437. Paris Mardi 29 septembre 1840
9 heures
Cet abominable mardi ; il revient tous les jours ! Pourvu que demain j’aie ma lettre de bonne heure. Je ne vis plus que pour vos lettres. J’ai fait hier ma promenade avec Mad. Durrazo. Vous ne savez pas qu’elle a de l’esprit, beaucoup de finesse, de drôlerie, et qu’elle est le meilleur mime possible. Avant de rentrer, j’ai passé chez Mad. Appony. Hemmelauer qui a passé ici raconte que l’opinion en Angleterre est très vive contre la France et qu’il y a bien peu de vraisemblance à ce que l’affaire puisse s’arranger. Nos pauvres diplomates sont fort tristes et fort tourmentés. Ce sont de très braves gens et qui animent beaucoup Paris !
En traversant la place Louis XV pour rentrer je rencontre Thiers en voiture, qui fait arrêter la voiture et la mienne tout simplement et qui d’un bond s’est trouvé dans ma calèche. Nous sommes restés dix minutes exposés au public. Il m’a dit courtement : " Si le traité s’exécute vous avez la guerre c’est certain." Je lui ai dit que personne de nous en songeait à la lui faire, et que je ne voyais pas comment elle pourrait commencer. " Ah cela, c’est mon affaire. Vous verrez. " Et puis il m’a dit que le roi était furieux, la reine extrêmement, toute la famille. Qu’il était occupé du matin au soir, que tous les jours il veut venir me voir, qu’il viendra, et des tendresses ; personne n’a été nommé. Il m’a demandé ce qu’on me mandait d’Angleterre. Je lui ai dit que les esprits étaient très montés contre la France depuis peu de jours. Il me dit que les rapports sur ce sujet étaient contradictoires. Et nous verrons. Voilà la conversation.
J’ai dîné comme de coutume. Il me semble que je mange ma perdrix mais à me regarder, je croirais plutôt que c’est elle qui me mange. Après le dîner la calèche encore. Je me fais traîner le long du boulevard. C’est si animé, si gai. Je pense à Londres. Je me fâche de regarder quelque chose de gai lorsque vous n’avez que du morne et du triste. Vraiment, je ne conçois pas qu’un français puisse habiter Londres et puis pour tout étranger j’ai toujours pensé qu’on ne peut vivre à Londres que lorsqu’on a un intérieur, des enfants, du bonheur autour de soi, dans sa maison ; alors, et une grande situation pas dessus le marché cela va, surtout. Quand on n’a pas habité Paris. Mais vous, vous ! Vous ne sauriez vous figurer. A quel point je vous plains et je m’en veux de vous avoir quitté. Ah si j’avais pu rester ! Il faut bien que je me répète que c’était impossible. Votre promenade au Regent’s park seul. Cela me fend le cœur, et cet air de Londres si lourd, si gris !
N’est-ce pas que vous comprenez qu’un pauvre diable aille se pendre au mois de novembre ? Mon ambassadeur est venu à 10 heures, il me quitte parce que c’est toujours encore l’heure où je me couche, ma porte est encore fermée à tout le monde. Nous ne parlons que d’une seule et même chose nous ne parlons fort tristement tous les deux. Il admet aujourd’hui la guerre sans la comprendre. Mais enfin la voilà, partant de là il la veut bien forte et bien courte. Encore une fois toute l’Europe, et quelque chose de pire que l’année 15 ? En vérité, c’est très possible. Il y aura bien quelques mauvaises têtes, mais elles sont bien plus rares aujourd’hui qu’elles n’étaient il y a 10 ans
L’exemple de la France n’est par dangereux. Quel degré de plus de liberté y a-t-il que sous les anciens Bourbons. Qu’est-ce que les pays gagnent à se mettre en révolution? Et l’Espagne ! On regarde tout cela, on a réfléchi à tout cela, et vous trouvez peu de sympathies révolutionnaires. C’est sur cela cependant que vous devez compter. Si ce moyen vous manque, et il vous manquera, qui peut douter que l’Europe résolue comme elle l’était alors, ne fasse, comme alors succomber la France ? vraiment la carrière est plus aventureuse pour la France peu pour les autres. S’il y a des gens légers, présomptueux. Autre part, il y en a bien ici aussi. Pensez à tout cela avec votre immense raison et votre impartialité très rare. Est-on engagé assez loin pour ne pas pouvoir trouver des moyens d’éviter un grand fléau ? La situation est mauvaise. Vous faites bien de prendre des mesures à tout événement. Vous avez bien quelque motif de ressentiment quant aux procédés, aux manières, mais de là à faire la guerre, à la provoquer ! Il y a trop loin. Personne ne vous attaquera, tenez cela pour certain ; on vous laissera. à vous tout le tort de la provocation, et il soulèvera contre vous, sincèrement, toute l’Europe. Je pense et repense sans cesse à tout cela.
10 h 1/2
Quelle surprise charmante ! Cher Simon ! J’ai failli l’embrasser. Vos douces paroles me font du bien en effet beaucoup de bien. Je me soigne ; je me soignerai. Je veux que vous me retrouviez mieux. Je suis joyeuse de votre lettre. J’attends avec une vive impatience l’explication du bis, c’est de l’émotion, un intérêt constant pour toute la journée, car vous n’avez pas un confident aussi pressé que Simon. Tout ce qui s’appelle légitimiste s’est abstenu de paraître hier à la Chambre des pairs. C’est une mesure générale convenue avec Berryer. Ceux des légitimistes qui étaient revenus aux idées et au langage le plus raisonnable ont un peu changé de ton depuis les dernières six semaines. Ils prévoient de la confusion, et par conséquent de l’Espérance.
On dit que Molé dit du roi que son esprit a beaucoup baissé. Le roi a été très vif il y a deux jours dans un entretien avec Appony. Après tout ce que j’ai fait, personne n’a pour moi la moindre considération ! Le mot n’est pas heureux. Il a frappé du poing sur le genou d’Appony de façon que le pied d’Appony a rebondi. Je vous raconte tout le bavardage.
Après le beau temps d’hier ; voici la pluie, ma promenade gâtée. Et il me faut de la promenade pour reprendre des forces. Votre lettre toute seule ne m’en donnera pas. Cependant, elle y fait quelque chose. Une de nos plus grandes dames de Russie, la fameuse comteuse Orloff si riche et dernière de son nom (car Orloff est batard) va épouser un jeune officier de 26 ans sans nom et sans renom. Cela fait un immense scandale. Elle est demoiselle et elle a 54 ans. Elle vivait depuis 20 ans dans un couvent avec des moines dont elle balayait la chambre. Elle venait à la cour pendant la semaine, chaque année et y paraissait toujours couverte de diamants, et dans la plus grande pompe. Elle fait maigre toute l’année depuis 20 ans elle n’a mangé que du poisson à la cour comme au couvent. Elle est grande, grasse, un port de reine et des yeux superbes. La colonie russe ici ne parle que de ce mariage. On en est bien plus préoccupé à Pétersbourg que des affaires d’Orient.
Pahlen nie toujours que nous envoyons notre flotte, mais toujours, toujours il est sans la moindre nouvelle.
2h 1/2
Fleischmann revenu depuis 3 jours de Stuttgard a été faire sa cour hier à St Cloud. Il sort de chez moi, le roi l’a étonné, un peu effrayé, des mouvements d’une vivacité inconcevable. Un langage très exagéré. Il se frappait la poitrine. Il poussait Fleischmann contre la muraille. Il le prenait au collet, le secouait. Enfin c’est drôle. Le duc d’Orléans plus calme de gestes, mais aussi vif de paroles à demain car je suis pressée. Adieu. adieu. Mille milles fois adieu.