10 heures
Après avoir fermé ma lettre hier, je suis allée chez votre mère. Le cœur m’a battu en entrant. Elle m’a reçue avec bonté. Vous ne sauriez croire comme elle me plaît. C’est un visage si serein, un regard si intelligent et si doux, et même gai.
Je l’ai beaucoup regardée. Quand je ne la regardais pas, il me semble qu’elle me regardait aussi. Le Duc de Broglie y était, et y est resté. Il a parlé de la situation tout le temps. Pourquoi le Duc de Broglie a-t-il cet air moqueur et désobligeant ? Je conçois qu’il ne plaise pas. Moi, je l’aime assez malgré cela, et malgré autre chose que je déteste et que j’ai découvert en lui hier. Il a commencé par dire qu’il ne savait absolument rien ; que depuis trois jours il n’avait vu personne du tout ; et puis il nous a raconté son entretien avec le Roi, la veille, et un long entretien avec Thiers le soir, et puis, et puis, tout ce qui se passe. Pourquoi commencer par mentir ? Vous savez l’horreur que j’ai de cela. Si jamais je commence, moi, je continuerai. Mais il me semble que je suis trop fière pour commencer. Les Français ont décidément l’habitude du mensonge ; je ne connais pas d’Anglais dans lequel j’aie surpris ce défaut. Voyez bien et vous trouverez si je dis vrai!
Mais je reviens à la rue de la Ville-l’Evêque. Vos enfants ont couru à ma rencontre dans la cour, cela m’a fait plaisir. Ils ont une mine excellente, surtout Henriette. J’ai demandé à votre mère de me les envoyer ce matin pour voir passer le bœuf gras, elle ne le veut pas à cause de leur deuil. Votre mère a été bien polie et affectueuse pour moi.
Delà je fus chez Lady Granville qui est bien malade ; elle n’avait pas dîné ni assisté à la soirée la veille. Nous avons causé pendant une heure, elle et son mari, du nouveau ministère, de votre situation ; il ne sait trop qu’en dire. Moi, je ne me permets pas d’avoir une opinion devant les autres ; j’attends que vous ayez pris votre parti.
J’ai été rendre visite à Mad. Sebastiani sans la trouver. De là chez les Appony qui sont consternés. Appony ne conçoit pas le Roi, et il ajoute qu’il n’aura certainement aucune affaire à traiter avec Thiers, et qu’il entre en conséquence en vacances.
J’ai dîné seule. Le soir la diplomatie est venue. Granville croyait savoir que la nomination du ministère avait été mal accueillie à la Chambre. Médem est enchanté de n’avoir plus Soult et d’avoir Thiers. Il est tout remonté. Brignoles n’a pas d’opinion.
Quand aurai-je mes lettres ? à propos notre correspondance ! Cela ne sera plus très commode. Cela prouve bien votre situation naturelle vis-à-vis de ce ministère.
Bulwer est très malade, je ne puis pas le voir. Il m’écrit ce matin ce matin & me dit qu’Odillon Barot est très piqué contre Thiers qui ne l’aurait pas même consulté pendant la crise. Cela n’est pas trop d’accord avec d’autres avis.
Midi
Génie sort d’ici, il a un peu ébranlé mes opinions d’hier, par les récits qu’il m’a faits de ses entretiens avec vos amis. Il faut attendre ; mais si on tire à gauche, revenir sur le champ : voilà ce qui me paraît ressortir des avis les plus sages. En attendant, la puissance de Thiers me paraît établie dans tous les départements du Ministère.
J’attends votre lettre , car on me dit qu’il y a un gros paquet au bureau de l’hôtel des Capucines.
1 heure
La lettre n’arrive pas. La voilà. Je vous en remercie.
Lundi 2 mars, I heure
Je ne sais pas trop comment vous envoyer cette lettre. Cependant, jusqu’à nouvel avis, je ferai comme vous me l’avez indiqué. Lundi et jeudi au bureau des Affaires étrangères et samedi par la poste.
J’ai été voir hier les trois malades, la petite Princesse, Lady Granville & Mad. Appony. Même fureur chez ceux-ci. Il veut aller au château ce soir.
J’ai eu à dîner M. de Pogenpohl. Ah! mon Dieu, Dimanche passé c’était autre chose! Le soir j’ai été faire visite à Mad. de Castellane; mais quoique j’aie tenu bon jusqu’à onze heures, M. Molé n’y est pas venu, je le regrette. Mad. de Castellane est fort opposition. En bonne catholique, elle a une sainte terreur de M. Vivien. Outre ces faits là, je n’ai rien relevé dans sa conversation.
Lord Palmerston mande à Lord Granville que dimanche il devait avoir un long entretien avec vous. Vous voilà lancé dans les affaires, les dîners et les fêtes. Je crains que, pour commencer, le Duc de Sussex ne vous ait fait longtemps rester à table. Je vois tout cela, et un peu tout ce que vous en pensez. Votre première impression de Londres m’a divertie. Elle est vraie; je n’oublierai pas vos colonnettes et vos figurines.
J’ai fait venir mon petit brigand et l’ai envoyé chez votre mère avec des nappes de Saxe. Elle choisira ; il a tout ce que vous demandez. Les services ordinaires pour 12 personnes, étonnamment bon marché, 129 francs.
Je n’ai de lettres de personne.
Le temps est toujours brillant et froid. Ceci ne me plait pas ? Je crains la grippe des ambassadeurs. Je ne marche pas.Adieu, il me semble que je vous ai tout dit, tout ce que peut porter une lettre. J’aurais mieux dit à la chaise verte. Ah! que cette chambre est vide! Adieu. Adieu.
]]>318. Paris, le 1er mars 1840, dimanche
10 heures
Après avoir fermé ma lettre hier, je suis allée chez votre mère. Le cœur m’a battu en entrant. Elle m’a reçue avec bonté. Vous ne sauriez croire comme elle me plaît. C’est un visage si serein, un regard si intelligent et si doux, et même gai.
Je l’ai beaucoup regardée. Quand je ne la regardais pas, il me semble qu’elle me regardait aussi. Le Duc de Broglie y était, et y est resté. Il a parlé de la situation tout le temps. Pourquoi le Duc de Broglie a-t-il cet air moqueur et désobligeant ? Je conçois qu’il ne plaise pas. Moi, je l’aime assez malgré cela, et malgré autre chose que je déteste et que j’ai découvert en lui hier. Il a commencé par dire qu’il ne savait absolument rien ; que depuis trois jours il n’avait vu personne du tout ; et puis il nous a raconté son entretien avec le Roi, la veille, et un long entretien avec Thiers le soir, et puis, et puis, tout ce qui se passe. Pourquoi commencer par mentir ? Vous savez l’horreur que j’ai de cela. Si jamais je commence, moi, je continuerai. Mais il me semble que je suis trop fière pour commencer. Les Français ont décidément l’habitude du mensonge ; je ne connais pas d’Anglais dans lequel j’aie surpris ce défaut. Voyez bien et vous trouverez si je dis vrai!
Mais je reviens à la rue de la Ville-l’Evêque. Vos enfants ont couru à ma rencontre dans la cour, cela m’a fait plaisir. Ils ont une mine excellente, surtout Henriette. J’ai demandé à votre mère de me les envoyer ce matin pour voir passer le bœuf gras, elle ne le veut pas à cause de leur deuil. Votre mère a été bien polie et affectueuse pour moi.
Delà je fus chez Lady Granville qui est bien malade ; elle n’avait pas dîné ni assisté à la soirée la veille. Nous avons causé pendant une heure, elle et son mari, du nouveau ministère, de votre situation ; il ne sait trop qu’en dire. Moi, je ne me permets pas d’avoir une opinion devant les autres ; j’attends que vous ayez pris votre parti.
J’ai été rendre visite à Mad. Sebastiani sans la trouver. De là chez les Appony qui sont consternés. Appony ne conçoit pas le Roi, et il ajoute qu’il n’aura certainement aucune affaire à traiter avec Thiers, et qu’il entre en conséquence en vacances.
J’ai dîné seule. Le soir la diplomatie est venue. Granville croyait savoir que la nomination du ministère avait été mal accueillie à la Chambre. Médem est enchanté de n’avoir plus Soult et d’avoir Thiers. Il est tout remonté. Brignoles n’a pas d’opinion.
Quand aurai-je mes lettres ? à propos notre correspondance ! Cela ne sera plus très commode. Cela prouve bien votre situation naturelle vis-à-vis de ce ministère.
Bulwer est très malade, je ne puis pas le voir. Il m’écrit ce matin ce matin & me dit qu’Odillon Barot est très piqué contre Thiers qui ne l’aurait pas même consulté pendant la crise. Cela n’est pas trop d’accord avec d’autres avis.
Midi
Génie sort d’ici, il a un peu ébranlé mes opinions d’hier, par les récits qu’il m’a faits de ses entretiens avec vos amis. Il faut attendre ; mais si on tire à gauche, revenir sur le champ : voilà ce qui me paraît ressortir des avis les plus sages. En attendant, la puissance de Thiers me paraît établie dans tous les départements du Ministère.
J’attends votre lettre , car on me dit qu’il y a un gros paquet au bureau de l’hôtel des Capucines.
1 heure
La lettre n’arrive pas. La voilà. Je vous en remercie.
Lundi 2 mars, I heure
Je ne sais pas trop comment vous envoyer cette lettre. Cependant, jusqu’à nouvel avis, je ferai comme vous me l’avez indiqué. Lundi et jeudi au bureau des Affaires étrangères et samedi par la poste.
J’ai été voir hier les trois malades, la petite Princesse, Lady Granville & Mad. Appony. Même fureur chez ceux-ci. Il veut aller au château ce soir.
J’ai eu à dîner M. de Pogenpohl. Ah! mon Dieu, Dimanche passé c’était autre chose! Le soir j’ai été faire visite à Mad. de Castellane; mais quoique j’aie tenu bon jusqu’à onze heures, M. Molé n’y est pas venu, je le regrette. Mad. de Castellane est fort opposition. En bonne catholique, elle a une sainte terreur de M. Vivien. Outre ces faits là, je n’ai rien relevé dans sa conversation.
Lord Palmerston mande à Lord Granville que dimanche il devait avoir un long entretien avec vous. Vous voilà lancé dans les affaires, les dîners et les fêtes. Je crains que, pour commencer, le Duc de Sussex ne vous ait fait longtemps rester à table. Je vois tout cela, et un peu tout ce que vous en pensez. Votre première impression de Londres m’a divertie. Elle est vraie; je n’oublierai pas vos colonnettes et vos figurines.
J’ai fait venir mon petit brigand et l’ai envoyé chez votre mère avec des nappes de Saxe. Elle choisira ; il a tout ce que vous demandez. Les services ordinaires pour 12 personnes, étonnamment bon marché, 129 francs.
Je n’ai de lettres de personne.
Le temps est toujours brillant et froid. Ceci ne me plait pas ? Je crains la grippe des ambassadeurs. Je ne marche pas.Adieu, il me semble que je vous ai tout dit, tout ce que peut porter une lettre. J’aurais mieux dit à la chaise verte. Ah! que cette chambre est vide! Adieu. Adieu.
M. d’Appony est venu causer longtemps chez moi hier matin. Plus tard j’ai été causer longtemps chez Lady Granville. M. Thiers quoi venu de bonne heure chez l’Ambassadeur d’Angleterre. L’entretien été fort agréable à Granville. Thiers lui a dit qu’il avait votre promesse de rester avec lui Ministre des Affaires Etrangères. Cette visite s’est faite même avant la notification officielle du changement de Ministère. J’ai dîné seule. Le soir tout le monde était chez Thorn. Il ne m’est venu que Mad. de Boigne et le Duc de Richelieu, trop fier pour faire la connaissance du plébéien de l’autre monde. Mme de Boigne ne sait trop que dire de ceci. Elle trouve à Thiers beaucoup de puissance, mais elle aime Thiers, elle en aime quelques autres dans le nouveau ministère. Somme totale, elle attendra patiemment avec ce ministère ci l’occasion d’aimer beaucoup un ministère prochain. Elle a parlé de vous, espérant fort — que vous resteriez à Londres pour le moment, quoique M. Duchâtel dise que vous n’étiez pas préparé à la combinaison actuelle, telle qu’elle est faite. M. de Broglie se proclame très haut le parrain du Ministère actuel ; il y a des gens que cela étonne beaucoup, car ce Ministère ne peut trouver d’appui que dans la gauche (Boigne). Le Roi a causé avant-hier avec l’Ambassadeur d’Angleterre. Il se dit fort content des explications qu’il a eues avec Thiers. On pense généralement qu’il sera fort doux avec tout le monde, voire même les Appony.
Je suis dans de tristes anniversaires et cette année, pour la première fois, les jours correspondent avec les dates ! Je cherche à me distraire, mais comment ? Ah que vous me manquez, à présent, toujours ! Il y a huit jours je vous attendais encore, je n’attends plus rien, personne.
2 heures Il fait un temps bien froid et avec cela bien gris.
Mercredi, 11 heures
J’ai fait visite hier à Lady Granville, à Pauline et puis à sa mère. L’enfant de Pauline a la ressemblance la plus frappante avec M. de Talleyrand. J’ai trouvé chez la Princesse Mrs de Rambuteau et de Vandoeuvre. Celui-ci ravi et inquiet. Rambuteau disant qu’il faut soutenir parce que les changements sont déplorables. La Duchesse spécule sur la diplomatie française au cas où Londres, Vienne et Petersbourg viendraient à vaquer. Elle doute que Londres vaque.
J’ai dîné hier soir en Autriche. Appony avait été le matin faire visite à Thiers sans le trouver. Une heure après, Thiers est venu chez lui. Il a été très poli, très bien. Il est évident qu’il est décidé à être bien pour tout le monde. Appony avait été au Château avant-hier soir. Il a trouvé le Roi résigné et triste, reconnaissant fort bien que sa situation devait être très abaissée aux yeux de tous. Il s’est dit cependant content de ses entretiens avec Thiers. Les articles d’hier et ce matin dans les Débats font quelque sensation. Mon voisin Jaubert reste mon voisin. J’en suis bien aise. Il est venu me faire visite hier avant que je ne fusse rentrée de chez les Appony. J’étais chez moi à 8 h 1/2. Il n’est venu personne, personne. C’était le mardi-gras, par conséquent mon mardi maigre. Et tout juste hier c’était horrible. Je me suis couchée à 11 heures sans pouvoir m’endormir jusqu’à 6 heures du matin. Cette terrible heure ! Ah quelle nuit !
Il me semble que je suis bien loin de vous, j’ai votre lettre de vendredi & depuis je n’ai rien. Aujourd’hui le Galignani me parlera de vous, voilà tout ce que j’en saurais.
Midi
Voilà M. […] qui m’apporte le 318. Comme j’ai dévoré tout ! Eh bien, je vous dirai que Londres vous plaît beaucoup. Vous êtes content, oui, vous êtes content, même gai. J’ai prévu cela. Et c’est très naturel. La mer nous sépare aujourd’hui, nos sensations seront bien différentes. Je pleure aujourd’hui et vous riez! Quand vous aurez passé par le feu des dîners, dites-moi donc un peu autre chose. Que fait le négociateur Brünnow ? Le petit Nesselrode a dû porter les réponses de Pétersbourg. Mais c’est de Berlin qu’il les a prises au courrier. Quand me direz-vous ce que vous pensez de ceci ? Thiers a dit à Granville qu’il fera une diminution dans les fonds secrets. On dit que cela va être présenté incessamment. Il a reçu hier soir Aston dans la place St Georges ; les zélés y sont allés. Appony s’est abstenu.
1 heure 1/2
Vous voyez comme je reviens à vous souvent! Il me semble que vous m’avez recommandé de vous redire souvent ce que je vous avais dit souvent déjà ici. Eh bien, restez ce que vous êtes, grave, sérieux, naturel. Défendez-vous de l’enivrement de la situation nouvelle où vous vous trouvez. Rappelez-vous que vous vivez dans une maison de verre. Tout sera remarqué. Les Anglais sont infiniment plus fins qu’on ne l’imagine, et singulièrement observateurs et curieux, tout en ayant l’air de n’y pas regarder.
Jeudi 5 mars,
10 heures J’ai été à la Chambre hier. Elle était comble. Thiers est venu prendre sa place sur le banc des Ministres avec un contentement visible. 1 Il s’est assis, pan, pan, pan, comme pour bien en prendre possession. Il a lu un discours d’une voix fort monotone, et pas très haute. Il a été reçu très froidement. J’ai quitté la Chambre tout de suite après, pour le Bois de Boulogne, ensuite chez Lady Granville. M. de Rémusat est venu chez son mari pendant que j’y étais. Il est convenu également qu’ils avaient été accueillis assez tièdement. Il a dit à Granville qu’il ne doutait pas que vous resteriez à Londres.
J’ai dîné seule. Le soir j’ai eu Mad. de Coutades, elle est restée toute la soirée. Appony, Brignoles, le Duc de Noailles, M. Molé, Pahlen, d’Ossuna. Brignoles venait de chez le Roi qui lui a dit : « Je ne suis pas vaincu, mais je suis battu. » M. Molé parle du Ministère comme très transitoire. Il ne fait aucun doute qu’il tombe sur les fonds secrets : tout son monde tient ferme, le vôtre vient à lui. Il n’y a que cinq ou six doctrinaires qui restent avec M. de Rémusat. Les autres 25 passent à l’opposition. Thiers ne peut avoir de soutien qu’à la gauche, et cela ne peut pas suffire. Le Roi affirme qu’il n’accordera jamais la dissolution à Thiers. On a dit : « Et M. Guizot? — M. Guizot? cela ne fait pas une question. Il y a une justice à lui rendre, il n’a jamais cessé de combattre la gauche. » Vous voyez que je vous dis tout. Le Maréchal Soult avait dit aux Ambassadeurs qu’il n’attendait que la fin de la crise pour se rendre dans sa terre en Languedoc, hier il est venu leur faire visite à tous pour les prévenir qu’il les recevra tous les lundis soirs. Cela fait jaser.
Voici une longue lettre, ou plutôt une gazette. Je sais qu’on attend M. d’André en courrier de Pétersbourg ; des lettres venues par la poste annoncent son départ, mandez-moi ce qu’il apporte. M. de Pahlen écrit à son frère toujours la même chose, qu’il n’y a rien. Que pensez-vous que fera Barante de l’ordre qui lui a été envoyé ? Je vous prie de me dire une quantité de choses. Adieu, adieu, adieu.
Lord Granville a été hier à la soirée de la Place St Georges, Mardi. Il y avait une foule de députés, rien que la gauche.
]]>
319 Mardi 3 mars 1840
9 heures
J’attends vos lettres avec une vive impatience. Je suis curieuse de ce que vous me direz de Paris autant et plus que de ce que vous me direz de Londres.
M. d’Appony est venu causer longtemps chez moi hier matin. Plus tard j’ai été causer longtemps chez Lady Granville. M. Thiers quoi venu de bonne heure chez l’Ambassadeur d’Angleterre. L’entretien été fort agréable à Granville. Thiers lui a dit qu’il avait votre promesse de rester avec lui Ministre des Affaires Etrangères. Cette visite s’est faite même avant la notification officielle du changement de Ministère. J’ai dîné seule. Le soir tout le monde était chez Thorn. Il ne m’est venu que Mad. de Boigne et le Duc de Richelieu, trop fier pour faire la connaissance du plébéien de l’autre monde. Mme de Boigne ne sait trop que dire de ceci. Elle trouve à Thiers beaucoup de puissance, mais elle aime Thiers, elle en aime quelques autres dans le nouveau ministère. Somme totale, elle attendra patiemment avec ce ministère ci l’occasion d’aimer beaucoup un ministère prochain. Elle a parlé de vous, espérant fort — que vous resteriez à Londres pour le moment, quoique M. Duchâtel dise que vous n’étiez pas préparé à la combinaison actuelle, telle qu’elle est faite. M. de Broglie se proclame très haut le parrain du Ministère actuel ; il y a des gens que cela étonne beaucoup, car ce Ministère ne peut trouver d’appui que dans la gauche (Boigne). Le Roi a causé avant-hier avec l’Ambassadeur d’Angleterre. Il se dit fort content des explications qu’il a eues avec Thiers. On pense généralement qu’il sera fort doux avec tout le monde, voire même les Appony.
Je suis dans de tristes anniversaires et cette année, pour la première fois, les jours correspondent avec les dates ! Je cherche à me distraire, mais comment ? Ah que vous me manquez, à présent, toujours ! Il y a huit jours je vous attendais encore, je n’attends plus rien, personne.
2 heures Il fait un temps bien froid et avec cela bien gris.
Mercredi, 11 heures
J’ai fait visite hier à Lady Granville, à Pauline et puis à sa mère. L’enfant de Pauline a la ressemblance la plus frappante avec M. de Talleyrand. J’ai trouvé chez la Princesse Mrs de Rambuteau et de Vandoeuvre. Celui-ci ravi et inquiet. Rambuteau disant qu’il faut soutenir parce que les changements sont déplorables. La Duchesse spécule sur la diplomatie française au cas où Londres, Vienne et Petersbourg viendraient à vaquer. Elle doute que Londres vaque.
J’ai dîné hier soir en Autriche. Appony avait été le matin faire visite à Thiers sans le trouver. Une heure après, Thiers est venu chez lui. Il a été très poli, très bien. Il est évident qu’il est décidé à être bien pour tout le monde. Appony avait été au Château avant-hier soir. Il a trouvé le Roi résigné et triste, reconnaissant fort bien que sa situation devait être très abaissée aux yeux de tous. Il s’est dit cependant content de ses entretiens avec Thiers. Les articles d’hier et ce matin dans les Débats font quelque sensation. Mon voisin Jaubert reste mon voisin. J’en suis bien aise. Il est venu me faire visite hier avant que je ne fusse rentrée de chez les Appony. J’étais chez moi à 8 h 1/2. Il n’est venu personne, personne. C’était le mardi-gras, par conséquent mon mardi maigre. Et tout juste hier c’était horrible. Je me suis couchée à 11 heures sans pouvoir m’endormir jusqu’à 6 heures du matin. Cette terrible heure ! Ah quelle nuit !
Il me semble que je suis bien loin de vous, j’ai votre lettre de vendredi & depuis je n’ai rien. Aujourd’hui le Galignani me parlera de vous, voilà tout ce que j’en saurais.
Midi
Voilà M. […] qui m’apporte le 318. Comme j’ai dévoré tout ! Eh bien, je vous dirai que Londres vous plaît beaucoup. Vous êtes content, oui, vous êtes content, même gai. J’ai prévu cela. Et c’est très naturel. La mer nous sépare aujourd’hui, nos sensations seront bien différentes. Je pleure aujourd’hui et vous riez! Quand vous aurez passé par le feu des dîners, dites-moi donc un peu autre chose. Que fait le négociateur Brünnow ? Le petit Nesselrode a dû porter les réponses de Pétersbourg. Mais c’est de Berlin qu’il les a prises au courrier. Quand me direz-vous ce que vous pensez de ceci ? Thiers a dit à Granville qu’il fera une diminution dans les fonds secrets. On dit que cela va être présenté incessamment. Il a reçu hier soir Aston dans la place St Georges ; les zélés y sont allés. Appony s’est abstenu.
1 heure 1/2
Vous voyez comme je reviens à vous souvent! Il me semble que vous m’avez recommandé de vous redire souvent ce que je vous avais dit souvent déjà ici. Eh bien, restez ce que vous êtes, grave, sérieux, naturel. Défendez-vous de l’enivrement de la situation nouvelle où vous vous trouvez. Rappelez-vous que vous vivez dans une maison de verre. Tout sera remarqué. Les Anglais sont infiniment plus fins qu’on ne l’imagine, et singulièrement observateurs et curieux, tout en ayant l’air de n’y pas regarder.
Jeudi 5 mars,
10 heures J’ai été à la Chambre hier. Elle était comble. Thiers est venu prendre sa place sur le banc des Ministres avec un contentement visible. 1 Il s’est assis, pan, pan, pan, comme pour bien en prendre possession. Il a lu un discours d’une voix fort monotone, et pas très haute. Il a été reçu très froidement. J’ai quitté la Chambre tout de suite après, pour le Bois de Boulogne, ensuite chez Lady Granville. M. de Rémusat est venu chez son mari pendant que j’y étais. Il est convenu également qu’ils avaient été accueillis assez tièdement. Il a dit à Granville qu’il ne doutait pas que vous resteriez à Londres.
J’ai dîné seule. Le soir j’ai eu Mad. de Coutades, elle est restée toute la soirée. Appony, Brignoles, le Duc de Noailles, M. Molé, Pahlen, d’Ossuna. Brignoles venait de chez le Roi qui lui a dit : « Je ne suis pas vaincu, mais je suis battu. » M. Molé parle du Ministère comme très transitoire. Il ne fait aucun doute qu’il tombe sur les fonds secrets : tout son monde tient ferme, le vôtre vient à lui. Il n’y a que cinq ou six doctrinaires qui restent avec M. de Rémusat. Les autres 25 passent à l’opposition. Thiers ne peut avoir de soutien qu’à la gauche, et cela ne peut pas suffire. Le Roi affirme qu’il n’accordera jamais la dissolution à Thiers. On a dit : « Et M. Guizot? — M. Guizot? cela ne fait pas une question. Il y a une justice à lui rendre, il n’a jamais cessé de combattre la gauche. » Vous voyez que je vous dis tout. Le Maréchal Soult avait dit aux Ambassadeurs qu’il n’attendait que la fin de la crise pour se rendre dans sa terre en Languedoc, hier il est venu leur faire visite à tous pour les prévenir qu’il les recevra tous les lundis soirs. Cela fait jaser.
Voici une longue lettre, ou plutôt une gazette. Je sais qu’on attend M. d’André en courrier de Pétersbourg ; des lettres venues par la poste annoncent son départ, mandez-moi ce qu’il apporte. M. de Pahlen écrit à son frère toujours la même chose, qu’il n’y a rien. Que pensez-vous que fera Barante de l’ordre qui lui a été envoyé ? Je vous prie de me dire une quantité de choses. Adieu, adieu, adieu.
Lord Granville a été hier à la soirée de la Place St Georges, Mardi. Il y avait une foule de députés, rien que la gauche.
Il me semble que le courrier de Londres doit être arrivé hier, mais je n’ai pas eu de lettres, et je n’ai pas revu Génie depuis dimanche. Notre correspondance ne me parait pas bien réglée encore, c’est ennuyeux. Hier j’ai envoyé une lettre aux Affaires étrangères. Je me suis promenée seule au bois de Boulogne, j’ai fait ensuite une longue visite à la petite Princesse que j’ai trouvée dans son lit et puis Lady Granville. Elle m’a lu une lettre de son frère qui fait de vous le plus excellent éloge. Vous avez réussi parfaitement, votre air grave, vos bonnes manières and his talk charmed every body. Vous saurez en vivant à Londres que l’opinion du Duc de Devonshire y compte. Et moi, je vous le donne pour très fin. Lady Cowper me parle beaucoup de vous aussi. Elle dit que vous excitez une curiosité générale, que tout le monde veut faire votre connaissance et que tout le monde a été content de vous extrêmement. Elle se réjouit de vous voir plus familièrement. Voilà donc un début excellent; je n’en ai pas douté un instant. Elle aime la distinction de votre air, et votre sérieux, et votre envie de plaire. Je vous redis tout. On dit aussi que la Reine a été très aimable avec vous.
J’ai dîné seule et je suis allée aux Italiens. J’y avais assigné M. de Noailles, mais il m’a écrit pour me dire que Berryer réunissait son parti le soir et qu’on l’invitait à y assister pour délibérer sur la marche à suivre dans les nouvelles circonstances. A son défaut j’ai été prendre M. de Brignole. Lui et Granville ont fait ma soirée avec Rubini dans le Pirate. J’étais dans mon lit à onze heures, et pas très bien portante depuis quelques jours. L’Opéra Italien va finir ici et commencer à Londres. Prenez garde qu’on ne vous entraîne à prendre une loge. Je connais l’indiscrétion des Anglaises. Vous payeriez une loge excessivement cher, et vous n’en serez jamais le maître. En général ne permettez à personne de la familiarité avec vous ; cela ne vous va pas, et cela entraîne beaucoup plus loin que vous n’imaginez. Encore une fois, et toujours, restez là ce que vous êtes. N’est-ce pas?
J’ai envie de vous conter un peu ce qui se passe à Londres. Eh bien, il s’y passe, que la Reine mécontente même le parti whig, et que de grosses défections viendront frapper le gouvernement. Il suffit pour cela de quelques exclusions de ses bals.
Samedi 7 mars, midi
Génie est venu m’interrompre hier. Merci de votre lettre et merci beaucoup des copies. Je suppose que vous avez raison. Je suppose que vous avez raison. Vous saurez mieux que moi si vos idées sur Duchâtel sont exactes. Il me revient à moi tout le contraire de ce que vous pensez et désirez à cet égard. Mais cela ne me regarde pas. Ce qui me regarde c’est vous. Lady Holland écrit que tout le monde est charmé de vous. Et la Reine aussi ; et puis elle ajoute : « The public augurs well from his having placed the celebrated Louis at the head of his kitchen department. Few things tend more to popularity in this town than la bonne chère ; however what is more important is Lord Palmerston appearing really to like him, and confide in his warm expressions in favor of peace and amity with us.»3 Je veux cependant vous dire en passant que vous avez déjà fait des confidences là, qui me paraissent ne pas rentrer dans la résolution que vous aviez prise de ne pas les prodiguer. Cela est revenu ici ; tout y reviendra; et surtout vos opinions sur les personnes. Il ne faut pas trop adorer l’inconnu (ici) et surtout, surtout, il ne faut pas tout dire! Vous voyez que je parle à la chaise verte.
Lord Won Russell est tombé dans une champbre hier au moment où je voulais sortir. Il vous a vu chez Lady Palmerston et chez Lady Holland, mais à la manière des Russell il ne s’est pas fait présenter à vous. Il me dit qu’on est enchanté de vous. Il me dit cela de Lord Palmerston et de la Reine. Il passera ici quelques jours, je le fais dîner chez moi demain. J’ai dîné avec lui chez Lord Granville, aujourd’hui chez la Duchesse de Talleyrand.
Mme Thiers est allé faire visite à la Comtesse Appony, ce qui fait la réconciliation complète. On dit qu’il y a un traité secret entre le Roi et Thiers par lequel celui-ci s’engage à demander à la Chambre 10 millions pour les dettes du Roi. En revanche le Roi le soutiendra pour les fonds secrets. Thiers dit que ceci est la seule question de Cabinet. S’il la traverse, il fera comme les Ministres Anglais, il se moquera de toutes les défaites. Vous comprenez qu’il y a maintenant beaucoup de bavardages. Le corps diplomatique est encore tout ahuri et ne sait trop que penser de ceci ; cependant il est évident qu’ils ont plus confiance dans la durée du Ministère que dans sa chute.
Vous me paraissez bien occupé, car vos lettres à moi sont courtes. Vous vous trompez de N°. Vous m’avez envoyé deux 318. Vous ne me dites pas un moment d’Orient. Voilà un petit paquet de petits griefs.
Je n’ai pas vu un seul personnage politique hier à l’Ambassade. Il y avait des curieux, mais rien pour les satisfaire. Thiers y dine aujourd’hui.
Adieu, je dis adieu, car je n’ai plus rien à dire, et je n’ai guère à répondre. Le temps est toujours froid. Je me suis promenée hier avec Marion. Mais cela ne m’a fait aucun plaisir. Je n’ai plus de plaisir à rien. Adieu. Adieu.
]]>Paris, vendredi 6 mars 1840
Il me semble que le courrier de Londres doit être arrivé hier, mais je n’ai pas eu de lettres, et je n’ai pas revu Génie depuis dimanche. Notre correspondance ne me parait pas bien réglée encore, c’est ennuyeux. Hier j’ai envoyé une lettre aux Affaires étrangères. Je me suis promenée seule au bois de Boulogne, j’ai fait ensuite une longue visite à la petite Princesse que j’ai trouvée dans son lit et puis Lady Granville. Elle m’a lu une lettre de son frère qui fait de vous le plus excellent éloge. Vous avez réussi parfaitement, votre air grave, vos bonnes manières and his talk charmed every body. Vous saurez en vivant à Londres que l’opinion du Duc de Devonshire y compte. Et moi, je vous le donne pour très fin. Lady Cowper me parle beaucoup de vous aussi. Elle dit que vous excitez une curiosité générale, que tout le monde veut faire votre connaissance et que tout le monde a été content de vous extrêmement. Elle se réjouit de vous voir plus familièrement. Voilà donc un début excellent; je n’en ai pas douté un instant. Elle aime la distinction de votre air, et votre sérieux, et votre envie de plaire. Je vous redis tout. On dit aussi que la Reine a été très aimable avec vous.
J’ai dîné seule et je suis allée aux Italiens. J’y avais assigné M. de Noailles, mais il m’a écrit pour me dire que Berryer réunissait son parti le soir et qu’on l’invitait à y assister pour délibérer sur la marche à suivre dans les nouvelles circonstances. A son défaut j’ai été prendre M. de Brignole. Lui et Granville ont fait ma soirée avec Rubini dans le Pirate. J’étais dans mon lit à onze heures, et pas très bien portante depuis quelques jours. L’Opéra Italien va finir ici et commencer à Londres. Prenez garde qu’on ne vous entraîne à prendre une loge. Je connais l’indiscrétion des Anglaises. Vous payeriez une loge excessivement cher, et vous n’en serez jamais le maître. En général ne permettez à personne de la familiarité avec vous ; cela ne vous va pas, et cela entraîne beaucoup plus loin que vous n’imaginez. Encore une fois, et toujours, restez là ce que vous êtes. N’est-ce pas?
J’ai envie de vous conter un peu ce qui se passe à Londres. Eh bien, il s’y passe, que la Reine mécontente même le parti whig, et que de grosses défections viendront frapper le gouvernement. Il suffit pour cela de quelques exclusions de ses bals.
Samedi 7 mars, midi
Génie est venu m’interrompre hier. Merci de votre lettre et merci beaucoup des copies. Je suppose que vous avez raison. Je suppose que vous avez raison. Vous saurez mieux que moi si vos idées sur Duchâtel sont exactes. Il me revient à moi tout le contraire de ce que vous pensez et désirez à cet égard. Mais cela ne me regarde pas. Ce qui me regarde c’est vous. Lady Holland écrit que tout le monde est charmé de vous. Et la Reine aussi ; et puis elle ajoute : « The public augurs well from his having placed the celebrated Louis at the head of his kitchen department. Few things tend more to popularity in this town than la bonne chère ; however what is more important is Lord Palmerston appearing really to like him, and confide in his warm expressions in favor of peace and amity with us.»3 Je veux cependant vous dire en passant que vous avez déjà fait des confidences là, qui me paraissent ne pas rentrer dans la résolution que vous aviez prise de ne pas les prodiguer. Cela est revenu ici ; tout y reviendra; et surtout vos opinions sur les personnes. Il ne faut pas trop adorer l’inconnu (ici) et surtout, surtout, il ne faut pas tout dire! Vous voyez que je parle à la chaise verte.
Lord Won Russell est tombé dans une champbre hier au moment où je voulais sortir. Il vous a vu chez Lady Palmerston et chez Lady Holland, mais à la manière des Russell il ne s’est pas fait présenter à vous. Il me dit qu’on est enchanté de vous. Il me dit cela de Lord Palmerston et de la Reine. Il passera ici quelques jours, je le fais dîner chez moi demain. J’ai dîné avec lui chez Lord Granville, aujourd’hui chez la Duchesse de Talleyrand.
Mme Thiers est allé faire visite à la Comtesse Appony, ce qui fait la réconciliation complète. On dit qu’il y a un traité secret entre le Roi et Thiers par lequel celui-ci s’engage à demander à la Chambre 10 millions pour les dettes du Roi. En revanche le Roi le soutiendra pour les fonds secrets. Thiers dit que ceci est la seule question de Cabinet. S’il la traverse, il fera comme les Ministres Anglais, il se moquera de toutes les défaites. Vous comprenez qu’il y a maintenant beaucoup de bavardages. Le corps diplomatique est encore tout ahuri et ne sait trop que penser de ceci ; cependant il est évident qu’ils ont plus confiance dans la durée du Ministère que dans sa chute.
Vous me paraissez bien occupé, car vos lettres à moi sont courtes. Vous vous trompez de N°. Vous m’avez envoyé deux 318. Vous ne me dites pas un moment d’Orient. Voilà un petit paquet de petits griefs.
Je n’ai pas vu un seul personnage politique hier à l’Ambassade. Il y avait des curieux, mais rien pour les satisfaire. Thiers y dine aujourd’hui.
Adieu, je dis adieu, car je n’ai plus rien à dire, et je n’ai guère à répondre. Le temps est toujours froid. Je me suis promenée hier avec Marion. Mais cela ne m’a fait aucun plaisir. Je n’ai plus de plaisir à rien. Adieu. Adieu.
Je me suis sentie très souffrante ce matin, et je ne sors de mon lit que dans ce moment. J’ai fait hier Lady Granville, Bois de Boulogne, de la causerie avec Lors Won Russell chez moi, et puis le dîner de Mad. de Taleyrand où j’ai trouvé Montrond qui n’a remis les pieds chez moi depuis le 25. Il a trouvé bon de me dire qu’il y était venu dix fois ; je l’ai assuré que je gronderais dix fois mes gens pour ne me l’avoir pas dit. Le soir j’ai vu le Prince d’Aremberg, l’Ambassadeur d’Espagne & le Duc de Noailles. Miraflors m’ennuie. D’Aremberg m’endort. M. de Noailles m’a tenu éveillée jusqu’à minuit. Il est très préoccupé de la situation. Son parti n’a pas pris de parti encore. Berryer n’a pas grande envie de voter contre Thiers dans les fonds secrets. On ne s’est encore accordé sur rien. Il m’a raconté la séance d’hier dont tout l’honneur appartient à MM. Duchâtel & Teste. Les nouveaux ministres sont très froidement accueillis.
Les 221 s’en vont disant qu’ils voteront les fonds secrets. Dans ce cas là il y aurait presqu’unanimité.
J’ai relu plusieurs fois la plus longue des lettres que vous m’avez envoyées. Elle est d’un fort honnête homme, mais d’une pauvre tête politique. Vraiment, fractionner encore les partis dans un temps où c’est juste leur multiplicité qui fait le danger de la situation et l’impossibilité de gouverner, cela n’a pas le sens commun. C’est de l’homéopathie. Pardonnez-moi, mais mon pauvre esprit se refuse à comprendre. C’est de la dernière page que je parle. Dites-moi quelque chose de MM. de Brünnow et de Bülow. Défiez-vous extrêmement de celui-ci. En général vous ne devez donner votre confiance à personne ; je ne cesserai de vous répéter cela, et d’être bien avare d’opinions tranchées sur quoi que ce soit. En diplomatie, vous ne sauriez croire combien on a moins de regrets à ce qu’on a tu qu’à ce qu’on a dit. Observez un peu les autres, et vous verrez s’ils se hasardent! Ils sont bêtes, mais ils connaissent le métier, et ils sont singulièrement habiles à tirer parti de ceux qui ne les connaissent pas. Et, encore un coup, c’est un métier comme un autre, et qu’on n’apprend qu’en le faisant.
Je vous prie de me dire toujours l’emploi de vos soirées. Je ne sais pas ce que vous avez fait de lundi. Faites comme moi, et comme vous m’aviez promis de faire ; en vous levant, le journal de la veille, les faits matériels, et le remplissage après. Quand me direz-vous un mot de l’Orient, un mot de Pétersbourg? Je ne sais absolument rien, rien du tout. M. d’André est arrivé; qu’apporte-t-il? Je n’ai pas de lettres de mon fils de Naples. Je n’ai de lettres de personne.
Je vous ai dit, je crois, que Paul ne songe pas du tout à venir à Paris ! Il part les premiers jours du mois pour la Russie.
5 heures
Je rentre de la promenade au bois de Boulogne et j’attends la visite du Dimanche. J’ai vu ce matin M. d’Appony et M. d’André. Celui-ci dit que le retour ou non de Pahlen à Paris est regardé en Russie comme très important. Il croit qu’il reviendra. Le discours de Thiers dans la discussion de l’adresse a eu beaucoup de faveur à Pétersbourg. Voilà tout ce que j’ai tiré de sa visite ; vous m’en direz davantage. On disait beaucoup hier que le mariage Nemours ne se faisait plus, que le père était allé à Vienne demander conseil au Prince Metternich. Cela serait une singulière affaire. Vous savez que le duc d’Orléans va décidément à Alger, le Roi le veut aussi.
Lundi 9 mars, 9 heures
Le Prince Paul de Wurtemberg m’a conté quelques commérages de cour sans importance ; il croit savoir que la famille Cobourg demande le Capital qui doit revenir un jour au Duc de Nemours ; et qu’à moins de cela elle ne donne pas sa fille. Je ne sais ce qu’il y a de vrai, mais il y a quelque chose. Il allait diner hier chez Thiers. Il trouve aussi sa situation fragile et très difficile.
Lord Won Russell m’a conté Londres, Berlin ; il m’a quitté à 9 heures. J’ai été faire une courte visite à Mad. Appony et une plus longue à Mad. de Castellane que j’ai trouvée jouant du piano à M. Molé !Il y avait de la bonne humeur dans le salon. M. Molé s’était trouvé la veille chez le Roi avec le Maréchal Soult et M. Thiers. Trois présidents du Conseil en même temps. Il a fort exalté MM. Duchâtel et Teste dans la séance de la veille. Voici onze heures. Je n’ai pas de lettres. N’y a-t-il aucun moyen de faire quelque chose de régulier entre Londres et Paris ? Je ne me porte pas bien ; le vent d’Est ne me va pas. Ma solitude m’accable. J’ai des moments d’affreuses tristesses. Adieu. Adieu.
P.S. J’avais déjà fermé ma lettre lorsque m’arrive le 320; si bon, si tendre, et si long! Je veux tout cela. Songez que je n’ai que cela pour vivre! J’ai reçu une longue lettre du Roi de Hanovre toute remplie de commérages de gazettes sur mon compte. Ces bombes me viendront de Pétersbourg. Aussi, j’ai envie de faire comme j’ai fait pour les gazettes, je ne répondrai pas. Je suis bien lasse d’être tracassée sur toute chose.
Je n’ai plus vu Médem deppuis longtemps. Dans huit jours le cœur lui battra, car les réponses de Pétersbourg lui arriveront alors. M. Molé croit que Pahlen reviendra, mais c’est d’instinct ; car à la réflexion il ne le croit pas. Nous allons voir. Lisez le Constitutionnel de ce matin. On disait hier que le minsitère avait remis de huit jours la présentation des fonds secrets. Lord Granville a donné à diner samedi à Mrs Thiers, Rémusat, Broglie, la Redorte, d’autres encore. On m’a dit que le diner était bien froid ; Lord Won Russell disait des gens qui ont peur les uns des autres, ou qui n’ont pas fait connaissance. Rémusat très abattu, il venait de la séance. Demain Thiers donne un grand diner diplomatique.
Adieu, merci de tous les détails. Adieu encore, Merci de tout.
3 heures Encore! Voici Montrond qui vient me raconter très longuement que Thiers a été délecté à la lecture de votre dépêche ; qu’il est enchanté de tout ce que vous faites ; qu’il le dit à tout le monde ; et Montrond, doutant que j’aie l’esprit de deviner qu’il n’était venu chez moi que pour me dire cela et pour que je vous le redise, me prie en finissant de vous raconter un peu cela, ainsi que son dévouement pour vous.
L’affaire Nemours est comme je vous ai dit plus haut. On négocie. Adieu. Adieu.
]]>321. Paris, dimanche 8 mars 1840, midi
Je me suis sentie très souffrante ce matin, et je ne sors de mon lit que dans ce moment. J’ai fait hier Lady Granville, Bois de Boulogne, de la causerie avec Lors Won Russell chez moi, et puis le dîner de Mad. de Taleyrand où j’ai trouvé Montrond qui n’a remis les pieds chez moi depuis le 25. Il a trouvé bon de me dire qu’il y était venu dix fois ; je l’ai assuré que je gronderais dix fois mes gens pour ne me l’avoir pas dit. Le soir j’ai vu le Prince d’Aremberg, l’Ambassadeur d’Espagne & le Duc de Noailles. Miraflors m’ennuie. D’Aremberg m’endort. M. de Noailles m’a tenu éveillée jusqu’à minuit. Il est très préoccupé de la situation. Son parti n’a pas pris de parti encore. Berryer n’a pas grande envie de voter contre Thiers dans les fonds secrets. On ne s’est encore accordé sur rien. Il m’a raconté la séance d’hier dont tout l’honneur appartient à MM. Duchâtel & Teste. Les nouveaux ministres sont très froidement accueillis.
Les 221 s’en vont disant qu’ils voteront les fonds secrets. Dans ce cas là il y aurait presqu’unanimité.
J’ai relu plusieurs fois la plus longue des lettres que vous m’avez envoyées. Elle est d’un fort honnête homme, mais d’une pauvre tête politique. Vraiment, fractionner encore les partis dans un temps où c’est juste leur multiplicité qui fait le danger de la situation et l’impossibilité de gouverner, cela n’a pas le sens commun. C’est de l’homéopathie. Pardonnez-moi, mais mon pauvre esprit se refuse à comprendre. C’est de la dernière page que je parle. Dites-moi quelque chose de MM. de Brünnow et de Bülow. Défiez-vous extrêmement de celui-ci. En général vous ne devez donner votre confiance à personne ; je ne cesserai de vous répéter cela, et d’être bien avare d’opinions tranchées sur quoi que ce soit. En diplomatie, vous ne sauriez croire combien on a moins de regrets à ce qu’on a tu qu’à ce qu’on a dit. Observez un peu les autres, et vous verrez s’ils se hasardent! Ils sont bêtes, mais ils connaissent le métier, et ils sont singulièrement habiles à tirer parti de ceux qui ne les connaissent pas. Et, encore un coup, c’est un métier comme un autre, et qu’on n’apprend qu’en le faisant.
Je vous prie de me dire toujours l’emploi de vos soirées. Je ne sais pas ce que vous avez fait de lundi. Faites comme moi, et comme vous m’aviez promis de faire ; en vous levant, le journal de la veille, les faits matériels, et le remplissage après. Quand me direz-vous un mot de l’Orient, un mot de Pétersbourg? Je ne sais absolument rien, rien du tout. M. d’André est arrivé; qu’apporte-t-il? Je n’ai pas de lettres de mon fils de Naples. Je n’ai de lettres de personne.
Je vous ai dit, je crois, que Paul ne songe pas du tout à venir à Paris ! Il part les premiers jours du mois pour la Russie.
5 heures
Je rentre de la promenade au bois de Boulogne et j’attends la visite du Dimanche. J’ai vu ce matin M. d’Appony et M. d’André. Celui-ci dit que le retour ou non de Pahlen à Paris est regardé en Russie comme très important. Il croit qu’il reviendra. Le discours de Thiers dans la discussion de l’adresse a eu beaucoup de faveur à Pétersbourg. Voilà tout ce que j’ai tiré de sa visite ; vous m’en direz davantage. On disait beaucoup hier que le mariage Nemours ne se faisait plus, que le père était allé à Vienne demander conseil au Prince Metternich. Cela serait une singulière affaire. Vous savez que le duc d’Orléans va décidément à Alger, le Roi le veut aussi.
Lundi 9 mars, 9 heures
Le Prince Paul de Wurtemberg m’a conté quelques commérages de cour sans importance ; il croit savoir que la famille Cobourg demande le Capital qui doit revenir un jour au Duc de Nemours ; et qu’à moins de cela elle ne donne pas sa fille. Je ne sais ce qu’il y a de vrai, mais il y a quelque chose. Il allait diner hier chez Thiers. Il trouve aussi sa situation fragile et très difficile.
Lord Won Russell m’a conté Londres, Berlin ; il m’a quitté à 9 heures. J’ai été faire une courte visite à Mad. Appony et une plus longue à Mad. de Castellane que j’ai trouvée jouant du piano à M. Molé !Il y avait de la bonne humeur dans le salon. M. Molé s’était trouvé la veille chez le Roi avec le Maréchal Soult et M. Thiers. Trois présidents du Conseil en même temps. Il a fort exalté MM. Duchâtel et Teste dans la séance de la veille. Voici onze heures. Je n’ai pas de lettres. N’y a-t-il aucun moyen de faire quelque chose de régulier entre Londres et Paris ? Je ne me porte pas bien ; le vent d’Est ne me va pas. Ma solitude m’accable. J’ai des moments d’affreuses tristesses. Adieu. Adieu.
P.S. J’avais déjà fermé ma lettre lorsque m’arrive le 320; si bon, si tendre, et si long! Je veux tout cela. Songez que je n’ai que cela pour vivre! J’ai reçu une longue lettre du Roi de Hanovre toute remplie de commérages de gazettes sur mon compte. Ces bombes me viendront de Pétersbourg. Aussi, j’ai envie de faire comme j’ai fait pour les gazettes, je ne répondrai pas. Je suis bien lasse d’être tracassée sur toute chose.
Je n’ai plus vu Médem deppuis longtemps. Dans huit jours le cœur lui battra, car les réponses de Pétersbourg lui arriveront alors. M. Molé croit que Pahlen reviendra, mais c’est d’instinct ; car à la réflexion il ne le croit pas. Nous allons voir. Lisez le Constitutionnel de ce matin. On disait hier que le minsitère avait remis de huit jours la présentation des fonds secrets. Lord Granville a donné à diner samedi à Mrs Thiers, Rémusat, Broglie, la Redorte, d’autres encore. On m’a dit que le diner était bien froid ; Lord Won Russell disait des gens qui ont peur les uns des autres, ou qui n’ont pas fait connaissance. Rémusat très abattu, il venait de la séance. Demain Thiers donne un grand diner diplomatique.
Adieu, merci de tous les détails. Adieu encore, Merci de tout.
3 heures Encore! Voici Montrond qui vient me raconter très longuement que Thiers a été délecté à la lecture de votre dépêche ; qu’il est enchanté de tout ce que vous faites ; qu’il le dit à tout le monde ; et Montrond, doutant que j’aie l’esprit de deviner qu’il n’était venu chez moi que pour me dire cela et pour que je vous le redise, me prie en finissant de vous raconter un peu cela, ainsi que son dévouement pour vous.
L’affaire Nemours est comme je vous ai dit plus haut. On négocie. Adieu. Adieu.
Paris, mardi 10 mars 1840,
Lord John Russell a été ma seule visite du matin hier. J’en ai fait une à Mad. de la Redorte qui est bien malade. Elle est inquiète pour le ministère. On jase beaucoup, il y a assurément une grande incertitude dans les esprits et la situation du nouveau ministère n’est pas triomphante. Cependant on croit qu’il aura les fonds secrets. Je me suis promenée avec Marion au bois de Boulogne, j’ai dîné seule. Le soir j’ai vu Lady Granville et sa fille, la famille Poix, les Durazzo, Brignole, Aston, M. d’André, le hanôvre. Je ne sais ce qui prend à Modem, mais il ne vient plus. Lady Granville sortait du salon du Maréchal Soult où la diplomatie s’était donné rendez-vous. Aujourd’hui sera le tour de M. Molé. J’ai fort mal dormi encore. Je ne me porte pas bien, sans être absolument malade ; si ce malaise dure cependant il me faudra M. Verity. Le vent d’Est ne me va pas du tout.
Il me semble que vous dînez chez le duc de Sutherland aujourd’hui. On ne sera plus embarrassé où vous placer à table. Je vous vois à côté de la Duchesse tournant le dos au jardin ; moi je serais à l’autre extrémité bien loin de vous ; mais dans la même chambre ; aujourd’hui dans un autre pays !
6 heures
Lord John Russel et Appony sont venus me voir. Le premier a tout bêtement de l’esprit et une bonté de cœur parfaite. Il me raconte peu à peu tout, avec beaucoup de finesse, de vie. A propos, il vous conseille de vous défier de notre ami Ellice ; la plus grande commère de Londres. C’est bon pour dîner et mille petits services, mais pas bon pour des confidences ; au reste celles-là, vous aurez soin de n’en faire à personne. Il me semble d’après votre lettre que M. de Brünnow se met en grande froideur avec vous. A propos, Appony me dit qu’on a envoyé l’ordre à Barante de rester à Pétersbourg jusqu’à la dernière extrémité. C’est drôle!
J’ai vu Granville chez sa femme. Il croit que le ministère tiendra. Au moins cela n’a pas encore grand air. Médem se donne les apparences d’être moins lié avec Thiers qu’il ne l’est en effet. Voilà les observations de la diplomatie. Tout ceci aujourd’hui fait un spectacle curieux à observer. Granville aussi m’a parlé du grand succès de votre dernière dépêche. A propos il dit que les difficultés du mariage Nemours sont aplanies et qu’il se fera après Pâques. Il me semble que je vous raconte tout ce que vous devez savoir par d’autres.
Mercredi 11 –
M. Jaubert est venu me voir hier un moment avant mon dîner ; il est très poli, et n’a pas l’air très soucieux. Il parle de vous avez grand respect. M. de Pogenpohl a dîné avec moi ; mon monde m’est venu de bonne heure. Pahlen, Médem, Caraffa, Brignole, le Duc de Noailles, Bacourt, Mad. de Contades. Cette petite femme me plait tout à fait. Je n’ai pas causé avec le duc de Noailles. Médem est resté tard. Il m’a répété que Barante restera à Pétersbourg, quand même. L’Empereur regardait à sa montre pour calculer l’arrivée des réponses de Paris aux gesticulations. Médem est le seul diplomate qui n’ait point dîné hier chez Thiers, il dinait avec M. Molé chez M. Greffulhe. Il y a été le soir. Un monde énorme. Rien des 221 que le Gal Bugeaud. M. de .Broglie y était, Odillon, Barôt. Voilà !
Ce que vous me dites du lever de la Reine est très original et très vrai. Je suis curieuse de l’effet que vous aura fait le Drawing room, et de ce que vous mettez comme pendant à : Sérieux, sincère et gauche.
J’ai fait venir Verity hier au soir. Je ne suis pas bien, et je ne sais pas dire ce que j’ai . J’ai de l’ennui, de la tristesse, un gros gros poids sur le cœur, et je me sens malade.
1 heure. Voici le 321 que je vous remercie du plaisir que vous me faites ! Car vous ne savez pas avec quel plaisir je reçois, je lis vos lettres ! Je suis charmée que Lord Melbourne vous plaise, parce que je suis sûre alors que vous lui plaisez aussi. Il me semble que Londres vous plait en général beaucoup. En tous cas votre journée est bien remplie, vous êtes bien heureux.
Jeudi 12 mars, 9 heures
L’infaillible Lord William est encore venu hier pendant mon luncheon. C’est une excellente et douce créature, avec un esprit d’observation très fin. En général vous ne concevez pas combien les Anglais ont de cela, rien ne leur échappe. Il pense que vous vous arrangerez mieux de Lord Melbourne ou d’autres que de Lord Palmerston, mais il ajoute que celui-ci est assez jaloux des relations des Ambassadeurs avec ses collègues. Cela n’est cependant pas une raison pour n’en pas avoir, car en définitive, s’il s’agit d’une résolution à prendre, c’est le Cabinet et non Lord Palmerston qui décide. Que je voudrais causer avec vous! Car vous m’écrivez beaucoup, mais vous ne dites pas tout. Il n’y a de vraie confiance que dans la parole.
J’ai fait visite à votre mère. Je l’ai trouvée seule. Je ne sais pourquoi cela m’a saisie, et dès le premier moment la disposition a tourné à l’attendrissement. Je sentais tellement les larmes me monter aux yeux que pour échapper au ridicule, j’ai dit quelques paroles qui pouvaient les légitimer ; cela est venu naturellement après qu’elle m’eût dit qu’hier était un triste anniversaire pour vous. Ah, il y en a pour d’autres de plus cruels encore ; j’ai fondu en larmes. Votre mère m’a regardé avec plus d’étonnement que d’intérêt ; du moins c’est ce qui m’a semblé. En général je ne suis pas sûre que je lui plaise. Pour elle, elle me plait beaucoup ; si simple dans tout ce qu’elle dit et tout ce qu’elle fait ! Elle donnait quelques ordres pour des chemises ; elle a tiré de son armoire des gâteaux pour les enfants ; tout cela s’est fait comme si je n’y étais pas. J’ai été charmée de me trouver tout à coup initié aux détails du ménage. Je suis restée une demi-heure. Vos enfants vont à merveille, et très aimables pour moi. De là, j’ai fait la visite à Mad. Durazzo, et la petite princesse. J’ai dîné seule. Le soir la princesse Lebkowitz est venue jouer chez moi avec M. Durazzo, Fullarton et Greville. Moi, j’ai causé avec le Duc de Noailles, lord Granville & Arnim. Granville croit plus fermement tous les jours que le vote sera en faveur du nouveau ministère. Décidément toute la gauche est venue au premier mardi. M. de Broglie y avait dîné. Les légitimistes n’ont pas encore décidé ce qu’ils feront ; ils se réuniront samedi pour cela. Thiers est inquiet de l’apprendre. J’ai eu ce matin une lettre de mon fils de Naples. Il sera ici à la fin d’avril. Lord Brougham m’écrit de Cannes. Il ne parle pas de revenir. Les Clanricarde seront en Angleterre au mois de mai.
Le mariage Darmstadt se fait décidément.
Verity vient, mais mon mal ne s’en va pas.
Adieu, adieu. Ecrivez-moi beaucoup. J’aime tant vos douces paroles ! Adieu.
Génie est chez moi dans ce moment et m’assure que je fais mieux de lui remettre ma lettre.
]]>322. Paris, Mardi 10 mars 1840, Dorothée de Lieven à François Guizot
Paris, mardi 10 mars 1840,
Lord John Russell a été ma seule visite du matin hier. J’en ai fait une à Mad. de la Redorte qui est bien malade. Elle est inquiète pour le ministère. On jase beaucoup, il y a assurément une grande incertitude dans les esprits et la situation du nouveau ministère n’est pas triomphante. Cependant on croit qu’il aura les fonds secrets. Je me suis promenée avec Marion au bois de Boulogne, j’ai dîné seule. Le soir j’ai vu Lady Granville et sa fille, la famille Poix, les Durazzo, Brignole, Aston, M. d’André, le hanôvre. Je ne sais ce qui prend à Modem, mais il ne vient plus. Lady Granville sortait du salon du Maréchal Soult où la diplomatie s’était donné rendez-vous. Aujourd’hui sera le tour de M. Molé. J’ai fort mal dormi encore. Je ne me porte pas bien, sans être absolument malade ; si ce malaise dure cependant il me faudra M. Verity. Le vent d’Est ne me va pas du tout.
Il me semble que vous dînez chez le duc de Sutherland aujourd’hui. On ne sera plus embarrassé où vous placer à table. Je vous vois à côté de la Duchesse tournant le dos au jardin ; moi je serais à l’autre extrémité bien loin de vous ; mais dans la même chambre ; aujourd’hui dans un autre pays !
6 heures
Lord John Russel et Appony sont venus me voir. Le premier a tout bêtement de l’esprit et une bonté de cœur parfaite. Il me raconte peu à peu tout, avec beaucoup de finesse, de vie. A propos, il vous conseille de vous défier de notre ami Ellice ; la plus grande commère de Londres. C’est bon pour dîner et mille petits services, mais pas bon pour des confidences ; au reste celles-là, vous aurez soin de n’en faire à personne. Il me semble d’après votre lettre que M. de Brünnow se met en grande froideur avec vous. A propos, Appony me dit qu’on a envoyé l’ordre à Barante de rester à Pétersbourg jusqu’à la dernière extrémité. C’est drôle!
J’ai vu Granville chez sa femme. Il croit que le ministère tiendra. Au moins cela n’a pas encore grand air. Médem se donne les apparences d’être moins lié avec Thiers qu’il ne l’est en effet. Voilà les observations de la diplomatie. Tout ceci aujourd’hui fait un spectacle curieux à observer. Granville aussi m’a parlé du grand succès de votre dernière dépêche. A propos il dit que les difficultés du mariage Nemours sont aplanies et qu’il se fera après Pâques. Il me semble que je vous raconte tout ce que vous devez savoir par d’autres.
Mercredi 11 –
M. Jaubert est venu me voir hier un moment avant mon dîner ; il est très poli, et n’a pas l’air très soucieux. Il parle de vous avez grand respect. M. de Pogenpohl a dîné avec moi ; mon monde m’est venu de bonne heure. Pahlen, Médem, Caraffa, Brignole, le Duc de Noailles, Bacourt, Mad. de Contades. Cette petite femme me plait tout à fait. Je n’ai pas causé avec le duc de Noailles. Médem est resté tard. Il m’a répété que Barante restera à Pétersbourg, quand même. L’Empereur regardait à sa montre pour calculer l’arrivée des réponses de Paris aux gesticulations. Médem est le seul diplomate qui n’ait point dîné hier chez Thiers, il dinait avec M. Molé chez M. Greffulhe. Il y a été le soir. Un monde énorme. Rien des 221 que le Gal Bugeaud. M. de .Broglie y était, Odillon, Barôt. Voilà !
Ce que vous me dites du lever de la Reine est très original et très vrai. Je suis curieuse de l’effet que vous aura fait le Drawing room, et de ce que vous mettez comme pendant à : Sérieux, sincère et gauche.
J’ai fait venir Verity hier au soir. Je ne suis pas bien, et je ne sais pas dire ce que j’ai . J’ai de l’ennui, de la tristesse, un gros gros poids sur le cœur, et je me sens malade.
1 heure. Voici le 321 que je vous remercie du plaisir que vous me faites ! Car vous ne savez pas avec quel plaisir je reçois, je lis vos lettres ! Je suis charmée que Lord Melbourne vous plaise, parce que je suis sûre alors que vous lui plaisez aussi. Il me semble que Londres vous plait en général beaucoup. En tous cas votre journée est bien remplie, vous êtes bien heureux.
Jeudi 12 mars, 9 heures
L’infaillible Lord William est encore venu hier pendant mon luncheon. C’est une excellente et douce créature, avec un esprit d’observation très fin. En général vous ne concevez pas combien les Anglais ont de cela, rien ne leur échappe. Il pense que vous vous arrangerez mieux de Lord Melbourne ou d’autres que de Lord Palmerston, mais il ajoute que celui-ci est assez jaloux des relations des Ambassadeurs avec ses collègues. Cela n’est cependant pas une raison pour n’en pas avoir, car en définitive, s’il s’agit d’une résolution à prendre, c’est le Cabinet et non Lord Palmerston qui décide. Que je voudrais causer avec vous! Car vous m’écrivez beaucoup, mais vous ne dites pas tout. Il n’y a de vraie confiance que dans la parole.
J’ai fait visite à votre mère. Je l’ai trouvée seule. Je ne sais pourquoi cela m’a saisie, et dès le premier moment la disposition a tourné à l’attendrissement. Je sentais tellement les larmes me monter aux yeux que pour échapper au ridicule, j’ai dit quelques paroles qui pouvaient les légitimer ; cela est venu naturellement après qu’elle m’eût dit qu’hier était un triste anniversaire pour vous. Ah, il y en a pour d’autres de plus cruels encore ; j’ai fondu en larmes. Votre mère m’a regardé avec plus d’étonnement que d’intérêt ; du moins c’est ce qui m’a semblé. En général je ne suis pas sûre que je lui plaise. Pour elle, elle me plait beaucoup ; si simple dans tout ce qu’elle dit et tout ce qu’elle fait ! Elle donnait quelques ordres pour des chemises ; elle a tiré de son armoire des gâteaux pour les enfants ; tout cela s’est fait comme si je n’y étais pas. J’ai été charmée de me trouver tout à coup initié aux détails du ménage. Je suis restée une demi-heure. Vos enfants vont à merveille, et très aimables pour moi. De là, j’ai fait la visite à Mad. Durazzo, et la petite princesse. J’ai dîné seule. Le soir la princesse Lebkowitz est venue jouer chez moi avec M. Durazzo, Fullarton et Greville. Moi, j’ai causé avec le Duc de Noailles, lord Granville & Arnim. Granville croit plus fermement tous les jours que le vote sera en faveur du nouveau ministère. Décidément toute la gauche est venue au premier mardi. M. de Broglie y avait dîné. Les légitimistes n’ont pas encore décidé ce qu’ils feront ; ils se réuniront samedi pour cela. Thiers est inquiet de l’apprendre. J’ai eu ce matin une lettre de mon fils de Naples. Il sera ici à la fin d’avril. Lord Brougham m’écrit de Cannes. Il ne parle pas de revenir. Les Clanricarde seront en Angleterre au mois de mai.
Le mariage Darmstadt se fait décidément.
Verity vient, mais mon mal ne s’en va pas.
Adieu, adieu. Ecrivez-moi beaucoup. J’aime tant vos douces paroles ! Adieu.
Génie est chez moi dans ce moment et m’assure que je fais mieux de lui remettre ma lettre.
10 h 1/2
J’ai été hier au Bois avec Marion, j’ai fait une longue visite à Lady Granville. J’ai dîné seule. Le soir j’ai vu Lord Granville, W. Russell, les Brignole, les Capellen. Le matin j’avais eu une longue visite de M. de Werther, que j’ai beaucoup questionné sur Londres, sur le bal de la Reine dont vous ne m’avez rien dit. Je lui ai demandé ce que vous faisiez dans cette longue soirée ; « La cour aux dames. » En rentrant chez moi, avant dîner, j’ai trouvé Nicolas Pahlen qui m’attendait depuis une demi-heure. Il venait m’annoncer qu’enfin son frère devait quitter Pétersbourg le 10 mars. Cette décision a été Irise après l’arrivée des réponses de Medem, et avant encore l’arrivée du courrier à Barante. Je suis fort contente. Mais j’aimerais encore mieux le savoir vraiment en route. Ma manière est de douter toujours des choses qui me font plaisir. Je crois vite celles qui m’affligent. Vous vous arrangez autrement.
La journée d’hier semble bonne et très bonne aux partisans des Ministres. J’ai eu une lettre de Lord Aberdeen dans laquelle il me dit qu’il vous voit fort peu, qu’il ne vous avait rencontré qu’une fois encore, et qu’il y a beaucoup de regret. Je ne suis pas bien, toujours pas bien. C’est un véritable spleen. Et je crois que je prierai Vérity de ne plus revenir, parce qu’il ne peut rien du tout. J’ai perdu mon cher William Russel. Il est parti hier pour Berlin.
1 heure
Je suis si triste, si triste ! J’aurais tant besoin d’ouvrir mon cœur. Je ne puis pas.
Lundi le 16.
9 heures
Mon médecin m’a interrompue hier, et m’a défendu d’écrire, de lire, de rien faire. Je suis restée couchée sur un canapé. Mad. Appony est venu me lire des lettres de son fils. Le mariage est retardé de quelques jours, ils ne quitteront Pétersbourg que le 1er de Juin pour être ici le 15 ou à la fin du mois. Je ne suis sortie qu’un moment pour prendre l’air en voiture. En rentrant j’ai trouvé le Prince Paul qui m’attendait. Il avait vu le Roi la veille. Son impression est que le Roi attend avec certitude la chute de Thiers. Il avait causé avec Thiers aussi qui n’a aucun doute sur l’action du Roi contre lui. J’ai dîné chez Mad. De Talleyran, rien de nouveau de là. Le même bavardage qu’on retrouve partout sur ce qui se passe en ce moment ; la même incertitude sur le dénouement.
De là j’ai été chez Lady Granville et à 10 heures chez Mme de Castellane. J’ai passé une grande heure seule avec elle et M. Molé. M. Molé dit que son parti est ferme, fort, numériquement plus nombreux que Thiers et la gauche réunis ; que Duchâtel et 22 doctrinaires ont passé de son côté. Teste est plus douteux. Duchâtel sera de son Ministère ; il serait insensé de rien entreprendre sans lui et ses amis. Le Roi est parfaitement neutre dans la lutte, mais le Roi est l’homme le plus triste et le plus inquiet de toute la France. M. de Broglie est un enfant, ce qu’il a fait est trot naïf. M. de Broglie soutiendra tous les Ministères moins un, celui de M. Molé. M. de Rémusat est enragé pour la gauche. Jaubert, tout le contraire, il ne tiendra pas longtemps. Le mot de M. Thiers dans le bureau : « Si l’on me renverse, gouverne --qui-pourra»-a fait grand scandale. Je cherche, il me semble que je vous ai tout dit. En somme M. Molé a l’air d’un homme qui s’attend à être Ministre la semaine prochaine. J’ai très mal dormi. J’ai tout le côté gauche engourdi, j’ai de la peine à marcher, mais mon cœur est encore plus malade que mes jambes. J’attends Génie ce matin. Il est allé faire des enquêtes sur certaine lettre remise lundi aux Affaires étrangères et qui n’étaient pas arrivé à Londres jeudi.
Midi
Voici le 323, long et bon. Je vous remercie d’avoir été inquiet et triste. Vous ne savez pas le plaisir que me cause votre peine. Est-ce que vous me comprenez bien ? Vous ne vous fâchez pas je suis sûre. Vous me pardonnez ; nous sommes si loin ; je suis si seule, je n’ai au monde que vous! Songez à cela toujours, dans tous les instants. Ne vous inquiétez jamais de moi que comme santé, moi je m’inquiète de beaucoup d’autres façons. Je suis faite comme cela, c’est pourquoi une séparation est une si odieuse chose. Votre foreign office a menti, ou bien vous vous trompiez en me disant d’y remettre une lettre avant 5 heures. J’avais porté la mienne Lundi à 4 heures moins ¼. Je vous prie bien de croire, qu’il ne s’agira jamais de visite prolongée, de négligence d’un domestique. Je n’ai pas de ces négligences quand il s’agit de vous. Je me suis arrêtée moi-même à la porte quand il s’est agi des affaires étrangères, et j’ai moi-même mis ma lettres aux finances, pour la poste. Maintenant je crois que Génie, Génie for ever, est ce qu’il y aura de mieux. Il me dit qu’il vous tient bien au courant de la situation. Je doute que les lettres apprennent suffisamment. Il ne vous restera probablement que confusion de tout cela. Moi je suis parfaitement ahurie, mais si vous étiez ici vous comprendriez. Moi je ne recueille que les commérages. Je vous les redis comme on me les donne. Si je devais juger sur la Diplomatie, je dirais que Thiers tombera. ; car Appony est content aussi mais par raison contraire, c’est qu’il ne croit pas qu’on ait le courage de renverser Thiers. Il voit trop de danger à cela. C’est bien un peu l’opinion de beaucoup de monde.
Je ne connais pas du tout Mrs Stanley dont vous me parlez tant. Je l’ai vue mais elle ne m’a pas paru assez jolie pour la regarder ,et je ne lui ai jamais parlé ; elle n’était pas du cercle dans lequel je vivais. C’était des fonctionnaires subalternes. Dites-moi toujours tout ce que vous faites et avec qui vous causez dans les soirées. Moi je vous raconte minutieusement toute. Aujourd’hui je vais dîner chez Mad. Salomon si Vérity me le permet. M. de Bacourt est allé prendre congé du Roi ier, il part dans huit jours. Walesky dit qu’il est désigné pour aller à Constantinople et Alexandrie terminer la grande affaire. Le Maréchal Soult m’invite à ses lundis. Vous savez que j’ai pour règle de n’aller dans aucun salon politique, et je crois que celui-ci a cette couleur. Ma belle-sœur arrivera en Septe pour passer huit mois à Paris ! Jugez comme cela m’amusera. Est-il vrai que la duchesse de Kent va mourir ? Où en êtes-vous avec M. de Kisselef ? Celui-là au moins est-il allé vous faire visite ? Car pour tous les autres j’ai la réponse ; M. de Werther m’a dit que tous les diplomates étaient allés se présenter chez vous. La Duchesse de Sutherland écrit de vous mille biens. Je finis, et je voudrais ne finir jamais. Je vais convenir avec Génie du départ de mes lettres. De votre côté je voudrais bien que vous prissiez pour règle de m’en envoyer tous les deux jours bien régulièrement. N’est-ce pas ? Adieu. Adieu, vous savez tout ce que je ne vous dis pas, vous voyez que toutes, toutes mes pensées sont à Londres. Adieu.
]]>324. Paris, dimanche 15 mars 1840,
10 h 1/2
J’ai été hier au Bois avec Marion, j’ai fait une longue visite à Lady Granville. J’ai dîné seule. Le soir j’ai vu Lord Granville, W. Russell, les Brignole, les Capellen. Le matin j’avais eu une longue visite de M. de Werther, que j’ai beaucoup questionné sur Londres, sur le bal de la Reine dont vous ne m’avez rien dit. Je lui ai demandé ce que vous faisiez dans cette longue soirée ; « La cour aux dames. » En rentrant chez moi, avant dîner, j’ai trouvé Nicolas Pahlen qui m’attendait depuis une demi-heure. Il venait m’annoncer qu’enfin son frère devait quitter Pétersbourg le 10 mars. Cette décision a été Irise après l’arrivée des réponses de Medem, et avant encore l’arrivée du courrier à Barante. Je suis fort contente. Mais j’aimerais encore mieux le savoir vraiment en route. Ma manière est de douter toujours des choses qui me font plaisir. Je crois vite celles qui m’affligent. Vous vous arrangez autrement.
La journée d’hier semble bonne et très bonne aux partisans des Ministres. J’ai eu une lettre de Lord Aberdeen dans laquelle il me dit qu’il vous voit fort peu, qu’il ne vous avait rencontré qu’une fois encore, et qu’il y a beaucoup de regret. Je ne suis pas bien, toujours pas bien. C’est un véritable spleen. Et je crois que je prierai Vérity de ne plus revenir, parce qu’il ne peut rien du tout. J’ai perdu mon cher William Russel. Il est parti hier pour Berlin.
1 heure
Je suis si triste, si triste ! J’aurais tant besoin d’ouvrir mon cœur. Je ne puis pas.
Lundi le 16.
9 heures
Mon médecin m’a interrompue hier, et m’a défendu d’écrire, de lire, de rien faire. Je suis restée couchée sur un canapé. Mad. Appony est venu me lire des lettres de son fils. Le mariage est retardé de quelques jours, ils ne quitteront Pétersbourg que le 1er de Juin pour être ici le 15 ou à la fin du mois. Je ne suis sortie qu’un moment pour prendre l’air en voiture. En rentrant j’ai trouvé le Prince Paul qui m’attendait. Il avait vu le Roi la veille. Son impression est que le Roi attend avec certitude la chute de Thiers. Il avait causé avec Thiers aussi qui n’a aucun doute sur l’action du Roi contre lui. J’ai dîné chez Mad. De Talleyran, rien de nouveau de là. Le même bavardage qu’on retrouve partout sur ce qui se passe en ce moment ; la même incertitude sur le dénouement.
De là j’ai été chez Lady Granville et à 10 heures chez Mme de Castellane. J’ai passé une grande heure seule avec elle et M. Molé. M. Molé dit que son parti est ferme, fort, numériquement plus nombreux que Thiers et la gauche réunis ; que Duchâtel et 22 doctrinaires ont passé de son côté. Teste est plus douteux. Duchâtel sera de son Ministère ; il serait insensé de rien entreprendre sans lui et ses amis. Le Roi est parfaitement neutre dans la lutte, mais le Roi est l’homme le plus triste et le plus inquiet de toute la France. M. de Broglie est un enfant, ce qu’il a fait est trot naïf. M. de Broglie soutiendra tous les Ministères moins un, celui de M. Molé. M. de Rémusat est enragé pour la gauche. Jaubert, tout le contraire, il ne tiendra pas longtemps. Le mot de M. Thiers dans le bureau : « Si l’on me renverse, gouverne --qui-pourra»-a fait grand scandale. Je cherche, il me semble que je vous ai tout dit. En somme M. Molé a l’air d’un homme qui s’attend à être Ministre la semaine prochaine. J’ai très mal dormi. J’ai tout le côté gauche engourdi, j’ai de la peine à marcher, mais mon cœur est encore plus malade que mes jambes. J’attends Génie ce matin. Il est allé faire des enquêtes sur certaine lettre remise lundi aux Affaires étrangères et qui n’étaient pas arrivé à Londres jeudi.
Midi
Voici le 323, long et bon. Je vous remercie d’avoir été inquiet et triste. Vous ne savez pas le plaisir que me cause votre peine. Est-ce que vous me comprenez bien ? Vous ne vous fâchez pas je suis sûre. Vous me pardonnez ; nous sommes si loin ; je suis si seule, je n’ai au monde que vous! Songez à cela toujours, dans tous les instants. Ne vous inquiétez jamais de moi que comme santé, moi je m’inquiète de beaucoup d’autres façons. Je suis faite comme cela, c’est pourquoi une séparation est une si odieuse chose. Votre foreign office a menti, ou bien vous vous trompiez en me disant d’y remettre une lettre avant 5 heures. J’avais porté la mienne Lundi à 4 heures moins ¼. Je vous prie bien de croire, qu’il ne s’agira jamais de visite prolongée, de négligence d’un domestique. Je n’ai pas de ces négligences quand il s’agit de vous. Je me suis arrêtée moi-même à la porte quand il s’est agi des affaires étrangères, et j’ai moi-même mis ma lettres aux finances, pour la poste. Maintenant je crois que Génie, Génie for ever, est ce qu’il y aura de mieux. Il me dit qu’il vous tient bien au courant de la situation. Je doute que les lettres apprennent suffisamment. Il ne vous restera probablement que confusion de tout cela. Moi je suis parfaitement ahurie, mais si vous étiez ici vous comprendriez. Moi je ne recueille que les commérages. Je vous les redis comme on me les donne. Si je devais juger sur la Diplomatie, je dirais que Thiers tombera. ; car Appony est content aussi mais par raison contraire, c’est qu’il ne croit pas qu’on ait le courage de renverser Thiers. Il voit trop de danger à cela. C’est bien un peu l’opinion de beaucoup de monde.
Je ne connais pas du tout Mrs Stanley dont vous me parlez tant. Je l’ai vue mais elle ne m’a pas paru assez jolie pour la regarder ,et je ne lui ai jamais parlé ; elle n’était pas du cercle dans lequel je vivais. C’était des fonctionnaires subalternes. Dites-moi toujours tout ce que vous faites et avec qui vous causez dans les soirées. Moi je vous raconte minutieusement toute. Aujourd’hui je vais dîner chez Mad. Salomon si Vérity me le permet. M. de Bacourt est allé prendre congé du Roi ier, il part dans huit jours. Walesky dit qu’il est désigné pour aller à Constantinople et Alexandrie terminer la grande affaire. Le Maréchal Soult m’invite à ses lundis. Vous savez que j’ai pour règle de n’aller dans aucun salon politique, et je crois que celui-ci a cette couleur. Ma belle-sœur arrivera en Septe pour passer huit mois à Paris ! Jugez comme cela m’amusera. Est-il vrai que la duchesse de Kent va mourir ? Où en êtes-vous avec M. de Kisselef ? Celui-là au moins est-il allé vous faire visite ? Car pour tous les autres j’ai la réponse ; M. de Werther m’a dit que tous les diplomates étaient allés se présenter chez vous. La Duchesse de Sutherland écrit de vous mille biens. Je finis, et je voudrais ne finir jamais. Je vais convenir avec Génie du départ de mes lettres. De votre côté je voudrais bien que vous prissiez pour règle de m’en envoyer tous les deux jours bien régulièrement. N’est-ce pas ? Adieu. Adieu, vous savez tout ce que je ne vous dis pas, vous voyez que toutes, toutes mes pensées sont à Londres. Adieu.
Les Ministres ont beaucoup repris courage. Ils se tiennent assurés que M. Molé ne peut pas faire de Ministère. Dès lors ils n’ont rien à craindre, car les 221 eux-mêmes ne voudront pas les renverser pour retomber dans une crise.
Voici du soleil, mais il me parait si triste depuis votre départ. J’ai eu hier la nouvelle de la mort de la Princesse Jean de Lieven. Il n’y a plus de dame Lieven au monde que moi. On dit que c’était une femme d’un très grand mérite. Je ne la connaissais pas. Vous savez pourquoi son mari m’intéresse. C’est qu’ils reposent chez lui.
Mercredi 18, 9 heures
J’apprends que Rothschild part aujourd’hui pour Londres ; vous le verrez. Si j’avais pu dîner chez lui avant-hier ça vous aurait plu. J’ai passé une journée sans bouger. On est venu me voir un peu le matin, un peu le soir. M. de Pogenpohl, M. Werther, les Appony, Mad. de Courval, Marion, Miraflores, les Brignoles, Arnim, Montrond. Je ne l’ai pas vu seul, il avait l’air aigre. Personne aujourd’hui ne doute que les fonds secrets seront votés ; dès lors, Thiers sera bien puissant et il peut aller longtemps. On rit un peu de la circulaire de M. de Rémusat où il dit que la Monarchie de Juillet est moins faible qu’on ne le croit.
Midi
Voici le N°324. Certainement vous avez raison de me gronder, bien raison. Vous me l’avez dit une fois, mon chagrin se traduit toujours en injustice. Quand je suis triste je vous accuse, je ne sais de quoi ; je vous cherche des torts, et vous, vous m’excusez toujours! Restez comme cela, bon, indulgent. Laissez-moi comme je suis ; regardez-y bien, avec ces yeux qui savent si bien regarder, et vous trouverez ce qu’il y a ; ce que je ne puis pas écrire ; ce que vous m’écriviez à Londres l’année 37 au bout d’une longue tirade de vers ; oui, il y a cela, il n’y a que cela, beaucoup, beaucoup plus que vous ne croyez, beaucoup plus que je n’ai jamais dit ou montré. Eh bien, m’avez-vous pardonné Lady Antrobus, ou Mrs Stanley, ou toutes les ladies du monde ? Vous me faites une description admirable des Anglais. C’est bien cela. Vous avez raison aussi pour les femmes. Point de bienveillance entre elles, et celles que j’aime le plus, toujours un petit coup de patte après l’éloge. J’ai oublié le Duc de Noailles qui est venu passer deux heures chez moi hier matin. Il y a eu réunion chez Berryer hier au soir. M. de Noailles y était appelé. Il a de grands soupçons contre Berryer. Il le croit à Thiers tout à fait. Le parti veut voter contre les fonds secrets. Berryer ne voudrait pas. Le parti veut qu’il parle, et je crois savoir qu’il a promis à Thiers de ne pas parler. Enfin la désunion est là aussi comme elle est partout. Il me semble évident, par le ton des journaux depuis hier, que les 221 ne Sont pas aussi féroces que M. Molé le proclame. Le ton de Thiers hier au soir était à la confiance et tout le monde a l’instinct de sa durée ? Ne lui restera-t-il pas beaucoup sur le cœur contre le château ? Si vous pouviez voir mon visage rayonner lorsqu’on m’annonce « Ce gros Monsieur qui vient quelques fois le matin. » Comme je cours vite dans le salon pour prendre mon butin ! Je m’établis ensuite sur la chaise verte et je lis, et je savoure, et je recommence. Ecrivez. Ecrivez.
Je me sens mieux ce matin, mais j’attends Vérity pour savoir si c’est vrai. Je voudrais qu’il me permît de sortir. Je vous enverrai cette lettre tout bonnement par la poste, car j’ai envie que vous l’ayez vite. Il me semble que vous me pardonnerez celle qui vous a fâché. Ne vous fâchez jamais, je vous en prie. Ecrivez-moi beaucoup. Dites-moi tout ce que vous faites comme moi je vous dis tout. J’ai oublié que hier je n’ai pris qu’un bouillon, dans ma chambre à coucher. Il me semble que je vous dois compte de tout absolument. Faites de même. Adieu. Adieu. Je me sens en train de vous dire adieu si souvent que je pourrais vous ennuyer. Croyez-vous ? Adieu.
1 heure.
Il faut que je vous redise que toutes les lettres qui viennent de Londres sont remplies d’éloges de vous. Cela m’est redit de tous côtés.
]]>J’ai été positivement malade et très malade hier. J’avais à peine fermé ma lettre que j’ai été saisie de violentes douleurs, accompagnées de fièvre et d’une prostration de forces telle que j’avais peine à parler. J’ai envoyé chercher Marion d’abord et puis le médecin. Marion est venue. Le Médecin était introuvable, mais au bout de quatre heures il est venu. Il proclame la bile ; il a peut être raison. Je me susi couchée, j’ai dormi, vers neuf je me suis levée, et me sentant mieux j’ai ouvert ma porte. Mad. de Contades, les d’Arenberg, Mad. de Soltykoff, Lady Granville, Pahlen, Médem, le duc de Noailles, Escham. Lady Granville venait d’apprendre au grand dîner Rothschild que j’étais malade, elle accourait pour me soigner ; elle fut un peu étonnée de me trouver gaiement entourée. Je suis un peu mieux ce matin, mais il me faudra beaucoup de Vérity.
Les Ministres ont beaucoup repris courage. Ils se tiennent assurés que M. Molé ne peut pas faire de Ministère. Dès lors ils n’ont rien à craindre, car les 221 eux-mêmes ne voudront pas les renverser pour retomber dans une crise.
Voici du soleil, mais il me parait si triste depuis votre départ. J’ai eu hier la nouvelle de la mort de la Princesse Jean de Lieven. Il n’y a plus de dame Lieven au monde que moi. On dit que c’était une femme d’un très grand mérite. Je ne la connaissais pas. Vous savez pourquoi son mari m’intéresse. C’est qu’ils reposent chez lui.
Mercredi 18, 9 heures
J’apprends que Rothschild part aujourd’hui pour Londres ; vous le verrez. Si j’avais pu dîner chez lui avant-hier ça vous aurait plu. J’ai passé une journée sans bouger. On est venu me voir un peu le matin, un peu le soir. M. de Pogenpohl, M. Werther, les Appony, Mad. de Courval, Marion, Miraflores, les Brignoles, Arnim, Montrond. Je ne l’ai pas vu seul, il avait l’air aigre. Personne aujourd’hui ne doute que les fonds secrets seront votés ; dès lors, Thiers sera bien puissant et il peut aller longtemps. On rit un peu de la circulaire de M. de Rémusat où il dit que la Monarchie de Juillet est moins faible qu’on ne le croit.
Midi
Voici le N°324. Certainement vous avez raison de me gronder, bien raison. Vous me l’avez dit une fois, mon chagrin se traduit toujours en injustice. Quand je suis triste je vous accuse, je ne sais de quoi ; je vous cherche des torts, et vous, vous m’excusez toujours! Restez comme cela, bon, indulgent. Laissez-moi comme je suis ; regardez-y bien, avec ces yeux qui savent si bien regarder, et vous trouverez ce qu’il y a ; ce que je ne puis pas écrire ; ce que vous m’écriviez à Londres l’année 37 au bout d’une longue tirade de vers ; oui, il y a cela, il n’y a que cela, beaucoup, beaucoup plus que vous ne croyez, beaucoup plus que je n’ai jamais dit ou montré. Eh bien, m’avez-vous pardonné Lady Antrobus, ou Mrs Stanley, ou toutes les ladies du monde ? Vous me faites une description admirable des Anglais. C’est bien cela. Vous avez raison aussi pour les femmes. Point de bienveillance entre elles, et celles que j’aime le plus, toujours un petit coup de patte après l’éloge. J’ai oublié le Duc de Noailles qui est venu passer deux heures chez moi hier matin. Il y a eu réunion chez Berryer hier au soir. M. de Noailles y était appelé. Il a de grands soupçons contre Berryer. Il le croit à Thiers tout à fait. Le parti veut voter contre les fonds secrets. Berryer ne voudrait pas. Le parti veut qu’il parle, et je crois savoir qu’il a promis à Thiers de ne pas parler. Enfin la désunion est là aussi comme elle est partout. Il me semble évident, par le ton des journaux depuis hier, que les 221 ne Sont pas aussi féroces que M. Molé le proclame. Le ton de Thiers hier au soir était à la confiance et tout le monde a l’instinct de sa durée ? Ne lui restera-t-il pas beaucoup sur le cœur contre le château ? Si vous pouviez voir mon visage rayonner lorsqu’on m’annonce « Ce gros Monsieur qui vient quelques fois le matin. » Comme je cours vite dans le salon pour prendre mon butin ! Je m’établis ensuite sur la chaise verte et je lis, et je savoure, et je recommence. Ecrivez. Ecrivez.
Je me sens mieux ce matin, mais j’attends Vérity pour savoir si c’est vrai. Je voudrais qu’il me permît de sortir. Je vous enverrai cette lettre tout bonnement par la poste, car j’ai envie que vous l’ayez vite. Il me semble que vous me pardonnerez celle qui vous a fâché. Ne vous fâchez jamais, je vous en prie. Ecrivez-moi beaucoup. Dites-moi tout ce que vous faites comme moi je vous dis tout. J’ai oublié que hier je n’ai pris qu’un bouillon, dans ma chambre à coucher. Il me semble que je vous dois compte de tout absolument. Faites de même. Adieu. Adieu. Je me sens en train de vous dire adieu si souvent que je pourrais vous ennuyer. Croyez-vous ? Adieu.
1 heure.
Il faut que je vous redise que toutes les lettres qui viennent de Londres sont remplies d’éloges de vous. Cela m’est redit de tous côtés.