Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton, mardi 12 Sept. 1848
Midi

Je n’ai rien de nouveau à vous dire sinon que je trouve tous les jours plus agréable d’être ensemble et plus désagréable de nous séparer. Mes journaux ne m'apprennent rien. Je ne sortirai pas du tout aujourd'hui. Je veux travailler. Si je faisais bien, je m'enfermerais absolument trois ou quatre semaines. Je ne verrais personne pas même vous. Et je ferais dans ce temps-là, tout ce que je veux faire. C'est ce que je ne ferai pas. Je viens de lire toute la brochure de M. de Cormenin sur la Constitution. C'est le petit fait le plus caractéristique du moment. L’ouvrier qui s’est chargé de faire l’idole, et qui l’a faite la brise et la traine dans la boue quand elle va être proclamé Dieu. Pas un homme d’esprit ne veut passer pour croire à ce qui se passe en France. Il n’y a que le Général Cavaignac qui y croie. Et c'est une des causes de sa puissance. Il faut de la foi.

Une heure
J’ai été interrompu par Hèbert qui vient passer quelques jours à Londres. Certainement un des hommes les plus honnêtes et les plus courageux que j’ai rencontrés. De la capacité et du talent. Pas assez d’esprit, politique et autre. Charmé de me revoir. Très sensé sur la situation actuelle. L’idée de la fusion court et prévaut à Bruxelles, comme ailleurs. Bientôt elle aura passé dans le bon sens public. Le Roi Léopold sans s’en explique disait ces jours derniers : " Cela tourne à la monarchie, et à toutes les conditions de la monarchie. " Hébert vient de passer deux mois à Aix-la-Chapelle. Peu de monde, et beaucoup d'ennui. Sa ressource là a été La Rozière. Très fidèle. Il a quitté Aix la Chapelle pour aller à Eisenach. Tout ce qui revient de Paris à Hébert s'accorde avec ce qui me revient. Il va demain à Claremont où il tiendra un bon langage. Le Roi a confiance dans sa sincérité. Voilà toutes mes nouvelles. Je ne fermerai ma lettre qu'à 5 heures. Mais avec ce que je veux faire de ma matinée, je n'aurai rien à ajouter. 4 heures et demie Personne que l’évêque de Londres qui m'a apporté des pamphlets et des sermons de lui en national éducation. Cela vous intéresse-t-il ?
Je suis frappé de trouver Hébert, si disposé à accepter la fusion. Il était fort anti-légitimiste. Par habitude de lutte et par préjugé bourgeois. C'est une des meilleures preuves que le mouvement est général. Quand vous en trouverez l'occasion et avec les gens auprès de qui cela en vaut la peine, rendez à Hébert la justice et le service de dire quelle est sa disposition. Préjugés contre préjugés. Il y en a, à son sujet, qu'il est bon de dissiper. C’est un des hommes qui sont les plus utiles un jour de combat. Et il y aura beaucoup de ces jours-là, dans l’hypothèse du succès et après le succès. Adieu. Je vais faire une visite à Lady Cowley. Je suppose que vous voilà au repos pour quelque temps dans votre médiation. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Vendredi, 22 sept. 1848
Une heure

Je n'ai de nouvelles que de M. Hallam et de Mad. Austin. Je me trompe ; j'ai trouvé hier en rentrant une bonne lettre de Lord Aberdeen. Je ne vous l'envoie pas pour ménager vos yeux. Je vous la lirai dimanche. Rien de nouveau. Très autrichien. Regardant toujours l'Angleterre comme possible parce que l’Autriche ne cédera pas et ne doit pas céder. Il ne parle de revenir que dans le cours de Novembre. Les journaux modérés sont abasourdis du résultat des élections. L'Assemblée nationale soutient énergiquement son parti. Evidemment tout le monde est inquiet et tâtonne. Vous aurez vu à quel point l'élection de M. Molé a été contestée. Encore n’est-elle pas positive ? Le Communisme est en progrès effrayant. Aura-t-on assez peur et pas trop peur ? Je m’attends à quelque explosion rouge qui donnera aux modérés, un coup de fouet. M. Ledru Rollin se met à la tête des Montagnards croyant à leur victoire. Je parie que, dans son esprit, il dispute déjà à Cavaignac la présidence de la République. Nous sommes tellement hors de ce qui est sensé que tout est possible.
Lisez attentivement le récit de la prise de Messine qui est dans les Débats. Curieux exemple de l'absurde manie révolutionnaire qui est dans les esprits. Il est clair que les Messinois sont insensés, et ont été les plus féroces. On assiste à leurs atrocités. On tient leur défaite pour certaine. On rend justice à la modération du général Napolitain. N'importe c’est pour les Messinois [?] la sympathie. Uniquement parce que c’est une insurrection et une dislocation. Et le Roi de Naples, qui a offert aux Siciliens dix fois plus qu’ils n'espéraient d'abord est un despote abominable parce qu'il ne cède pas tout à des fous qui sont hors d'état de résister. La raison humaine est encore plus malade que la société humaine. Adieu.
Je vais me remettre à travailler. C’est bien dommage que je ne puisse pas dire tout ce que je voudrais. Je supprimerai de grandes vérités, et peut-être de belles choses. Adieu. Adieu. A demain.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton, Mercredi 8 nov. 1848
9 heures

Voici une lettre très curieuse. Lisez-la, je vous prie, vous-même, malgré vos mauvais yeux et renvoyez-la moi tout de suite. G[énie] me fait dire qu'il importe infiniment que ses lettres restent entre lui et moi, et qu'il n'en revienne rien à Paris. Vous verrez combien tout cela confirme ma résolution. Je devrais dire notre résolution de me tenir parfaitement tranquille et en dehors de toutes les menées.
Le Roi me fait écrire hier par d'Houdetot " Le Roi me charge de vous dire que les accidents de santé de ses chers malades, sans être plus graves, ayant continué, les médecins avaient conseillé un changement d’air immédiat ; ce qui l’avait décidé à aller passer quelques jours à Richmond, à l’hôtel du Star and Garter. Nous partons aujourd’hui même à une heure. Le Roi désire que vous sachiez bien le pourquoi de ce mouvement afin de vous mettre en garde contre les bruits publics." D’Houdetot aurait dû me donner quelques détails sur la Reine. Mais enfin elle a pu évidemment être transportée, sans inconvénient. Je voudrais savoir qui occupera votre petit appartement. J'irai les y voir. Pourvu que mon travail m'en laisse le temps, car je veux absolument le finir sans retard et l'envoyer à Paris. Le moment de le publier peut se rencontrer tout à coup. Et dans l'état des affaires au milieu de tout ce mouvement d'intrigues croisées, je ne serais pas fâché de donner une marque publique de ma tranquillité et liberté d’esprit en parlant à mon pays sans lui dire un mot de tout cela. Cette course à Drayton va me faire perdre encore du temps. Je réponds aujourd’hui à Sir Robert Peel, mais je n’y resterai que jusqu'au mardi 21 et non jusqu'au jeudi 23 comme il me le demande. Ce serait charmant, s'il vous invitait aussi.
Je reçois à l’instant même un billet de Duchâtel qui était allé hier a Claremont au moment où le roi et toute la famille partaient pour Richmond. Il a trouvé le Duc de Nemours et le Prince de Joinville, très souffrant. Ils ont eu une rechute, c’est ce qui a déterminé la résolution, soudaine.
La dernière scène de Vienne est tragique. Le parti révolutionnaire, étudiants et autres est plus acharné que je ne le supposais. On m’apporte de Paris de bien sombres pronostics sur l'Allemagne. On s’attend que l'Assemblée de Francfort se transportera à Berlin, et finira par y proclamer la République. La Monarchie, et l’unité allemande paraissent de plus en plus incompatibles. Le rêve en progrès est celui d’une république allemande, laissant subsister dans son sein, par tolérance et jusqu’à nouvel ordre des monarchies locales. En France les esprits sont malades sans passions. En Allemagne, il y a la maladie, et la passion. Adieu, adieu. Merci de votre accueil, digne réponse à votre merci de ma visite. Adieu vaut mieux. M. Vitet arrive aujourd’hui de Paris. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton-Mercredi 22 Nov. 1848
Midi

Je suis toujours sans nouvelles de Paris à vous envoyer. Il est impossible que je n’en aie pas bientôt. Je sais que Duchâtel n'en a pas davantage. Je crois qu’il viendra dîner aujourd'hui avec moi. Je viens de recevoir un billet de Lady Lovelace qui me presse d’aller les voir dans le Surrey. Dumon y va. Comme de raison, je refuse. Je ne veux plus aller nulle part avant Noël, où j'irai passer quelques jours chez Sir John Boileau.
J’irai vous voir Mardi. J'aurai complétement terminé ce que j'écris. M. Lemoinne emportera, le manuscrit à Paris pour que le Duc de Broglie, le lise. Je l’apporterai mardi à Brighton. Je vous en lirai quelques fragments après l'élection du Président, quelle qu’elle soit, et à moins qu'on n'en vienne immédiatement aux mains, il y aura un moment opportun pour la publication. Les chances vont croissant pour Louis Bonaparte. C'est la conviction des Débats qui sont croyables sur ce point.
Je suis de plus en plus inquiet de Berlin mais pas étonné que de Francfort, on abandonne le Roi de Prusse après l'avoir poussé. C’est exactement ce qui arrivait en 1790 et 91 avec le pauvre Louis XVI. Du dedans et du dehors, on l'excitait, on le compromettait ; puis on ne le soutenait pas. Berlin ressemble extrêmement à notre première révolution. La Cour et la nation. Les idées et les façons d'agir. Et je crains que le Roi de Prusse, qui a plus d’esprit, n'ait encore moins de courage, et n'inspire encore moins de confiance que Louis XVI. Moralement, à coup sûr, il ne le vaut pas. Ni politiquement peut-être. Il y a là de plus l'ambition de la Prusse qui veut prendre l'Allemagne C’est vraiment là l’incendie. Le rétablissement même de l’ordre en France ne l'éteindrait pas. Mais il donnerait bien de la force pour le combattre.
Je suis vraiment triste du bruit qui est venu de Rome sur M. Rossi. Je cherche et ne trouve nulle part des détails. On dit que l'ordre n’a pas été troublé. Mais Rossi lui-même qu'est-il devenu sous ce coup de poignard pauvre homme? Quelle surprise pour lui et pour moi si, quand je l’ai envoyé à Rome, tout cet avenir s’était dévoilé devant nous ! J'espère que l’assassin a manqué son coup. Ce n'est peut-être pas vrai du tout. Il manque bien les choses à M. Rossi. Le cœur n'est ni tendre, ni grand. Mais l’esprit est supérieur ; si juste, si fin, si actif dans son indolence apparente, si prompt, si étendu ! Des vues générales et un savoir faire infini. Très inférieur à Colettis par le caractère et l’empire. J’ai pleuré Colettis. Il m’aimait et je l’aimais. Je regretterai M. Rossi, si le fait est vrai, comme un allié utile et un homme très distingué. L’un et l’autre est rare. Il ne m’a pas donné signe de vie depuis Février. On me disait, il y a quelque temps, qu’il disait qu'il ne retournerait jamais en France. S'il a été assassiné, c’est que le parti révolutionnaire de Rome, le considérait comme un obstacle, sérieux. Ce serait un honneur pour son nom.
J’ai vu hier Charles Greville à dîner, chez le Baron Parke. Il ne savait rien. Parlant toujours très mal des affaires de Sicile. Le Roi de Naples me paraît décidé à laisser trainer cette médiation anglo-française, comme on fait à Milan. On se rejoint ici de la nomination à peu près certaine, du Général Taylor comme président aux Etats-Unis. Cass est très anti- anglais.
Puisque vous prenez votre dame assez à cœur pour en être malade, vous ferez bien de vous en débarrasser, à Brighton, tel que Brighton est à présent, vous pouvez vous en passer. Il y aura tel lieu et tel moment où même cette maussade personne vous manquera. Mais après tout, vous en trouverez une autre. Nous aurons le temps de chercher. Marion vous a-t-elle reparlé ? Adieu. Adieu.
Mardi est bien loin. Je ne puis vraiment pas plutôt. Je suis très pressé. Par toutes sortes de motifs. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Vendredi 24 nov. 1848
Midi

Je sais bien ce que je vous dirais si je répondais à votre reproche que je puis passer quinze jours sans vous voir. Mais je ne veux pas vous le dire. Je vous aime trop pour sentir le besoin d'avoir toujours le dernier avec vous surtout quand vous vous plaignez de ne pas me voir assez. Voici m’a proposition. Je m’arrangerai en allant vous voir mardi, pour passer avec vous le mercredi, et ne revenir à Brompton que jeudi matin. Cela vous convient-il ?
J’ai enfin terminé mon travail. M. Lemoinne que j'ai retenu, l'emportera dimanche à Paris. Je vous l'apporterai mardi.
Je crains bien que ce que vous me dites de ce pauvre Rossi ne soit pas vrai, et qu’il ne soit bien réellement mort. Le Morning Chronicle dit le savoir de son correspondant à Rome comme de Paris. M. Libri, qui sort de chez moi, me disait que le Comte Pepoli arrivé ces jours-ci de Rome, lui avait dit que Rossi réussissait et réussirait plus qu'on n'avait espéré. C'est pour cela qu’ils l’ont tué. Les révolutions de ce temps-ci sont stupides, et féroces. Elles tuent les hommes distingués, et n'en créent point. M. Libri a reçu ces jours-ci une lettre de sa mère qui lui écrit : « Il se prépare dans les états romains des choses abominables. » On s'attend à des massacres dans les Légations. Je veux encore espérer que Rossi n’est pas mort ; mais je n'y réussis pas. Sa mort m’attriste plus peut-être qu'au premier moment. Ce n'était pas vraiment un ami ; mais c'était un compagnon. Nous avons beaucoup causé dans notre vie. Il me trouvait quelquefois compromettant. Moi, je le trouvais timide. Il est mort au service de la bonne cause. Nous nous serions repris très naturellement, si nous nous étions retrouvés.
J’ai dîné hier chez Reeve, avec Lord Clarendon, que je n’avais pas encore vu. Bien vieilli sans cesser d'avoir l’air jeune. Un vieux jeune homme. Toujours aimable, et fort sensé sur la politique générale de l’Europe. Il était presque aussi content que moi du vote de l'Assemblée de Francfort contre l'Assemblée de Berlin. Il me semble que ce vote doit donner de la force au Roi de Prusse, s’il peut en prendre. Lord Clarendon, est très occupé de l'Irlande et la raconte beaucoup. Il y retourne sous peu de jours. Nous avons parlé de tout, même de l'Espagne. Il s'est presque félicité qu'elle fût restée calme et Narvaez debout. J’ai très bien parlé de Narvaez. Et même de la reine Christine. Il n'a pas trop dit non. Ils ont tous l'oreille basse du côté de l'Espagne. Clarendon est allé à Richmond et parle bien du Roi.
Je dîne Lundi chez Lady Granville. Partout Charles Greville, de plus en plus sourd. Et sans nouvelles. Voici vos deux lettres. L’une très sensée. L’autre assez amusante. Moi qui n’ai pas grande opinion de la tête de M. Molé, j’ai peine à croire à son radotage auprès de Mad. Kalorgis. Est-ce qu'elle est revenue à Paris du gré de l'Empereur, et pour le tenir au courant de grands hommes ? La séance de l'Assemblée nationale sera curieuse demain. Ils s’entretueront. Mais Cavaignac seul a quelque chose à perdre. Ce qui l'a provoqué à provoquer cette explication. La lettre de MM. Garnier-Pagès, Ducler & & est une intrigue pour remettre à flot M. de Lamartine et le porter à la Présidence à la place de Cavaignac décrié. Adieu. Adieu. Je suis bien aise que vous n’ayez plus miss Gibbons sur vos nerfs. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton Lundi 1er Janv.

8h du soir.

Je vous ai écrit ce matin moi-même. Le soir cela ne m’est pas possible. Mais je dicte deux mots parce que j’ai appris que la publication anglaise doit avoir lieu déjà le 5. Cela ne me parait guère convenable. Il me semble que vous pourriez attendre que votre écrit eût paru à Paris. Je viens de recevoir votre lettre d’hier. J’espère bien que vous ne vous laisserez pas enlever à votre repos. Je ne trouve pas le moment venu, pour aller affronter les intrigues. Laissez les autres barbotter dans leur gâchis. Il y a bien de la dignité à se tenir en dehors de tout cela et aucun moyen d’échapper à ces intrigues. Si vous vous présentez trop tôt. Ce sont des luttes qui ne vous vont pas. Mais nous causerons bien au long de tout cela et je me réjouis bien de mercredi. & & Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton, samedi 6 Janv. 1849
Une heure

Je viens de passer ma matinée, avec Mrs Austin, et Mr. Murray à corriger des épreuves, à régler des détails de publication & Tout est long et difficile quand on veut que ce soit bien fait, et bien fait dans deux pays à la fois. Enfin, c’est fini. La brochure paraîtra décidement mardi prochain, à Londres et à Paris. Le Times a beaucoup insisté pour en avoir les prémices, et il en donnera un extrait lundi ou mardi. M. Murray s'en promet beaucoup de succès en Angleterre. Je n'ai vraiment rien de Paris. Pas le moindre fait et à peine quelques réflexions de Philippe de Ségur qui me promet sa voix pour le duc de Noailles à l'Académie. Génie ne me parle que de ma brochure. Il est évident que la crise ministérielle a un peu troublé tout le monde, ceux qui l’ont faite et ceux qui l’ont subie, et que personne, ne s’est soucié de pousser, quant à présent, la lutte plus loin. Il me semble même qu'on blâme Thiers de l'avoir commencée sitôt. J'ai vu ce matin un ancien député conservateur, M. de Marcillac, bon homme, sensé, et tranquille, qui n'a nulle envie que Louis Nap. dure mais qui trouve qu’on se presse trop de le faire tomber. Il m'a dit de plus, et ceci me chagrine que le maréchal Bugeaud avait été réellement fort malade et ne se remettait qu'à moitié. Il a un poumon en mauvais état. M. de Marcillac croit que les prochaines élections se feront fin de mars ou au commencement d’Avril, que beaucoup de conservateurs rentreront dans l’Assemblée et qu’elle sera beaucoup meilleure que celle-ci, mais que le parti républicain y sera encore fort, trop fort. Le parti n’est plus au pouvoir, et ne tardera pas à reprendre quelque faveur dans le bas de la société. Non comme république, mais comme opposition. Ségur est fort sombre. Sa lettre ne vaut pas la peine de vous être envoyée. Il y a plus de dissertation et d'Académie qu’il ne vous en faut. L’amiral Cécilla est un choix honnête. Il a du bon sens et du savoir-faire. Très étranger à la politique générale, il ne s'appliquera qu'à bien vivre avec Paris et avec Londres, et à les faire bien vivre ensemble. Il n’aura point d’idées et ne fera point d'affaires. On le regarde comme un excellent marin. Pourquoi vos yeux vous faisaient-ils mal hier soir, après une bonne nuit ? C'est l’approche de la neige. J’ai eu de l'humeur ce matin en la voyant. Je crois que Mardi de la semaine prochaine sera le jour qui me conviendra pour venir à Brighton. J’aimerais mieux lundi. Mais je ne suis pas sûr. Je vous l’écrirai positivement dans deux jours. Adieu. Adieu. Quel ennui de vous avoir quittée ! Mes amitiés à Marion. Voici un complet de M. Etienne Arago sur le nouveau ministère. L'assemblée est fort satisfaite Du ministère qu'on lui fait ; Elle n'avait qu'une buvette ; Elle a maintenant un Buffet.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton Lundi 8 Janvier 1849

Rien à vous dire du tout, beaucoup à attendre et de vous et des journaux. Mallak vous a-t-il rendu compte de sa conversation avec Thiers. Dites-moi, si c’est Lundi ou Mardi que vous viendrez afin que je fixe Lord Aberdeen. 8 h. du soir. Pas possible à la lumière. - Quelle intéressante lettre que celle que vous venez de m’écrire. La discussion de Samedi est des plus curieuses aussi. - Eh bien parmi tous les personnages celui qui me parait le plus à son aise c’est Louis Bonaparte. On l'a mis là, il faut bien qu'on le soutienne. J'ai assez idée que Thiers & Molé s’y mettront. Il me semble que parmi les ministres vous ne devez de procédés qu'à L. Lansdown. Celui-là a été vraiment poli pour vous. - Edition française absolument. Je ne comprendrais pas la convenance de l'envoyer à Lord Palmerston, et comme il pourrait y avoir impolitesse flagrante, à l’envoyer à Lord John. J' [?] pour Mais, il faut que vous vous borniez absolument si lord Lansdowne en fait de ministre. Quant aux Princes, en vérité vous en êtes meilleure juge que moi. Je ne leur veux pas beaucoup de bien depuis ce que je vous ai mandé hier L'adresse de Lady Alice est Livermere. Bury St Edmunds Norfolk. Je recommence. Quel curieux état de choses à Paris ! N'oubliez pas Marion quand Vous avez votre livre en Français.
Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton Mardi le 9 Janvier 1849

N'oubliez pas C. Greville pour un exemplaire français, et Metternich. J’ai peur qu'on ne trouve votre écrit trop sublime & trop long. C'est là mon impression et vous savez que je suis le public. Après cela j'ai si envie qu'on vous trouve toujours bien et parfait que ma prétention peut me rendre injuste. J’ai relu ce que vous m’avez envoyé hier c’est très très curieux. Vous verrez que Bonaparte se tiendra. A propos lady Palmerston approuve fort sa lettre à Malleville ; je vous envoie la dernière partie, la seule où elle parle politique. Je vais m’occuper de vos livres. S'ils étaient [?] je vous promets de vous mettre au régime.
8h. du soir
Des lettres à Marion disent que L. B. se lève de table très gai. Que l’assemblée est dans un grand état de fraction et d'anarchie ; que M. d la Redorte veut renverser le président et que M. de [?] a renommé à la place qu'il demandait en faisant dire au Président qu'il réservait son cœur et son épée pour Henry V. Le Président ayant rencontré M. d’Alton Shu chez la princesse Belgiojoso lui a tourné le dos et est sorti. Longue visite de Metternich. Il compte que vous lui enverrez votre bonheur et il travaille d'avance à des observations. Gardez la lettre de Constantin jusqu’à vote arrivée ici. Quel article dans le Times contre Palmerston. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Jeudi 11 Janv. 1849

Je vous ai envoyé ce matin par le railway, quatre exemplaires de ma brochure. Vous, le Prince de Metternich, Marion et Lord Mahon. Aurez-vous la bonté de charger Jean de porter le dernier exemplaire ? Je n'ai reçu qu’hier l’édition française. Les journaux commencent à en parler. Vous serez contente des Débats et de l'Assemblée nationale. Voyez-vous celle-ci ? Avez-vous lu le Morning Chronicle ? Me voilà bien et dument aristocrate. Je suis frappé du tour de quelques uns des journaux anglais. Ils sont évidemment plus démocrates que moi. J’ai été hier chez C. Greville. Bien pris de goutte. Grands compliments. J’y ai trouvé, Lord Ellesmere, Henri Greville et un M. Stanley que je ne connais pas. Nous avons beaucoup causé, mais trop de monde. Rien n'est fini pour le remplacement de Lord Auckland. On croyait assez là à Lord Carlisle.
Je n'ai rien de Paris ce matin. Louis Nap. n’ira pas. Mais il ne s'en ira pas sitôt. Si j’avais à parier je parierais qu’il finira par se mettre entre les mains de Cavaignac et des Républicains. C’est contre son origine, mais c’est selon sa nature, et sa sureté. Je serais étonné si nous avions à traverser la phase de l’Empire. Je la crois usée d'avance par le décri de l'homme. Henri Greville avait hier des lettres de Paris qui m’en tarissaient pas sur les ridicules, et sur les quolibets dont il est l'objet, parmi le peuple comme plus haut. Certainement les gros bonnets modérés ne s’entendent. pas. Et plus ils iront, moins ils s’entendront. Au fond, ils ne veulent point la même chose. Ils sont comme le pays ; il n'y a que l’extrême danger qui les unisse Adieu. Adieu. Je vais chez Lord Aberdeen. J’ai je ne sais combien de billets à écrire. Nous aurons bien à causer mardi. Je vous rapporterai Lady P. et Contantin. Adieu Je persiste à croire que les tablettes d'une révolution sont de Capefigue.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton vendredi 12 janvier 1849

J'ai bien reçu votre paquet. Marion est glorieuse et touchée. J’ai envoyé les deux autres à leur adresse. Je suis contente de la mention que font les journaux. Le roi avait conté à Montebello sa conversation avec vous, mais sans y découvrir the point. J'ai raconté à Montebello qui est bien de votre avis. il est plein de sens. Plein des affaires de son pays. Il ne faut plus qu'un homme de courage, il croit encore que ce sera vous. Il veut avoir un bon entretien avec vous avant son départ. Il va à Paris le 25. Comme tout est mieux ! Je crois que le pays va devenir quelque chose, et que Paris ne sera plus seul la France. Que je voudrais jaser avec vous ! Montebello a fait la connaissance de Metternich qui a commencé par lui dire que l'homme est un substantif. Le peuple, un substantif & & Metternich travaillait déjà à des observations sur votre livre avant de l’avoir reçu. Rien que sur ce qu'il en avait lu dans les journaux anglais. Je voudrais bien que les petites [?] qui apparaissent à Aberdeen devinssent une lumière. Je doute. Voici une lettre que vous aviez oubliée sur ma table. Je vous envoie le National, bien vif, comme vous verrez. J’ai lu moi même votre 1er Chapitre. J’en suis toute charmée. Il faut lire soi-même ce que vous écrivez. Car on s’arrête à chaque sentence. Lu par un autre, même vous, cela perd. Il faut vous méditer enfin, je vous love et très justement.
Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton, Samedi 13 Janv. 1849

Avant tout, ma joie pour vos yeux vous écrivez et vous lisez. Ménagez les bien et n'en parlons plus. Seconde joie. Vous approuvez. Je crois que vous avez raison. L'effet est grand à Paris. Un homme de mes amis, qui a beaucoup de sens et d’esprit d'affaires m'écrit le Mercredi soir, le jour même de la publication : " Votre libraire est dans une espèce de jubilation fébrile. On fait queue dans son magasin pour acheter votre brochure. Ce matin, à 10 heures, il en avait déjà vendu 5000 exemplaires. La première édition est complètement épuisée. Et le lendemain jeudi : " La 2° édition est épuisée. On tire la 3°. Le succès est immense. J’ai la conviction qu'aux prochaines élections, vous serez au nombre, des représentants de Paris. " Je souris et je doute. Mais il me paraît clair que l’effet que je désirais produire est produit. Nous verrons les conséquences. Je ne vous envoie pas les journaux, l'Univers, l’Evènement, le Siècle, & . Je vous apporterai mardi, ce qu’il y aura d’un peu remarquable. Je n'ai encore rien vu dans le National. Ce que vous m’envoyez contre Thiers est en effet bien vifs. La lutte sera rude, surtout après la victoire. De tout ceci le public sortira éclairé, et les partis ardents. Durer, là sera le problème. Pour le vainqueur, quelconque. Peel m'a écrit. Le Roi aussi. Tous deux très approbateurs, et assez réservés. Comme me souhaitant beaucoup de succès et ne se souciant guère de s’engager dans mon combat. Bien des gens, pas plus démocrates que moi s'étonnent de me voir attaquer si franchement la démocratie, le géant du jour, comme m'écrit Jarnac. Je me souviens d’un temps où l'on me trouvait démocrate. C’est une des grandes difficultés de notre temps que d'avoir à changer de position en changeant de dangers & d’ennemis. Je causerai à fond avec Montebello avant son départ. Je pense de lui autant de bien que vous. Je suis curieux du débat qui a commencé hier. Il me conviendrait que l'Assemblée constituante ne se séparât qu'à la fin de mars. Je doute qu'elle puisse vivre jusques là. Les Anglais ont bien de la peine à comprendre ces revirements d'opinion si soudains et si emportés. Je comprends qu'ils ne comprennent pas. Il faut être Français pour croire qu’on peut vivre en tournant si vite.
Je n'ai vu personne hier. J'aurai certaine ment d’ici à mardi des nouvelles de Génie. Il ne m'a pas écrit ces jours-ci. Il était trop occupé de mes affaires. Mardi sera charmant. Adieu. Adieu. Je ne puis vous dire le plaisir que me fait votre écriture. Je crois que je relis vos lettres plus souvent. Mes tendres amitiés à Marion. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton Samedi 13 Janvier 1849

Le Prince Metternich a dit hier à Marion sa satisfaction de votre livre. Il venait de le lire. Il a dit : " Si M. Guizot n'avait jamais rien dit, rien fait, rien écrit de sa vie il y a là quatre pages qui suffisent pour immortaliser un homme. " Je ne sais quelles sont ces 4 pages. On me dit qu'on a vendu 20 mille exemplaires de la soit disante traduction de votre livre. Compilation de quelques uns de vos anciens écrits. Quelle fraude ! Le savez-vous ?
Mon fils est venu me voir hier. Louis B. écrit à d'Orsay tous les jours. Et lorsque après son joli appartement de King street. Il n’en peut plus. D’orsay lui avait beaucoup recommandé Bulwer. Louis B. l'a reçu & a beaucoup causé avec lui, et s’en dit très content. Je crois à sa nomination. à Paris. Sera-t-il content ! Paul me dit que jamais L. B. n'a bu en Angleterre. Je persiste à croire que Thiers sera obligé d'entrer au ministère. Adieu. Adieu, quel ennui que le dimanche. J’espère que ceci vous arrivera ce soir.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton Dimanche. 14 janvier 1849

Je suis charmée du succès de votre livre à Paris, moi j'avance à petit pas, & toujours avec satisfaction. Je n’ai pas vu Metternich depuis. Les lettres de Rothschild sont plutôt sombres. Rien de si grand selon eux que la discussion qui devait avoir lieu avant hier. Mad Demidoff a fait venir Thiers, scène très vive toute politique & morale. Après quoi elle l’a mis à la porte en recommandant, de ne jamais laisser entrer cette canaille. Stéphanie ne vient pas. 8 heures. Vous avez eu bien tort de me dire que mes yeux allaient, bien. Les voilà mal ce soir. Je n’ai point de nouvelles à vous dire. Lord Palmerston a la goutte au pied. J'espérais davantage. Triste Dimanche et je n’ai vu que le duc de Devonshire et les Rothschild. Il est arrivé des visites aux Metternich qui m'ont privée de Mad. M. Je me réjouis bien de Mardi. Adieu. Adieu. Je demande permission à la princesse de vous dire combien je vous remercie de votre bonté. M.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Dimanche 14 Janv. 1849

Je mettrai ceci à la poste à Londres en sortant de l’Athenaeum où j'irai à 4 heures. Vous l'aurez demain à 3 heures, je pense. Je ne veux pas que le Dimanche soit tout à fait stérile. J'ai pour le débat qui a dû finir hier plus de curiosité qu’il n’a d’importance. Il importe fort peu, en soi, que l'assemblée se dissolve le 4 ou le 30 mars. Or c'est entre ces deux temps qu’on hésite. Tout le monde est décidé ou résigné à la dissolution prochaine. Je ne me fais pas encore une idée claire de l'assemblée qui succédera. Je présume qu’elle sera encore très mêlée, et par conséquent, très orageuse. Orléanistes, légitimistes et républicains y seront forts. Et très acharnés en même temps que forts. La république rouge seule sera si je ne me trompe à peu près éliminée. Elle se remettra derrière la République tricolore, comme elle l’a fait de 1830 à 1848. Et la République tricolore acceptera de nouveau cette queue. On fera effort pour sortir du chaos. On n'en sortira pas d'un coup. Je vous assure qu’il y a bien à examiner s'il me convient de redescendre déjà dans la mêlée; car entrer dans l’Assemblée, c’est redescendre dans la mêlée. Peut-être vaudrait-il mieux, pour moi-même, et pour le moment décisif quand il viendra me tenir encore quelque temps à l'écart, sur la hauteur, disant mon avis aux combattants et sur les combattants. Nous en causerons. Je n'ai aucune lettre importante de Paris. Rien que des détails sur le succès de ma brochure. Je regarde la réconciliation et l’intimité active de Girardin et de Lamartine, comme un fait assez grave. Ce sont peut-être les deux hommes les plus mischievous parce que ce sont eux qui savent faire le plus de dupes parmi les honnêtes gens et les gens d'esprit badauds. J’ai une longue lettre de Brougham. En grands compliments sur ma brochure. Quelques observations, peu fondées, je crois. Evidemment décidé à être bien avec moi. Il compte quitter Cannes du 18 au 20. Il ne me dit pas s'il s’arrêtera à Paris en revenant. La tentative de conciliation du Roi Léopold entre l'Angleterre et l’Espagne a décidément échoué. Palmerston veut toujours un retour de Bulwer à Madrid. Narvaez ne veut pas. Et on ne veut pas à Madrid, renverser Narvaez. J’ai pourtant trouvé le Roi l’autre jour, peu en bienveillance et en confiance pour la Reine Christine. J’ai entrevu qu’elle insistait comme la Reine sa fille, pour que la Duchesse de Montpensier vint à Madrid, et qu'elle aussi ne serait peut-être pas fâchée que la Duchesse suivit les bons exemples. On est très susceptible à cet endroit. Vous n'avez pas d’idée du sentiment d'aversion et de dégoût que la corruption des cours de Madrid et de Naples a laissé dans le ménage qui y a assisté sans y prendre part. Adieu. Je ne vous écrirai pas demain. Mardi, à 2 heures J’espère qu’il fera aussi doux qu'aujourd’hui, et que je pourrai rester aussi frais qu’il vous conviendra. Adieu. Adieu G. Vous ne saurez qu’elles sont les quatre pages qui plaisent tant au Prince de Metternich. Si j'apprends quelque chose à l'Athenoeum je l’ajouterai à ma lettre.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Jeudi 18 Janv. 1849
3 heures

Je trouve en arrivant de bonnes nouvelles de mes affaires électorales dans le Calvados. Mes amis conservateurs reprennent courage. Les légitimistes m'épousent chaudement. On me dit que bientôt les candidats qui essayaient de m'écarter viendront me prier de les aider. Tout cela me confirme dans la résolution convenue. Des nouvelles contraires produiraient le même effet. Voici une lettre de M. Vitet homme d’esprit, froid, juste et sagace. Vous verrez qu'il est sombre, même après le succès futur, s’il vient. Renvoyez-la moi, je vous prie. Point de nouvelles générales. Duchâtel est de retour de Belvain. Il vient de me renvoyer un livre. Je le verrai probablement demain. On a fait en Belgique une contrefaçon de ma Démocratie. Si petite qu'on l'envoie dans des lettres. pour 10 sous. Comment passe-ton si vite du plaisir au regret ? Une minute creuse un abyme. Adieu. Adieu. Ne vous fatiguez pas à lire.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Vendredi 19 Janvier 1849 Brompton
Midi

Voici deux lettres venues hier ; l'une de mon libraire, l'autre de mon hôtesse. Lisez-les, je vous prie attentivement. J’espère que vous pourrez les lire vous-même sans trop de fatigue pour vos yeux deux grosses écritures. Je n'en persiste pas moins dans ma résolution. Plus j'y pense, plus je suis sûr que c’est la seule bonne. Mais il faut tout écouter. Evidemment le travail sera très actif contre moi. Quelles misères ! Si le bon sens et le courage de mes amis ne sont pas en état de les surmonter, ma présence pourrait bien me faire élire ; mais après l'élection, je serais affaibli de toute la peine que j'aurais prise moi-même pour mon succès. Je ne veux pas de cela ; il faut que j'arrive par une forte marée montante, ou que je me m'embarque pas. Je vais écrire dans ce sens à tout le monde. Renvoyez-moi tout de suite ces deux lettres. Je vous prie. Il doit être arrivé à Brighton encore des journaux pour moi. Le postman par excès de zèle, s'est obstiné à m'en envoyer là quelques uns, sans ordre. Cela cesse aujourd’hui.
Je suis frappé du silence de l'Assemblée et du peu de paroles des journaux sur l'expédition de Toulon. Je doute que l'affaire soit aussi avancée qu’on l'a dit d'abord. Cependant la nouvelle proclamation du Pape, que les Débats donnent ce matin est bien forte. C’est la guerre déclarée aux républicains romains, autant que le Pape peut faire la guerre. Il faut qu’il soit sûr d'être efficacement soutenu. Je n’ai encore vu personne ici. Je vous quitte pour écrire à Paris. J’ai trois ou quatre lettres à écrire. Et longues. Il ne me suffit pas de dire non. Il faut que je persuade ceux qui me demandent de dire oui. Si je ne les ramène pas à mon avis, ils n'auront pas de zèle, et il me faut leur joie. Adieu Adieu. Je n'ai pas encore, ma lettre de vous. J'espère bien qu’elle viendra dans la matinée. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Lundi 22 Janv. 1849

Voici une preuve qui vous amusera de l'effet de ma brochure en France. Je ne l'ai point fait envoyer à M. Molé et elle ne lui a point été envoyée de ma part. J’ai la liste des personnes à qui j'ai ordonné de l'adresser et à qui elle a été effectivement adressée. M. Molé n’y est pas du tout. Mais il lui a convenu de supposer ce point de départ, et j'ai reçu de lui ce matin la lettre dont je vous envoie copie. Je ne veux pas faire courir à l'original les hasards de la poste. Je vous l'apporterai Samedi. Rappelez-vous la conversation de lui que je vous ai lue il y a quelques jours et riez toute seule. Je lui répondrai très simplement, et poliment, sans un mot qui démente ni qui accepte son point de départ, et en me félicitant que nous soyons d’un seul et même parti. J'enverrai au Duc de Broglie copie de la lettre de Molé et de la mienne. Je veux qu’il y ait à Paris, un de mes amis qui soit au courant. Et je compterai là un ami de plus, que je tâcherai de garder et dont je me garderai toujours.
La lettre de Bulwer est très jolie. Vraiment jolie pour le tour, en même temps que spirituelle au fond. Je vais l'envoyer à Lord Aberdeen Lui avez-vous écrit et viendra-t-il à Brighton dimanche ? Cela me divertira de lui montrer la lettre de M. Molé. Je me promets un vrai plaisir samedi de la lecture du Prince de Metternich, et j'espère que la lecture ne supprimera pas tout à fait la conversation. Je veux les deux. Je viens de voir un homme parti hier matin de Paris. Un vrai bourgeois de Paris, intelligent, bavard sensé, léger, moqueur, et prenant son plaisir à flâner à travers les événements comme sur les boulevards. Il regrette Cavaignac qui, dit-il, aurait, de gré ou de force, enterré plutôt la République. Il ne croit pas que l'Assemblée se dissolve sitôt. Il rit de Louis Bonaparte, et ne se soucie pas beaucoup qu’on le renverse." Il ne peut pas nous faire grand bien, dit-il ; mais tant qu’il est là, personne ne nous fera grand mal." Par goût, il est régentiste et n'y croit guères. Par raison, il voudrait être légitimiste, et n'en peut pas venir à bout. Il m'a assez amusé, comme type de Paris. Charmant Paris, dit Bulwer. Voici l’article du Siècle. Gardez-le moi, je vous prie. Je ne veux pas le perdre. C’est un article intelligent. J’ai écrit hier au Duc de Broglie. Et ce matin à mon hôtesse. D'après ce que m'a dit hier Duchâtel, le Duc de Broglie est déjà de mon avis sur le moment de mon retour. Quant au jugement de mon hôtesse je ne la connais pas assez pour le bien évaluer ; mais je le crois bon jusqu’à 5 pieds de haut, et de peu de valeur au-dessus. C’est le cas de bien des gens. On voit selon sa taille. Adieu. Adieu. Nous venons d'avoir un violent orage, et voilà un beau soleil. Je vais me promener un peu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton le 24 Janvier 1849

Mercredi Vos lettres sont intéressantes Bugeaud est un peu cross. Votre hôtesse me rappelle Mad. de Sévigné trouvant si bon air à Louis 14 qui lui avait adressé la parole à un spectacle à Versailles. Rien ce matin. Je reverrai Lady Palmerston. Elle critique Thiers. Il veut la régence. Il devrait plutôt aider le Président. Lord Brougham doit être arrivé hier à Londres. Il viendra sans doute ici. N'avez-vous donc pas entendre parler de Thiers depuis votre livre et sur votre livre ?

8 h. Lady Palmerston m’est restée bien longtemps. Si longtemps que j'ai à peine, le temps d’ajouter deux mots. Rien de nouveau. Lord Palmerston terrassera des adversaires. Il fera taire toutes les trompettes de le Europe. C'est vrai que rien n’a été fait, que rien n’aboutit. Mais la Sicile est à la veille de l'arranger. Et quand à la Lombardie, ni les Autrichiens veulent la garder, cela ne regarde pas l'Angleterre. Lord Palmerston croit qu’ils ont tort, mais ce n’est qu’une opinion lord Aberdeen est très monté et parle beaucoup contre son mari. Brunow est à Drayton. Il est venu le dire à Lord Palmerston en riant. Peel est toujours seul, il n’a pas un homme. Les Peelistes ont bien envie d'entrer aux affaires, mais ils n'ont pu de chef. Au demeurant tout va très bien. Les Holland se sont raccommodés. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Mardi 30 Janv.1849
9 heures

Voici ma lettre pour Humboldt Ayez la bonté de la lui envoyer par Constantin que je remercie d'avance de la peine que je lui donne. Voici de plus, dans la lettre de Humboldt, la phrase que je voulais montrer au Prince de Metternich qui ne pense probablement trop bien de la politique de notre savant confrère. Il faut rendre justice. « Nous lisons... votre démocratie. Vous avez sondé des plaies dont nous souffrons également davantage encore, parce que nous avons, avec beaucoup de métaphysique, aucun sens pratique, parlant sans cesse de l’unité des races et nous séparant individuellement en atomes qui se repoussent, et désirent fonder un pouvoir central qui rendra impossible de gouverner dans chaque partie de la confédération. " Ce n’est pas mal résumé. Je n'ai rien reçu hier que cette lettre de l'élection d’une Assemblée nouvelle qui fera Louis B. Empereur. Cavaignac disait ces jours-ci : " Ne croyez pas, messieurs, que vous nous ferez avaler la Monarchie comme nous vous avons fait avaler la République. - Général, vous en serez dispensé ; vous serez tué. " Le Prince de Joinville et le duc d’Aumale sortent de chez moi. Me racontant tout ce qu'ils ont appris. En train pour eux-mêmes, empressés pour moi. Se répandant en compliments sur ma bonne fortune dans le sort d'Odilon Barrot. Quelques retours sur le passé. " La bataille morale avait été perdue le Mercredi 23 quand le Cabinet est tombé. Elle ne pouvait pas être regagné le jeudi 24 février, par [?] général." C’est ce que dit M. le Prince de Joinville. La Reine toujours très faible Pas plus mal, mais pas mieux. Le Ld Chomel est venu avant-hier et repart ce soir. Il n’a pas d’inquiétude imminente. La Reine est très découragée.
3 heures 1/2
J’ai été interrompu par Charles Greville. Bien boiteux. Rien de nouveau ici. Plein de Paris. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Royer-Collard, Hippolyte (1802-1850)
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Maintenant que votre voix vient de se faire entendre jusqu'au milieu de nous, et que vous nous avez parlé, non plus comme la première fois en philosophe et en publiciste, mais en citoyen actif, peut à venir combattre comme nous et avec nous, avec l'éloquence de votre parole et l'autorité de vos conseils pour la cause de la civilisation attaquée de toute part [...] Nous avons été heureux d'y retrouver cette élévation de vues, ce beau langage, qui nous semblaient perdus en France depuis plus d'un an. La netteté de votre position et votre courageuse franchise, ressortent avec éclat, à côté des ambages de M. Duchatel, de ses hésitations, de ses déclarations à double sens, & j'ajouterai, de son style inqualifiable. Si vous deviez rester à Londres, et du haut de votre exil volontaire, juger publiquement l'état présent de notre pays, lui expliquer les causes et les résultats de cette situation & enseigner au monde les moyens d'arriver à la solution d'un problème qui semble insoluble, je ne trouverai jamais assez d'approbation, assez d'éloges, assez d'admiration, pour ce noble rôle que vous vous feriez au milieu de cette tristesse des temps. [...]
Je crois, peut-être je me trompe, mais enfin je crois fermement que l'état de la France n'est pas précisément celui que vous supposez. Quelqu'un qui n'a pas vécu depuis un an au milieu de nous, et qui n'a pas vu de près et par lui-même ce qui s'est passé, ne saurait imaginer que le prodigieux changement se sont accomplis en si peu de temps dans ses esprits. Tout ce que vous dites de l'aversion générale pour la République et de l'impossibilité de s'établir en France et de prendre au sérieux ce mode de gouvernement a été vrai pendant les premiers mois qui ont suivi la Révolution de février ; mais il n'en est plsu de même aujourd'hui. Je n'ai, en ce qui me concerne, aucun goût pour la République mais en m'arrêtant avec une impartialité à l'observation sérieuse des faits, je me permettrai de dire que l'immense majorité de la France, (c'est Paris que j'appelle la France, parce que Paris est tout ; le reste se soumet) ne voudrait maintenant accepter aucune autre forme de gouvernement que la République. La Monarchie, il faut le reconnaître, est tombée dans le mépris ; quelle sécurité peut inspirer un gouvernement qui s'écroule devant un banquet qu'on ne peut pas même s'exécuter, qui ne peut compter ni sur la population, ni sur la Garde Nationale dont l'existence est peut-être incompatible avec la sienne, ni sur l'armée qui est travaillée par les fausses doctrines, qui vit nécessairement avec le peuple, & qui, chaque jour, devient de plus en plus, sinon ennemie du moins incertaine et hésitante ? 
Ce n'est point la République qu'on ne redoute maintenant, c'est les Républicains, c'est à dire les faubourgs et une centaine d'hommes.
[...]
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