Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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2 Château d’Eu Dimanche 7 sept. 1845,
Midi

Je reviens du déjeuner. A côte de la Princesse de Salerne qui a voulu causer beaucoup. J’espère que la conversation a été plus agréable pour elle que facile pour moi. Les sourds feraient bien d’être tous muets. Bonne personne du reste avec cette dignité timide, un peu embarrassée et pourtant assez haute que j’ai vue à tous ce que j’ai connu de la maison d’Autriche. La Reine dit que l'archiduchesse est le portrait de François 2. A ma droite, sa dame d’honneur, la marquise de Brancaccio, sicilienne, femme d’esprit, dit-on, et qui en a bien l’air. Elle m’a parlé de la Sicile avec une verve de colère et d'opposition qui m’a plu. " On néglige toujours la Sicile. On opprime toujours la Sicile. Les ministres changent, l'oppression reste. Nous avons des ministres siciliens mais ils sont en minorité. Prenez la majorité. Venez chez nous nous enseigner comment on s'y prend. " Souvent, chez les Italiens, le naturel et la vivacité des impressions commandent la franchise.
Le prince de Joinville est arrivé ce matin, à 6 heures. Toujours grande incertitude, sur le moment de l’arrivée de la Reine. Ou aujourd’hui, vers 6 heures ; ou demain, à 5 heures du matin, ou à 5 heures du soir. Je parie pour aujourd’hui. D’abord, parce que j'en ai envie, ensuite parce que la Reine des Belges a écrit que c'était fort possible. Ils (le Roi et la Reine des Belges) sont allés la recevoir à Anvers hier samedi entre 1 et 2 heures. Nous nous mettons en mesure ici pour toutes les hypothèses.
J’aurai bien peu de temps pour causer, avec Lord Aberdeen. Je veux pourtant lui dire tout l'essentiel. Je vous promets qu’il passera avant moi. Les peintres sont encore, à l'heure qu’il est, dans la Galerie Victoria. Si la Reine avait le temps de se promener, elle verrait réalisées, aux environs du château, toutes les idées qu’elle a suggérées, les désirs qu’elle a indiqués ; un parc fort agrandi, de belles routes au lieu des mauvais chemins & &. Mais je doute qu’on se promène une heure.
Le courrier Russe qui avait été expédié au Prince Wolkonski, l’a rencontré à Eisenach & le Prince est arrivé à Berlin où il attend l'Impératrice qui a dû y arriver avant-hier au soir et qu’il accompagnera à Palerme. Le Kamchatka après l'avoir déposée à Swinemünde, ira passer le détroit de Gibraltar et l'attendre à Gênes pour la porter en Sicile. On croit, on dit à Pétersbourg que l'Empereur s’embarquera à Sébastopol et ira voir sa femme à Palerme.
Pourquoi me cherchez vous un cache-nez brun ? Le blanc que vous m'avez donné est excellent et m’a très bien préservé. Il est parfaitement convenable.
Voilà M. Royer-Collard mort. Je pense avec plaisir que nous nous sommes séparés en vraie amitié. C’était un esprit rare, charmant et un caractère, très noble. Quatre personnes ont réellement influé sur moi, sur ce que je puis être, devenir et faire. Il est l’une de ces personnes là. Le seul homme. Il a tenu peu de place dans les événements, beaucoup dans la société et l’esprit des acteurs politiques. Il leur était un juge redouté et recherché. Adieu. Adieu. Le Roi me fait appeler en toute hâte. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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3 Beauséjour Lundi le 8 7bre 1845
Onze heures

Merci, merci de vos deux lettres 1 & 2. Je vous imite, celle-ci porte le N°3. Je crois la reine arrivée et vous dans le full time of conversation. J’espère que vous ressortirez de là aussi content que vous l'avez été il y a deux ans.
J’ai eu hier une très longue conversation avec Kisseleff. Le maître n’est pas changé. Caractère, opinion, tout est resté de même. Seulement de plus en plus inaccessible à tout conseil. Personne ne rêve plus à en donner. Vraisemblance qu’il ira de la mer noire en Sicile. Je pense qu'il verra le Sultan un moment. Evénement ! J’ai été chez les Appony le soir ; assez mauvaise humeur mais qu'on cache.

Paris 1 heure. Je suis ici pour un moment. Je viens de voir Vérity. Il me trouve mieux qu'à Londres. Mais ce sera tout. Pas la moindre nouvelle à vous donner. Le plus beau temps du monde. et moi adieu adieu. Voilà tout et toujours.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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4 Château d'Eu Lundi 8 Sept. 1845
5 heures et demie

Au lieu du char à bancs royal et de la forêt, deux heures et demie de promenade à pied, dans le parc, tête-à-tête avec Lord Aberdeen. Très, très bonne promenade, affectueuse, confiante et sensée. Toute utilité à part, j’y ai pris un vrai plaisir. Lui aussi j’en suis sûr. La politique ainsi faite est grande et douce. Il y a plus ; elle semble facile. Ce n'est pas vrai. Les difficultés des choses se replacent bien vite, entre les bons sentiments des hommes. Et les hommes se séparent bientôt. N'importe ; il est impossible que de telles conversations, il ne reste pas beaucoup. Il y a des paroles qui tombent au fond des cœurs, s’y endorment, et se réveillent infailliblement quand le moment arrive où elles sont bonnes à entendre une seconde fois. Nous avons parlé de tout. Nous recommencerons un peu demain ; mais pas avec la liberté et le loisir d’aujourd’hui.
Les arrangements de demain sont un peu changés. A dix heures le déjeuné. A onze heures et demie promenade dans la forêt. pas très loin, et pas de luncheon. On revient à 3 heures dîner à 4, à 5 et demie départ pour le Tréport où la Reine s'embarquera pour être à l’île de Wight Mercredi matin. Et moi je m'embarquerai jeudi avant 7 heures pour être à Beauséjour avant 7 heures du soir. Adieu. Adieu. Je vais m'habiller pour le dîner.

Mardi, 9 sept. 8 heures et demie. Dîner encore à côté de la Duchesse d’Aumale ; Lady Canning à ma droite. Elle a du good sense, de la dignité et de la bonne grâce, mais peu de mouvement et de fécondité dans l’esprit. Lord Aberdeen, à la gauche de la Reine. On le traite très bien et on a très raison. Le spectacle commence trop tard et fini trop tard. Très jolie salle ; sous une immense tente, fort bien ornée et point froide ; au milieu du parc. Le nouveau seigneur a fait rire la Reine. Richard l’a fait pleurer. Nous n'avons ri ni pleuré. Aberdeen, et moi. Nous aurions mieux aimé causer encore.
Je lui demandais hier comment il avait trouvé le Prince des Metternich. Il m’a répété ce qu’il vous a dit, en ajoutant : " Mais vous vous n’avez pas le droit dire que le Prince de Metternich est baissé, car en nous séparant au dernier moment, comme je lui ai dit que j'allais probablement vous voir, il m'a répondu : " Je voudrais bien en faire autant ; il y a bien longtemps qu'on n'a vu en France un tel ministre. "
Je n'étais dans mon lit qu’à une heure moins un quart. Rien n’est changé, pour aujourd’hui aux dispositions d’hier. Voilà votre N°3. Je suis charmé que Verity soit de retour, et qu’il vous trouve mieux qu'à Londres. Nous prendrons les soins qu’il faudra prendre. Je ne fermerai ma lettre qu'entre 3 et 4 heures, en revenant de la promenade, car je crois qu’aujourd’hui il convient d’y aller. Adieu. Adieu jusqu'à 3 heures. Onze heures Je sors de déjeuner. J'envoie une estafette à Génie. Vous aurez ma lettre ce soir. Adieu. Adieu. G.
Pas ce soir. C’est presque impossible. Vous vous couchez de trop bonne heure. Mais demain matin.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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5. Château d'Eu, Mercredi, 10 sept. 1845
7 heures du matin

Hier, à midi, nous roulions très agréablement, six chars à bancs, calèches &,& portant 40 ou 50 personnes dans les longues allées et sous les ombres profondes de la forêt d’Eu. Vers une heure, à un rendez-vous de chasse, nous avons quitté les grands chevaux et les jockeys du Roi pour prendre les petits chevaux de poste. Les postillons en veste couverte de rubans tricolores, poudrés avec d’énormes catogans pas toujours bien attachés et se disputant à qui ferait le plus de bruit avec leurs fouets. C’est un amusement qui n’est pas usé, pour la Reine. A une heure et demie, nous rolions sur la grande route sous un soleil très brillant, caché par d'épais nuages de poussière. Je ne crois pas que le plaisir du fouet des postillons ait suffi pour les dissiper. " Les Rois, dit quelque part St Simon, ont des amusements qui n’appartiennent qu'à eux. " Heureusement celui-ci a été court. Nous étions au château avant 2 heures.
Chacun est rentré chez soi pour se laver. A 4 heures tout le monde était réuni dans le salon de la Reine et la Reine d'Angleterre, en entrant, a trouvé là trois ébauches de tableaux, son débarquement au Tréport dans la petite maison trainée en charrette, sa promenade d’avant hier dans le nouveau grand parc, la salle de spectacle du soir. Trois peintres avaient fait cela dans la nuit. Le premier tableau vraiment joli. Elle l’a emporté. Le dîner a été gai. Tout le monde, était visiblement content. J’étais à côte de la Duchesse de Cobourg, la plus vraiment intelligente des Princesses (Chut!) Son mari l'adore. Il prend son lorgnon vingt fois pendant le dîner pour la regarder. Lady Canning, qui était à côté de lui ne l’en à pas distrait un moment. Reines, Princesses, tout le monde était habillé comme si le bal avait dû suivre le dîner.
A cinq heures et demie, on s'est précipité hors de la salle à manger, et avant 6 heures tout le monde était de retour en habit de voyage, dans le vestibule du château. La marée pressait beaucoup ; nous n'avions qu’un quart d'heure pour nous embarquer, sans charrette. Nous sommes arrivés juste à temps. La Reine d'Angleterre a pu à peine faire à la nôtre ses adieux. Nous sommes entrés, presque tombés dans le canot royal, la Reine, le Roi, le Prince de Joinville, le Duc de Cobourg, Lord Aberdeen, Lord Liverpool et moi. Deux autres canots suivaient. La Reine, Madame le Prince et la Princesse de Salerne restant sur le rivage, dans leur char à bancs, à nous attendre. Quelques minutes après sous l’éclat d'un soleil couchant presque chaud à force de lumière et sur une mer, si calme que le canot vacillait à peine comme une feuille, nous sommes montés à bord du Victoria-Albert. La Reine m’avait dit tout bas en partant : " Je vous en prie, empêchez que le Roi ne nous revienne trop tard. " Ce n'a pas été facile. Le Roi est rentré en conversation avec Lord Aberdeen. Le Prince de Joinville, est allé visiter the Fairy. M. de Salvandy et M. Vatont ont pris du thé. Au bout d'un quart d'heure, je me suis approché du Roi : " Je comprends, je comprends ; mais je veux voir établir, là haut la lune sous laquelle la Reine va voyager. La lune se levait en effet, un petit croissant aussi blanche que le soleil était rouge tout à l'heure, et presque aussi claire. La rade était couverte de bâtiments. Les nôtres saluaient et les batteries de la côte. Ce bruit ne dérangeait pas du tout le calme de la soirée. C’était charmant. J’ai laissé le Roi causer avec la Reine, et j ai recommencé moi-même avec Lord Aberdeen, qui m’a parlé du Prince de Joinville, avec un intérêt presque affectueux. Sa figure, ses manières nobles et un peu sauvages, son air tour à tour mélancolique comme un sourd et gai comme un enfant, tout cela lui plaît. Le Prince est revenu du Fairy. Les derniers adieux sont enfin venus.
Nous avons repris le canot du Roi, et avant 7 heures et demie nous étions remontés dans le char à bancs de la Reine et nous roulions vers le château. Le Roi m'a gardé jusqu’à 8 heures et demie nous promenant en long, point en large, dans sa galerie Victoria, et me faisant mille déclarations de bonne politique, et de tendresse. La Reine d'Angleterre a dû rester en panne dans la rade jusqu'à minuit et se mettre alors en mouvement pour l’ile de Wight où elle arrivera aujourd’hui vers 10 heures. Un de nos bateaux à vapeur l'accompagne, et reviendra annoncer ici son arrivée. J’ai encore eu hier une longue conversation avec Lord Aberdeen. Je suis sûr qu’il part très content et très ami. Mais l’amitié est nécessaire Il faut se voir. Avec cela, tout ira bien.
Je vais employer ma journée à causer avec le Roi, et à faire visite à Madame, Madame la Duchesse d'Orléans, le Prince et la Princesse de Salerne, le Duc et la Duchesse de Cobourg et la Duchesse d’Aumale. Je serai en voiture demain, à 7 heures. Que j’aime Beauséjour ! Salvandy est dans le ravissement. Adieu. Adieu. J’attends votre lettre. Adieu.

10 heures
Oui le N°4 qui m’arrive sera le dernier. Je viens de recevoir des nouvelles de Pampelune. Accueil fabuleux de nos Princes par tout le monde, sur toute la Route, les Reines comme les paysans, les paysans comme les Reines. Cela me plaît. Je tiens à l’Espagne. Je suis d'ailleurs très content de la position bien établie & bien acceptée, sur cette question dans la visite qui vient de finir. Adieu donc, Adieu. Je vais déjeuner. Que je suis bavard ! Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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4. Beauséjour Mardi le 9 septembre 1845
Onze heures

Votre lettre d’hier est charmante ful of interesting topics. Je vous vois arriver demain soir ou jeudi de bonne heure dans la journée. C'est là ce qu’il y aura de plus charmant dans ce voyage comme le temps est gracieux pour le roi !
Madame Appony, un Esterhazy cousin, Fleichman, & Mad. Rothschild, voilà ce que j'ai vu dans la journée hier à Anvers la reine d'Angleterre a encore éte maussade ; elle n’est charmante qu'a Cobourg et à Eu. On me dit que Génie est malade. Je vais voir à Paris si je peux le voir pour lui communiquer ce qu’il y a de montrable dans votre lettre, au fond tout pourvu que je n’explique pas l’adieu.
Me voilà en ville, j'ai vu Génie convalescent, je lui ai donné à lire votre lettre dont il a été charmé. No news.

Beauséjour again à 2 heures. Pas plus de nouvelles ici que là. Vous voilà dans la forêt à déjeuner. Derniere conversation avec Aberdeen. J’espère que vous vous séparez contents. Vos filles me disent que c’est jeudi que vous arrivez pour dîner. Ceci est donc probablement ma dernière lettre ; si on vous écrit encore. Je vous écrirai adieu, adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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12. Paris samedi 11 juillet 1846 Midi

Quelle nuit j’ai passée ! Pas une heure de suite de sommeil. J’ai entendu sonner toutes les heures. à 4 heures les préparatifs, à 5 le départ, & puis j’écoutais, votre voiture a dû passer dans la rue Royale & sur la place. Je me suis levée comme je m’étais couchée triste, triste. Votre billet est venu à 10 heures. Merci, merci que cela va être long. Et puis tout est si fragile, vous soignerez-vous bien ? Le parapluie, les assassins. Les chambres n'auront pas été suffisamment aérées. No good house keeper comme moi pour vous préparer tout cela. Je m’inquiète exactement de tout. J'ai oublié de vous dire hier que Peel a la promesse de premier vacant garter. C'est bien de l'orgueil. Vous prendrez peut être l’autre bout, & vous direz : Pas assez ! J’aime assez l’article des Débats aujourd’hui sur Thiers & Palmerston fort bien ménagé l’un, et très bien rossé l’autre. Je n’ai pas eu la réponse de la Vicomtesse, elle est peut être à Dieppe elle-même. Dasse boffa. Cette visite commençait à m’ennuyer si elle ne répond pas je partirai Mardi pour Dieppe.
2 heures. J’ai été voir lady Cowley ; ils commencent leurs paquets. Le projet actuel est d’aller passer l'hiver à [Hin?], & revenir au printemps s'établir à Paris. Comme cela c’est assez convenable. Il fait beau, vous êtes content. A 6 heures vous serez enchanté. Je dis cela sans reproche, car je sais bien que mon souvenir viendra troubler un peu votre joie. 3 1/2 Lord William Hervey est venu mais il ne sait rien. On dit seule ment que le sacre sera un embarras. Lord Charles Wellesley a quitté sa place à la cour. Adieu. Adieu que je déteste ce mot quand il va si loin. Adieu. Mille fois malgré cela. La Princesse [Crasolcovy] vous prie de vous souvenir que vous lui avez promis un lascia pasare pour ses effets quand elle traversera la France ce qui sera tout à l'heure. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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5 Val Richer, Jeudi 16 Juillet 1846
7 heures

Je me lève. J’étais dans mon lit et endormis hier avant dix heures. Depuis que je me repose je sens ma fatigue. Je voudrais vivre comme La Fontaine : Quant à son temps, bien le sut dispenser ; Deux parts, en fit, dont il voulait passer L’une à dormir, et l’autre à ne rien faire. Je n'entre dans mon Cabinet, je ne me remets à mon bureau avec plaisir que pour vous écrire. Cela passera ; non pas, mon plaisir à vous écrire, mais mon besoin de ne rien faire. J'étais vraiment bien fatigué. Il n’y a qu’un plaisir qui s’allie très bien avec la fatigue, c’est celui de la conversation, de la conversation douce, intime, sans but, pur plaisir. Celui-là n'existe pour moi qu'avec vous. Si je pouvais faire mes affaires en en causant avec vous, sans autre souci que de chercher et de décider avec vous ce qu’il faut faire, laissant ensuite à d’autres le soin de l'exécution avec les autres, ce serait le Paradis, un Paradis paresseux, mais charmant.
Dites-moi votre avis sur ceci. Faut-il attendre que Palmerston ait parlé à Jarnac des affaires d'Espagne et lui ait indiqué sa disposition ou bien faut-il que Jarnac, prenant l’initiative, aille droit à Palmerston et lui dise : « L'Infant D. Enrique va arriver à Londres ; le parti progressiste veut en faire son instrument et votre candidat. Ce sera le retour de l’ancienne situation qui a été si nuisible au repos de l’Espagne, et à la bonne intelligence entre nous ; la France et les Modérés, l'Angleterre et les Progressistes, deux mariages, deux gouvernements ; une lutte continuelle, dans laquelle nous aurons l’air d'être les patrons, et nous ne serons que les instruments des partis Espagnols. Voulez-vous que nous coupions court à tout cela, et que nous travaillions, ensemble, sincèrement activement, à marier promptement la Reine d'Espagne à l’un des fils de D. François de Paule à celui qu’elle et son gouvernement préfèreront ? Nous sommes prêts ? C’est là, je crois ce qu’il y aurait de mieux. J’ai posé hier la question au Roi. J’attends sa réponse et la vôtre qui est déjà dans votre lettre d’hier. 9 heures Voilà une lettre qui me désole. Moi, Marion, Verity absents, c’est trop. Je vais attendre bien impatiemment la lettre de demain, j’espère que vos yeux ne s'obstineront pas à mal aller. Vous avez déjà eu souvent ces oscillations. Je me dis ce que j'ai besoin de croire. Si vous revenez à votre gold anointment (est-ce le nom ?), faites le vous-même plutôt que de le faire faire par Chermside.
Comment réussit Mad. Daucan ? Au moins, elle sera bonne pour vous lire. Tant que vous serez inquiète de vos yeux, vous serez mieux à Paris qu’à St Germain. La solitude est le pire. Je suis vraiment bien fâché pour cette pauvre Marina. Elle vous convenait. Le mal est-il si avancé qu’il n’y ait rien à faire ? Sinon, elle ferait bien d’aller consulter, M. Velpeau, ou M. Jaubert, ou M. Cloquet. Ce sont les habiles en ce genre. Avez- vous quelque femme de chambre en vue ? Qu’est devenue votre ancienne Marie ? Je vous questionne à tort et à travers. Si j'étais là, je saurais tout et je ferais quelque chose. Il me paraît difficile que vous ne donniez pas une petite indemnité au courrier qui vous a attendue, et ne s’est pas engagé à d'autres. Je n’ai pas d’idée du chiffres. Entre 60 et 100 fr. Ce me semble. Je dis cela au hasard. J’ai trouvé en effet, au fond de la grande enveloppe, une lettre particulière de Rayneval. Absolument rien qu’un compliment sur la mort de Mad. de Meulan.
Bonnes nouvelles de Rome. Rossi a présenté ses lettres d’Ambassadeur. Bon discours au Pape. Bonne réponse du Pape. Excellente position. Les Autrichiens se disent très contents de l’élection du Pape. Au fait si le cardinal Autrichien Gaysruck était arrivé à temps, il se serait opposé au choix de Martaï. Cela paraît certain. Il n’est plus guère douteux que le Pape ne fasse bientôt l’amnistie et des améliorations considérables dans les états romains. Gizzi Secrétaire d’état à peu près sûr. Amal, à l'intérieur ; moins sûr, mais probable. Tous deux très bons. Adieu. Adieu. Je recommande à Génie de vous montrer une dépêche de Naples qui vous amusera. Adieu. Que Dieu garde vos yeux ! Et vous toute entière ! Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham-Park, jeudi 10 août 1848

Midi
Voici mes deux raisons pour cette mer-ci. Il y a ici deux jeunes gens qui me plaisent et dont l’un paraît se plaire fort à moi et à ce qui me tient. Je suis bien aise d'être quelques jours de plus près d’eux, sinon chez eux. De plus ici, le voyage est fait ; donc bien moins de dépense. Ce n’est pas à Yarmouth que nous allons, mais à Lowestoft, jolie petite ville neuve et en train de grandir, avec une belle plage. J’y suis allé hier. J’y ai trouvé une petite maison sur la plage, propre et suffisante, moins chère que Yarmouth et Cromer. Nous allons nous y établir demain. Ecrivez-moi là : 9 Marine Terrace. Lowestoft Norfolk. Le chemin de fer va jusqu’à Lowestoft. Trois trains chaque jour qui vont à Londres, en 5 heures et demie. Nous aurons nos lettres le lendemain, comme à présent. Et puis dans les premiers jours de septembre, nous n'aurons plus de lettres.
Vous espérez que je commence à sentir le vide. Je vous gronderais si j’étais à Richmond. Il est bien évident que nous ne nous sommes jamais tout dit. Je suis décidé à essayer à mon retour. Nous avons assez d’esprit pour tout entendre, et je vous aime trop pour que la confiance, qui est ce qui vous manque, n’y gagne pas. Si vous étiez bien persuadée de ce qui est, c’est-à-dire que vous êtes tout ce dont j'ai le plus besoin au monde, vous pourriez avoir comme moi quelquefois de la tristesse, jamais d'humeur. C'est fort triste d'être triste. C’est bien pis d'être mécontent. Je veux absolument réussir à extirper de votre cœur toute possibilité de mécontentement.
Votre lettre où vous me racontez Ellice me revient ce matin, avec celle d'Aberdeen. Je crois tout ce que vous a dit Ellice. Je trouve que Cavaignac s’use sans se diminuer, et que Thiers avance sans grandir. Même les coups de fusil à vent ne le grandissent pas. Il tiendra beaucoup de place dans ce qui se fera un jour, mais il ne le fera pas. Certainement si l’Autriche veut garder la Lombardie, il y aura la guerre. Je n’ai pas grande estime de la République, ni des Italiens. Mais je ne puis croire que ni les Italiens, ni la république acceptent à ce point les victoires de Radetzky. En même temps je ne puis croire que l’Autriche n'accepte pas cette occasion de sortir glorieusement de la Lombardie qui la compromet, pour s’établir solidement dans la Vénétie qui la couvre. Je croirais donc au succès de la médiation Anglo-française si Charles-Albert n’était pas dans la question. Mais les Lombards, qui ont eu tant de peine à vouloir de Charles-Albert sauveur, ne voudront plus de Charles-Albert vaincu, et l’Autriche aimera mieux donner la Lombardie à tout autre qu'à Charles-Albert. C'est de là que viendront de nouvelles difficultés, et la nécessité de nouvelles combinaisons. L’Autriche y trouvera peut-être son compte, soit pour fonder au nord de l'Italie quelque chose qui lui convienne mieux que Charles-Albert, soit pour empêcher que rien ne s'y fonde. Si Charles-Albert ne gagne, ni la Lombardie, ni la Sicile, ce sera un grand exemple de justice providentielle. Il se passe quelque chose à Madrid que je ne comprends pas. Pidal ministre des Affaires étrangères c’est bon. Mais pourquoi Moss, son beau-frère, quitte-t-il Madrid pour Vienne ? Et que signifie l’arrestation de Gonzales Bravo ? En avez-vous entendu parler ? Brignole n’est donc pas rappelé. Je le vois toujours en fonctions. Je viens de recevoir la nouvelle Assemblée nationale. Très fidèle à l’ancienne. Le seul journal qui sans dire le mot, se donne nettement pour monarchique. Quelle est l’attitude de la Presse ? Je trouve les Débats bien faits, et tirant bon parti de leur modération pour faire ressortir l'incurable instabilité de ce gouvernement qu’ils n'attaquent point. J’ai ce matin des nouvelles de Claremont. Assez bonnes. On y est de l’avis de M. Flocon et on se tient fort tranquille. J’ai aussi des nouvelles d’Eisenach. On s’y porte bien ; on y vit dignement ; en grande partie aux frais de la Duchesse de Mecklembourg. Sans voiture. Le petit Prince a reçu la visite de quelques camarades de Paris. Adieu.
Pauline va bien. Je n’ai plus aucun sentiment d’inquiétude, Sir John aussi ira mieux. Adieu. Adieu. Vous ne me dites pas si votre fils est parti. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 10 août 1848 Jeudi
midi

Lord John était très préoccupé de l’Allemagne surtout. Qu’est-ce que veut dire cette immiscion dans les affaires d’Italie ? Cette guerre au Danemark ? Ces prétentions sur le Limbourg de quoi se mêle Francfort ? Mais ni nous, ni la France, ni la Russie, ni la Prusse probablement ne peuvent le permettre. Nous espérons dans Wessemberg qu'il ait un esprit sage. Quand au Pce de Linange sa nomination nous déplait fort. La Reine est très fâchée. Nous pouvons être dans le cas de faire très mauvais ménage avec son frère. Sur l’Italie, il m’a donné à entendre que la médiation de la France & de l'Angleterre aurait pour base l'Adige. Mais d’un côté il ne sait pas si l’Autriche voudra s’en contenter après les victoires de Radzki, de l’autre il ne me semblait pas très sûr de la France qui a proclamé l’indépendance de l’Italie toute entière. Ensuite, il me dit quoique Cavaignac & Bastide. parlent dans le meilleur sens, on n’est cependant jamais très sûr du même langage deux jours de suite. Enfin il n’était pas très stons en fait de confiance, mais certainement extrêmement anxious d’éviter la guerre. On va faire venir la Reine à Londres pour un conseil où on reconnaitra la république française, et elle recevra. Talleney. Il m’a dit, " et vous aussi vous avez dit que vous reconnaîtriez." Je n’en sais rien. Le Morning Chronicle annonce ce matin que Gustave de Beaumont est nommé ministre à Londres. Ce serait du Thiers n’est-ce pas ? Voici une lettre du duc de Noailles. Renvoyez la moi après l'avoir lue. Constantin m’écrit : " Si l'armée allemande entre dans le Lettland nous intervenons et la guerre en est la conséquence. Que fera la Prusse ? Se soumettra-t-elle à Francfort ? S’exposera-t-elle à voir ses provinces envahies par notre armée ? Ou se joindra-t-elle à nous qui seule pouvons la soutenir et la rendre à son honneur national. " Les réponses de Lord Lansdown à Stanley semblent équivalentes à l’aveu que la flotte anglaise s'opposera de force à l'envoi des troupes napolitaines, contre la seule ses réponses confirment aussi de tous points ce que Lady Holland vous avait dit. Quelle conduite ! Lisez le leading article du Times ce matin, admirable. Que de topics, sur lesquels nous aurions à parler à perte d’haleine. Quel dommage, quel dommage d’être si loin. Votre petit mot ce matin est bien court. J'espère mieux demain. J'ai déjeuné hier chez la duchesse de Gloucester, bonne femme. Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park Vendredi 11 Août 1848,
Onze heures

Tallenay n'a pas réussi à se faire laisser l’honneur de la reconnaissance de la République. Gustave de Beaumont est un honnête homme et un gentleman. Plus de mouvement d’esprit que d’esprit, modéré d’intentions et emporté de tempérament. Point Thiers du tout. Opposé à Thiers, autrefois, quand ils étaient ensemble dans l'opposition. Rapproché de lui aujourd’hui par la nécessité, mais au fond méfiant et hostile. Un des plus actifs de la tribu Lafayette dont il a épousé la petite-fille.
On dit à Paris que Tallenay est rappelé pour m’avoir salué et dit bonjour dans la rue, ce qu'il n'a pas fait. Je serais étonné si Gustave de Beaumont, me rencontrant, ne le faisait pas. Puisque la médiation commune a lieu sérieusement, je penche à croire qu’elle réussira, au début du moins. Les embarras et peut-être les impossibilités viendront après. L'Italie ne sera pas réglée. Mais la République y aura gagné d'être reconnue, et l'Angleterre d'avoir engagé la République dans la politique pacifique au moment de la crise.
Je reviens à ce que je vous disais hier, je crois ; le Président Cavaignac sera une seconde édition du Roi Louis-Philippe. Résistance et paix. Avec bien moins de moyens, de se maintenir longtemps sur cette brèche, où il sera bientôt encore plus violemment attaqué. Ce qui est possible, ce qu'au fond de mon cœur je crois très probable, c’est que les trois grosses révolutions de 1848, France, Italie et Allemagne n'aboutissent qu'à trois immenses failures. Pour la France et l'Italie, c’est bien avancé. L'Allemagne trainera plus longtemps, mais pour finir de même. Grande leçon si cela tourne ainsi. Mais le monde n’en sera pas plus facile à gouverner. Excepté chez vous, l'absolutisme est partout aussi usé et aussi impuissant que la révolution. Et il n’y a encore que la société anglaise qui se soit montrée capable d’un juste milieu qui dure. Je suis dans une disposition singulière et pas bien agréable ; chaque jour plus convaincu que la politique que j’ai faite est la seule bonne, la seule qui puisse réussir et doutant chaque jour d'avantage qu’elle puisse réussir. La lettre que je vous renvoie est très sensée. Je vous prie de la garder. Je vous la redemanderai peut-être plus tard. Si c’est là une chimère, c’est une de celles qu'on peut poursuivre sans crainte car en les poursuivant on avance dans le bon chemin.
Savez-vous notre mal à tous ? C’est que nous sommes trop difficiles en fait de destinée. Nous voulons faire, et être trop bien. Nous nous décourageons et nous renonçons dès que tout n’est pas aussi bien que nous le voulons. J’ai relu depuis que je suis ici, la transition de la Reine Anne à la maison d’Hanovre, et le ministère de Walpole. En fait de justice, et de sagesse, et de bonheur, et de succès, les Anglais se sont contentés à bien meilleur marché que nous. Ils ont été moins exigeants, et plus persistants. Nous échouerons tant que nous ne ferons pas comme eux. Je vous envoie avec votre lettre un papier anonyme qui m’arrive ce matin de Paris, par la poste. Les Polonais sont aussi mécontents de la République que le seront demain les Italiens. Je suppose que l’un d’entre eux a voulu me donner le plaisir de voir que je n'étais pas le seul à qui ils disent des injures. La grosse affaire à Paris, c’est évidemment le rapport de la Commission d'enquête. De là naitra, entre les partis, la séparation profonde qui doit engager la lutte définitive qui doit tuer la République. Dumon m'écrit : « Si je trouve Londres trop triste, j'aurais assez envie d'aller attendre à Brighton le jour où nous pourrons rentrer en France, le jour me semble encore assez éloigné. C’est déjà bien assez pour Cavaignac d'avoir à mettre en jugement les fondateurs de la République sans qu’il se donne l’embarras de mettre en même temps hors de cause les ministres de la monarchie. » Tous les procès à vrai dire, n'en font qu’un et il n’est pas commode à juger. On l’ajournera, tant qu’on pourra. Adieu.
J’aurai demain votre lettre à Lowestoft. Je pars à 4 heure. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, Dimanche 13 août 1848
Une heure

Certainement, je suis triste. Je vous ai dit mille fois que, sans vous, j'étais seul. Et la solitude, c’est la tristesse. Je la supporte mais je n’en sors pas. Les Anglais n’y sont pour rien. Dans la belle Italie, je ne serais pas autrement. Peut-être l'Italie me dispenserait-elle d’un rhume de cerveau qui me prend, me quitte et me reprend sans cesse depuis quatre jours. Je me suis déjà interrompu deux fois en vous écrivant pour éternuer trente fois. J’espère que la mer, m'en guérira. La mer n’est pas humide. Décidément, en ceci, je ne suis pas comme vous. J’aime la mer devant moi. Elle ne m’attriste pas. Elle est très belle ici. Et cette petite ville est propre, comme un gentleman. Mes enfants commencent à se baigner demain. Aurez-vous quelqu’un à Tunbridge Wells ? Je ne vous veux pas la solitude, par dessus la tristesse. Il me semble qu’à Richmond lord John, Montebello et quelques visites de Londres ou à Londres sont des ressources que vous n'aurez pas ailleurs. Il est vrai que j’entends dire à tout le monde que Tunbridge est charmant. C’est quelque chose qu’un nouveau lieu charmant, pour quelques jours.
Il me revient de Paris qu'on n’y croit pas plus que vous au succès de la médiation. Ce n'est pas mon instinct. Si la situation actuelle pouvait se prolonger sans solution, je croirais volontiers que la médiation échouera. Elle vient, comme vous dîtes, plus qu'après dîner. Mais je ne me figure pas que l’Autriche se rétablisse purement et simplement en Lombardie et Charles Albert à Turin. Les Italiens conspireront, se soulèveront, la République sera proclamé quelque part. La République française sera forcée d’intervenir. C’est là surtout ce qu’on veut éviter par la médiation. Il faut donc que la médiation aboutisse à quelque chose, que la question paraisse résolue. Elle ne le sera pas. Mais à Paris et à Londres on a besoin de pouvoir dire qu'elle l’est. Pour sortir du mauvais pas où l'on s'est engagé. Tout cela tournera contre la République de Paris mais plus tard. On m'écrit que ces jours derniers le général Bedeau, dans des accès de délire criait sans cesse. "Je n’avais pas d’ordres! Je n'avais pas d’ordres." Vous vous rappelez que c’est lui qui devait protéger et qui n’a pas protégé la Chambre le 22 février.
Je suis bien aise que Pierre d'Aremberg soit allé à Claremont. Tout le travail en ce sens ne peut avoir que de vous effets soit qu'il réussisse ou ne réussisse pas. Quand on était à Paris, en avait assez d'humeur contre Pierre d’Aremberg qu'on ne voyait pas. Je suppose qu'on aura été bien aise de le voir à Claremont. A Claremont on est d’avis que la meilleure solution de la question Italienne, c'est de maintenir l’unité du royaume Lombardo-Vénitien en lui donnant pour roi indépendant un archiduc de Toscane. Idée simple et qui vient à tout le monde. Je la crois peu pratique. Un petit souverain de plus en Italie, et un petit souverain hors d’état de s'affranchir des Autrichiens, et de se défendre des Italiens. Ce serait un entracte, et non un dénouement. Je doute que personne veuille se contenter d’un entracte. Adieu. Adieu.
C’est bien vrai, les blank days sont détestables. Demain sera le mien. Votre lettre de Vendredi m'est arrivée hier, à 10 heures et demie du soir. Je venais de me coucher. Je m'endormais. On a eu l’esprit de me réveiller. Je me suis rendormi mieux. Je viens de recevoir celle d’hier samedi. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Lundi 14 août.
Midi

J’ai vu hier Lord Palmerston à Holland House. Il ne savait pas si l’armistice était ou non une conséquence de la médiation commune. Les courriers n’étant partis de Paris que Mardi dernier. Il me parait que ce n’est pas eux qui ont pu décider. On bavardait beaucoup là hier. La Lombardie à la Toscane. Voilà l’idée générale, dans tout cela voyons le dernier mot de l'Autriche. L’article du Moniteur est fort important. Évidemment chez vous on veut la paix, et on compte encore sur notre bon vouloir pour la république. L'Allemagne fait le plus gros, des embarras. Kielmannsegge me disait encore hier que les têtes y sont tout-à-fait renversées. Vous voyez que la France aussi se mêle d’arranger l'affaire des Duchés. L’entente entre Paris et Londres embrasse sans doute toutes les questions en litige. Le Manifeste du Prince de Linange serait bien plus critiqué s’il ne serait pas du frère de la Reine. Mais avec cela même, on en parle avec grande désapprobation. Je n’ai rien lu de plus fou & de plus bête. On dit que Strockmer la croit, c’est impossible. Il a plus d'esprit que cela.
Voilà de la pluie à verse. Quel climat, quelle tristesse. Comment iront les bains de mer avec cette pluie ? Et puis vous viendrez me dire qu'on n’a pas pu prendre les bains, qu'il faut donc prolonger. Je n’accepterai pas cela. Voilà votre lettre. Seul plaisir, seule ressource. Mais quand viendra le temps où nous ne songerons plus aux ressources ?
J'ai rencontré hier Dumon aussi à Holland house. Il songe beaucoup à s’établir à Brighton le mois prochain pour la mauvaise saison. Aggy va un peu mieux. Elle m’a écrit elle même. Je ne donne pas encore de rendez-vous à Pierre d’Aremberg car je n'ai rien décidé sur Tunbridge. J'attends toujours pour un appartement. Adieu, adieu. Comme c’est long.
Voici mes réponses de Tunbridge Wells. Pas d'appartement du tout. Tout est pris. Je reste donc ici. Cela va faire plaisir à Montebello, il est bien accoutumé à mon bavardage. 

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, Dimanche 20 Août 1848
Une heure

Je quitterai Lowestoft le vendredi 1 ou le samedi 2 septembre. Je n’ai pas voulu vous le dire avant d'en être sûr. J’arriverai à Brompton vers 7 heures du soir. Si vous étiez à Londres, je vous verrai le soir même. Mais à Richmond, je ne puis vous voir que le lendemain. Ainsi à Samedi 2 ou Dimanche 3. D’aujourd’hui en quinze, au plus tard. Oui, c’est bien long. Je regrette bien que votre fils soit parti. J’avais un peu espéré qu’il trainerait jusqu’à mon retour, ou bien près. Quel plaisir de vous retrouver !
Je ne crois pas à Pierre d’Aremberg, même doublé de Lady Palmerston. Si une telle issue est jamais possible, ce ne peut-être qu’après un bien plus long et bien plus mauvais chemin. Mettez les uns au bout des autres, tous les partis, qui sont contre, et mesurez ce qu’il faut pour qu’il s'en détache successivement de quoi grossir assez le parti pour. Je ne suis pas aussi éloigné d'admettre ce qu’on vous a dit de la Duchesse d'Orléans, et je me l'applique un peu. Rappelez-vous ce que je vous ai dit de ce qui lui a été répondu et conseillé de Claremont. - Ne pas décourager ; n'admettre, ni ne repousser. Il se peut qu’elle ait écrit dans ce sens. Vous voyez déjà paraître ces vanités de parti qui ont déjà fait et qui feront encore tant de mal à ces combinaisons- là. Pierre d’Aremberg veut que la Duchesse d'Orléans ait pris l'initiative. Le Roi m’a dit qu'elle avait reçu des ouvertures. C'est aussi ce que m’avait à peu près dit le duc de Noailles. Je n'ose vraiment pas apprécier, ce qu’il faudrait de temps et de malheur pour forcer les vanités et les impertinences mutuelles des deux partis à se subordonner à leur bon sens. Ils se seraient sauvés vingt fois, l’un et l'autre depuis 60 ans. S'ils avaient su le faire. Mais ils ont toujours mieux aimé être battus chacun à son tour que puissants ensemble. Je serai bien heureux et bien étonné si jamais ils se guérissent de cette sottise. Nous n'avons ni vous ni moi jamais vu un tournoi, et ces grands coups de lances émoussées qui faisaient la gloire des chevaliers et le plaisir des Dames. Les tournois de paroles ont remplacé les tournois de lances. Mais plus vif, plus brillant. Lord Palmerston est plus réfléchi, plus calculé. Je ne sais si les spectateurs se sont bien amusés ; mais à coup sûr les acteurs ne se sont pas fait grand mal. Et n'admirez-vous pas la badauderie du Journal des Débats qui n’a pas assez de termes pour louer Lord Palmerston ? Ce n’est pas tout-à-fait de la badauderie. Le Journal des Débats, et avec grande raison ne veut pas de la guerre et il sait très bon gré à Lord Palmerston de la main courtoise qu'il tend à la République pour l'aider à sortir du défilé où ses vanteries l'avaient engagée.
M. Reeve m'écrit : " Je suis allé à Hertford House, voir M. de Beaumont. Son langage est identique avec la politique qu’on a pratiquée avec succès pendant bien des années dans le même hôtel. En fait, ils ne trouvent rien de mieux à faire que ce que vous avez fait ; alliance anglaise, entente cordiale, politique modeste, tout y est, moins peut-être la bonne foi. Ils se soucient fort peu de l'Italie, mais uniquement des engagements d’honneur que la France a pris dans cette affaire et ils acceptent d'avance toute espèce de transaction."
L’Autriche peut ne consulter que sa propre sagesse et réduire la transaction au strict nécessaire. Pourvu qu'il y ait un air de transaction, on en passera par ce qu’elle voudra. Ce que vous a dit Lady Palmerston de M. de Beaumont est très vrai. Point du grand monde, ni grand esprit. Gentilhomme honnête et littéraire. Pas assez d’esprit pour avoir du bon sens d'avance. Assez de droiture pour en retrouver au dernier moment. De ceux qui ouvrent la porte aux coquins et aux fous, et qui essayent de les contenir quand ils les ont fait entrer. Il n’aura ni à Londres, ni à Paris point d'influence réelle ; il ne fera et n'empêchera rien ; mais c’est un nom décent sur ce qu’on fera. Voilà les pièces communiquées. Il faudra bien donner la fin après le commencement. Je penche toujours à croire à un débat avorté, à un vote insignifiant. A moins que la passion insolente de MM. Ledru Rollin. Louis Blanc et Caussidière ne force le parti modéré à enfoncer l'épée jusqu'à la garde. Ce ne sera pas Odilon Barrot qui le fera. Je doute que Thiers s'en mêle. Si le débat n’avorte pas, il en sortira, un gros événement.
J'ai bien de la peine à avoir un avis décidé sur la rue St Florentin. Cela me plairait que vous le gardassiez. J’aime les bonnes apparences. J'y crois même un peu. Mais vous m'avez dit que vous étiez ruinée, que vous dépassiez votre revenu. Ce sera une grosse charge. Rothschild abusera de votre envie. Et qui sait pour quel temps ? S'il ne vous demandait pas de faire un bail, s’il vous laissait l’appartement de six en six mois, ce serait plus praticable. Adieu. Adieu. En tout cas, j'aime que nous débattions cette question. Adieu. Je suis charmé que nous ayons un jour fixe.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft Lundi 21 août 1848
Midi

Mauvais jour. Pas de lettre et une violente tempête. Vous n'aurez que du petit papier. J’ai passé ma matinée à lire une immense discussion de la Chambre des communes sur Vancouver Island. Un vraiment très beau discours de M. Gladston. Peu agréable pour Lord Grey. Il est en bien grand déclin. Vous ne regarderez jamais à Vancouver Island. Il y aura pourtant là un jour un grand Empire... Anglais ou Americain. C'est là la question This is a great subject, dit M. Gladstone the small begining of a great subject. As Wordsworth our greatest modern pact said : " The boy is father to the man." Le discours est tout-à-fait beau, et a eu un grand succès. Ch. Buller a défendu lord Grey, spirituellement et sensément mais petitement. Je n'ai rien de mieux à vous dire. Si vous étiez là, nous parlerions de tout. Qu’y avait-il donc de si charmant dans ma lettre du 16 ? Je ne me rappelle que quelques phrases sur l'Impératrice qui en effet pourront lui plaire. Les siennes m’avaient beaucoup plu.
Voilà donc l'Empereur rentré à Vienne. Comme les choses qui se ressemblent le plus se ressemblent peu ! Tout le monde a dit que c’était une seconde édition de la fuite de Varennes. Mais ici le retour est une fête. L’Autriche est encore bien monarchique, son histoire est la seule belle de ce moment. L'archiduc Jean à Francfort et Radetzky à Milan. M. de Metternich doit être bien content que cela soit fait, et un peu triste de ne l'avoir pas fait. Pas plus de nouvelles, ce matin de Paris que de Londres. Je ne suppose pas que le débat sur l’enquête ait pu commencer aujourd’hui. On attendra la fin de la distribution des Papiers. Les journaux anglais traitent le Général Cavaignac aussi bien que les journaux français Lord Palmerston. De part et d'autre, on s'amadoue. On a raison. Adieu. La tempête ne se calme pas. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond jeudi le 31 août 1848

Ceci va à Brompton, quelle victoire. Je viens de recevoir votre lettre. Combien nous aurons à nous dire ! Je persiste à me trouver Samedi sur le port de Putney à 4 1/2 ne le dépassez pas si par hasard vous étiez là avant moi, car il y a deux routes, je vous trouverai près de l’Eglise, ou bien c’est vous qui m'y trouverez. J’ai été voir Lady Palmerston hier. Elle est malade. Elle m’a dit : " M. de Beaumont est très agréable nous l’aimons bien, & puis il dit une chose bien vraie, c’est que la république peut être mille fois plus facile ou docile pour l'Angleterre que ne le serait jamais une monarchie. Ainsi pour le moment mon mari trouve aussi que c’est très bon. " Sur l’Italie. " Mon mari dit qu'après tout Charles Albert est très injustement accusé. Les Milanais se révoltent, chassent les Autrichiens et l’appellent lui à leur secours ! Pourquoi ne l'aurait il pas donné ? " Vous voyez l’indulgence & la disposition. Pas de réponse encore de l’Autriche le National a vu cela aujourd'hui un article très menaçant. Je viens de lire dans le Times votre discours à Yarmouth, extrêmement bien, & évidemment exact parce qu'il y a même quelques fautes de langue. Never mind. Il n’y en a qu’une positive. C'est le mot awfull. Vous voulez dire solennel ou imposant, et vous avez dit effrayant. Mais au total c'est un discours qui a dû faire beaucoup d’effet & de plaisir et qui est d'une grande connivence.

6 heures.
Je vous écris au milieu d’un orage effroyable. Voici deux heures qu'il dure. J’étais rentrée heureusement une minute avant d’une visite faite chez la Duchesse de Cambridge. J’y ai rencontré la prince Metternich. Quel ton ! C'est de plus fort en plus fort. Rien de nouveau. Elle annonce au nom de son mari que Septembre sera horrible, du massacres par tout. Enfin l’apogée de la révolution en Europe. Nous bavarderons bien sur tout cela. C'est bien long encore après demain. S’il pleuvait lorsque vous arriverez à Putney bridge vous savez que l’entrée des ponts est à couvert, & que vous pouvez vous abriter chez le turnpike keeper. Mais j'y serai avant vous. Je vous écrirai encore demain. Adieu. Adieu. Comme Samedi est loin. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mercredi 6 septembre
1 heure

Savez-vous que je trouve le discours de la Reine très bien. & la partie extérieure d'une mesure et convenance parfaites ? Ne le pensez-vous pas aussi ? J'aime assez les Débats ce matin. Langage toujours dédaigneux pour les travaux de l'Assemblée, et puis la fin « puisque le suffrage universel envoie des gens qui ne savent pas lire, à quoi bon la liberté de la presse ? »
Positivement la question italienne dort, on veut du moins le faire croire. Je crois toujours que c'est un calcul pour ne pas effrayer la bourse, et qu’en attendant on prépare, & on fera une petite démonstration à la façon d’Ancône, pas autre chose. Je n'ai rien absolument à vous dire.
Montebello part demain, c’est certainement un chagrin pour moi. J’ai fait la lettre pour Bulwer, bonne, je crois. Ne pensez-vous pas qu'on remarquera, avec un peu de dépit à Paris que la France n’est pas appelée république dans le discours de la Reine ? Moi, je trouve cela très bien. Adieu, car je n’ai pas autre chose à vous adresser adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mercredi 6 septembre
6 heures

J’avais tout-à-fait oublié une promesse de dîner vendredi chez miss Mitchell. Elle est venue me le rappeler tout à l’heure en me disant que M. de Beaumont y dinait aussi et à 6 heures tout exprès pour moi. Voyez donc, je crois qu’il vaut mieux que j'y aille. Pourriez-vous dès lors venir me voir vendredi matin ? What do you think ? Voici les Holland, mauvais moment car je veux dîner.
6 1/2 Salvandy n’était pas attendu du tout dimanche. Cela l’a fort embarrassé, & par-dessus le marché il arrive avec son fils. Les Holland craignent que le speech ne plaise pas à Paris. Deux mots y manquent la reconnaissance & la république. Mais au fait quoi reconnaître ? & ceci ressemble-t-il à une république ? Ils me disent que le roi est tout à la guerre. Non sense. Adieu. Vous me direz si vous venez vendredi et à quelle heure pour que ma voiture soit là. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Jeudi 7 Sept 1848
8 heures

Je suis arrivé hier trop tard pour vous écrire. Je ne vous dirai pas grand chose ce matin. Demain à dîner. Visite intéressante et utile. Très bonne disposition. Peu d’espérance et beaucoup de sagesse. Quand je dis peu d’espérance, je veux dire peu d’espérance pour le bon gouvernement de l'avenir. Grand effroi des difficultés, peut-être des impossibilités. Le monde s’en va. Ce qui est aujourd'hui s'en ira certainement. Mais comment fera, pour ne pas, s'en aller aussi ce qui viendra après, quoique ce soit assez de penchant à croire qu’il a été la dernière bonne chance, et que n'ayant pas réussi, rien ne réussira. Un peu moins d’inquiétude sur ses intérêts privés mais se créant à lui-même, sur ce point toutes sortes de questions et d'embarras. Extrêmement préoccupé des chances de guerre. Si elle éclate ce n’est plus seulement le monde qui s’en va c’est le monde qui finit. Guerre générale. Un peu plus tôt, un peu plus tard, l'Angleterre y sera attirée. En résumé, tout son ancien esprit, point d’esprit nouveau. Rien n'entre plus. Assez blessé et je le comprends de cette parfaite similitude, égalité établie, dans le discours de la Reine, entre les rapports actuels des deux pays et les rapports antérieurs. Vous aurez bien vu, en lisant le discours que je ne l’avais pas bien entendu. Encore bien plus blessé de l’article du Times d’hier. Les Princes sont allés au Parlement par égard, pour la Reine qui leur avait envoyé des billets. Cela seul aurait dû les faire traiter eux-mêmes avec plus d'égard.
Très bonnes nouvelles d'Espagne et de Séville en particulier. Attendant la nouvelle de l'accouchement. Le Duc et la Duchesse de Montpensier en très bonne position, même auprès des Progresistas qui les épouseraient, au besoin. Quelque inquiétude, non pas sur, mais pour Narvaez. Il pourrait bien être remplacé par O’Donnell, sans que le pouvoir sortît des mains des modérés. La Reine Christine pourrait bien vouloir cela, pour se raccommoder un peu avec Londres. Penchant à croire qu'elle aurait tort, mais ne s'en inquiétant pas beaucoup. L'important, c'est le pouvoir de la Reine Christine et des moderados, et celui-là n’est pas du tout compromis. Grande satisfaction de la correspondance d'Eisenach. L’attitude y est bonne et en parfaite harmonie avec celle de toute la famille. Mais on dit que la Duchesse d'Orléans a maigri. J'ai vu les trois Princes qui revenaient de la chasse. On leur a donné la chasse de l'Avemont. Grand soulagement à l'ennui.
J’ai rencontré en revenant la Reine douairière qui y allait. Et j'y rencontre toujours Lady Cowley, et Georgina. Nous sommes revenus d'Esher ensemble. Le reste à la conversation de demain.
En fait d’intérêts privés, je vous donnerai des nouvelles du procès qui vous touche. Je crois qu’il y a bien des chances d’arrangement. Je vous dirai ce que vous auriez à dire pour y aider. J’attends votre lettre à 9 heures. Mais je ferme celle-ci pour qu’elle parte tout de suite et que vous l'ayez dans la journée. Si quelque chose m’arrive, je vous écrirai ce soir. En tout cas, à demain dîner. Adieu Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Lundi 30 Octobre 1848
8 heures
Je pars aujourd’hui pour Cambridge à 2 heures. Cela ne me plaît guères. Nous serons plus loin. Je crains le retard des lettres. J’étais en train de travail. Quand vous n’y êtes pas, c'est mon amusement. Je fais de la très bonne politique. Trop bonne. Toujours la même faute. Je puis vous le dire à vous. Je puis être avec vous aussi orgueilleux qu’il me plaît. Vous savez que je suis modeste en même temps qu'orgueilleux.
Point de nouvelles hier. Je suis allé voir Duchâtel qui n’en avait pas plus que moi. Nous verrons le courrier d’aujourd’hui. Il ne nous apportera pas grand chose. Nous vivrons dans le statu quo jusqu'au 10 Décembre. Mais nous comprendrons mieux une situation vraiment obscure pour moi. Duchâtel soutient que notre procès finira aussi tôt après l'élection du président. Par une ordonnance de non lieu. Si Louis Bonaparte est nommé et Thiers son ministre, il est impossible que notre procès ne finisse pas tout de suite malgré le peu d'envie.
Lisez je vous prie, attentivement le Constitutionnel. Cherchez y Thiers envers Louis Bonaparte. Là est la clef de l'avenir. D'un avenir qui dans aucun cas ne sera bien long, j’espère, mais qui pourrait être très court si Louis Bonaparte n’épousait pas Thiers. Vous devriez engager Marion à écrire à Madame de La Redorte et à la questionner un peu. Peu importe que les réponses soient des mensonges. Vous voyez clair dans le mensonge comme dans la vérité.
Les histoires des Gardes nationaux de Paris ne finissent pas. Le Duc de Somerset a demandé à Panton Hôtel, Panton Street, qu’on en priât quatre à dîner chez lui, n'importe lesquels. On lui en a envoyé quatre dont il a fait une exhibition. Entre autres un Capitaine Gonet qui est un beau parleur, et qui s’est fait l’intermédiaire entre tous ses camarades et la légation de la République à Londres. M. de Beaumont est assez embarrassé de la visite de quelques-uns à Claremont. Il a fait un rapport à ce sujet, fort modéré, atténuant au lieu de grossir. Cependant on croit qu’il y aura quelque mesure prise à Paris, qu’on défendra ces visites en uniforme hors des frontières. Il me paraît qu'à tout prendre l’excursion nationale n’a pas beaucoup plu à Paris. Entre les promeneurs eux-mêmes, il y a un peu de mauvaise humeur. Ceux qui ne sont pas allés à Claremont se sont plaints d'être compromis par ceux qui y sont allés. Ceux-ci se sont fâchés. On dit qu'au retour à Calais, il y aura quelques duels. Ici, évidemment, le peuple les a pris en très bonne part. Adieu.
Je vais faire ma toilette. Je vous reviendrai après la poste. Savez-vous ce qu'a fait Guillaume avant-hier dans un metting où les jeunes gens de King's college se réunissent les samedi pour s'exercer à parler ? Il a fait un speech en Anglais pour M. de Metternich qu’un autre attaquait comme l'auteur, par son obstination, des malheurs de l’Autriche. Guillaume a fait l’apologie de la consistency politique. Assez bien pour être fort cheered et pour faire voter à une voix de majorité, que la consistency était une vertu, non pas un tort. Il m’a redit son speech qui n’était pas mal. Il a pour la politique une passion au moins aussi effrénée que celle de mon garde national d’avant Hier. Midi Je suis désolé que ma lettre vous ait manqué, Elle a été mise à la poste avant 5 heures Peut-être est-ce trop tard pour Brighton. Celle-ci sera mise avant l’heure, par Guillaume que j'envoie exprès. C'est votre seul chagrin de Brighton que je regrette beaucoup. Je prends mon parti des autres. J’ai eu tort de ne pas insister davantage pour vous y conduire moi-même. Je n’aime pas que vous ayez peur et froid toute seule. Adieu Adieu.
Je n'ai qu’une longue lettre de Bruxelles, d’Hébert. Adieu. G. Mes amitiés à Marion, je vous prie.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton le 9 Novembre 1848
7 heures

Voici pour vous divertir. Je me suis promenée. Le temps est charmant. Lady Holland, et Vandermeyer sont venus. Il a de l’esprit mais pas tant que je pensais. Je suis devenue difficile. Vous aurez eu ce soir ma lettre de ce matin avec son incluse. La Duchesse de Glocester vient d’offrir au roi sa maison dans le parc. Les Holland vont lui offrir Holland house. Vraiment ils seront trop mal au Star & Garter, quant à mon appartement on le ferme en hiver, parce qu’il est trop froid. Adieu. Adieu. Bugeaud dit de Cavaignac c'est une vache dans une peau de tigre.
Je vous prie ne citez à personne ce que je vous envoie là. Cela pourrait revenir à mon informateur, et il m'en demande fort le secret. Louis Bonaparte à d'Orsay. 29 octobre. " J’ai appris avec peine que le ministère Anglais avait écrit très défavorablement à mon égard. Il me semble que par ma conduite en Angleterre, et par les sentiments que j'ai manifestés, j’avais droit d’attendre plus de bienveillance. Dites-là où vous êtes que j’espère qu'on reviendra sur mon compte ? D'Orsay ajoute. Je ne crois pas que le gouvernement anglais aurait été si imprudent et s'inquiète. Car malgré qu'il se mêle si infructueusement partout, sa prudence l'empêcherait de n'avoir rien à faire avec le choix d’un président en France, et il serait trop juste pour n’avoir pas oublié que Napoléon a couru le risque de la popularité en se faisant dire spécial constable ici, par respect pour les lois de ce pays, qu'il vénère. (plus loin) mon ami sera le véritable Napoléon de la paix. Il ne compromettra pas l’entente cordiale pour des questions dynastiques & &&
J’ai copié textuellement. Je vous dirai quand je vous verrai à qui la lettre est écrite. J’ai l'original qu'il faut que je renvoie beau français !
Autre bout de lettres dont je ne connais pas l’auteur, mais qui me vient de la même source. " tu me fais sourire quand tu me parles des Orléanistes. Nous ne connaissons ici que la république simple, la rouge, démocratique et sociale. Les Légitimistes (parti formidable). Puis enfin les Bonapartistes. ce qu’il y a de certain c’est qu’en cas des mouvements je crois que la garde nationale resterait chez elle, que la ligue fort jalouse de la mobile ne s'unirait point à elle, et qu’il est presque impossible au milieu de ce chaos d'imaginer quels seraient les assaillis ou les assaillants ! Quant à l’artillerie de la garde nationale elle est d'un rouge effroyable ! Voilà ce que je sais, & je défie bien que de tout ceci on puisse tirer une conclusion quelconque.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton Samedi le 11 Nov. 1848
9 heures

Je vous renvoie la lettre du Duc de Noailles. Sensée. Tout ce que vous me dites & tout ce qui revient de là prouve encore de l’incertitude sur la présidence, et Cavaignac m'apparait toujours comme un grand malheur. Mais avec l’autre aussi quelle confusion. C'est égal j'aime mieux l’autre. Votre élection dans le Calvados me trouble horriblement. J'espère encore qu’elle ne se fera pas. Prenez-y de la peine. Mais si le malheur voulait que vous fussiez élu, ne serait-il pas simple de leur écrire que ne pouvant par les servir de la prison vous les priez d’attendre, ou d'en prendre un autre. C'est bien clair que vous ne devez pas aller à Paris, à aucun prix. Dites-moi que c’est votre avis.
Peel m’invite à Drayton, mais évidemment avec peu d'espoir que j’accepte. C'est trop loin, je ne suis pas capable de ces tours de jeunesse. Je n’ai rien à vous dire ce matin. Les journaux anglais ne sont pas là encore, et mes Français vont se promener à Bedford. On prend l’hôtel pour la forme. Adieu. Adieu. et toujours Adieu.
Malgré les conduites et les citernes je trouve les accidents de Claremont un peu équivoques. Savez-vous, ce qu’ils comptent faire, car Richmond ne doit pas être tenable ? Adieu. Adieu.

Lady Holland me dit qu'on adore Cavaignac au foreign office, on est convenu avec lui de certains arrangements dans l'Orient. Contre nous sans doute. Normanby et Jérôme Bonaparte qui étaient amis intimes sont brouillés tout-à-fait depuis le mois de Mai, je vous conterai cela, rappelez le moi. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Drayton-manor. Samedi 18 nov. 1848
5 heures

Nous nous sommes promenés ce matin dans le parc. Nous avons longtemps causé, Sir Robert et moi. Curieuse conversation où il y avait de quoi rire de l'un et de l'autre interlocuteur, si bien que j’en riais en parlant. Nous n'étions tous deux occupés qu’à nous démontrer que nous avions bien fait, lui de briser, à tout risque, le parti conservateur pour réformer la loi des céréales, moi d’ajourner, à tout risque, la réforme électorale pour maintenir le parti conservateur. Et je crois en vérité que nous nous sommes convaincus l’un l'autre. Mais il se fondait surtout sur ce qui est arrivé en Europe " Que serions-nous devenus, au milieu de ce bouleversement si la loi des céréales eût subsisté ? " En sorte que c’est nous qui en tombant lui avons fourni son meilleur argument.
Il me paraît avoir en ce moment une nouvelle idée fixe, c’est l’énormité partout de la « public expenditure. " Cela ne peut pas aller, on ne le supportera pas ; il faut absolument trouver un moyen de réduire, partout, les dépenses de l’armée de la marine d'avoir vraiment le budget de la paix. "Je n’ai pas manqué une si bonne occasion! " Si vous n'étiez pas tombé, si je n'étais pas tombé, cela eût peut-être été possible. La France et l'Angleterre conservatrices et amies, pouvaient se mettre sur le pied de paix, de paix solide et y mettre tout le monde. Mais aujourd’hui, sans vous, sans nous, il n'y a pas moyen. Les révolutions ne désarment pas. On ne désarme pas en présence des révolutions. " Cela lui plaisait. Il ne croit pas au bruit du fils de lord Cottenham. Il écarte la conversation sur ce sujet. Par précaution et par goût. Il n'aime pas cette perspective.
Le dean de Westminster et M. Hallam sont arrivés ce matin. Jarnac ne vient décidément pas. Il est toujours malade. Mon lit était très bon hier soir. Ma Chambre est excellente. Toute la maison est chauffée par un calorifère. Nous nous sommes promenés entre hommes. Lady Peel et Lady Mahon sont allées de leur côté.
Il y a une fille de Lady Peel qui me plaît. Jolie réservée avec intelligence de la vivacité sans mouvement. Je serais étonné qu’elle n’eût pas de l’esprit. Je ne vois pas que le soulèvement de Breslau se confirme. Il paraît que l'exécution de Blum fait beaucoup de bruit à Francfort Le droit est incontestablement du côté du Prince Windisch-Graetz. Reste la question de prudence.

Dimanche 19 nov. 4 heures
Encore une longue promenade à pied, mais pas seul, avec Sir Robert. Lord Mahon, M. Hallam et le dean de Westminster. Conversation purement amusante, mais amicale et animée. Beaucoup de jokes, latins et grecs. Sir Robert m'a mené ce matin au sermon, à Tamworth. Bien aise de me montrer. Il est impossible d'être plus courtois, sincèrement je crois, certainement avec l’intention d'être trouvé courtois, par moi-même, et par tous les témoins. Mais je comprends ceux qui disent que c’est un ermite politique, ne communiquant guères plus avec ses amis qu'avec ses ennemis.
Berlin me préoccupe beaucoup. Je crains que le Roi ne se charge de plus qu'il ne peut porter. Et s’il fait un pas en arrière, il est perdu. Voyez Francfort. Lisez les Débats. La résistance, quand elle devient efficace, effraye même ceux qui l’ont appelée. Ils y poussent et puis ils la repoussent. On ne veut, à aucun prix ; revenir au point de départ. Et on voudrait qu’en se défendant on ne fît de mal à personne. Quel est le plus grand mal, les esprits à l'envers ou les cœurs faibles ? je ne saurais décider. Les deux maux sont énormes.
Je suis bien aise que vous ayez rendu un petit service à Lady Holland. Cela vous dispense des autres. Vous avez bien raison de ne pas vous prêter à ses confidences.
Je n’ai rien de Paris. Je crois vraiment que l'acharnement de la Presse contre Cavaignac ne le serve au lieu de lui nuire. Cependant tout ce qui revient de France, continue d'être favorable à Louis Bonaparte. Parme qui est enfin arrivé hier avec sa femme, a les mêmes renseignements de son beau-frère, Jules de Larteyrie, qui est assez au courant, et qui déteste Louis Bonaparte sans vouloir de Cavaignac. Mad de Larteyrie revient ces jours-ci d'Orlombe. Jarnac la reconduira à Paris. Son mari croit à des coup de fusil, dans les rues de Paris, peu après l'élection, quelle qu’elle soit. La Princesse de Parme à Brighton m'amuse. Certainement votre visite est faite. Vous n’avez plus qu’à attendre. Adieu. Adieu.
Je pars après demain mardi, à 9 heures du matin. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton-Mercredi 22 Nov. 1848
Midi

Je suis toujours sans nouvelles de Paris à vous envoyer. Il est impossible que je n’en aie pas bientôt. Je sais que Duchâtel n'en a pas davantage. Je crois qu’il viendra dîner aujourd'hui avec moi. Je viens de recevoir un billet de Lady Lovelace qui me presse d’aller les voir dans le Surrey. Dumon y va. Comme de raison, je refuse. Je ne veux plus aller nulle part avant Noël, où j'irai passer quelques jours chez Sir John Boileau.
J’irai vous voir Mardi. J'aurai complétement terminé ce que j'écris. M. Lemoinne emportera, le manuscrit à Paris pour que le Duc de Broglie, le lise. Je l’apporterai mardi à Brighton. Je vous en lirai quelques fragments après l'élection du Président, quelle qu’elle soit, et à moins qu'on n'en vienne immédiatement aux mains, il y aura un moment opportun pour la publication. Les chances vont croissant pour Louis Bonaparte. C'est la conviction des Débats qui sont croyables sur ce point.
Je suis de plus en plus inquiet de Berlin mais pas étonné que de Francfort, on abandonne le Roi de Prusse après l'avoir poussé. C’est exactement ce qui arrivait en 1790 et 91 avec le pauvre Louis XVI. Du dedans et du dehors, on l'excitait, on le compromettait ; puis on ne le soutenait pas. Berlin ressemble extrêmement à notre première révolution. La Cour et la nation. Les idées et les façons d'agir. Et je crains que le Roi de Prusse, qui a plus d’esprit, n'ait encore moins de courage, et n'inspire encore moins de confiance que Louis XVI. Moralement, à coup sûr, il ne le vaut pas. Ni politiquement peut-être. Il y a là de plus l'ambition de la Prusse qui veut prendre l'Allemagne C’est vraiment là l’incendie. Le rétablissement même de l’ordre en France ne l'éteindrait pas. Mais il donnerait bien de la force pour le combattre.
Je suis vraiment triste du bruit qui est venu de Rome sur M. Rossi. Je cherche et ne trouve nulle part des détails. On dit que l'ordre n’a pas été troublé. Mais Rossi lui-même qu'est-il devenu sous ce coup de poignard pauvre homme? Quelle surprise pour lui et pour moi si, quand je l’ai envoyé à Rome, tout cet avenir s’était dévoilé devant nous ! J'espère que l’assassin a manqué son coup. Ce n'est peut-être pas vrai du tout. Il manque bien les choses à M. Rossi. Le cœur n'est ni tendre, ni grand. Mais l’esprit est supérieur ; si juste, si fin, si actif dans son indolence apparente, si prompt, si étendu ! Des vues générales et un savoir faire infini. Très inférieur à Colettis par le caractère et l’empire. J’ai pleuré Colettis. Il m’aimait et je l’aimais. Je regretterai M. Rossi, si le fait est vrai, comme un allié utile et un homme très distingué. L’un et l’autre est rare. Il ne m’a pas donné signe de vie depuis Février. On me disait, il y a quelque temps, qu’il disait qu'il ne retournerait jamais en France. S'il a été assassiné, c’est que le parti révolutionnaire de Rome, le considérait comme un obstacle, sérieux. Ce serait un honneur pour son nom.
J’ai vu hier Charles Greville à dîner, chez le Baron Parke. Il ne savait rien. Parlant toujours très mal des affaires de Sicile. Le Roi de Naples me paraît décidé à laisser trainer cette médiation anglo-française, comme on fait à Milan. On se rejoint ici de la nomination à peu près certaine, du Général Taylor comme président aux Etats-Unis. Cass est très anti- anglais.
Puisque vous prenez votre dame assez à cœur pour en être malade, vous ferez bien de vous en débarrasser, à Brighton, tel que Brighton est à présent, vous pouvez vous en passer. Il y aura tel lieu et tel moment où même cette maussade personne vous manquera. Mais après tout, vous en trouverez une autre. Nous aurons le temps de chercher. Marion vous a-t-elle reparlé ? Adieu. Adieu.
Mardi est bien loin. Je ne puis vraiment pas plutôt. Je suis très pressé. Par toutes sortes de motifs. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond lundi le 7 août 1848
11 heures

J'ai été hier à Holland house. J'y ai rencontré assez de monde. Voici le butin. La France et l'Angleterre travaillent en commun à une médiation entre l’Autriche et Charles Albert. La France fera appuyer cela par une démonstration militaire, mais la guerre non. Ce qui préoccupe le plus la France & tout autant l'Angleterre, c'est l’Allemagne. Ni l'une et l’autre ne veulent de l'unité allemande. Surtout par lord Palmerston. Partout il prêche la réaction, & la fomente avec la même ardeur qu'il mettait à prêcher la révolution. Le mouvement en France est très vif, mais le Roi & le gouvernement comprennent. Quels insensés ! On ne sait pas comment se sera passée la journée d’hier. L’hommage. Peut être y aura-t-on renoncé. Le sentiment public à Hanovre mauvais. Le roi avait été soutenu d’abord chez lui, mais depuis comme aucun souverain ne l’a invité, on a perdu courage et on l’abandonne. On blâme beaucoup la fuite du Roi de Wurtemberg. Lui aussi est allé se divertir & se reposer avec une actrice. la grande Duchesse Olga dans le mouvement ! Est-il possible ? Kielmansegg affirme. Bunsen n’aura pas les Affaires étrangères à Francfort Mais il sera probablement nommé Ambassadeur du [?] ici. Et ici on est très décidé à ne pas reconnaitre la nouvelle Allemagne. En général à ajourner le plus possible toutes les reconnaissances. Etrange situation négocier avec des gens qu'on ne reconnait pas. Conclure des conversations peut être, avec la France & n’avoir aucune relation officielle. On dit qu'on pousse à la république à Vienne pour se ménager les droits d'aller y rétablir la monarchie à la tête de l'armée, alors seulement l'Empereur y rentrera. Far fetehd plan. Les bruits de Paris sont que Cavaignac ne tiendra pas longtemps. Après lui [Lamartine] & Thiers. Après ceux là Changarnier ramenant la Monarchie. L’échec de Goudchaux faisait du bruit, mais on ne dit pas cependant qu'il se retire. Toutes fois c’est le Ministre du dictateur battu. Parmi les choses que m’a dit Ellice j’ai oublié je crois de citer que c’est décidément Marast qui sera envoyé à Londres, si le National règne encore quand on nommera un ambassadeur.

2 heures
Je suis contente, mais seulement à demi contente. L'Ecosse à bas, bon. Mais pourquoi les bannir de ceux en Norfolk, et pourquoi pas près d'ici sur la côte méridionale. Je ne comprends pas. Je vous adresse toujours ici chez M. Boileau. Il faudra me dire où [?] & quand je dois changer d’adresse. Je vous plains de n’avoir pas vos journaux. Vous voyez que toute cette invention de voyage était mauvaise j'espère que l’accident de Pauline n’aura point de suite. Comment n’avez vous pas su dire non quand elle vous a demandé de la laisser monter à cheval ? Sachez bien qu’il n’y a pas un cheval bien dressé en Angleterre, de même qu'il n’y a pas un garçon ni une jeune fille qui ne soit très bon Cavalier. Et bien, excepté Guillaume je crois tout le reste du ménage très peu exercé. Melle Chabaud, je ne sais pas, peut-être, mettez-la à cheval. Je vous conjure donc de n’y pas monter. Sachez donc une fois m’accorder ce que je vous demande. Je m'en vais me mettre à penser à votre Cromer dont je n'ai jamais entendu parler. Je compte que vous vous y amusiez bien, que vous aurez soif de causerie. Enfin, c’est certainement mieux que l’Ecosse. Mais ce n’est pas si bien que vous auriez pu faire. J'ouvre mes journaux. Le National de Samedi ne m’est pas arrivé. je découpe le leading article du journal de hier dimanche. J'ai souligné, ce qui me parait Capital. On laisse à l’Autriche. la Vénétie. Adieu. Adieu. J’ai le cœur plus léger depuis qu’il n’y a plus d’Ecosse. Je voudrais l’avoir content . Cela viendra, quand vous viendrez. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Lundi 2 oct. 1848
2 heures

J'espère bien que cette indisposition ne sera rien. Vous avez raison de vous tenir tranquille et de manger très peu. Le repos et la diète. Moi aussi, j’ai été un peu incommodé cette nuit. Mais ce n’est rien du tout. Je viens de me promener une heure par un joli temps. Le voilà qui se gâte. Quel déplaisir que la distance !
Je suis allé hier voir Dumon. Il y a dans ce quartier bien des maisons à louer. Même deux ou trois. Grosvenor Place qui me paraît un très bon emplacement. Dumon restera seul lundi prochain. Sa femme et sa fille retournent à Paris. Il quittera sa maison de Wilton-Street, et se rapprochera de l'Athenaeum, sa ressource contre la solitude. Mais il sera toujours fort à portée de ce quartier-là. Duchâtel revient à la fin d’octobre, et passera l’hiver à Londres. Si on ne peut pas le passer en France. Presque toutes les lettres de France croient à une crise prochaine qui nous y fera rentrer. Personne ne dit bien pourquoi ni comment. Mais tout le monde le dit, les simples comme les gens d’esprit, à mon profond regret, ce n’est pas mon impression. Voici la nouvelle qu’on m’apporte ce matin, tout bien examiné, tous calculs faits, Cavaignac et ses amis en sont venus à penser que si on tentait de le faire nommer Président maintenant il ne serait pas nommé, et que tout croulerait. Ils se sont rejetés alors dans l’expédient contraire qui serait d’ajourner la nomination du président de la République jusqu'au moment de la dissolution de l'Assemblée elle-même, c’est-à-dire après les lois organiques. Jusque-là, on resterait et exactement comme on est, sans toucher à cette machine qu'on ne peut pas toucher, sans la briser. On m'assure que c’est là ce qui sera proposé ces jours-ci. La réunion de la rue de Poitiers s'y opposera. Mais on croit qu’elle sera battue, toutes les autres portions de l'Assemblée, y compris les Montagnards, désirant éviter une crise dont elles ne se promettent rien de bon pour elles-mêmes. C’est un gouvernement de plus en plus convaincu qu'il ne peut pas vivre, et décidé à ne pas remuer pour ne pas mourir. En définitive, il n'en mourra pas moins. Mais cela peut durer encore quelque temps.
Les Italiens affluent ici, en colère croissante contre la France et la République. Cavaignac ne sait pas la valeur des moindres paroles en Affaires étrangères. Il a, lui-même tout récemment encore, donné aux gens de Milan, aux gens de Venise, aux gens de Sicile, des espérances qui sont tombées le lendemain après une séance du Conseil. On les renvoie à Londres, en disant : " Nous ferons comme Londres. " Et Londres ne dit rien du tout. Le Roi de Naples n'attaquera, pas Palerme. Il prendra, ou se conciliera successivement toutes les autres villes, laissant Palerme vivre comme elle pourra dans son anarchie. Le temps est pour lui. A Rome on augure très mal du Cabinet Rossi. On dit que le Pape l’usera et le laissera tomber comme les autres. Et s’il veut résister plus réellement que les autres, les Républicains demain le feront tomber. Les fantaisies républicaines sont en progrès dans tous les coins. L'avocat Guerazzi reste le maître à Livourne et se promet de devenir le président de la République Toscane. Le cabinet du grand Duc va se dissoudre. Son président, le marquis Capponi, capable et honnête, aveugle et impotent, déclare qu’il ne peut plus continuer, par impotence et par honnêteté. La fermentation républicaine gagne Gênes de plus en plus ; à ce point que l’idée y circule de s'annexer à la Lombardie autrichienne. Si l’Autriche doit consentir à accepter Gênes comme ville libre et port franc. L'Empereur d’Autriche protecteur du Hambourg de la Méditerranée. Vous voyez que tout n’est pas près de finir là. Adieu. Adieu.
J’ai trouvé l'adresse de Salvo. Il part cette semaine pour aller passer quinze jours à Paris. Adieu, j'espère que demain matin, je vous saurai bien. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond jeudi 19 juillet 1849

Votre petit mot de chez Duchâtel m’a fait du bien. Je l'ai reçu chez lord Beauvale où je dînais. Je me suis mieux tenue que je ne l’avais espéré, et les convives m'ont épargné les phrases banales. Brougham a été très aimable. Ellice un peu endormi. Beauvale mange & ne dit pas un mot, il est charmé qu'on l’amuse et qu’on le laisse tranquille. Grand égoïste. Lord Aberdeen est resté longtemps chez moi avant dîner. Il est très décidé à venir à Paris en 9bre et s'en réjouit tout-à-fait, il vous aime tendrement. Il ne s’attend pas à la majorité demain, mais il voudrait une minorité très respectable.
Ellenborough ne vient pas. Il est malade à la campagne, il a écrit à Lord Brougham ( qui me l’a montré) une lettre très sage très sensée sur la discussion de demain. Lord Aberdeen de son côté a fait part à Lord Brougham de votre recommandation de ne rien dire qui peut gêner les mouvements de la diplomatie française en Italie, & Brougham m’a paru très résolu à observer cette recommandation. Nous verrons car c'est une créature si mobile. Il a vivement regretté de n’avoir pas su le jour de votre départ, il aurait beaucoup désiré causer avec vous avant le débat. Lady Palmerston lui a écrit deux autres lettres, bien aigres & bien inquiètes, il raconte cela fort drôlement.
Je ne suis pas contente de moi. Le malaise continue. Il faut que ce soit dans l'air, car Dieu sait que je me ménage. Le temps est froid. Le vent a soufflé cette nuit. Vous concevez que je n’ai pas dormi, je vous voyais malade en mer.

Midi.
Vous voilà donc en France ! Que c'est loin de moi. Je suis charmée de connaître le Val Richer. Je saurai où vous chercher. Vous aurez un grand plaisir à vous retrouver là, à retrouver vos arbres, votre pelouse, Vos sentiers. Tout cela reposera votre âme. Vous avez là tout le contentement intérieur, de la famille, de la propriété. Je vous manquerai c'est vrai, et je crois que je vous manquerai beaucoup, mais vous avez mille plaisirs que je n’ai pas. Et certes dans cette séparation je suis plus à plaindre que vous. Vous le sentez. Je voudrais me mieux porter et j'y prendrai de la peine, pour vous faire plaisir.
La Reine ayant décidé qu’elle ne viendrait plus à Londres, a reçu hier l’ambassadeur de France à Osborne. Simple présentation, après quoi il est revenu à Londres avec lord Palmerston. La reine a gardé quelques ministres à dîner, elle avait tenu conseil. Elle ne prorogera pas le parlement en personne. Son départ pour l’Irlande est fixé au 2 ou 3 août. Hier encore il m’a été dit de bien bonne source qu’elle est plus que jamais mécontente de Lord Palmerston et qu’elle le lui montre. Adieu. Adieu, mille fois. J’espère une lettre du Havre Samedi. Adieu encore & toujours.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 10 août 1849
7 Heures

M. Guéneau de Mussy m'écrit: « Mad. la Princesse de Lieven avait surtout besoin d'être rassurée. J’espère y avoir réussi. Un malheureux cas de choléra avait jeté l'effroi dans Richmond, et le médecin de l'endroit n’avait rien trouvé de mieux à faire que de répandre l'alarme chez les habitants et leur dire de se sauver au plus vite. J’ai d’abord engagé la Princesse à n'en rien faire et à s'estimer très heureuse, par le fléau qui court d'habiter un endroit où il n’avait frappé qu’un individu. Elle s'est mise au Star and Garter où l’air est plus vif et lui convient mieux. Je lui ai conseillé de prendre plus d’exercice. Comme il arrive souvent aux personnes chez qui les affections morales et les occupations intellectuelles remplissent la vie, le système nerveux oublie, pour ainsi dire, les fonctions animales, ou s’en occupe avec négligence. Il faut le rappeler à ses devoirs en exerçant la machine. C’est ce que la Princesse m’a promis de faire. La reconnaissance que je garde de son accueil se porte, Monsieur vers une personne à laquelle je serais trop heureux de témoigner en toute occasion le dévouement entier qu’elle m’inspire. Votre lettre du 3 août, m'est arrivée trop tard pour que ma réponse pût partir hier. Je ne ferme la mienne que ce matin pour vous envoyer des nouvelles toutes fraîches de le Princesse que je quitte et que je laisse en très bonne santé. Vous pouvez compter que mes soins ne lui manqueront pas. "
Il me donne, sur Clarencourt, quelques détails qu’il vous a sans doute dits; et il ajoute : « La famille royale me congédie avec une facilité qui m’attriste et me satisfait plus encore. Elle me donne une dernière marque de confiance en me déclarant qu’elle ne prendra jamais que le successeur de mon choix. Je ne sais si je le trouverai. "

J'ai ri de l’histoire de Duchâtel et j'y crois. J’ai rencontré plusieurs fois chez lui cette Miss Mayo, avec sa tante Lady Gurwood ( Est-ce Lady ou Mistriss ?) veuve du colonel de ce nom qui a publié les dépêches du Duc de Wellington dont il avait été l’aide de camp. Toutes deux jolies, hardies, et vulgaires. A Londres et à Paris. cela peut aller ; la foule couvre tout. Mais il a tort s'il l’emmène à la campagne. Dans l’isolement et l’oisiveté de la campagne les voisins ne passent pas même ce que le ménage tolère.
Lord John n'y pense pas de vouloir que la République réduise son armée. Ce n'est pas contre les Russes qu'elle a besoin de 60 000 hommes à Paris. Les réductions qu’elle pourrait faire seraient financièrement peu importantes, et produiraient moralement un effet qui couterait bientôt beaucoup plus cher. La liberté et l'économie deux choses auxquelles, il faut renoncer aujourd’hui. Et quant à la stabilité, que Lord John se désabuse également ; et peut-être un peu vous aussi ; l'Empire ne la donnerait pas plus, peut-être moins que la République. Ce serait un mot et point un fait. Pas d'Empereur, et pas de dynastie. Avez-vous entendu parler des ouvertures de mariage qui ont été faites de divers côtés ? à Stuttgart, à Stockholm. Partout on a éludé. Son oncle gagnait des batailles, quand on avait éludé avec lui. Je doute qu’il en fasse autant. Et il me paraît avoir le bon sens de ne pas le tenter.

Onze heures
Voilà votre lettre. Montebello prend un long détour pour m’arriver. Adieu. Adieu. Je suis fâché pour ce pauvre Ragenpohl. Il m'écrit pas du tout l'air à la paralysie. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 27 août 1849
3 heures

Je vois que le succès de l'Empereur préoccupe beaucoup les Anglais. Reeve m'écrit : " Aujourd’hui que les guerres de Hongrie, de Bade et de Rome sont finies, et que les armées dominent partout on se demande quel sera le rôle de la politique conquérante. Il me revient des bruits de rapports plus intimes, entre la Russie, l’Autriche et le président de la République représenté par le général Lamoricière ; rapports destinés soit à étouffer les foyers révolutionnaires en Suisse et en Allemagne soit à un certain remaniement des territoires menaçant pour les petits états qui sont peu capables de se défendre et de maintenir l’ordre chez eux. D'après ces bruits, il s’agirait même de mesures prononcées contre la Suisse qui présente en effet de grands dangers. Quoiqu’il en soit, cette politique toute Russe, laisserait tout-à-fait de côté l’Angleterre. Que faut-il penser de tout cela ? Il est certain que nous n'avons rien fait pour nous attirer la confiance de l’Europe ; et personnellement il n'est pas impossible que les yeux de Louis Napoléon se tournent du côté de St Pétersbourg. Mais le sol de l’Europe est peu affermi pour tenter de pareilles expériences."
Vous voyez qu’ils prennent bien vite l'alarme. Les hommes sont toujours, beaucoup plus prompts qu’il ne faut à l'espérance et à la crainte. Que d'agitations perdues? Ici, dans le gros du public on n'a pas l’esprit si éveillé. Les idées sont plus courtes, et les sentiments plus vagues. On n’était pas sans quelque intérêt de routine pour les Hongrois. Cependant votre succès ne déplait pas ; c’est un gage d’ordre et de paix. Cependant on n’est pas sans quelque inquiétude de votre puissance. Aurez-vous envie de vous mêler d'autres affaires ? On espère que non ; mais on n’est pas sûr ; si votre armée rentre tranquillement, en Pologne, vous serez presque populaires, comme puissants et comme modérés. Le mouvement de reprise des Affaires commerciales continue. Rouen, Le Havre, Lisieux, Elbeuf, Lyon sont assez contents. Paris souffre toujours, et les villes de province n’en sont pas fâchés. Il y a vraiment un sentiment de rancune profonde contre Paris. Mais de rancune plutôt que d'émancipation. Il me parait impossible que ce soit par bêtise que Lord & Lady Palmerston prennent si publiquement le deuil de la Hongrie. Il y a là un parti pris, un parti politique. Ils croient qu’il leur vaut mieux d'être populaires parmi les vaincus qu'agréables aux vainqueurs. Et puis la routine, les engagements, les relations personnelles. En tout cas, je conviens que fermer sa porte ce jour-là, c’est bien fort.

Mardi 20 août. 9 heures
Pour la première fois, je me souviens aujourd’hui que je n'aurai rien et j'attends la poste avec indifférence. Je vais dîner chez un de mes amis à six lieues d’ici. Il y aura beaucoup de monde ; un seul homme notable de la société de Lisieux est exclu, le gendre de M. Duvergier de Hauranne M. Target. Il s'est mal conduit envers moi, et j'ai déclaré en arrivant, que je ne le verrais pas. Il me fallait un bouc émissaire, un seul, pour les lâchetés et les trahisons. J’ai pris celui-là à l'approbation générale du pays. Je suis le plus amnistiant des hommes ; si peu d’entre eux peuvent me blesser ! Mais il y a un sentiment public de justice et de convenance auquel il faut donner une certaine mesure de satisfaction.

Onze heures
Adieu. Adieu. Je n'ai que cela à vous dire, et j’aimerais mieux vous le dire de près. Adieu. G. J’ai mes deux lettres aujourd’hui. Certainement je ferai comme vous ; j'irai les demander et me plaindre si cette irrégularité se renouvelle. Vous avez raison sur Milner. C’est un bon homme et intelligent. Cela m'amuse toujours de voir comme nous nous rencontrons, toujours dans le même avis. Je vous disais cela de Milnes, il y a quelques jours. Adieu, adieu, dearest. Je suis charmé de mes deux lettres. Il pleut. Je ne me promènerai pas autant qu’hier. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 4 oct 1849
2 heures

Je ne puis croire à cette guerre ; à moins que votre Empereur n'ait un parti pris de la vouloir, ce que je ne crois pas. Je ne pense qu'à cela et j’arrive toujours à la même conclusion. Ils s’évaderont. Je vois déjà dans un journal de ce matin, que Kossuth s'est évadé. Ce n’est probablement pas encore vrai. Cela deviendra vrai. Faire la guerre parce qu’ils se seront évadés, pour en punir la Porte comme un geôlier négligent ou vendu, est impossible. Certainement si l’Angleterre soutenait effectivement la Porte, la France en ferait autant. Peut-être même, ici, n'en serait-on pas fâché. Une occupation qui serait distraction. Ce pays-ci s’inquiète des francs jamais des millions. Il déteste de donner de l'argent ; mais il aime à le jeter par les fenêtres. Je ne peux me résoudre à examiner sérieusement l’hypothèse où vous ne pourriez habiter ni Londres, ni Paris. Naples, si une fois vous y étiez arrivée aurait, pour l’hiver le mérite du climat. Bruxelles serait froid, mais sûr. La Belgique resterait neutre. Et au moins aussi bonne compagnie à Bruxelles qu'à Naples. Et bien plus près. J’en parle parce que vous m'en parlez. Je répète encore que je n'y crois pas. Mais il résultera de cette affaire-ci une situation bien plus accentuée, comme on dit aujourd'hui, en Europe ; la Russie et l’Autriche d'un côté, la France et l’Angleterre de l'autre, la Prusse entre deux, penchant géographiquement du premier côté, moralement du second. C’est très mauvais. L’Europe coupée en deux c'est de l'encouragement et de la force pour les révolutionnaires de tous les pays. Il ne se peut pas que l'Empereur ne voie pas cela. Certainement si cette guerre éclatait l'Italie et la Hongrie recommenceraient. Et Dieu sait qui les imiterait. Il ne faut pas ouvrir de telles perspectives. Pour la troisième fois, je n'y crois pas. Vous viendrez bientôt à Paris. Mais il est clair, qu’il faut attendre un peu pour y voir plus clair. Avez-vous remarqué dans les débats d’hier 3, la lettre de [Bucha?] ? Assez piquante probablement du vrai. La réponse napolitaine à Lord Palmerston est très bonne. Peu lui importe. Il veut. s'afficher Protecteur de la Sicile. Par routine et par mauvais esprit. Le même partout et toujours. C’est un spectacle qui m'ennuie. Je ne lis pas les Mémoires d’Outre-tombe. C’est vous qui me faisiez lire ces frivolités-là, Outretombe, Raphael. Quand je ne vous ai pas, je ne me doute pas qu'elles paraissent. Je vais demander les passages où il est question de vous. J’ai eu la brochure de M. Dunoyer. Honnête homme, lourd et courageux. Plein de pauvres idées, et d’erreurs de fait sur les journées même de Février, mais beaucoup de sens et de bonne hardiesse sur la situation générale d’à présent. Je n'ai rien du tout de Paris. Ce silence absolu et la nullité des premières séances de l'Assemblée me font croire qu’il se brasse quelque chose. On se tâte, on se prépare, on doute, on projette tout bas ; et en attendant on se tient coi. Je ne crois toujours à rien de plus gros qu’à une modification du Cabinet.
Onze heures et demie
Voici votre lettre. Je persiste toujours à ne pas craindre ce que vous craignez. J’ai écrit à Paris pour être bien précisément tenu au courant des intentions et des dispositions du gouvernement et du public. Ce que j'en sais déjà ne me permets pas de douter que la France ne fasse tout ce que fera l'Angleterre et qu'elle ne pousse l'Angleterre plutôt que de la retenir. Adieu, adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, 5 octobre 1849

Ce que vous me dites de la différence qui existe entre les demandes de l’Autriche et les vôtres me frappe, et me confirme dans ma première conjecture. Vous ne voulez pas, aujourd’hui, la ruine de l’Empire Ottoman ; mais vous voulez mettre une bonne occasion à profit pour faire un grand pas. Vous demandez péremptoirement l'extradition, au nom de la lutte contre les révolutions. Si la Turquie vous l'accorde c’est un grand coup sur les révolutionnaires ; si elle vous la refuse, c'est une grande raison, et très plausible, pour prendre vous-même vos suretés. Et vos suretés, c’est l’occupation forte et permanente des Provinces Danubiennes qui couvrent vos frontières, et sont contre vous, le foyer de révolution. Vous ne vous les approprierez pas encore tout de suite et d’un seul coup ; mais vous vous y fortifierez, vous vous y établirez ; vous les gouvernerez, provisoirement encore, mais vous-mêmes et en votre propre nom. La Turquie payera ainsi les frais du secours que vous avez donné à l’Autriche, et vous lui prendrez, en provinces les garanties qu'elle vous aura refusées en réfugiés. Et l’Europe ne vous fera pas la guerre pour cela, tandis que si vous attaquez la Porte pour Bem et Kossuth l’Europe la défendra peut-être, probablement même. Si vous attaquez la Porte pour Ben et Kossuth, l’Europe verra là la ruine de la Porte, et de votre part un parti pris de la détruire. Elle ne veut pas souffrir cela. L’Europe est accoutumée au contraire à vous voir avancer et grandir dans les provinces danubiennes. Et même résignée, au fond, à vous y voir établir en maîtres définitifs, car elle regarde cela comme inévitable. Le temps des longues prévoyances et des résolutions fortes prises, en vertu des longues prévoyances est passé pour l’Europe occidentale. La France ne pense plus à cette grande politique et l'Angleterre n'en veut plus. Vous pouvez faire tout ce qui exigerait. que la France et l’Angleterre, pour vous en empêcher adoptassent et pratiquassent de concert cette politique là. Mais il y a tel acte en soi bien moins grave que l'occupation définitive des Provinces Danubiennes qui peut soulever en France, en Angleterre dans toute l’Europe occidentale une de ces émotions publiques soudaines, puissantes qui jettent les gouvernements dans ces résolutions extrêmes auxquelles leurs propres calculs et desseins ne les conduiraient pas. Votre exigence de l'extradition, poussée jusqu'à la guerre, pourrait bien être un acte semblable et produire de tels effets. Si donc l'Empereur ne veut pas engager aujourd’hui, en Orient la question suprême, je ne puis croire qu’il ait fait sa demande avec l’intention de la soutenir à fond ; ce serait trop méconnaître l'état des esprits en Europe et trop risquer pour un petit motif. Je suis tenté de croire à une ambition et à une intention plus détournées. Voilà mon impression, et sur quel raisonnement elle se fonde. Et j'aboutis toujours à ma même conclusion ; la guerre ne se fera pas. Autre raison décisive. L'Empereur, qui en veut surtout aux révolutions, ne peut pas soulever une guerre dont le drapeau serait : « L’Angleterre et la France patronnent et couvrent les chefs de révolutions. » Mais ma raison n'est décisive que si bien certainement l'Empereur ne veut surtout aux révolutions, et ne songe pas à en profiter pour aller à Constantinople. Adieu en attendant votre lettre.

Onze heures et demie La voilà. Et probablement de bien vives agitations de votre part, et de bien longs raisonnements de la mienne pour un incident pas grand chose. C’est égal ; la seule chance valait bien la place que nous lui avons faite. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, mardi 9 oct. 1849
6 heures du matin.

Votre perplexité me désole. Elle ne me gagne pas encore ; mais au fait elle est bien naturelle. Toutes les bonnes raisons sont contre la guerre. Je devrais savoir ce que valent les bonnes raisons. Je croyais impossible que la France fit, ou laissât faire une stupide folie comme la révolution de Février. L'Empereur aussi peut avoir sa folie. Et alors ! Ne vous y trompez pas ; ce que dit Morny et ce qu’il écrit au Président n’y fera rien. La France fera ce que fera l’Angleterre. Et la France poussera plutôt que de retenir. Et si cela arrivait, vous verriez Thiers et Molé, au moins le premier, entrer au pouvoir, et se mettre à la tête de cette grande affaire, espérant encore, par l'alliance intime de la France et de l'Angleterre ce que Napoléon espérait à lui tout seul, distraire et satisfaire l’esprit de révolution par la guerre, en le contenant. Chimère, mille fois chimère dans laquelle ils échoueraient bien plus vite et bien plus honteusement que n'a échoué Napoléon, mais chimère qui les tenterait (je les connais bien) et qui bouleverserait le monde. Car vous dîtes vrai; ce serait la guerre partout, et la révolution partout. Cela n’arrivera pas ; cela ne se peut pas. Il ne se peut pas que l'Empereur soit aussi fou et aussi aveugle que la garde nationale de Paris en Février. Personne ne peut prévoir, personne ne peut imaginer quels seraient, en définitive, les résultats d’un si épouvantable bouleversement, mais à coup sûr, ils ne seraient bons pour aucun des grands et réguliers gouvernements aujourd’hui debout. La fin du monde profiterait peut-être un jour à quelqu'un certainement pas à ceux qui y auraient mis le feu. Même conclusion de ma part et avec la même conviction. Mais je répète que votre perplexité me désole car enfin la chance existe, et quel serait notre sort, à nous deux, dans cette chance ! J'y pense sans relâche comme si j’y pouvais faire quelque chose. Cela ne sera pas.
Neuf heures
Je n’ai rien à espérer aujourd’hui. Je vous renvoie votre lettre allemande. Intéressante. C’est un homme d’esprit. Assez ressemblant à Klindworth. Je voudrais bien que l’Autriche et la Prusse parvinssent à s'entendre, pour quelque temps au moins, et à rétablir un peu d'ordre, en Allemagne. Si l'Empereur veut bien ou la guerre, il aura la guerre et pas Bem, et Bem bouleversera de nouveau l'Allemagne pour lui faire la guerre. Je ne fermerai ma lettre qu'après l’arrivée de la poste, pour voir si j’ai à vous dire quelque chose de Paris. Midi Le facteur arrive très tard. Je n’ai que le temps de fermer ma lettre. Adieu, Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 11 oct. 1849
8 heures

Puisque vous n'avez pas été absolus et péremptoires dans votre demande, ni la Porte dans sa réponse, raison de plus pour que l'affaire s’arrange. On trouvera quelque expédient qui couvrira la demie-retraite que fera de son côté chacune des deux puissances. Nous n'avons vu la guerre avorter depuis vingt ans malgré les plus forts motifs de guerre du monde pour la voir éclater par un si misérable incident. C'est comme la guerre entre la France et l'Angleterre pour Tahiti. Nous en avons été bien près ; mais ce n'était point possible. Il me parait que Fuad Efendi n'a pas été renvoyé à la frontière et qu’il doit être arrivé à Pétersbourg. La tranquillité où l'on est à Vienne sur cette question me parait concluante. S'il y avait la moindre raison de craindre, les esprits Autrichiens seraient renversés. Jamais l’Autriche n'aurait été à la veille d'un plus grand danger. Je vous répète qu’à Paris personne ne s’inquiète sérieusement de cette affaire. M. de Tocqueville a été, jusqu'ici, un homme d’esprit dans son Cabinet et dans ses livres. Il est possible qu’il ait de quoi être un homme d’esprit dans l'action et gouvernement. Nous verrons. Je le souhaite. C’est un honnête homme et un gentleman.
Je savais bien que ma petite lettre au Roi pour son anniversaire lui ferait, plaisir. J'ai reçu hier la plus tendre réponse. Après toutes sortes de compliments pour moi, dans le passé : « vous me donnez la plus douce consolation que je puisse recevoir, non pas à mes propres malheurs, (ce n’est pas de cela dont je m’occupe); mais à la douleur que me causent les souffrances de notre malheureuse patrie, en me disant que vous anticipez pour moi une justice à laquelle j'ai été peu accoutumé pendant ma vie. Cette justice, je l'espère et surtout je la désire pour vous comme pour moi. Mais j’ai trop peu de temps devant moi pour me flatter d'en être témoin avant que Dieu m’appelle à lui. La maladie du corps politique est bien grave. Ses médecins n’en connaissent guères la véritable nature, et je n’ai pas de confiance dans l’homéopathie qui me parait caractériser leur système de traitement. J’aurais bien envie de laisser couler ma plume mais je craindrais qu'elle n'allât top loin. Ma bonne compagne, qui se porte très bien, et qui a lu votre lettre, me charge de vous dire qu'elle en a été bien touchée.» J’ai été touché moi de cette phrase : une justice à laquelle j’ai été peu accoutumé, pendant ma vie. Il parle de lui-même comme d’un mort. Lord Beauvale a en effet bien de l’esprit, et du meilleur. Merci de m'avoir envoyé sa lettre. Je regrette bien de ne l'avoir pas vu plus souvent pendant mon séjour en Angleterre. Recevez-vous toujours la Presse ? Je ne la reçois pas, mais, M. de Girardin m'en envoie quelques numéros, ceux qu’il croit remarquables. J'en reçois un ce matin. Tout le journal, plus un supplément, remplis par un seul article le socialisme et l'impôt. Vous feriez je ne sais pas quoi plutôt que de lire cela. Je viens de le lire. Une heure de lecture. Tenez pour certain que cela fera beaucoup de mal. C'est le plan de budget, de gouvernement et de civilisation de M. de Girardin. Parfaitement fou, frivole, menteur, ignorant, pervers. Tout cela d’un ton ferme convaincu, modéré, positif, pratique. Des chimères, puériles et détestables présentées de façon à donner à tous les sots, à tous les rêveurs, à tous les badauds du monde l'illusion et le plaisir de se croire de l'esprit et du grand esprit et de l'utile esprit. Quelle perte que cet homme-là ! Il a des qualités très réelles qui ne servent qu’à ses folies et à ses vices. Personne ne lira ce numéro en Angleterre, et on aura bien raison. Et j’espère que même en France, on ne le lira pas beaucoup. C’est trop long. Mais rien ne répond mieux à l’état déréglé et chimérique des esprits. Je vous en parle bien longtemps, à vous qui n'y regarderez pas. C'est que je viens d'en être irrité.
Onze heures J’aime Clarendon Hôtel. C’est un premier pas. Je vous écrirai là demain. Vos yeux me chagrinent. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 23 octobre 1849
7 heures

Madame Austin m'est arrivée hier. Voici ce que m’écrit Reave : « Je suis revenu à Londres au moment de la discussion turque. Au fond, de part et d’autre, je sens que nous avons pris cette affaire un peu trop vivement et Lord Palmerston en a profité pour jeter une pierre dans le jardin de ses adversaires. Mais il en résulte que l’Angleterre a montré que les endormeurs du Peace congress, ne l’avaient pas tout à fait assoupie, que l'Empereur de Russie s’attachera davantage à son état de repos armé ; et que l’on a acquis ici des notions plus justes sur la valeur vraie de la soi-disant alliance de la République française, qui consiste essentiellement à ne rien faire. A tout prendre, je ne regrette pas cette petite campagne, malgré le petit ridicule qui s’attache à tout excès de vigueur hors de propos. Du reste la mission arrogante du Prince Radziwill et l'exécution militaire de Louis Balthiany, sans la procédure judiciaire qui devait faire ressortir sa culpabilité sont, je crois, les deux fautes capitales des Empereurs alliés. On dit qu’il a été saisi une correspondance de Bathory, étant ministre avec le Roi Chartes Albert. Si cela est vrai, il aurait suffi de constater le fait devant la justice. du pays pour le conduire au supplice d’une manière légitime. »
Vous voyez qu’on sait à quoi s’en tenir à Londres sur le concours qu'on peut attendre de la République française, et qu’on ne croit pas à de bien grands coups après tant de bruit. Vous dites bien : le problème à résoudre pour l'Empereur c'est de concilier la grande attitude avec la raison. Il en viendra à bout, sa boutade n’a pas été heureuse ; elle a retourné contre lui l'Europe qui allait à lui, et elle ne lui vaudra pas en Turquie ce qu'elle lui a fait perdre en Angleterre et en France. Il n'en avait pas besoin pour faire, à l'occasion des affaires de Hongrie, un grand pas vers Constantinople. Le pas était fait ; et s'il tenait à le constater, il y avait dix manières d'atteindre ce but là, à meilleur marché. L'Empereur s’est laissé aller à une première idée, et à un premier accès de vainqueur. Il lui en coutera quelque chose de le reconnaitre et de rentrer dans une autre voie. Mais il le fera. Il a un sentiment trop juste de sa mission et de son intérêt de souverain, je veux dire de grand souverain, pour le lancer et pour lancer l'Europe dans le chaos de la guerre et de la révolution parce qu'on ne lui livrera pas Bem et Dembinski. Je suis très curieux, mais plus curieux qu'inquiet du résultat de la mission de Fuad. Effendi. Reeve me dit peu de chose de l'état des esprits en Angleterre sur nos affaires intérieures. Ceci seulement qui est sensé et qui me plaît assez. « Nos yeux se tournent de nouveau avec. sollicitude vert la France. Si M. Thiers se décide enfin à prendre un rôle plus actif, je ne vois devant lui qu’une des catastrophes qui lui sont familières. Il ne manquerait plus que cette direction suprême pour couronner les malheurs du pays. Je suis de plus en plus heureux que vous soyez complètement étranger à ce qui se passe dans cette assemblée. C'est là, je crois le sentiment de tous vos amis de ce côté de la manche, et de plusieurs de ceux qui m’écrivent de l’autre. Dans une position aussi radicalement fausse que celle de la République, il est impossible de faire autre chose du pouvoir qu’une déplorable fiction. " Je suis content de l’issue du débat sur Rome. Le défilé est passé. Le gouvernement, Président. et cabinet s’en tire sans y grandir, et la bonne cause est la seule qui ait été bien défendue. Ce sont là, pour le moment, les seuls résultats auxquels en toute occasion, il faille prétendre. Je doute que j’ai aussi pleinement satisfaction dans les deux questions encore sur le tapis, l'affaire turque et le rappel des deux branches bannies. On passera aussi ces deux défiles ; mais personne, je le crains ne dira ce qu’il y aurait à dire sur l’une et l'autre affaire, comme Montalembert, et même La Rozière, l'ont dit dans celle de Rome.
Onze heures et demie
Adieu, Adieu. Je n'ai que le temps de fermer ma lettre La vôtre est intéressante. J'en reçois une de Piscatory qui l’est aussi. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 2 Novembre 1849
8 heures

Mon impatience de savoir est extrême. Ce Cabinet s’est-il fait de concert entre le président, et la majorité, ou est-ce qu'un coup de tête du président ? Sera-t-il soutenu ou désavoué par la majorité et ses chefs ? Mon bon sens me porte à croire à la première chance. Deux ou trois billets que j'ai reçus hier m'indiquent plutôt l'autre. Cela importe infiniment pour la suite. si la majorité est consentante, si ce sont là des doublures mises en avant- pour faire ce que ne veulent pas faire les premiers acteurs, il n’y a rien de grave à craindre prochainement, la situation actuelle avancera sans se bouleverser. Dans le cas contraire, le chaos peut être imminent. Mon instinct me dit bien que même dans le chaos, il est impossible que les honnêtes gens avertis, et armés, et postés comme ils le sont se laissent battre et chasser. Mais j’ai appris à me défier de mon instinct. Vous me préoccupez avant tout par-dessus tout. Le monde s’arrange comme il pourra, quand il pourra. Il a de la force pour supporter et du temps pour attendre. Mais vous ! Je ne crois pas au danger. Je ne crois pas que votre seconde impression vous trompe, et que vous ayez tort d'avoir moins peur depuis que vous êtes dans la mêlée. Mais qu'importe ce que je crois ou ne crois pas ? Et j’attends et je ne puis faire qu'attendre. Je compte que le courrier, m'apportera tout à l'heure, le sens et la direction de l'incident. Vous avez toute raison ; si le gouvernement a le sens commun, il rappellera d'Orient sa flotte. Toute prolongation de démonstration serait parfaitement déplacée et sotte. Et l'Angleterre devrait en faire sur le champ autant. On vous doit, non seulement le fond, mais toutes les apparences possibles d'égards et de bons procédés. Les questions qui peuvent subsister encore entre vous et la Porte, l'expulsion effective des réfugiés, le lieu de leur retraite, les provinces du Danube, tout cela se réglera, d’autant mieux que l'occident s'en mêlera moins et surtout aura moins l’air de s'en mêler. Je ne puis croire que Sir Stratford Canning s'oppose formellement à ce que la Porte envoie les réfugiés vers tel point plutôt que vers tel autre. Qu'ils aillent en Angleterre ou en Amérique, rien n’est plus indifférent. Une fois sortis de Turquie, ils finiront toujours par aller à peu près où ils voudront en occident. Je ne comprends par Normanby poussant à l'Empire à tort et à travers, sans s’inquiéter de savoir si la majorité en veut, ou n'en veut pas, et uniquement pour maintenir son influence sur le président. Cela me paraît de la part de l'Angleterre, un jeu bien sot et bien inutile. Le joue-t-elle réellement ? Mad. Austin a traduit jusqu'ici, et traduit encore. Elle aura traduit demain tout ce qui est prêt, et elle part Lundi pour aller passer quinze jours à Paris où elle a affaire et d’où elle retournera à Londres. J’aurais ri de votre remarque si je pouvais rire. Je vais faire ma toilette. Vous connaissez cette impossibilité de tenir en place, ce besoin d'aller et de venir ; et de faire quelque chose, quand on ne fait rien et qu’on attend.

Onze heures et demie
C’est évidemment du bien nouveau qui commence. Plus curieux d'abord que menaçant. Il faut attendre pour penser. Adieu, adieu, Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Mardi le 6 Novembre 1849

C’est le second Lundi que votre lettre un manque. Cela fait le dimanche de Londres, car je compte bien recevoir deux lettres aujourd’hui. Le bavardage se calme. Hier il y en avait peu. Flahaut est venu causer avant de se rendre au dîner du président. Il part aujourd’hui pour Londres. Il est très partisan du Prince. S’il n’avait pas été ambassadeur du roi, il se mettrait de toutes ses forces à servir celui-ci. Cela ne lui est pas possible. Il ne sait quand on fera le le coup, mais il se fera. C'est un parti arrêté. Vous savez qu'on a offert au Prince de lui donner la présidence décénale & 6 millions de rente. Il a dit " C’est trop peu pour un coup d’Etat. " On reproche au Prince de prendre des petits ministres, mais on lui criait de se défaire de Dufaure. Les grosses gens refusant de se mettre à l'ouvrage. Et bien il prend des petits, et il les prend dans les rangs de la majorité. Elle ne peut pas se plaindre. On lui reproche son entourage. Où en trouver un autre ? Tout le monde s'écarte. Ni légitimistes ni orléanistes ne viendraient à lui. Il lui faut cependant des amis. Voilà le duc de Flahant. Voici vos deux lettres. Oui en vérité c’est bien triste, attendre encore ! Mais je crois que l’avis est bon, c'est à vous d’abord qu'il faut songer. Laissez passer la bourrasque, seulement j’y pousserais [si je pouvais]. Hier, comme je vous dis, cela n’avançait pas. Mais je crois les entours plus pressés de jour en jour ils meurent de faim, et Persigny est infatigable. J'ai été hier soir chez Madame de Boigne, trois hommes que je ne connais pas, & très [?] le langage, hostile, dédaigneux pour l’Elysée. J’ai rencontré le Chancelier lorsque je sortais [?] moi encore froide. Mad. de Boigne très empressée, elle [était] venu quelques jours avant [?] voir le matin, et elle ne sort jamais, mais il y avait tant de monde chez moi que nous n’avions pas pu causer. Je ne vous nomme pas mes visites Il y en a trop. Cela ferait une page de noms. Ce que je remarque c'est beaucoup d'empressement et plus d’amitié. Ainsi Mme de la Redorte hier toute fraîche débarquée, toute douce & gracieuse. A propos Flahaut croit qu'il serait très utile que M. de Broglie en causant avec Lord Lansdowne (qui arrive demain), lui parle très franchement de tout ce qu'il pense sur le compte de Lord Palmerston, & sur la conduite de Normanby ici. Il dit que cela ferait plus d’effet que quoi que ce soit. Il désire beaucoup que je fasse parvenir cela à Broglie. Comme je ne le verrai pas je ne sais comment m’y prendre, mais je suis tout-à-fait d’avis que ce serait très bon. Dites le. Je me mets en tête que le président se fera Empereur le 2 Xbre. C'est le jour où Napoléon a pris ce titre. A Paris partout dans les boutiques, dans les cafés on demande l’empire. Je ne vous dis pas ma tristesse de notre séparation. A quoi bon ? Je cherche à me persuader que cele sera plus long. Mais je suis triste du terrain que vous trouverez ici pour votre compte. Triste et indignée. Adieu. Adieu. Adieu.

Beauvale qui me tient bien en courant me dit que Nesselrode est très aimable & doux pour Lamoricière. Celui-ci n’a fait aucune communication. C’est Bloomfield qui est allé se brûler les doigts. Je crois que je verrai aujourd’hui la réponse. L’Empereur m’apprenant les exécutions en Hongrie s’est écrié publiquement. " C’est infâme." Nesselrode a dit à Lamoricière que le gouvernement russe les regrettait profondément & que le public en était indigné. Beauvale approuve le Président et regarde ceci comme une suite naturelle du langage légitimiste si hautement tenu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris vendredi le 31 Mai 1850

Triste abominable ressource ! N’avoir plus que mon papier vert pour vous retrouver. Ah que j’avais le cœur lourd hier. et aujourd’hui & tous les jours à venir ce sera de même. Je n’ai vu personne hier matin, le soir j’ai été dire adieu à la Princesse Wittgenstein qui part aujourd’hui. J’y ai rencontré Kisseleff qui viendra tantôt ici pour compléter ce qui peut manquer au petit extrait ! Ensuite chez Madame Kalergis. Molé y était. La négociation avec Normanby se poursuit et avance. Lahitte dit, que dès qu’il aura sa satisfaction il sera satisfait et ne laisse aucune espérance qu’il traîne. Molé comprend très bien l’importance que ce ne soit pas fini avant le 7 juin (la discussion à la chambre des Lords ) mais il est convaincu que tout sera conclu et & rétabli avant. Les petites finesses du métier, les ressources les plus élémentaires sont inconnues, et d’un autre côté le désir de terminer, & de soutenir Lord Palmerston est grand chez le Président. Il paraît que Palmerston cédera tout. Il faut convenir que si cela est ainsi ce sera passablement honteux pour lui. Bref never mind.

2 heures. [Chraptovitch] est venu m’interrompre. Deux heures de conversation excellente, sur tout sur ce qu'il y a de plus intime. Vous êtes le héros de Nesselrode. Le gendre au désespoir de votre départ. Il aurait tant aimé causer avec vous. Le maître est tout-à-fait dans vos idées. Adieu, il faut que je ferme parce que vont venir mes visiteurs. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 7 juin Vendredi

J’ai trouvé M. Molé, fort malade. très mauvais visage au moins. Jaune, faible. Il a toujours la fièvre. Bonne conversation, rien à relever que vous ne sachiez ou que vous ne deviniez. Il n'était pas bien au courant de la négociation avec Londres. Il croyait toujours que Lahitte ne faiblirait pas. Mais moi je suis convaincue que Lord Palmerston se sera fâché hier de tout accorder, et avec la complicité du télégraphe français vous savez bien qu'en deux heures de temps on peut parler à Londres de sorte qu’en en terminant même qu’aujourd’hui. Cela arriverait encore à temps pour gâter la discussion de ce soir. Quoiqu’il en soit, nos amis de Londres sont des nigauds d'avoir tant attendu. Thiers était du dîner de Hubner. Il m’a dit qu'il a prévenu le Président de son voyage à Claremont et qu'il comptait y aller dans peu de jours croyant le roi assez mal pour craindre qu’il ne meure très incessamment. Je suis sûre qu’il ne sera de vos voyages respectifs comme de vos luttes parlementaires chacun veut garder son discours, pour répondre à celui de l’autre. (tout ce qu’il m’a dit hier m’a prouvé qu’il est entièrement orléaniste.) Pourvu que l’occasion de le faire en vienne à manquer à tous les deux. (Transportez les deux dernières sentences, ce sera plus concret.) On ne sait rien de Varsovie que ce que disent les journaux. Hubner & Hatzfeld sont également perplexes. Schwarzenberg avait quitté Varsovie, & voilà que son empereur s'y rend, c’est au moins ce que dit le télégraphe de Cologne. c’est drôle. Ce qu’il y a de sûr c'est que le Prince de Prusse est allé à Pétersbourg voir l’Impératrice. Lahitte a dit hier à Chreptovitz si Lord P[almerston] me cède tout je ne puis pas ne pas me reconnaitre satisfait. C’est juste.
Je suis de santé comme j’étais à votre départ. Le mien approche le 20 ou 25, mais je crois que Je verrai Chancel avant, parce que que tout le monde traite d’extravagante l'ordonnance d’aller à Aix-la Chapelle pour la poitrine.
1 heure. Ellice me mande que le Cabinet, très alarmé, et craignant une grande majorité contre lui ce soir, & envoyé une pétition à lord Stanley pour la conjurer au nom du bien public, de remettre la discussion à huitaine. Quand on donne des motifs pareils on n'ose pas refuser. Il donc été obligé de fléchir. La discussion est remisé à Lundi 17. Ellice dit qu'il y aura une grande majorité contre le gouvernement. D’un autre côté voici K[isselef] qui apprend, mais par voie détournée, que Brunnow a l'ordre de partir. Je saurai tantôt ce qu'il y a de vrai. Le vrai est que Brunnow avait demandé un congé, Il lui a été accordé pour l’été de 1851. Ceci serait donc un vrai rappel. Il y a une lettre du Prince Albert à l’université de Cambridge qui indique de la défaveur pour le gouvernement. Je n’ai pas lu encore. Vos réflexions sur les 3 millions sont excellentes. J'en ferai usage. Adieu. Adieu. J’attendrai pour ma lettre, mais je n’attends pas de nouvelle nouvelle à vous mandez.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Samedi le 8 Juin 1850

Montebello part demain soir pour Londres, il sera de retour le 16. Il vous écrira dès Mardi 11 pour vous dire au juste l'état dans lequel il aura trouvé le malade. J’avais assez de monde ici hier soir. Les diplomates, & ses amis Français, le favori Merode, le chancelier, Viel-Castel. Celui ci affirme qu’on prendra toutes ses précautions pour la rédaction de l’arrangement quand cet arrange ment sera convenu. Il ne tardera pas à l’être. Palmerston cède peu à peu sur tout. On ajustera les deux conventions de façon à faire disparaître tout ce que celle d’atténuer a d’onéreux de plus que celle de Londres. C’est particulièrement sur l'engagement pris par la reine de ne rien réclamer de l'Angleterre pour pertes & avaries qu’a coûté le différend. Pal[merston] ne voulait pas résilier cela, & Lahitte s’est obstiné. On croit que sous peu de jours, demain peut-être, Lord P[almerston] cèdera tout. Le bruit du rappel de Brunnow ne repose que sur une lettre particulière de Mareschalchi, ce n’est pas suffisant. Les 3 millions courent bien des chances. Personne ne veut laisser passer cela, & je parie que tous ou à peu près le voteront. Cependant il y a des obstinés dans tous les rangs. Légitimistes, conservateurs. M. Moulin par exemple, un des meilleurs. Il ne veut pas. On ne peut pas deviner ce qui se dira aujourd’hui dans les bureaux.
Voici la dernière phrase de la seconde lettre d’Ellice, celle où il m'annonce l'ajournement. I still think the case in the Lord very serious, & that we cannot get out of it. Une lettre du Prince Albert à l’Université de Cambridge prouve de l’humeur contre le Ministère qu'il appelle the present cabinet. Ceci semble très ominous à Ellice La lettre est dans le Galignani. Je crois que vous le recevez. 2 heures. Je n’ai vu jusqu’ici que [Craptovitch] qui n’a absolu ment rien. Je ferme ma lettre très peu intéressante aujourd'hui je crois que le duc de Noailles s'employait hier pour faire voter ses amis pour les 3 millions. Adieu. Adieu

P. S. Thiers part Lundi, il l'a dit hier à M. Molé. La Redorte vient de me raconter 10 bureaux 4 pour, 4 contre 2 douteux. Les autres pas connus encore. D’Houdetot écrit à son frère que le roi baisse visiblement.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Dimanche 9 juin 1850
8 heures

Savez-vous ce qui arrivera par suite de l'ajournement du débat grec à Londres ? Palmerston recevra d'Athènes quelque note, quelque lettre déclarant que le gouvernement grec ne se soucie pas du tout d'échanger l’arrangement Wyse contre l’arrangement Drouyn de Lhuys, et que, tout considéré, il aime mieux que ce qui est fini soit fini et qu'on n’en parle plus. La différence entre les deux conventions n'est pas assez grande pour que la Grèce y mette un grand prix, et elle aimera probablement mieux ne pas causer ce déplaisir à l'Angleterre dont elle a éprouvé l'acharnement, au profit de l'amour propre de la France qui ne l'a pas efficacement protégé. En sorte que l’arrangement Drouyn de Lhuys sera écarté par la grève sans que Palmerston en ait fait pleinement la concession à la France. Car vous voyez bien qu’il n’a pas encore fait cette concession ; si elle était faite, on ne négocierait plus. Lahitte n’a demandé et ne peut demander que cela. S'il l’avait obtenu, il se serait déjà déclaré satisfait et lord Lansdowne n'aurait pas éludé la discussion. Palmerston discute, marchande. A Paris, il a l’air pressé, mais il ne cède pas davantage. A Londres, il demande du temps, et on lui en donne. Athènes le tirera d’embarras en repoussant cet échange entre les deux conventions qui devient plus insignifiant et plus impraticable à mesure que le temps s’écoule. Et à la fin comme au commencement de l'affaire, par ruse, comme par force, Lord Palmerston aura fait sa volonté. Que dira alors Lord Stanley ? Les honnêtes gens sont obligés d'avoir plus d’esprit et d'être plus fermes que les brouillons. Avoir raison ne les en dispense pas.
Le général Trézel revient de S Léonard et m'écrit : " J’ai trouvé le Roi, fort maigri, fort affaibli, confiné dans sa chambre et fatigué de surcroît par un troisième rhume. Il a consacré plus de force et de vie que cet état n’en devrait faire espérer ; la parole est toujours nette et facile ; l’esprit aussi prompt, aussi lucide que de coutume d'ailleurs quelques symptômes favorables se manisfestaient depuis plusieurs jours dans les fonctions de l'estomac, et donnaient l’espoir que ce dépérissement graduel pourrait s'arrêter. J’ose à peine me livrer à cet espoir. La reine des Belges est fort affaiblie aussi par une fièvre lente assez inquiétante. » Absolument rien de nouveau sur la grande question. Je savais bien qu’on ne dirait rien de plus à Trézel. Toujours le langage de la politique d’attente et d'abstention. Il a paru au général que dans le cas où la famille royale perdrait son chef, le duc et la Duchesse de Nemours seraient assez disposés à prolonger leur séjour en Angleterre, à cause de leurs très bons rapports avec la Reine Victoria, mais que la Reine et ses autres enfants quitteraient bientôt un pays qui ne leur plaît pas.
Vous avez bien raison de consulter Chomel avant de partir. Je vous ai dit qu’Aix la Chapelle m'étonnait. Je ne vous crois point la poitrine malade ; mais c’est un climat rude, et le froid ou l’humidité par dessus l’ennui, c’est trop pour vous.

10 heures
Je suis charmé que Montebello parte. Je me déciderai d'après ce qu’il m’écrira. Je n’ai pas encore la réponse définitive du Duc de Broglie. Je ne me préoccupe guère des trois millions. On les votera. Ou bien on marchandera et on finira par s’arranger. Adieu, Adieu. Je vais déjeuner à Lisieux. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 11 juin 1850
10 heures

Je fais dire à Lisieux qu'on me retienne la place de la Malle poste pour samedi soir. Je ne puis pas partir d’ici Vendredi ; j’attends quelqu'un ce jour là qui repartira samedi matin. Je serai à Paris Dimanche à 5 heures du matin. J’en partirai lundi soir pour l'Angleterre. Je tiens beaucoup à savoir quelque chose de ce qu'auront dit là les voyageurs qui doivent en revenir samedi, et de ce qu’on leur aura dit. Cela est important.
Outre mes amis, je désire voir, en passant à Paris, le duc de Noailles et Morny. Soyez assez bonne pour arranger cela. Je crois que le duc de Noailles est déjà à Maintenon. Mais Maintenon est bien près, et le chemin de fer bien prompt.
Quel plaisir de vous revoir, encore avant la grande séparation de l’été ! Que de choses à nous dire déjà ! Hélas beaucoup de celles que nous nous serions dites, si nous ne nous étions pas quittés, sont déjà perdues, et ne se retrouveront pas! Quel gaspillage que la vie ! Je regrette d’aller à St Léonard sitôt après le voyage qui précédera le mien. Cela a trop l’air d’un fait exprès et ôtera un peu de l’efficacité des paroles. Mais il n'y a pas moyen. Mes nouvelles de Londres sont aussi mauvaises que celles que vous me transmettez. Le Roi peut encore traîner, mais il peut manquer d’un moment à l'autre.
Je voudrais bien le rappel de Brünnow. Je crois tout-à-fait à ce que vous dit Ch. Greville. La froideur polie et prolongée des grandes puissances du continent est ce qu’il y a de plus efficace. Mais je doute. Palmerston se rendra. Je le crois. Pourtant je suis frappé de son long marchandage et de son effort pour gagner du temps. De là, surtout mon soupçon de ses intrigues à Athènes. Je persiste à penser que l'argent du président passa. Les légitimistes, qui ne veulent pas le consolider ne peuvent pas le faire ou le laisser tomber. Ils doivent redouter toute crise, de vue [?] d’Elysée. Pour eux, dans l'état actuel des choses, il faut que le Président reste précaire ; mais il faut qu’il dure. Et en définitive, la masse des conservateurs votera pour lui. Adieu.
Je me suis levé tard, et j'ai beaucoup à écrire ce matin. Je suis horriblement enrhumé du cerveau. J'éternue comme vous savez. Adieu, adieu. Je le dis plus gaiement que de coutume, comme si j’allais vraiment vous retrouver. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 13 Juin 1850

Les nouvelles du roi hier étaient si mauvaises que vos amis espèrent que vous hâterez votre voyage. Molé, hier soir, était consterné de l’idée que vous arriverez trop tard. Assez de monde hier soir. Changarnier, Broglie, Molé, Piscatory, le Chancelier Dumon, Duchâtel, tous les gros diplomates. Piscatory pour la dotation tout-à-fait. Chang[arnier] m’a conté que la veille Normanby avait eu une énormément longue conférence avec Lahitte de nouvelles propositions que celui-ci repousse. Cependant Il a fallu tenir un conseil hier. A l'unanimité rejet des propositions de l'Angleterre. comme il y avait eu des méprise sur les conversations. Le militaire a tout rétabli dans une dépêche qui sera portée à la tribune en son temps. En attendant Normanby a dit à [Rnoff] hier, qu'il était honteux de ce marchandage, & il a laissé deviner que Samedi Pal[merston] rendrait les armes. Je mande tout cela à notre ami. Voici une lettre de lui à l’instant même. L'affaire finie on non, si Lord P[almerston] en sort humilié, c’est égal pour la discussion de Lundi. Il ne se dit pas tout-à-fait confiant pour le vote. Peel travaille contre. D’un autre côté Beauvale retire son propos au gouvernement. Ce sera très balancé. Girardin est député. Cela fâche ici. Je n’ai pas trouvé que Molé eut l’air content hier.
Ce n’est qu’aujourd’hui que j'ai la consultation. Je n’en ai pas dormi la nuit, de peur. Vous avez raison pour lady Palmerston. 2 heures Adieu. Adieu. Je tremble de la consultation dans une heure. Adieu. Voici un billet de tout à l'heure

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Lundi 17 juin 1850

Grand jour, qui sera je l'espère un grand échec moral, mais que je ne regarde. plus comme devant amener la chute. Mes correspondances de Londres me disent que le duc de Wellington et Sir R. Peel font tous leurs efforts pour assurer une majorité au G[ouvernement] dès lors c'est un hopeless case. Hier vous n'imaginez pas tous les tricks employés par Normanby pour arriver au dénouement le plus tard possible dans la journée. Si je suis bien informée, l’Angleterre cède de tout & il n'y aurait plus d'embarras. que dans la forme de le rédaction. On a tenu conseil à l’Elysée. Pour Normanby il s'agissait de finir après le départ de la poste, afin que l'opposition à Londres ne peut être informée du résultat. En effet ce n’est qu’après 6 heures qu'il est revenu une dernière fois chez G[énéral] de Lahitte. En définitive hier soir rien n'était terminé mais cela peut l'être ce matin si Normanby a reçu ou s’il tient dans sa poche, l’acceptation absolue.
J'avais beaucoup de monde hier soir. On ne parlait que de cela et de l'amendement fait par la commission. Fould m’a dit que le g[ouvernement] n'accepte aucune transaction. Dalmatie qui était ici m’a parlé comme avait fait un enragé de la commission. Pourquoi est-il si mauvais ? Le brave g[énéral] m’a plu encore plus que de coutume. J'ai été le matin à Passy mais Thiers n'y est pas venu. Tout le monde le blâme bien haut de son apparition à la ch[ambre] haute. Quelle inconvenance on redit de tous côtés qu'il est revenu très fusionniste. Lisons donc l’Opinion publique de samedi ou l’Univers de vendredi. Très curieuse & bonne lettre de Claremont. Je l'envoie à l'Impératrice. Adieu. Adieu. Je suis bien impatiente de vos nouvelles. Makan part ce soir pour vous rejoindre. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 18 juin 1850

J’espère une lettre de vous aujourd’hui. J’ai donné à dîner hier aux Chreptovitz. J’avais entre autres Molé, Changarnier, Morny. Les deux premiers aiment mieux je crois dîner séparément. Le soir je suis allée un moment chez les Hatzfeld. Le g[énéral] de Lahitte y est venu. Je ne sais aucune nouvelle. Seulement rien n’est terminé avec l'Angleterre. On est, je crois, d’accord sur le fond, mais non pas sur la forme. On ne parle que de la dotation. Toujours du doute mais je ne crois vraiment pas possible que cela soit refusé. La discussion à ce que dit Berryer ne viendra que Lundi. Un mot d’Ellice de hier. Mais je n’ai pas à vous parler de Londres. Vous savez tout à présent, & nous, nous n’en savons rien.
Thiers raconte à tout le monde son émotion des [ ?] de St Léonard. On dit qu’il pleure encore en racontant. On dit aussi qu'il est revenu fusionniste. Chreptovitz part après demain avec un grand regret de ne pas vous voir. J’ai écrit à Marion une lettre suppliante, Hélas cela n’y fera rien. Ste-Aulaire me quitte à l’instant. Hier on m’a dit que si l’Assemblée refuse, le pays fera une souscription, et qu'on lui votera 15 millions peut être. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 23 Juin Dimanche

Je suis bien mécontente de cette brusque solution en présence de ces publications anglaises dépêche de [Wyze] & deux de Normanby qui ne me paraissent nullement agréables au g[énéral] de Lahitte. Aberdeen en juge ainsi de ces dépêches, il les trouve insultantes, & il pense bien que l’affaire ne sera pas conclue, il m'écrit fortement sur l’utilité qu’elle ne le soit pas avant lundi. J’ai montré cela mais l’affaire est faite ; les regrets n’avancent rien n'effacent rien. Un malentendu, dit-on, a empêché hier que le Moniteur continue une réfutation (de la dépêche de Wyze), publiée sur la Patrie. Il faut au moins que cela paraisse aujourd’hui.
Il devait y avoir un grand dîner à Ferrières, aujourd’hui tout à coup hier, les convives décommandés parce que Mad. de Rothschild est partie subitement pour l'Angleterre & M. de R[othschild] pour le Havre. Vous concevez que cela fait quelque bruit. L[ord] Aberdeen, Ellice, Greville, Beauvale, tous me disent que la dernière phrase du discours de Lord John à Paris des plus insolents pour l'Europe. L’intention était à l’adresse de Lord Aberdeen, mais c’est trop fort & les grandes puissances dit-on ne peuvent pas avaler cela. Ellice pense, que si le g[ouvernement] porte, la chambre des Pairs rejettera toutes les propositions du g[ouvernement] tous les bills venant de la ch[ambre] des Communes. La confusion, l’irritation, les commérages sont au comble à Londres. Beauvale dit que c'est un enfer. Meyendorff m'écrit que rien ne s’arrange en Allemagne. 300 [mille] Russes toujours en Pologne. Le Prince de Prusse arrive demain à Londres pour le bateau du Prince nouveau né. J’ai été interrompue la tête branlante l'heure avance, il faut écrire à notre ami A.[berdeen]. L’acceptation ici a été conçue dans des termes [?]. Drouyn de Lhuys ne retourne pas encore. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Lundi 24 Juin 1850

Peu de monde hier soir, mais choisi. Lahitte, Molé, Montalembert mon favori. Piscatory. Toute la diplomatie. Lahitte ne sachant pas s'il sera encore Ministre demain. Molé en grand doute, mais je crois plus de doute dans la forme que dans le fond. Piscatory très certain que la loi passera. Montalembert incertain aussi. Enfin, nous verrons. Quant à Londres, demain le télégraphe. Les notes échangées pour la conclusion de l'affaire, sont, de la part de l'Angleterre, longue, pompeuse, gracieuse, regret du passé vif désir de faire bon ménage & & Du côté de la France, les faits très simples, pas un mot de politesse, enfin très sec, à ce que m’a dit [Soluise]. Nous verrons, quand nous verrons. Normanby est venu se plaindre des deux paroles de Dupin en pleine assemblée. Lahitte a répondu qu'il n’a aucun contrôle à exercer sur le Président de l’Assemblée. On ne parle pas du tout encore de renvoyer l’ambassadeur, & on ne sait quel ambassadeur. Gros est revenu hier, disant des choses incroyables de la légation anglaise à Athènes. J’ai vidé mon sac. Il fait bien chaud. Mon départ est fixé pour Samedi. Lundi au plus tard, mais vous saurez tout exactement. Adieu & Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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J'ai peu dormi. Je n’ai pas eu froid. Je suis arrivé chez moi à 6 heures. Je suis un peu fatigué. Je me coucherai de bonne heure ce soir. Voilà mes nouvelles.
Mon gendre n'est pas encore revenu de Cherbourg. On l'attend pour dîner. Le Président n’y a guères mieux réussi sur mer que sur terre. Les matelots ont trouvé qu’il ne se tenait pas sur le vaisseau à la place où il aurait dû se tenir, et qui est la place d’honneur. Il s’était mis ailleurs, pour se faire mieux voir. On a dit qu'il avait l’air d’un capitaine d'infanterie allemand qui n’avait pas droit à de l'avancement. Le spectacle marin a été magnifique. Grande politesse mutuelle entre les Français et les Anglais. Adieu, Adieu, Adieu.
J’aime mieux adieu de près que de loin. Adieu. G.
Val Richer, mardi 10 septembre 1850

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Vendredi le 27 septembre 1850

Ce mois de septembre est merveilleux. Quelle pitié de le passer à Paris ! J’ai vu assez de monde hier soir. Le général Lahitte, entre autres, qui me plait toujours davantage. Ses bonnes manières, sa belle figure, cet air honnête, sincère, assez de gaité dans l’esprit, rien de cet air de mystère ou d’importance que je déteste, l’esprit dégagé, tout cela me charme. Le duc de Noailles était ici aussi. Dumon, Viel-Castel. Quelques femmes. Rien de nouveau, si non la Hesse. La diète de Francfort se déclarant pour l'électeur, et promettant appui ; il en a besoin. Que va dire la Prusse, qui repousse toute intervention ? Cela peut devenir gros. Voici Fleischmann ; vous voyez qu’il protège peu les petits états. Lord Palmerston a écrit au général Lahitte une lettre de remerciements pour l'accueil fait aux Anglais à Cherbourg. M. Véron fait encore au jourd’hui un article remar quable. Il y a des choses excellentes. Pour la conclusion, je ne la comprends pas. Je n’aurai pas la patience d’attendre, ni lui non plus sans doute. Ce que vous me dites aujourd’hui sur la position du Président est très vrai.
Jugez que les Ellice sont ici depuis 8 jours, & que je ne les ai pas vus encore. Marion m’a suppliée de ne pas même lui écrire, d'ignorer tout-à-fait qu’elle est ici, jusqu’à ce qu’elle. vienne elle-même. Quelque nouvelle grognerie des parents. C’est fort ridicule à elle de s'y soumettre. Ils cherchent un logement et ne trouvent rien. Adieu & moi aussi, je ne trouve rien à vous dire. Adieu. Adieu.
Vous me renverrez Fleischmann. Je suis inquiète de Constantin. Il devait me répondre à une lettre. Il ne le fait pas. Je me mets en tête que son enfant est mort. Je prends quelque fois des idées qui me tourmentent comme des réalités. Sur ce point là il y a un peu de folie dans mon fait. Et une folie de plus, c’est de croire qu'en disant une pareille idée, cela détourne le malheur. Vous allez me trouver vraiment insensée.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 16 octobre 1850

Jamais je n’ai vu un visage plus renversé que celui de Kisseleff hier soir, à propos d’un article du Bulletin de Paris sur le départ de M. de Persigny pour Berlin. Je ne l'ai pas lu. Il dit que la France & l'Angleterre vont soutenir la Prusse. Je ne puis pas le croire. Le général Lahitte affirmait l’autre jour, en me parlant, que quoiqu'il arrive, la France restera neutre dans la querelle de la Prusse & de l’Autriche. Ses réponses à ce que vous me demandez au sujet de Morny Je vous envoie l’indépendance Belge. Je ne crois pas que ceci fasse plaisir à vos amis.
Je n’ai pas revu Morny depuis votre départ. S'il est besoin je demandais à l’ambassade d'Angleterre les armes de ce pays à l’époque que vous dites. Les fleurs de lys y étaient, car je les ai encore trouvées en Angleterre. Elles n'ont disparues que de mon temps. Mad. Rothschild est venu me voir hier. Contente & tranquille. On dit que M. d’Hautpoul sera renvoyé. moi je n'avais pas compris cela. Marion a remonté avant hier le général Changarnier & Thiers chez la princesse Grasalcovy. Le duc de Bauffremont qui était ici hier soir sortait de dîner chez le président. Il y avait le duc de Capone & le prince de Canino, deux jolis sujets ! Point de nouvelle de là ! Les conversations sont très animées à Paris & certainement à votre arrivée vous trouverez les têtes très échauffées. La mienne pas j’espère. Vous trouverez dans l'Indépendance l'article du Bulletin de Paris qui passe pour appartenir à l'Elysée. Dites-moi l’adresse de Broglie je suppose que lundi & mardi c'est là que j'aurai à vous écrire. Adieu. Adieu.
Si nous causions il y aurait bien à bavarder. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi [21] octobre 1850

Beaucoup de monde hier soir. Une conversation à bâtons rompus avec le général Lahitte. Les gros diplomates agités. & cependant le bruit se répand qu'on s’arrange comme de raison. L’inquiétude de mes diplomates à propos d'une double diplomatie ici, ne me paraît pas sans fondement. Évidemment c’est toujours Lord Normanby qui règne à l'Elysée, seulement on tâche doucement d'échapper à ces coups fourrés. L’article du Constitutionnel est fort diversement jugé. Il me paraît qu’on trouve qu'il valait mieux ne pas sonner les cloches pour le renvoi du reste de la guerre. J’ai trouvé au général, du doute, du blâme, de réticences. Un peu de tout. Rien de clair. Je ne sais pas du tout ce que pense le général Changarnier. Tout le monde parle par énigmes. Je vais ce matin avec Hubner à Champlatreux, mais je reviens dîner. Le temps est superbe.
Voici une lettre de Constantin. La Prusse en grande cajolerie pour nous. Le Maréchal nommé chef du premier régiment de l'armée prussienne. Une députation, le colonel en tête, est partie pour Varsovie pour lui rendre les hommes. Petite malice, car l'Autriche n’aura pas songé à cela. On décidera à Varsovie la Hesse & le Holstein. La Prusse renonce à la Constitution de l’union restreinte. Enfin tout est adouci, radouci. Le prince Charles de Prusse parti pour Varsovie aussi, ainsi que le comte de Brandsbourg. Constantin y est. L'Empereur de d'Autriche & le Prince Schwarzenberg doivent y venir. Voilà mes nouvelles. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 27 octobre 1850

J'ai négligé de vous dire, qu'on dit qu'à Frohsdorff outre le service funèbre, & le deuil pris en apprenant la mort de la reine des Belges on a encore et de nouveau chargé Salvandy de porter à Clarmont le message de sympathie & de condoléance, & que Salvandy au lieu de s’en acquitter en personne a écrit à Clarmont les paroles mêmes du comte de Chambord. Les nouvelles d’Allemagne sont très contradictoires, cependant vous allez être bien étonné si je vous dis qu’on croit que c'est l’Autriche qui reculera. Voici : les Prussiens entreront ou traverseront en vertu du traité avec la Hesse. Les Bavarois qui doivent y être entrés déjà, se replieront aussitôt l'entrée des Prussiens, en protestant, & resteront l’arme au bras à la frontière. Comprenez moi, je ne comprends pas. On annonce toujours que l’Empereur & [Schwarzemberg] vont à Varsovie mais ils n’y sont pas. Hier Hubner avait l’air de trouver que c'est mon Empereur qui doit une visite au sien. Tout cela est drôle.
J'ai été hier soir chez les Normanby. Lahitte ne savait rien, Viel-Castel que j’avais laissé chez moi n’en savait pas davantage. Chaque heure peut porter une nouvelle curieuse. On soupçonne lord Palmerston de vouloir faire une malice à la France & à la Russie en laissant croire sur leur compte les bêtises qu’a dit le Times et qui ne dément pas absolument le Globe. Je crois qu’en réalité on voulait ici une démarche collective conservatoire & menaçante & que l'Angleterre a été d'avis de notes simultanées. Lady Jersey part Jeudi. Voulez-vous dîner avec elle ici Mercredi ? J’aurai Sainte-Aulaire, Montebello, quelques diplomates, Viel Castel. Si vous disiez non, il faut me le dire, afin que j’ai le temps de vous remplacer mais dites oui. Demain je lui donne à dîner aussi. Adieu. Adieu.
Je serai charmée de voir finir ces adieux là.
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