Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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11. Val Richer Mardi 7 Juin 1853

Les Anglais n'ont pas envie de la guerre. Vous ne prendrez pas Constantinople. L'Empire Ottoman ne tombera pas demain. Greville a raison de se dire sûr de l’Autriche et de la Prusse en tant qu’il veut dire que l’Autriche et la Prusse s'employeront à empêcher la guerre, c’est-à-dire à faire en sorte que vous ne demandez pas trop et que la Turquie vous cède assez.
Dans Phèdre, Hippolyte dit :
Un seul jour ne fait pas d’un mortel vertueux,
Un coupable assassin, un lâche incestueux.
J'en dis autant de Pétersbourg, de Londres, de Vienne, un seul jour ne fait pas, d’un gouvernement sensé, un fou. Vous resterez sensés, et les autres aussi. Et vous aurez où aller, Paris ou Londres, à votre choix. Il n’y a de question que celle des plus ou moins grands embarras qu’il faudra traverser pour arriver au but. Peut-être quelques coups de canon avant la paix. J'en doute. Pourtant cela se peut. Vous êtes en effet bien engagés ; et il vous faut quelque chose pour vous dégager. Si l'Europe a un peu d’esprit, elle vous ouvrira la porte qu’il vous fait. Cela ne me paraît pas bien difficile.
Je viens de retourner mon papier. Pardonnez moi les tâches qui sont sur la dernière page. Je n’ai pas fait attention que la première n'était pas séche.
Le rapport de M. Billault à l'Empereur sur la session au corps législatif, m'a amusé. Encore quelques injures au régime parlementaire, pour la convenance. Et puis de grands efforts pour bien établir que dans la session qui finit, on a fait beaucoup de rapports, beaucoup de lois, beaucoup discuté, beaucoup amendé, qu’on a été très parlementaire, sans que personne s’en doutât.
Les hommes ne peuvent se résoudre, à dire tout simplement la vérité, ni à mentir tout à fait. Je vois que le mariage du duc de Brabant se fera à Bruxelles et non pas à Vienne. C'est donc à Bruxelles qu’ira la Reine Marie Amélie. Point d’embarras donc pour les rencontres dans la maison de Bourbon. On en était assez préoccupé.
Je garde les lettres d’Ellice puisque vous ne me demandez pas de vous les renvoyer.
L'étourderie de Lord John Russell me paraît grosse. La commission de ces trois catholiques peut avoir des conséquences graves pour le cabinet. Qu'avait-il besoin de se laisser aller à cet accès de franchise protestante ? Est-ce pure étourderie ou bien recherche de popularité ?

Dix heures et demie.
Votre grosse nouvelle ne me fait pas changer d’avis depuis le commencement, j'admets la possibilité au canon, mais d’un canon qui n'allumera pas un grand feu, le seul qui mérite qu’on s'en inquiète. Seulement je deviens de plus en pas curieux de savoir comment Europe et Russie se tireront de cet embarras. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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35 Schlangenbad jeudi 21 juillet  1853

D'abord ma santé. Elle est comme vous l'avez vue. Ems m'a laissée comme j'étais. Attendons Schlangenbad.
J'ai eu deux longues lettres de C. Greville la dernière du 18. On avait reçu à Pétersbourg, les propositions de la France, et nous en étions contents. On voulait seulement encore l’aboucher avec l’Autriche, mais cela était fait et convenu avec elle entre temps. La proposition anglaise qu'on dit meilleure encore pour nous aura par conséquent été mieux reçu encore. Les projets pleuvent de tous les côtés. La paix ne peut pas manquer de sortir de tout cela. La réponse de Drouin de Lhuys arrivera après coup et ne dérangera rien. Voilà le point de vue de Londres et je le crois exact. Je trouve cette réponse très bien faite, on ne pouvait pas se dispenser de la faire.
Le roi de [Wurtemberg] m’a fait encore hier une longue visite, trop longue, car même avec beaucoup d’esprit Il ne faut pas me tenir trop longtemps. Je ne puis pas le renvoyer comme un autre et voilà que les impolies angoisses me gagnent. Il y a perdu son dîner et moi ma promenade. Nous arrangerons cela mieux à l'avenir. Il sait beaucoup de choses & moi je lui en apprends quelque unes. Le 22 Constantin m’est arrivé hier inopinément. Il a déserté pour deux jours. Les nouvelles sont bonnes. On va à la paix seulement cette avalanche de projets fait de l'embarras. Il faudra donner la préférence à l’un d’entre eux. Votre Empereur est très bien, tout le monde se loue de lui, Cowley aussi bien que Kisseleff. Menchikoff reste à Sébastopol chef apparent de l’armée de mer & de terre, mais au fond en disgrâce. Il voulait renverser Nesselrode. Beaucoup de petites nouvelles curieuses. Le Prince Emile de Darmstadt est venu de Wisbade hier pour me voir. Toujours charmant le plus charmant Prince que je connaisse.
Adieu. Adieu. Je me baigne tous les jours, malgré ce mauvais temps.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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35 Val Richer, Jeudi 21 Juillet 1853

Vous n'aurez aujourd’hui que deux lignes ; je pars dans un moment pour aller passer la journée à quelques lieues d’ici, et je n'ai absolument rien à vous dire. J'attends. On m’écrit de Paris que vous travaillez vivement à Constantinople à renverser Reschid Pacha et à faire arriver à sa place Riza Pacha qui signerait, sans vous rien demander, la note que vous proposez. Vous avez été un moment sur le point d'y réussir. Mais Lord Stratford et M. Delacour ont repris le dessus. Il restera de tout ceci bien du venin maturé. On reparle du sacre. Je crois qu’on n'y renoncera jamais. Je doute qu’on y arrive.
Savez-vous ce que dit le Pape de votre église ? Quelle se conserve à cause du grand froid. J’ai tort de dire votre Eglise, car vous êtes de la mienne.
Adieu, adieu. J’espère que Schlangenbad fera un peu mieux qu'Ems.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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41 Dieppe Jeudi le 22 juillet 1852

Mardi est bien loin, mais je suppose qu'il arrivera un jour. J'ai été tracassée et occupée. J’ai beaucoup réfléchi au Moniteur, je ne puis pas laisser là cette affaire d'un autre côté je ne veux rien faire sans Kisseleff. Je lui adresse donc aujourd’hui. une lettre pour Persigny. Il me dirigera là dedans, je vous dirai ce que j’aurai fait. Je ne sais pas de nouvelle. M. de St Priest a été ici, toujours très fusionniste mais vous savez que je ne le connais pas. Vous parlez très sensibly de l’Empire. A propos vous me deviez 5 Francs au ler Juillet nous ferons un autre pari si vous voulez. Lord Cowley que je vois tous les jours ne sait rien de nouveau d'Angleterre. On m’envoie de là le grand article qui a motivé le communiqué du Moniteur sur moi. On promet entre autre à Marion un mari et une fortune si elle me dispose à servir le président auprès de l’Impératrice. Le tout est de cette force. Comment va-t-on ramasser de ces choses là & y répondre. Est-ce possible ? Adieu. Adieu.
Je ne suis contente ni de la mer ni de ma santé. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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44 Val Richer. Lundi 6 Août 1853 

Comme société, Schlangenbad vous traite mieux qu'Ems. Je suis charmé qu'au moins vous n'ayez pas d’ennui. Je connais le prince Bibesco, un Valaque libéral. Ce que vous me dites du Prince Emile de Hesse me donne envie de le connaître. A vrai dire, il n’y a qu’un homme en Europe avec qui j’ai sérieusement envie de causer, c’est votre Empereur. Cela ne m’arrivera probablement jamais.
Il paraît qu’on fait à Paris des préparatifs énormes pour le 15, et qu’il y va un monde énorme. Vous perdez un beau coup d’oeil de vos fenêtres. Des bâtiments et des fêtes, c’est là ce qui remplace pour nous, le panem et circenses de l'Empire romain. J’ai beau être triste et inquiet je suis convaincu que nous n'en sommes pas à l'Empire romain. Je ne crois point à la décadence de mon temps. C’est un temps très nouveau, nouveau jusqu'à l’inconnu, non pas un temps usé. Il sortira je ne sais pas quoi de tout ce que nous avons vu, mais il en sortira quelque chose de grand. Recevez-vous le Constitutionnel et le Pays, les deux journaux impériaux ? Je suis assez frappé de leur dissidence sur la question de la paix. Est-ce la politique ou la prévoyance au gouvernement qui est indécise ? On dirait qu’il veut avoir marché dans les deux routes, et se trouver au point où l'on arrivera, quel qu’il soit.

Je ne comprends pas bien ce qui fait tant de bruit à Londres, les ordres du Prince Gortschakoff aux hospodars sur leurs relations avec la Porte ; est-ce une simple conséquence de l'occupation ou une mesure d'avenir ? ces petites complications successives, et qui restent quelque temps inexpliqués, aggravent la difficulté de la situation ; il me semble qu'elles pourraient être évitées, soit en faisant moins, soit en disant d'avantage, et d'avance. Je fais comme vous je vous quitte n'ayant rien de plus à vous dire. Je fais encore une course aujourd’hui pour voir des terres ; mon avant dernière, j’espère.
Adieu, Adieu.
Hélas, les médecins sont des imbéciles comme tout le monde ; ils ne sont ni infaillibles, ni tout puissants.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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45 Val Richer, Mardi 9 Août 1853
3 heures
Il se peut fort bien que votre Empereur ait eu raison de penser à la Russie plus qu’à l'Europe. Je ne suis pas juge du cas particulier ; mais en thèse générale, on a toujours raison de se préoccuper du dedans plus que du dehors. Le pauvre roi Louis-Philippe se préoccupait infiniment du dedans ; à ce point qu’il en désespérait. Il a certainement en grand tort de faiblir le 22 février, et cette faiblesse a été la cause prochaine de sa chute ; mais il a été de tous, le moins surpris de ce qui lui est arrivé, tant, il en connaissait les causes générales et lointaines, et les regardait comme irrésistibles. Deux dispositions parfaitement contradictoires s'alliaient en lui ; dans l’ensemble, il était sans espérance, sans confiance, convaincu qu’il ne réussirait pas à fonder sa monarchie, que la France était vouée à l’anarchie et à la révolution dans chaque occasion particulière, quand le jour du péril venait, il était imprévoyant et sanguin, convaincu qu’avec un peu d'adresse, de souplesse et de patience. Il reviendrait sur l'eau et se relèverait après avoir plié, les deux dispositions ont également contribué à le perdre ; il a vu à la fois trop en noir et trop en beau ; il a trop désespèré du présent et trop espéré de l'avenir. On pouvait très bien résister en Février 1848, il ne l’a pas cru. Il a cru qu’il reviendrait du renvoi de son cabinet et même de son abdication ; et cela ne se pouvait pas. Il avait cela, et seulement cela, de commun avec Louis XI qu'il faisait beaucoup de fautes, et qu’il excellait. à s'en tirer, et qu’il espérait toujours avoir le temps de s’en tirer. Le temps lui a manqué pour se tirer de la dernière. Le chagrin a été pour plus de moitié dans sa mort. Le désespoir de votre N°43 est mal tombé, ce matin, après les quatre lignes du Moniteur d'hier. Vous aurez certainement eu directement l’avis de l'adhésion de votre Empereur à la proposition combinée à Vienne ? Je tiens pour impossible que le sultan n’y adhère pas aussi. Je suis donc de l’avis du Moniteur, et de la Bourse Je regarde l'affaire comme finie. Vous vous serez beaucoup tourmentée en pure perte. A part l’intérêt Européen, je suis charmé que vous voyez un terme de vos inquiétudes.

Mercredi 10 9 heures
Il me revient que Kisseleff est très content, et qu'on est très content de lui à Paris. Son attitude. et son langage, pendant toute cette crise, ont été très fermes et très tranquilles. C'est Morny qui a renversé M. de Maupas, et fait supprimer le ministre de la police. Il s'est allié pour cela avec Persigny. L'Empereur Napoléon est content de Drouyn de Lhuys et du mélange de pacifique et de guerrier qu’il a mis dans ses conversations et dans ses pièces. Bon pour tous les en cas. M. d’Hautpoul a obtenu la permission de recommencer à se promener, en mer avec son yacht de Trouville.
Mad. la Duchesse d'Orléans confie M. le comte de Paris à Paul de Ségur pour aller faire un tour en Irlande. Adieu, adieu. J'espère que demain le facteur m’apportera votre tranquillité au lieu de votre désespoir.
Par grand hasard, j’ai reçu hier une lettre de Massi ; on me dit : " La paix jusqu'ici n’est pas troublée par l'occupation ; les troupes russes observent la plus exacte discipline et payent tout ce qu'elles consomment.” Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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50 Paris, Vendredi 19 Août 1853

La séance de l'Académie. Française a eu lieu huit jours plutôt que je ne pensais. Je suis arrivé hier matin pour y assister. Je repars demain. Il n’y a absolument personne ici. De mes amis ; Dumon seul.
Je trouve le public très rassuré ; et pourtant il court de mauvais bruits sur les Principautés ; on doute de la prompte évacuation. Je me soucie peu des bruits ; mais je suis frappé du débat du Parlement surtout, du discours de Palmerston. Il n’a jamais été si Turc, jamais si décidé à la guerre pour l'indépendance de la Turquie, jamais si confiant dans les moyens de résistance de la Porte et dans l'efficacité de l'alliance Anglo-française pour la soutenir. Ici, le langage et toutes les démonstrations du gouvernement sont archi pacifiques, et font regarder l'affaire comme terminée. Je sais qu’au ministère de la guerre, on n’a pas douté un moment de la paix et qu’on n’a fait aucun préparatif pour une autre chance. Mais je persiste à croire qu’on aurait accepté et qu’on accepterait volontiers cette autre chance, et que la sympathie est toujours grande pour Palmerston.
Mad. de Hatzfeld est la seule ressource du petit nombre d’âmes politiques en peine qui errent encore à Paris. Elle reçoit les jeudi et lundi. Je passerai à sa porte ce matin. Je ne la trouverai probablement pas. Il fait très beau. Tout le monde se promène. La fête du 15 a été très brillante. Paris était plein d'étrangers. Il se vide. J’ai vu Mad. de Boigne en passant à Trouville. La mort de sa belle-soeur a été pour elle un vrai chagrin, autant qu'elle peut avoir un chagrin. Mad. d'Osmond est morte tout à coup, par une pression du cœur sur les poumons ; elle a été asphyxiée. Sa fille, la Duchesse de Maillé, venait de la quitter ; on a couru après elle, sur le Boulevard. Elle est revenue en courant ; sa mère était morte. Mad. de Boigne attend ces jours-ci à Trouville toute sa famille.
On s'amuse beaucoup à la cour. La Reine Christine y est en grande faveur et fait ce qu’il faut pour être en faveur. On parle du mariage d’une de ses filles avec le Prince Napoléon. On reparle aussi du sacre et du Pape. En attendant l'Impératrice a de grands succès au jeu du ballon, en plein air. Adieu. Ce n’est pas la peine de venir à Paris pour n'y apprendre que cela. Aussi n’y suis-je pas venue pour rien apprendre. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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56 Val Richer. Lundi 5 Sept 1853

Il y a aujourd’hui trente sept ans que M. de Cazes, Pozzo, le chancelier et moi nous étions ravis du succès de plusieurs notes que nous avions rédigées pour Louis XVIII, et qui l’avaient décidé à dissoudre la Chambre introuvable de 1815. La France à peu près entière était aussi ravie que nous. Qui pense aujourd’hui à la chambre introuvable et à l'ordonnance du 5 septembre ? Il y a pour les événements, un mauvais moment ; c’est celui, où ils ne sont plus du présent, et pas encore du passé ; il faut vivre dans la politique ou dans l’histoire. Y a-t-il quelque chose de vrai dans ce que racontent les journaux sur la rencontre de l'Empereur d’Autriche et de la princesse Bavaroise à Ischl, et sur la soudaineté de ce mariage ? Tous les hommes, les Allemands plus que d’autres ont envie d’un peu de roman partout. C'est un signe de folie chez un peuple que d'en vouloir trop ; c’est un signe de décadence morale de n'en plus vouloir du tout.
Parle-t-on du remplacement de ce pauvre Garibaldi, et par qui ? Si les gens de Mazzini tentent encore, comme il paraît des conspirations à Rome, cela servirait-il, ou non, auprès du Pape, les désirs de l'Empereur Napoléon ? Le temps qui s'écoule ôte de la chance à ces désirs comme de la valeur à leur objet. Il y aurait quelque chose d'étrange et presque de ridicule à être sacré Empereur longtemps après l'être devenu. Il faut que le ciel et la terre concourent, en même temps aux grandes choses ; Dieu ne peut pas y venir quand on n’y pense plus, et comme un ornement de surérogation. Au lieu de questions de loin nous causerons la semaine prochaine, je compte, sauf obstacle imprévu, partir d’ici, samedi soir 10, et être à Paris, Dimanche matin. J'espère vous trouver reposée, Sauf les diplomates, vous n'avez, ce me semble, ni causeur, ni informateur en ce moment. Fould et Morny sont absents. Il vous faut quelqu’un de ce côté-là. Adieu, adieu. Voici ma réponse à Marion.

Onze heures
Ni moi, non plus comme de raison, je n’ai rien de nouveau à vous dire. On me dit qu’en effet les Anglais en général sont assez noirs. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°90. Lisieux, mardi 17 11 h. du soir.

Je serai rue de la Charte le 31 Juillet entre midi et une heure, c’est-à-dire dans quatorze jours. Je passerai à Paris la première quinzaine d’août. C’est la belle institution du jury qui me vaut cela. Je viens de recevoir ma convocation officielle. On me plaint beaucoup ; mais on me prêche la vertu ; on me dit qu’il n’y a pas moyen de s’en dispenser, qu’il faut remplir ses devoirs de citoyen. Je réponds vertueusement. Avec vous, je ne dis rien, je n’ajoute rien. Le fait sans phrase. Je n’en sais point qui exprime mon plaisir. Ceci vous consolera, je l’espère, de mes quelques lignes de ce matin. Je n’ai pas la moindre envie de vous parler d’autre chose. Je viens de voir tout ce qu’on peut voir de monde à Lisieux, des bosquets illuminés, des alliées sombres, des allées claires. Pendant qu’on se promenait, j’ai joué au trictrac dans un petit pavillon. C’est mon boulevard contre la conversation qui me poursuit ici sans relâche. Chacun veut avoir la sienne. J’en vais chercher autant demain à cinq lieues d’ici à Pont-Lévêque. Puis, je rentrerai chez moi jusqu’au 30 Juillet. Quinze jours ce n’est pas une éternité de huit mois ; mais, c’est quelque chose Nous le dirons ensemble cet adieu que vous me rendez aujourd’hui. En l’attendant, je vais me coucher. Je n’ai vraiment pas le cœur à une conversation quelconque, même avec vous. J’ai un grand déjeuner demain, avant de partir pour aller dîner. Je serai assiégé dès le matin. Je trouverai pourtant bien moyen de vous dire un autre adieu.

Mercredi 6 h. 1/2
J’ai bien dormi, en me réveillant très souvent ; mais des réveils si doux ? J’espère que vous aurez de meilleures nouvelles de votre Grand Duc. Je lui porte intérêt. Vous n’avez pas d’idée de l’effet singulier qu’ont produit sur moi vos paroles J’espère que mes enfants seront heureux sous son règne. Vous avez parfaitement raison. Mais il ne m’est jamais tombé dans l’esprit que le bonheur de mes enfants dépendit du caractère du souverain. Nous faisons un peu plus notre bonheur nous- mêmes. Nous n’y réussissons pas toujours. Mais enfin, quand nous n’y réussissons pas, c’est notre faute. C’était là ce qui m’irritait sous l’Empereur Napoléon. Je sentais mon sort et celui des miens tout-à-fait dépendant de la volonté, bonne ou mauvaise, sage ou folle, d’un autre homme. Je n’ai jamais pu m’y accoutumer. Léopold ira vous voir quand vous l’aurez reconnu. Il ne veut pas s’exposer à ce que vous ne l’appeliez pas par son nom. Je vous quitte. Je vais faire ma toilette. Il faut que je sois prêt quand on m’arrivera. Tout le monde ici se lève de bonne heure. Adieu. Quel joli adieu ! Il n’a pas encore vécu près de la rose, mais il en pressent le parfum. Vous lasserez vous de la comparaison ? G.

8 heures Voilà le N°94. On m’interrompt aussi pendant que je le lis. Mais ce n’est pas le même interrupteur. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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309 Du Val-Richer, Mardi 5 Novembre 1839
7 heures et demie

Il y avait avant-hier du cream cheese à déjeuner, et il y a ce matin sur ma vallée un brouillard, tout-à-fait pareil. On dit que la Normandie ressemble beaucoup à l'Angleterre. Elles se tenaient évidemment avant le déluge, et il y a entre elles, depuis le déluge, des rapports continuels. Si jamais vous avez mangé à Londres de belles poires et de belles pommes elles venaient peut-être du Val-Richer. Les fermiers Normands les expédient par milliers, et il part toutes les semaines, du port de Honfleur vingt mille œufs pour l'Angleterre. J’entends shabby comme vous, et c’est parce que je l’entends que je m'en défends. Je ne vous vole jamais rien, car je vous donne tout ce dont je dispose. Voilà nos questions de Dictionnaire vidées.
Plus j’y pense, plus je me persuade que Benkhausen n’a pas d’inconvénient. Tout sera fini plus vite. Je n’espère toujours rien quant au mobilier de Courlande. Mais au moins la suppression ne passera pas inaperçue. Je suppose que vous avez envoyé à Cumming copie des questions que vous airez adressées à votre fière.
Que voulait faire. M. de Metternich de la mission de M. de Brünnow ? Terminer l'affaire d'Orient sans s'en mêler, ou nous brouiller avec l’Angleterre sans y paraître ? L’un et l'autre a échoué. Je vois, par ce qu’on m'écrit, qu'on a peu d'inquiétude, et qu’on laissera traîner dans l’idée que le temps est au profit du Pacha, qui possède. On a bien fait de renvoyer M. de Labrador, s'il s’agitait encore pour D. Carlos. Nous ne devons aux partisans de D. Carlos que la stricte légalité et à D. Carlos lui-même qu'une politique raisonnable dans sa froideur. L’Europe a envoyé un aigle qui s’appelait Napoléon et qui la troublait, mourir à Ste Hélène. Nous ferons vivre quelques mois à Bourges D. Carlos qui nous tracasse. Il y a eu tout juste proposition.
J’ai aussi mes tribulations d’intérieur. Mon concierge d'ici est malade. Je craignais hier une fluxion de poitrine. On me dit qu'il est mieux ce matin. C’est un factotum très intelligent et qui met sa fierté à être à mon service, ce qui fait que je lui passe des défauts.

10 heures
Je craignais ce qui est arrivé. La poste n’étant venue chez moi que très tard, m'en est répartie que très tard, et n'aura pas été à Lisieux à temps. Vous aurez eu deux lettres ce matin. Mauvaise compensation. Tout cela cessera dans huit jours. Les tristes chances de la vie seront les mêmes ; mais nous serons ensemble. J'espère que vous me direz bientôt que vous avez des nouvelles d'Alexandre Adieu. Adieu. J’aime mieux le Duc que Benkhausen Dix mille francs, c’est beaucoup pour une commission. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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341 Paris le 10 avril vendredi 1840,
10 h 1/2
J’ai eu longtemps chez moi Génie ; un moment M. de Pogenpohl une assez bonne promenade au bois de Boulogne, de la causerie. avec Lord Granville et une visite à la princesse ont complété ma matinée. Lord Granville s’anni sur la question des souffres. Je lui ai dit le cri générai de la diplomat ie, de tout le monde. Il combat cela ; cependant il persiste à dire que personne ne lui en écrit un mot de Londres. Cela est peu croyable il m’a répété hier, qu’il ne serait pas surpris d’apprendre que M. Odillon Barrat entre au ministère sous peu de jours, Votre véritable adversaire comme vous l’apelliez un jour dans la Chambre !
J’ai dîné seule ; après le diner la Princesse Wolkowsky est venue me dire adieu un moment, elle partait dans la nuit. Lord Granville, Brignole, Armin, l’internonce, les de Castellane, M. de Maussion, le Duc de Noailles, le prince d’Aremberg. Voilà ma soirée. Dès que Granville fut sorti, il n’y eut qu’un cri sur l’affaire de Naples dont on n’a pas parlé pendant qu’il y était. Brignole prétend cependant qu’une seconde note de Temple était écrite en termes plus doux, mais le fond reste le même et Stopford va agir, or la première partie de ses instructions vise à vous tout juste, parce que c’est sur des batiments Français que se trouvent chargés les souffres. Voilà une querelle engagée tout de suite. Qu’est-ce que cela va dévenir ? Vous êtes bien prudent. Vous ne me dites jamais la plus petite nouvelle politique. Brignole se plaint d’un redoublement de rigueur envers les prisonniers de Bourges, il a même fait des démarches auprès du ministre de l’intérieur, mais sans effet jusqu’ici. Il parait que Thiers a fait quelques avances à Caraffa dans l’intention que Naples demande l’intervention de la France. Mais Caraffa n’a pas relevé l’affaire. Il n’a aucun ordre à cet égard. Vos ministres étaient hier très préocuppés des nouvelles des départements où la cherté du pain cause quelques émeutes, les préfets demandent des troupes et il n’y en a pas. Le parti conservateur est content du dernier vote. Il prouve que la minorité est très serrée et décidée. On juge que la situation du Ministère est toujours très épineuse. Granville par exemple le pense.
Je ne me mèle pas de vous parler de ce que vous mande Génie mais je le sais un peu. Ce qui me frappe c’est la nécessité que vous ne laissiez aucun doute à vos amis sur votre résolution en cas de chances pour M. Molé. Vous leur devez de les éclairer sur ce point que je crois bien résolu dans votre pensée et avec raison.
A propos, hier un ministre a dit à Granville : "Ces conservateurs sont étonnants ; ils croient bien nous embarrasser par leur motion Rémilly. Et bien vogue la galère, que la reforme électorale nous vienne par là. Il faut bien qu’elle vienne un jour nous l’accepterons. Vous savez bien qu’on parle déjà de dissolution. Faut il que je fasse mon voyage en Angleterre ? 

2 heures
Votre N° 337. Je vous en remercie tendrement. Vous vous êtes fâchés un peu. Un peu plus à la réflexion qu’au premier moment. Moi le premier moment a été plus vif, la réflexion a adouci. Voilà mes petites observations d’aujourd’hui. Cependant c’est presque imperceptible et je ne le vois que parce que je regarde à tout dans ce qui nous regarde avec une minutie qui surpasse encore votre bonne vue. Vous me consternez dans ce qui vous me dites de Sully, j’en restait à son austérité pour son maître, car enfin il est bien vrai qu’il condanmait sa conduite, et je croyais dès lors que c’était un Quaker. Jne crois plus à personne. Mais je croirai à vous; j’y crois. Oui, oui tout-à-fait. Il y a de si tendres paroles dans votre lettre, des paroles si pénétrantes. Votre programme me convient tout-à-fait et je suis bien aise de votre dîner le 15 à la société savante. J’en suis bien aise bourgeoisement. Ce sera une espèce de répétition avant la représentation du 1er de mai. Vous voyez que je me préocupe beaucoup de votre ménage.
Ce que vous au dites de l’impression que vous a faite la chambre des Communes me plait parfaitement, car c’est celle que j’ai reçue moi même. J’ai chargé Marion de la découverte de nouveaux pauvres. Anglais, et enfants ; c’est les deux conditions. On dit que le Roi, qui s’était mis sur le ton de la résignation a passé maintenant à l’état de plainte et de propos très amers contre son Ministère. Il se plaint aussi que son salon est désert ; on ne vient plus ! Vraiment il y a peu de dignité à ce langage.
Je vous dis à tort et à travers tout ce qui me revient, mais toujours de bonne source.

Samedi le 11 avril 10 heures
J’ai fait hier le bois de Boulogne seule. La petite princesse. Le dîner chez La Redorte, un moment de la soirée à l’Ambassade d’Angleterre, et le reste chez Mad. de Castellane pour entendre chanter les Belgiojoso. A diner Thiers seul a parlé et moi un peu ; le passé; il répétait son Consulat et son Empire. Il a eu tort et j’ai eu raison sur un point de l’histoire. La guerre de la coalition était en 1798, et il la voulait en 99. Elle a fini en 99. Avant dîner il m’a dit un mot.L’exil du Prince de Cassaro, la mauvaie humeur de Lord Palmerston. Il voulait causer seul avec moi, mais cela n’a pas réussi, Mad. de Talleyrand était là. Avant dîner courte reconnaissance et froide. A diner pas un mot, elle n’a pas ouvert la bouche. Après le dîner un long aparté; après lequel ils sont revenus prendre place au milieu de nous. Et il l’appellait "ma chère amie" en lui serrant le bras en haut en bas. Enfin c’était drôle ! Ce qui était drôle aussi c’est le ton hautain et exigeant de Mad. de La Redorte avec Thiers. Tout comme ferait Barrot. "Vous n’êtes pas assez décidé, vous n’avez que nous, il faut donc franchement nous prendre. Il ne faut pas flatter l’ennemi & &." Thiers avait l’air de se défendre un peu, d’accepter un peu le patronage. On a parlé destitution et il a dit : "et bien le temps de cela viendra aussi." Elle était plus pressée. Mais enfin tout cela m’a donné l’idée que le mariage n’est pas aussi arrêté que je le croyais. On a parlé de M. Molé ; tout le monde Mad. de Talleyrand surtout, affirmait qu’il s’était mal défendu l’année dernière, j’ai seule soutenu le contraire parce que j’étais un peu indignée de cette injustice et cette bassesse Montrond m’a appuyée. Savez-vous que j’ai un parfait mépris pour Mad. de Talleyrand ? il y avait toujours mépris d’une certaine espèce, à présent il y a mépris de toute espèce. Vraiment, peut on ainsi se manquer de respect à soi même ? Il y avait à diner outre ce que je viens de nommer Médem, Pahlen, Brignole, Vandoeuvre,  Rambuteau. A l’hotel de l’ambassade on a appris par moi les inquiétudes à Londres sur le vote de la Chambre, je l’ai su par un mot d’Ellice. Cela les a un peu consternés. Granville dit que M. Temple après une attitude très décidée et énergique. Il parle du Roi de Naples comme d’un fool. Il me semble d’après le dire de Thiers que cette affaire n’est pas en train de s’arranger. Nous nous sommes dit deux mots bien bas et bien intimes avant dîner que je n’ai peut être pas besoin de vous redire et que je ne veux pas écrire.
On m’a dit et de bonne source apparente que M. Molé aurait déclaré au Roi qu’il n’est pas en état de fournir un ministère et qu’il lui conseillait dès lors d’accepter la dissolution si elle lui est demandée. J’ai dit Le soir à M. Molé que j’avais ouï dire ce commérage. Il s’est récrié et m’a dit au contraire : "J’encourage perpétuellement le Roi à y résister, à toute outrance." Ce qui n’empêche pas qu’il ne me dit, un moment après : "Le Roi et moi nous n’avons pas seulement proféré le mot dissolution dans nos entretiens."
Je vous laisse à décider où est la vérité. Il y avait de la musique chez Mad. de Castellane, mais il y avait aussi du courant d’air. J’ai craint l’un plus que je n’ai aimé l’autre, et je suis partie de bonne heure. Appony venait de chez le roi qu’il avait trouvé de fort bonne humeur à sa grande surprise, quel terrain mouvant que ceci !
Voici votre N° 338. y a-t-il quelque nouveau réglement pour les drawing rooms ? Sous les autres règnes jamais les ambassadeurs ne restaient jusqu’à la fin à moins qu’ils en eussent envie. Mon mari, Estorhazy, M. de Talleyrand, tout cela partait quand bon leur semblait. Moi, je restais, parce que le roi et la reine venaient après le drawing room me dire un mot, mais j’ai seule. Les hommes diplomates n’ont jamais tenu jusqu’à la fin. Il n’y avait aucune nécessité de le faire.
Je suis bien aise de penser que vous allez vous trouver à Holland House. J’y ai souvent été. Souvent, surtout dans le jardin, mais pas seule.
Je n’ai pas encore écrit à la Duchesse de Sutherland, je ne sais trop que lui dire. La phrase de sa lettre qui me regarde ne parait pas aux autres aussi directe qu’elle vous semble à vous, et Lady Granville n’a pas eu de renseignement à ce sujet. S’il n’en vient pas décidément c’est que nous nous sommes trompés. Il faudra que je prenne d’autres mesures. C’est un peu ennuyeux parce qu’on est fort mal aux auberges à Londres. Je consulterai Ellice et il me trouvera peut être quelque chose hors de Londres du côté de Holland House. Mais il faut un établissement. Enfin je verrai. Vérity me drogue en effet et cela me déplait. Si le beau temps arrive jamais, je lui confierai le soin de ma santé et je laisserai les drogues.
Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Mardi 26 sept 1848
Une heure

Je suis hors d'état de sortir. Je tousse pas mal, c’est-à-dire très mal. Il me faut un peu de confinement. J'ai bien dormi mais en me réveillant pour tousser. Je me coucherai ce soir de bonne heure. Et de tout le jour, je ne quitterai mon cabinet. Que je voudrais qu’il fit beau demain. J’espère que je pourrai aller vous voir. Peut-être le matin, à 1 heure, si je me suis encore trop pris pour me mettre en route le soir. Ceci est un grand ennui. Et j’ai bien peur que cela ne nous arrive plus d’une fois cet automne. Je me porte très bien au fond ; mais je m'enrhume aisément, et je suis aisément fatigué. Je me résignerais, très bien à n'être plus jeune si je n’avais jamais à sortir de chez moi. Ce qui vaut et ce qui sied le mieux quand on n’est plus jeune, c’est la tranquillité.
J'ai les mêmes nouvelles que vous de Paris. Si Louis Bonaparte se conduit passablement, et s’il n’est pas forcé d'attendre longtemps, il pourra bien avoir son moment. Agité et court car il ne peut pas plus supporter la liberté de la presse que Cavaignac, et il n'aura pas, comme lui, pris la dictature au bout de son épée. Son nom, qui le sert de loin, l’écrasera de près. Mais il vaudrait infiniment mieux éviter cette parenthèse de plus. Je crois encore qu’on l'évitera, que Louis Bonaparte se compromettra avant d'arriver au pouvoir et que l’armée comme l'Assemblée. soutiendront Cavaignac contre lui. Que la République et l'Impérialisme s’usent bien contre l’autre ; c'est notre meilleure chance, et à mon avis la plus probable.
Je ne comprends pas ce que votre correspondant demande à votre oncle. Il le sait prêt à la transaction. Ce n’est pas à lui à aller la chercher. Ce n’est pas à lui qu'on peut s'adresser pour qu'elle marche et se conclue. On désire quelque fait extérieur qui prouve qu'elle peut se conclure, qu'elle se conclura, le jour venu. Qu'on aille donc au-devant de ce fait ; qu'on lui fournisse l’occasion de paraître. L’occasion semblait trouvée ; on semblait même l’avoir cherchée. Tout le monde devait le croire. Non seulement on ne l'a pas saisie ; mais on s'est montré disposé à la fuir. Quand on est pressé, il faut se presser. Je n'ai jamais pensé que votre oncle pût ni dût prendre aucune initiative ; mais je suis encore bien plus de cet avis depuis le dernier incident. Je répète que lorsque la transaction ira à lui, elle le trouvera prêt ; mais il n’a rien à faire qu'à l'attendre dans l’intérêt du succès comme dans la convenance de son honneur. Il disait encore avant-hier à l’un de mes amis qu’il n’avait reçu de sa partie adverse, aucune avance, aucune insinuation qu’il pût sensément regarder comme un pas vers lui.
De Rome et de Florence, mauvaises nouvelles. Les républicains sont furieux de la petite réaction romaine et du peu de succès de l’insurrection de Livourne. La population ne veut pas les suivre, mais comme le gouvernement ne sait pas les chasser, ils sont toujours là, et et commencent, et recommenceront toujours. On dit que Charles Albert meurt de peur d'être assassiné par eux. Il mourait de peur autrefois d'être empoisonné par les Jésuites. Il ne sera probablement pas plus assassiné qu'empoisonné. Mais son succès n’ira pas plus loin. Adieu. Adieu.
Pour Dieu, ne soyez pas malade. Je veux bien être enrhumé, mais pas inquiet. Je vous renvoie votre lettre. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton, Mercredi 8 nov. 1848
9 heures

Voici une lettre très curieuse. Lisez-la, je vous prie, vous-même, malgré vos mauvais yeux et renvoyez-la moi tout de suite. G[énie] me fait dire qu'il importe infiniment que ses lettres restent entre lui et moi, et qu'il n'en revienne rien à Paris. Vous verrez combien tout cela confirme ma résolution. Je devrais dire notre résolution de me tenir parfaitement tranquille et en dehors de toutes les menées.
Le Roi me fait écrire hier par d'Houdetot " Le Roi me charge de vous dire que les accidents de santé de ses chers malades, sans être plus graves, ayant continué, les médecins avaient conseillé un changement d’air immédiat ; ce qui l’avait décidé à aller passer quelques jours à Richmond, à l’hôtel du Star and Garter. Nous partons aujourd’hui même à une heure. Le Roi désire que vous sachiez bien le pourquoi de ce mouvement afin de vous mettre en garde contre les bruits publics." D’Houdetot aurait dû me donner quelques détails sur la Reine. Mais enfin elle a pu évidemment être transportée, sans inconvénient. Je voudrais savoir qui occupera votre petit appartement. J'irai les y voir. Pourvu que mon travail m'en laisse le temps, car je veux absolument le finir sans retard et l'envoyer à Paris. Le moment de le publier peut se rencontrer tout à coup. Et dans l'état des affaires au milieu de tout ce mouvement d'intrigues croisées, je ne serais pas fâché de donner une marque publique de ma tranquillité et liberté d’esprit en parlant à mon pays sans lui dire un mot de tout cela. Cette course à Drayton va me faire perdre encore du temps. Je réponds aujourd’hui à Sir Robert Peel, mais je n’y resterai que jusqu'au mardi 21 et non jusqu'au jeudi 23 comme il me le demande. Ce serait charmant, s'il vous invitait aussi.
Je reçois à l’instant même un billet de Duchâtel qui était allé hier a Claremont au moment où le roi et toute la famille partaient pour Richmond. Il a trouvé le Duc de Nemours et le Prince de Joinville, très souffrant. Ils ont eu une rechute, c’est ce qui a déterminé la résolution, soudaine.
La dernière scène de Vienne est tragique. Le parti révolutionnaire, étudiants et autres est plus acharné que je ne le supposais. On m’apporte de Paris de bien sombres pronostics sur l'Allemagne. On s’attend que l'Assemblée de Francfort se transportera à Berlin, et finira par y proclamer la République. La Monarchie, et l’unité allemande paraissent de plus en plus incompatibles. Le rêve en progrès est celui d’une république allemande, laissant subsister dans son sein, par tolérance et jusqu’à nouvel ordre des monarchies locales. En France les esprits sont malades sans passions. En Allemagne, il y a la maladie, et la passion. Adieu, adieu. Merci de votre accueil, digne réponse à votre merci de ma visite. Adieu vaut mieux. M. Vitet arrive aujourd’hui de Paris. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Dimanche 4 Novembre 1849
La situation s'est beaucoup modifiée. Le temps a été à l’avantage du président. La majorité est matée. C'est clair. Tout le monde dit aujourd’hui qu'on va à l’empire et que c’est inévitable dans peu de semaines. Broglie, (qui est enfin venu hier) m'a dit qu’on avait proposé au Prince la prolongation de la présidence, une bonne liste civile, que c'eut été difficile à faire, mais enfin que la majorité l’aurait entrepris. Il a refusé, cela ne lui suffit pas. Il lui faut l’empire. Comment cela se fera-t-il, Broglie ne sait pas. Sans doute on aura sous la main un certain nombre de représentants dévoués qui ratifieront le [?] de l’armée, si l'armée le pousse. Après cela, est- ce que la majorité de l’Assemblée qui déteste la République irait se battre pour elle ? C’est stupide d'y penser. Elle joue là un pauvre rôle. On fera sans elle, malgré elle, & il faudra. qu’elle se dise contente, ou au moins qu’elle se soumette. Après tout, le président aura habilement manœuvré. Mais au dire de Broglie, & d’autres, tout ceci pourrait bien être accompagné de gros mouvements dans la rue. Les rouges n’accepteront pas sans essayer autre chose. Les légitimistes pensent s'en mêler aussi. Enfin le bruit est probable. Dans cet état de choses à peu près inévitable, on me dit que vos amis poussent, qu’il vaudrait mieux que vous ne vinssiez pas tomber tout juste au milieu de la bagarre. Qu'il vaut mieux attendre la chose faite, sur tout comme cela ne peut par tarder. Je suis de cet avis aussi. Pour mon compte, selon que je serai avertie, je partirais ou j’irai passer ma journée chez Kisselef, si cela est fort menaçant le chemin de fer est le plus sûr. Mais pour vous songez à ce que je vous dis. Je crois qu’il vaut mieux s'abstenir. Ah, comme Broglie est noir et d'une amer ironie. Il déborde, il n’en peut plus. Au plus fort de sa harangue, Normanby est entré. Vous convenez quel éteignoir. Il venait de l'installation de la magistrature très frappé du spectacle. Le discours du président a été trouvé très bon, & suffisamment impérialiste. Kisselef a dîné avec moi. Il a eu deux courriers. L’un portant des paroles excellentes, sachant gré à la France de s’être conduit très différemment de l'Angleterre, car celle-ci avait eu une dépêche après l’audience de Fuat & Lamoricière point. L’autre un grand étonnement du départ de la flotte, accompagné de paroles. peu agréables. Si Kisseleff avait pu s’acquitter plutôt du premier message, & si on avait d’ici tout de suite rappelé la flotte désormais sans objet, il supprimait le second message. Mais aujourd’hui c’est trop tard. Point de Ministres, personne à qui parler, Molé & Thiers sans action directe pour le moment :et aujourd’hui Kisselef va faire sa petite déclaration à M. Hautpoul. Celui ci au reste est excellent pour nous. Sachez que tout le monde est russe ici. Et très peu anglais. La diplomatie toute entière, regarde l’Empire comme fait. Voilà. Quelle curieuse affaire. Adieu. Adieu. On ne parle on ne rêve qu’empire. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 7 novembre 1852

Le suffrage universel Dimanche le 21. J’ai vu hier Castellane et Caumont sortant du Sénat et Morny. La commission s’est mis d’accord avec le gouvernement, & le rapport de M. trop long conclut à la suppression de l’article 4 qui donnait l’hérédité à Jérôme. Il rentre dans l'ensemble de la famille. Il n’y a plus que descendance directe et adoption. Ce dénoncement cause la plus grande satisfaction à tout le monde moins Jérôme qui du Luxembourg où il était depuis 3 semaines est allé hier coucher aux Invalides. Aujourd’hui le Sénat se réunit pour voter, de là il se rend tout entier à St Cloud pour présenter le Sénatus consulte au Prince. Et voilà le premier épisode fini et très bien fini. Persigny seul y était très opposé. Ces deux jours derniers ont été fort amusants. Les péripéties dramatiques. Kisseleff a été reçu admirablement par l’Empereur. Il est comblé. Il reviendra, je ne sais pas le jour. Hatzfeld & Hubner sont chez moi tous les jours, et Kourakin aussi. Le Marquis Antonini est revenu. Lord Granville est ici pour deux jours. On ne sait à qui sera donné la présidence du Sénat, naturellement Jérôme la quitte. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Dimanche 17

Je suis positivement très malade, car les douleurs se joignent à tous les autres accidents. Chomel, Andral ... ne parlons plus de ma santé jusqu'à ce qu'on ne parle plus de moi.
Tout a été superbe hier, on est venu voir de chez moi, je n’ai rien regardé, rien ne m’intéresse. Le Prince a vu hier matin Abdel Kader à Amboise & lui a rendu la liberté il attendra seulement à Amboise ou au Trianon, comme il voudra que l’arrangement soit conclu avec la porte. C’est Mouchy qui est venu me dire cela, il accompagnait le Prince. Aujourd’hui conseil à l’Elysée. On dit qu'il faut prôner l’Empire, d’autres affirment qu’il n’arrivera que dans six semaines. Pas d’enthousiasme hier mais très bon accueil et tout le monde content. Le spectacle superbe. La mauvaise humeur contre la Belgique est en grand progrès et si sa presse continue moi je croirais à l'invasion, et alors, bonjour. Adieu en attendant. Adieu.
Aggy redemande sa lettre de Marion.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche 24 octobre 1852

On dit que l’inquiétude revient dans le camp de Jérôme. Que tout l’entourage travaille contre eux. Les Paris sont ouverts. Le Père ne cesse de dire " il n'y a pas d’Empire sans le frère de l’Empereur." Si c’est une continuation de dynasties, il a raison enfin nous verrons dans 15 jours. Les articles du J. de Francfort étonnent tout mon cercle. Je ne puis pas continuer. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Dimanche le 26 Septembre

M. Fould est venu hier me raconter la découverte de la machine infernale à Marseille. Très préoccupé de cela. On a pris tout le monde. Il croit à des ramifications à Londres. [Brignoles] il est très monté contre les [gouvernements] libres. On le fera sentir. Sentir aux uns, dire à un autre. Mais ceci peut même loin. Il faut voir l'influence que cet événement de Marseille aura sur le reste du voyage, il y a trois semaines encore. Dimanche le 16, il rentre à Paris. Entrée solennelle. Molé est venu hier très frappé de l’événement et triste, Dumon triste aussi. On croyait les fusillés oubliés. Les proportions de ceci étaient affreuses. De centaines de personnes y périssaient. Du reste Molé content de la pensée qu'on va être affranchi en même temps de la République et du suffrage universel ; Fould ne disait hier encore qu’il sera brisé après l’Empire. Celui ci est bien décidé, je ne sais si l'événement de Marseille le rapproche. (Voici votre lettre. Comment vous ne comprenez pas pourquoi la Reine ne fait pas seule. Mais ce serait son argent, elle aime mieux que ce soit celui de Parlement parenthèse) Vous voyez que c’est Hardinge qui commande l’armée. Choix très convenable. On s'occupe beaucoup à Londres de l’idée d'une descente. Le duc de [Wellington] la croyait très possible. et le Times peut la rendre vraisemblable autant que le complot de Marseille. Quoi ? Si l'on demandait à l'Angleterre l’éloignement des exilés ? It will end by war, voilà ce que répète Ellice depuis 4 ans 1/2.
J'ai montré à M. Fould ce que vous m'avez dit du discours du Prince à Lyon, cela lui a fait plaisir, mais quant à la remarque sur ce que le [gouvernement] de [Lord Palmerston] a rendu des respects à la mémoire de Napoléon, il dit qu'il courait après la popularité et que l’ayant reconnu là, la statue et les cendres ensuite ont eu cela pour à l'Angleterre l’éloignement des exilés ? It will end by war, voilà ce que répète Ellice depuis 4 ans 1/2. J'ai montré à M. Fould ce que vous m'avez dit du discours du Prince à Lyon, cela lui a fait plaisir, mais quant à la remarque sur ce que le [gouvernement] de [Lord Palmerston] a rendu des respects à la mémoire de Napoléon, il dit qu'il courait après la popularité et que l’ayant reconnu là, la statue et les cendres ensuite ont eu cela pour mobile. Il n'y a rien à répliquer c’est vrai quant à la légitimité elle n’y avait rien à faire. Pardon du petit bout de papier, je suis avare. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 31 octobre 1852

Hier il n’y a pas eu moyen. de vous écrire. Depuis midi Cowley & la reste de l'Europe. sans désemparer. Chacun se conte sa nouvelle. Je n'ai rien de direct. Pas un diplomate n’approche de St Cloud. Cela ira comme cela jusqu’à près l'Événement, car que peut- on se dire à présent ? Et moi aussi je n’ai rien à dire, rien à vous conter. J'écris à l’Impératrice par des occasions un peu le bavardage de mon salon, je n’en ai pas d’autre.
Le 4 est attendu avec curiosité. Ma rue est remplie de curieux pour voir Abdel Kader. On le dit superbe. Le Moniteur vous en régale aujourd’hui. Callimachi prend sa destitution assez gaiement. On dit que lui, Lavalette & Monssouron? qui est à [?] ont fort bien arrangé leurs affaires. Je ne sais pas du tout si nous nous sommes mêlés de ce qui s’est fait à Constantinople. Stratford Canning travaille beaucoup à se faire nommer à Paris, je doute qu’il réussisse. Hatzfeld arrive aujourd’hui. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche le 3 octobre 1852 hier

Je n’ai pas pu vous écrire. entre mes souffrances & ma profonde tristesse, il valait mieux ne pas essayer. Ne me parlez pas de ma santé, c’est inutile. Les paroles et des louis n'y font rien. Parlons de ce qui se passe. Rien de nouveau.
Le lac français fera une petite affaire. Il faudra désavouer. [Drouin de Lhuys] a blâmé et l’a dit. Les Holland sont ici. Ils ont diné à Meudon. Jérôme est très inquiet. Il ne sait pas quel sera cet empire. Il leur a dit qu'on a offert à son fils de choisir à l’étranger tel poste qu’il voudrait. Il a tout refusé. Il ne bougera pas. Quoique je vois beaucoup de monde le matin et le soir, je n’apprends rien. Tout le monde attend [?]. Le moment de l’Empire reste tout incertain. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 4 Nov.

Aujourd’hui message du Prince au Sénat. Une commission de 10 Sénateurs sera nommé pour dresser le Sénatus Consulte le rapport sera lu demain, la délibération et adoption samedi. Le corps législatif sera convoqué pour le 23, tout sera fini pour le 1 Xbre. Il y aura 8 millions de voix. Il s’appellera Napoléon III réponse. Vengeance politique des traités qui excluaient la race. ni roi d’Algérie ni protecteur des lieux saints, on y a renoncé. Voilà mes nouvelles. c’est bien laconique sur papier vert. Ce ne serait pas si court si je parlais. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 7 octobre 1852

Il y a si peu de monde à Paris dans ce moment que j’en suis à prévoir une complète solitude après le départ de Kisseleff. Je n’ai pas un habitué. C'est désolant. Quelle perte que Stockhausen ! Molke vient tous les matins, mais il ne le remplace pas. Je ne sais rien d’hier. On dit que le conseil est divisé sur la question de la réception à faire au Président. Faut-il ou ne faut-il pas de fracas ? Les plus sages Fould & & veulent le convenable, l'ordonnance. Les autres voudraient des arcs de triomphe de l’étalage. On ne sait pas ce que veut le Prince. Je tiens toujours mon pari avec Molé, pour l’Empire avant Le 1er Janvier. L'armée autrichienne rend de grands honneurs funèbres au Duc de Wellington. Il ne sera sans doute de même chez nous au retour de l’Empereur. Sans doute il y aura de partout des députations pour assister à ses funérailles. On dit qu’elles sont fixées au 13 Novembre. On disait hier aussi que le Parlement s’assemblerait le 26 octobre. Nous saurons cela bientôt.
Voilà la petite Princesse qui m'interrompt et l'heure qui presse. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi 11 Novembre 1852

Voici ma dernière lettre dieu merci. Hier soir Fould et Berryer. Le premier accompagne aujourd’hui le Président à Fontainebleau. On y restera plusieurs jours ; brillantes chasses & & le Sénat chomera jusqu'à l’Empire. Je crois que le 3 Décembre on y portera un Sénatus consulte pour l'hérédité éventuelle de Jérôme. Jérôme s'en croit tout-à-fait sûr, & je ne vois rien qui démente cela. Les sénateurs venus aujourd'hui pour une séance seront attrapés. Je ne sais rien du tout quoique je vois beaucoup de monde. Toujours beaucoup la diplomatie. Pas d’apparence encore du retour de mon fils. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 19 août 1848,

J’ai vu beaucoup de monde hier. Les plus intéressants étaient la [Princesse] Mathilde, Morny, Fould. Celui-ci le soir, ainsi peu de causerie intime. Molé a été froid. Fould part demain pour les Pyrénées, il revient le 5 Sept. Le 15 il repart avec le Prince pour la grands tournée du midi. On ne fait pas ou plutôt on ne veut pas faire attention à la visite de la reine à Bruxelles, de même on ne relève pas le surcroît d'intimité avec Claremont. On veut rester bien avec l'Angleterre. Il n’est que question d'Empire c-a-d qu'on n'en parle plus du tout que pour dire qu'on n'y pense pas dans ce moment. On laissera parler les conseils généraux. La [Princesse] Mathilde affirme que le mariage se fera. Fould n'a voulu n’en rien dire. Cependant il dit que ce n’est pas rompu. Morny dit qu’avant l’Empire, il faut la femme et même l’enfant. On prétend que Rémusat et Lasteyrie ont écrit des lettres insolentes pour se refuser à rentrer. J'ai peine à le croire cependant c'est la [Princesse] Mathilde & Morny qui me l'ont dit. Thiers doit être arrivé hier. Voilà à peu près tout.
Les fêtes à tout prendre ont été froides. L’indifférence est assez générale. On persiste à dire que dans la couche basse, et dans le pays, on est toujours très chaud pour le nom de Napoléon. Morny a l’air content et tranquille. Très content de voir Fould aux affaires, regrettant que cela n’ait pas pu s'arranger pour Rouher. Tout le monde dit que Persigny est vraiment malade et qu'il a besoin de se soigner. Il est retourné à Dieppe hier.
Il revient ici de mauvais propos tenus par Mad. Kalerdgi à Kissingen. Non seulement mauvais pour le Président, mais aussi pour Kisseleff qu’elle veut faire rappeler. Voilà deux grandes perfidies. Les connaisseurs ne s’en étonnent pas. J'en suis fâchée, car elle me plaisait. Je vous ai dit qu’elle passera l’hiver à Pétersbourg. J’ai dit du bien d'elle à l’Impératrice, je m'en repens. A propos l’Impératrice très inquiète de mon accident, & d’être restée 2 jours sans lettre. Elle prie que quelqu'un lui écrive. Enfin une sollicitude charmante et touchante. Adieu. Adieu. Mes jambes vont mieux.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Le 21

Mon découragement & ma faiblesse sont si grande que je vous prie d’avance de me pardonner quand je ne vous écris pas. Je ne peux pas. Les Mahon sont ici. Je continue à voir beaucoup de monde, j’irai comme cela jusqu'au dernier moment. J’ai bien assez de mes nuits blanches pour penser à autre chose que le monde. Je ne sais rien que l’agitation des diplomates sur le chiffre III. J’espère que le Prince ne fera pas cette haute faute. Il me paraît qu'Abdel Kader est fort blâmé. On dit qu’outre roi d’Algérie le futur empereur veut aussi s’intituler protecteur des lieux saints.
Voilà tout ce que j'ai ramassé. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 28 octobre 1852

Le 2 Décembre me paraît le jour fixé pour la proclamation de l’Empire. Cela se passera aux Tuileries. Les paris sont ouverts à propos des Jérômes. La haine contre eux est universelle. L’affaire turque fait quelque bruit. Je ne m'y entends pas du tout. J’ai été un peu délaissée ces jours-ci par les habiles, de sorte que je n'ai rien d'intéressant à vous dire. Le Lord Holland est venu me voir hier. Il revient de Moscou et d’Alger ! Et part aujourd’hui pour l'Angleterre, beaucoup d'Anglais traversent Paris, peu s'y arrêtent. Il y a longtemps que je n’ai vu Cowley. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 1er Novembre 1852

Beaucoup de monde hier soir. Fould très entouré. Discret, rêveur, plutôt triste, maigri. La fabrication de l'Empire n'engraisse pas les gens. La descendance directe, l’adoption, à défaut de cela Jérôme, voilà le fond du Sénatus consulte. Tout sera convenu jeudi. Rogier aussi était chez moi hier soir. Le ministère [?] est fait. La presse sera certainement mise à la raison en Belgique. Il faut des lois de 7bre. Toutes les puissances insistent. [Cavou] est à la tête du Ministère à Turin. C’est l'Angleterre qui l'a poussé là. Hatzfeld est arrivé hier soir Hubner l’avait vu un moment et en revenait triste. Tout est incertain. Attendons Pétersbourg. Abdel Kader fait fureur en haut, en bas partout. Il retourne la semaine prochaine à Amboise. Adieu. Adieu. Les forces s’en vont tous les jours.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 5 Novembre 1849

L’Empire était moins florissant hier que la veille. On a l’air de le croire trop difficile pour qu'il arrive. Cependant comment rester stationnaire après le message. Il faudrait donc reculer ? Mon salon hier était comme il y a deux ans, excepté vous de moins, et M. Molé & Berryer de plus, & quelques légitimistes. La diplomatie au complet moins l'Angleterre. Molé le [?]. Voici le vrai de la situation. Les ministres changent, mais deux hommes restent immuables, importants, sont Molé et Thiers. La diplomatie se tient à eux. On leur parle comme à des Ministres & on leur montre souvent plus qu'aux ministres. C’est naturel, c'est bien jugé, et cela profite. A nous, beaucoup, tous les deux sont bienveillants pour la Russie, et fort impatientés du joug de l'Angleterre. Hier Kisselef a eu sa première entrevue avec Hautpoul, avant d'entamer, celui-ci lui a annoncé que l’ordre pour le retour de la flotte venait de partir. à la bonne heure. Je ne sais pas encore si cela s'est fait d’accord, ou non avec l'Angleterre. Hautpoul très Russe. Je vous dis que tout le monde est russe. Tout le monde entrait chez moi hier en riant, une sorte de plaisir de retrouver du vieux. Cela m’a plu, le commencement m’a plu ; à la fin de la soirée, j’ai dit à Montebello, avec amertume " personne n’a prononcé le nom de M. Guizot. " Cela m’a choquée. Voilà les hommes. Voilà le temps. Montebello m’a cité une exception, la Prince Wittgenstein. Je lui en saurai gré. J'ai eu des lettres d'Aberdeen de Beauvale de Clauricarde. Tout le monde me demande d'écrire, d'expliquer, d'inexplicable message. Montebello est prié à dîner aujourd’hui à l’Elysée. Votre ami B.[roglie] lui a dit de refuser. Moi je lui ai dit d’aller, et il ira. Quelle idée a votre ami. En pratique quel pauvre esprit ! Comme il doit avoir fait des fautes de convenances et de tact dans sa vie. En y pensent bien je crois que le tact est un ingrédient bien nécessaire aux choses de toute taille. 1 heure. Point de lettres ce matin. Qu’est-ce que cela veut dire ? Je ne suis pas bien depuis quelques jours. Du rhumatisme, pas d’appétit et peu de sommeil. cela reviendra peut-être. Adieu. Adieu. Adieu. Que vous écrit-on sur vous ? Adieu. deux choses à relever. Molé ne croit pas à l’Empire. Et en fait d'avenir, il ne croit plus qu'une Monarchie constitutionnelle soit possible autre part qu’en Angleterre.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 8 Novembre

Vous avez le Moniteur et vous savez tout. Jérôme continue à être enchanté, et sûr de son fait. Il a de quoi. Les deux paroles de Fould hier soir me la laissent pleine conviction que le Prince va lui rendre ce que le Sénat lui avait ôté l'héridité de tout cela. Il reste l'homme au Sénat. Une voix a été opposé à l’Empire, c’est celle de M. Vieillard le précepteur du Prince, Sénateur et doté de 30 m. fr. de rente. Je ne sais rien de plus. Ma soirée m'a fatiguée, et je le suis beaucoup aujourd’hui. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 30 août lundi 1848

Malgré le Dimanche j’ai vu peu de monde hier. Le Nonce, Hubner Kisseleff la petite princesse voilà tout à peu près. Beaucoup des seconds sont à la campagne. Les jeunes se promènent au clair de lune. Il fait étouffant à Paris, l’air est très lourd et très chaud et partant très malsain. Mais où aller ? Les châteaux me gênent. Ailleurs je suis seule.
On dit qu'on ne songe ni au mariage ni à l’Empire et les Paris sont ouverts de nouveau. Il ne se fera pas. La princesse de Saxe ne plaît pas, elle est trop ronde et pas assez jolie. L'empêchement pour Wasa serait la mésall iance, elle pèche par la grand mère, mais si elle plaisait beaucoup à l’Empereur on passerait par dessus. Il n’est pas question de retirer les troupes françaises de Rome. Il faut d’abord avoir une armée pour regarder, et on ne l’a pas. Lord Cowley est revenu hier. Je ne l’ai pas vu encore mais je sais qu’il est rassuré sur son compte. Je n’ai point de nouvelle. de Russie. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 4 octobre 1852

M. Fould veut que le complot de Marseille soit traité avec le mépris que méritent de pareils actes. Il loue fort les Anglais de décréter la folie, à défaut de cela qu'on fait est bien fait. Point de haute cour, car l'éclat encourage les incitations. Il ne dit rien sur l’époque de l’Empire mais il me renvoie aux Moniteurs après le 16, jour du retour. Il trouve très naturel que Jérôme soit inquiet.
Le lac français est une parole en l'air à laquelle il ne faut attacher aucune importance la dépêche de [Drouin de Lhuys] est jugée très raide par tout le monde et sa publication un événement. Je crois que je vous ai tout dit. Bacourt qui est ici pour un moment et qui connaît intimement les Wasa mère & fille, dit que si le mariage avec l’Empereur d’Autriche ne se fait pas, vu l'anicroche de la naissance du côté maternel, il ne sait pas pourquoi elle n'épouserait pas le Prince Président. Il la dit charmante dans ce moment elle est à Vienne. Molé part aujourd’hui, pour Champlatreux. Montalembert est parti. Ste Aulaire ne vient jamais me voir. Dumon est à Trouville. Viel Castel chez les d'Haussonville. Kisseleff part à la fin de la semaine j'en suis désolée. Lady Allice ne m’est bonne à rien d’ailleurs. Elle part demain. Les Holland vont je crois rester un peu ici. Voilà toutes ces nouvelles si ma lettre peut s’appeler ainsi. Adieu. Adieu.
On dit qu'on a crié à Nîmes Amnistie. En général cette partie du voyage a été faible.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 20 Septembre 1852

Hier j’ai été en [?] le jour. Chomel est venu ce matin. Il fait continuer le régime, je ne puis plus marcher du tout. Où est- ce que cela va me mener ? Oliff ne s'accorde guère avec son collègue. On me promet de me donner à manger demain. Voilà mes nouvelles à moi. D’autre part je n'en sais rien. Tous les jours on parle plus & plus de l’Empire. Tristement pour le Président.
J'avais assez de monde hier soir, rien de bien intéressant et pas une nouvelle. J’avais vu Lord Cowley le matin. On est très monté ici contre la Belgique et à en croire le récit de Drouin de Lhuys Cowley dit que c’est avec raison. Il parait que le Duc de [Wellington] ne laisse pas de testament, et comme c’est un bien acquis il sera divisé entre les deux fils. En apprenant la mort du Duc, la reine a envoyé de suite à Londres lord Derby qui se trouvait auprès d’elle. Me voilà au bout, je ne sais plus rien. Adieu, Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 5 octobre 1852 Mardi

Sainte-Aulaire est venu me voir hier soir. Il me dit que Montalembert était venu à Paris pour soigner l'impression d'un ouvrage qui va paraître sur le gouvernement représentatif & sur l’église. Le fond sera que la religion ne peut fleurir qu’avec la liberté, qu'il n’y a pas de liberté en France & que les prêtres ne sont plus que des courtisans, il veut un [gouvernement] représentatif. Vous voyez comme cela va faire fortune ici ! Je doute que son ouvrage paraisse. Il est indigné de la servilité du clergé. On le dit très amer. comme je ne l'ai jamais vu seul, je n’en sais rien.
Hecken est aussi venu hier soir entre le sérieux & le comique c'était assez drôle et assez menaçant. Après l’empire on prendra la Savoie en conseillant au roi de Sardaigne de se dédommager par la Lombardie, & puis on effacera la Belgique. Et puis, si la Russie et l’Autriche se fâchent, on leur lancera la révolution. Tout cela accompagné d'éclats de rire, vous en ferez ce que vous voudrez. Non pas ceci à la lettre s’il vous plaît car même en plaisanteries je n'aime pas que rien ressorte de chez moi. On trouvera une princesse. Cela ne peut pas manquer. Le Moniteur annoncera les fiançailles un beau jour lorsqu'on s’en doutera le moins. Jérôme est inquiet et mécon tent. L’Empire héréditaire et l’adoption cela ne lui convient pas du tout, & il dit : " Le frère de l’Empereur est plus fort que le neveu. " Vous fais-je assez de commérages ? On voulait savoir hier qu'il était venu une note Anglaise sur le lac français. Je veux bien croire à une dépêche peut être, à une note non. Au reste, je ne sais rien de direct depuis ce que je vous ai dit sur ce sujet. Il y a des tempêtes affreuses la nuit. Kisseleff part dimanche. Adieu. Adieu.

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Paris Mardi le 6 Novembre 1849

C’est le second Lundi que votre lettre un manque. Cela fait le dimanche de Londres, car je compte bien recevoir deux lettres aujourd’hui. Le bavardage se calme. Hier il y en avait peu. Flahaut est venu causer avant de se rendre au dîner du président. Il part aujourd’hui pour Londres. Il est très partisan du Prince. S’il n’avait pas été ambassadeur du roi, il se mettrait de toutes ses forces à servir celui-ci. Cela ne lui est pas possible. Il ne sait quand on fera le le coup, mais il se fera. C'est un parti arrêté. Vous savez qu'on a offert au Prince de lui donner la présidence décénale & 6 millions de rente. Il a dit " C’est trop peu pour un coup d’Etat. " On reproche au Prince de prendre des petits ministres, mais on lui criait de se défaire de Dufaure. Les grosses gens refusant de se mettre à l'ouvrage. Et bien il prend des petits, et il les prend dans les rangs de la majorité. Elle ne peut pas se plaindre. On lui reproche son entourage. Où en trouver un autre ? Tout le monde s'écarte. Ni légitimistes ni orléanistes ne viendraient à lui. Il lui faut cependant des amis. Voilà le duc de Flahant. Voici vos deux lettres. Oui en vérité c’est bien triste, attendre encore ! Mais je crois que l’avis est bon, c'est à vous d’abord qu'il faut songer. Laissez passer la bourrasque, seulement j’y pousserais [si je pouvais]. Hier, comme je vous dis, cela n’avançait pas. Mais je crois les entours plus pressés de jour en jour ils meurent de faim, et Persigny est infatigable. J'ai été hier soir chez Madame de Boigne, trois hommes que je ne connais pas, & très [?] le langage, hostile, dédaigneux pour l’Elysée. J’ai rencontré le Chancelier lorsque je sortais [?] moi encore froide. Mad. de Boigne très empressée, elle [était] venu quelques jours avant [?] voir le matin, et elle ne sort jamais, mais il y avait tant de monde chez moi que nous n’avions pas pu causer. Je ne vous nomme pas mes visites Il y en a trop. Cela ferait une page de noms. Ce que je remarque c'est beaucoup d'empressement et plus d’amitié. Ainsi Mme de la Redorte hier toute fraîche débarquée, toute douce & gracieuse. A propos Flahaut croit qu'il serait très utile que M. de Broglie en causant avec Lord Lansdowne (qui arrive demain), lui parle très franchement de tout ce qu'il pense sur le compte de Lord Palmerston, & sur la conduite de Normanby ici. Il dit que cela ferait plus d’effet que quoi que ce soit. Il désire beaucoup que je fasse parvenir cela à Broglie. Comme je ne le verrai pas je ne sais comment m’y prendre, mais je suis tout-à-fait d’avis que ce serait très bon. Dites le. Je me mets en tête que le président se fera Empereur le 2 Xbre. C'est le jour où Napoléon a pris ce titre. A Paris partout dans les boutiques, dans les cafés on demande l’empire. Je ne vous dis pas ma tristesse de notre séparation. A quoi bon ? Je cherche à me persuader que cele sera plus long. Mais je suis triste du terrain que vous trouverez ici pour votre compte. Triste et indignée. Adieu. Adieu. Adieu.

Beauvale qui me tient bien en courant me dit que Nesselrode est très aimable & doux pour Lamoricière. Celui-ci n’a fait aucune communication. C’est Bloomfield qui est allé se brûler les doigts. Je crois que je verrai aujourd’hui la réponse. L’Empereur m’apprenant les exécutions en Hongrie s’est écrié publiquement. " C’est infâme." Nesselrode a dit à Lamoricière que le gouvernement russe les regrettait profondément & que le public en était indigné. Beauvale approuve le Président et regarde ceci comme une suite naturelle du langage légitimiste si hautement tenu.

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Paris Mardi le 9 Nov.

Absolument rien de nouveau. Hier l'ordre aux Sénateurs de se retrouver à Paris, dans 3 jours, pour un nouveau. Senatus consulte. Ils ne savent lequel, ce sera Jérôme. La princesse Mathilde me dit qui son père sera grand amiral de France. Elle se dit sûre du mariage & la princesse Wasa. Le message du Président n'a pas plu en Angleterre. On voit la guerre. J’ai vu hier Andral très tard le soir & de très bonne heure ce matin. Voilà où j’en suis. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 26 octobre Mardi

J’ai vu hier lord Minto, il va passer l'hiver à Gènes. Il croit que le Ministère peut durer... Pour son compte il a fini à tout jamais. John Russell est gros et gras et en train. J’ai vu Fould aussi, très occupé, intéressé à ses occupations. Toujours de plus en plus charmé du Prince. La [?] de l'acceptation aura lieu aux Tuileries avant la mi Décembre. Le suffrage universel le 21 ou le 28 Novembre. Appony est bien mort. Le duc de Noailles est venu m'interrompre. Il est plus résigné que M. Molé. Il n'y a cependant plus rien à faire que cela. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 6 octobre 1852

Ce que vous me dites des dépêches belge & française me paraît très frappant et doit être vrai. J’ai vu Fould hier soir qui ne savait pas encore comment cela se dénouerait. Je lui demandais de quelle couleur seraient les nouveaux ministres. Il en répondit : Le roi en cherche-t-il ? Je l’ai trouvé monté sur un tout autre ton que Hecken. La paix, la paix, & l’Empire sera modeste. Cela ne ressemble pas du tout à avant hier. D’abord [Hekern] est un hâbleur et puis je crois qu'il a plus dans ce cas là on cherche à faire peur aux autres, façon de se rassurer. J’ai vu très peu de monde hier. Comme quotidien personne qu’Andral. J’attends Dumon j'aime bien à pouvoir compter sur quelqu’un. Je suis très interrompue et nervous, je vous dis Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 7 Novembre 1849

C’est cela. Attendre un peu. Si cela ne se fait pas tout de suite ; vous venez. Sainte-Aulaire & le duc de Noailles ont dîné chez moi hier . Tous d'eux d’avis que vous veniez. Etonnés, que vos amis vous donnent un avis contraire ; cependant je dis ainsi attendez un peu. L’empire stationne. Il n’avance que lentement. Il faut s’assurer de bien des choses avant de le tenter. A la salle des conférences on ne s’entretient que de cela les rouges disent qu’ils reste ront armés de la Constitution et monteront sur les barricades pour la défendre. Les légitimistes préfèrent l'Em pire à la présidence décénale. Ils croient que l'Empire n'aura aucune durée. Ce que vous me dites aujourd’hui sur la situation et la conduite quoique sans conclusion est plein de raison et d'esprit. J’ai passé hier soir un moment chez Mad. de Rothschild qui part ce matin pour la Silèsie. J'y ai rencontré le gouvernement Changarnier. J'ai demandé à faire la connaissance. Je puis bien faire des avances à l'homme qui me fait dormir tranquille. Son extérieur est doux et peut être fin. Tout le monde. l'adore & l’accuse. Longue entrevue hier matin avec Kisselef 1 heure 1/2 entière confiance. Nous faisons une distinction marquée entre Paris & Londres, en pleine défiance de Londres. Très bienveillant pour ici. Content de Thiers, & le lui laissant savoir. Nous remarquons que la France s’est laissé un moment dupé par l'Angleterre, qui voyant poindre de l’intimité entre Pétersbourg & Paris a voulu la détruire en mettant en avant la flotte française. Je vous ai dit qu’elle est rappelée, mais ni Kisselef ni moi ne savons encore si c’est d'avoir avec l'Angleterre. J’espère que non. Il est très possible encore que Stratford Canning empêche à Constantinople ce que nous avons réglé à Pétersbourg nous avons explicitement dit à l'Angleterre comme ici que nous ne permettons à personne de se mêler de cette affaire. Je suis fort contente de tout ce que j’ai vu. L’Empereur est exaspéré des exécution en Hongrie. Ceci me revient par Londres. Aberdeen m'écrit que la presse anglaise revient à Palmerston, Morning Chronicle, même le Times. C'est bien dommage. Sainte-Aulaire m’a dit hier que les nouvelles d'Espagne étaient mauvaises. Narvaez succombera La petite reine joue son jeu, contre son mari, contre sa mère, contre son Ministre. Une perfidie sans exemple. Il me semble que je vous ai tout dit, les Normanby en grandes recherches pour moi. Mon quotidien est toujours Montebello. Excellent honneur et fort intelligent. J’ai vu Jaubert, qui est plein de dévouement, de respect pour vous. Et ce bon Thom à Paris pour quelques jours, qui veut que je vous dise son profond souvenir de vos bontés. Mad. de la Redorte me demande ainsi de vos nouvelles & Flavigny beau coup que j’ai rencontré chez Mad. Rothschild hier. Adieu. Adieu. Adieu.
Le duc de Noailles est pressé, pressant pour la fusion. sans elle on périt ; avec elle on est sauvé. Je vous redis. Il est fort éloquent sur ce point. M. de Saint Aignan est revenu de Clarmont porteur d'un blâme sévère du Roi de l’abstention. Il fallait voter pour la proposition. Le chagrin là est extrême. Ils voulaient tous revenir.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 20 octobre

Chomel d’abord et à présent Andral, celui-ci tous les jours depuis 20 jours et moins bien depuis lui. Voilà. J’ai vu hier Fould longtemps. C’est en décembre que sera fait l’Empire. Ce n’est pas lui qui a conseillé la mise en liberté d’Abdel Kader. Le blâme est plus général que l’approbation. Thiers est violent dans les premiers. Je vois beaucoup de monde. On cherche à me distraire. Tout le monde me trouve bien changée. Les forces s’en vont tous les jours. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 22 Septembre 1852

Vous m'avez pardonné hier. J’étais si fatiguée. Aujourd’hui j'ai dormi, et on m’a permis hier de manger un peu. Je me sens plus vivante. Le discours du Président devant la statue est la grosse affaire. Tout le monde le commente Il est habile. Chaque mot est une intention. Pour l’Empire, il laisse les choses où elles étaient. Cependant il est un peu en arrière des quatre mots à Nevers. Fould que j’ai vu hier matin dit que quant à l’enthousiasme, c'est à ne plus trouver de mots pour le raconter d’une manière vraie. Il en rit lui-même. Il me dit " cet homme est bien le maître de la France, le maître comme on ne l’a jamais été. Il la tient dans sa main. "
J'avais chez moi Heckman hier matin lorsque Montalembert est entré ; à peine celui-ci assis qu’arrive Fould nous voilà à nous quatre ! La place n'était plus tenable. Montalembert avait pâli d’émotion et de colère, il s’est levé et il est parti. Beauvale me mande que le Times est acheté par les Orléans et payé très cher. Lady Palmerston m’écrit aussi ; il n’est pas question de Nice. Le ministère anglais tiendra. La mort du duc de [Wellington] ne fait pas un très grand effet réel mais le regret public est universel.
Fould me dit : " nous avons commencé les hostilités avec la Belgique. " Vous avez lu le décret élevant les droits sur la houille & les fers. On répondra de la par les vins et les soieries et on finira par chasser les ministres. ces décrets au dire de Fould feront grand plaisir en Angleterre. J’ai vu hier soir beaucoup de monde, mais comme je le renvoie à 10 h. Cela ne me fatigue pas. Interruption. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 25 août 1852

On se fâche fort ici de l’événement de Berlin. On conteste cela avez d’autre lieux où tout s’est passé le 15 selon les désirs de la France. Il faut qu’il y ait un luxe de maladresse de la part de M. de Varennes. Au reste je vous ai dit que ce n’est pas là seulement, à Bern cela a été encore pire qu'à Berlin. On me dit que les Belges ont été fort piqués du voyage de la Reine d'Angleterre, de voir tous les vaisseaux anglais sonder l'Escaut, prendre des notes & & cela a été très impopulaire. M. Drouin de Lhuys a dit hier à un diplomate que le nouveau traité avec la Belgique était tout à l’avantage de la France au delà de ce qu’il aurait jamais cru possible. Il a dit aussi au même, l’Empire est fait.
Dumon est venu me voir hier de Versailles. Je lui avais prêté Cromwell. Comme moi. il a été très accusé, mais de même que moi et plus que moi, il dit pourquoi ; & il ajoute que c'est fâcheux pour vous et pour les autres. Je vous en prie restez en là. Voilà votre lettre, qui explique. C'est peu connaître l’homme que de croire qu’un avertissement public puisse agir sur lui et le retenir ce serait plutôt propre à faire l’effet contraire.
Les petits dîners élégants, les lotteries, les cadeaux continuent à St Cloud. Mad. Sebach y a gagné hier une belle bague rubis & et diamants. La surveille Mad. Woronoff m’avait rapporté une émeraude & diamants. Il faut être riche pour cela. Toujours 6 ou 8 dames bien dotées. Le temps est beau, mes forces ne viennent pas, elles s'en vont. Je suis très découragée. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 8 Septembre 1852

J’ai vu hier M. Fould, trés engraissé, très content, très confiant très puissant. Il ne bougera pas de Paris pendant le voyage du Prince tous les autres ministres se relayeront à tour de rôle auprès de lui. Fould reste pour répondre de tout et pourvoir à tout. Il est très content de la disposi tion du pays. Partout l’autorité puissante, obéir, les populations contentes. Ce n’est pas lui qui a rédigé l’adresse de son conseil général c’est M. d’Aguilleau. Il en rit. On ne parle pas d’Empire. Le Prince sait fort bien ce qui est dans son intérêt. Il fera attendre. Il a plus d’esprit que les autres. Le voyage sera une ovation. Il regrette la guerre au Times, cela ne continuera pas. On exécute doucement les décrets. Je n’ai dit que deux choses : que le Prince se conduise toujours dans son intérêt personnel, & il a trop d'esprit pour ne le pas connaître. Et puis qu'il laisse tranquille son oncle. Il en a assez parlé. Il a le droit de parler de lui même. J'ai bien relevé aussi l’impatience des ennemis de le voir empereur. Cela a déjà frappé. Voilà en raccourci. Il n’a pas été question de mariage.
Je suis charmée que Fould reste. J’ai été hier soir un moment chez Mad. Salovoy. Fête, illu mination, bal. 18 Hongrois musiciens admirables, dans leur costume pittoresque j'y ai été pour les entendre. à 10 h. j'étais dans mon lit. Aggy a remis son voyage à la semaine prochaine. Les Delmas restent, Kolb reste donc aussi. On regrette à Berlin que Manteuffel n’aie pas donné sa démission, vu le secret que le Roi lui a fait de la faveur rendue à Radowitz, il aurait eu avec lui l’opinion, la bonne qui est toujours la plus puissante en Prusse. Madame de la Redorte croit que le coup porté à Molé par le [?] de camps de Kalerdgi est plus fort encore pour [?] que le 2 décembre. Adieu. Adieu.

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Paris le 9 octobre samedi 1852

Ah quelle rude besogne de gouverner une fille anglaise ! Elle voulait s'échapper tout de suite seule, sans rien ; de ces têtes folles qui suivent leur impuls sans plus. J’ai été fort résolu. Le père m’a armé de son autorité. Il ne faut pas qu’elle parte. Une lettre de vous sera bonne, & n’arrivera pas trop tard. J’espère, car je ne réponds de rien pour moi, cette lettre de toute la journée m’a renversée. J’ai bien besoin de cette agitation de plus. Je n’ai pas mangé et je n’ai pas dormi. La veine de malheures n’a pas tarie encore pour moi.
Hier on disait qu’en même temps que le Prince se fera empereur, il sera roi d’Algérie. Une garde algérienne équivalant à garde impériale. On dit beaucoup de choses. Je croirai ce que je verrai. M. de Caumont est venu me voir. Les Sénateurs iront tous à la rencontre. Le Chancelier est ici. Il est venu le matin, le soir. C’est trop. Je vois qu'étant la seule ressource, il m'ennuiera souvent. S'il n'était pas sourd je ne me plaindrais pas. Je suis très tracassée et bouleversée.
Lady Holland m'est d'un grande aide auprès d'Aggy. Elle a très bon coeur Lady Holland, et elle est très intelligente. Adieu. Adieu, venez à mon secours aussi, et écrivez.
Voici les paroles du Père. Keep Aggy with you by all means. At this season her coming might a danger her & it would only add sorrow to sorrow. If it will be comfortable to her. We shall contrive to get Marion over with her uncle shortly as he is going. Vous voyez d’après cela mon droit et mon devoir de la retenir, et son devoir à elle d’obéir à ses parents.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 5 Novembre 1852

Séance très orageuse hier au Sénat c.a.d. dans les bureaux. Grands hostilité contre Jérôme si on avait voté hier il ne passait pas. Lui et son fils ont couru à St Cloud. Abel Kader y dînait. Le conseil des Ministres a été convoqué là pour 10 heures du soir. A midi aujourd’hui le Sénat se réunit. On verra s'il s'obstine. Cela pourrait être à la convenance de tout le monde, je ne sais, mais hier on était bien agité Que dites-vous du message ? Je suis très contente de Cowley. Il prêche l’union et l’identité de conduite et de langage Mess. de Caumont & Beauvale sont venus chez moi au sortir du Sénat. Et toute la journée j’ai vu tout le monde. Ah que je voudrais voir revenir [Kisseleff] Il y aura des Princes de la famille à voter. Tous les généraux sont contre Jérome. On ne veut que deux articles, hérédité directe, adoption dans la famille B. Napoléon III c’est consacré. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 8 octobre 1852

Je donnerai cette lettre à votre petit ami. Mais elle ne méritera pas une si bonne occasion. J’ai vu du monde. Je ne sais pourquoi l’idée s'établit, qu’il n’y aura pas d'empire de sitôt. [Kisseleff] s'en va persuadé de cela tout-à-fait. D’un autre côté hier soir Valdegamas affirmait que le Pape viendra sacrer l’Empereur. Le Nonce qui était là, a seulement répondu que dans son discours de Lyon le Prince a rappelé que l’Empereur Napoléon a été sacré par le Pape. J’ai trouvé cette réponse un peu compromettante.
Je ne sais rien d'Angleterre. Je ne crois pas que Cowley ait été dans le cas de reparler du lac. Le duc de Noailles est venu pour un moment. Il n’a plus qu'une idée fixe. La peur qu'on n'assassine le Président. Il ne pense pas à autre chose. Il voudrait lui donner 50 ans de vie & de pouvoir. Si l’Empire se fait, le chiffre sera une question. N. III effacerait les deux monarchies, cela n'est pas admissible. Louis Napoléon serait le plus naturel.

Midi 1/2 Dans ce moment je reçois une lettre d’Ellice père qui m’annonce la mort de Fanny. Je suis dans un grand trouble pour cette pauvre Aggy. Comment le lui dire ? Enfin je m'en tirerai. Le père me prie ou supplie de la garder chez moi c’est bien ce que j’entends, mais comme je crains son élan vers Marion écrivez lui un mot (à Aggy) Very impressive à votre façon pour lui dire que vous savez que son Père veut absolument qu’elle ne retourne pas, et que par dessus le marché ce serait cruel & inhumain de m'abandonner malade. Enfin regardez comme impossible qu'elle songe à me quitter même pour 8 jours. Tout à fait inutile. Je vous prie écrivez bien. Le Père veut que Marion vienne ici avec l'oncle en décembre, il m'a l'air d’avoir grande envie de se débarrasser de ses enfants. Adieu. Adieu vite.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Le 15 octobre

Je brave la consigne cela m'ennuie. L'effet du discours est grand et bon. Tout le corps [diplomatique] content. Je les ai tous vus. Cowley dit un chef d'œuvre. [Drouin de Lhuys] lui a dit que cela devait effacer le lac français petite flatterie qui a fait son effet. Hubner content aussi avec la remarque que ce qui est une sécurité pour l’Europe est également une satisfaction à la France, il a parlé pour plaire extra et intra muros. Pourquoi ne pas croire à la sincérité ? Ou pour le moins dire qu'on le croit. Persigny est venu me voir bien content, il y a de quoi ; tous ses [?] qu’on regardait comme autant d’extravagances accomplies. C’est enivrant et cela ne l'enivre pas du tout, au contraire pour la première fois je l’ai trouvé très modeste. Lui et son maître sont les moins étonnés de tous. Ils savaient que cela devait être et ils prennent cela très tranquillement tout cela tient de la fable et c'est bien cependant une réalité.
Je vois Fould souvent, très occupé. Et très content. On dit que Jérôme l'est, puis il affecte de l'inquiétude. Le Prince entre demain aux Tuileries, il y trouvera sa famille. Ensuite il ira dîner et coucher à St Cloud. Après viendront les conseils de Ministres, où l’on décidera l’époque & le comment. Personne ne le devine encore, et les ministres pas plus que les autres. Seulement Fould me dit : il n’est jamais pressé. Paris sera très en fête demain. Des arcs de triomphe partout. [?] sous mes fenêtres à l’entrée du jardin. Je ne sais rien de la Princesse de H. Sigmarignan. Mais évidement il faut une femme mais Le nonce est embarrassé mais quand on lui demande si le Pape viendra, il ne dit pas non. Le départ de [Kisseleff] me désole et désole Hubner. Hatzfeld revient dans huit jours. [Kisseleff] est parti sans connaître le discours. Que j’aurais de drôleries à vous raconter et elles seront perdues oubliés quand nous nous reverrons. Aggy a reçu l'ordre formel de rester. Elle reste, plus tard Marion viendra. Je vois Andral tous les jours & je vais tous les jours pire. Adieu.
Voilà tout ce que mon oeil me permet de vous écrire. Aggy redemande la lettre de sa sœur. Envoyez-la moi.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Vendredi le 22 octobre

Je vous assure que je traite Aggy avec tendresse et sympathie. Le père Ellice m'écrit lettre sur lettre pour m’en remercier. Nous parlons sans cesse de la famille. Le frère est ici à présent. Je suis très bonne pour lui, & tout cela marche avec convenance & amitié. Merci toujours de l’avis. Jérôme a dit hier à Lord Holland que le [S. Cte]. le déclarerait héritier présomptif & son fils après lui. Eux deux seuls princes de Sacy & [Altesse] . 2 millions de rente. Il est au comble de la joie. Nous verrons si c’est vrai.
Ce soir le Prince va aux Français. Melle Rachel lira une pièce de vers. L’Empire c'est la paix. Le spectacle sera curieux. Il commence par Cesina. J’ai revu hier le duc de Noailles. La curiosité le ramène à tout moment à Paris mais pour une heure seule ment. Hier il a trouvé chez moi beaucoup de monde, nous n’avons pas causé. Hubner [ment] comme un poisson, malheureux, d’être seul. Hatzfeld tarde. Le Nonce et [Lovenjelen] ont eu hier des audiences du Prince. Frappés tous deux de la transformation. Aussi gracieux & simple que de contenu, mais l’oeil ouvert, vif la parole élevée, l’air satisfait glorieux, radieux. Abdel Kader lui a écrit une lettre où il reconnaît son sujet. Mad. de Contades a fait lecture le soir de cette lettre à St Cloud, style ardent & passionnée reconnaissance. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 29 octo. Vendredi

J’ai vu hier Cowley. Morny, assez de monde. Callimachi est destitué. Cowley sera je crois absent le 2 Décembre. Il va à Londres pour les funérailles le 20, & ne se pressera pas de revenir. Le corps diplomatique est fort perplexe, je ne sais comment se passera la séance Impériale. Logiquement, rigoureusement, impossible que le [corps diplomatique] y assiste et son absence ne préjuge rien du tout. Mais nous verrons. Je vois par le langage de Morny de Hecken, enfin de tous, que l’on n'évitera pas Jérôme et son fils dans la copie de succession. Jérôme est de nouveau dans le troisième ciel. Il a dit à Lord Holland que tout était convenu. Son fils doit se marier, épouser une princesse. On l’établira en Algérie. Tout ce qu’on dit de promotion de grand dignitaires, grandes charges, est une fable ; l’Empire commencera modestement. Flahaut va venir pour voter pour l’Empire. Le livre de Montalembert me paraît n’avoir pas le moindre succès. On dit qu’il n’a pas le sens commun. Un règne parlementaire à condition qu’il n’y ait pas de libéraux ! Comme je n’ai pas lui je ne sais pas. Valdegamas en parlait très mal hier, et surtout dans le sens que Mont. déraisonne. On dit aussi que c'est écrit avec négligence.
Je vous ai dit qu’Abdel Kader habite mon appartement à la Terrasse ? Adieu. Adieu. On dit de plus en plus à Londres que Palmerston va entrer aux affaires comme Ministre des Colonies. Je n’y crois pas encore.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 28 oct. 1849
7 heures

J’ai devant moi, sur mon jardin et ma vallée un brouillard énorme, pas anglais du tout, bien brouillard de campagne normande. Il fera beau à midi. Les bois, par ce beau soleil étaient charmants il y a quelques jours ; toutes les nuances possibles de vert, de rouge, de brun, de jaune. A présent, il y a trop peu de feuilles. Dans quinze jours, il n'y en aura plus. J’irai chercher à Paris autre chose, que des feuilles. Je vous y trouverai. Et puis, quoi ? J'ai beau faire ; je ne crois pas à l'Empire. Et pourtant, on ne sortira pas de ceci en se promenant dans une allée bien unie.
J’arriverai à Paris sans avoir fini mon travail. Il sera très près de sa fin, mais pas fini. Il me plaît, et je crois qu’il m'importe. Je ne veux le publier que bien et vraiment achevé. J'aurai besoin, chaque jour, pendant trois ou quatre semaines de quelques heures de solitude. Je les pendrai le matin, en me levant. C'est mon meilleur temps. Je ne recevrai personne avant 11 heures. On me dit que j'aurai bien de la peine à me défendre, qu’on viendra beaucoup me voir. Amis et curieux, tous oisifs. Je me défendrai pourtant. Je veux garder pleinement mon attitude tranquille et en dehors. Je n'ai rien à faire que de dire, quelquefois et sérieusement, mon avis.
Que signifie le retard prolongé de Pétersbourg ? C'est plutôt bon, ce me semble. Les partis pris d'avance sont prompts. Avez-vous fait attention aux lettres du correspondant du Journal des débats, de Rome, leading article. Je connais ce correspondant. On finira par s’en aller de Rome, purement et simplement. La question de Rome ne peut être résolue qu'Européennement. Il faut que Rome redevienne une institution européenne. Elle était cela au moyen âge. C'était les Empereurs et les rois d’Europe qui intervenaient sans cesse dans les rapports du Pape avec l’Italie, et qui les réglaient après les grands désordres. Il y avait des révolutionnaires dans ce temps-là comme aujourd’hui et ils chassaient aussi le Pape. La non-intervention dans les affaires du Pape est une bêtise que l’histoire dément à chaque page. Seulement l’intervention est obligée d'avoir du bon sens. On est intervenu pour le Pape, et maintenant on voudrait faire à Rome autre chose qu’un Pape. J’espère que le Général d’Hautpoul qu’on y envoie, sortira un peu de l'ornière où l'on est. C’est un homme sensé, et un honnête homme. En tout, les militaires se sont fait honneur là, généraux et soldats. Il faut qu’il s’en trouve un qui ait un peu d’esprit politique. J’ai oublié hier ceci ; matelas et non pas matelat.

Midi
M. Moulin (un des meilleurs de l’assemblée) m’arrive pour passer la journée avec moi. Votre lettre est bien curieuse et d'accord avec ce qu’il me dit. Adieu, Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 8 nov. 1849
8 heures

Je fais dire au Duc de Broglie, ce que pense Flahault. Je ne vous réponds pas qu’il le fasse. Il est dans une disposition à la fois, très amère et très réservée, de plus en plus dégouté de se mêler de ce qui se passe, en quelque façon que ce soit soit pour nuire, soit pour servir. Je suppose que Lord Lansdowne ne compte pas rester longtemps à Paris. Il serait bien bon en effet qu’il vît les choses telles qu’elles sont réellement. Je ne sais pourquoi je dis cela, car je ne pense pas qu’il résulte grand chose à Londres de son opinion sur Paris, quelle qu’elle soit. Il est de ceux dont le bon sens ne sert à rien quand il faut qu’ils fassent un effort pour que leur bon sens serve à quelque chose. Je suppose aussi que de Pétersbourg, on ne fait pas grand effort pour empêcher, en Hongrie, les exécutions qu'on déplore. C'est le rôle des sauveurs de déplorer et de ne pas empêcher, de nos jours, la Restauration a fait cela en Espagne, la République à Rome ; et vous en Hongrie. Cette affaire des réfugiés hongrois finit bien pour vous. Il était bon à l'Empereur d'avoir à se plaindre de l'action anglaise, et de le faire un peu haut. La République française, sans l'afficher ouvertement, en ayant même l'air de ne pas le vouloir, vous aidera beaucoup à faire de la Turquie votre Portugal. L'état de l'Europe vous est bien bon. L’Autriche sauvée par vous, la France annulée, vous n'êtes en face que de l’Angleterre. Si vous ne faites pas trop de boutades, vous gagnerez bien du terrain. Le refus de la présidence décennale et d’une bonne liste civile est une preuve sans réplique qu’il y a parti pris pour l'Empire. Quand ce jour-là viendra, la partie sera difficile à jouer pour tout le monde. Président, assemblée et chefs de l’assemblée, armée et chefs de l’armée, sans parler du public, pour qui rien n’est difficile, puisqu'il ne fait rien et laisse faire tout. Ce sera l'une de ces grandes eaux troubles, où les petites gens habiles font leurs propres affaires, et ceux-là seuls. Donnez-moi, je vous prie si vous pouvez quelques détails sur ce terrain que je trouverai pour mon propre compte, et qui vous indigne. Je le vois d’ici en gros ; mais il est bon de savoir avec précision, et d'avance. J'en serai plus instruit qu'indigné. J’ai une indignation générale, et préétablie qui me dispense des découvertes. Mad. Austin est à Paris. Elle a trouvé à Rouen, M. Barthélemy, Saint Hilaire qui l’a fort rassurée, et qui l’y a conduite. J'attends aujourd’hui des lettres qui me feront, je pense prendre un parti à peu près précis sur le moment où j'en ferai autant.

Onze heures
Les lettres que je reçois me disent à peu près toutes comme Sainte Aulaire, et le duc de Noailles. Je me tiens donc pour à peu près décidé pour la fin de la semaine prochaine. N'en dîtes rien. Ce sera un charmant jour. Adieu. Adieu. Adieu. G.
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