120 Val Richer, Mercredi 19 Juillet 1854
Certainement, on pourrait se parler, et il y a, dans votre réponse aux dernières ouvertures de l’Autriche, de quoi arriver à la paix. Mais on n’y arrivera pas ; on est de part et d'autre sous le poids des fautes passées et des arrières-pensés d'avenir. On ne voulait pas de la guerre qu’on se fait, et aujourd’hui, quand on parle de paix, on veut autre chose que ce qu’on se dit. Sans nécessité, par imprévoyance et malhabileté, contre le voeu naturel des peuples et des gouvernements eux-mêmes, on a laissé se poser publiquement, avec éclat, deux questions énormes, la question de la lutte entre les gouvernements libéraux et les gouvernements absolus, et la question de prépondérance entre l’Angleterre et la Russie en Europe, et en Asie. Que fera-t-on de ces deux questions dans la paix qu’on peut faire aujourd’hui ? Evidemment on ne les résoudra pas, on n'en fera pas même entrevoir la solution. Il faut rétrécir et abaisser infiniment, les négociations pour arriver à un résultat, il faut fermer les perspectives qu’on a ouvertes, arrêter les esprits qu’on a lancés, ramener les choses et se réduire soi- même à de très petites proportions après avoir tout exagéré, enflé, soulevé. C'est bien difficile, et je n'ose pas espérer, pour arriver maintenant à la paix, un degré de sagesse, de prévoyance, de mesure et de fermeté bien supérieur à ce qu’il en aurait fallu pour éviter la guerre. Voilà, mon inquiétude et ma tristesse. Je n’y échappe. qu'en espérant que la fardeau des questions soulevées sera trop lourd pour ceux qui ont à le porter, gouvernements et peuples, et qu'à tout prix, ils s'en débarrasseront plutôt que d’y succomber avec un éclat honteux. Nous ne sommes pas dans un temps de grands desseins, ni de grandes persévérances. On peut sortir, par faiblesse du mauvais pas où l’on s’est engagé par maladresse. Dieu veuille qu’on soit aussi faible qu'on a été maladroit.
En attendant nous allons apprendre quelque grosse bataille entre Giurgiu et Bucharest. Je doute que le gros de l’armée Anglo-Française, soit déjà là, mais il paraît bien certain que Canrobert était arrivé le 9 avec sa division, au quartier général d’Omer-Pacha.
Je suppose que c’est une bouffonnerie des journaux qui disent que votre Empereur a interdit l'enseignement du Français et de l'Allemand dans votre École militaire d'Orembourg pour y substituer celui du Persan, de l’Arabe, et du Tartare. Vous n'en êtes pas encore à quitter aussi l'Europe pour l’Asie.
J’ai des nouvelles de la Reine Marie Amélie. Lettre du pure amitié, en arrivant à Claremont. Elle me dit : " Je crois avoir fait un beau rêve de six mois, car rien n'a été plus satisfaisant et plus doux pour mon coeur que le temps que j'ai passé à Séville ; le bonheur que j'y ai éprouvé et la douleur et la beauté de ce délicieux climat ont rétabli ma santé qui est tout à fait bonne. " Pas un mot, comme de raison, des troubles d’Espagne qui s'aggravent évidemment.
Midi
J'ouvre d’abord votre lettre, puis mes journaux. Est-il vrai que le Général [?] se soit suicidé ? J’espère G.