de votre attention particulière et qui contribuera à la gloire de la République, en lui procurant pour ses différents services des sujets distingués par leurs talents et utiles par leurs lumières.
Salut et respect.
Monge
P.S. Comme les fonctions que je vais quitter ne sont pas de nature à recevoir aucune interruption, je vous préviens, citoyen ministre, que je viens d'inviter le citoyen Guyton à s'en charger jusqu'à ce qu'il ait reçu de vous de nouveaux ordres.
[1] François Sébastien LETOURNEUX (1752-1814) il remplace Nicolas FRANÇOIS DE NEUFCHÂTEAU (1750-1828) de septembre 1797 à mai 1798.
[2] L’assassinat du général Duphot lors des émeutes à Rome de décembre 1797, conduit le Directoire à ordonner au général Berthier de se diriger sur Rome avec ses troupes dès la fin janvier 1798 et de modifier totalement sa politique envers le gouvernement papal. Par un arrêté du Directoire du 12 pluviôse an VI, [31 janvier 1798], Florens, Daunou et Monge sont nommés commissaires de la République à Rome. Archives Nationales, A.F. III 498, Dossier 3135. 12 pluviôse. Ils sont chargés notamment d’enquêter sur la mort du général Duphot et d’établir les institutions de la République romaine. Sur les instructions données aux commissaires du Directoire voir les lettres n°150, 152, 157 163.
[3] Louis-Bernard GUYTON DE MORVEAU (1737-1816). Professeur de Chimie. Lors de la première absence de Monge il a aidé Prieur à défendre l’École et à en assurer la direction avec Deshautchamps. Il est
[4] Joseph-Mathieu SGANZIN (1750-1837).
[5] Simon-François GAY de VERNON (1760-1822).
[6] Léonard Honoré GAY de VERNON (1748)1822), membre du Conseil des Cinq-Cents.
[7] Catherine écrit à Monge de Paris, le 25 pluviôse an VI [13 février 1798] : « Il n’y a rien de nouveau à l’École, les Anciens n’ont pas encore fait le rapport. On croit qu’il sera favorable. Plusieurs membres se proposent de parler favorablement pour qu’on ne la déplace pas, [Lermina] a écrit au Directoire pour faire part que Gui[ton] était directeur par intérim, on [n’] a point eu de réponse. » C’est au cours de la séance du 7 ventôse an VI [25 février 1798] que Guyton de Morveau, Sganzin et Gay Vernon sont officiellement nommés. Catherine en fait part à Monge le 4 ventôse an VI [4 mars 1798]. « […] le Directoire a nommé Sganzin et Gay Vernon pour être professeurs à l’École et a permis que Guyton soit directeur par intérim ».
Lyon, le 21 pluviôse de l'an VI de la République française[1]
Les mauvais chemins, ma chère amie, nous ont empêché d'arriver ici plus tôt que ce matin à 10 heures. Nous[2] allons en partir ce soir, du moins à ce que je pense, pour filer vers le Mont-Cenis. Je t'écrirai encore un mot de Lanslebourg qui est le dernier endroit au bas de la montagne, et ensuite, à mesure que nous nous éloignerons, les époques auxquelles tu recevras de mes nouvelles se reculeront de plus en plus.[3]
Nous rencontrons de temps à autre les parties de l'armée d'Italie qui rentrent en France et qui se succèdent. Partout, sur leur route, on voit des trophées élevés en son honneur ; il y a même un petit arc de triomphe à la sortie du pont de la Guillotière sous lequel passent les demi-brigades à leur arrivée. Aujourd'hui est venue la Terrible 57e.[4] Il paraît que les Lyonnais font tous leurs efforts pour plaire à nos braves guerriers. Ce matin, nous avons rencontré le 9e régiment de dragons qui sortait de Lyon ; il s'en fallait de beaucoup qu'il ne fut complet mais nous en avons trouvé un grand nombre qui avait bien de la peine à quitter Lyon, et que les volontaires du pays reconduisaient. Au reste, il me semble que cette ville-ci est dégoûtée de sa résistance, et que désormais elle n'aura plus envie de figurer sur le théâtre de la Révolution, on se passe aisément des rôles sacrifiés.[5]
Il faut espérer que quand nous aurons passé le Mont-Cenis, les chemins nous permettront d'aller un peu plus vite.[6] Nous nous portons tous très bien ; je pense souvent à toi, et t'embrasse de tout mon cœur.
Dis mille choses aimables de ma part aux citoyen et citoyenne Eschassériaux,[7] au ménage Monge,[8] Berthollet,[9] Baur,[10] à Lermina, à Le Brun,[11] à mon frère,[12] au ménage Oudot[13] que j'ai eu le regret de ne pas voir avant de partir ; enfin rappelle-moi au souvenir de tous nos amis.
[À la citoyenne Monge
à l’Ecole Polytechnique
Palais Bourbon à Paris]
[4] Le nom de « Terrible » est donné à la 57e brigade par le général Bonaparte après la bataille de la Favorite du 16 janvier 1797 [27 nivôse an V]. Voir lettre n°51. « C’est à cette bataille que la 57e mérita le nom de terrible. Seule elle aborda la ligne autrichienne à la baïonnette et renversa tout ce qui voulut lui résister. » LAS CASES (1966), Le Mémorial de Sainte-Hélène, p. 565. « Le 27 une heure avant le jour, les ennemis attaquèrent La Favorite, dans le temps que Wurmser fit une sortie et attaqua les lignes du blocus par Sant’Antonio. Le général Victor, à la tête de la 57e demi-brigade, culbuta tout ce qui se trouva devant lui. Wurmser fut obligé de rentrer dans Mantoue presque aussitôt qu’il en était sorti, et laissa le champ de bataille couvert de morts et de prisonniers. Le général Sérurier fit avancer alors le général Victor avec la 57e demi-brigade, afin d’acculer Provera au faubourg de Saint-Georges, et par là, le tenir bloqué. Effectivement la confusion et le désordre étaient dans les rangs ennemis : cavalerie, infanterie, artillerie tout était pêle-mêle. La Terrible 57e demi-brigade n’était arrêtée par rien : d’un côté elle prenait trois pièces de canon ; d’un autre elle mettait à pied les régiments des hussards de Her-Dendi. Dans ce moment le respectable général Provera demanda à capituler ; il compta sur notre générosité, et ne se trompa pas. Nous lui accordâmes la capitulation dont vous trouverez ci-joint les articles. 6000 prisonniers, parmi lesquels tous les volontaires de Vienne, 20 pièces de canon, furent le fruit de cette journée mémorable. L’armée de la République a donc, en quatre jours, remporté deux batailles rangées et six combats, fait près de 25 000 prisonniers, parmi lesquels un lieutenant général et deux généraux, douze à quinze colonels etc., pris 20 drapeaux, 60 pièces de canons, et tué ou blessé au moins 6000 hommes. […] Toutes les demi-brigades se sont couvertes de gloire et spécialement les 32e , 57e et 18e de ligne que commandait le général Masséna, et qui en trois jours ont battu l’ennemi à Saint-Michel, à Rivoli et à Roverbello. Les légions romaines faisaient, dit-on, vingt-quatre miles par jour, nos brigades en font trente, et se battent dans l’intervalle.[…] » Bonaparte au Directoire exécutif le 29 nivôse an V [18 janvier 1797] Quartier général Vérone. (1300, CGNB).
Bibliothèque centrale de l'École polytechnique / Centre de Ressources Historiques. (Palaiseau, France).
Huart, Catherine (1748-1847)
[1] Gaspard MONGE, Pierre DAUNOU (1761-1840) et Joseph Antoine FLORENS (1762-1842) constitue la commission pour la fondation de la République romaine. Ils sont accompagnés de Louis-Pierre MARTIN DE SAINT-MARTIN, (1753-1819), leur secrétaire.
[2] Louis-Alexandre BERTHIER (1753-1815), général en chef de l’armée d’Italie. Lors de la séance du 22 nivôse an VI [11 janvier 1798], le Directoire délibère sur les « mesures à prendre pour tirer une vengeance éclatante de l’attentat commis par le gouvernement de Rome contre l’ambassadeur de la République française à Rome et de l’assassinat du général Duphot. » Berthier est alors chargé de marcher sur Rome, de respecter la neutralité de la République cisalpine envers le Pape, de faire une proclamation en arrivant à deux jours de marche de Rome pour faire fuir le pape et les membres de son gouvernement, favoriser, sans y prendre part d’une façon ostensible, la création d’une république indépendante. (PV du Directoire, t. IV, p. 37.) Lors de la séance du 12 pluviôse an VI [31 janvier 1798] Berthier doit faire seul tous les actes ostensibles, mais d’après l’avis des commissaires et doit faire faire spontanément par le peuple tous les changements possibles d’amener par cette voie. (PV du Directoire, t. IV, p. 65.) Berthier entre dans Rome le 10 février 1798. Voir la lettre n°145. Le 15 pluviôse an V [3 février 1798], le Directoire nomme André MASSÉNA (1758-1817) commandant en chef des troupes détachées de l’armée d’Italie pour occuper Rome. Ainsi il est chargé des instructions envoyées à Berthier le 12. C’est Berthier qui a demandé au Directoire son rappel et son remplacement par Masséna. (PV du Directoire, t. IV, p. 70.) Masséna est parti de Paris le 9 février selon Catherine dans sa lettre de Paris le 25 pluviôse an VI [13 février 1798]. Voir les lettres n°151, 152, 153, 155, 161, 162 et 163.
[3] Une des missions confiées à Berthier par le Directoire lors de la séance du 22 nivôse an VI [11 janvier 1798], est la restitution à la République romaine des territoires conquis sur les États pontificaux et la fixation des limites entre les deux républiques autour de Pesaro. (PV du Directoire, t. IV, p. 65.)
[4] Le pape Pie VI, Giannangelo BRASCHI (1717-1799) quitte le Vatican dans la nuit du 1er au 2 ventôse an VI [du 19 au 20 février 1798]. Catherine écrit de Paris le 4 ventôse an VI [4 mars 1798] : « […] il y a eu hier un grand message du Directoire au Cinq-Cents qui fait l’énumération des crimes des papes, cela doit faire une belle kyrielle. On dit que les 15 cardinaux ont chanté le Te deum en action de grâce de ce que leur idole est renversée, ceux là sont bien hypocrites ou bien philosophes, ou ils ont bien peur. »
[5] Abbé MAURY (1746-1817) immigre en Italie après la dissolution de l’Assemblée constituante. En 1794 il devient cardinal et est nommé évêque des diocèses de Montefiascone et de Corneto. Une des instructions du Directoire du 22 nivôse an VI [11 janvier 1798] est « l’expulsion de tous les prêtres et moines non natifs de la république romaine. » (PV du Directoire, t. IV, p. 65.) Le biographe de Monge, de Launay commente cette phrase : « Cette réflexion ne donne-t-elle pas à penser que la politique amène parfois à faire de singulières besognes ? » DE LAUNAY L. (1933), p. 184.
[6] Catherine ne reçoit pas cette lettre, au contraire elle est prise pour une lettre adressée à Monge et lui est retournée. Voir la lettre n°160
[7] Le général Léonard-Mathurin DUPHOT (1769-1797) est tué lors des émeutes à Rome de décembre 1797. Les commissaires sont chargés d’enquêter sur les conditions de sa mort. Voir supra et la lettre n°145.
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[1] En effet Catherine exprime une vive inquiétude dans sa lettre de Paris le 22 ventôse an VI [12 mars 1798]. Voir la lettre n° 160. Lors de cette deuxième mission, Monge se montre plus inquiet au sujet de sa femme, parce qu’elle est elle-même plus inquiète et contrariée. Voir les lettres n°153, 163, 167, 168, 173, 176, 181 et 182.
[2] André MASSÉNA (1758-1817). Le remplacement de Berthier par Masséna provoque une insurrection de l’Armée de Rome contre son nouveau chef. Le 2 ventôse an VI [20 février 1798] après s’être rassemblés, les officiers votent une délibération selon laquelle ils ne se soumettraient pas aux ordres de leur nouveau chef. Voir les lettres n°150, 152, 153, 155, 160, 161, 162 et 163. Voir infra une réponse de Masséna à Berthier.
[3] Louis-Alexandre BERTHIER (1753-1815) général en chef de l’Armée d’Italie. Le 15 pluviôse an V [3 février 1798], le Directoire nomme Masséna commandant en chef des troupes détachées de l’armée d’Italie pour occuper Rome en remplacement de Berthier. Voir la lettre n°150. Dès le 11 janvier 1798 Bonaparte lui écrit : « Le Directoire vous envoie des instructions très précises sur tout ce qu’il désire que vous fassiez. L’honneur de prendre Rome vous est réservé. […] Vous êtes nommé, au reste, pour remplir les fonctions de chef de l’état-major de l’armée d’Angleterre. Bien entendu qu’auparavant vous finirez de pacifier l’Italie et de venger l’honneur national, qui a été outragé avec si peu de ménagements. » (2298, CGNB). C’est finalement le 18 ventôse an VI [8 mars 1798] que Berthier est officiellement nommé. (PV du Directoire, t. IV, p. 120.)
[4] Une lettre de Masséna à Berthier général en chef de l’Armée d’Italie a pu être retrouvée mais il ne s’agit pas de celle que Monge mentionne puisqu’elle est datée du 11 ventôse. Il s’agit alors sans doute de la réponse de Masséna à celle de Berthier. Du Quartier général de Ronciglione [Italie, au Sud de Viterbe], 11 ventôse an VI [1er mars 1798], Masséna revendique son poste : « Je ne sçais pourquoi vous voulés que je ne persiste pas à garder le commandement qui m'a été confié par le Directoire exécutif ; lui seul peut m'en dépouiller [...]. Les circonstances peuvent faire céder à la force, mais jamais au devoir. Une poignée de factieux n'ont pas le droit de me ravir ce que mes longs services m'ont mérité[...] Dans une lettre particulière que m'écrit le directeur Barras, il me dit que je puis me servir des frégates ou vaisseaux qui se trouvent à Ancône ou de préférence à Civita Vecchia pour le transport du pape et de sa famille [...] ». Lettre mise en vente en 2002 à Drouot. 1 p. 1/2 in-folio, en-tête imprimé Armée de Rome avec belle vignette gravée sur cuivre, adresse au dos, déchirure due à l'ouverture sans manque de texte. Transcription communiquée dans le catalogue.
[5] Sur les instructions et les tâches données aux commissaires du Directoire voir les lettres n°145, 150, 152, 154, 155, 156, 157, 160 et 163.
[6] Lors de son absence de mai 1796 à Octobre 1797, l’École polytechnique a subi plusieurs attaques (voir les lettres n°17, 43, 77, 95) ; à son retour il accepte la direction de l’École afin de la défendre (voir les lettres n°127, 145 et 146). Monge ne cesse jamais de montrer une active préoccupation pour l’école voir les lettres n°3, 15, 84, 87, 95, 103, 132, 145, 146, 153, 156, 168, 170, 185.
[7] Louise MONGE (1779-1874) et Nicolas-Joseph ESCHASSÉRIAUX (1753-1824).
[8] Marie-Marguerite BAUR (1745-1829) épouse de Claude-Louis BERTHOLLET (1748-1822) et leur fils Amédée BERTHOLLET (1783-1811).
[9] Anne Françoise HUART (1767-1852), son mari Barthélémy BAUR (1752-1823) et leur fils Émile BAUR (1792- ?).
[10] Louis MONGE (1748-1827) et Marie-Adélaïde DESCHAMPS (1755-1827).
[11] Catherine loge à l’École polytechnique dans le logement de fonction du Directeur. Elle sert ainsi d’intermédiaire entre Monge et ses collègues voir les lettres n°147, 154, 156, 160, 164, 167 et 177.
[12] Marie-Élisabeth Christine LEROY (1783-1856) appelée Paméla, nièce de Catherine HUART.
[1] Souligné par Monge.
[2] Lors de la séance du 12 pluviôse an VI [31 janvier 1798], le Directoire énonce les tâches que doivent accomplir les commissaires. Ils ont pour instructions de remplacer le gouvernement actuel de Rome par un gouvernement représentatif ; de faire appliquer le projet de constitution de la République romaine adoptée par le Directoire, d’en obtenir l’adhésion de toutes les communes par des adresses au général en chef de l’armée d’Italie(voir la lettre n°154), de rédiger toutes les lois réglementaires qui leur paraîtront nécessaires pour la mise en activité de la constitution et de nommer les membres du Corps législatif, les Consuls et les fonctionnaires publics (voir la lettre n°156) en ne faisant paraître leurs décisions que sous le nom du général en chef. (PV du Directoire, t. IV, p. 65.) Sur les instructions données aux commissaires du Directoire voir les lettres n°145, 150, 154, 155, 157 et 163
[3] De Paris, le 25 pluviôse an VI [13 février 1798]. Monge sait qu’il s’agit de la première lettre parce que Catherine les numérote. Voir la lettre n°156.
[4] C’est précisément ce qu’exprime Catherine dans cette lettre en mentionnant une lettre qui n’a pas été conservée dans le corpus familial « J’ai reçu, Mon cher ami ta lettre de Côme, elle m’a fait d’autant plus de plaisir que je ne l’attendais pas […] ».
[5] L’inquiétude de Catherine porte autant sur la durée de la mission de Monge que sur ses conditions ; elle écrit le 25 pluviôse an VI [13 février 1798] : « Ne vous piquez pas de perfectionner le gouvernement romain car vous y passeriez votre vie, alors je ne te reverrais plus, je m’étais flattée que je te tenais pour toujours, mais je vois bien que le reste de ma vie ne sera désormais que provisoirement heureuse ; chaque jour je désire en voir la fin, c’est [toujours] un de passé. La vie passe vite comme cela sans avoir aucune jouissance et j’arriverai à son terme, désirant toujours l’abréger quand je suis loin de toi mais je laisse ce chapitre il me mènerait trop loin… » Monge est bien conscient que sa femme vit bien moins ce départ que le premier et ne cesse d’exprimer une réelle inquiétude au sujet de sa femme. Voir les lettres n°151, 153, 163, 167, 168, 173, 176, 181 et 182.
[6] André MASSÉNA (1758-1817) est chargé du commandement de l’Armée d’occupation de Rome en remplacement de Berthier. Cela provoque une insurrection de l’Armée de Rome contre son nouveau chef le 2 ventôse an VI [20 février 1798]. Masséna quitte Rome. Voir la lettre n°151 et les lettres n°150, 153, 155, 161, 162 et 163. Par des dépêches du 23 ventôse an VI [13 mars 1798], les commissaires informent le Directoire de l’état des choses : « Masséna vient d’arriver ici. Quels que soient les obstacles et les dégoûts que nous puissions éprouver, nous croyons pouvoir donner au Directoire exécutif l’assurance que ses intentions seront parfaitement remplies. Le retour du général Masséna nous avait été annoncé hier par le général Dallemagne, lequel a dit en présence de trois d’entre nous que ce retour avait été préparé par de l’argent rependu. » (PV du Directoire, t. IV, p. 18.)
[7] Anne-Germaine DUCHÉ (1762-1815) femme Guillaume-Charles de FAIPOULT DE MAISONCELLES, (1752-1817) ambassadeur à Gênes. Le 25 pluviôse an VI [13 février 1798], Catherine écrit à propos du couple : « Les journaux avaient annoncé depuis votre départ que Faypoult allait vous rejoindre à Rome, sa fe[mme] a prié quelqu’un d’aller s’en informer au Directoire, on lui a dit que le général B.[onaparte] l’avait demandé, mais que le Directoire avait décidé le contraire que sa démission était acceptée en des termes flatteurs qu’on le chargeait seulement avant son retour de Gênes de liquider la dette de la France avec cette ville c’est l’affaire d’une vingtaine de jours et il reviendra rejoindre sa fe[mme], ils sont bien heureux […]. » Faipoult ne rentre pas en France, après sa mission à Gênes il est chargé de surveiller les finances de l’armée française à Rome, puis celles de la République cisalpine à partir du mois de juin 1798. Faipoult participe aussi aux préparatifs de l’expédition d’Égypte. Il a pour instruction dès le 12 pluviôse an VI [31 janvier 1798] de recruter des matelots à envoyer à Ancône, en couvrant la dépense par les diamants saisis sur le pape, puis se rendre auprès de Berthier et conférer avec lui et les commissaires envoyés à Rome. (PV du Directoire, t. IV, p. 65.) Voir la lettre n°156.
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[1] « Loi qui ordonne la célébration annuelle d’une Fête de la Souveraineté du Peuple du 13 pluviôse an VI [1er février 1798] : Le conseil des Cinq cents considérant que l’établissement des fêtes nationales est un puissant moyen de réunir tous les Français dans les mêmes sentiments ; [et] qu’à l’époque prochaine où les citoyens vont exercer leur droit de souveraineté, il importe que l’amour de la patrie [et] le désir de maintenir la Constitution de l’an III pénètrent tous les cœurs et prédominent sur toutes les opinions déclare qu’il y a urgence. Le Conseil, après avoir déclaré l’urgence, prend la résolution suivante : […] Il sera célébré, le 30 ventôse de chaque année, dans toutes les communes de la République, une fête qui sera nommée la féte de la Souveraineté du peuple. »
[2] Au sujet des instructions données aux commissaires pour l’établissement de la république romaine voir les lettres n°145, 150, 152, 155, 156, 157, 160 et 163.
[3] Première célébration le 14 juillet 1790 de la prise de la bastille.
[4] La question des finances est un problème déterminant. L’expédition en Égypte coûte cher et c’est une des raisons pour laquelle les projets d’expéditions précédents ont été abandonnés. HITZEL F. (1999), « La France et la modernisation de l’empire ottoman à la fin du XVIIIe siècle », in BRET P. (dir.) (1999), pp. 9-10. Voir les lettres n°155, 156 et 157.
[5] Monge accomplit une double mission. Il est à la fois le directeur de la commission chargée de mettre en place un gouvernement républicain à Rome mais il participe aussi activement à la préparation de l’expédition d’Égypte. Il ne peut rien communiquer à sa femme de ces dernières activités et fait semblant de ne pas comprendre lorsque sa femme lui parle en premier « d’une demi confidence de Berthollet », Voir les lettres n°153, 163, 164 et 171.
[6] René ESCHASSÉRIAUX (1754-1831) et Joseph ESCHASSÉRIAUX (1753-1824) dit l’aîné mari de la fille cadette de Monge, Louise (1779-1874).
[7] Anne Françoise HUART (1767-1852), jeune sœur de Catherine HUART et son mari Barthélémy BAUR (1752-1823).
[8] Claude-Louis BERTHOLLET (1748-1822). Catherine est en contact avec les collègues de Monge parce qu’elle a conservé le logement attribué au directeur de l’École. Elle sert alors d’intermédiaire voir les lettres n° 147, 151, 156, 160, 164, 167 et 177.
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[1] Bonaparte à Daunou, Florens et Monge, commissaires du gouvernement à Rome, 27 ventôse an VI [17 mars 1798] : « Le Directoire exécutif, attachant la plus grande importance à la bonne organisation et au prompt départ de la division qui doit s’embarquer à Civitavecchia, a jugé à propos d’en confier le commandement au général Desaix, qui part ce soir même pour s’y rendre en toute diligence. Je vous prie de lui faire fournir tout ce dont il peut avoir besoin, et tous les officiers d’état major, d’artillerie, du génie, commissaires des guerres qu’il demandera. » (2335, CGNB).
[2] André MASSÉNA (1758-1817) ? Voir la lettre de Bonaparte à Masséna du 15 ventôse an VI [5 mars 1798] (2324, CGNB) et la lettre n°153.
[3] Masséna remplace Berthier à la tête de l’armée d’occupation de Rome. Les officiers en sont mécontents et se révoltent. Voir les lettres n°150, 151, 152, 153, 160, 161, 162 et 163.
[4] Claude d’ALLEMAGNE (1754-1813). Masséna écrit au Quartier général de Rome, le 7 ventôse an VI [25 février 1798] : « A. Masséna général en chef ordonne au général de division Dallemagne de prendre de suite le commandement de toutes les troupes qui se trouvent dans Rome et de prendre toutes les mesures qu’il jugera convenable pour maintenir la tranquillité de cette capitale […]. » 1 p. in-4. Manuscrit mis en vente le 2 février 2012 par OSENAT à l’hôtel des ventes de Fontainebleau. Lot n°36. Face à l’insurrection des officiers, Masséna laisse le commandement à D’Allemagne jusqu’à son remplacement par le général Laurent DE GOUVION SAINT-CYR un mois plus tard. Voir la lettre n°158.
[5] Bonaparte lui répond de Paris le 13 germinal an VI [2 avril 1798] ; « J’ai reçu, mon cher Monge, votre lettre du 30 ventôse. Desaix doit être arrivé, je vous prie de lui remettre la lettre ci-jointe. [voir infra] Je ne compte que sur vous et sur lui pour l’embarquement de Civitavecchia. J’ai envoyé d’ici de l’argent, afin de vous décharger entièrement de l’embarquement de Gênes. » (2361, CGNB)
[6] Il pourrait s’agir Benoît-Georges DE NAJAC (1748-1823) commissaire-ordonnateur de la Marine à Toulon.
[8] La question des finances est un problème déterminant. L’expédition en Égypte coûte cher. Voir les lettres n°154, 156 et 157.
[9] Après la réception de cette lettre, Bonaparte écrit à Desaix le 13 germinal an VI [2 avril 1798] : « Par la lettre que je reçois de Monge, citoyen général, du 30 ventôse, je vois qu’il sera impossible que vous soyez prêt pour le 30 germinal. Dans ce cas-là, continuez toujours vos préparatifs, et tâchez d’être prêt pour le 20 floréal, époque à laquelle je vous enverrai de nouveaux ordres. » (2359, CGNB)
[10] La congrégation de la Propaganda fide fondée au XVIe siècle afin d’accomplir une mission d’évangélisation possède une imprimerie et une bibliothèque. L’établissement de la Chalcographie est l’imprimerie papale. Voir les lettres n°86, 88, 114, 133 et 134. Bonaparte a chargé Monge de constituer l’imprimerie, de rassembler des cartes et de trouver des interprètes. Mais c’est surtout pour l’imprimerie que Bonaparte recommande à Monge. Il lui écrit le 13 germinal an VI [2 avril 1798] ; « Je compte sur l’imprimerie arabe de la Propagande et sur vous, dusse-je remontre le Tibre avec l’escadre pour vous prendre. » (2361, CGNB). Voir les lettres n°153, 156, 157, 165 et 166.
[1] Pour cette nouvelle mission en Italie, forte de l’expérience de la première correspondance échangée de mai 1796 à octobre 1797, Catherine numérote ses lettres et lui demande d’en faire autant dans ses lettres 2 et 3 : du 27 pluviôse an VI [15 février 1798] et du 4 ventôse an VI [4 mars 1798] : « Écris-moi souvent mon ami, numérote tes lettres, je verrai par là si elles me parviennent toutes, voilà ma seconde […]. » et « Numérote tes lettres je ne veux pas en perdre […]. »
[2] La différence de nature des activités de Monge et leur nombre (voir infra) par rapport à sa première mission déterminent une différence entre ses correspondances. Voir les lettres n°163, 171 et 182.
[3] Sur les instructions données aux commissaires du Directoire à Rome voir les lettres n°145, 150, 151, 152, 154, 155, 157, 160 et 163.
[4] Guillaume-Charles FAIPOULT DE MAISONCELLES (1752-1817). Voir les lettres n°152,
[5] Voir la lettre n°160.
[6] Monge ne dit rien de ses activités relatives à l’expédition d’Égypte (voir la lettre n°153) non seulement parce qu’il ne veut pas inquiéter sa femme (voir la lettre n°163) mais aussi parce qu’elle doit rester secrète (voir les lettres n°131, 153, 154, 157, 158, 163, 164, 171 et 177.)
[7] Le 27 pluviôse an VI [15 février 1798], Catherine exprime son inquiétude : « Je commence toujours ma lettre Mon cher bon ami, j’espérais en recevoir une de toi hier, je l’attends aujourd’hui avec bien de l’impatience, il est déjà midi, et je n’en ai pas encore. Suivant mon calcul, vous avez dû être à Lyon le 20, ou tu ne m’as pas écrit, ou il vous est arrivé quelques malheurs, rien ne transpire jusqu’à moi des affaires de Rome ; restés à Milan jusqu’à ce que vous soyez certains que l’armée soit entrée dans cette ville, n’allez pas vous livrer aux poignards de ces traitres, la sécurité du pape et du sacré collège me donne des inquiétudes pour vous, compte-t-il sur quelques secours étrangers ou met-il sa confiance dans la clémence des Français ? ma foi si je te tenais les affaires de ce pays ne me toucheraient guère, pourquoi faut-il que j’ai encore le malheur de te savoir là ? Il paraît que les dieux veulent changer de système, je vous exhorterais à ne rien faire de votre chef. Lorsqu’on ne fait qu’exécuter les ordres on a bien de la peine à se mettre à l’abri des reproches et souvent même des persécutions ; à plus forte raison lorsqu’on les passe, faites bien vite votre affaire et suivez ponctuellement vos instructions et revenez encore plus vite, nous gémirons ou nous nous réjouirons ensemble, des malheurs ou des succès des affaires, si jamais j’ai le bonheur de te voir rendu à tes anciennes occupations tous mes vœux se porteront pour le bien de la République et pour que tu n’en sois qu’un simple membre, s’il était possible ignoré du reste, excepté de nos amis vrais qui sont en petit nombre, ma misanthropie s’accroit tous les jours. Je vois tant d’intrigues et d’intrigants qu’en vérité un galant homme de bonne foi est toujours dupe de cette multitude qui ne pense qu’à elle et point du tout à la chose publique. » Voir la lettre n°90 sur la différence entre les acteurs de la Révolution.
[8] La position de Monge sur la possibilité et l’intérêt d’une révolution à Rome se modifie. S’il préconise d’abord une révolution après la rupture de l’armistice de Bologne par le pape en septembre 1796, (voir la lettre n°40), ses rencontres avec Bonaparte et les conditions diplomatiques et militaires le conduisent à être moins déterminé à ce sujet. Voir les lettres n°51, 53, 62, 63 et 65.
[9] Si l’entretien de l’armée d’Italie représente un coût important celui de l’expédition d’Égypte est considérable. C’est une des raisons pour laquelle les projets précédents ont été abandonnés. Voir les lettres n°154, 155 et 157.
[10] Un mois plus tard, le 8 prairial an VI [27 mai 1798], Monge est à bord de la frégate la Courageuse en route pour Malte. Voir la lettre n°187.
[11] Louise MONGE (1779-1874) et son mari Joseph ESCHASSÉRIAUX (1753-1824) ; Émilie MONGE (1778-1867) et Nicolas-Joseph MAREY (1760-1818).
[12] Louis-Bernard GUYTON DE MORVEAU, (1737-1816) directeur par intérim de l’École lors de la mission de Monge. Claude LERMINA (1749-1806) et Charles GARDEUR-LEBRUN (1744-1801) administrateurs de l’École. Catherine lui annonce dans sa lettre du 4 ventôse an VI [4 mars 1798] que le Directoire a accepté toutes ses demandes relatives à l’École avant son départ : Guyton est devenu directeur par intérim et Sganzin et Gay de Vernon sont nommés professeurs. (Voir les lettres n°145 et 146.) Catherine sert d’intermédiaire entre Monge et ses collègues de l’École parce qu’elle occupe le logement de fonction du directeur. Voir les lettres n°147, 151, 154, 156, 164, 167 et 177. Le 17 germinal an VI [6 avril 1798], en réponse à cette lettre du 7 germinal, Catherine donne des nouvelles de Guyton : « J’ai vu le citoyen Guyton deux fois depuis ton départ, il a beaucoup d’affaires, il est marié du 7 de ce moi avec la C.[itoyenne] Picarder. J’ai été leur faire mon compliment, on dit qu’il est malade d’un gros rhume, voilà que ce que c’est que de se marier. »
[13] Comme dans sa précédente mission (voir les lettres n°15, 17, 43, 77, 84, 87, 85, 103, 127 et 132), Monge ne cesse d’exprimer sa préoccupation au sujet de l’École malgré son absence. Il trouve un biais pour ne pas cesser de contribuer au perfectionnement de l’enseignement de l’École, il profite de ses missions en Italie pour acquérir de nouveaux ouvrages et de nouveaux instruments. Sur la préoccupation de Monge pour l’École polytechnique au cours de cette deuxième mission à Rome. Voir les lettres n°146, 153, 167, 168, 169, 170, 172, 175 et 185.
[14] François PEYRARD (1759-1822) bibliothécaire de l’École polytechnique. Voir la lettre n°185 et la note de la lettre n°26 sur les manuscrits du Vatican.
[15] Sa fille Louise et son mari Joseph ESCHASSÉRIAUX et sans doute aussi son beau- frère René ESCHASSÉRIAUX.
[16] Claude-Louis BERTHOLLET (1748-1822), sa femme Marie-Marguerite BAUR (1745-1829) et leur fils Amédée BERTHOLLET (1783-1811).
[17] Anne Françoise HUART (1767-1852), son mari Barthélémy BAUR (1752-1823) et leur fils Émile BAUR (1792- ?).
[18] Marie-Élisabeth Christine LEROY (1783-1856) appelée Paméla, nièce de Catherine HUART.
[19] Louis MONGE (1748-1827) épouse Marie-Adélaïde DESCHAMPS (1755-1827) en février 1796, Monge part en mission en Italie trois mois plus tard en mai 1796 et il n’a pas l’occasion de bien faire sa connaissance. Voir la lettre n°122. Louis Monge et sa femme habitent à la campagne à l’extérieur de Paris et ils viennent souvent séjourner chez Catherine à Paris.
Bibliothèque centrale de l'École polytechnique / Centre de Ressources Historiques. (Palaiseau, France).
Rome, le 7 germinal de l'an VI de l'ère républicaine[1]
Le courrier d'aujourd'hui portera au Directoire le traité que nous avons conclu hier soir avec le Consulat de la République romaine[3]. Si ce traité peut s'exécuter seulement aux trois quarts, les finances de l'armée d'Italie seront en bon état.[4]
Haller et le commissaire ordonnateur Villemanzy sont tranquilles sur l'opération de Civitavecchia. Des 6000 ou 7000 tonneaux, on en a déjà trouvé 4500 à Civitavecchia même. Le reste se trouvera à Livourne et Haller m'a expressément invité à vous assurer qu'il répondrait de tout.[5]
Cette opération est encore peu connue dans ce pays-ci, et l'on n'en parle presque pas ; mais celle de Gênes fait faire des conjectures auxquelles on en joindra d'autres lorsque celle-ci sera publique par le mouvement des troupes.[6]
Il sera nécessaire de faire sur les lieux quelques opérations de nivellement. Je pense que vous feriez bien de faire faire l'emplette de deux ou trois bons niveaux à lunette, afin de niveler rapidement. Le citoyen Prony[7] peut vous aider beaucoup dans le choix et l'acquisition de ces instruments.
Je crois qu'il serait bien d'avoir aussi quelques jeunes gens habitués à l'usage de ces instruments. Un jeune officier d'artillerie, nommé Berge, pourrait vous être très utile[8] ; le citoyen Berthollet connaît en partie ses talents et pourrait vous donner des renseignements sur l'utilité que vous pourriez en retirer.[9] Je ne trouve ici ni cartes, ni documents d'aucun genre ; ainsi il faut tirer tout cela de Paris et en grand nombre d'exemplaires.[10]
C'est la langue arabe qui sera le plus nécessaire. J'espère trouver ici quatre hommes pour cet objet ; je les accaparerai ; mais les uns savent l'arabe littéral, d'autres savent le vulgaire, et entre eux tous, je les regarde comme un seul bon interprète. Au reste, je n'ai fait que les sonder ; je ne traiterai avec eux qu'au moment de l'embarquement.[11]
Salut et respect.
Monge
[1] « Archives du dépôt de la guerre, Expédition d’Égypte », copie Ms 2192 BIF.
[2] Napoléon BONAPARTE (1769-1821).
[3] Les procès verbaux du Directoire indiquent que lors de la séance du 7 germinal an VI [27 mars 1798] les directeurs adressent leurs « félicitations aux commissaires du Gouvernement à Rome pour l’achèvement de la République romaine, avec laquelle ils sont chargés de négocier un traité d’alliance et d’amitié […]. » (PV, t. V, p. 18.)
[4] L’entretien de l’armée d’Italie mais aussi la préparation de l’expédition en Égypte représentent un coût très important. La question des finances est un objet de préoccupation qui apparaît à plusieurs reprises. Voir les lettres n°154, 155 et 156.
[5] Emmanuel HALLER (1745-1816) administrateur et trésorier-général de l’armée d’Italie et Jacques-Pierre ORILLARD comte de VILLEMANZY (1751-1830) commissaire ordonnateur en chef de l’armée d’Italie, chargés tous deux des questions financières de la campagne, seul l’ordonnateur dispose de pouvoir de décision financière. Voir la lettre n°158.
[6] L’expédition d’Égypte est préparée en secret. Voir les lettres n°131, 153, 154.156 157 158 163 164 171 et 177. Le départ pour l’expédition s’effectue à partir des ports de Marseille, Toulon, Gênes et Civitavecchia. Voir la lettre n°155.
[7] Gaspard-Clair-François-Marie RICHE baron de PRONY (1755-1839).
[8] François BERGE (1779-1832) élève polytechnicien de la première promotion de l’École polytechnique.
[9] Bonaparte répond à Monge le 16 germinal an VI [5 avril 1798] : « Nous aurons avec nous un tiers de l’Institut et des instruments de toute espèce.
Bibliothèque de l'Institut de France (Paris)
Bonaparte, Napoléon (1769-1821)
Rome, le 12 germinal an 6e
Le général Desaix, ma chère amie, vient d'arriver ici ce matin[1] ; il est parti trop promptement de Paris pour prendre tes commissions ; ainsi il ne m'a rien apporté en particulier ; mais il m'a fait grand plaisir en me disant que l'esprit de Paris s'améliorait de jour en jour.[2] Au reste, peut-être le départ de ce général est-il encore un secret pour Paris, et dans ce cas n'en parle à personne. Son arrivée ici nous fait grand plaisir ; nous espérons qu'il contribuera à rétablir le bon ordre dans l'armée qui se mutine toujours de plus en plus.[3] Les officiers ont fait une fausse démarche en se rassemblant pour délibérer ; ils craignent les suites de cette affaire et ils ont juré de se soutenir tous.[4] Cela met de l'embarras dans le service ; mais avec le temps tout s'arrangera, du moins à ce que je présume.
Ma fonction de faire les nominations de la République romaine m'a procuré une suite d'audiences, pendant l'une desquelles on m'a volé ma montre.[5] Je suis sensible à cette perte non pas à cause de la valeur de l'objet, mais parce qu'elle vient de ma bonne Louise.[6] Je pensais à elle toutes les fois que je remontais la montre, et maintenant toutes les fois que je pense à elle, je suis fâché d'avoir perdu sa montre. Au reste, le citoyen Faipoult[7] m'en remettra une autre de petite valeur et qui me servira jusqu'à ce que je sois de retour auprès de toi, mais Dieu sait quand.
Je suis toujours obligé de t'écrire en hâte. On attend ma lettre pour fermer un paquet qui va partir pour le Directoire ; je n'ai que le temps de t'embrasser ainsi que tous mes amis.
Monge
[1] Louis-Charles-Antoine DESAIX (1768-1800), Monge le rencontre lors des négociations du traité de Campo Formio à Passeriano en septembre 1797 (voir la lettre n°132). Il participe aussi à l’élaboration du projet de l’expédition. (voir les lettres n°119 et 131.) Le commandement de la division qui doit s’embarquer de Civitavecchia est confié à Desaix. Les commissaires doivent collaborer avec lui. Voir la lettre n°153 et la lettre de Bonaparte à Monge, Daunou et Florens du 27 ventôse an VI [17 mars 1798] (2340, CGNB). Sur les préparatifs de l’embarquement de Civitavecchia voir aussi les lettres n°155, 157, 158, 160 et 166.
[2] À Rome, Monge a peu d’informations sur l’esprit public de Paris et les élections pour le renouvellement d’un tiers du corps législatif. Les informations se transmettent par l’intermédiaire de personnes connues. Voir les lettres n°156, 160, 163, 164, 167, 168, 171, 176 et 177.
[3] La mission de Desaix à Rome n’est pas le rétablissement de l’ordre au sein de l’armée de Rome. C’est Gouvion Saint-Cyr qui en est chargé. Voir la lettre n°158. Monge tente de justifier la présence de Desaix à Rome sans rien dire de la préparation de l’expédition en Égypte. Sur le secret dans lequel est préparée l’expédition voir les lettres n°131, 153, 154, 156, 157, 158, 163, 164, 171 et 177.
[4] Sur le soulèvement des soldats mécontents de l’arrivée du général Masséna à la tête de l’armée de Rome voir les lettres n°150, 151, 152, 153, 155, 158, 160, 162 et 163.
[5] Voir la lettre n°160. Sur les instructions du Directoire aux commissaires de la République à Rome, voir les lettres n°145, 150, 152, 153, 154, 155, 157, 162 et 163.
[6] Louise MONGE (1779-1874). Sur les rapports de Monge avec sa fille Louise, voir les lettres n°4, 9, 14, 20 et 27.
[7] Guillaume-Charles FAIPOULT DE MAISONCELLES (1752-1817).
Rome, le 14 germinal de l'an VI de l'ère républicaine
Vous êtes bien aimable, mon cher Marey, de m'avoir donné de vos nouvelles, de celles de votre femme et de celles de vos charmants enfants.[1] Je m'étais flatté que j'aurais le plaisir de vous voir tous à Paris ; je l'espérais encore lorsque je vous annonçais mon départ ; mais je commence à croire que cela sera impossible. L'intention du général Bonaparte en m'envoyant à Rome me paraît n'avoir été que de me détacher de Paris pour me rendre plus mobile et disposer de moi pour autre chose.[2] Cependant ne parlez de cela à personne, parce que le secret n'étant pas le mien, je ne puis en disposer.[3] Je n'en écris pas même à ma femme, autant pour reculer les inquiétudes que cela pourra lui donner, que pour ne pas commettre d'indiscrétion. Au reste quand je serai dans le cas de m'éloigner encore davantage, je profiterai de la première occasion pour vous écrire, et me recommander à votre souvenir.
Si vous avez occasion de faire donner de mes nouvelles à mon frère de Beaune[4] à qui je n'écris pas, je vous prierai de le faire.
La République romaine s'établit peu à peu.[5] Les principales autorités sont nommées ; le Sénat, le Tribunat, le Consulat sont en activité. Les administrations des huit départements sont nommées ; il en est de même des tribunaux civils et criminels des départements, des tribunaux de censure, des juges de paix de tous les cantons. Nous nous occupons actuellement des municipalités de tous les cantons, et déjà deux départements sont complets et les listes sont sous presse ; les autres sont sur le métier.
La constitution est publiée, les lois organiques sont imprimées ; nous nous occupons d'un code civil en sorte que dans peu de temps la République romaine sera aussi avancée et peut-être plus que la Mère à toutes les autres.
Je vous suis obligé de l'intérêt que vous avez mis à la position dans laquelle vous nous avez cru ici ; mais nous n'avons jamais couru de danger réel. Il est bien vrai que l'espèce de rébellion à laquelle l'armée s'est portée pourrait bien l'affaiblir et l'exposer, et avec elle tous les Français qui sont en Italie ; mais l'armée le sentait elle-même et le combat n'a jamais été incertain.[6]
Le travail excessif auquel nous sommes forcés ici a contenu jusqu'ici mon exaltation naturelle et ma lettre n'a pas la chaleur que peut-être j'ai pu mettre dans d'autres, écrites dans un autre temps.[7] Mais les circonstances changeront bientôt, et à moins que la contrariété produite par l'absence de ma famille ne m'accable, j'aurai vraisemblablement occasion de vous écrire de grandes choses sur des objets accoutumés à réveiller de grandes idées, et qui par conséquent prêteront à l'exaltation.[8] Sur tout cela, motus[9].
Embrassez bien pour moi notre bonne Emilie. Si jamais je la revois, elle me trouvera vieilli, noirci, radoteur, bavard, distrait ; mais je ne l'en aimerai pas moins ; et ce sera un grand titre pour être souffert malgré les ridicules de l'âge. Au reste, la gloire de la République française qui se réfléchit sur tout ce qui l'environne est un vernis brillant qui cache bien des défauts.
Je vous prie de me rappeler au souvenir du bon citoyen Durand et à celui de son épouse, de son père et de sa mère ; ne m'oubliez pas non plus auprès des citoyen et citoyenne Royer.[10]
Le général Desaix qui est arrivé hier nous a dit que l'esprit à Paris s'améliorait de jour en jour[11] ; j'espère que cela gagnera bientôt dans les départements ; et que les élections qui se font actuellement seront bonnes.[12]
Je vous embrasse bien tendrement, et vous prie de me conserver une place dans votre souvenir.
Monge
[1] Nicolas-Joseph MAREY (1760-1818), Émilie MONGE (1778-1867) et leurs deux fils Guillaume-Stanislas (1796-1863) et Gaspard-Louis (1797-1821)MAREY-MONGE.
[2] Monge est en mission en Italie non seulement pour la fondation de la République romaine mais surtout pour la préparation de l’expédition d’Égypte. Il arrive à Rome le 4 ventôse an VI [22 février 1798] (voir la lettre n°150) et rend déjà compte des premiers préparatifs de l’expédition trois semaines après son arrivée le 25 ventôse an VI [15 mars 1798] (voir la lettre n°153). Ses activités en tant que commissaire du Directoire semblent servir de couverture pour qu’il puisse se déplacer en Italie veiller à la préparation de l’expédition d’Égypte. Voir les lettres n°164 et 176.
[3] Sur le secret dans lequel est préparée l’expédition d’Égypte voir les lettres n°131, 153, 154, 156, 157, 164, 171 et 177.
[4] Jean MONGE (1751-1813) est professeur de mathématiques au Collège de Beaune.
[5] Sur les instructions données aux commissaires du Directoire pour l’établissement de la République romaine voir les lettres n°145, 150, 152, 154, 155 et 157.
[6] Le 2 ventôse an VI [20 février 1798] après s’être rassemblés, les officiers votent une délibération selon laquelle ils ne se soumettraient pas aux ordres de leur nouveau chef, le général Masséna. Voir les lettres n°150, 151, 152, 153, 155, 161 et 162 .
[7] Monge évoque les lettres écrites d’Italie l’année précédente animées des victoires de Bonaparte. Marey lui-même dans une de ses réponses souligne que l’enthousiasme de Monge est resté intact. Voir la lettre n°90. À plusieurs reprises Monge exprime la différence entre ses lettres en l’expliquant par l’ennui ressenti lors de sa mission institutionnelle et politique. Voir les lettres n°151, 160, 163, 168, 171 et 182. Sa femme le remarque et lui en fait le reproche dans sa lettre du 8 Floréal an VI [27 avril 1798]. Voir la lettre n°182.
[8] Sur ce qui est propre à provoquer l’enthousiasme selon Monge voir les lettres n°4 et 5. Sur le caractère prestigieux et grandiose de l’expédition d’Égypte voir les lettres n°131, 153, 171, 174, 176, 184 et 187.
[9] L’expédition d’Égypte est préparée dans le plus grand secret. Voir les lettres n° 131, 153, 154, 156, 157 158, 164, 171 et 177.
[10] Monge comme il en a l’habitude salue par l’intermédiaire de Marey des républicains de Nuits en Côte-d’Or. Les couples DURAND et ROYER n’ont pas pu être identifiés. Voir lettre n°176.
[11] Louis Charles Antoine DESAIX (1768-1800), voir la lettre n°161.
[12] Monge exprime à plusieurs reprises sa préoccupation au sujet des élections pour le renouvellement d’un tiers du corps législatif qui se tiennent les 20-29 germinal an VI [9-18 avril 1798]. Il n’est informé de l’esprit public à Paris que par l’intermédiaire des personnes qu’il connaît. Voir les lettres n°156, 160, 164, 167, 168, 171, 176 et 177.
[1] Monge donne la même explication à Marey en soulignant lui-même la différence entre ses lettres de la première mission en Italie et celles de la dernière mission. Voir les lettres n°156, 163 et 171.
[2] Catherine écrit deux brèves lettres à Monge le 8 floréal an VI [27 avril 1798]. Dans ces deux lettres elle exprime clairement sa frustration et sa colère face aux non-dits de sa correspondance. La première est un ajout à une lettre de la femme de Berthollet, Marie Marguerite Baur (voir la lettre n°171). En lui indiquant qu’elle a été informée du projet de l’expédition peu de temps après son départ, elle lui reproche de ne pas l’avoir consultée pour prendre sa décision: « Je viens de décacheter cette lettre mon cher bon [ami] pour te dire deux mots. On dit que l’Expédition est retardée à cause des événements de Vienne. J’ai toujours une lueur d’espérance de te voir revenir au sein de ta famille, et, que tu laisseras aller ceux qui ne sont pas appelés à la législature, tu es nommé par plusieurs [départements], reviens donc répondre aux vœux de tes concitoyens et aux miens. Tes lettres guindées et laconiques m’affligent celle que j’ai reçue hier du 27 [lettre n°167] est encore plus sèche que les autres. Il y a longtemps que je présume que ta faiblesse te fera acceptée cette mission, tu m’aurais fait grand plaisir de m’en parler ouvertement et en raisonner avec moi. Peu de jours après ton départ, j’ai su cette expédition et le projet de t’y admettre. Je t’avoue que j’ai toujours compté que nous l’emporterions avec d’autant plus de raison qu’aucun motif ne peut exiger que tu fis ce voyage. » Elle écrit la deuxième lettre après avoir obtenu des informations, elle y pointe les incohérences entre ce que Monge lui décrit dans ses lettres et les échos des activités des autres commissaires qu’elle obtient auprès de leurs proches : « Je sors de chez la c[itoyenne] Faypoult, mon cher bon ami, elle m’a dit qu’il partait demain un courrier pour Rome à tout hasard je vais en profiter, pour te dire que tu es nommé à la législature par plusieurs département et que la grande expédition est retardée. Si tu persistes à vouloir en être, reviens au moins nous dire adieu. Tu en auras encore le temps, le C.[itoyen] Faypoult a eu le courage de refuser, mais toi, je vois par tes lettres, que tu es perpétuellement en contradiction avec toi-même, ta correspondance n’a pas eu le moindre intérêt [pour] ce voyage ci, en recevant tes lettres je voyais au moins que tu existais, c’est le seul plaisir qu’elles m’aient procuré. Tu dis que tu as tant d’affaires que tu n’as pas le temps de m’écrire plus au long, les autres mandent qu’ils n’ont rien à faire et qu’ils vont voir les choses curieuses de ce pays là qu’ils attendent leur rappel pour quitter Rome ; quant à moi je ne sais où tu es depuis le temps qu’on me dit que tu as quitté Rome tu devrais déjà être au Kamchatka. » Monge ne lui a jamais rien dit de ses activités relatives à la préparation de l’embarquement de Civita-Vecchia. À plusieurs reprises, Catherine souligne dans ses lettres que l’expédition doit être bien préparée en semblant sous entendre qu’elle sait aussi que son mari y participe activement. Voir la lettre n°164.
À la réception de cette lettre Catherine lui répond plus calmement le 20 Prairial an VI [8 juin 1798] : « Ce 20 prairial, j’ai reçu il y a deux jours, mon cher bon ami ta lettre du 1er de Civitavecchia. Je ne me rappelle pas de t’avoir fait de reproches par ma lettre du 8 floréal, ils n’ont dû porter que sur le parti que je supposais que tu n’avais pas encore pris entièrement de t’embarquer. Je cherchais à employer (comme tu le dis toi même) toute mon éloquence pour te ramener au sein de ta famille. Je n’ai rien obtenu, maintenant que tu es parti, je ne peux que faire des vœux pour ton retour. Je ne peux même pas te suivre dans ta course, ni me transporter en idée dans les lieux où tu es puisque ce mystère est impénétrable […]. […] je me repends bien de ne pas avoir été avec toi à Rome, je suis persuadée que je t’aurais empêché d’être de cette expédition ; malgré moi j’en reviens toujours à [ ?], en commençant ma lettre je me croyais gaie, et par conséquent aimable […]. »
[3] Cela lui pose aussi des difficultés lors de sa mission auprès de la République de Saint-Marin. Voir la lettre n°58. Catherine lui répond de Paris le 20 Prairial an VI [8 juin 1798] : « Tu as toujours été mauvais écuyer, le cheval t’a fait mal toutes les fois que tu venais me voir à Rocroy, je me rappelle encore ces temps heureux avec délices, ils sont bien changés, ce ne sont pas des reproches, ce sont des souvenirs qui m’aident encore à supporter ton absence […] ».
[4] Catherine lui répond le 20 Prairial an VI [8 juin 1798] : « […] je te remercie de l’argent que tu m’envoies, tu le trouveras à ton retour si j’ai ce bonheur, il m’aura couté bien cher, tu aurais dû le garder, quelquefois avec beaucoup d’argent on se tire de grands dangers, je n’en ai nul besoin, ma dépense est ici peu considérable, ce n’est pas l’argent qui me rend heureuse. »
Bibliothèque centrale de l'École polytechnique / Centre de Ressources Historiques. (Palaiseau, France).
Huart, Catherine (1748-1847)