Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Baudrand, Marie-Etienne-François-Henri (1774-1848)
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Vous êtes mieux placé, sous quelque rapport, que nous le sommes ici, pour juger l'état politique du moment. Les documents publics et les correspondances privées vous fournissent des données à peu près suffisantes pour bien asseoir votre jugement, et vous êtes à peu près en dehors de l'esprit de coterie, qui est souvent une cause d'erreur.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton le 1er Novembre 1848

Trois lettres hier. Deux le matin, & ce soir celle que vous m'avez écrite hier matin de Cambridge. C’est trop à la fois, je vais tout à l’heure me plaindre de mes richesses après avoir gémi sur ma pauvreté. Je suis un peu malade ce matin. La bile en mouvement. L'air de la mer produit cela quelque fois. Si cela continue je quitte la mer. En attendant, j’ai envoyé chercher un Médecin.
J'ai vu hier le Prince Metternich. Décidément c’est trop long. Et pour moi, intolérable. A propos, on lui a assuré que vous voulez que le duc de Bordeaux promet qu’il n’aurait pas d’enfants et s'il en avait qu'on les mettrait de côté pour faire place au comte de Paris. Je l’ai assuré que vous ne pouviez pas avoir dit cette bêtise. Que vous étiez d'avis de la fusion, et qu'on ne parlât pas de postérité. Le comte de Paris étant naturellement l’héritier présomptif. Il a été charmé. L'Autriche l'inquiète, on travaille les populations dans les provinces. Il ne croit pas au bombardement de Vienne.
Mon Dieu comme il parle ! Je crois vraiment qu'il est devenu machine à vapeur. Sa femme est en grand soin pour moi, Le Prince se vante que vous vous êtes exprimé comme elle sur la candidature de Bonaparte. On dit que vous allez être élu ? à Caen, le croyez-vous ?

2 heures. Le médecin ne prescrit rien et dit que cela passera. Voilà un bon médecin.

4 heures. Voici les journaux de hier qui m’arrivent. Je n’ai pas eu le temps de lire. Je cours vite au dernier mot d'un long article du Constitutionnel. " M. Thiers n’a point l’honneur de connaître le prince Louis Napoléon. Il n’a pas de relation politique avec lui. Il n’est pas appelé à en avoir. Est-ce clair ? " Adieu car voici le moment où ma lettre doit aller à la poste. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 13 septembre 1851

Le duc de Noailles est venu hier matin. Il ressemble parfaitement au duc de Broglie. “c'en est fait de la France. Nous périssons, seulement j’aime mieux périr avec le Président qu’avec le prince de Join ville " Voilà toute sa politique. On fait venir M. de Falloux. C'est l'homme utile & convenable si l’on peut faire quelque chose. Mais rien ne pourra être fait que lorsqu'on aura vraiment peur. Peur à l’Elysée, puis dans le camps légitimiste. Ce moment sera la proposition Creton. Si elle passe, ou alors les légitimistes se déclarent. Berryer passe à l’Elysée & dira pourquoi. Mais il faut que l’Elysée prenne en retour des engagements. Si la proposition est rejetée ou écartée, on restera comme on est. Des bruits de coup d’état ont circulé dans la journée. Cela vient de quelques déplacements de régiments. Mad. Royer qui est venue voir Marion était toute pleine de cela.
Le soir Dumon, Kisseleff, Antonini, Mercier. Rien de neuf. Marion me quitte aujourd’hui pour huit jours. D'abord chez les Royer & puis à Ferrières. J'ai un peu dormi cette nuit, mais cela ne va pas encore. Adieu. Adieu. C’est drôle, Barante.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 20 octobre 1851

Le Président a dit avant hier que rien ne serait changé à sa politique. L’Europe peut être tranquille sur ce point. Il n'a jamais accepté pour son compte le 31 Mai. Il veut être réélu comme il a été élu. Il le sera. Il restera là où il est. Les vieux temps & les vieux hommes sont passés. Il a beaucoup réfléchi à tout cela, et il a le pays avec lui. Il est fort indifférent à ce que fera, ou ne fera pas l’Assemblée. Son entourage tient un langage très vif, les autres ont plus à perdre que nous. Ils ont des terres, des maisons des familles. Nous sommes indépendants de tous ces biens. Nous irons résolument au but et au bout. Cela sent un peu le brigand, c’est égal.
Hier soir [Hecheren] se croyait sur que Billault entrait que le général [Bourjolis] serait [Ministre] des Affaires étrangères. Saint-Arnaud à la guerre. Ducos je ne sais quoi. Il croyait aussi que Fould resterait. Cela je ne le crois pas du tout. Il faudrait pour cela que le Président se prêtât à une modification de la loi du 31 Mai.
J'ai revu hier soir le brave Lahitte, & cela m’a fait grand plaisir. Le Président rentre à l'Elysée. Samedi J’ai vu assez de monde hier point d’hommes politiques. Thiers a été si effrayé pendant 3 jours, qu’il en a été malade et ses accidents d’aphtes lui sont revenus. On dit beaucoup qui Carlier l’avait prévenu lui & Changarnier qu’ils seraient arrêtés.
Hier [Heseren] disait que le Président ne demandait pas mieux que d’être mis en accusation, alors il ira de l’avant. Je cite [Hesseren] parce qu'il voit dit-on le président tous les jours. Il a beaucoup d’esprit.
Il y aura consultation pour moi aujourd’hui. Il y a de quoi. Je suis toute jaune & tirée.
Samedi
J'avais une loge aux italiens. Je n’ai pas eu le courage ni l’envie d'y aller. Adieu. Adieu.
Vitet a été très frappé de ce que vous me dites du travail légitimiste contre vous. Je verrai le duc de Noailles aujourd’hui je lui en parlerai. Le comte Buol va arriver ici de Londres aussitôt que Kossuth y paraîtra. Hubner m'a dit qui si la princesse Grasalcovitz se permettait le moindre propos factieux, l'Empereur lui ordonnerait sur le champ de revenir en Hongrie. On est là très sévère. Le corps diplomatique blâme toujours ceci, & attend sans curiosité les nouveaux Ministres. On dit beaucoup que ce ne se sera qu’un relais, & que la troupe dorée est derrière. Montebello est revenu. Sa femme va mieux.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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24. Saint-Germain jeudi 6 août 1846
Je me suis levée fort tard aujourd’hui parce que j’avais eu une bien mauvaise nuit. Des points dans la poitrine qui m'ôtaient la respiration. J’ai fait tout ce que je sais faire, mais sans succès. Ce n’est que vers le matin que les douleurs se sont un peu calmées. Je viens d'écrire à mon médecin, j’espère que ce ne sera rien. Hier un bel orage le soir, mais le temps n'est guère rafraichi. Lonepeleun et Fagel ont dîné chez moi. Tous les diplomates sont frappés d'avance du bon que les élections produiront partout, et de la grande importance que cette législation soit bonne, pour le cas d'un changement de règne. Cela fera un véritable événement. en Europe. J’en demande. pardon à la France mais ce n’est que parce que vous êtes son ministre que cela me touche & m’enchante. Voici votre lettre d’hier. Je vous renvoie vite Fontenay, intéressant. Je comprends fort bien la mauvaise humeur contre le journal des Débats, seulement on est bien sot chez nous si l'on ne voit pas que tout changerait si nous changions. Je garde jusqu'à demain le Caucase, car il me faut du temps pour lire cette fine. écriture. J'ai eu une lettre de Normanby, (à propos de Verity qu’il prend) il me dit que comme Cowley annonce à Palmerston qu’il ne peut pas sortir de l’hôtel avant le 20, Normanby ne viendra qu’après et pour peu de jours se rendant à Vichy. Enchanté de son nouveau poste. Le temps est joli aujourd'hui Je me suis déjà fait traîner dans la forêt pour me remettre de ma mauvaise nuit. Adieu dearest, le 13 je vous verrai donc, savez-vous que c’est dans huit jours. 7 même. Vous vous arrêterez ici le matin & vous déciderez ce que je dois faire. Tout-à-fait la ville c'est bientôt par ce temps ravissant, mais je ferai votre volonté. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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23 St Germain le 5 août 1846 J’étouffe. Les nuits sont comme le jour, et je n’en puis plus. Vous aimeriez cela probablement. J’espère que vous voilà ce matin bien tranquillement au Val- Richer, il me tarde de l’apprendre. Je n'ai vu hier que Fleichman qui est venu dîner. Il a parlé avec quelqu’un qui avait dîné la veille avec Thiers & Odillon Barrot. On savait déjà que les élections vous étaient très favorables. O. Barrot s'en est montré très satisfait. Il a dit que ce qu'il désirait était une majorité de 40 voix pour l'opposition, ou de 120 pour le ministère. Qu’avec cela les embarras deviendraient très grande et que la désunion ne manquerait pas de se mettre bientôt dans les rangs de votre arrivée. Voici votre lettre, thank you dearest. Vous étiez content et je le suis pour vous. Il me semble que vos affaires vont bien. Je reçois pour vous une lettre de Bacourt. Je vous envoie aussi celle qu’il m'écrit. Le duc de Montpensier fera-t-il une pointe en Allemagne ? A propos Schachten a reçu du roi de Hanovre l’ordre de s'assurer d'une manière positive si M. de Béarn est ou n’est pas nommé à Hanovre car s’il ne l’était pas on dénommerait Stokhann ? & dans tous les cas il ne reviendra ici que lorsque le Français sera arrivé là- bas vous savez que je trouve, sans aucune précaution que le Roi de Hanovre a parfaitement raison, & j’aurais certainement fait comme lui seulement un peu plutôt. C’est tout juste aux petits qu’il ne faut pas manquer. Dites-moi quel jour je puis vous espérer. Venez-vous pour le concours. ? Je vous fais bien des questions aujourd’hui. Répondez-y. Adieu dearest, je t'aime. Adieu. Je puis vous faire compliment de votre discours à Lisieux l e 2. Celui-là à la bonne heure. Vous savez que je ne me gêne pas.

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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 23 septembre 1851 Mardi

Personne ne sait me donner des nouvelles de M. de Montalembert. En sortant tantôt je passerai moi-même à sa porte pour m'en enquérir. Je ne pourrai vous mandez que demain si j’ai fait quelque découverte. M. Carlier a dit hier matin à un diplomate. " Nous allons bien mal. Si nous avions de nouvelles élections nous serions perdus. " Textuel. l’inquiétude commence à devenir générale. Qu’est-ce que ce sera vers Novembre ?
Jai vu hier soir [Glucesberg] entre autre. Son père est convalescent ils ne sont plus inquiets. On me dit que Thiers est engraissé et de très bonne, humeur. Boutonné quant à la candidature Joinville. Pas d’opinion. Il a passé chez moi hier, sans en trouver. M. Pougoulat /je crois que je dis bien / votera pour la rentrée. des Princes. On dit qu’une grande partie des Légitimistes fera comme lui. Le sort de cette cette proposition est fort douteux et le temps qui coule est à l’avantage de Joinville. Peut-on courir ce risque-là ? Mais les grands hommes se proclament / il n'y a que le petit homme qui soit ici, & il ne perd pas son temps. Dumon était noir hier. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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22. St Germain Mardi 4 août 1846

Je suis revenue ici hier au soir avec un accroissement de 25 voix à votre majorité. Je suppose que vous en perdrez un peu aujourd’hui, mais en attendant ce début était bon. J’ai vu en ville lady Cowley W. Hervey, Fleichman. Rien de nouveau de Londres grande vraisemblance qu'on ne dissoudra pas le parlement, et qu’en le laissant faire son temps ou s'affermira dans l’intervalle car Peel n’est pas mur, & les protectionnistes impossibles. C’est bien ennuyeux d’avoir à s’accommoder ou s’incommoder. des Whigs pour longtemps peut-être. J’ai écrit hier à Lady Palmerston. La journée hier était fraîche charmante pour la course ; aujourd’hui la chaleur est revenue. Je suis triste, j’ai laissé en ville votre lettre, c’est la première fois qu’un accident pareil m’arrive. Aucune importance à cette lettre pour personne, Mais pour moi ! Pouvez-vous me dire si le roi ouvre les Chambres le 17 ? Ou si, comme plusieurs personnes me le répètent, il n’y aura de séance royale que pour les proroger. Lady Cowley est en bien mauvaise humeur. Le moi domine dans tout. Ce n’est pas une personne aimable. Je suis bien enracinée de ce que Jarnac vous rapportera de Londres par suite de votre lettre de jeudi.
Midi Voici votre N°20 charmant. Mais ne vous revenez pas tant, reposez-vous. Je m'agite et m'échauffe en pensant que vous n'êtes jamais tranquille. Je vous prie soignez-vous. Je suis bien fâchée de M. J. Lefebre non révélé. Et ces lois sur les patentes qui devaient faire un si bon changement dans les élections ? Vous voyez que je me souviens ce soir vous saurez sans doute à peu près tout, ou demain matin. En somme il me parait que vous aurez gagné. J’ai seulement peur comme vous que ce ne soit trop. Cependant il vaut mieux cet embarras que l’autre. Adieu dearest. Qu’est-ce que sont pour moi les élections ? et tout le reste ! Je veux seulement que vous vous portiez bien & vous revoir bientôt, bientôt. Je vois avec grande joie que les deux soirées vous restent bien dans le cœur. C'est juste. Adieu dearest.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris vendredi le 12 septembre 1851

Saint-Aulaire est venu hier & Vitet & Montebello, voilà pour la matinée. Le soir je n’ai vu qu’Antonini tout seul. J’expédie d'abord celui-ci. Valdegamas avait dîné chez lui se louant extrêmement du gouvernement français qui met la flotte des Antilles aux ordres des gouverneurs de Cuba. Tandis que le gouvernement Anglais donne raison aux américains. Morny aurait eu une entrevue avec Mallat. Est-ce vrai ?
Ce que je sais c’est que Morny est à la chasse. Vitet était bien sombre. Si on ne convient de rien avant l'Assemblée, la gauche proposera les loix pénales contre les votes illégaux & il sera bien difficile de s'opposer. Changarnier pousser à ce vote tant qu’il peut. Comment entre l'Elysée & les légitimistes n’'y a t il pas quelque rapprochement ? Si cela était, tout pourrait aller. Je suis étonnée que le duc de Noailles ne soit pas venu me voir hier. Il passait la matinée en ville. J'ai oublié de vous dire qu'on a envoyé chercher Falloux. C'est Berryer qui me l’a dit. Montebello serait bien d'avis qu'on s’arrangeât avec le président. Saint-Aulaire croit savoir que le duc de Broglie est en grave blâme des lettres dans le Times. C'est un peu l’opinion de tout le monde. Barante dit que son département est très Joinvilliste.
Vous avez là tous les commérages que je sais. Marion a dîné hier chez Salomon Rothschild en famille avec Changarnier. Mad. (James] seule manquait elle est à [Ferrières]. Changarnier folâtre et disant à Marion qu’elle avait eu tort de nous quitter avant hier. Il n'a de secret pour personne. Sa politique est la plus nette dégagée de tout image. Il est monarchien, & veut un Roi. Il n’a pas dit lequel. Le ton de la maison était hostile à l’Elysée. La Rochejaquelein disait hier à Montebello que sa candidature, qu'il avait traité lui-même de plaisanterie devenait très sérieuse, & qu'il avait déjà au-delà de 600 m. voix ! Le duc de Lévis parle très mal de tout projet de rapprochement avec l’Elysée. Marion a vu hier matin M. Royer, très animé et se moquant beaucoup de Changarnier.
Mes nuits continuent à être mauvaises. Je n'ai pas à me plaindre d’autre chose. C'est bien assez. Le Prince Metternich trouve comme moi la lettre d'Aberdeen pitoyable. Marion est convaincu que Gladstone et peut-être même notre ami n'ont pas été fâché de se réhabiliter auprès des libéraux et de reprendre un peu de la popularité que leur avait fait perdre leur vote sur le bill Catholique. Elle pourrait bien avoir raison. Ma lettre est une vraie mosaïque on m’interrompt. Joaillier & tapissier. Je suis embarquée pour ma chambre à coucher. Il faut aller. Mais j’arrête pour les autres. On m’interrompt. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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47. Paris, dimanche le 21 Septembre 9h1/2

Quel triste réveil. Votre lettre, vous savez ce qu’elle contenait cette lettre ? Point de noce. Votre mère malade. Vos occupations électorales en province, pas la plus légère espérance d’une course à Paris, et tout cela m’arrive le jour où devait tenir pour moi tant de bonheur !
En même temps, je reçois deux lettres de mon mari dont je vous transmets les passages importants dans la première du 5 Sept. il me dit : "Tu me fais de nouvelles propositions sur un voyage de circumnavigation pour te rencontrer au Havre ! S’il n’existait pas des entraves insurmontables à une telle entreprise, j’y aurais pensé à deux fois d’après les allusions qui ont été faites à ce sujet à mon passage par Carlsbad. Ce sont les conséquences nécessaires d’une fausse position trop prolongée. Il est urgent qu’elle subisse une modification d’un côté ou de l’autre."
Dans la seconde lettre du 10 Septembre " Ton N°356 m’est parvenu hier, le précédent n’est point entré encore. C’est pour cela peut-être que celui-ci ne m’est point intelligible. Tu sembles avoir reçu la lettre par laquelle je te demandai de me faire connaître ta détermination. Je suis dans l’obligation d’insister sur une réponse catégorique, car je dois moi-même rendre compte des déterminations que j’aurai à prendre en conséquence. Je t’exhorte donc à me faire connaître sans délai, si tu as intention de venir me rejoindre on non. Je dois dans un délai donné prendre une résolution quelque pénible que puisse m’être une semblable nécessité."
Que direz-vous Monsieur de tout cela ? Il est évident par la première, que des commérages ont voyagé jusqu’à Carlsbad ; & par la seconde qu’il a pris envers l’Empereur l’engagement de me forcer à tout prix à quitter Paris ? Voilà où j’en suis. Savez-vous ce qui arrivera ? L’Empereur lui permettra de venir sous la condition expresse de m’emmener et lui viendra avec empressement, incognito me surprendre. Car voilà sa jalousie éveillée, & je le connais. Il est terrible. Il est clair qu’il ne croira pas un mot des certificat du médecin. Car il me dit dans une autre partie de sa lettre " il est plaisant de remarquer que les médecins de Granville le renvoient de Paris, & que les tiens t’ordonnent d’y rester, ils sont complaisants, avant tout." Si, si ce que je crois arrive, c’est sur la mi octobre que mon mari serait ici. Qui me donnera force & courage ? Je suis bien abandonnée.
Ma journée hier a été plus triste que de coutume. Votre lettre m’avait accablée. J’ai eu de la distraction cependant, le prince Paul de Wurtemberg pendant un temps, qui m’a fait le récit de tous les embarras existants encore pour le mariage. Mon ambassadeur en suite. Ma promenade d ’habitude au bois de Boulogne, mais  tout cela n’y a rien fait ; à dîner il m’a pris d’horribles souvenirs. Je n’étais qu’à eux, à eux comme aux premiers temps de mes malheurs. Tout le reste était à la surface tout, oui vous-même. Le fond de mon cœur était le désespoir, je ne trouvais que cela de réel. Je demande pardon à ces créatures chéries d’avoir
été si longtemps détournées de mon chagrin. Je demandais à Dieu comme le premier jour, de me réunir à eux dans la tombe, dans le ciel, tout de suite dans ce tombeau. Je n’entendais & ne voyais rien, Marie parlait je ne l’écoutais pas et tout à coup des sanglots affreux se sont échappés de
mon coeur. Vous ne savez pas comme je sais pleurer. Vous ne pourriez pas écouter mes sanglots, ils vous feraient trop de mal.

J’ai quitté la table, j’ai pleuré, pleuré sur l’épaule de cette pauvre Marie qui pleurait elle-même sans savoir de quoi. J’ai ouvert ma porte à 9 h 1/2. Je n’ai vu que mon ambassadeur & Pozzo.
Ma nuit a été mauvaise, & mon réveil je vous l’ai dit.
Midi
Qu’est-ce que votre mère vous donne de l’inquiétude, puisque le cas de la dissolution échéant vous pourriez être forcé de la quitter pendant quelques jours ne serait-il pas plus prudent, & plus naturel de la ramener à Paris, d’y revenir tous, de vous y établir. Cette question ne vous est-elle pas venue ? L’été est fini, la campagne n’est plus du bénéfice pour la santé.
Un courrier de Stuttgard a posté au prince de Wurtemberg défense de conclure le mariage à moins qu’il ne soit stipulé que tous les enfants seront protestants. La Reine exige qu’ils soient tous catholiques, le prince se conforme à cette volonté qui est celle de la princesse aussi, & il a écrit au roi de Würtemberg en date du 19 par courrier français qu’il passerait outre si même le Roi n’accordait pas son consentement. Dans ce dernier cas cependant il est évident que le ministre de Würtemberg n’assisterait pas à la noce & que cela ferait un petit scandale. Le prince Paul jouit de tout cela. Il abhore son frère. Hier il a dîné à St Cloud
pour la première fois depuis 7 ans.
Je cherche à me distraire en vous contant ce qui ne m’intéresse pas le moins du monde. Adieu Monsieur, dès que je suis triste, je suis malade, j’espère ne pas le dernier trop sérieusement. Je voudrais me distraire, je ne sais comment m’y prendre.
Dites-moi bien exactement des nouvelles de votre mère, & dites-moi surtout, si vous n’auriez pas plus confiance dans le médecin de Paris & les soins qu’elle trouverait ici.

Adieu. Adieu toujours adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 9 Septembre 1851 Mardi

Thiers est revenu en très belle humeur, il dit que le pays est bien plus démocratique qu’il ne l’avait cru, mais qu'il s'accommoderait très bien de la forme monarchique recouvrant le socialisme. Il va à Londres. Voilà ce qui m’a été dit hier de source à ce qu’il me paraît. Changarnier est bien animé. Plein de professions de dévouement à la bonne cause. Il met toute la gloire à la servir, mais il ne peut pas affecter cela sans compromettre son élection à la présidence sur laquelle il compte, à quoi il travaille, & qui servira au moins à diviser les voix. On veut lui imposer un certain engagement, obtenir quelque garantie, il est prêt à la donner, il faut inventer, chercher. L'Elysée semble disposé à se rapprocher de Molé, on dit même de Changarnier ; je vous redis ce qu'on me dit et tout cela est encore à l’état de symptômes. Je n’ai pas vu Changarnier. J’ai vu hier Mad. Decazes. Elle est convaincu que Joinville sera élu. Elle dit : " Pourquoi pas ? Ceci vaut mieux que 1830. On ne chasse personne. " On fait aujourd’hui l'opération de la peine au Duc Decazes. Il en a fort peur. Lord Granville est ici. Il est venu me voir hier. Spirituel & doux, & ne m’apprenant rien de nouveau.
Je ne me sens toujours pas bien. Pas de sommeil et très nervous. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Dimanche le 7 Septembre 1851

Plus j’y pense, plus je suis contente de ce que vous avez fait à Claremont. Comme cela a éclairé la situation ! & puisque vos princes sont de si pauvres gens, tant mieux que cela soit proclamé. Quelle mauvaise race et comme la bonne aura toujours raison de se défier d'eux.
Carlier a dit hier à [Kisseleff] qu'on a saisi surtout des papiers importants. L’affaire n’ira pas devant le jury. Elle sera jugée plus sommairement. La grande chose à présent c’est les élections. On les veut très prochaines. A la question si cela serait encore cette année, il y a eu doute à cause de mouvement de [communes] du nouvel an, mais certainement cela sera au mois de janvier. J’ai vu hier Hatzfeld, Dumon & Kisseleff. J’avais fermé ma porte aux autres. J’étais trop fatiguée. Hatzfeld est d’opinion que les arrestations sont un prélude. Le public ne s’est pas ému le moins du monde. On peut aller de l’avant & de degrés en degrés faire un coup d'Etat qui n’a pas l’inconvénient d’un coup de tonnerre. Je crois qu’on serait fâché à l’Elysée de voir la candidature Joinville tout à fait morte, car elle sert à effrayer les légitimistes et à les rapprocher de l'Elysée. Quant à nous autres nous sommes très décidément pour le Président. Il n'y a pas mieux, il n’y a pas si bien, il n'y a même personne.
Je n'ai plus entendu parler de Morny. La Redorte est parti depuis plusieurs jours. Je n'ai pas encore fait savoir à Changarnier mon retour. Je le ferai demain. Je vous ai dit qu'il va aujourd’hui à Champlatreux avec Montebello. Molé m'écrit pour me presser beaucoup d'aller le voir. J’irai dans la semaine mais pour quelques heures seulement. Comme vous dites bien sur Lamartine ! J'ai un peu dormi cette nuit, pas beaucoup. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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21. Paris lundi 3 août 1846 1 heure

Génie, insupportable homme traîne votre lettre dans sa poche & ne m’arrive pas. Je l'ai prévenu que je venais, je l'ai prié de me faire trouver ma lettre ici. Il ne lit pas ce que je lui écris. Que faire. J’attends et je grille. En attendant je ne sais what to make out of your elections. Paris n'est pas bon. Vous n’en avez que deux. J’espère que le pays vaudra mieux. Hier [Lorvujelen?] est venu me voir le matin, & Balabius est venu dîner. Rien, pas un mot de nouvelle. [Georgia] sort d'ici. Elle ne sait rien non plus, sinon, que Lady Palmerston n’a pas encore dîné chez la Reine quoiqu’il y ait eu des dîner. Les Cyley se disposent à partir le 25 ou 26. Voici une lettre de lord John. Je vous croyez devoir l’envoyer plus loin vous pouvez le faire. Jarnac vient de me faire parvenir ma correspondance avec Lord Grey.
3 heures Enfin Génie, avec votre petit mot & d’excellentes nouvelles sur les élections. Vous concevez que je suis contente. du monde, pas moyen de les laisser-là. Je n’ai que le temps d'un long et bon adieu bien tendre.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 18 Juin
Lundi 5 heures

Hier les John Russell tous seuls copiant des vers de lord Byron. Il croit que l’assemblée va statuer quelque chose sur la situation du Président. Il ne sait quoi. Drouyn de Lhuys sera nommé ambassadeur ici. Dufaure a dit à Normanby. " Les soucis de tribune, c’est des bêtises ! Le pouvoir c’est tout, je l'ai, et je le garderai. " Mon Empereur mécontent de roi de Prusse. Voilà tout ce que j’ai relevé de la conversation hier. J’ai rencontré Duchâtel dans la rue. Delessert lui mande qu'on s’est fort battu à Lyon, on a tiré des forts. Cela a bien fini, & tout cela est bon. Je rentre, le temps est charmant, & la promenade avec vous serait plus charmante encore. Des visites. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 10 Juillet 1850

Votre lettre hier est intéressante sur Paris. Elle confirme tout ce que je pense, c’est que bon gré malgré tout tournera au profit du Président. Il est là pour aussi longtemps qu'il lui plaira. Eh bien qu'il fasse de bonnes choses. Deux tiers des électeurs de Paris éliminés, quelle bonne affaire. Voyons la loi sur la presse. Elle passera j’espère, malgré l'humeur des journaux. Voici enfin Ellice, & je vous engage à l’étudier, cela en vaut la peine. Quelle journée hier ! De la pluie tout le long. Personne que le Prince Paul pendant une demi-heure. C’est à pleurer. Je suis au bout de la ville. Ainsi pas même la récréation des passants, d’un peu de bruit, rien, rien du tout. De hautes montagnes couvertes de nuages. Je m'attendais à bien de l’ennui. Ceci surpasse de beaucoup mon attente, comment arriverai-je au bout des quatre semaines ? Je bois, & aujourd’hui je commence les bains. Le temps y est très peu favorable. Jusqu’ici & me voilà au quatrième jour des verres d’eau, je ne sens d’autre effet qu’une grande lassitude. Un affaiblissement général. Si c’est là ce que je suis venue chercher, il ne valait pas la peine de faire ce long voyage. J’étais bien assez faible à Paris. C’est le Médecin du coin qui règle mon régime.
Marion m’a envoyé la correspondance dont parle Ellice. C’est en effet une lettre pleine de reproches, & de flatteries de la part lady Palmerston. Reproches des critiques d’Ellice sur Palmerston. La réponse d’Ellice est très franche, il déteste la politique révolutionnaire du [f. o.] et condamne tout à fait la marche suivie par le [gouvernement] tout entier dans cette discussion. C'était le 21, lendemain du jour où Lord Russel avait fait fi de la chambre des Pairs, & des grandes puissances. Enfin, sa lettre est parfaitement dans la vérité en même temps que convenable. Peel ayant disparu, je suis bien portée à croire que le seul homme considérable en Angleterre reste lord Palmerston. Au besoin l’autre l’aurait contenu, dominé. Aujourd’hui il reste sans frein, sans contrôle. Je crois que l'Angleterre ira mal. Qu’en pensez-vous ? Adieu, adieu. Quel ennui que l'absence, quel ennui que l'ennui. Adieu. Adieu. Quel bon article sur Peel dans les Débats de dimanche, par Lemoine !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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20 St Germain Dimanche le 2 août 1846

Voilà donc votre grand jour d’élection. Comment cela ira- t-il ? Hier des bruits sinistres étaient fort répandus à Paris. Le Roi blessé au bras, le roi tué comme cela revenait de tous les côtés j’ai eu quelques heures de grande inquiétude. Thom est venu la dissiper. Il avait été aux enquêtes. Tout cela était menti. Dieu merci. Rien de nouveau pas Thorn. Personne ne voit Armin. Il vit tout-à-fait renfermé sans contact avec aucun de ses collègues. Assez mal vu d'eux tous, parce qu’il ne leur a jamais encore fait visite. Il se pose en ambassadeur, & les autres n’acceptent pas cela. Thorn inquiet de sa monarchie disant sur cela des choses fort sensées. Les longs règnes des rois ou de Ministres ne valent rien, parce qu’on veut continuer comme on a commencé et cela n’a plus le sens commun lorsque les autres avancent. Savez-vous que c’est vrai, & que tout ce qui a duré longtemps a pauvrement fini ?
Voici votre lettre, charmante et moi aussi je t'aime, je t’aime. C’est si charmant de nous aimer, mais il faut être ensemble. Et voici encore bien des jours à venir qu'il me faut passer seule. Au moins pas d’accident, pas de rhumes, rien je vous en prie qui puisse m'en inquiéter. Je vous dis une bêtise, car je m’inquiète tout de même cette nuit de l'orage. Aujourd’hui bonne pluie bien nécessaire, j’étouffais. Adieu. Adieu cher bien aimé. Vous voyez que l’exemple gagne. Je m’émancipe Voici Brougham. J’aime ces ferveurs. Mon fils Alexandre me mande de Kramsach qu’ils y ont eu un tremblement de terre. Paul est retourné à Londres. Adieu. Adieu. Demain j'irai à Paris chercher des nouvelles sur les élections, je commence à m’animer. Adieu dearest. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton jeudi le 23 Novembre 1848

J'ai eu deux lettres, hier soir, & ce matin. Je suis renvoyée à Mardi. C’est bien long, mais puisque vous pouvez rester si longtemps sans me voir. Il faudra bien que je le puisse. Cela fera quinze jours ! Marion a reçu plusieurs lettres de Paris. Je vous en envoie une, renvoyez la moi.
Mad. Roger écrit aussi. Bien choquée des Normanby qui ont donné leur premières soirées depuis un an, le jour de la proclamation de la Constitution. Cela a fait que personne n’a voulu y aller. Ils se sont divertis avec les Marast & C°. Mad. Royer très contre Cavaignac. Bonapartiste sans enthousiasme ; dégoutée, triste de tout. Et moi aussi. Les Neumann & Koller sont ici aujourd’hui. Je les verrai sans doute. Je ne puis m’empêcher de croire que Miss Gibbons est un peu folle. Elle est dehors, c’est fini depuis hier, elle ne me manque encore que par le plaisir que j'éprouve à ne plus subir les attaques de son humeur. C'est comme cela que j’y pense.
Les nouvelles de Berlin sont assez bonnes. Le corps diplomatique y est revenu. Depuis mars. il habitait Potsdam. Mais Potsdam même est devenu un peu mauvais, ce qui fait que la famille royale s’est fortifié dans le vieux château. Ordinairement chacun des prince demeurait dans sa maison de plaisance, & le Roi à Sans souci.
8 heures
Tansky écrit que Mad. Kalergis est de retour à Paris. Molé a couru chez elle. Amoureux fou, et voulant l'épouser. Tout Paris en parle. Thiers le rival, mais pas pour épouser. Les chances égales pour Cavaignac et Bonaparte. Mais on s'anime beaucoup dans les salons, on s’aborde avec le nom du candidat dans quinze jours on le battra et on se tuera. Marseille et environs. Tout pour Cavaignac. Le télégraphe dit que Rossi ne mourra pas des coups de poignard. Dans le nord de la France, on crie beaucoup vive l’Empereur. C’est aujourd’hui la St Clément je ne l’ai appris que tard j’ai été faire ma politesse. Longue visite de Neumann mais rien de nouveau. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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19 St Germain Samedi 1er août 1846

J’attends votre arrivée au Val Richer. Il fait bien chaud, bien beau ici. Kisseleff et Pahlen sont venus dîner hier, en belle humeur & ravis d'échapper à Paris. Fleichman était venu le matin, à moitié fondu. Point de nouvelles. Kisselef répétant que rien n’est éternel, et rien impossible, curieux, de ce que nous allons faire du nouvel attentat, à peu près décidé s'il vient une dépêche à la supprimer et à faire le compliment viva voce. à quoi vous diriez viva voce " toujours sensible à l’intérêt que ... fait temoigner " L’impression du coup de pistolet à Paris fort affaiblie puisque c’est si répété. Du dégoût, des réflexions déplaisantes, de la honte, voilà. Le duc de Poix était mourant hier. Sabine se marie, elle épouse M. Standick Anglais 23 ans, pas beaucoup de fortune, & gros & court. Louis de Noailles épouse dit-on Melle de Gallifet. Mad. de Nesselrode sera à Paris le 20 pour 15 jours. L’Empereur qui ne pouvait pas la souffrir et qui a passé 30 ans de sa vie à lui témoigner vient de découvrir que c'est une femme supérieure. Elle est en grande faveur, dont son mari rit beaucoup.
Voici vos douces paroles. Je suis parfaitement d’avis que nous en sommes encore aux découvertes sur notre propre compte. Charmantes découvertes. Imaginez de passer beaucoup de soirées comme les deux dernières. Et cet air si doux si pur. Cela y fait quelque chose. Et nous avons si peu si peu de ces jouissances Là ! Je vous prie prenez des précautions demain à votre élection, par complaisance pour moi. Adieu dearest Adieu. Je vais être curieuse après demain de ce qui se sera passé à Paris et plus loin. Je compte aller lundi matin en ville pour quelques heures. God bless you dearest. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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46. Vendredi 22 Septembre. 6 heures

Je reçus un billet de M. Molé à une heure pour me rappeler notre rendez-vous à la place de la ville l’Evêque. Je m’y rendis munie du journal. Avant de procéder à son portrait, je le priai de m’écouter attentivement, et je commençai par lui rappeler ses promesses à l’égard des journaux ; je lui rappelai ensuite sa visite, et je lui demandai, comment il pouvait se faire que j’eusse à attribuer à lui, à lui seul, le déplaisant article dont je venais me plaindre aujourd’hui. M. Molé me parût fort contrarié de ce sujet de conversation. Il me dit qu’il avait espéré à mon silence de tous ces derniers jours que je n’avais pas en connaissance de cet article, qu’il n’en avait pas dormi de 48 heures, qu’il comprenait mes reproches, & qu’il me donnait sa parole d’homme qu’il n’avait rien à se reprocher que d’avoir dit devant Pozzo qu’il m’avait trouvé malade & & qu’il reconnaissait bien à cette indiscrétion, qu’il avait eu parfaitement tort de le dire même à lui, mais qu’il me conjurait de croire qu’il était plus que malheureux de cet abominable article, qu’il lui était défavorable politiquement même, puisqu’il était de nature à vous blesser et de la façon la plus ungentlemanlike qui se puisse, que c’était du plus mauvais goût, de la plus maladroite intuition, enfin il ne tarit pas sur ce sujet. Je lui observai, que ce n’était pas de vous que j’étais venu lui parler ; que j’ignorais ce que vous pourriez penser de cet article, que c’était de moi qu’il s’agissait et qu’au lieu de la protection que j’étais en droit d’attendre de ce qu’il appelle son amitié pour moi, je me plaignais avec raison d’un manque pareil de respect et de convenance. Il protesta qu’il avait de suite enjoint à M. de Montalivet de faire à la presse & au temps, les admonitions. & les menaces nécessaires pour empêcher la répétition d’articles aussi scandaleux. Il me parut être très blessé de la presse surtout (je n’avais pas tenu cette feuille en main. On m’en avait lu seulement un passage.) Il recommença Pozzo, il recommença les insomnies, il me parut sérieusement peiné et fit tout ce qui était en lui pour détruire le mauvais sentiment avec le quel j’étais entrée chez lui. Je fus forcée d’admettre tout ce qu’il me dit, avec mille promesses pour l’avenir, au moins quant à ses efforts pour empêcher que cela se renouvelle. Il m’est impossible. d’entrer par lettres dans plus de détail sur ce sujet. Le Pozzo n’était pas seul, ce que j’ai su depuis, il y avait surtout le jeune homme que nous n’avons pas fort bien traité chez moi au sortir du dîner chez l’ambassadeur de Sardaigne.
Ce qui m’a beaucoup frappé dans cet entretien est la véritable inquiétude qu’il ressent & qu’il montre à votre égard. Je vous réponds que cela est. Je me suis borné à cet égard à des observations très générales. J’ai dit que je comprenais la bonne guerre entre hommes politiques, et que celle-là puisse aller aussi loin que possible, mais que ce genre d’attaque me paraissait tout à fait au dessous de ce qu’on se doit à soi- même et était de la plus mauvaise compagnie. M. Molé renchérit encore là-dessus et revint vingt fois sur ce sujet avec toutes les exclamations convenables. Voilà Monsieur ce que j’ai à vous rapporter sur mon explication de tantôt. Je trouve tout cela une bien mauvaise affaire. & plus j’y pense plus elle me vexe. jugez ce qu’on en dira au loin !

Samedi 23. Je n’ai pas pu continuer hier. Je reprends là où je vous ai laissé. Toute cette explication s’était passée sur un grand divan dans un cabinet vitré donnant sur son jardin. Il avait aussi toute la coquetterie imaginable à préparer son appartement pour me recevoir. Il est bien arrangé. Je passai quelques moments devant son portrait. Plus tard nous nous promenâmes dans le jardin toute cette visite me prit une heure. M. Molé ne me parut pas aussi gai aussi confiant que je l’avais trouvé quelques jours auparavant. Il ne se fit pas très implicitement aux bonnes dispositions que lui témoigne encore M. Thiers. Les deux premiers mois de la session prochaine lui paraissent devoir être très décisifs, & si les doctrinaires entendaient bien leurs intérêts. Ils devraient soutenir le gouvernement !
De la place de la ville de l’Evêque, je me rendis au bois de Boulogne, j’avais besoin de me remettre de cette mauvaise matinée. Je n’y réussis pas, tout ce qui m’agite me porte sur les nerfs & y reste longtemps. Je m’arrêtai chez la petite princesse, je lui parlai de ma matinée, & c’est là-dessus que j’aurais mille détails à vous donner qui ne peuvent pas trouver place dans une lettre. IL faut que je vous dise cependant que le hasard l’avait mis à même d’accepter l’exactitude de chaque chose que M. Molé m’avait dit sur ce sujet.
Ainsi c’est par le Prince Schönburg lundi à dîner chez M. de Pahlen qu’il à appris ce qui avait paru dans le Temps, et il m’a été pétrifié. Le mari l’a conté le soir même à sa femme. Comme un mouvement qui l’avait beaucoup frappé. C’est encore en présence de la petite Princesse que M. Molé avait fait le récit de sa visite chez moi, mais n’appuyant que sur que les vers de Lamartine m’ennuyaient. Pozzo et deux autres hommes étaient présents. Mon Dieu que je vous conte des détails ! J’en ai presque honte.
Je dînai mal, je fus un peu maussade après le dîner. Le soir la petite princesse, les Durazzo, tous les Pahlen & M. de. Médem vinrent chez moi. J’essayai un peu de musique, mais elle ne va pas devant le monde, je me trouble et les idées, les souvenirs ne me viennent pas. Je quittai le piano, je fus toute la soirée un peu fidgetty connaissez vous ce mot ?
J’avais le pressentiment d’un mauvais réveil. Et en effet cette lettre attendue avec tant d’impatience et à laquelle je fais toujours aveuglement un si bon, un si tendre accueil, elle me chagrine bien ! Voulez-vous que je vous le dise, dès la matinée de votre départ j’ai prévu cela. Vous n’aviez pas un air de complète vérité ne m’annonçant le 26 comme le jour de la noce ; et je n’ai pas cessé d’avoir des soupçons depuis le moment où vous m’avez quittée. Ils sont devenus une fort triste certitude. Mais expliquez-moi bien clairement si vos occupations électorales vont remplir l’intervalle entre ceci & la noce ou si elles doivent inquiéter, même sur la noce. Je vous en supplie dite moi quelque chose de fixe, nommez moi une date afin que je sache penser & me réjouir franchement. Ne craignez pas que je vous détourne de vos devoirs par la moindre plainte ; ne craignez pas une mauvaise parole, par une mauvaise pensée.
Ah mon Dieu à qui croire sur la terre si je ne croyais pas en vous. Je serai triste, triste plus constamment triste que vous, car je n’ai rien qui me distraie du seul sentiment du seul intérêt qui occupe mon âme, mais je croirai que la vôtre retourne à moi, à moi toujours dans tous les instants que vous n’êtes pas forcé de consacrer à d’autres soins et je le répète vous êtes heureux bien plus heureux que moi, car vous aviez d’autres soins ! Moi, je n’ai rien ! Vous m’avez dit qu’aussi tôt la dissolution prononcée vous êtes forcé de venir à Paris pour huit jours au moins, afin de voir votre monde, de vous concerter avec lui, votre tournée de province remplace t-elle cela ? Ne serait-elle avant, après ? Enfin je vous en prie soyez clair, bien clair dans ce que vous allez me répondre, moi je je serai bien sage, je vous le promets.

Midi. Les expressions de votre lettre me touchent, je viens de la relire. Oui, je serai tout ce que vous voulez que je sois, comptez là-dessus. Je serai tout bonnement triste, triste, pas autre chose. J’attendrai avec confiance, mais avec impatience. Vous permettez que je sois impatiente, n’est-ce pas ?
La petite princesse est partie ce matin, pour Maintenon avec son fils. C’est une partie d’enfance où elle va passer quelques jours. Ah comme j’acceptais avec transport ces parties là, comme c’étaient mes vraies fêtes ! Mon Dieu, que je suis isolée ! Lady Granville qui devait revenir aujourd’hui se remet à la semaine prochaine. Je n’ai pas de ressources de femmes. Je verrai à passer mon temps comme je pourrai. Quelle longue lettre !
Adieu, que d’adieux nous allons encore nous adresser. Il y en aura tant que je ne les aimerai plus. Ah quel blasphème ! je voulais dire que je serai lasse de les faire voyager toujours. Un peu de repos je vous en prie, du repos dans mon cabinet sur mon canapé vert. Ah mon Dieu ! Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton jeudi le 9 novembre 1848

Voici la lettre, & merci beaucoup de me l’avoir envoyée. Relisez-la elle est pleine de sens pour les avis qu’elle vous donne et c’est bien là à quoi je vous ai exhorté. Pas un mot de vous à personne. J’espère qu’il n’y a rien dans les deux lettres que vous avez écrit à la Duchesse Galliera qui puisse vous embarrasser. Mais tenez pour certain que pour l’avenir ce que vous avez de mieux à faire est de ne plus lui écrire du tout. Et si vous m’en faisiez la promesse je serais plus tranquille. Elle n’est pas autre chose qu’une intrigante second rate.
Pour en revenir à la lettre. Quel coquin que [Thomine] ! (langage de Mad. de Metternich). Je crois qu'il faut un démenti très simple et court à ce qu’on débite sur vous et vos opinions. Vous n’êtes pas appelé à juger de choses & de situations que vous ne connaissez pas. Et ne nommez personne. Le Calvados vous n'en voulez pas. (Vous restez loin jusqu’après votre procès. Ceci est inutile.) Enfin bref & simple. Pourquoi votre travail si pressé ? Ce ne sera pas dans un moment de bouleversement qu'on le lira vous avez le temps de l'achever à votre aise. J’aime Bertin de tout mon cœur, et le narrateur aussi. Relisez la lettre. J’espère que vous aurez ceci dans la journée. Windisch Graetz se conduit à merveille, et de quatre ! Paris, Francfort, Milan, Vienne. Je crois que cela fera passer le goût d'insurrection dans les capitales. Vous verrez cependant qu’il y aura tout à l'heure quelque chose de très gros à Paris. Adieu. Adieu, et encore merci de m'avoir […]

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Vendredi le 22 7bre 1848

Un de mes journaux le Corsaire donne le prochain ministère Dufaure, Vivien, Bedeau, [?] , Dupin, Maleville, Goudchaux Baudin, Tourret. En tout cas Cavaignac me parait malade & la république aussi. Serait-il possible que le Prince Lichnowsky ait été massacré ? Pauvre Mad. de Talleyrand ! Vous voyez je ne vous donne que les journaux. Je n’ai vu personne, je ne sais rien, sinon qu'il fait très chaud, très beau & que je rentre d’une longue course. Hier valait mieux. Adieu. Car je suis au bout. Si j'avais quelque chose d'ici à midi demain je vous écrirai, peut-être ma lettre vous serait elle remise le soir. Sinon à Holland house dimanche. Venez y à 4 1/2. Adieu. Adieu.
Lord George Bentinck est mort.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton Samedi le 11 Nov. 1848
9 heures

Je vous renvoie la lettre du Duc de Noailles. Sensée. Tout ce que vous me dites & tout ce qui revient de là prouve encore de l’incertitude sur la présidence, et Cavaignac m'apparait toujours comme un grand malheur. Mais avec l’autre aussi quelle confusion. C'est égal j'aime mieux l’autre. Votre élection dans le Calvados me trouble horriblement. J'espère encore qu’elle ne se fera pas. Prenez-y de la peine. Mais si le malheur voulait que vous fussiez élu, ne serait-il pas simple de leur écrire que ne pouvant par les servir de la prison vous les priez d’attendre, ou d'en prendre un autre. C'est bien clair que vous ne devez pas aller à Paris, à aucun prix. Dites-moi que c’est votre avis.
Peel m’invite à Drayton, mais évidemment avec peu d'espoir que j’accepte. C'est trop loin, je ne suis pas capable de ces tours de jeunesse. Je n’ai rien à vous dire ce matin. Les journaux anglais ne sont pas là encore, et mes Français vont se promener à Bedford. On prend l’hôtel pour la forme. Adieu. Adieu. et toujours Adieu.
Malgré les conduites et les citernes je trouve les accidents de Claremont un peu équivoques. Savez-vous, ce qu’ils comptent faire, car Richmond ne doit pas être tenable ? Adieu. Adieu.

Lady Holland me dit qu'on adore Cavaignac au foreign office, on est convenu avec lui de certains arrangements dans l'Orient. Contre nous sans doute. Normanby et Jérôme Bonaparte qui étaient amis intimes sont brouillés tout-à-fait depuis le mois de Mai, je vous conterai cela, rappelez le moi. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton le 12 Novembre. Dimanche

Vous avez été charmant hier deux lettres. J’ai reçu la première hier soir. La seconde à mon réveil ce matin, et toutes les deux très intéressantes. Je suis bien contente qu'on ne vous porte pas pour le Calvados.
Je n’ai pas lu le journal des Débats depuis le 8. Il se promène en Angleterre. J’ai écrit à Paris pour me plaindre. Rien de nouveau d'ici. Une lettre de Lord Brougham de Cannes du 6 amusante mais rien de nouveau. Le militaire à Lyon, fanatique pour la Bête impériale.
Je me réjouis extrêmement de Mardi. Je suppose que vous arriverez comme l'autre jour. S'il y avait un changement dans les heures mandez le moi demain. Nicolay est venu ici pour la journée. Je le fais dîner avec moi. On meurt assez à Pétersbourg et encore du choléra, entre autres ce Prince Dolgorouky homme d’esprit dont vous devez-vous souvenir, et que j’aimais beaucoup. Lady Holland vient me voir tous les jours. Je vous raconterai quelque chose sur elle qui vous divertira organiser l’état de siège, pourquoi pas la révolution, pourquoi pas le bombardement de Paris. Il faut tout prévoir. C'est trop de non sens. Adieu. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton Dimanche le19 Novembre 1848

Votre lettre de Drayton d'hier matin, m’est arrivée hier soir. C’est être très bien servi. Je suis charmée que vous abrégiez d'un jour ; je l’espérais. Cette lettre va donc vous attendre à Londres. Quand vous me direz le jour où vous voulez penser à Brighton, souvenez-vous que Lundi le 27 je ne serai pas libre le soir, car c'est un jour de fête dans la famille royale.
Andrieu est arrivé et demeure aussi au Bedford. Je le verrai sûrement. On dit que l'Angleterre l'ennuie à périr. Kielmannsegge me dit que Bruxelles est choisi pour le lieu des conférences italiennes. Le plénipotentiaire anglais est Lord Minto !! Et le Français Toqueville. Je ne sais qui sera l’Autrichien et l’Italien. Je trouve assez étrange ce choix de Bruxelles. Dans toute autre résidence il y aurait un ministre de Russie, qui pourrait prendre une part officieuse aux conférences. Là il n'y en a point. Il est possible que cela ait fait pour Palmerston un motif de préférer Bruxelles. Au reste je n’attache aucune valeur à ce congrès. C'est de la pure comédie. Il n’aboutira pas. C’est bien gros d’avoir fusillé Bluhen à Vienne. Comment Francfort s'arrangera-t-il de cela ? A Berlin la conduite n’est pas assez énergique, ou bien elle l’a été trop. Comment laisser siéger l'Assemblée ?
J’ai vu hier un Rothschild Antony, il pense très mal de Berlin, & dit que rien ne pourra aller tant qu’il y aura le roi. A Paris l'on commence à croire que ce sera Cavaignac qui l’emportera, et on accuse entre autre le journal des Débats. Rothschild est convaincu qu'on lui a donné de l’argent. Un bel ami que vous avez là. Les propos de Beaumont de viennent beaucoup plus républicains et surtout Cavaignac. Voilà tous mes commérages.
Hier les Hollands chez la Duchesse de Glocester, c'était un peu plus animé que de coutume. On dit que Melboune est fini par la tête. Cela c’est bien triste. J’ai écrit à Lady Palmerston pour avoir de ses nouvelles. En attendant son fils William se marie après demain.
8 heures. Andrin est venu mécontent de Berlin, de ce que le gouvernement n’a pas assez de courage. Très content de Vienne. Disputant un sur Bluhen. Rien de nouveau. Tansky écrit en date du 17 que les chances sont toujours pour Bonaparte. Thiers sera bien président, Barrot à l’Intérieur, Bugeaud gouverneur de Paris et de toutes les troupes aux environs. Drouyn de Lhuis affaires étrangères. Walesky ambassadeur à Londres.
On fait beaucoup la cour à Jérome. Les grandes dames y vont. Madame de la Redorte joue. La duchesse de Mont[?] elle ne veut pas rencontrer les dames du nouveau régime. Mad Roger Ditto Mad. Thiers approuve. Tout cela est fort amusant. Tansky n’explique pas le journal des Débats. Quand me l’expliquerez-vous ? Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 20 Septembre 1848

Lutterotte me mande en date de hier, qu'on remanie le ministère. La montagne a déclaré se séparer tout-à-fait de Cavaignac il doit donc chercher du renfort dans le parti modéré, sa majorité étant désorganisé. Ainsi décidément changement de Cabinet. Voilà tout ce que je sais, n'ayant vu que les habitants de Richmond qui ne savent jamais rien. Votre lettre me dira demain matin quand je puis vous attendre ; où je dois vous allez chercher.
Je suis un peu furieuse de ce que Lutterotte m’a mal arrangé mes affaires. On me prend une chambre, & il faut que je paie comme avant ? Cela n’est pas juste. Adieu. Adieu.
Que dira-t-on à Claremont de la lettre du Prince de Joinville à son frère écrite un mois avant la révolution, la prévoyant, et parlant très mal de son frère ? Le Roi cause de tout. Cette lettre est dans tous les journaux moins les Débats, vous l'aurez lue dans le Times. Adieu.

1 heure
Louis Bonaparte est élu partout & à la tête de tout à Paris. Après lui Raspail & Cabet, Fould député dans quelques arrondissements. Voilà mes dernières nouvelles de hier 6 h. du soir Paris.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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22 est-ce vrai ? Val Richer Mercredi 5 août 1846 9 heures

Nous somme à 28 voix de gain sur 385 élections connues hier à midi. Nous avons  230 élections contre 135. En supposant que, dans les 74 élections à connaître, toutes les chances douteuses tournent contre nous, nous aurons toujours de 80 à 90 voix de majorité. Très probablement nous en aurons 100. C’est très assez. Mais je dis comme vous, mieux vaut cet embarras que l'autre. Grand résultat. Rossi m'écrit : " Rome est aussi impatiente que moi de connaitre le résultat de vos élections. Elle sait parfaitement tout ce qu'elle a à perdre ou à gagner à votre jeu. Et Montebello : " Voilà à Rome un grand acte d’amnistie. Ici on est je crois, disposé à adopter une mesure semblable. Le Roi a un peu de dépit de s’être laissé devancé. Tout tient à la façon dont nous sommes gouvernés. Sans sortir de mon petit coin d'Italie, il n'y a plus, dans cette Péninsule, de parti Autrichien. Je ne dis pas parmi les peuples, mais parmi les gouvernements que nos affaires changent de direction et tout cela, changera bientôt. Au contraire, qu'une bonne Chambre assure à votre Ministère aux yeux de l’Europe encore cinq ans de durée, et les conséquences, de cet état de choses se développeront, au grand honneur de notre pays. " Je continue à vous montrer mes satisfactions orgueilleuses. Autre nouvelle de Montebello. " Le Prince de Schwartzenberg vient d'avoir ici une bonne fortune qui a fini par un éclat, et une séparation de la Dame et de son mari. Le Roi n’entend pas raison sur cet article-là, et je doute que Schwartzemberg puisse rester ici. On dit qu’il va prendre un congé et qu’il ne reviendra plus. On dit aussi qu’il sera remplacé par Neumann. " Lisez cette lettre de Stuttgart et renvoyez-la moi sur le champ, je vous prie. J’y vois la persistance du grand souverain et l'impuissance du petit. Lisez aussi cette note sur le Caucase. Venue de bonne source. Et renvoyez-la moi. Quoique la guère, ne vous touche guère, ceci vous intéressera un peu. Le Roi ouvrira la session en personne, le 17. Un pur compliment renvoyant le discours politique et par conséquent l'adresse politique, au mois de de Janvier. Puis la vérification des pouvoirs. Puis la constitution du bureau de la Chambre. Puis, un compliment de la Chambre au Roi avec le même ajournement de la politique. Voilà le plan qui, même sans dérangement, prendra bien trois semaines. J’aurais Jarnac ici après-demain. Et dans les 24 heures, je l’enverrai au château d’Eu. Il a, me dit-il, bien des choses à me dire qu’il aime mieux ne pas m'écrire. 2 heures J’ai été assailli de visites. Je les recevrai avant par utilité. Je les reçois après par convenance. L’heure me presse. Adieu. Adieu.
J'espère partir mardi prochain 12, le soir pour être à Paris, le 13 au matin. Vous n’avez pas d’idée de l'effet que font ces élections dans le pays. Ce sont les premières élections vraiment gouvernementales qu’on ait vues depuis 1814. C'est le propos universel. Adieu. Adieu dearest.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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24 Val-Richer Vendredi 7 août 1846

Voici ce que me mande Duchâtel sur le résultat définitif des élections. " Nous avons gagné sur l'opposition 49 batailles. Mais, parmi, les candidats que nous avons appuyés, il y en a deux ou trois un peu douteux."
" L'opposition nous a battus, par des candidats. de ses diverses nuances, dans 28 Collèges. Il y a sur ce nombre deux ou trois membres qui peuvent, je crois, être ramenés."
" Elle a fait passer contre nos candidats, dix candidats conservateurs auxquels elle a donné la préférence sur les nôtres, qui sont, à très peu d’exceptions près, bons au fond, mais qui auront besoin d'être disciplinés." " Les pertes de l'opposition dans ses diverses fractions. se résumant ainsi : Légitimistes, 17 pertes. 6 membres nouveaux. Perte nette 11. Extrême gauche, 7 pertes. 1 membre nouveau Perte nette 6."
"gauche et centre gauche, parti Thiers, Barrot. 30 pertes. 19 Membres nouveaux. Perte nette 11"
Il est parfaitement content. Je lui ai écrit hier très amicalement. Le Roi aussi est très content. J’ai reçu cette nuit à 2 heures deux lettres de lui, et copie de la lettre qu’il a écrite à Duchâtel après le succès. Je suis charmé et du succès et de sa joie. Je prendrai garde seulement qu'il ne croie pas que tout est possible.
Longues nouvelles de Madrid. Rien de vraiment nouveau. Bulwer malade. Assez malade, pour être dans son lit et ne voir personne. Je crois qu’il use beaucoup de la maladie. Pas mal d'inquiétude dans le gouvernement Espagnol et les deux Reines, sur les penchants et les projets du Cabinet anglais en faveur des Progressistes. Forte aigreur entre Madrid et Lisbonne jusqu'à craindre une entrée des Espagnols au Portugal ce qui y amènerait les Anglais. Bresson s'emploie beaucoup à calmer cela. De Berlin, commencements de réforme, dans l'administration de la justice, les codes, les procès. Le Roi entrant toujours en conversation et en discussion avec son peuple. M. de Canitz un peu mieux. Je vous renvoie la lettre de Lord John. Si vous lui écrivez, parlez-lui de moi, je vous prie.
Oui, je vous verrai le 13 au matin, et nous réglerons votre marche. Ma volonté sera ce qui vous plaira. D’abord ce qui vous sera bon. Au fond, je suis très exigeant très romanesque comme vous dîtes. Mais je ne me laisse pas être tout ce que j’aurais envie d'être. Pas même avec vous. Glücksbierg vient d’arriver. Jarnac arrive pour dîner. Je les renverrai demain tous les deux au château d’Eu, d’où Jarnac partira pour Londres et Glücksbierg pour Madrid en repassant par ici. Je tiens à causer de nouveau avec lui quand il aura vu le Roi. Je vous quitte pour écrire à Stockhausen qui m’a écrit, il y a plus de quinze jours, pour me presser. Grace à Dieu, cette affaire-là est finie Elle m’a bien ennuyé. Il me fallait absolument Lavalette. Je suis charmé que Bacourt apprécie l'habilité avec laquelle je m’en suis tiré. Adieu dearest. J’espère bien que votre mauvaise nuit n'aura pas eu de suite. Cette nuit, quand l’estafette du Rois m’a réveillé, j’ai été trois quarts d’heure sans me rendormir pensant à vous. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, jeudi 17 août 1848
10 heures

Le temps est superbe. Je viens de me promener au bord de la mer. Mais vous manquez au soleil et à la mer bien plus que la mer et le soleil ne me manqueraient si vous étiez là. D’Hausonville m’écrit très triste quoique point découragé : " A l'heure qu’il est, me dit-il, le pouvoir nouveau est, vis-à-vis de la portion saine de l'Assemblée nationale à peu près dans les mêmes dispositions que l’ancienne commission exécutive. Autant que M. de Lamartine, M. Cavaignac redoute l’ancienne gauche, et comme lui il est prêt à s'allier avec les Montagnards, pour ne pas tomber dans les mains de ce qu'il appelle les Royalistes. Ce dictateur improvisé paie de mine plus que de toute autre chose, et a plus le goût que l’aptitude du pouvoir. Vienne une crise financière trop probable ou la guerre moins impossible depuis les revers des Italiens, et la république rouge n’aura pas perdu toutes ses chances. " Il veut écrire sur la politique étrangère passée. Il me dit que c’est à son excitation que son beau frère a écrit dans la revue des Deux Mondes, sur la diplomatie du gouvernement provisoire, l’article dont vous m’avez parlé. " Les documents diplomatiques insérés, dans la Revue rétrospective me serviront dit-il de point de départ pour venger, pièces en mains, cette diplomatie du gouvernement de Juillet, si étrangement défigurée. Je voudrais finir par indiquer quelle doit être dans cette crise terrible, l’attitude de ceux qui ont pensé ce que nous avons pensé, et fait ce que nous avons fait, si vous croyez utile de m'esquisser ce plan, je recevrai vos conseils avec reconnaissance et j’en ferai profiter notre pauvre parti resté, sans chef et sans boussole dans ce temps, si gros et si obscur." Ceci m'explique un peu Barante.
Évidemment l’envie de rentrer en scène vient à mes amis. J'ai aussi des nouvelles de Duchâtel, d’Écosse où il se promène charmé du pays. Je vous supprime l’Écosse. Voici ce qu’il me dit de la France : " Il me semble que, dans le peu qu’elle fait de bon, la République copie platement et gauchement la politique des premières années de la révolution de 1830." Quel spectacle donne la France.
On m’écrit de chez moi que les élections municipales ont été excellentes. Les résultats sont beaucoup meilleurs que de notre temps. Le député actuel de mon arrondissement, qui faisait toujours partie du conseil municipal n'a pas pu être élu cette fois.

Une heure
Votre lettre est venue au moment où j’allais déjeuner. J'espère que celle de demain me dira que votre frisson n’a pas continué. La phrase du National ne me paraît indiquer rien de particulier pour moi. Il insiste seulement sur le danger pour la République d’un débat qui mettra en scène le dernier ministre de la Monarchie qui n’a fait, après tout, que combattre ces mêmes auteurs de la révolution qu'on demande aujourd’hui à la république de condamner. Je comprends que ce débat, leur pèse. S'il y a un peu d’énergie dans le parti modéré, il faudra bien que le National et ses amis le subissent. Mais je doute de l’énergie. Tout le mal vient en France de la pusillanimité des honnêtes gens. S'ils osaient, deux jours seulement, parler et agir comme ils pensent, ils se délivreraient du cauchemar qui les oppresse. Mais ce cauchemar les paralyse, comme dans les mauvais rêves.
La lettre de Hügel est bien sombre, et je crois bien vraie. Je vous la rapporterai avec celle de Bulwer à moins que vous ne le vouliez plutôt. Je vois que Koenigsberg le parti unitaire a pris le dessus. Parti incapable de réussir, mais très capable d'empêcher que la réaction ne réussisse. La folie ne peut rien pour elle-même ; mais elle peut beaucoup contre le bon sens. Pour longtemps du moins. Que dites-vous du Général Cavaignac parcourant les Palais de Paris le Luxembourg, l’Élysée & pour voir comment on en peut faire des casernes et des postes militaires. On voulait nous prendre pour les forts détachés, dont le canon n'atteint pas Paris. Aujourd’hui, on met les forts détachés dans les rues. Ce qui me frappe, c’est que Cavaignac et les siens ont l’air de régler cela comme un régime permanent. C'est de l'avenir qu’ils s’occupent. Ils sont convaincus que, si on ôte au malade sa camisole de force, il jettera son médecin par la fenêtre. Et le gouvernement ne consiste plus pour eux qu’à prendre des mesures pour n'être pas jetés par la fenêtre. Adieu.
J’attendrai la lettre de demain un peu plus impatiemment. Je travaille. Que de choses je voudrais faire ! Adieu. Adieu. G.
J’avais donc bien raison hier de croire que la chance du Roi de Naples en Sicile pourrait bien valoir mieux que celle du Duc de Gènes.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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21 Trouville sur mer. Mardi 4 août 1846, 7 heures du matin

Je compte, je recompte. Je suis sévère. La partie est gagnée, gagnée au delà de mon attente. Sur 201 élections connues ce matin, nous en avons perdu 4, gagné 25. Reste 21 en gain, c’est-à-dire déjà 42 voix de différence en plus sur l'ancienne majorité. Il y a vingt à parier contre un que les 259 élections encore inconnues ne changeront pas en mal ce résultat. Bonne affaire. L'avenir n’en sera pas moins laborieux ; mais nous l'aborderons en excellente situation. J’ai eu confiance depuis seize ans dans le bon droit du bon sens. J’ai eu raison. C’est un grand plaisir. J’ai eu hier deux estafettes l’une à 5 heures, l'autre à onze. Celle-ci m’a réveillé. Je venais de me coucher. Mais je ne me plains pas. J'en aurai deux aujourd’hui qui m'apprendront à peu près tout. Vous aurez su tout cela avant moi. Tant mieux. J’aime votre plaisir au moins autant que le mien.
Beau temps ici, malgré quelques ondées soudaines. La mer toujours aussi belle. Décidément, de tous les spectacles naturels, si ce n'est pas le plus magnifique (la terre a dans les grandes montagnes et les grandes forêts, des aspects supérieurs), c'est le plus constamment saisissant et intéressant. Je vous écris, au bruit de la marée montante qui monte et vient mourir sous mes fenêtres. Je passe la journée ici, et à 6 heures, je retournerai au Val Richer, remmenant Pauline à qui les bains de mer ont parfaitement réussi. Point d’autres nouvelles, comme de raison. Le monde en suspens, du moins le monde en France. Le Roi m’écrit qu'il est parfaitement content de la conversation du Prince Royal de Bavière qui a passé samedi, et dimanche au château d’Eu et qui a dû quitter Dieppe hier pour le Havre, et puis pour Paris. Le Prince Jean de Saxe a donné sa démission du Commandement en chef des gardes nationales saxonnes. Une revue générale approchait & on a cru, lui compris, qu'après l'affaire de Leipzig l’an dernier, il ne pouvait s'y présenter. La dernière session des Chambres a fait faire, au parti Constitutionnel en Saxe, un progrès décisif. Ne dédaignez pas la Saxe. De tous les petits états allemands, c'est celui où j’entrevois le plus de bon sens politique. Adieu dearest. Je vous reviendrai après l'arrivée de mon courrier. Je l’aurai un peu plus tard ici qu’au Val Richer. 9 heures et demie Bonnes nouvelles encore, malgré quelques pertes cruelles. 25 voix de gain net sur 323 élections connues. Je regrette beaucoup MM. Jacques Lefèvre à Paris et Alphonse Périer à Grenoble, sort inévitable des batailles. J’attends ce soir les détails. Génie ne m’a envoyé que les chiffres. Je garde la lettre de Lord John. Je vous la renverrai bientôt. Jarnac doit arriver aujourd’hui à Paris. Je l’aurai au Val Richer du 8 au 10. Adieu. Adieu. J’ai là une foule de lettres insignifiantes, où il faut des réponses indispensables. Adieu comme à St. Germain. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton, Mercredi 20 sept. 1848
une heure

J’ai écrit hier au Roi que s’il ne faisait pas dire le contraire j’irais à Claremont demain, jeudi de midi à 3 heures. Si vous persistez dans votre projet de venir me prendre, soyez, entre 3 h. et 3 h. et demie, à Esher, aux environs de l’ours. Nous retournerons ensemble à Richmond. Nous aurons ainsi la promenade et le dîner. Cinq bonnes heures. Je vous rapporterai la lettre de Paris. Intéressante. Je ne m'étonne pas qu’il n'eût pas encore reçu l'autre de vous. Mon révérend à qui je l'ai remise, m’avait prévenu qu’il passerait quelques jours à Boulogne où était sa famille. Il ne devait aller à Paris que du 16 au 18, et la lettre que vous venez de recevoir est du 17.
Je regrette que vous n'ayez pas trouvé la Princesse de Parme. J’ai confiance dans votre observation. Ce que dit la lettre de Paris n'explique rien. Comment ne sait-elle pas l'état des Affaires et la conduite de son parti ? Comment va-t-elle à Londres sans le savoir ? Ou sans que son parti sache qu'elle va à Londres et la mette au courant ? Tout cela ne s'explique que par la légèreté mutuelle qui explique tout, et ne rassure sur rien.
Me voilà bien pédant. Il faut bien l'être en pareille affaire. Je trouve en effet que c’est un grand symptôme de fusion, de la part des légitimistes que de porter le Maréchal Bugeaud. Ils ont bien raison et je voudrais bien qu’il passât. Pas la moindre nouvelle électorale dans mes journaux de ce matin. Je ne me rends pas bien compte de l'effet de l'élection de Louis Bonaparte, s'il est élu. En tous cas, et pour tout le monde ce sera une grosse complication. Il tombera inévitablement entre les mains des républicains rouges conspirateurs de profession, et les seuls qui puissent vouloir de lui comme Empereur. Cela peut amener un rapprochement, plus ou moins long, plus ou moins sincère, entre les républicains modérés, et l'ancienne gauche. Par conséquent entraver et retarder la fusion des monarchiques. Je vous ai déjà dit que les Débats m'étonnaient un peu. Nous en saurons davantage dans quelques jours. Evidemment nous touchons à une crise.
Qu’il fait beau ! J'en jouis pour vous à Richmond. Je reviens de Kensington Gardens. Il me faut une demi-heure pour y aller. Je m'y promène une demi-heure. C’est une heure et demie de marche en bon air. J’ai eu hier Lady Cowley. Voulant être spécialement caressante, et étant généralement grognon. Cela fait un drôle d’assemblage. Elle va passer quelques jours chez la Duchesse de Glocester. Comme de raison, elle ne savait rien. Où êtes-vous à présent ? Probablement à votre luncheon. Il va être 2 heures. Adieu. Adieu.

Je ne pense pas que le Roi me fasse être qu’il ne sera pas à Claremont, demain. Cependant, s’il me le faisait dire, je n'irais pas. Et comme je n'aurais sa lettre que demain matin, je n'aurais pas le temps de vous l'écrire. Si vous ne me voyez pas paraître à Esher, à 4 heures, retournez à Richmond. Vous aurez fait votre promenade du côté d'Esher et moi j’irai toujours dîner avec vous. Mais je compte bien aller à Claremont. Adieu. G.

P.S. Le rapport de l’Amiral Baudin, inséré dans les Débats d’aujourd’hui, prouve que la défense de Messine n'a pas été aussi désespérée qu'on le disait.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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20 Val Richer, Lundi 3 août 1846

C’est fini ici. S’il en était ainsi partout, il n’y aurait certainement pas assez d’opposition. Il en faut plus que cela. Mais je suis tranquille ! D'après ce qui me revient, la lutte est extrêmement vive dans les environs. On s'est presque battu à Bernay et un peu battu à Cherbourg. Aucun résultat n'était encore connu hier à 9 heures, quand j'ai quitté Lisieux. Je me suis levé ce matin de très bonne heure pour dicter encore quelques paroles de remerciement que j’ai dites hier, quand l'élection a été proclamée et qu'on a voulu absolument recueillir. Elles ont bien réussi. Je retourne à Lisieux ce matin à 10 heures, pour entendre, lire et signer le procès verbal du Collège électoral. Puis, j’irai à Trouville, avec ma mère et Henriette, pour y chercher Pauline et la ramener demain au Val Richer que je ne quitterai plus que pour aller vous retrouver, vous mon seul vrai plaisir, mon plus charmant repos. Oui, nous retrouverons ensemble des soirées comme les deux dernières : nous irons les chercher. Leur parfum ne s'est pas encore évanoui.
Je suis un peu fatigué. J’ai eu hier & avant-hier deux déjeuners, et deux dîners assommants. Je n’ai certes pas plus mangé ni bu qu'à mon ordinaire, mais l'estomac se fatigue de ce qu’il voit comme de ce qu’il prend. Et l’assiduité, tant d’heures durant à une conversation si insipide, & qui ne doit pas un moment en avoir l’air ! J'y réussis très bien. Je ne fais pas les choses à demi. J’attends bien impatiemment l’estafette qui m’apportera les premiers résultats. Elle ne sera pas encore arrivée à Lisieux quand j’y passerai tout à l'heure. On me l’enverra à Trouville. Vous aurez tout cela avant moi. Castellane m’écrit de ses montagnes : " Je crois moi, au grand succès dans les élections ; ce qui est très juste, car l'opposition est enviable et ce qui donnera de grands devoirs au parti conservateur. J’irai à la petite session, à moins qu’elle ne soit tout-à-fait une forme. Je m’attends en effet, en cas de grand succès aux exigences du parti conservateur. Il se sentira à son aise et voudra avoir quelques plaisirs de popularité. Nous verrons. Je vous quitte pour écrire au Roi. J’ai à lui envoyer une lettre de Bresson qui ne m'apprend pas grand chose. Plus j’y pense, plus je me persuade qu’à Londres on n’a pas en effet dessein d'entrer en lutte avec nous. Mais je crains leur faiblesse, faiblesse pour la Reine, faiblesse pour Espartero faiblesse pour les préjugés des journaux. Ils ont besoin de tout le monde, et l’âme pas bien haute. Je n’ai pas autre chose à faire que ce que je fais. Adieu. Adieu. En attendant votre lettre.
8 heures. La voici. Charmante. J'y comptais. Quand j’ai lu et relu, je passe aux affaires. Il y en a beaucoup aujourd’hui mais rien d'important. Deux lettres du Roi qui se porte mieux que jamais. " Toutes nos santés sont bonnes, me dit-il, la forte secousse que la Reine et ma sœur ont éprouvée est bien passée. Quant à moi, je suis à merveille, et je fais faire un peu d'exercice au Ministre de la guerre, dans mes promenades dont je jouis beaucoup. ". Et dans la seconde : " Je vais me promener dans mon char à bancs. Hélas ! avec escorte ! " La formation des bureaux, que m’apportent les Débats, est de bon augure. Adieu. Adieu. Je vous écrirai demain de Trouville. Je n'en reviendrai que le soir. Soyez tranquille. Ni assassin, ni rhume. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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10 Val Richer Mardi 21 Juillet 1846,

Je m'étais promis de vous écrire à mon aise aujourd’hui ; et j’ai été depuis que je suis levé (j’avais mis élevé) et je suis encore en si grande presse que vous n'aurez que quelques lignes. Quatre personnes m’attendent en bas. Génie m’a envoyé tout plein d’affaires. J’ai à lui donner des instructions, pour faire finir, d’ici à trois jours, celle de Béarn et de Lavalette. Je travaille vraiment beaucoup ici de 7 heures à 1 heure. Ensuite je me promène et je me repose.
Pour vous dédommager (ce qui j'espère bien ne vous dédommagera pas) voici une lettre de Brougham. Curieuse et d'accord avec celle de Lady Palmerston, expliquée par votre commentaire. Ils ne sont certainement ni en bonne position, ni en high spirit. Nous verrons. Ils ont toujours pour eux l’impossibilité des autres. Plus, une lettre qui m’arrive ce matin, de M. Durangel, l'homme de confiance de Duchâtel, à l’intérieur, et qui a aussi la mienne. Vraiment homme d’esprit de son honnête et véridique, plutôt enclin à voir en noir. Vous verrez que les pronostics électoraux continuent à être bons. Nous approchons bien du moment. Je mets de l'importance à ce que je dirai dimanche. Je parlerai à tout le pays. Ce banquet est ici fort à la mode. On y viendra de loin et il n’y aura pas de place pour tous les souscripteurs. Merci de vos conversations avec Hervey. J’ai écrit hier à Jarnac, aujourd’hui à Bresson dans le sens convenu. Il me reste Naples. Adieux tristes et affectueux. Tenez pour certain que le Roi ne fera rien pour Trapani aux dépends de Cadix. Il est pressé d'en finir. S’il y a en Espagne quelque revirement, ce qui est toujours possible, il sera naturel et point de notre fait. Nous irons droit devant nous, dans la voie où nous sommes. Vous ne me dîtes rien de vos yeux. Donc c’est bien. Et Trouville. J’y pense sans cesse. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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19 ou 20 Lisieux, Dimanche 2 août 1846

Ceci est pis qu’hier. Je vous écris du collège même, au milieu des électeurs qui votent pour moi. Tout mon temps leur appartient. Je suis parti du Val Richer à 7 heures. J'y retournerai à 9 heures tout va bien ici et dans les environs. Merci du N°19. Il fait moins chaud aujourd’hui, si le chaud vous fait mal, je finirai par me brouiller avec lui. Vous ne m’avez pas donné des nouvelles de votre estomac. J'en veux. Adieu. Adieu. Je ne sais ce que vous dis. Il y a là dix électeurs qui me parlent à la fois. Demain vaudra mieux. Adieu. Adieu dearest. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N° Lisieux 27 Février, 8 heures

Numéro anonyme, jusqu'à ce que vous m'ayez donné le chiffre. Vous étiez de deux numéros en avant de moi. J'arrive après une très belle nuit, par une très belle lune. Mais la lumière sans chaleur me parait toujours un contresens. Et puis, il n’y a pas moyen de voir la lune sans penser à autre chose. Chose n’est pas le mot propre. Je vous dirais si je voulais des choses charmantes, car j’en ai pensé beaucoup cette nuit. Mais c’est trop tôt. Je suis à peine débotté.
Vous avez un grand défaut. Vous êtes très peu disponible. On ne peut pas, même en idée, vous placer dans toutes les situations. J'aurais été charmé de vous avoir à côté de moi, dans cette malle-poste enveloppée dans un grand manteau, dormant ou causant. Mais cela n’est pas concevable. La nuit est trop froide, la voiture trop dure, vous trop fragile. Toute mon imagination a échoué. Quoique sans vous, j'ai revu ma Normandie avec plaisir, ce matin, au lever du soleil. Même sans feuilles, sa physionomie est bonne, forte, riante. Ce ne sont pas les aspects que j'aurais choisis, ce n'est pas la grande nature, qui émeut et élève ; mais c’est la nature, saine et gracieuse, qui nourrit et repose. Cela convient aux âmes un peu lasses et pourtant encore animées. Nous nous y trouverions à merveille quand nous serons vieux. Est-ce que nous serons jamais vieux ?
On voulait me faire coucher en arrivant. J’ai mieux aimé faire ce que je fais.

Midi.
J’ai déjà vu bien du monde. On me paraît ici très animé, et très confiant. On compte sur le succès dans presque toute la province. Vous avez bien tort, je vous jure de douter de l'avenir du gouvernement représentatif dans ce pays-ci. Si vous aviez été élevée dans la monarchie de l'Empereur de la Chine, croiriez-vous à la Monarchie de la Reine Victoria ? Il en sera de même des Parlements. Le nôtre ne ressemblera pas à celui de Londres ; mais il sera et à sa façon, il sera grand, sans quoi on n'est pas. Je parlais tout-à-l'heure de la maladie du Duc de Wellington. J’ai trouvé une disposition bienveillante et généreuse, qui m’a fait plaisir. Je ne l’aurais pas trouvée il y a douze ans, avant 1830. Vous m'avez dit, n’est-ce pas, que vous ne feriez pas partir votre lettre au comte Nesselrode, et les autres, avant mon retour. Je vous le rappelle. Il m'est venu en idée deux ou trois choses qui y doivent être. Voilà des visites. Adieu.
Je ne vous ai pourtant rien dit. J’ai cru cette nuit que j’allais avoir, sur les épaules, un rhumatisme pareil au vôtre. Il n'en est rien. C’était un rêve comme tant d'autres. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Jeudi 9 nov. 1848
5 heures et demie

J’ai été mettre une carte chez Mad. de Lavalette à Regent Park. J’ai eu du monde toute la matinée. Je vous arrive trop tard pour aujourd’hui. Mes nouvelles de Paris sont un peu moins sombres. M. Vitet, qui a passé une heure et demie ici avec Duchâtel croit peu à une bataille avant le 10 décembre. Cavaignac, à tort selon lui, n'est pas sans espérance électorale. Dufaure l’y entretient. C’est une illusion. Louis Bonaparte a toujours les plus grandes chances. Pas telles cependant que Cavaignac se regarde, dès aujourd’hui comme battu. Il attend donc, et ne fera point de bruit en attendant. Comment en faire après tout de suite après, si Louis Napoléon est élu ? Ce sera difficile. On pourra bien essayer de susciter quelque tumulte impérial pour se donner un prétexte de sauver la République. Il est douteux qu’on y réussisse. Les Impériaux seront fort sur leurs gardes. Probablement donc une situation fort tendue, sans explosion. La misère publique et la détresse financière plus grandes, plus croissantes, le peuple de Paris plus désespéré qu’on ne peut dire, Louis Bonaparte prudent et silencieux, dans le présent, se promettant d'être très très conservateur dans l'avenir. Il parle à ses confidents de je ne sais quel plébiscite impérial d'il y a plus de 40 ans qui lui permettra de rétablir une Chambre des Pairs héréditaire formée de tout ce qui reste de Sénateurs de l'Empire, de Pairs de la Restauration et de Pairs de Juillet. La fusion ainsi accomplie en même temps que l’hérédité rétablie. Des intentions très bonnes et très ridicules, qui peuvent être utiles après lui. Le propos des légitimistes et des conservateurs, est ceci : " Les Bourbons ne peuvent pas succéder à la République. Il faut les Bonaparte entre deux comme la première fois. "
On m’écrit de Paris : " Le bruit se répand que votre candidature fait de tels progrès dans le Calvados que votre sélection y serait faite à l'unanimité. Le candidat légitimiste qui devait être porté M. Thomine, a écrit, dit-on à M. de Falloux qu’il se retirait et que lui se retirant, votre élection croit d'elle-même. " Je doute de ceci. Cependant il faut prévoir cette chance que je sois élu malgré ce que j'ai dit et fait dire. Ce sera un grave embarras.
J’ai oublié de vous dire que de bonne source, on attribue au Général Lamoricière ce propos : " Si on nous envoie Louis Napoléon pour Président. nous le recevrons à coups de fusil ; je mettrais le feu à Paris de mes propres mains plutôt que de le subir. " C’est bien violent. Pourtant cela indique le dessein de ne rien faire avant l'élection.
Voici une lettre du duc de Noailles qui m’est arrivée avec son livre. Renvoyez-la moi, je vous prie. J'ai vu ce matin le Médecin du Roi. Il arrivait de Richmond. On y va mieux. Il n'a d’inquiétude pour personne malgré les rechutes. La Reine était très souffrante. On a de nouveau analysé l'eau la veille du départ, en présence de plusieurs chimistes anglais, extraordinairement chargée de plomb. Ce sont des réparations faites il y a près de deux ans, à des conduits, et à une citerne. Claremont avait à peine été habité depuis. Rien de singulier donc. Deux maids aussi ont été malades. Duchâtel penchait à croire à quelque empoisonnement factice, à quelque coquin envoyé de Paris et gagnant un domestique. Je n'y crois pas. Le médecin non plus. Tout s’explique naturellement. Adieu. Adieu. A demain matin.

Vendredi 10. 9 heures
Je n’ai rien ce matin. Sinon Adieu, adieu, ce qui n’est pas nouveau et n'en vaut que mieux. Adieu donc. J’ai eu hier soir, à 8 heures, votre lettre du matin.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°4 Vendredi 7. 11 heures du matin.

Vous voilà à Londres. Et vous avez été, en y arrivant bien émue, mais pas bouleversée pas malade. J’en tremblais. Et il est si triste de trembler de loin ! Je sais ce que c’est de trembler de près, de voir souffrir à côté de soi, d’assister minute par minute aux douleurs du corps et de l’âme. C’est affreux. Et pourtant il reste toujours au fond du cœur je ne sais qu’elle foi dans la puissance de l’affection qui vous persuade que, même sans y rien faire, vous soulagez, en les ressentant, en les voyant, les souffrances d’un être chéri. Et il y a du vrai dans cette foi, car enfin, un mot, un regard. une chaise rapprochée, une main pressée, C’est quelque chose, c’est beaucoup. Mais de loin, les plus douces paroles, les regards, les plus tendres, les plus ardents élans du cœur se perdent dans ce espace immense, vide, froid, qui vous sépare. J’ai toujours trouvé qu’on prenait trop aisément son parti de la séparation, qu’on n’en prévoyait jamais tout le mal. Quand on le prévoyait, quand on le sent tout entier, on a bien plus de mérite qu’on ne croit à y consentir, car on fait bien plus de sacrifices qu’il ne paraît. Le pauvre Brutus se trompait beaucoup s’il est vrai qu’il ait dit en mourant : " Ô vertu, tu n’es qu’un vain nom ! " Il faut que la vertu soit au contraire quelque chose de bien réel, car elle impose, et on accepte, pour lui obéir, de bien lourds fardeaux.
J’aime John Bull de vous avoir si bien reçue. Mais une autre fois, ne prenez personne pour votre fils. Comme à vous, les cottages de votre route me paraissent charmants, et j’y vois tout ce que vous avez pu y voir. Cependant. croyez-moi quelque heureuse que vous y fussiez, votre pensée votre caractère, toute votre âme se trouveraient bien à l’étroit dans un cottage. Il faut que le chêne s’étende, que le palmier s’élance, que la rose s’épanouisse. Nul n’est bien que dans un habit à sa taille ; et notre taille, Madame ce n’est ni vous, ni moi qui la réglons ; nous n’y pouvons pas plus retrancher qu’ajouter une coudée. Acceptons donc, quelque lourd qu’il puisse être quelques fois. l’habit qui nous va. Mais sous tous les habits, dans toutes les situations, les sentiments simples naturels, les sentiments primitifs et puissants qui sont le fond de l’âme humaine doivent trouver leur place et garder leur empire. Je ne sais ce qui a pu arriver à d’autres ; pour moi, je n’ai jamais éprouvé que les grands désirs, les grands travaux de la vie publique étouffassent, altérassent le moins du monde en moi, le besoin d’affection bien reçue, passionnée de sympathie intime, les joies du cœur et de la famille, tout ce qui remplit et anime la vie privée des hommes. Plus au contraire mon esprit s’est élevé et ma destinée s’est étendue, plus ces sentiments se sont développés en moi: plus ils me sont devenus chers ; plus même ils ont gagné, je crois en énergie, en fécondité en délicatesse! Il me semble qu’ils ont toujours participé au progrès général de mon être, et qu’en montant un échelon de plus, je n’ai jamais laissé en arrière aucune partie de moi-même. Il est vrai aussi que je suis devenu de plus en plus difficile pour la satisfaction intérieure de ces sentiments si doux de plus en plus exigeant quant aux mérites, aux perfections de leur objet. En ceci comme ailleurs, mon ambition a toujours été croissante, et je n’ai jamais accepté ni mécompte ni décadence. Mais en ceci surtout, ma plus haute ambition est satisfaite, car il a plu à Dieu de placer sur ma route des créatures dont la rencontre est de sa part, un bienfait infiniment supérieur à tous ses autres dons.
Samedi 8. Je n’ai pas eu de lettre hier. Vous l’avez peut-être adressée au Val Richer, m’y supposant déjà. Elle m’y attendra ; mais en attendant elle me manque beaucoup. J’espère que les miennes vous arrivent exactement Je ne sais que vous dire de ma course à Châtenay. J’ai été là dans l’état intérieur le plus mêlé, le plus combattu, tantôt charmé d’y être tantôt m’y trouvant plus seul que partout ailleurs. "Cette fois vous venez pour moi.» m’a dit Mad. de Boigne. Elle m’a parlé de vous, très bien, selon le monde. Le monde vous trouve très aimable Madame mais il vous craint un peu. Il lui semble que vous le regardez d’en haut, vous mettant plus à l’aise avec lui que vous ne lui permettez de l’être avec vous. Il soupçonne qu’au fond vous êtes un peu autre que vous ne lui paraissez. N’y ayez point de regret. La familiarité du monde n’est pas bonne ; il faut toujours se montrer à lui un peu dans le lointain et lui rester un peu inconnu.
Les bruits de dissolution prennent ici depuis deux jours, assez de consistance. Je suis allé avant. hier soir à Neuilly prendre congé du Roi et de la Reine. Le Roi, n’y était pas. Je n’ai donc point eu de conversation sur laquelle je puisse former quelque conjecture. En tout cas, les élections n’auraient probablement lieu qu’au mois d’Octobre. L’indisposition de M. le Duc d’Orléans n’était rien du tout, un pur accès de fièvre éphémère. Il passe demain une revue de la garnison de Paris. Les propos qui couraient sur son désir de commander lui-même, l’expédition de Constantine étant tout à fait tombée. Adieu., Madame. Je vais recommencer à trier dans ma bibliothèque les livres que je veux envoyer à la campagne. C’est un travail presque mécanique qui me convient à merveille. Mon âme pendant ce temps pense à qui elle veut. va où il lui plaît. Adieu. G.

Collection : 1837 (7 - 16 août)
Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°24 Lundi 14, 4 heures.

Ceci est mon dernier mot. Vous l’aurez jeudi. Vendredi, j’apporterai moi-même ma lettre. Que celle de ce matin, m'a fait plaisir ! Elle est calme, gaie. Certainement vous êtes mieux. Savez-vous ce qui me trouble avec vous, quant à votre santé ? Vous avez besoin, je crois, d’en être distraite, de porter votre imagination ailleurs. J’hésite donc à vous en parler. Et pourtant ! Et puis à part la contrainte, il y a, dans cette réticence, dans le soin de détourner vos pensées en retenant les miennes, un arrangement une petite supercherie qui me déplaît.
J’ai besoin de laisser librement, aller près de vous mon esprit, mon cœur, ma parole, ma vie. Il m’en coûterait infiniment de vous tromper tant soit peu, même pour vous servir. Je le ferais cependant si votre santé y était intéressée. Qu’elle ne le soit pas Madame; que je puisse vous parler de tout, vous tout montrer, vous tout dire ! Nous nous sommes en effet écrit très peu de nouvelles. Nous les avons peut-être réservées pour le moment où nous serons ensemble.
Y a-t-il des nouvelles aujourd’hui du reste ? Toutes choses sont si prévues qu’on n’en parle plus quand elles arrivent. Savez-vous ce que c’est que l’escompte en fait d’argent ? On escompte tous les événements. Tout se passe tout se fait d’avance. Les élections anglaises finissent à peine. Leurs résultats n’ont pas encore commencé. On n’y pense déjà plus. Les nôtres se préparent. On en a déjà tant parlé, on en parlera tant d’ici à quelques jours, qu’on y arrivera blasé, épuisé. C’est une vraie maladie que ce long bavardage préalable, et une maladie sans remède, car elle est dans nos institutions, dans nos mœurs. Que deviendraient des jeunes gens qui disserteraient, bavarderaient, rêvasseraient, écrivailleraient sur l’amour bien avant de l’éprouver avant de voir une femme ? J’aime que la pensée et l’action, le dire et le faire se suivent de plus près et se lient plus intimement. Je suis sûr que l’un et l’autre s’en trouvent mieux.

Mardi 9 heures
Je me suis levé tard ce matin, et voilà l’homme de la poste qui arrive plutôt. Il faut que je lui donne ma lettre ! J’ai moins de regret qu’elle soit courte. J’y supplierai vendredi. Je lis en courant votre n°25. N’ayez plus de chagrin de mon chagrin. Il est passé puisque vous me rassurez, puisque d’ici déjà je vous vois mieux. Vendredi! Point d’adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°39 Dimanche 17. 4 heures

Si vous étiez entrée tout à l’heure dans ma cour, vous auriez été un peu surprise. Vingt trois chevaux de selle, deux cabriolets, une calèche. Les principaux électeurs d’un canton voisin sont venus en masse me faire une visite. J’étais à me promener dans les bois avec mes enfants. J’ai entendu la cloche du Val Richer, signe d’un événement. Je ne savais trop lequel. Nous avons doublé le pas, et j’ai trouvé tout ce monde là qui m’attendait. Je viens de causer une heure et demie avec eux de leurs récoltes, de leurs impositions, de leurs chemins, de leurs églises, de leurs écoles. Je sais causer de cela. J’ai beaucoup d’estime et presque de respect pour les intérêts de la vie privée, de la famille, les intérêts sans prétention, sans ambition, qui ne demandent qu’ordre et justice et se chargent de faire eux-mêmes leurs affaires pourvu qu’on ne vienne pas les y troubler. C’est le fond de la société. Ce n’est pas le sel de la terre, comme dit l’Évangile mais c’est la terre même.
Ces hommes que je viens de voir sont des hommes sensés, honnêtes de bonnes mœurs domestiques, qui pensent juste et agissent bien dans une petite sphère et ont en moi, dans une sphère haute assez de confiance pour ne me parler presque jamais de ce que j’y fais et de ce qui s’y passe. Mes racines ici sont profondes dans la population des campagnes, dans l’agricultural interest. J’ai pour moi de plus, dans les villes, tout ce qu’il y a de riche, de considéré, d’un peu élevé. Mes adversaires sont dans la bourgeoisie subalterne & parmi les oisifs de café. Les carlistes sont presque comme des étrangers, vivant chez eux, entre eux et sans rapport avec la population. La plupart d’entre eux ne sont pas violents, et viendraient voter pour moi, si j’avais besoin de leurs suffrages. Du reste, je ne crois pas que mon élection soit contestée. Aucun concurrent ne s’annonce. Ce n’est pas de mon élection que je m’occupe mais de celles qui m’environnent. Je voudrais agir sur quelques arrondissements où la lutte sera assez vive. Je verrai pas mal de monde dans ce dessein. Si la France, toute entière ressemblait à la Normandie, il y aurait entre la Chambre mourante et la Chambre future bien peu de différence ; et j’y gagnerais plutôt que d’y perdre. Mais je ne suis pas encore en mesure de former un pronostic général. Vous voilà au courant de ma préoccupation politique du jour. Je veux que vous soyez au courant de tout.

Lundi 7 h. du matin
Je suis rentré hier chez moi vers 10 heures à notre heure à celle qui me plait le plus pour vous parler de nous. J’ai trouvé mon cabinet et ma chambre pleine d’une horrible fumée. Mes cheminées ne sont pas encore à l’épreuve. Il a fallu je ne sais quel temps pour la dissiper. Je me suis couché après. Aussi je me lève de bonne heure. Laissez-moi vous remercier encore du N°39, si charmant, si charmant ! Qu’il est doux de remplir un si tendre, un si noble cœur! Cette nuit trois ou quatre fois en me réveillant, vos paroles me revenaient tout à coup, presque avant que je me susse reveillé. Je les voyais écrites devant moi. Je les relisais. Adieu n’est pas le seul mot qui ait des droits sur moi.
Je ne vous avais pas parlé de ce petit tableau. J’y avais pensé pourtant, et j’aurais fini par vous en parler. Vous n’en savez pas le sujet. Il est plus lointain, plus indirect que vous ne pensez. En 1833, 34, 35. 36, j’ai relu et relu tous les poètes où je pouvais trouver quelque chose qui me répondit ; qui me fît ... dirai-je peine ou plaisir? Pétrarque surtout m’a été familier. C’est peut-être, en fait d’amour le langage le plus tendre, le plus pieux qui ait été parlé. J’entends parler dans les livres que je méprise infiniment en ce genre, poètes ou autres. Un sonnet me frappa, écrit après la mort de Laure et pour raconter un des rêves de Pétrarque. Je vous le traduis
" Celle que, de son temps, nulle autre ne surpassait, n’égalait, n’approchait, vient auprès du lit où je languis, si belle que j’ose à peine la
regarder. Et pleine de compassion elle s’assied sur le bord ; et avec cette main, que j’ai tant désirée, elle m’essuie les yeux ; et elle m’adresse des paroles si douces que jamais mortel n’en entendit de pareilles.- Que peut, dit-elle, pour la vertu et le savoir, celui qui se laisse abattre ? Ne pleure plus. Ne m’as-tu pas assez pleurée ? Plût à Dieu qu’aujourd’hui tu fusses vraiment vivant comme il est vrai que je ne suis pas morte ! "
Voilà mon petit tableau Madame. Il m’a fait du bien. M. Scheffer a réussi à y mettre quelque chose de la ressemblance qui pouvait me plaire. Les vers inscrits au bas sont le sonnet même de Pétrarque. Oui, mon fils était mieux, bien mieux que son portrait, qui lui ressemble pourtant beaucoup. Vous avez vu, vous avez regardé avec amour d’aussi nobles, d’aussi aimables visages, pas plus nobles, pas plus aimable.
Ma petite fille aussi est plus jolie que son portrait, des traits plus délicats, une physionomie plus fine. Vous la verrez elle. Je voudrais que vous pussiez la voir souvent, habituellement. Elle est si animée, si vive, toujours si prête à s’intéresser à tout gaiement ou sérieusement ! Elle vous regarderait avec tant d’intelligence. Elle vous écouterait avec tant de curiosité ! Laissons cela. Quand nous aurons trouvé ce que je cherche en Normandie, nous pourrons ne pas le laisser.

Lundi 10 heures 1/2
Voilà le N°40. Je n’ai pas vu cet article de la Presse dont vous me parlez. Je vais le chercher. Je renouvellerai mes recommandations indirectes comme bien vous pensez là du moins mais positives. Ce n’est pas aisé. Mettez sur Adieu tout ce que vous voudrez. Je me charge d’enchérir. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°42 Jeudi 7 heures du matin.

J’aime à venir à vous le matin, en sortant de mon lit comme le soir en m’enfermant dans ma chambre. Je n’ai pas pu hier soir. Il m’est arrivé deux visiteurs qui passeront ici deux jours. J’attends aujourd’hui M. Duvergier de Hauranne. Il faut se promener, causer. Mon temps se trouve pris. Je le passerais bien plus doucement à lire, à lire votre lettre d’hier. Vous êtes-vous jamais occupée de magnétisme, de ces contes de gens qui agissent à distance, à très longue distance, qui endorment ou éveillent, troublent ou apaisent à travers l’espace, d’autres gens sur qui ils ont pouvoir ? Je crois à votre pouvoir, à votre magnétisme. J’ai vécu hier, je me suis endormi, je me réveille ce matin sous son action. Ah si elle pouvait ne cesser jamais ! C’est ce qui arriverait si elle n’avait pas tant de lieues à traverser, si nous étions toujours ensemble. Et pourtant, je n’espère plus vous retrouver aussitôt que nous nous l’étions promis. Le mariage de M. Duchâtel ne se fera très probablement que du 2 au 4 octobre. Je vais le savoir positivement aujourd’hui.
De plus le mouvement électoral s’anime dans le pays. On vient, de tous les environs, m’en parler, me demander conseil, chercher une direction, une impulsion. J’agis d’ici, par la conversation, par les visites que je reçois, par quelques courses que je ferai, sur toute la Normandie, c’est à dire sur l’élection de 40 députés. C’est une grande affaire. Il faut que je la mette en bon train. La présence réelle, nous le savons trop, ne peut être remplacée. Pour moi-même, j’ai du monde à recevoir, à aller voir. Mon élection est plus sûre qu’aucune autre. Aucun concurrent ne se présente, ne s’annonce. Cependant je ne serais pas surpris, à quelques petits symptômes bien cachés, bien honteux que vers les derniers jours en ameutant les républicains, les carlistes violents, quelques indices, quelques grognons, on fit une tentative, non pour m’empêcher d’être élu on n’y pense pas, mais pour m’enlever quelques voix et rendre mon élection moins brillante en lui donnant quelque apparence de contestation. Il faut que je déjoue d’avance cette malice. Si elle doit se produire. Et pour cela, j’ai besoin précisément au moment où la fièvre électorale se prononce, où les hommes se rallient et s’engagent d’être sur les lieux de voir, de causer, d’animer tous les miens d’affermir les flottants.
Il y a un canton important, car il contient près de 100 électeurs dans lequel je n’ai jamais mis le pied. Je veux y aller un de ces jours. Je crois à peu de pouvoir réel, mais à beaucoup de mauvais vouloir soufflant contre moi d’un certain point, qui n’est pas un des points cardinaux, quoiqu’il en ait l’air. Il faut que j’agisse au grand jour, pendant qu’on travaille sous terre, que je sois aigle pendant qu’on est taupe. Est- ce là de l’orgueil ou de la prudence, dites, le moi? Tous les deux probablement.
Orgueil ou prudence, dearest, cela me coûte cher, et j’ai là, pour ce moment un cruel sacrifice à faire. Le saurez-vous, le croirez-vous tout ce qu’il est ? C’est ma plus vraie, ma plus triste préoccupation. Oui, si j’étais sûr que notre réunion retardée excite en vous les mêmes sentiments, tous les mêmes sentiments qu’en moi, et point d’autres; si j’étais sûr qu’il ne vous vient aucune de ces mauvaises pensées qui me désolent, et comme injustice et comme preuve que vous ne me connaissez pas encore ; si je pouvais vous faire voir, parfaitement voir mon âme, toute mon âme, comme je vous ai fait voir avant-hier une de mes journées, et dissiper ainsi, dissiper sans retour les doutes coupables de la vôtre, à cette condition là, je n’aurais pas moins de chagrin, mais j’aurais un meilleur chagrin, un chagrin parfaitement confiant en vous, sympathique avec vous, et je ne vous parlerais que de notre chagrin. Si vous saviez qu’elle est à ce moment même en vous écrivant, mon impatience de tout ce que je vous dis là, combien, au fond de mon cœur, je me sens étonné, blessé, pour vous et pour moi de vous le dire, de pouvoir croire que j’aie à vous le dire !
Dearest, que la confiance égale la tendresse, que toutes paroles autres que des paroles de tendresse soient inutiles et ne puissent plus nous venir à la pensée ! Il en sera ainsi un jour ; j’y compte. Vous savez que je vous ai ajournée à un an à deux ans à l’époque qui vous voudriez. Que mon ajournement soit sans objet; épargnons-nous l’épreuve du temps ; soyons, dès aujourd’hui aussi surs l’un de l’autre, aussi établis dans notre foi mutuelle, que nous le serions après l’avoir subie. La vie est si courte ! N’en employons rien à essayer, à attendre ; C’est perdre du bonheur pour rien.

10h 1/2
Voilà le N° 43, que j’aime bien quoique j’aime mieux le n° 42. Oui, nous sommes bien loin. Mais vous m’avez envoyé votre Soleil, hier et aujourd’hui, il est très beau. Le petit tableau est de 1835. Gardons notre goût pour Adieu. C’est un goût d’absent mais, dans l’absence, c’est ce qu’il y a de mieux. Adieu donc Adieu, faute de mieux. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°43 Vendredi 22. 7 h. 1/2

Je me réveille bien triste. Je l’étais hier au soir. Je le serai souvent. Hier en vous écrivant, j’étais surtout préoccupé d’une injustice possible de votre part. Aujourd’hui, je le suis bien plus du chagrin même. M. Duvergnier de Hauranne est arrivé. M. Duchâtel ne se marie que le 2 octobre et il se marie sans mariage, absolument sans personne que les parents et les témoins nécessaires. En sortant de l’église, il va passer quelques jours à Meudon, et de là, il part pour Mirembeau, en Saintonge où est sa terre.
Je n’ai donc là, ni motif, ni prétexte. J’en attends un autre. Vous recevrez cette lettre-ci dimanche. Vous attendiez mieux le jour là. Quand vous me partez de vos longues journées, de votre impatience de les voir couler, j’éprouve un sentiment analogue à celui que j’éprouve quand vous m’écriviez d’Angleterre vos inquiétudes, vos douleurs de n’avoir pas de lettre. Pardonnez-moi encore, Madame ; ma première impression est une joie profonde de cette tendresse si vive. La peine ne vient qu’après. Je jouis pour moi avant de souffrir pour vous. Quand vous étiez en Angleterre, quand vos lettres m’arrivaient exactement, et non pas les miennes à vous, je souffrais pour vous. Aujourd’hui, quand je ne pars pas, c’est pour vous et pour moi j’aime mieux dire pour nous, que je souffre.
Quand viendra, la dissolution ? J’établis autour de moi, dans la conversation, qu’elle n’obligera probablement d’aller passer trois au quatre jours à Paris. Mais nous sommes à la merci de l’événement, à la merci des nécessités électorales du pays qui m’entoure. Que de chaines nous portons. J’en ai secoué beaucoup. Il en reste encore énormément.
J’ai ma mère souffrante ce matin. Elle est sujette à des étourdissements, à des vertiges qui pourraient devenir quelque chose de plus grave. On est venu m’avertir au moment où je me levais. Je sors de chez elle. Elle vient de prendre un bain de pieds avec beaucoup de moutarde. Elle est mieux. J’espère que ce ne sera rien du tout. Je lui ai vu plusieurs fois ces petits accidents, et ils ont toujours disparu devant des remèdes, fort simples Mais elle va avoir 73 ans. J’aime beaucoup ma mère. Je lui dois beaucoup. Et personne ne la remplacerait auprès de mes enfants. Elle est avec eux d’une tendresse, d’une assiduité, d’une vigilance inquiète qui fait presque tout ce qui me reste de sécurité. Quand j’avais mon fils, ma sécurité était infiniment plus grande. Tout homme et tout jeune qu’il était, j’étais sur qu’à mon défaut il soignerait, il élèverait ses sœurs et son fière avec une affection, une attention paternelle. Et il était plein d’esprit, de sens, d’activité sérieuse, de tout ce qui fait qu’on peut être à la tête d’une famille. Aujourd’hui moi manquant ma famille, si jeune, resterait comme un faisceau sans lin, un troupeau sans berger. C’est une forte attache que de se sentir nécessaire. Mais c’est aussi un pesant fardeau.
Je vous parle de ma famille. Ne vous arrive-t-il pas quelques fois d’être dans cette disposition où l’on n’ose pas, où l’on ne veut pas ne [?] que sur un seul sujet, sur le sujet intime qui remplit l’âme, et où cependant l’on ne pourrait souffrir de parler de choses indifférentes ? On va alors à ces choses qui sont beaucoup quoiqu’elles ne soient pas tout, à ces intérêts qui tiennent vraiment au cœur quoiqu’ils n’en occupent pas le fond. Ce n’est pas l’intimité personnelle exclusive, c’est encore de l’intimité et qui a quelque douceur.

11 heures
Votre n° 44 m’arrive une demi heure plus tard que de coutume. C’est long, une demi-heure ! Mais le dédommagement est immense, charmant. Ne me gâtez pas trop. J’ai tant de plaisir à croire tout ce que vous me dîtes ! Nous avons besoin pourtant de nous gâter l’un l’autre jusqu’à ce que nous nous retrouvions. Ah, que je voudrais trouver quelque parole qui vous apportât ce que j’ai dans l’âme ! Adieu. Adieu, un adieu triste est au moins aussi tendre qu’un adieu. satisfait. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°46 Lundi 25. 6 heures

Il est à peine six heures. Le Soleil n’est pas encore au dessus de l’horizon. J’ai mal dormi. Je me lève. Hier en me couchant, à 10 heures et demie, je me suis figuré dans la malle-poste au lieu de mon lit courant vers vous. A peine endormi, j’ai rêvé dans la malle-poste. A quatre heures, je me suis réveillé comme si j’arrivais. Ce devait être aujourd’hui en effet. Vous en avez douté quand je vous l’ai dit. Vous avez prévu que ce ne serait pas. Dearest, voici l’exacte vérité. Je n’en étais pas sûr. Le jour du mariage de M. Duchâtel n’était pas absolument fixé. Il m’avait parlé du 25 septembre au 2 ou 3 octobre. J’ai été faible pour moi, faible pour vous. J’ai pris la supposition favorable sans y compter, pour nous faire plaisir à tous deux, pour ne pas nous donner tout à coup, à vous un chagrin, à moi le vôtre, et le mien. J’ai eu tort. On a toujours tort, avec la personne à qui l’on dit tout, à qui l’on doit tout, de ne pas dire exactement ce qui est ce qu’on croit. Il faudrait toujours braver la peine du moment pour éviter la peine à venir. Pardonnez- moi de ne l’avoir pas fait.
Votre n°46 m’a touché, et me touche profondément ; si triste et si douce ! Si vive et si raisonnable ! Le jour où j’ai un peu causé avec la petite Princesse elle m’a dit deux ou trois fois, en me parlant de vous : « une personne si supérieure, si extraordinaire". A chaque fois ces paroles me pénétraient, me charmaient ; d’orgueil si on veut, mais de ce délicieux orgueil qui naît d’une tendresse infinie, au dessus, bien au dessus duquel cette tendresse plane, dont elle fait le pouvoir et le prix.
Oui, je suis fier, fier de vous, de votre affection pour moi de votre supériorité, de cette supériorité que je connais mille fois mieux que personne dont je jouis comme personne n’en a jamais joui. Et quand je la retrouve dans les plus petits détails de la vie, quand je vois réunies en vous les qualités, les attraits les plus contraires, tant d’abandon et tant de dignité, un cœur si tendre et un esprit si ferme, une imagination si vive et une raison si droite, un caractère si passionné et si doux, une humeur si égale avec des impressions si variées, je suis heureux, heureux, Madame, bien, bien au delà de tout ce que peuvent vous exprimer de loin mes lettres, et même mes adieux.
Maintenant, voici où j’en suis et ce qui sera. Le mariage de M. Duchâtel n’étant plus rien pour moi j’ai pris la dissolution. Elle sera certainement prononcée et publique dans les premiers jours d’Octobre au plus tard. J’ai un dîner chez moi au Val-Richer, demain 26. Après-demain 27 je vais dîner à Croissanville, à 4 lieues d’ici, avec une réunion d’électeurs. Du 27 au 2 octobre, je ferai quelques courses dans l’intérêt des élections voisines. Je recevrai beaucoup de visites. Le 3 octobre encore un dîner pour moi, et une réunion d’électeurs à Mézidon, dans ce canton que je n’ai jamais visité. Le 4 un dîner à Lisieux, point un meeting, un dîner privé, mais avec beaucoup d’électeurs. Le 5 à 1 heure et demie je monte dans la malle-poste, et le 6 à 4 heures du matin, je passe dans la rue de Rivoli, pour faire le même jour, à une heure & demie quelque chose de mieux que d’y passer.
Voilà, d’ici là ma biographie et mon itinéraire. C’est long, bien long. Je ne demande qu’une chose, dearest, une seule chose. Soyez sûre, sûre aujourd’hui comme vous le serez dans deux ans, dans trois ans, que c’est aussi long pour moi que pour vous. Ne dites donc pas que vous me contez trop de petites choses, que vous me donnez trop de détails. Jamais assez. Au milieu du grand bonheur, c’est mon petit, mais très vif plaisir de vous suivre pas à pas dans tout le cours de la journée, d’assister à toutes vos actions, d’heure en heure. Il y en a une que je regrette, qui m’a un peu désagréablement ému le cœur. Vendredi soir vous avez fait de la musique devant votre monde ; et moi, je ne vous ai pas encore entendue. Je ne veux pas, la première fois, vous entendre devant du monde ; mais je voulais avoir votre première musique, à moi seul. Vous ne savez pas à quel point la musique me plaît, m’émeut. Mais c’est pour moi une impression très intime, et qui se lie tout de suite à mes impressions les plus intimes, une de ces impressions dont je n’aime pas à parler excepté à la personne à qui je parle de tout. Je vous aurais si délicieusement écoutée !
J’attends ce matin, M. de Saint-Priest, Alexis, qui vient passer ici 24 heures. Il m’en dira long sur Lisbonne, les Chartistes, Lord Howard de Walden, Saldanha, Sä de Bandeira & & J’ai recommencé hier au soir à lire à mes enfants un romans de Walter Scott. Je vous le dis pour vous montrer que j’ai complètement repris l’usage de ma gorge. Je suis ravi que vous ayez aussi bien retrouvé celui de vos jambes, Certainement c’est une preuve de force.

11 heures Le N° 47 me désole de mille façons, toutes si douloureuses. M. de L., votre chagrin, votre manque de foi, votre santé. Mes lettres suivantes vous auront été un peu meilleures. Celle-ci vous donne une certitude, de voyage, de jour. Si vous saviez que je n’ai pas pensé, que je ne pense pas à autre chose. Croyez-vous donc que je n’ai pas pensé à emmener ma mère à Paris ? Mais elle est mieux et se trouve bien ici. Je vous répondrai demain avec détail. Adieu. Adieu. Soignez-vous, je vous en conjure. Adieu. G.
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