Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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464. Paris, dimanche le 25 octobre 1840

Je vous écris à tout hasard ; je ne voulais plus le faire, mais votre lettre de vendredi 4 heures où vous ignoriez tout me fait croire qu’il est impossible que vous arriviez aujourd’hui peut-être passerez-vous à Beauvais demain, après l’entrée de la poste. Je n’ai cependant rien du tout à vous dire sinon que les journaux sont les échos fidèles des paroles que prodigue M. de Broglie, et selon lesquelles il est persuadé que vous n’accepterez pas ! Tout le monde me rapporte cela. On vous attend et on ne fait pas autre chose. J’ai pleuré vraiment pleuré en apprenant la mort de lord Holland je vois d’après votre lettre que j’ai fait plus que la plupart de ses intimes. C’est vrai les Anglais sont froids.
J’ai été hier aux Italiens. La Somnambula ravissante musique. Encore une scène d’amour, mais un scène abominable J’ai détourné la tête. Ce matin, il me semblait que vous pouviez arriver à tout instant. J’ai tout hâté, me voilà, mais " le bien aimé ne viendra pas."

2 heures. Montrond sort d’ici. Il dit que Thiers dit beaucoup et Mignet aussi pour lui qu’il vous soutiendra cordialement. Le Roi le croit, pour quelques jours. Le Roi n’est pas inquiet Thiers est gai. Le dire de Montrond est qu’il n’y a encore rien de fait - il m’a même dit que le Maréchal avait envie des Affaires étrangères. Adieu vraiment je n’ai rien à vous dire de plus et puis je ne sais pourquoi votre dernière lettre ne m’inspire pas. Il y a quelque chose de froid, je cherche, j’ai trouvé, et c’est tout bonnement que vous n’avez pas compris quelque chose. Je suis sûre que j’ai raison. Adieu cependant. Adieu, comme si vous m’avez dit adieu bien tendrement.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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463. Paris, samedi 1 heure le 24 octobre 1840

Je n’ai encore vu personne, je ne sais rien, je n’ai rien à vous dire. J’ai été prendre l’air pendant 10 minutes. Montrond est venu dans cet intervalle, je regrette beaucoup de l’avoir manqué. Je suis très frappée que le ministère n’annonce pas qu’il a donné sa démission J’ai vu le faire toujours jusqu’ici. Si vous trouvez que la proposition que je vous ai faite de venir me voir de suite en arrivant peut donner lieu à des clabaudages, ne le faites pas. Au fond, le motif pour lequel je vous le demande vous sera suffisamment expliqué de vive voix et par ma lettre, et ce n’est vraiment que cela qui me fait désirer la priorité.
Je vous conjure donc de faire autrement pour que que vous voyez de l’inconvénient à ce que je vous demande. Il ne faut rien risquer, rien gâter ; car vous êtes bien en scène et le moment est bien grave ainsi ne faites que ce qui est bien, et prudent, et le plus prudent je crois est de ne pas faire ce que je vous vous me trouvez ai dit. Vous me trouverez bien raisonnable sur toute chose, et bien pénétrée que c’est un grand moment pour vous. J’ai eu votre lettre de vendredi assez prophétique, sentant que l’air était chargé. 20 heures après l’avoir écrite vous aurez, reçu le télégraphe.

2 heures. Werther sort d’ici, il me rapporte que M. de Broglie a dit à plusieurs personnes que vous n’accepteriez pas. Les journaux répètent de lui le même propos. Le Roi a dit hier soir à un diplomate qu’il était très sûr de son fait, qu’il avait toute confiance que le ministère Soult allait se former, qu’il aurait la majorité. Il a ajouté qu’il y aurait bien quelques petites émeutes peut être, mais que cela n’inquiétait nullement. Adieu. Adieu. Le temps me presse. Adieu probablement et j’y compte pour la dernière fois jusqu’à un meilleur adieu, un adieu charmant.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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460. Paris, Vendredi 23 octobre 1840
9 heures

Je vous adresse ceci à Calais. Quel plaisir ! à Calais ! Je vous écris encore ce soir par le fidèle qui ira vous attendre à Beauvais. Et puis plus d’adieu de si loin. Est-il possible que je sois à la veille de tant de bonheur ! Tous ce que j’ai vu hier est profondément troublé de la démission de Thiers. Toute la diplomatie était chez moi hier au soir. C’est unanime ; ils voient ressortir de ce fait la révolution et la ;guerre ; ils ne conçoivent pas que le Roi n’ait pas patienté, fléchi même jusqu’à l’ouverture de la Chambre. La démission donnée après l’ouverture avait une bien autre importance ; elle ne présentait par les même dangers. Aujourd’hui ils sont consternés. D’un autre côté les amis de Thiers, Mad. de Flahaut le prince Paul jettent feu et flamme contre le Roi. Des invectives, des cris ; en vérité c’est furibond. Montrond est venu chez moi, il avait vu le Roi, qui lui a dit que c’était irrévocable, que les Ministres étaient sortis, récemment sortis ; à la mention. de Molé le Roi lui a montré par signe si ce n’est par parole, qu’il n’en pouvait pas être question. Voilà le dire de Montrond. Je calcule quand la dépêche télégraphique a pu vous arriver. Ce que vous allez faire. Il me semble que vous aurez eu la nouvelle cette nuit, qu’à l’heure qu’il est vous demandez à Lord Palmerston une dernière entrevue, que cela et vos autres arrangements vous prendront la journée et que vous partez ce soir.
Demain vous passez de bonne heure, et vous trouverez ma lettre à 10 heures à Calais. Vous pouvez être ici dimanche dans la matinée. Dimanche vous dînerez chez moi c’est convenu, mais voici de quoi je veux convenir par dessus le marché, c’est que vous ne verrez personne avant de m’avoir vu quand ce ne serait que dix minutes ceci n’est pas. pour le plaisir de vous voir une minute plutôt, c’est plus sérieux. Je ne veux pas que vous preniez un parti ou que vous le laissiez seule ment soupçonner avant que je n’aie causé avec vous. Je resterai chez moi tout dimanche ; si je sors ce sera pour marcher au jardin un quart d’heure pour prendre l’air. Vous ne pouvez donc pas me manquer. Quittez votre voiture dans quelque rue et venez-vous en ici en fiacre. Voilà mon prospectus. Je vous supplie de faire comme cela.
1 heure
Votre lettre m’apprend que la dépêche télégraphique vous aura trouvé à Windsor. Comme je pense que lord Palmerston s’y trouve, cela ne peut pas faire une grande différence pour vos mouvements. cependant, il ne vous sera guère possible de partir ce soir. Je n’en serais pas fâchée/ Je n’aime pas ce qu’on entreprend un vendredi. Je suis superstitieuse à l’excès dès que mon cœur s’en mêle. Ainsi vous me ferez bien plaisir en m’apprenant que vous êtes parti après minuit.

3 heures
Voilà le petit qui m’a pris mon temps, mais il a été bien employé. Il s’obstine à partir ce soir, il a tort, il attendra plus de 24 heures. Je vous écrirai encore à Beauvais à l’adresse du fidèle. Adieu. Adieu cent mille fois ou une seule.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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460. Paris jeudi le 22 octobre 1840
9 heures

Le brave homme que Simon ! J’ai votre lettre déjà. Ce que j’ai écrit le 30 août ? J’ai vite ouvert mon livre et j’y trouve ces deux mots rien que cela grand jour (souligné) quelques jours auparavant. Il y avait une autre note (la 25) ; venez la lire, deux mots aussi Je ne veux pas les répéter.
Votre lettre hier m’est arrivée tard. Voilà donc les jours figés. Votre lettre d’hier, celle aujourdhui. Une charmante aujourd’hui si fière, si haute, si décidée. Je vous remercie d’être fier, d’être haut, d’être décidé. Je vous remercie de tout, savez -vous de quoi je ne vous remercie pas ? C’est de vous embarquer à Londres pour le Havre, à la fin d’octobre. Vous n’avez donc jamais eu quelqu’un que vous aimez sur mer ? Vous n’avez jamais su ce que c’est que l’angoisse qu’on éprouve de loin, au moindre souffle. Et bien vous me trouverez malade j’en suis sûre car pendant vingt heures je tremblerai au moindre nuage, et si le vent s’élève mon dieu dans quel état je serai! Ne pourriez-vous pas m’épargner cette angoisse. Pourquoi faut-il ce détour. Et s’il le faut absolument pourquoi ne pas prendre par la terre, aller débarquer à Calais à Boulogne, je n’aurai pas peur, mais 20 heures de mer dans cette mauvaise mer ! Mon Dieu, si vous pouviez me faire ce sacrifice, si je pouvais croire que mes paroles seront entendues ! J’ai vu l’alerte de hier matin, j’ai été bien animée, bien furieuse, le soir le petit est revenu plus rassuré et je l’ai été aussi.
J’ai été chez les Appony c’est leur jour. Lord Granville revenait de St. Cloud ; les ministres y étaient, on allait tenir un conseil important sur le discours de la Couronne, il décidera sans doute. La situation du Cabinet Tout le monde a l’air d’attendre une crise ministérielle. J’ai vu M. Molé aussi hier au soir, le visage allongé, inquiet, préoccupé ; reprenant au moindre petit mot qui pouvait avoir un air d’encouragement Je me suis très certainement divertie à ses dépends, il ne s’en est pas douté. Je lui ai fait quelques questions banales, il n’avait pas encore vu M. de Lamartine. On me dit que le Maréchal Soult était revenu radieux d’un premier entretien avec le Roi.
Je ne sais plus ce que je vous dis tant je suis heureuse, heureuse ! Et inquiète de cette longue navigation. Hier après mon dîner je suis restée trois quatre d’heures. couchée rêvant le bonheur qui m’attend, mais le rêvant si vivement, si vivement ! Non, la réalité ne peut pas être si charmante. Et plus j’y pense, plus je tremble ; je tremble de tout ce qui peut se placer encore entre ici et mercredi. Mercredi est la soirée des Appony, Je ne reçois pas, je serai donc chez moi seule. A quelle heure viendrez-vous ? Ah quelle parole ! J’en frémis de plaisir.
Je viens de recevoir une lettre du Roi de Hanôvre par Kielmansegge il craint la guerre, il donne raison à lord Palmerston, il me recommande un monsieur Stockhausen qu’il nomme son représentant ici. Les Ambassadeurs sont un peu agités et un peu curieux de ce qui va arrivé ici. Aucun d’eux cependant ne croit la retraite de Thiers possible Le Siècle l’annonce aujourd’hui comme imminente. Je vous prie de donner rendez- vous au fidèle quelque part. C’est très nécessaire. ¨Pourquoi ne venez-vous pas droit ? Comme cela eût mieux valu. Mais enfin en venant autrement ne pourriez- vous pas aller débarquer à Calais ? Ah mon Dieu que je serais plus tranquille. J’attends pour fermer ceci quelque nouvelle de la matinée. il est 1 h 1/2.

2 heures. Personne ne vient. Comment il faut finir sans plus et voici ma dernière lettre à Londres ! Quel bonheur, cependant comme le cœur me manque quand je songe à cette longue traversée. Pourquoi me donnez-vous ce chagrin ? Quelle angoisse dimanche, quelle angoisse toute la nuit et lundi encore, et quand saurai-je où vous êtes? Ecrivez-moi un mot par la poste directement à mon adresse en débarquant, je l’aurai mardi à mon réveil, mais d’ici là c’est-à-dire de dimanche à mardi quelles heures d’angoisse. Adieu. Adieu.

Je suis sûre que vous ne souffririez pas que je m’embarque pour le Havre. Pourquoi voulez- vous que je le souffre ? Et votre courage ou le mien ne peuvent rien contre la mer. Ah si j’étais là je me jetterais à vos genoux, pour vous supplier de ne pas vous livrer à cette longue navigation et vous m’écouteriez, et bien écoutez-moi prenez par Calais, de là allez au Val-Richer si vous voulez. Aimez moi même un peu moins si cela vous est possible, Mais ne vous exposez pas, ne me rendez pas malade de terreur. Ah si en réponse à ceci Lundi vous me diriez Je vais par Calais, que je vous aimerais mille fois davantage. Adieu, adieu, adieu. Quel adieu que le premier adieu à Paris !

P. S. Voilà le fidèle. Je sais tout, vous n’irez pas au Havre vous viendrez par Calais, Dieu merci, Dieu merci. Arrivez vite. Pour plus de sûreté Voici les nouvelles. Le ministère a donné sa démission on vous a envoyé chercher par télégraphe, ne perdez pas de temps. Venez, venez. Le fidèle ira demain soir à Beauvais pour vous attendre. Quel bon adieu. Je vous écrirai à Calais à l’hôtel Dessein.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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459. Paris, le 21 octobre mercredi 1840
9 heures

Il faut que je commence par vous parler de votre arrivée. j’ignore à quoi vous vous serez décidé pour le jour, mais quel que soit celui-que vous choisir, il me parait impossible que vous ne veniez pas droit à Paris. Votre absence de votre poste dans ce moment pour 24 h. seulement doit avoir un motif impérieux. Ce motif c’est la Chambre. Lors donc que vous quitterez Londres ce doit être pour vous rendre à Paris en droiture. Soyez sûr que j’ai raison la dedans.
Prévenez le fidèle et ordonnez lui d’aller vous trouver à Calais ou plus près sur la route. Donnez lui un rendez-vous précis. Il lui faut quelques heures de conversation avec vous avant que vous tombiez dans cette Babylone. C’est absolument nécessaire. Vous viendrez dîner chez moi le jour de votre arrivée n’est-ce pas ? Concevez-vous le plaisir que j’ai à tracer ces simples mots !
On dit que Thiers a accueilli comme ci, comme ça le communication que Lord Granville lui a faite hier de la réponse anglaise à la note du 8. Il a dit : " On reste toujours dans le même. cercle de difficultés puisque l’Angleterre met pour condition la soumission immédiate du Pacha." Le dire de Thiers aux ambassadeurs est que si la négociation traîne en longueur, on aura la guerre au printemps ; voilà cependant une modification car auparavant on l’avait tout de suite. Il s’était d’abord fâché beaucoup de la défense prussienne pour la sortir des chevaux ; hier il a été plus doux sur cela, et a dit : " Ce n’est pas poli, ce n’est pas amical, mais nous en trouverons ailleurs. "
J’ai vu hier les Granville le matin, Werther ; le soir Appony & mon ambassadeur. Je me couche toujours à 10 heures, je vais prendre de meilleures habitudes. Mad. de Castellane est venue hier s’établir à Paris. On arrive, et vous trouverez Paris plus gai que Londres. Envoyez je vous prie cette lettre. Midi. La vôtre ne vient pas encore. Toujours si tard le mercredi ! Je suis charmée des articles de journaux anglais sur le coup de Carabine, il n’y a pas eu un journal français qui ait parlé avec autant de vérité et de convenance. Ici on ne s’entretient plus du tout de cet événement. Le lendemain on n’en parlait plus.
La saisie d’écrits de M. de Lamenais me fait grand plaisir. Je pense que cela étonnera en bien. C’est un bien grave événement pour vous que l’abdication de Christine. Est-il vrai que votre ambassadeur n’ait été accrédité qu’auprès d’elle ?

2 heures. Pas de lettre et personne, pas même le fidèle. Qu’est-ce que cela veut dire. Et il faut fermer ceci, je suis bien impatiente ; au reste je ne suis plus impatiente que d’émotion ; le jour, le four où je vous reverrai ! Si c’est avant, vous serez surement ici mercredi, si après, ce ne sera qu’en novembre. Je vous ai déjà dit que je trouverai bien choisi ce que vous choisirez. Ce n’est pas moi qui vous appelle un jour plutôt. Il ne faut pas penser à moi du tout. Il faut faire ce qui est bien, ce qui est convenable. Il y a peut-être bien de l’habileté aujourd’hui, et bien de la difficulté à rester dans ces conditions là. Encore une fois je ne sais pas décider, ou si j’y pense c’est presque pour opiner pour le retard. Qu’est-ce qui fait donc que je retombe plus naturelle ment sur ce qui me contrarie la plus ? Serait-ce là le vrai. Je ne sais pas, je suis très combattu. Sans doute vous êtes déjà décidé. Ah que je me résignerai avec transport à avoir tort.
Adieu. Adieu. Je n’aime jamais vous envoyer deux opinions si incohérentes. Aussi n’est-ce pas une opinion. Seulement je bavarde, je bavarde, sur ce qui est toujours dans ma tête. Le fidèle serait bien mécontent de moi s’il savait ce que je vous écris. Il est très brave le fidèle, et il a vraiment beaucoup d’esprit. En définitive pour ces choses là je suis convaincue que son avis vaut mieux que le mien. Adieu. Adieu L’aiguille avance, rien n’arrive. Il faut finir mais par un adieu charmant.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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458. Paris mardi 20 octobre 1840,
9 heures

Puisque vous êtes inquiet de ma lettre à mon frère, je vous en envoie copie, et je vous préviens qu’elle ne part que samedi ou dimanche, par conséquent votre réponse à ceci m’arriverez avant. Lisez, je la trouve bien, la trouve absolument nécessaire. Ma belle-sœur m’appuie, l’occasion est bonne, Dites-moi votre avis. J’ai dîné hier chez mon Ambassadeur. Je n’ai pas pu le lui refuser c’était un dîner de famille Appony, & Benckendorff. J’y ai revu Zuglen, il repart et revient bientôt pour résider ici en place de Fagel. C’était très différent de Fagel ! De chez M. de Pahlen, j’ai été chez Lady Granville. M. de Broglie en sortait, il avait dit à Granville que vous serez ici le 26, qu’il regrettait que vous n’eussiez pas remis cela de quelques jours, qu’il aurait mieux valu attendre que l’élection du président fut passée ! J’ai vu le matin Mad. de Flahaut. Elle trouve que le ministère de Thiers est bien orageux, que tous les guignons sont venus l’accabler, elle dit beaucoup cela. Et puis elle s’inquiéte, elle dit que la gauche est impatiente il n’y a pour elle aucune faveur, elle sont toutes aux doctrinaires. Elle parle plutôt avec tristesse qu’avec passion.

Mais elle est venue sur l’Angleterre c’est-à-dire sur la portion du ministère qui a amené la rupture avec la France. J’ai donc lu la note du 8 octobre. Je suis ravie de la trouver si pacifique, mais je ne puis pas ajouter que je la trouve brillante. ni pour la forme, ni pour le fond Je ne le des pas mais je le pense.
Je suis trop heureuse de tout ce qui ajoute aux chances de paix. et généralement ceci est regardé comme rendant la guerre impossible. J’irai peut-être jusqu’à trouver ou jusqu’à dire que la note est très belle ! Savez-vous que je crois que je rêve quand je pense que je suis à si peu de jours de tant de bonheur ! Je ris de plaisir et puis je joins les mains, je remercie Dieu, et je le prie. Vous faites comme moi, j’en suis sûre. M. le conte de Paris est très mal on ne croit pas qu’il en revienne. Je ne vous dirai jamais assez combien j’ai trouvé votre lettre à 62 admirable donnez m’en une copie je vous en prie. Je n’ose pas la demander au fidèle sans votre permission. Permettez-lui. Il y en a deux autres aussi belles, si elles ne le sont pas plus encore, à ce qu’il me dit, que je n’ai point lues. Permettez. La Diplomatie dit beaucoup qu’il y a danger imminent, terrible, si Thiers sort du Ministère. Ils sont effrayés à mort ces pauvres gens. Thiers rentre en ville aujourd’hui. Le Roi pas avant le 26, à ce qu’on dit.

2 heures. Voici le petit auquel je donne ma lettre. Je n’ai rien à ajouter. Certainement la crise y est. Dans la semaine il peut y avoir quelque chose. Etes-vous bien décidé ? Quel jour ? Quel que soit ce jour, il sera beau, il sera ravissant. Adieu. Adieu. Mille fois adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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457. Paris, dimanche 6 heures Le 18 octobre 1840

J’ai reçu votre lettre après le départ de la mienne. Vous voulez que je vous dise plus, que je vous dise ce que je pense sur le moment de votre arrivée. Mais vraiment je crois vous l’avoir bien dit. Si vous n’êtes pas ici pour l’ouverture, et l’élection du président. Il faut être à Londres, cela est bien sûr. Ce point-là est l’essentiel, mais c’est à vous à juger si vous devez être absent ou présent pour cette élection. Je n’entends rien à cela peut-être ayant une si bonne raison pour vous tenir éloigné dans ce moment là vaut-il mieux ne pas aggraver les embarras ; votre absence remplit ce but ; mais il n’y a que vous qui puissiez juger s’il vous convient de faire à vos rapports avec le ministère le sacrifice des exigences de vos amis. Je retourne souvent cela dans ma tête et je pense toujours sauf meilleur avis que vous pouvez vous dispenser de prendre part. à l’élection. Quant à la discussion de l’adresse vous devez y être, c’est clair à moins de l’impossible, c’est-à-dire que dans ce moment-là vous concluiez vraiment quelque chose de bon, d’avantageux à Londres. Il n’y a que cela pour excuser votre absence. Mais aussi cette excuse serait un triomphe.
Vous êtes tenu autant que possible au courant de tout, voilà ce que m’assure la très fidèle, d’après cela vous pensez conclure. Je fais tous les vœux du monde pour que Dieu vous inspire et vous mène bien. Je sens toute l’importance, toute la difficulté du moment. Il ne faut pas faire de faute. Il ne faut pas vous mettre dans votre tort. Et après avoir dit cela, je sais bien cependant que vous y serez toujours aux yeux des uns ou des autres. C’est inévitable et c’est là ce qui me désole. Voyez-vous voilà quatre pages qui n’ont pas le sens commun, et qui ne vous éclairent pas même sur mon opinion ! Cela valait bien la peine de commencer. Toute ma journée a été prise, et le reste va l’être encore. J’ai eu deux-heures le Duc de Noailles, venu pour la journée, seulement. Je l’ai mené au Bois de Boulogne ce qui ne l’a pas trop diverti mais il voulait causer. M. de Werther longtemps. Ma belle sœur très longtemps. Elle est fort contente de ma lettre et elle l’appuiera. Plus tard mon Ambassadeur content de moi aussi, et est parfaitement d’avis de la lettre M. Molé m’a écrit pour demander à me voire, je lui ai fait dire de venir ce soir je l’attends car voici 8 h 1/2.

Le fidèle sort d’ici, il m’a dit tout ce qu’il vous a mandé ce matin. Je n’ai pas de réplique, et dès que vous avez confiance dans l’avis de M. Bertin de Vaux il faut le suivre. D’ailleurs il m’a rapporté des paroles frappantes, des antécédents que j’avais oubliés, et qui vous obligent de faire aujourd’hui ce que vous avez fait après la coalition, c’est évident : d’ailleurs si, comme le pense M. de Vaux, votre opposition à la présidence de M. Barrot doit au moins se manifester par lettre à vos amis, autant vaut, & mieux vaut venir vous-même. Vous voyez bien que dans tout ce que je vous dis je m’efface tout à fait. Je cherche ce qui est bien, ce qui est honorable pour vous, mon plaisir vient après.

Lundi 8 heures. Ma soirée n’a pas été comme je le pensais. Nous ne nous sommes pas dit un mot M. Molé et moi, nous n’avons pas été seuls un moment. M. de Werther mon ambassadeur, Lord Granville, Brignoles, Tschann, le duc de Noaillles. le Duc de Noailles, Lord Granville n’avait pas l’air aussi content que je l’espérais et que me le faisait croire les lettres de Lady Palmerston reçues hier. M. Molé est encore maigri, il est comme moi maintenant il est très triste et très aigre. Il a vu le roi pendant deux heures samedi. A propos il a dit à 55 qu’on vous avait envoyé votre congé, que vous allez venir. Et que Thiers a dit qu’il serait très bien pour vous si vous êtes d’accord dans le langage à tenir ; mais que s’il y avait la plus petite nuance, il avait dans sa poche de quoi vous accabler. Qu’est-ce que cela veut dire ? L’abdication de Christine racontée hier au soir n’a étonné personne, et puis rien ne fait de l’effet que le Canon en Syrie, et celui là retentit rarement. On est étonné de ne rien apprendre. Lady Palmerston me parait bien couronnée de la publication de la dépêche de M. Thiers immédiatement après la communication que vous en avez faits à son mari. Elle dit que vous vous en défendez, que vous défendez Thiers mais elle accuse nécessairement un Français. Du reste sa lettre est dans un ton très pacifique quoiqu’il y perce de la rancune contre Thiers. Quelle déplorable chose que ces personnalités !

1 heure. Je n’ai encore ni lettre, ni fidèle. Savez-vous qu’on me dit que le muguet est un peu inquiet pour son compte de la menace de 6 ? 2 heures. Voilà votre lettre, et voilà le petit qui m’a tout lu. C’est admirable, admirable, je ne trouve que ce mot, et que ce moment. Je sais que 62 n’adopte pas votre point de vue et vous écrit aujourd’hui comme cela. Je crois l’avis des autres amis plus sincères, comme je le trouve au fond plus logique, il me parait. Mon Dieu je ne sais pas ce qu’il me parait. Choisissez. Je suis une femme. Je ne suis pas brave. Vous le serez. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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456. Paris, dimanche 18 octobre 1840
9 heures

Vraiment la musique ajoute bien à... ( Trouvez le mot ) et je crois moi qu’en Italie on doit savoir mieux amer qu’autre part. Hier aux Italiens j’étais comme vous à votre fenêtre, c’était si doux ; si charmant, si enchanteur, mes pensées étaient si tendres. Venez, venez dans ma loge. Serait-il possible que dans quelques jours vous y soyez ? Quel bonheur.
J’ai vu fort peu de monde. hier. Les Granville, ignorants ; Mad. de Flahaut inquiète de la situation du ministère. Disant qu’il faut qu’il se renforcé à droite pour avoir la droite, ou plus sincèrement une portion de la droite. à gauche pour s’affectionner davantage ce parti, et c’est ce qu’elle conseille, car après tout c’est les doctrinaires qui ont les bonnes places, les grandes places et les vrais amis n’ont rien ! Voilà ; et puis les Doctrinaires ne sont pas ralliés. Il pérorent dans les salons, ils frondent & &
Aux Italiens il n’y avaient personne. Toute la diplomatie était à Auteuil. les bruits de retraite de M. Thiers circulent, mais on dit assez généralement dans le monde qu’on les fait circuler, et qu’il n’y a rien de vrai. On dit aussi, c’est 18 qui me le dit que le Roi n’accorderait pas à M. Thiers de se retirer, qu’il le sait positivement ; car il y aurait dans ce fait trop de danger pour le Roi. On dit beaucoup aussi que l’ouverture des Chambres sera retardée. Je crois, que cela ferait un mauvais effet, c’est ce qui me fait en douter.

Midi, à ma toilette, je vous regarde toujours comme vous avez le droit d’attendre que je vous regarde. Voici du nouveau aujourd’hui. Je me suis surprise à rire en vous regardant. Connaissez-vous ce rire, du plaisir, le rire du bonheur ? C’était celui-là ce matin puisque je vous dis des bêtises il est clair que je n’ai rien à vous dire. Je n’ai pas de lettres encore.

Adieu, vous trouverez ceci trop court, je le trouve aussi, mais savez-vous que je suis accouchée d’une grande et d’une petite lettre ce matin à mon frère. Toutes deux le même sujet. Je vous les enverrai. J’attends ma belle sœur pour les lui lire. Adieu. Adieu, le plus charmant adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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455. Paris, Samedi 11 octobre 1840,

Oui je suis d’accord avec vous sur tout ce que vous me dites. Prenez ce oui aussi largement que vous voudrez pour le moment, je vous parle de quelque chose de sérieux. Londres vaut mieux que Paris dans les derniers jours du mois, à moins comme vous dites qu’il ne vous vienne de nouvelles lumières.
J’approuve complètement votre résolution de rester étranger à toute intrigue ; et votre absence en sera la preuve la plus forte. Mais il ne me parait pas possible de ne pas être ni pour la discussion de l’adresse ? N’est- ce pas ? C’est dans l’intérêt de votre situation politique que je parle. Et puis, si vous ne venez pas alors où serait le prétexte de venir après ? Ce ne serait plus possible. Que vous devez être troublé, agité! Mon Dieu comme je le comprends ! Comme je le suis moi même ! Quelle bagarre où se trouve tout le monde, toute chose !
Thiers a confié à quelques diplomates son envie de se retirer retirer M. Urguhart qui devait être reçu par le roi ne l’a point été. Lord Granville fait ce qu’il peut pour empêcher Thiers de recevoir ; la députation de Birmingham, Attwood & &. Il a dit à Thiers que cela équivaudrait à Palmerston recevant M. de Lamenais avec une députation de républicains. Je ne sais encore ce que fera Thiers sur cela. J’ai vu chez moi hier matin les Appony. Après cela les Granville. Le soir j’ai été chez eux. Je ne suis pas d’avis comme vous de laisser M. de Brünnow tranquille j’écris à mon frère je vous enverrai ma lettre.

11 heures mille bons adieux pour votre lettre. Je l’aime bien. Je suis comme vous quand j’entends de la musique. Et une fois la semaine j’en entends de la bonne. Je choisis votre place, je jouis d’avance. Que de charmants moments. Je ne pense qu’à cela quand je ne pense pas au plus grave ; et le plus grave je n’y pense qu’en ce qu’il a des rapports à vous. C’est bien vrai. ce que je vous dis ! Et vous le croyez bien. Et moi je crois bien tout ce que vous me dites. Ce que j’appelle grave, est votre superficiel, comme vous l’appelez superficiel relativement à ce qu’il y a dans le fond de votre cœur et qui est votre vie, comme la mienne. Et bien êtes-vous content de ma foi ?

J’aime votre résolution pour votre arrivée, j’aime la manière dont vous le dites. Après cela il ne faut rien d’absolu, car les événements peuvent vous mettre dans la nécessité de modifier votre résolution. Jusqu’ici je n’en vois pas l’occasion, mais si elle venait je saurais tout comprendre. En attendant vous avez mille fois raisons de vous poser ainsi, ferme, décidé et droit.
Savez-vous que la situation de Thiers est la plus difficile, la plus critique qu’il soit possible de se figurer ?Je ne comprends pas comment tout celle se débrouillera. on croit beaucoup qu’il nous donnera un coup de théâtre avant l’ouverture des Chambres. On dit ou autre chose.
En attendant le bruit se répand qu’Ibrahim marche sur Constantinople, en ce cas là nous occupons Constantinople et ce cas là est-il pour vous la guerre ? Mon Dieu, la guerre, jugez ce qu’est pour moi, pour nous la guerre !

1 heure. Voici mon visiteur du matin qui me quitte. Je suis fort aise de tout ce qu’il m’a dit et qu’il ne vous mander. Cela se pose bien. Le 62 de Samedi ressemble bien peu au 20 de jeudi. Rien ne me ferait plus de plaisir que de voir 1 revenir à ses bons sentiments. C’est utile. Il me semble que je puis commencer à me réjouir. Et pendant, tout est si mobile ici.
J’ai vu hier des personnes qui dînaient au Club jeudi. Lorsqu’on est venu raconter le coup de carabine. Je ne suis pas contente de la manière dont cela y a été pris : de l’indifférence, la légèreté. Des jeux de mots. c’est le tirant et non le tyran qui a été blessé. Et des éclats de rire. Les journaux sont très bien, et à tout prendre je crois ceci une bonne fortune. Adieu, car j’ai peur d’être interrompue cela m’arrive si souvent. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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454. Paris, Vendredi 16 octobre 1840

Le temps hier était charmant. Je suis même restée assise au bois de Boulogne. J’avais vu le matin Bulwer, toujours inquiet comme tout le monde. J’ai vu plus tard Granville qui avait trouvé M. Thiers assez soucieux et de mauvaise humeur. J’ai été porter mes félicitations à Mad. Appony dont c’était la fête. A 6 heures j’étais couchée sur un canapé me reposant de ma promenade lorsque j’ai entendu une grosse explosion. J’ai cru le canon et que la duchesse d’Orléans accouchait quinze jours trop tôt. Comme le coup n’avait pas de camarade, je n’y ai plus pensé et le soir j’apprends qu’on a encore tiré sur le roi. Mon ambassadeur, M. de Bignole et l’internonce sont venus me voir. J’avais enfin ouvert ma porte, mais comme je n’en avais prévenu personne. Je n’ai eu que cela. Nous sommes curieux du parti. que le gouvernement va tirer de ce nouvel attentat.

Midi
Les journaux s’expriment très bien, et si le gouvernement a du courage cet événement peut tourner à bien.

1 1/2
J’ai été interrompue par le petit. J’espère qu’il vous écrit beaucoup, beaucoup. 3 heures. Voici seulement à présent votre lettre. J’en suis très très contente ainsi que d’une autre que j’ai lu aussi. Je n’ai que le temps de vous dire ceci. A demain et comme toujours toujours adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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453. Paris Jeudi 15 octobre 1840

J’ai reçu hier après 3 heures les deux lettres de dimanche et lundi votre bonne intention de dimanche n’a été remplie que tard comme vous voyez. Mais mon cœur la compte, je vous en remercie beaucoup beaucoup. Eh bien je vois qu’on a été content de la note, et je vois cependant que cela va encore traîner. Toujours traîner. Ah mon Dieu ! Il est évident qu’on attend vos réponses.
J’ai beaucoup causé avec ma belle sœur, elle est bien peu de chose, mais enfin elle sait et elle se souvient elle se souvient donc qu’il n’y a pas quelque jours aujourd’hui, on ne rêvait pas à la guerre on ne la voulait pas ; elle est très surprise de tout ce qu’elle entend ici. Le mémorandum de Thiers est fait avec un grand talent. Cela se lit et se comprend parfaitement, et je conçois qu’ici il fasse un excellent effet pour le gouvernement et qu’au delà de la manche il a porte également la conviction dans beaucoup d’esprits. Mais nous autres ses visiteurs d’hier matin nous n’en sommes pas contents. Appony dit que tout ce qu’il dit de l’Autriche est faux. M. de Pahlen dit qu’on est bien près de se battre quand on parle ainsi de la Russie. Et il s’attend a quelque contre coup fâcheux de chez nous. En effet voilà des aveux difficiles. Il y a une forte différence entre penser les choses, et les dire ! Nous savons bien que tout le monde pense cela de nous mais aucun gouvernement n’a encore proclamé cette pensée. La France le fait.
Pensez un peu à cela, ne trouvez-vous pas que M. de Pahlen a raison. J’ai eu un long entretien hier avec ma belle sœur. Elle est d’avis d’une forte démarche de ma part contre M. de Brünnow. Elle est d’avis que je raconte tout en détail ma lettre est faite, j’attends votre conseil. J’insisterai sur une réparation. Elle m’a dit de drôles de chose.
L’empereur a toujours de la colère quand il est obligé de reconnaître que j’ai un peu d’esprit. Cela le dépite. J’ai été à une soirée chez Mad. Appony hier. La diplomatie est triste et inquiète. A propos Appony n’a plus été chez M. Thiers depuis 10 jours, et ne compte y aller que lorsqu’il aura eu un Courrier de Vienne. Mon ambassadeur n’y a pas été non plus depuis tout ce temps. Si bientôt les choses ne prennent pas une bonne tournure, elles ne prendront une bien mauvaise. Appony trouve que la question a fait un progrès sensible en ce qu’elle est très simplifiée mais aussi c’est bien plus grave, et la guerre ou la paix est à la porte, il n’y a plus de faux fuyants possibles. il y a des gens qui disent que s’il faut la guerre au bout de tout cela, il vaut mieux l’accepter tout de suite. Quand la France sera bien en mesure de la faire les alliés pourraient bien n’être plus aussi unis. Aujourd’hui ils tiennent ensemble et la France n’est pas suffisamment préparée.
Cependant il me parait clair aussi que nous (alliés) nous ne la commencerons pas, et que ni d’une part, ni de l’autre il n’y a de véritable bonne raison pour la commencer. Quelle mauvaise bagarre que tout ceci ! Que le ciel nous en tire, car les hommes ne paraissent pas devoir nous en tirer. Quand viendrez-vous quand me pourrez-vous venir ? On dit que tous vos amis sont d’opinion que vos devoirs à Londres sont un prétexte et même une raison suffisante pour vous dispenser de vous trouver ici à l’élection du président.
J’attends avec impatience ce que vous déciderez. Je n’ai point d’opinion là dessus. Je désire que rien n’aggrave l’embarras de la situation que rien ne gâte la vôtre. Je fais des vœux pour l’ensemble, je fais de bons vœux pour vous. Voilà où j’en suis. bien incertaine sur les moyens de concilier tout.

1 heure
Le petit sort d’ici ; tout ce qu’il me dit est bien grand pour le Cèdre. Le cœur me bat bien fort. Qu’est-ce qui ressortira de tout ceci ? L’heure de la décision à prendre va sonner. Ah mon Dieu. Adieu. Adieu. Mon cœur est aussi inquiet qu’il est tendre, qu’il est fidèle, qu’il est passionné. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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452. Paris, Mercredi 14 octobre 1840
10 heures

Je n’ai vu hier que l’Angleterre. L’Angleterre agitée, curieuse, mais assez en espérance. Lord Granville à vu M. Thiers hier au soir à Auteuil. Je l’ai vu à son retour, il ne m’a dit que des généralités, mais l’impression que j’en ai est bonne. J’attends votre lettre avec des battements de cœur. Je préparé une réponse à mon frère, mais je ne ferai rien sans votre avis. On est agité extrêmement dans le public. M. de Lamenais est épouvantable dans les provinces il y a beaucoup d’exaltation. Le gouvernement aura une rude besogne, car j’espère bien qu’il s’appliquera à apaiser. Je suis inquiète. Les Anglais désertent, ils ont parfaitement peur.

Midi
Point de lettres ? C’est toujours le Mercredi qu’elles m’arrivent le plus tard et c’est précisément. Le jour où elles sont le plus ardemment désirées. Il faudra attendre la soirée. C’est bien long ! 2 heures. Le petit est venu aussi impatient, aussi pauvre que moi. Que faire ? Et par dessus le marché je n’ai rien à vous dire. je m’en vais un mettre à lire ce long memorandum. Je n’ai pas vu mon ambassadeur depuis deux jours, il écrit je crois.

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Tous les alliés chez moi grand bavardage dont je n’ai plus le temps de vous dire un mot. Adieu. Adieu. On dit seulement que jamais on ne s’est trouvé plus près du dénouement absolu. Paix ou guerre. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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451. Paris, mardi 13 octobre 1840
9 heures

J’ai à peine dormi trois heures cette nuit, je ne sais pas pourquoi, si ce n’est que je n’ai pas été au bois de Boulogne hier. Ma belle sœur m’a retenue chez moi et puis des visites à faire. J’ai vu le soir les Appony et les Granville, chez eux respectivement lord Granville avait vu M. Thiers le matin, il avait de ses nouvelles après votre entretien avec lord Palmerston samedi, mais il lui a dit que vous ne lui mandez rien d’ici pourtant ; de sorte que Granville n’osait rien. Les fonds ont monté beaucoup hier, il faut que ce soit sur des nouvelles. de Londres, mais la diplomatie les ignore tout-à-fait. Le roi a reçu Brignoles dimanche au soir et lui a fait subir le même accueil qu’à Fleishmann c’est-à-dire des tirades violentes contre le traité, violentes de paroles et violentent de gestes de façon à épouvanter l’Italien comme l’avait été l’Allemand.
J’ai vu Brignoles hier qui n’en revenait pas. Le roi lui avait semblé très belliqueux, très irrité, très inquiet et il relevait de son discours que c’était une guerre agressive qu’il se voyait à la veille. d’entreprendre. Montrond est venu chez moi le matin, un peu le contraire, ton à la paix, disant que le roi la croyait sûre. Qu’il était très contente de Thiers. Thiers est très peu accessible depuis une huitaine de jours toujours à Auteuil, il cherche à s’effacer pour le moment.
Mes ambassadeurs n’y ont pas été et par conséquent ils l’ont point vu depuis plus de huit jours. Montrond me disait : " Voilà M. Guizot collé à Londres et collé à Thiers n’est-ce pas ? Je n’ai pas répondu à n’est-ce pas, je ne réponds jamais que de moi-même.

1 heure.
Le journal des Débats est très inquiétant ce matin, et le National très épouvantable. Tout le monde dit : s’il y a guerre, il y a par dessus le marché trouble à l’intérieur. S’il n’y a pas guerre, il y a surement trouble à l’intérieur. Quand ce serait vrai, il vaut mieux le mal simple par le mal double. Mais est-il possible qu’on soit condamné à voir cela ? Je suis mal disposée ce matin, j’ai peur, c’est sans doute parce que Mardi je n’ai rien pour me soutenir. J’attends demain avec grande impatience une grande curiosité. Mon fils est parti pour Londres, ce matin, je ne lui ai pas nommé son frère.
Adieu. Adieu que verrons-nous arriver dans le monde ? Je vois bien noir. On laisse trop aller le mal, pourra-t-on le maîtriser ?
Adieu, toujours le même adieu, à travers la guerre les émeutes. Ah mon Dieu ! Marion est animée, elle est venu me voir ce matin, bien gentille et bonne comme de coutume. Mon fils la trouve charmante mais voilà tout. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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449. Paris, samedi 6 heure le 10 octobre 1840

Voici la copie d’une lettre que ma belle sœur vient de me remettre. Dites-m’en votre avis, je la trouve très mauvaise ; pour bête cela va sans dire, mais dites-moi ce que j’ai à répondre. Je suis fâchée de me fâcher ; ces gens-là n’en valent pas la peine. Je ne puis pas me résigner à me taire, et je ne sais sur quel ton le prendre, ni comment me faire comprendre par des sots. Éclairez-moi et décidez-moi.
D’un autre côté voici depuis cinq ans et demi le premier message de l’Empereur. Il a chargé expressément ma belle sœur de me dire " qu’il espère que je ne l’oublie pas lui non plus ancien ami. " Arrangez cela.
Ma belle-sœur est arrivée de Pétersbourg avec M. Mauguin, recommandée par mon frère aux soins de M. Mauguin depuis le Havre, elle a voyagé dans le coupé de la malle-poste avec M. Mauguin. M. Mauguin d’un signe à écarté les embarras de la douane, « il a fait comprendre qu’il fallait. des égards à Mad. de Benckendorff. M. Mauguin a promis sa protection à ma belle-sœur en car d’émeute ou de révolution, et M. Mauguin a assuré ma belle-sœur qu’il s’opposerait de toutes ses forces à la guerre et qu’il n’y aurait pas de guerre. Mon frère a eu de longs entretiens avec M. Mauguin, et lui a fait comprendre toute la politique de l’Empereur dont M. Mauguin est émerveillé et M. Mauguin est converti !
Je viens de vous raconter une demi-heure de ma matinée, après cela le bois de Boulogne, et puis lord Granville chez moi. Appony avant le promenade rien de nouveau une partie du Cabinet très disposée à la guerre. Je vous écris aux bougies c’est mauvais pour mes yeux, je vous quitte.

Dimanche 11 octobre. 9 heures
Je me suis levée avec quelques nouvelles idées. Si je ne prenais acte que du message de l’Empereur et que je traitasse mon frère de sot, qu’en pensez-vous ? Ce qui est bien certain, c’est que l’à propos de ce message n’est pas insignifiant. Dans ma réponse à mon frère je l’exalterai fort, et je rapetisserai, le valet de tout ce que je grandirai le maître. Approuvez-vous. ? Dans tous les cas mon frère aura le détail des vilainies de M. de Brünnow. Mais dois-je insister sur une satisfaction ? Voilà ce que je vous demande.
Je vous demande une autre chose ; dois-je écrire comme ci-devant Savez-vous que je le ferais avec infiniment de plaisir si j’écrivais droit à l’Empereur. C’est mon frère contre qui j’ai de la rancune. Enfin dites-moi, ce que j’ai à faire. Rien du tout, n’est pas possible.
J’ai dîné seule et puis j’ai été aux Italiens. J’avais dans ma loge Mad. de Flahaut, les Pahlen et Hennage. M. de Werther y est venu. Tout le monde hier était à l’espérance tout le monde croyait que dans les deux pays, on désire et on travaille sincèrement à un arrangement. Voilà le vent d’hier ne sera-t-il demain, aujourd’hui ? Certainement la situation de Thiers est pleine de difficultés, moins de périls ; on le pousse, pourra-t-il résister ?

Onze heures.
Voici votre lettre. Vous venez d’apprendre la convocation. Cela vous a écris comme moi. Que des choses réunies dans cette convocation ! Quel moment pour nous ! Vous avez raison, on ne peut pas parler. Il y a trop trop dans ce fait. Il est immense pour nous. Serez-vous content de ce que vous a porté M. de Lavalette ? le public ici est bien curieux de le connaître. Le petit fidèle croit savoir que c’est une platitude. vous prêteriez-vous a une platitude ? Je suis dans une grande anxiété.

Midi.
Je viens de voir le petit. Je l’engage à vous écrire sans cesse la nuit et le jour, il fait que vous soyez informé de tout car tout à de l’importance.
Adieu. Adieu, bientôt quel adieu !

Les diplomates disaient hier que la France veut quelque chose. de plus que le traité, quelque chose de plus grand comme la tête d’une épingle. Mais enfin quelque chose. Cela va peu avec ce que dit le petit mais on vit ici dans un cercle de confusion et de contradictions. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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448. Paris, samedi 10 octobre 1840,
9 heures

J’ai déjà votre lettre, c’est qu’elle me vient par le vieux et le moins élégant . Elle est assez bonne votre lettre. Vous avez l’air d’espérer quelque chose. Si l’on veut faire, il est temps de faire ! J’aime votre lettre, j’aimais bien celle d’hier. Je les aime toutes. Vous ne savez pas comme j’aime, comme je pense, comme je rêve, comme j’attends !
Hier mon ambassadeur et Bulwer, tous les Appony. Dîner aves mon fils. Le soir chez les Granville, Granville était un peu blessé d’avoir vu reproduit et perverti comme dit Bulwer, un entretien qu’il a eu avec Thiers. C’est le Courrier français qui répétait et avec des expressions ironiques pour l’Angleterre. Granville continue à être très inquiet, tout le monde le devient beaucoup. Thiers demande souvent à mon ambassadeur des nouvelles de notre flotte. Il lui répond invariablement qu’il saura par Copenhagen quand elle passera, et que lui n’en sait rien.
On parle de convention nationale polonaise qui s’organiserait à Paris. On élira un roi, et l’on ajoute que si la France à besoin de prendre la Belgique elle priera Léopold d’aller trôner à Varsovie. Je vous redis tous les commérages diplomatiques. Je vous assure que l’attitude de Pahlen est parfait, un vrai gentleman au reste ils le sont tous ici dans cette occasion. Que pense Dedel de son nouveau roi ? Moi j’en pense très petitement. De très jolies formes couvrent un très pauvre fond. L’air d’un vieux chevalier et les actions d’un chevalier d’industrie. La mine ouverte, et une grande fausseté. Enfin c’est non seulement peu de chose, mais une mauvaise chose. Voilà mon opinion. Il faut absolument que vous permettiez ou que vous ordonniez au très fidèle d’aller vous trouver à Calais ou sur la route, quand vous reviendrez. Il sera bon que vous causiez à fond avec lui avant de voir personne ici.
Certainement j’ai pris 20 en grande dé plaisance. 29 qui est son reflet parle trop légèrement du Fresnes et puis on dirait qu’il est inutile de compter avec le chêne.Tout cela est traité étrangement. J’ai de la colère intérieure, j’aimerais bien à la montrer.
La petite duchesse de Dino est accouchée bien péniblement et tristement d’un enfant mort. Elle a eu des couches affreuses. Le duc de Mortemart vient de perdre son fils unique à 24 ans, tué par un cheval. Le duc de Wellington a écrit ici une lettre que j’ai lu à me M. Raylkes bien petit personnage. Un ivrogne, et un grand Tory, dans laquelle il lui dit après avoir déplore les circonstances que pourraient mener à une rupture avec la France : " Mais si la guerre a lieu, soyez sûr que nous étonnerons le monde par les efforts gigantesques que nous ferons pour la soutenir. Ils seront tels qu’on n’en a pas vu encore de semblable. " Je vous avoue que toute cette lettre me parait du Stuff. C’est décousu et trivial à l’excès.
Le 28 est proche, le cœur me bat de joie. Vous viendrez, vous viendrez n’est-ce pas ? Si vous pouviez venir avec quelque chose, quelque grande chose ! Il y a dans mon cœur une confusion de politique est d’amour qui est tout à fait risible. La nuit, le jour, je ne pense qu’à cela ; avec passion, avec inquiétude. Ah mon Dieu !
Adieu. Adieu. Comme vous voulez. Adieu. Je vous ai demandé avant hier je crois de nouvelles de Brunow. Vous m’en donnez aujourd’hui, on dirait que nous nous parlons par télégraphe. Je n’attends pas une grande importance à ce que vous me dites des manières nouvelles de nos diplomates. Cependant, je ne sais pas.
Adieu. Adieu. Le leading article du journal des Débats ce matin est admirable. C’est vrai tout cela est bien étrangement même ! Voilà ma belle-sœur arrivée. Adieu. Adieu. Il y m’a beaucoup dans cette lettre. Jamais assez Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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446. Windsor Castle, Jeudi 22 octobre 1840
8 heures

Ce n’est pas la musique seule, c’est tout qui ajoute à hier à cinq heures, j’étais sur la route de Windsor. Le soleil se couchait devant moi brillant, pompeux, inondant l’horizon de lumière, comme pour nous charmer de tout son éclat avant de nous quitter. Je roulais rapidement vers lui, comme pour aller à lui. L’envie m’a pris d’y aller en effet, de sortir de notre terre, de traverser l’espace, d’aller je ne sais où, goûter je ne sais quels plaisirs, pénétrer je ne sais quels mystères. Et ce mouvement de mon imagination, m’a porté vers vous. Je vous ai appelée ; je vous ai prise avec moi. Et tous mes désirs se sont concentrés en un seul désir : partons, dans un baiser, pour un monde inconnu.
Pendant que je vous proposais de partir le soleil s’est couché. La nuit est venue. Le froid avec la nuit. J’ai fermé, ma calèche. Je m’y suis enfoncé, au lieu de m’élancer dans l’espace. Vous étiez là aussi, encore plus près de moi. Et le fond de ma calèche est devenu plus charmant que le monde inconnu auquel j’aspirais. Et ce matin, dans ce château de Windsor en sortant de mon lit je retrouve en vous écrivant, mes impressions d’hier. Elles me charment encore. Sans vous, si vous n’y aviez pris place, elles se seraient évanouies comme les rayons du soleil, comme les ombres de la nuit. Mais vous les avez transformées en ..... Je ne les oublierai jamais.
Personne ici que lord Melbourne, Lord Palmerston, Lord et Lady Clarendon et moi. On est très aimable pour moi, un peu par estime et par goût, je m’en flatte, un peu aussi parce que je vais à Paris. On désire que j’y sois bien pour ici, que je parle bien des personnes. On me voudrait facile pour les choses. On voit bien que l’avenir, et un avenir prochain est plein de chances. On en est occupé, occupé comme on l’est de tout ce qui n’est pas l’Angleterre elle-même ; assez occupé pourtant. On a traité la France légèrement ; mais sa malveillance importune. On sait que tôt ou tard, pour les affaires son influence pèse ; pour les réputations son opinion compte. On voudrait la calmer, l’amadouer.
Si je pouvais faire comprendre à mon pays ce que je comprends, et lui faire adopter la conduite et le langage. Que je sais bien, je crois qu’il n’aurait pas à s’en repentir. Mais ce serait trop bien pour que ce soit possible. Midi Je reviens de déjeuner. Lady Littleton est la dame in waiting. Elle a assez d’esprit. J’en trouvé bien des gens le premier jour, ou la première heure, comme vous voudrez. Je crois vraiment que bien des gens en ont pour un jour, pour une heure et je m’y laisse prendre encore quelques fois.
La Reine est toute ronde, aussi grasse que grosse. Malgré la princesse Charlotte et la Reine de Portugal, je ne la crois pas inquiète de ses couches. Je ne la crois inquiète de rien. Elle me paraît prendre la vie lestement et sensément, l’esprit gai, le caractère résolu, le cœur pas très vif. Elle reviendra à Londres vers le 15 novembre. Il est décidé qu’elle n’accouchera qu’en décembre.
On chasse ce matin, lord Melbourne et lord Palmerston n’en sont pas plus que moi. Dans la matinée, j’irai causer avec eux.
Comme nous causerons nous ! Quelle profanation de parler de ces conversations. Là à propos d’aucune autre ! Oui, je suis content de votre foi, de votre rire, de vos réponses à mes questions. Mais je prends en grand mépris tous les contentements de loin. Il n’y paraît pas, car je bavarde comme si j’étais prêt comme si je ne songeais à rien de plus. Je songe à beaucoup plus. Je songe à tout. Que c’est beau tout ! Il n’y a que cela de beau. Ne trouvez-vous pas que j’ai un bon caractère ? Trop bon, je trouve. Je suis très ambitieux et très facile, insatiable et prompt à jouir de ce que j’ai malgré ce qui me manque. Il en résulte quelquefois que trop aisément on me croit content et qu’on ne s’inquiète pas assez de me contenter. Il faut qu’on s’inquiète. J’inquiéterai. Certainement pas vous, si je croyais avoir besoin de vous inquiéter, vous ne seriez pas pour moi ce que vous êtes. Je vous dirai mon secret. Avec tout le monde, ma facilité tient à l’insouciance. Avec vous, à la confiance. 2 heures J’attends M. Herbet qui doit m’apporter mes lettres. Il ne vient pas. Je fais partir ceci. Adieu. Adieu. L’heure me presse.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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446. Paris, Jeudi le 8 octobre 1840
9 heures

J’ai vu hier Montrond, mon ambassadeur, et le reste de la diplomatie le soir chez Appony. La journée toute guerrière, Appony avait été frappé cependant de trouver Thiers la veille plus découragé que vaillant ; l’esprit très préoccupé. Un homme fatigué, abattu. Vraiment on ne sait pas comment tout ceci peut tourner. Le parti de la paix se renforce cependant, mais le parti contraire est bien bruyant, bien pressé. Le roi est toujours très vif avec Appony, infiniment plus doux avec mon ambassadeur.
Il a fait l’éloge de M. Titoff qui s’est refusé à prendre part à Constantinople, à la dépossession du Pacha. J’ai reçu le petit ami dans la journée. Je suis très frappée de voir que dans le récit de ses longs entretiens avec 1, il soit si peu ou point du tout question du chêne.
Décidément S. n’est pas un ami sincère. Il y a quelque ancienne rancune qui perce. Dites au frênes de ne pas s’y fier tout-à-fait.
Les ambassadeurs sont fort disposés à désirer la convocation des chambres, moi aussi. On dirait cependant que hier rien n’était décidé. J’ai eu hier une lettre de M. de Capellan dans laquelle Il me rend compte des événements de La Haye, et où il me dit qu’il part demain pour Londres pour annoncer à la reine l’avènement de son nouveau roi. Je suis désolées que nous perdions Fagel, son successeur Zeeylen est un désagréable homme. Dites toujours je vous prie mes tendresses à Dedel que j’aime beaucoup, est-il confirmé à Londres ? Pourquoi n’est-ce pas lui qu’on nomme à Paris ?
L’arrivée de ma belle-sœur m’ennuie beaucoup. Sa fille me plait davantage tous les jours. Mais elle a peu d’esprit et elle n’a que deux préoccupation sa toilette, et son mari. Et comme cela, dans cet ordre-là.

11 heures
Je suis enchantée voilà la convocation, et plus prochaine que je ne croyais. Moins de trois semaines. Dites- moi bien, répétez-moi bien que vous viendrez. Ah quel beau jour ! Vous ne sauriez imaginer comme mon cœur est joyeux. Si fait vous le savez, et vous répondez à ce transport. Mon fils va lundi à Londres pour revenir la veille de l’ouverture des chambres. Je ne lui ai pas nommé son frère. On a parlé à Baden de M. de Brünnow et moi ; les Russes en ont parlé, car la petit Hesselrode venu de Londres savait tout. Il n’y a eu qu’une opinion, on l’a blâmée de la vilenie, et encore un peu plus de la bêtise. Cependant, cependant, vous voyez qu’on ne me répond pas. Que c’est bête encore !
Vous ne voyez donc pas du tout M. de Brünnow ? Voici ce que je réponds à lady Palmerston. " Il est assez naturel que M. Guizot aime à parler de préférence avec les gens qui sont de son avis ; mais je le crois assez bien orienté en Angleterre pour savoir qu’il n’y a pas d’autre bénéfice pour lui à cela que le plaisir de la conversation. Il sait fort bien que les gens qui parlent la plus ne sont pas ceux qui mènent."

2 heures
Le petit avec ami me quitte ; nous bavardons, nous bavardons ! Voilà donc que M. Barrot sera porté à la présidence. Vous ne jugerez pas possible sans doute de rester neutre ! Je vous fais la question. J’ai donné au petit les noms français Voilà du monde il n’y a pas moyen de continuer. Je n’ai pas eu de lettres encore aujourd’hui. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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445. Paris, Mercredi 7 octobre 1840,
10 heures

J’ai trouvé les Granville fort inquiets hier. Cela me parait un mauvais signe. J’ai fait une très longue promenade au bois de Boulogne, une visite en Autriche, et en rentrant chez moi j’y trouve mon fils Alexandre. Il avait lu les journaux de Paris, à Bruxelles. Ils lui ont paru si menaçants qu’au lieu d’aller à Londres il a tourné de ce côté-ci pour voir ce qui se passait. Il restera ici huit jours et puis il va à Londres pour revenir ensuite. J’ai dîné avec lui et comme mon ambassadeur allait à St Cloud et que je n’attends ce soir de visite que la sienne j’ai été passer ma soirée chez Lady Granville.
Je l’ai trouvée seule avec lord et lady Seaford, mariés depuis 6 jours à Londres. Un vieil amour, entre de veilles gens, réchauffé par un mariage fort raisonnable mais pas intéressant lord Seaford était l’une des amies de M. Canning. Il les choisissait tous un peu bêtes. On disait que le conseil hier à St Cloud devait être très important. La bourse s’est encore agitée énormément et les fonds ont éprouvés une hausse de 4 %. On annonçait pour ce matin une espèce de protestation dans le ministère au sujet de la déchéance du pacha.
Appony a couru hier soir à St Cloud pour dire au roi qu’il savait de source certaine sans être encore directe, qui sa cour blâmait hautement la Porte (et infiniment plus haut encore son internonce pour la part ostensible qu’il y a prise) au sujet de cet acte de déchéance. On espère que ce blâme arrêtera votre cour ! Mais tout arrive si tard. En vérité, je crains beaucoup plus que je n’espère, quoique mon refrain, comme celui de tout le monde, soit toujours. " Mais ce serait fou. "

1 heure
Je n’ai vu encore que le petit ami. Son intelligence et la mienne vous sont bien dévoués. J’allais dire son cœur &. Mais là je ne veux pas de cocarde. Et bien nous trouvons, je trouve surtout et mon Dieu je ne sais que dire, on peut si peu dire par lettre. j’espère que si les chambres sont convoquées, vous vous arrangiez de façon à aller avant passer quelques jours dans votre famille, faites y venir le petit ami, ce sera bien utile. Au fond votre situation est bonne. Vous êtes en dehors de toute intrigue. Vous remplissez avec dévouement, fermeté, habileté vos devoirs là où vous êtes, le jour ou il faudra en rendre compte vous saurez le faire à votre plus grande gloire. Jusque là vous êtes tranquille. Si vous écrivez au frêne recommandez lui bien de ne pas dire un mot, pas écrire une ligne qui l’engage à quoi que ce soit Sa couleur on la connait ; il ne peut pas en avoir, on ne doit pas, on ne peut pas lui en prêter un autre. Je reçois votre lettre dans cet instant, que je voudrais être occupée de vous, pour vous.

2 heures
J’ai été interrompue par tant de monde que je n’ai plus qu’un instant. La crise est plus fort que jamais dans ce moment un conseil chez le Roi, très important. On décide la convocation et la protestation. On dit presque l’existence ministérielle. Montrond sort d’ici. Il croit que la chambre sera convoquée pour le 7. Le maréchal Gérard va faire paraître un ordre du jour défendant toute manifestation publique d’origine politique de la garde nationale. Granville a une audience du Roi ce matin. Je suis très très pressée. Vous aurez des lettres aujourd’hui.
Adieu. Adieu mille fois eh tendrement adieu. Quel moment ! Adieu le roi très pacifique.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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444. Paris, Mardi 6 octobre 1840
9 heures

Les trois 4 font une drôle de mine et ne font pas honneur à notre intelligence, pour des gens qui ont pas mal de goût à se trouver ensemble. C’est bien bête. J’ai vu hier matin chez moi à la fois l’Autriche, la Prusse, l’Angleterre. Une petite conférence en ressemblant pas du tout à celle de Londres quant aux opinions et aux vœux. Il parait que l’insurrection se ranime en Syrie. Il paraît aussi que les Anglais allaient à St Jean d’Acre. Voilà qui fera une bien autre émotion encore qui Beyrouth !
On dit donc qu’on travaille ici à une sorte de protestation dans laquelle on établirait le casus belli. Mais tout cela n’est-il pas un peu tard ? On est très révolté ici de voir que l’internonce a assisté à la dépossession du Pacha à Constantinople.
Quant à nous je n’ai rien vu de plus modeste, même de plus effacé. C’est très drôle. Tous les acteurs en scène, le premier amoureux seul, dans les coulisses. Je ne crois pas qu’il perd rien à attendre. Mais la comédie est complète. Le soir je voulais aller chez Lady Granville lorsque est venu encore M. Molé et puis mon ambassadeur et Bulwer. Nous sommes restés à quatre jasant toujours de la même chose, et riant même un peu. C’est toujours encore dans ma chambre à coucher que je reste ; et ma porte fermée à tout ce qui ne m’amuse pas tout-à-fait. M. Molé et très curieux de tout, mais au fond il me parait être au courant de tout.
Il disait et Bulwer disait aussi que M. Barrot entrerait au ministère, si les affaires tournent à la guerre. Mad. de Boigne est toujours à Chatenay. M. Molé me l’a répété. Il ne l’a point vu du tout. Molé repart aujourd’hui ou demain pour la campagne. Personne ne parle du procès de Louis Bonaparte. Jamais il n’y eut quelque chose de plus plat. Le petit Bulwer est d’une activité extraordinaire et une relation avec toute sorte de monde, très lié avec Barrot. Il faut que je vous dise que 10 jours après mon arrivée ici j’ai écrit à Paul une lettre assez indifférente lui parlant de ma santé, un peu des nouvelles du jour, rien du tout. J’ai fait cela pour renouer la correspondance sur le même pied qu’a été notre rencontre. Il ne m’a pas répondu. C’est bien fort je ne crois pas que j’aie à me repentir de cette avancée, c’était un procédé naturel mais son silence me semble prouver qu’il ne veut avec moi que les relations de plus strict décorum rien que ce qu’il faut pour pouvoir décemment habiter la même ville que sa mère. Qu’en pensez-vous ? Est-ce comme cela ? Il écrit à Pogenpohl qu’il viendra passer l’hiver ici, cela ne me promet pas le moindre. agrément. Je le recevrai un peu plus froidement qu’à Londres. Son frère est auprès de lui dans ce moment, je l’attends sous peu de jours. 1 heure. Le petit ami est venu me voir, il est presque convenu que ce sera quotidien. Nous devrions beaucoup sur un même sujet une seule personne. Quelle situation difficile et grave, en tout, en tout.
Le chêne n’écrit-il pas trop à 21 ? Il faut qu’il sache bien que ce 21 est plus l’ami des autres que le sien, et qu’au besoin il livrerait telle phrase imprudente on intime de ses lettres. On parle de la présidence de M. Barrot, s’il n’entre pas dans le ministère. Que pensez-vous de cela ? Dans mon opinion qui sera celle de tout le monde, au premier instant les personnalités doivent s’effacer devant une grande circonstance. En y pensant davantage je ne sais que dire. Je suis très perplexe ; et c’est cela qui me fait dire, que tout, tout sera difficile. Cependant les événements viendront au secours des embarras peut-être. Je finis par crainte d’interruptions.
Adieu. Adieu mille fois adieu, que je voudrais vous parler. Ah mon Dieu que je le voudrais ! Ce ne serait ni de l’Orient, ni de la Chambre, ni du ministère. Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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444. Londres, mardi 20 octobre 1840
2 heures
Bon et mauvais jour. Bon, ceci est la dernière lettre à laquelle vous répondrez à Londres. Mauvais ; la porte me manque ce matin, le vent à été si fort hier que la malle n’a pas pu passer. Il est tombé aujourd’hui. J’espère qu’il ne se relèvera pas dimanche. La traversée est longue de Londres au Havre ; 20 heures. Mais de l’Ouest à l’Est, je ne crains pas le mal de mer. Je ne crains rien excepté ce qui me retarderait.
Je ne sais si je vous ai bien dit le motif qui m’avait décidé à être à la chambre le 29. On ne me fait pas faire les choses en me défiant. Mais quand j’ai vu qu’on voulait que je n’y fusse pas pour la présidence, puisque je n’y fusse pas pour l’adresse, puisque j’eusse à enfoncer, mon épée jusqu’à la garde, soit pour, soit contre, je me suis demandé ce que signifiaient toutes ces exigences, et pourquoi j’y céderais. Je ne sais à Paris contre personne. Je ne suis ici et ne serai là dans aucune intrigue. Je ne dirai, je ne ferai rien là qui ne soit en parfaite harmonie avec ce que j’ai dit et fait ici depuis huit mois. J’ai secondé le Cabinet sans me lier à lui Je ferai de même. Je lui ai dit, à son avènement, que je serais avec lui, loyal et libre ! Je serai loyal et libre. Je lui ai dit que je garderais mes amis sans épouser leur humeur. Je le ferai, comme je l’ai fait. J’ai fait, le premier jour, sur mes anciennes amitiés sur notre séparation le jour où notre politique différerait ; toutes les réserves que je pourrais vouloir aujourd’hui. Pourquoi me gênerais-je ? Pourquoi donnerais-je à ma conduite un air d’embarras et d’hésitation ? Je n’en veux point. Il n’y a pas de quoi ni dans le passé, ni dans l’avenir. Je veux prendre ma position simplement, ouvertement, rondement, toute entière. Je suis député avant d’être ambassadeur, et je tiens plus à ce que je suis comme député qu’à ce que je suis comme ambassadeur.
La session s’ouvre. Je demande et on me donne un congé pour l’ouverture de la session. J’y serai de même que je ne machinerai rien, de même je n’éluderai rien. J’agirai comme député selon ma raison, ma position, mon passé. Je parlerai comme ambassadeur, selon ce que j’ai pensé, fait ou accepté depuis que je le suis. Je crois que cela peut très bien se concilier. Si cela ne se peut pas, je m’en apercevrai le premier. Je serai prêt, selon le besoin à seconder ou à me démettre, loyal pendant, libre après. Je serais bien dupe de m’imposer, pour satisfaire aux méfiances ou aux embarras des autres, une contrainte qui n’a en moi-même, pas le moindre fondement. J’accepterai hautement les difficultés de ma propre position. Je n’accepterai aucune des difficultés de la position d’autrui.
Parlons d’autre chose, Je viens de voir lady Palmerston, toujours gracieuse et embarrassée. Je crois qu’elle doit avoir beaucoup plus d’esprit avec son mari qu’avec personne. L’arrangement, le calcul ôte plus d’esprit qu’il n’en donne. Quand on en a, on n’en a jamais autant que dans l’abandon. En revenant de chez lady Palmerston, j’ai fait mes adieux à Stafford house. J’ai été exprès, sur la petite place, devant la porte. Reverrai-je cette maison ? Reverrai-je Londres? L’avenir est bien obscur. Le mien notamment. Quelqu’il soit, j’aimerai Stafford house.
Dites-moi ce que vous avez écrit sur votre long petit livre de Memoranda sous la date du 30 août. La réponse de la Reine pour mon audience de congé n’est pas encore arrivée. Je suppose demain ou après demain. La Reine reçoit, vers 6 heures. On dîne et on couche à Windsor. J’ai bien des petites choses à faire d’ici à dimanche. Qu’il y a de petites choses dans la vie ! Par exemple, je vous quitte pour des comptes. J’ai beaucoup d’ordre. Adieu. J’aime bien adieu. J’aime bien mieux oui.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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443. Paris, Lundi 5 octobre 1840
9 heures

Hier a été une journée bien active et bien bavarde. D’heure en heure quelque rapportage, et à 5 heures à Tortoni la nouvelle que Thiers avait donné sa démission. On disait qu’il avait résolu de convoquer les chambres, d’y apporter la guerre et d’ordonner en attendant la marche de 200 000 hommes vers le Rhin et l’envoi de votre flotte à Alexandrie pour l’apposer aux alliés. On disait que le roi n’avait point voulu accorder tout cela, ni rien de cela, et que par suite Thiers donnait sa démission. nous verrons aujourd’hui. Berryer est venu chez moi à deux heures. Il ne savait rien de ces bruits, ils n’ont circulé que plus tard mais il me dit qu’une crise ministérielle était arrivée : que Thiers ne pouvait point reculer, qu’évidemment il lui fallait la guerre et que la chambre accueillerait avec transport la guerre, parce que telle était la disposition des esprits maintenant qu’il fallait commencer cependant que Thiers avait fait bien des fautes, qu’il n’avait fait que des fautes mais que pour le moment il ne s’agissait pas de les examiner, qu’il fallait satisfaction à l’amour propre national, et que comme cette satisfaction ne se présentait pas pacifiquement, il fallait la prendre de l’autre manière que ces derniers deux ans avaient fait une grande révolution dans les esprits, qu’il ne pouvait plus y avoir dévouement ou confiance, que les existences avaient été troublées, tout remis en question, et que dès lors, tout pouvait ressortir de cette situation. Que l’Angleterre avait été bien habile, que lord Palmerston était le plus grand homme qui eut paru depuis M. Pitt. Paralyser à la fois la Russie, (je n’ai pas accepté la paralysie) remettre à la tête des grandes puissances, s’emparer de la direction des affaires en Espagne, et rendre ainsi la situation de la France périlleuse de tous les côtés, c’était là un chef d’oeuvre d’habilité, enlevé galamment avec une prestesse admirable. Enfin il grossirait cela de toutes ses forces pour enfler les comparaisons. Il parlait pitoyablement des notes diplomatiques. Il demandait la réponse au factum accablant de Lord Palmerston ? Et puis il a brodé sur les crédits extraordinaires, sur les fortifications de Paris surtout, et de quel droit, sans avoir consulté la Chambre ? Et le bois de Boulogne à qui appartient-il ? Il dit après : le roi a tiré de ce ministère tout ce qu’il lui fallait pour sa propre force. Ce que Thiers préparait pour dehors, le roi se promettait bien de l’employer au dedans et le jour où arrivera la la nécessité d’une révolution extrême, le roi ayant profité habilement de tout ce que la popularité de Thiers a pu lui fournir jusqu’à sa dernière limite, le Roi se passera de lui. Placé entre deux dangers une lutte extérieure, et une lutte intérieure, le roi choisira toujours cette dernière chance. Voilà le dire de Berryer sur la situation en gros ; il n’a point nommé les personnes. Il a seulement dit en passant que vous et Thiers étiez mal ensemble, j’ai dit que ce devait être nouveau parce qu’il me semblait tout le contraire lorsque j’étais à Londres.
Après Berryer, j’ai vu tout mon monde diplomatique les quatre puissances alliées agités, mais point inquiets. Ils ne croient pas sérieusement à la guerre. Sébastiani a dit hier encore à 4 heures de l’un de ces diplomates. Tenez pour certain que le roi n’y consentira pas. Le petit ami est revenu hier une seconde fois très animé, très troublé de tout ce qu’on dit, et de tout ce qu’on lui demande. Je lui ai dit de vous tout dire dans le plus grand détail. Hier soir à 10 heures, M. de Broglie était chez Granville, qui lui a appris tout le tripotage de la journée. M. de Broglie n’en savait pas un mot, et ne voulait pas y croire. Il ne voulait pas croire que le ministère eût pu arriver à ds résolutions aussi excessives. Mais M. de Broglie, me parait être quelque fois un enfant. moi, je suis très très préoccupé de tout ceci pour vous !
Lady Palmerston m’écrit. avec amitié. Sur les affaires elle me dit : " Lord Palmerston désire plus que personne la paix, et je ne puis croire qu’avec ce désir général il y ait crainte de guerre. La conduite de M. Thiers rend toute négociation à présent fort difficile, mais il est clair que l’on serait fort aise de s’accommoder avec la France autant qu’on peut le faire sans déshonneur, et sans abandonner ses alliés. Mon mari est fort raisonnable dans cette affaire et saisirait volontiers tout moyen d’accommodement qui ne porterait point atteinte à l’honneur de son pays, ainsi ne dites pas que c’est de lui que dépend la paix ou la guerre, parce que le résultat est bien plus entre les mains de M. Thiers. Si la France se comporte comme une écervelée ce ne serait point une excuse pour nous d’être lâches ou d’abandonner nos alliés." Elle me dit encore que le duc de Wellington et Peel sont bien plus déterminés encore que son mari, et que Peel a dit : " Si l’on fait des concessions à la France, il n’y aura pas de paix dans trois mois. "

Onze heures
Je reçois votre lettre c’est charmant d’être à Lundi, c’est charmant Mercredi. Mais que faire de l’intermédiaire ? Votre gravure est devant moi dès que je quitte mon lit, tous les jours je trouve la ressemblance admirable. Mais pourquoi ne me regardez-vous pas ? Est-ce le peintre ou vous qui avez voulu cela ? Je ne suis pas sûre que vous ayez eu raison ; c’est parfait comme cela, mais votre regard fixé sur moi, c’eût été mieux encore. Je me repens d’une petite querelle que je vous ai faite hier pour abstenir des nouvelles modernes plutôt que des souvenirs anciens d’Angleterre.
Je me repends de tout ce qui n’est pas des paroles douces tendres ; de loin il ne faut jamais un moment d’impatience même sur ce qu’il y a de plus puéril. compte sur vous. Vous me connaissez un peu pétillante, vive et puis c’est des bêtises.
Mad. 79 se plaint de ce que le bouleau a trop d’intimité avec les personnes qui ne sont pas de l’avis de R. Les journaux ce matin sont bien plats à côté du commérage de la journée d’hier. Le constitutionnel est en bride. L’incertitude ne peut pas durer.
Je ne me porte pas mal, mais je ne suis pas encore assez bien pour voir du monde. Le soir cela me fatiguerait. M. Molé est revenu hier mais je n’y étais pas. Je passe le dimanche à l’ambassade d’Angleterre. Je trouve lord Granville très soucieux. Sa femme est allée avant hier à St Cloud. Elle n’y avait pas été depuis plus de 3 mois. Jamais, elle n’a vu la reine dans l’état d’accablement et de tristesse où elle l’a trouvée.

Samedi 1 heure.
Je n’ai vu personne encore, je viens de marcher sur la place, je rentre pour fermer ni avant les interruptions. Je vous écris des volumes il me semble, mais il me semble aussi que vous les voudriez encore plus gros. Je vous crois insatiable comme moi. Je vous crois comme moi en toute chose, en tout ce qui nous regarde, un peu aussi en ce qui ne nous regarde pas. Enfin je trouve que nous nous sommes tellement eingelebt (Connaissez-vous la nature de ce mot ? ) que nous n’avons plus besoin de nous rien demande,r nous nous devinons. Devinons-nous ce que deviendra ce mois-ci ? Ah pour cela, non !!

Adieu. Adieu. La crise ne peut pas se prolonger. Il faut que la convocation des chambres ressorte de ceci. Adieu. Adieu toujours adieu quoique vous commenciez un peu à le mépriser, et moi peut être aussi. Mais nous sommes trop pauvres pour ne ps accepter les plus petites aumônes. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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443 Londres, Lundi 19 octobre 1840 8 heures et demie

Vous recevrez ceci Mercredi 21 et le Mercredi suivant 28, dans la soirée, vous me recevrez à mon tour. Je partirai dimanche 25, pour le Havre. J’y arriverai le 26, entre 5 et 8 heures du matin. J’en répartirai sur le champ et j’irai dîner au Val Richer. Je partirai du Val-Richer, le 27, dans l’après-midi avec tous les miens, pour aller coucher à Lisieux ou à Evreux, et le 28 au soir je serai à Paris. Ainsi, le mois d’Octobre n’aura pas menti. Personne, personne pas même vous, pas même moi, ne sait combien, il sera beau. Qu’est-ce que l’attente auprès du bonheur ?
J’ai reçu hier mon congé, dans une lettre particulière de Thiers, de très bonne grâce. Je serai à la Chambre le 29. Je ne manquerai qu’à la séance royale. Je crois que je comprends bien ma situation. et que j’y satisferai pleinement en tous sens. Elle a des embarras, des convenances, des intérêts, des devoirs fort divers. Je n’en éluderai aucun. Pour ma pleine confiance il faut, à mon jugement l’adhésion du vôtre. Que de choses à nous dire ! Ce nouvel assassinat ne m’a pas surpris. Je le pressentais. C’est une rude entreprise que de rétablir de l’ordre et de la raison dans le monde. Aujourd’hui tous les scélérats sont fous et tous les fous sont prêts à devenir des scélérats. Et les honnêtes gens ont à leur tour une folie, c’est d’accepter la démence comme excuse du crime. Il y a une démence qui excuse ; mais ce n’est pas celle de Darmer et de ses pareils. On n’ose pas regarder le mal en face et on dit qu’ils sont fous pour se rassurer. Et pendant que les uns se rassurent lâchement d’autres s’épouvantent lâchement. Tout est perdu ; c’est la fin du monde. Le monde a vu, sous d’autres noms, sous d’autres traits bien des maux et des périls pareils, égaux du moins sinon passifs, pour ne pas dire plus graves. Nous avons besoin aujourd’hui d’un degré de bonheur, et de sécurité dans le bonheur dont le monde autrefois. n’avait pas seulement l’idée. Il a vécu des siècles bien autrement assailli de souffrances, de crimes, de terreurs. Il a prospéré pourtant, il a grandi dans ces siècles là. Nous oublions tout cela. Nous voudrions que tout fût fait. Non certainement tout n’est pas fait ; il y a même beaucoup à faire encore. Mais tout n’est pas perdu non plus. L’expérience, qui m’a beaucoup appris, ne m’a point effrayé ; et moi qui passe pour un juge si sévère de mon temps; moi qui crois son mal bien plus grave que je ne le lui dis, je dis qu’à côté de ce mal, le bien abonde, et qu’à aucune époque on n’a vécu, dans le plus obscur village comme dans la rue St Florentin, au milieu de plus de justice, de douceur, de bien être et de sûreté.
J’écrirai aujourd’hui au Roi. On me dit qu’il a pris ceci avec son sang-froid ordinaire, triste pourtant de voir recommencer ce qu’il croyait fini. Le Morning Chronicle parle de lui ce matin est termes fort convenables. 2 heures Rien encore. J’y compte pourtant toujours. La poste est venue tard. Et vous ne prenez pas le plus court chemin pour venir à moi ; je suis encore plus impatient le lundi qu’un autre jour. Le dimanche est si peu de chose ! Enfin, je n’ai plus qu’un dimanche.
Lord Palmerston a demandé pour moi à la Reine une audience de congé. Je l’aurai Mercredi ou Jeudi Ne dites rien du jour de mon arrivée. Sachez seulement que je viens pour le début de la session.

Adieu. Adieu. 4 heures
Voilà 455. Excellent. Ce que j’aime le mieux ; confiant, comme l’enfance; profond, comme l’expérience. Un sentiment, n’est complet qu’avec ces deux caractères. Et il n’y a de bon, il n’y a même de charmant qu’un sentiment complet. Au début de la vie on peut trouver, on trouve du charmé dans des sentiments auxquels à vrai dire, il manque beaucoup. On sait pas ce qui y manque ; on jouit de ce qui y est sans regretter, sans pressentir ce qui n’y est pas. Quand on a vécu, quand on a mesuré les choses, on veut la perfection ; on ne se contente pas à moindre prix. Et là où on ne trouve pas tout, on ne se donne pas soi-même tout entier. Je n’ai jamais été si difficile et si satisfait.
Je n’ai pas encore les détails de la métamorphose que vous m’indiquez. Ils m’arriveront, je pense dans la journée. Cela, je puis l’attendre patiemment. Je serai fort aise de la métamorphose et pas sûr, après quelques épreuves, je finis par accepter les vicissitudes de certaines relations comme celles des saisons ; en hiver, j’espère l’été ; en été je prévois l’hiver ; le ciel pur ne chasse point le brouillard de ma mémoire, ni le brouillard le ciel pur. Je me résigne à ce mélange imparfait et à ses alternatives. Triste au fond de l’âme, mais sans injustice et sans humeur. Ou plutôt ce qui s’est montré à ce point variable et imparfait ne pénètre plus jusqu’au fond de mon âme. Je le classe dans ce superficiel qui peut être grave comme vous dîtes, et influer beaucoup sur ma destinée mais qui ne décide jamais de ma vie. Adieu. Oui, adieu comme nous le voulons.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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442. Paris, dimanche 4 octobre 1840
9 heures

Il y a quatre semaines, je vous attendais encore, nous avons encore marché dans le jardin, vous vous souvenez ce que nous nous y sommes dit ! Je le redis, je me le redis mille fois le jour, je le redirai toute ma vie. Hier j’ai été aux Italiens, Lucia de Lamermoor au premier acte un duo ravissant entre Rubini et Mad. Persiani, une succès d’amour. Ils échangent des anneaux, ils baisent l’anneau qu’ils mettent à leur doigt, un mariage devant le ciel, enfin une telle ressemblance que j’en suis restée troublée toute la soirée.
J’avais dans ma loge Mad. Appony et sa fille. Mon ambassadeur y est venu. J’ai dit un mot à Berryer, il viendra me voir aujourd’hui. Dans la matinée je n’avais vu Appony et manqué beaucoup d’autres : Il ne croit toujours pas à la guerre. Mais il croyait savoir que le roi avait de l’humeur contre ses ministres, ils ont eu trois conseils dans 24 heures sans informer le maître du motif. Ils le contrarient pour se bâton de maréchal à Sébastiani. Le roi très pacifique. On pense que les ministres débattent tant la question de la convocation des Chambres. Il y a toujours bien de l’agitation dans les esprits. On aimerait bien à croire à la nouvelle qu’Ibrahim a forcé les alliés à rentrer dans leurs vaisseaux, mais cette donnée est vague.

Midi.
Votre lettre de vendredi ne me dit rien. Est-ce que les conseil de jeudi n’a donc rien produit du tout ? Mais c’est incroyable. Dites moi donc quelque chose. J’ai besoin d’autres correspondances que vous ! Car par vous je n’apprends rien. Je ne vous donne pas raison pour Chiswick. C’est une très exacte copie des villas près de Padoue, il n’y manque que le soleil. Ce que les hommes ont pu ils l’ont fait ; au lieu de me conter ce que Lady Holland a dit à M. Canning, et ce qu’il lui a répondu et que je sais par cœur, dites-moi ce que lady Holland pense du Cabinet Conseil. Contez-moi l’Angleterre de votre temps et non pas l’Angleterre de mon temps. Il ne vous fâchez pas de cette petite observation, moi Je me députe quand je vous voir employer mal votre papier et votre temps. Je veux de douces paroles d’abord et puis la guerre ou la paix ensuite, je veux aussi tout l’emploi de vos journées. Moi, je vous dis tout.
Hier bois de Boulogne comme de coutume, dîner seule comme de coutume, mon lit à dix heures comme de coutume. J’ai quitté les Italiens à 9 1/2. Je n’ai pas causé avec votre petit Médecin parce que vraiment cela n’aurait pas de sens à moins de me mettre entre les main. Je suis très contente de Chermside. Il me tire vite des petites indispositions qui m’arrivent. Quand vous serez ici, vous ordonnerez et j’obéirai, jusque là à moins de catastrophes j’irai mon train ordinaire. Chermise est prudent, il me traite avec beaucoup de douceur. Ma blessure est presque guérie. Les journaux deviennent incommodes pour M. Thiers. Il n’y a guère qui le journal des Débats que le soutiennes Aujourd’hui, c’est-à-dire il n’y a que le journal des Débats que soit raisonnable car la question de Beyrouth. Le duc de Noailles, m’écrit encore. Il dit qu’il n’y a qu’un gouvernement aristocratique ou un gouvernement populaire qui puisse faire la guerre. Ce gouvernement-ci non mais où est la cause de guerre ? Voilà toujours le puzzle.

1 heure.
Je viens de marcher. Je ne sais pas de nouvelle, je n’aurai vu personne avant de fermer cette lettre. Je pense à la convocation des Chambres. Il me semble qu’il n’y a de salut pour moi que là. Car vous me préparez à un grand désappointement pour octobre. Je n’ai jamais cru sincèrement à octobre, vous n’y avez pas cru non plus. Tout cela était pour acculer deux enfants. Qu’est-ce que c’est que des projets, des volontés. Qu’est- ce que sont les plus ardents désirs ? Eh mon Dieu ; ils ne font pas gagner un jour une heure. Il me semble que je suis de mauvaise humeur aujourd’hui, et je ne vois pas pourquoi. Il n’y a rien de nouveau.
Adieu. Adieu, j’ai ressenti un vrai plaisir hier en prenant possession de ma loge. Est-ce que je me tromperais ? Il me paraissait que je devais y passé de si doux moments croyez-vous que j’aurai de doux moments ?

Adieu. Adieu. Mille fois adieu. dans ce moment une petite visite qui me dit qu’on se plaint de ce que vous n’aviez pas. Cette petite visite visite me dit aussi que 62 dit qu’on a passé toute la journée d’hier à patauger sans rien décider et qu’on attendra encore quelque jours.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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441. Londres, Vendredi 16 octobre 1840
9 heures

Je ne suis pas sorti hier soir. J’ai joué au tric-trac, et je me suis couché de bonne heure. Il y a des choses plus agréables à mettre dans une soirée où l’on ne sort pas. Après mon tric-trac, je suis rentré dans ma chambre, je me suis promené près d’une heure, pensant, pensant et faisant dans mes pensées, ce que vous appelez une confusion visible de deux choses qui vont très bien ensemble, nous en sommes sûrs. Je me suis couché, je me suis endormi, et je n’ai plus retrouvé dans mes rides qu’une seule des deux choses. Evidemment l’autre ne va qu’au jour. Elle ne s’y montre pas aussi hardiment qu’elle s’en vante. Je suis très frappé de la reculade de ces gens de la garde nationale qui voulaient faire dimanche dernier une grande démonstration. Cela me prouve, comme je l’ai toujours cru qu’il y a là plus de bruit que de force et même que de vraie passion. Les factions, les coteries ont aujourd’hui en France très peu de force réelle. Il suffit presque, pour les vaincre, de n’en avoir pas peur. Mais bien des gens en ont peur. Et bien des gens aussi aujourd’hui, très honnêtes, très sensés en général, sont réellement blessés, vivement blessés du procédé anglais. Il y a grande excitation du sentiment national. Elle m’arrive de toutes parts. Comment le contenir sans l’irriter encore ? C’est bien difficile.
Quelles pauvretés je vous dis là ! Ce sont pourtant là, mes pensées habituelles. Et il le faut bien. 2 heures Je suis plus que contrarié. Comment.
Mercredi, à 2 heures et demie, vous n’aviez pas même la lettre que je vous ai écrite dimanche, qui a du être mise lundi à la porte, à Calais et vous arriver mardi ! C’est souverainement déplaisant. Moi qui prends tant de plaisir à faire luire, quand je le peux un doux rayon sur le mardi ! Ne manquez pas de me dire, si cette lettre vous est parvenue, quel jour et à quelle heure. Elle a dû vous être remise par celui que vous appelez mon confident pressé. Je vais attendre votre lettre de demain avec un redoublement d’impatience. Il y a toujours quelque raison pour que mon impatience redouble. J’aurais tant à vous dire, tant à déliberer avec vous !
La grande question pour moi dans ce moment, c’est le jour de mon arrivée à Paris. Traitez la à fond avec le fidèle. Ecoutez bien tout ce qu’il vous dira. Il y a deux jours, j’étais à peu près décidé à n’arriver que le 1er novembre. Il me revient des choses qui méritent qu’on y pense. Pensez donc.
Les amis de la paix sont contents du résultat du Conseil d’hier. On annoncera l’intention de ne pas poursuivre la déchéance du Pacha en Egypte. On conseillera à le Porte d’y renoncer, et de se montrer accessible à un rapprochement avec lui. C’est un commencement qui peut amener une fin. Les rapports, les conversations, les ouvertures, entre la France et les quatre se trouveront rengrénés. En attendant, toujours point de nouvelles de Syrie. Tous les boulets du monde ne portent pas à mille pieds de la côte. Ce n’est pas assez pour chasser les égyptiens du pays. Et les jours s’écoulent. Et les vents se levent. Encore trois semaines pareilles, et tout est fini jusqu’au mois de mai.
4 heures et demie
Des visites. Flahaut. Mac Gregor & &. Je ne vous reviens que pour vous dire adieu. Il faut que j’écrive à Thiers. Votre courte lettre de ce matin ne m’a pas convenue. Je veux que vous me disiez, beaucoup beaucoup en tous genres, beaucoup des deux choses. Adieu pourtant le même, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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440. Londres, jeudi 15 octobre 1840
8 heures

Le travail commence pour m’engager à retarder mon départ. Flahaut s’est mis à l’œuvre hier en dînant chez moi. Et aussi ce jeune Lavalette que Thiers vient de me renvoyer. Les arguments et les caresses abondent. Je réponds simplement que j’ai demandé mon congé, que le jour de mon départ de Londres et celui de mon arrivée à Paris ne sont pas fixés. Mais que je serai certainement à Paris, du 28 octobre au 2 novembre. On n’insiste pas. On recommence. Je répète Je ferai ce que je dis. J’ai écrit à Génie de dire, de ma part à M. de Broglie, que j’étais décidé, que je voulais pouvoir être à Paris, le 28 octobre si cela me paraissait nécessaire ; que je ne m’attendais à aucune difficulté à cet égard mais que, si on pensait à m’en faire, je priais qu’on me les épargnât, car j’avais un un parti pris et je serais certainement à Paris du 28 octobre au 2 novembre. Je suis persuadé que malgré la bonne envie, on ne fera aucune difficulté. Mes amis se sont souvent trompés, je devrais dire que j’ai souvent trompé mes amis à mon égard. J’ai avec eux du laisser aller trop de laisser-aller je n’aime pas les refus, les contradictions, les petites querelles. J’aime la facilité, la complaisance. J’aime à faire plaisir à mes amis. Trop j’en conviens ; ou plutôt je crains trop de les contrarier. Le moment arrivé pourtant où j’ai mon parti pris, je refuse, je refuse péremptoirement. Ils ne s’y attendent pas. Ils s’étonnent un peu de rencontrer la limite de ma facilité. C’est ma faute. Il faut être quelquefois contrariant et raide sans nécessité, pour pouvoir l’être sans exciter de surprise, ni tromper l’attente au moment de la nécessite. Les nouvelles d’Orient sont bien insignifiantes. On commence à craindre ici ce que je vous disais, la longueur du temps, l’hiver, la fièvre. C’est du humbog de dire que la Syrie est soumise. Jamais Gascon n’a dit mieux. Et si elle ne l’est pas dans le cours de ce mois, elle ne le sera pas d’ici au printemps prochain. Et d’ici là, on ne pourra, on ne fera à peu près rien pour la soumettre. La légèreté humaine, la présomption humaine l’imprévoyance humaine, l’insuffisance de l’esprit humain. Je deviendrai un vrai prédicateur. Les sermons ont raison. Lady Holland a été malade, vraiment malade l’autre jour ; une quasi cholérine. Elle s’est trouvée mal ; il a fallu quitter la table, passer la soirée dans sa chambre. Elle était hier au soir fatiguée et changée.
Lord Melbourne et lord Lansdowne. Celui-ci était venu me voir le matin. Très sensé et très impuissant. C’est un exemple frappant de ce que peut et ne peut pas donner une grande situation aristocratique. Il est très instruit, très éclairé, très considéré très riche, très bien établi dans le public et dans le gouvernement. Il n’est rien. M. de Flahaut part samedi. On dit que décidément Emilie épousera lord Ephinstone qui reviendra de l’Inde l’été prochain. On dit que lord Ossulston l’épouserait s’il voulait. On dit qu’il épouserait lady Fanny Cowper, s’il voulait. On dit beaucoup de choses de Lord Ossulston. Lady Tankerville a perdu chez Hammersley l’argent qu’elle destinait à son voyage, en France. Elle n’ira pas. Lady Palmerston a perdu 1200 louis. Lady Fanny 400. Je vous dis ce qu’on me dit. On vous l’a peut-être déjà dit. Je vous l’ai peut-être déjà dit moi-même. Nos bavardages ne porteront guère sur cela. Ils porteront surtout.

3 heures
Je viens de faire le grand tour de Hyde Park seul. Décidément j’aime mieux être seul. Décidément aussi, c’est une supériorité que j’ai sur vous. Je n’ai pas besoin des indifférents. Vous pouvez me la pardonner. Vous n’en souffrez pas. J’ai quatre chanteurs anglais qui viennent souvent, pendant ou après, le dîner, chanter dans ma cour des paroles anglaises sur de l’excellente musique allemande. Trois hommes et une femme, Ils sont venus hier. J’ai soulevé ma fenêtre. Je les ai écoutés une grande demi-heure : c’était triste, c’était gai, c’était grave, c’était tendre. J’ai passé par toutes ces impressions et toutes me portaient à vous. Elles m’y portaient doucement, légèrement, comme on doit être porté sur un nuage. Je ne voyais rien ; je ne pensais à rien ; je flottais dans l’air, bercé de sons charmants qui me parlaient de vous. C’était délicieux, mais si court, comme les beaux rêves. Même au soin des plus beaux, on sent qu’on rêve, on n’a pas de confiance. C’est là que le bonheur est vraiment une ombre. La réalité, la présence, le bonheur éveillé, celui-la seul remplit l’âme et y laisse une trace éternelle. Je suis très contrarié que mardi, à une heure, vous n’eussiez pas encore ma lettre de Dimanche. Je comptais qu’elle vous arriverait de bonne heure. On vous l’aura remise dans la journée ! Ce n’est que la moitié du plaisir que je voulais vous donner et le mien me manque.
Mon jeudi est médiocre. Il y a au moins trois ou quatre choses, que je vous ai demandées depuis huit jour, et auxquelles vous n’avez pas répondu. Rien de grave ; mais enfin des questions sans réponse. On met ma voiture de voyage en ordre. Je recherche les jours de départ des bateaux de Londres au Havre, de Southampton au Havre de Brighton à Dieppe. Adieu. Adieu. Un adieu d’espérance. Ce n’est pas encore le meilleur.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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439. Paris, Jeudi 1er octobre 1840
9 heures

Vous m’avez promis que le mois serait beau. J’y compte. J’ai bien dormi, les douleurs sont presque passées. Enfin n’y pensez plus, mais comptez. que je suis docile que je me soigne. Votre lettre est venue hier au moment où la mienne partait, elle ne m’a guère éclairée sur la situation, vous ne dites pas un mot qui me guide.
J’ai appris hier soir que le conseil devait être remis à Jeudi, aujourd’hui. Je meurs d’impatience et d’inquiétude. j’ai vu hier mon ambassadeur celui d’Angleterre, trois fois Bulwer, quatre fois M de Pogenpohl. Ces deux là étaient inquiets de moi. Le soir M. Molé. J’étais levé c-à-d couchée sur ma chaise longue. Les ambassadeurs anxieux.
M. Molé est fort maigri. Vous jugez ce qu’a été son langage. S’il était aux affaires, s’il y était resté, tout était autrement? Jamais l’alliance anglaise ne se fût brisé entre ses mains ; on n’a fait que des fautes ; mais il faut que je convienne qu’il attaque le maréchal Soult un peu plus encore que M. Thiers quant à la conduite. Mais de l’affaire d’Orient, il est plus préoccupé de l’intérieur encore que du dehors. La situation des partis, le manque de chef au parti conservateur, l’éparpillement des doctrinaires. L’infatuation du roi pour M. Thiers. Car le roi coule des jours tranquilles, plus d’attentats, plus d’attaque dans les journaux. Son ministre le couvre, le garantit de tout cela. Mais voici l’étrangeté du roi, après avoir passé des années à montrer Thiers aux puissances étrangères comme un révolutionnaire, ennemi de sa personne, ennemi de son trône, de tous les trônes, il s’étonne que les puissances étrangères ne veulent pas. accepter M. Thiers comme un excellent ministre. Il se fâche, il s’importe.
Molé dit comme beaucoup de monde, " Mais si on ne s’arrange pas comment fera-t-on pour avoir la guerre ? Il n’y a ni sens, ni raison à la faire pour la Syrie. Par quel bout commencer ? où, quoi ? Tout ceci est insensé, absurde. Il n’y a plus un homme en Europe. ( Il y a quelques temps déjà que je me permets cette réflexion. ) De vous il dit qu’on a beaucoup répandu que vous avez été pris au dépourvu, mais qu’il n’en croyait rien, et que d’ailleurs, il y avait des preuves.
Je sais par 29 que 62 est très content de 6. 14 parle très bien du cèdre, de ses principes, il les croit inébranlables très dédaigneusement de beaucoup de petits arbrisseaux surtout de 77. Mais il en reste de bons. Il espère beaucoup que le hêtre sera ici quand la compagnie ce ressemble, et regarde même cela comme indispensable La violette a été très réservée malgré beaucoup de tentations, car on revenait toujours sur ce qui la préoccupe le plus. Midi. Voici la lettre de mardi encore pas un mot qui me fasse jusqu’ici vous avez la moindre espérance de transaction. Vous me traitez trop mal, et il y a vraiment trop d’exagération dans votre prudence.
Votre vue s’allonge parce que vous écrivez trop, pas à moi, à d’autres. M. Molé m’a dit que Berryer avait été pitoyable, très au dessus de lui-même. Je viens de lire son discours et je trouve des passages magnifiques, sublimes. Je suis sûr que vous le trouvez aussi, et aux mêmes endroits. Et je comprends un peu que Molé ne les loue pas. M. Molé pour me homme d’esprit dit quelques fois des pauvretés, et compte trop qu’il parle des sots. Hier encore cette réflexion m’a frappée. Il est désintéressé dans son jugement. Il serait très malheureux d’être appelé aux affaires. Il ne sait pas ce qui se passe, il ne cause avec personne." J’avais envie de lui dire : " mais employons donc mieux notre temps car je ne crois pas un mot de ce que vous me dites.
La partie du discours de Berryer que j’admire parfaitement est ce qui commence à : " Le pouvoir en France est aujourd’hui confié, à un ministère dont l’origine est récente" & & & et qui finit à " et quiconque devant dieu devant le pays me dira : "S’il eût réussi je l’aurais nié ce droit. " Celui-là, je l’accepte pour juge. " J’ai été fort contente du leading article des Débats hier. C’est Le langage d’un cabinet bien plutôt que d’un journaliste. Vous savez que j’attends toujours l’explication du bis. On dit dans le monde que vous allez faire partir l’amiral Duperré avec mission d’empêcher la jonction de la flotte russe avec la flotte anglaise. Mais vient elle cette flotte russe ? On dit aussi que vous embarquez des troupes sur vos vaisseaux.

2 heures
Je ne reviens à vous que pour vous dire adieu. Adieu mille fois adieu. Le meilleur, le plus tendre. Voici les Appony. Adieu.

3 h. Sébastiani aura le bâton de Maréchal. Il y a eu quelqu’embarras mais que le roi a surmonté. Montrond sort d’ici.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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439. Londres, Mercredi 14 octobre 1840
9 heures

Je vous parlais hier matin de M. de Brünnow. Le soir je jouais au Whist avec lui, chez moi. Il est arrivé un des premiers et parti le dernier. Il a amène M. Koudriaffsky, M. Kreptowitch n’est pas venu parce qu’il était à la campagne. Nous sommes au mieux. La grande dépêche paraissait ici, dans le Times quelques heures après que je venais de la lire à Lord Palmerston. Cela à produit un mauvais effet. La Reine, dit Lord Palmerston a dû s’étonner de trouver sur sa table dans un journal une dépêche qu’elle devait recevoir par moi, et que je n’ai pas eu le temps de lui envoyer. Il a le droit de le dire. J’ai écrit sur le champ à Paris, ma surprise et mon regret. Il fallait un intervalle. J’espère qu’on découvrira que quelque correspondant des journaux anglais s’est procuré, je ne sais comment un exemplaire de la dépêche. Brünnnow, Dedel Capellen Moncorvo, Neumann, Björnsterna, Münchhausen. Il y a peu de variété. Ce pauvre Münchhausen est désolé. Il est rappelé, purement et simplement rappelé, sans raison et sans compensation. C’est M. de Kichmansegge qui le remplace. Les diplomates traitent presque aussi mal le Roi de Hanovre que le font les journaux.

2 heures
La vérité de ce que vous me dîtes sur le 28 me frappe beaucoup. Londres ou Paris. A moins qu’il ne me vienne de nouvelles lumières que je ne prévois pas, je choisirai entre les deux sans admettre de tiers parti, comme j’y penchais. Entre les deux, je penche pour Londres. Pensez bien à ceci. Si le cabinet doit tomber, il m’importe beaucoup, beaucoup, d’avoir été parfaitement étranger à sa chute. Je ne puis être fort dans une situation difficile qu’autant que je n’aurai contribue en rien à la créer. Hier, j’ai demandé officiellement mon congé. Je vous répète que 1 ne m’étonne pas. Et il ne faut pas plus lui en vouloir que s’en étonner. Par préoccupation, plus que par tout autre motif, il poursuit son idée sans aucune considération des personnes même amie. Si je suis bien informé, le bouleau et le peuplier son fort décidés, à ne point se laisser faire et à ne se conduire que selon leur propre avis et leur propre situation. Le chêne n’a jamais été plus fortement ému et plus profondément convaincu. L’épreuve sera bien périlleuse... et bien grande. A moins qu’après tant de bruit, il n’y ait pas d’épreuve et que tout ne finisse par une platitude. Je m’étonne qu’il n’arrive rien d’Orient. Il se pourrait bien que l’affaire traînât en longueur les Turcs sur la côte, les Égyptiens dans l’intérieur, une insurrection faiblement soulevée, à moitié réprimée ; l’hiver, les vents, les pluies la fièvre. Les événements aussi ont leurs tergiversations et leurs platitudes.
Je vous quitte. Lord Palmerston vient de Windsor passer deux heures à Londres. Il faut que je le voie. Quelle lettre ! Pas un mot de ce qui me remplit le cœur, quelque pleine que soit d’ailleurs ma vie ! Quand vous me connaîtrez, vous saurez à quel point tout le reste est superficiel, toujours, dans tous les moments. Dites-moi que vous en êtes sûre. Je croirai que vous me connaissez. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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437. Paris Mardi 29 septembre 1840
9 heures

Cet abominable mardi ; il revient tous les jours ! Pourvu que demain j’aie ma lettre de bonne heure. Je ne vis plus que pour vos lettres. J’ai fait hier ma promenade avec Mad. Durrazo. Vous ne savez pas qu’elle a de l’esprit, beaucoup de finesse, de drôlerie, et qu’elle est le meilleur mime possible. Avant de rentrer, j’ai passé chez Mad. Appony. Hemmelauer qui a passé ici raconte que l’opinion en Angleterre est très vive contre la France et qu’il y a bien peu de vraisemblance à ce que l’affaire puisse s’arranger. Nos pauvres diplomates sont fort tristes et fort tourmentés. Ce sont de très braves gens et qui animent beaucoup Paris !
En traversant la place Louis XV pour rentrer je rencontre Thiers en voiture, qui fait arrêter la voiture et la mienne tout simplement et qui d’un bond s’est trouvé dans ma calèche. Nous sommes restés dix minutes exposés au public. Il m’a dit courtement : " Si le traité s’exécute vous avez la guerre c’est certain." Je lui ai dit que personne de nous en songeait à la lui faire, et que je ne voyais pas comment elle pourrait commencer. " Ah cela, c’est mon affaire. Vous verrez. " Et puis il m’a dit que le roi était furieux, la reine extrêmement, toute la famille. Qu’il était occupé du matin au soir, que tous les jours il veut venir me voir, qu’il viendra, et des tendresses ; personne n’a été nommé. Il m’a demandé ce qu’on me mandait d’Angleterre. Je lui ai dit que les esprits étaient très montés contre la France depuis peu de jours. Il me dit que les rapports sur ce sujet étaient contradictoires. Et nous verrons. Voilà la conversation.
J’ai dîné comme de coutume. Il me semble que je mange ma perdrix mais à me regarder, je croirais plutôt que c’est elle qui me mange. Après le dîner la calèche encore. Je me fais traîner le long du boulevard. C’est si animé, si gai. Je pense à Londres. Je me fâche de regarder quelque chose de gai lorsque vous n’avez que du morne et du triste. Vraiment, je ne conçois pas qu’un français puisse habiter Londres et puis pour tout étranger j’ai toujours pensé qu’on ne peut vivre à Londres que lorsqu’on a un intérieur, des enfants, du bonheur autour de soi, dans sa maison ; alors, et une grande situation pas dessus le marché cela va, surtout. Quand on n’a pas habité Paris. Mais vous, vous ! Vous ne sauriez vous figurer. A quel point je vous plains et je m’en veux de vous avoir quitté. Ah si j’avais pu rester ! Il faut bien que je me répète que c’était impossible. Votre promenade au Regent’s park seul. Cela me fend le cœur, et cet air de Londres si lourd, si gris !
N’est-ce pas que vous comprenez qu’un pauvre diable aille se pendre au mois de novembre ? Mon ambassadeur est venu à 10 heures, il me quitte parce que c’est toujours encore l’heure où je me couche, ma porte est encore fermée à tout le monde. Nous ne parlons que d’une seule et même chose nous ne parlons fort tristement tous les deux. Il admet aujourd’hui la guerre sans la comprendre. Mais enfin la voilà, partant de là il la veut bien forte et bien courte. Encore une fois toute l’Europe, et quelque chose de pire que l’année 15 ? En vérité, c’est très possible. Il y aura bien quelques mauvaises têtes, mais elles sont bien plus rares aujourd’hui qu’elles n’étaient il y a 10 ans 
L’exemple de la France n’est par dangereux. Quel degré de plus de liberté y a-t-il que sous les anciens Bourbons. Qu’est-ce que les pays gagnent à se mettre en révolution? Et l’Espagne ! On regarde tout cela, on a réfléchi à tout cela, et vous trouvez peu de sympathies révolutionnaires. C’est sur cela cependant que vous devez compter. Si ce moyen vous manque, et il vous manquera, qui peut douter que l’Europe résolue comme elle l’était alors, ne fasse, comme alors succomber la France ? vraiment la carrière est plus aventureuse pour la France peu pour les autres. S’il y a des gens légers, présomptueux. Autre part, il y en a bien ici aussi. Pensez à tout cela avec votre immense raison et votre impartialité très rare. Est-on engagé assez loin pour ne pas pouvoir trouver des moyens d’éviter un grand fléau ? La situation est mauvaise. Vous faites bien de prendre des mesures à tout événement. Vous avez bien quelque motif de ressentiment quant aux procédés, aux manières, mais de là à faire la guerre, à la provoquer ! Il y a trop loin. Personne ne vous attaquera, tenez cela pour certain ; on vous laissera. à vous tout le tort de la provocation, et il soulèvera contre vous, sincèrement, toute l’Europe. Je pense et repense sans cesse à tout cela.

10 h 1/2
Quelle surprise charmante ! Cher Simon ! J’ai failli l’embrasser. Vos douces paroles me font du bien en effet beaucoup de bien. Je me soigne ; je me soignerai. Je veux que vous me retrouviez mieux. Je suis joyeuse de votre lettre. J’attends avec une vive impatience l’explication du bis, c’est de l’émotion, un intérêt constant pour toute la journée, car vous n’avez pas un confident aussi pressé que Simon. Tout ce qui s’appelle légitimiste s’est abstenu de paraître hier à la Chambre des pairs. C’est une mesure générale convenue avec Berryer. Ceux des légitimistes qui étaient revenus aux idées et au langage le plus raisonnable ont un peu changé de ton depuis les dernières six semaines. Ils prévoient de la confusion, et par conséquent de l’Espérance.
On dit que Molé dit du roi que son esprit a beaucoup baissé. Le roi a été très vif il y a deux jours dans un entretien avec Appony. Après tout ce que j’ai fait, personne n’a pour moi la moindre considération ! Le mot n’est pas heureux. Il a frappé du poing sur le genou d’Appony de façon que le pied d’Appony a rebondi. Je vous raconte tout le bavardage.
Après le beau temps d’hier ; voici la pluie, ma promenade gâtée. Et il me faut de la promenade pour reprendre des forces. Votre lettre toute seule ne m’en donnera pas. Cependant, elle y fait quelque chose. Une de nos plus grandes dames de Russie, la fameuse comteuse Orloff si riche et dernière de son nom (car Orloff est batard) va épouser un jeune officier de 26 ans sans nom et sans renom. Cela fait un immense scandale. Elle est demoiselle et elle a 54 ans. Elle vivait depuis 20 ans dans un couvent avec des moines dont elle balayait la chambre. Elle venait à la cour pendant la semaine, chaque année et y paraissait toujours couverte de diamants, et dans la plus grande pompe. Elle fait maigre toute l’année depuis 20 ans elle n’a mangé que du poisson à la cour comme au couvent. Elle est grande, grasse, un port de reine et des yeux superbes. La colonie russe ici ne parle que de ce mariage. On en est bien plus préoccupé à Pétersbourg que des affaires d’Orient.
Pahlen nie toujours que nous envoyons notre flotte, mais toujours, toujours il est sans la moindre nouvelle.

2h 1/2
Fleischmann revenu depuis 3 jours de Stuttgard a été faire sa cour hier à St Cloud. Il sort de chez moi, le roi l’a étonné, un peu effrayé, des mouvements d’une vivacité inconcevable. Un langage très exagéré. Il se frappait la poitrine. Il poussait Fleischmann contre la muraille. Il le prenait au collet, le secouait. Enfin c’est drôle. Le duc d’Orléans plus calme de gestes, mais aussi vif de paroles à demain car je suis pressée. Adieu. adieu. Mille milles fois adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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435. Londres, Samedi 10 octobre 1840
8 heures

Il est impossible que je n’aie pas un courrier ce matin. Il m’apportera sans doute la note qui a dû être adoptée dans le conseil de Mercredi. Si elle est rédigée avec mesure et habileté, elle peut ouvrir la porte à un arrangement, car on cherche une porte. Si elle a un caractère de défi et d’intimidation, elle aggravera le mal, car c’est sur ce point que, dans ce moment, les imaginations ici sont excitées et susceptibles. Il y a un an, on se promettait tout haut to bully in la France. Aujourd’hui, ce qu’on craint, c’est d’avoir l’air lo be bullied in par la France.
Que les hommes ont peu d’esprit ! S’ils voyaient les choses, s’ils se voyaient eux-mêmes comme ils sont réellement que de querelles tomberaient avec les méprises ! J’espère que la note sera bien. Je suis certainement très perplexe, mais perplexe sur les événements, pas du tout sur moi- même. Je n’ai pas la moindre hésitation de jugement et de conduite. Mon avis est arrêté, mon chemin tracé, mon parti pris. Jamais ma devise ne m’a paru plus vraie et plus commode. Un brouillard, ce matin comme je n’en ai pas encore vu à Londres. J’aperçois à peine la grille de ma cour. Un brouillard, d’un blanc jaune fade. Un petit soleil rouge-pâle, collé sur le ciel comme un pain à cacheter. Je ne sais comment les gens s’en tirent dans les rues.
A Paris on parle encore, on s’appelle, on s’avertit. Ici toujours le silence dans la foule et le mouvement. Comme je ne vois rien, de même je n’entends personne. Je suppose qu’on se heurte beaucoup et qu’on reprend son chemin, sans se rien dire. Il faut que la vie sociale soit une bien bonne chose pour se maintenir si forte et si active entre des gens qui y prennent si peu de peine et si peu de plaisir. Hier soir Neumann, Pollon, Moncorvo, Celto, Van de Weyer, Schleinitz. Et parmi les petits, s’il y a des grands, tous les secrétaires et attachés de l’Autriche. Koller Esterhazy, Lebzeltern, avec une intention marquée d’empressement.
Ce soir à Ashburnham house, j’engagerai M. de Brünnow à venir. Je ne l’avais pas encore fait. Dedel est venu le matin. Nous avons beaucoup causé. Il regrette son vieux Roi. moi, je trouve sa proclamation (au Roi) admirable. Grave simple et résolue. On n’a jamais abdiqué plus galamment : " Je suis fatigué. Et puis la façon dont on me demande à présent de gouverner ne me convient pas. J’ai consenti à ce qu’on désirait. Mais pour le pratiquer, il faudrait changer mes habitudes. Je suis trop vieux. " On dit qu’il n’épousera pas Melle d’Outremont ; qu’après un voyage à Berlin, il reviendra vivre à Harlem, dans un joli pavillon qui lui appartient. On donne pour preuve du non-mariage, qu’il garde auprès de lui toutes les dames de la feue Reine. Moi, je parie pour le mariage.

Une heure
J’ai eu mon courrier et cette note dont je crois que le résultat, sera pacifique. J’ai écrit sur le champ à lord Palmerston pour lui demander à le voir avant le conseil. Il doit revenir ce matin de Penshänger. Cette absence perpétuelle n’est pas commode. Oui certainement je serai à Paris au début de la session. L’adresse ne peut pas se discuter sans moi. J’ai besoin d’y être, pour mon compte autant. qu’on a besoin que j’y sois pour le compte de la discussion. Je vous ai dit hier mon projet, quelques jours au Val-Richer, puis Paris. Paris ! Je vis depuis le 6 septembre, dans une cruelle anxiété sur le moment où j’irai à Paris.
Vous avez raison ; on devrait ne jamais accepter la moindre illusion. Mais cela ne se peut pas. On ne s’avoue jamais, sur ce qu’on désire ardemment toutes les difficultés, tous les doutes. Je dis les doutes parce que c’est là le vrai. Quand nous nous sommes séparés, le moment possible de mon retour à Paris était douteux, et nous aurions dû nous le dire. Mais nous ne nous serions pas arrêtés dans le doute. Nous aurions tenu le mal pour certain, et nous ne voulions pas. Ne dites rien, je vous prie sur M. O. Barrot. A part moi, je suis très décidé. Mais je ne sais pas à quel moment je placerai la publicité de ma décision, ni quel degré de publicité je lui donnerai. Si le Cabinet doit tomber, je veux être absolument étranger à sa chute aux revers qui amèneront sa chute. Bien rester dans ma ligne à moi, et m’y trouver bien debout si les événements viennent m’y chercher voilà à quoi je m’applique. Je ne veux pas faire les événements qui pourraient venir m’y chercher, ni qu’on puisse seulement supposer que j’ai voulu les faire. Vous avez très bien répondu à Mad.12
Adieu. Adieu. Je tourne le dos à ma gravure. J’en suis même de loin, à l’autre bout du Cabinet. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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434. Paris Samedi 26 septembre 1840
9 heures

J’ai vu hier matin M. de Werther, Montrond, Bulwer. Celui-ci avait de mauvais avis de Londres. Lord Palmerston écrit : " Le traité doit être exécuté. " On dit que mon Empereur est de cet avis aussi et bien plus fortement ; et ravi de l’idée d’une guerre, qui le mènerait à Paris ! Je vous dis les renseignements venus par des étrangers, car Pahlen n’a pas un mot, absolument pas un. Après mon dîner, j’ai été un moment chez les Appony. Il m’a reçue avec des éclats de joie. On répandait le nouvelle que le pacha avait tout accepté. Est-ce vrai ? Nous verrons dans la journée. Ce serait un effet une bien grande nouvelle. Pas beaucoup de gloire pour le gouvernement français. Grand triomphe pour lord Palmerston, mais enfin, la paix, la paix, à moins que vous ne veuillez la guerre pour rien du tout, et pour le seul plaisir de la faire. Je raisonne et déraisonne, car encore une fois il faut confirmation.
Montrond croit que Flahaut va faire du barbouillage à Londres, que certainement il en ressortira des commérages entre vous et Thiers. Il est fâchée de ce départ. Du reste Montrond est bien à la pais. Il dit qu’il voit Thiers rarement et que quand il le voit il le trouve tellement entouré de journalistes qu’il n’y a pas moyen de causer avec lui. Savez-vous que Bulow a en effet mécontenté sa cour ? Il avait le double ordre de faire comme ses collègues d’Autriche et de Russie, et de ne pas laisser la France en dehors. Il n’y avait pas moyen de concilier cela. Il a fallu choisir, et il a choisi ce qu’il croyait qui flattait le plus les opinions de son nouveau maître. Il s’est trompé, on lui en veut. Cette donnée que je regarde comme très exacte, vous expliquez bien des choses. Lord Palmerston en veut un peu à Bulwer pour avoir tenu un langage trop mou ici. Mon ambassadeur est venu chez moi de 9 à 10 heures. Je lui ai donné la nouvelle d’Appony. Nous avons devisé sur cela. Il doute et écrit tour à tour. Nous verrons votre lettre hier ne m’a été remise qu’à 3 heures, par le petit copiste. C’est vraiement trop tard. Et puis, c’était un pur hasard qu’il m’ait trouvée chez moi.

2 heures
Voici votre lettre tard encore ; les jolis garçons. car Dieu merci j’en ai vu trois maintenant, ne me plaisent pas autant que les vieux et les veilles femmes. Je prie qu’on vienne avant midi mais cela ne fait pas beaucoup d’effet. M. Molé sera ici pourl e procès. Il n’y est pas maintenant ; je suppose qu’il viendra me voir. J’irai demander aujourd’hui où se trouve D. Je ne vous ai pas parlé de votre portrait, je l’ai bien regardé cependant. Il est excellent mais j’aime tant ma gravure, je la regarde tant dans mon cabinet de toilette, j’y suis si habituée, que dans ma préocupation de la gravure et de l’original, je n’ai pas apprécié le portrait autant qu’il le mérite. C’est un intermédiaire dont je n’ai pas besoin les deux autres ont leur place. Je bavarde et je radote. Je rêve de bons temps, bons temps passés, bons temps à venir. Venez. La nouvelle d’Appony est- elle vraie est-elle fausse ? Si elle est fausse, le conseil de Lundi sera-t-il bon, sera-t-il mauvais ? voilà où tournent mes idées. Adieu. Adieu autant de fois et comme il vous plait. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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433. Paris vendredi 25 septembre 1840
9 heures

J’ai vu hier Montrond et les Appony. J’ai fait ma promenade En rentrant, j’ai vu M. de Pahlen. Après mon dîner, j’ai éte un moment chez Mad. de Flahaut avant sa réception et puis chez lady Granville, que je trouve toujours au coin du feu avec son mari. Appony a eu un long entretien, hier matin avec Thiers. M. de Metternich s’emploie à arranger Thiers le trouve long et métaphysique Il voudrait que cela allât plus vite. Il a été un peu menaçant, un peu doux, et toujours un peu drôle. Appony au fond était moins inquiet hier que ces jours derniers. Tout le monde se demande " Mais comment dès qu’on va faire la guerre ! pourquoi ? " Je crois que vraiment quand le moment surprise arrivera, le ridicule pourrait bien tuer le danger. Que Dieu m’entende.
Les petits états envoient des Déclarations de Neutralité, je veux dire Sardaigne, et Suède. Les pauvres allemands n’oseront pas l’être. La Confédération en décidera autrement.
Si je vous écrivais dans mes moments de faiblesse et de tristesse, mes paroles vous feraient de la peine. De la peine et du plaisir. Le matin j’ai un peu de force, vers le milieu du jour elle m’abandonne, le soir je suis tout à fait triste, découragée. Je regarde le fauteuil vert vide, je trouve ma vie si mal arrangée ! Et puis je la crois si courte. Et ce court moment, je le passe seule ! Je ne devrais pas vous dire tout cela. Vous avez assez de votre propre tristesse et puis vendredi, un mauvais jour.
Lady Holland a bien raison de le trouver un très mauvais jour. Je suis fort bien avec Madame de Flahaut. Après la grosse explosion, elle est redevenue charmante. A propos on dit qu’elle ne parle plus dans le monde, qu’elle est d’une réserve, d’une prudence presque outrées.
Je vous envoie une lettre du duc de Noailles, car je n’ai rien à vous dire, et le dimanche vous n’avez rien à lire à Londres. Cette pauvre princesse Augusta je la regrette, car elle était la meilleure personne du monde. Elle louchait cependant , elle ne vous aurait pas plu. J’espère qu’il n’est arrivée a personne de devenir louche après cinquante ans, car après votre déclaration. tout serait donc fini ? Ma nièce plait à tout le monde. On ne peut rien voir de plus gracieux, de plus naturel et de plus élégant. Sa mère sa arriver dans quelques jours what a bore ?

1 heure
Comment se fait-il que je n’ai pas de lettres ? Je vous en prie n’envoyez qu’au gens qui attendent la poste chez eux. Adieu, adieu. Adieu à demain. Je serai bien fâchée contre vous si vous m’envoyez autre chose qu’un tendre adieu après mon explication d’hier. Je sais suffisamment me gronder moi- même et je suis trop malade pour pouvoir supporter d’être grondée. Vous verrez qu’à force de douceur je deviendrai sage tout-à-fait. Adieu. Adieu. Il y aura un Cabinet council lundi. Il sera important. C’est de Londres que je parle.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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432. Londres, Mercredi 7 Octobre 1840,
9 heures

Voici une lettre d’Ellice. Il me l’a envoyée ouverte en m’engageant à la lire. Il a vraiment de l’esprit et plus d’intelligence continentale et française que presque tous ici. Il a compris, dès l’origine, que, par le chemin où l’on entrait, on en viendrait où nous en sommes. Si tout le monde, avait prévu aussi clair, tout le monde aurait agi autrement. Le vice radical de cette situation, c’est qu’elle n’était pas du tout nécessaire. Aucun grand événement, aucun grand motif européen n’y a conduit. Il y avait, dans un coin de l’Asie, entre un vieux Pacha et un Sultan mourant, une querelle qui laissée à elle-même, serait morte avec eux sans trouble un moment l’Europe. On en a fait une chance de guerre générale. Pourquoi ? Pour satisfaire la passion de lord Ponsomby contre le Pacha et les rêves de Lord Palmerston pour la résurrection de l’Empire Ottoman.
Voilà un courrier. Il ne m’apporte rien, rien du tout. J’en conclus qu’on patauge encore. Le mot est bien à l’image du fait. Je ne veux pas me dire, à moi-même, à quel point je suis impatient. Je vais faire ma toilette, en attendant la poste. 2 heures Certainement non. Jamais trop de feuillets, jamais assez. Vos lettres, c’est mon pain, mon délicieux pain quotidien. J’ai faim avant. Quand elles sont courtes, j’ai faim après. Quand elles sont longues, je suis nourri, point rassasié. Oui nous sommes parfaitement Ninojlubtn, et je sais parfaitement ce que cela veut dire. C’est un mot charmant. Et qui serait encore plus charmant de près que de loin.
La crise de Paris me paraît vive. Je rabâche, car je suis sûr qu’elle est moins vive qu’elle ne paraît. Comme au fond du cœur, presque personne n’a envie de la guerre, pas même les trois quarts de ceux qui la demandent à si grands cris, il est impossible que le fond du cœur n’influe pas sur la réalité de la conduite. On paie les autres d’apparences, et de paroles ; on ne s’en paie pas tout-à-fait aussi aisément soi-même. Cependant un moment peut venir où l’on l’enivre de tant de paroles et si bruyantes. Je n’irai pas avec les gens ivres. La guerre peut sortir de cette situation, et c’est son immense mal. Si elle en sort inopinément, forcément il faudra bien l’accepter, et l’accepter galamment. Mais je crois qu’on peut empêcher qu’elle n’en sorte, et qu’il y faut travailler ardemment. Et toute politique qui poussera, ou se laissera pousser à la guerre ne m’aura pas pour complice.
Probablement, je vous ai déjà dit cela bien des fois. Je rabâche, car je suis très convaincu. Je suis sûr que Thiers se défend contre le vent qui souffle autour de lui si le vent l’emportait, ce ne serait pas une raison pour se laisser emporter soi-même, et pour laisser tout emporter. Il y a encore de la folie révolutionnaire de la folie militaire dans mon pays ; mais aujourd’hui dans cette folie même, il y a plus d’écume que de venin. Et on trouvera toujours, dans le bon sens honnête de pays un point d’appui pour résister. Je pense aujourd’hui, comme en 1831, que pour une guerre juste, inévitable, défensive, la France est très forte, et que l’Europe serait bientôt divisée. Il faut donc que la guerre si elle doit éclater, soit ramenée à ce caractère, et contenue dans ces limites. Et à ces conditions, je suis porté à croire qu’elle n’éclatera pas. Car, malgré la faute très grave que l’Europe a commise en laissant se former, en formant de ses mains, un tel orage pour un si misérable motif, je crois encore au bon sens de l’Europe, et je suis persuadé qu’en Europe comme en France, la bonne politique trouverait de l’appui. Du reste le très fidèle m’écrit ce matin que la bourrasque de dimanche est un peu calmée et que les choses vont moins vite.
Ici, il y a certainement un peu d’inquiétude réelle et un désir sincère de jeter de baume sur les plaies de celte situation, en même temps qu’un parti pris d’exécuter ce qu’on a entrepris, et de ne pas faire acte de faiblesse. On est plus léger avant qu’après. On ne veut pas avoir été léger en paraître intimidé. Mais on n’est pas sans sérieuse appréhension et on a grande hâte d’atteindre le terme du défilé pour se montrer au bout. un peu plus accommodant qu’à l’entrée. Les Ministres se sont dispersés de nouveau. Mais je ne crois pas que lord John Russell, s’éloigne désormais de Londres. J’espère que Berryer et les siens n’espéreront pas trop. Les étrangers, et l’Ancien Régime, la coalition et la contre-révolution, ce sont les deux spectres du pays ; leur vice le pousse à la folie. Adieu. Je ne méprise rien. Je ne me lasse de rien. Je désire tout. Je ne peux me contenter que de tout. Mais j’aime et je goûte toujours avec le même plaisir les moindres portions de ce tout ravissant. Adieu donc aussi tendrement que le jour où adieu fut inventé.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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431. Paris, Mercredi 23 septembre 1840
9 heures

J’ai vu hier matin, Bulwer, Appony, Granville chez moi. J’ai fait une courte visite à Lady Granville, une plus courte promenade encore en voiture. Il pleuvait à verse après mon dîner j’ai vu les deux Pahlen jusqu’à 10 heures.
Il y avait une soirée chez Lady Granville. Granville a vu longtemps Thiers à Auteuil lundi matin. Ils sont venus ensemble en ville. Granville est retourné dîner à Auteuil. Le soir il a été à St Cloud. Partout reçu et traité avec amitié et un grand empressement. Je crois. que Thiers a perdu tout le goût, qu’il avait pour Bulwer. Thiers est monté sur son cheval de bataille. Il aura neuf cent mille combattants ; il ne craint pas l’Europe réunie. Le protocole de jeudi est à ses yeux une mystification. Le Roi est soucieux depuis deux ou trois jours. Il se loue beaucoup de M. de Pahlen, (c’est de sa personne qu’il s’agit).
Je relève une erreur dans une de vos lettres. Ce n’est pas la grande duchesse Marie seule qui se trouve être maintenant cousine de M. Demidoff. La mère de Mad. Demidoff était sœurs du Roi de Wurtemberg, cousine germaine de l’Empereur Nicolas, par conséquent M. Demidoff devient neveu de l’Empereur à la mode de Bretagne. Voilà mon indiquation. Après cela, savez-vous qui était le le père de M. Demidoff celui que vous avez vu à Paris riche et perclus ? Il était sorti de je ne sais quel gentilhomme russe et potier, C’était son métier. Il a fait cette fortune par son industrie. Vous voilà bien résigné sur mon indication. Il y a beaucoup de symptômes ici qui indiquent que les préparatifs de guerre s’ils ne sont pas employés bientôt le seront plus tard. La France ne voudra pas avoir tant fait, pour ne faire rien ; et M. Thiers surtout voudra faire beaucoup ou au moins quelque chose.
Voilà ce qu’on se dit, et ce qui a beaucoup de vraisemblance. Alors il y a des personnes qui disent qu’il vaudrait mieux lui. adresser dès aujourd’hui, tout de suite, des questions sur ses armements sont-ils défensifs ? Mais personne ne songe à l’attaquer. Sont-ils offensifs, ou enfin destinés à soutenir les prétentions du Pacha ? On dit que plus douce aujourd’hui qu’elle ne le serait peut-être dans quelques mois. Et qu’en tout état de cause on ne peut pas rester longtemps dans cet état actuel de crise et d’incertitude. Je vous dis le bavardage. Les Anglais en déclament beaucoup contre la reine Christine, probablement aussi contre votre influence sur elle. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle est dans une pauvre situation.
Le petit F. m’a dit tenir de bonne source que 48 parle fort mal du Frêne, à ses confidents il ajoute qu’il ne fait plus de confidences véritables au peuplier. En savez-vous quelque chose ? On dit qu’au fond Thiers est mécontent de ce que Walesky est allé à Constantinople. Je crois moi que le choix de ce négociateur sera particulièrement désagréable à la Russie et ajoutera par là à l’aigreur à Constantinople.
Il faut que j’aie une lettre aujourd’hui, il m’en faut une et bonne et longue absolument. mon fils m’écrit de Bade qu’il va encore en Angleterre. Il ne sera donc ici que dans le mois d’octobre. Vous faites bien d’avoir vos soirées. Mais je vois d’ici que lady Palmerston sous forcera à recevoir des dames. J’ai trouvé le speech du roi de Prusse de son balcon à Konisberg passablement ridicule, bien Schärmevitch. La dernière phrase inintelligible.

2 heures
Pas de lettre ! C’est abominable après deux jours d’abstinence. Il faudra fermer ceci sans vous rendre un adieu, mais je le donne comme vous pouvez le désirer tout-à-fait ? Adieu. Avez-vous lu le National de ce matin ?

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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427. Paris, Vendredi 18 septembre 1840
4 heures

J’ai été retenue chez moi d’abord par mon médecin et puis par le duc de Noailles, qui est venu en ville pour deux heures pour me voir. Vous concevez qu’il a questionné et comme il a questionné. Et puis il a parlé. Il dit que la France au fond veut la paix, que c’est le vœu général, si général, si profond, que même on avalerait une petite humiliation encore plutôt que de se livrer aux hasards de la guerre, que cela est certain ; mais qu’on n’avalerait pas tout. Décidément pas et qu’alors on ferait la guerre très franchement et avec une grande unanimité. C’est aussi l’opinion et le dire de Berryer que le duc de Noailles venait de voir. Berryer croit savoir que Thiers est moins pacifique qu’on ne semble le croire. Il veut bien se montrer pacifique encore parce qu’il n’est pas prêt. Mais le jour où il sera prêt il voudra employer ses moyens, et le moment dangereux sera celui-là. Le duc de Noailles se creuse la tête pour trouver ce que les alliés peuvent vouloir tenter ou plutôt ce qu’ils sont convenus de faire pour le cas où l’insurrection de Syrie ne couronnerait pas leurs espérances. Il croit que les Anglais prendraient Caudie par cette position ils tiendraient les Russes aussi en échec, car ils n’en sortiraient que le jour où les Russes sortiraient de Constantinople ; ce serait européennement parlant une bonne affaire, et une bonne affaire pour les anglais dans tous les cas.
Moi - Mais la France avalerait- elle cela ?
Le duc - Je le crois, presque. Voilà à peu près l’Orient expédié ! Venons à Louis Bonaparte. Il paye très cher à Berryer pour le défendre. Et Berryer accepte parce qu’il est bien payé, et puis parce que cette défense tourne pour lui un moyen d’attaque contre le gouvernement ainsi il justifiera Bonaparte sur ce que la France n’est plus qu’un pays de désordres. Un pays où l’on proclame des légitimités à la demi-douzaine. La branche d’Orléans légitime, Bonaparte légitime, le ministère le dit. On ne sait plus auquel entendre. Voyez la confusion, de là une tentative toute naturelle. Il brodera sur cela. Il brodera sur la situation que le gouvernement a faite à la France, répudiée, isolée; ses deux grandes bases d’alliance détruites l’Espagne, l’Angleterre. Belle situation en Europe ! Enfin, enfin Louis Bonaparte a profité de tout cela, il en avait le droit.
Vienne ensuite la Chambre. Oh à la Chambre ! Qu’un orateur habile se lève et toute pacifique que soit cette chambre, cet orateur peut lui faire voter la guerre dans une demi-heure. Si la situation n’est pas. éclaircie d’ici aux chambres. Il sera très difficile d’éviter un éclat. Le duc de Noailles ne sait pas s’il viendra on ne viendra pas au procès. Je l’ai fort engagé à venir. Il m’a dit que Berryer déciderait un peu cela.

Samedi 19 septembre. 9 heures
J’ai été vraiment malade hier très affaibli, très misérable. Je n’ai pas bougé de ma chaise longue. J’ai vu Appony avant dîner, mon ambassadeur le soir. Appony avait vu Thiers. On est comme de raison très très préoccupé de savoir ce que va devenir la proposition de Méhémet Ali. Nécessairement le sultan la référera à la conférence. Voulut-il même l’accepter, Ponsomby aura soin de l’en empêcher, d’abord ce seront des délais de deux mois au moins ; pendant ce temps l’exécution du traité ira toujours. Appony trouve que le conseil donné à Méhémet ali a été bon, très adroit de la part de la France ; il croit que la conférence pourrait accepter, mais si elle n’accepte pas, si on veut à toute outrance le traite ; alors la situation devient bien plus grave qu’avant cette proposition de l’Egypte, parce que la France est compromise, et qu’elle ne peut pas laisser passer cela. Il me semble que pourvu qu’on entre en voie de négociation cela doit s’arranger. Mais les amours propres anglais se soumettront-ils à cela ? Vous me le direz.
Sur le traité, Thiers a dit à Appony : " Vraiment il est pitoyable votre traité ; il est risible, je suis sûr que le prince Metternich doit en rire aussi. " Appony lui a promis de venir l’informer de suite que le prince Metternich en rit, s’il le lui mande. au reste Appony est très frondeur, excessivement frondeur. Il trouve l’oeuvre insensée ; il fait comme moi. Il cherche le prince Métternich. Savez-vous ce que disait Pozzo au mois de juin de l’année dernière, lorsqu’il était encore vivant, et avant la bataille de Nézib ? Il disait " La Russie doit changer sa politique en Orient, c’est avec Méhémet ali qu’elle doit s’allier. " Pozzo vivant, et Metternich pas mort, et tout aurait été autrement. Il n’y a pas un homme aujourd’hui qui sache juger et conduire une affaire. Aussi. voyez le décousu, l’incroyable confusion !
M. de Pahlen était assez noir hier aussi. Il ne fronde pas aussi haut qu’Appony. Mais il n’est pas content. Il ne comprend pas, et tout qu’on ne l’informe pas, il est décidé à ne pas comprendre. Il était inquiet hier de l’information qu’il a eu que votre gouvernement permet à Levewel de revenir à Paris. Il en parlera ce soir à Thier . Si cela était, il craint un gros orage à Pétersbourg Moi je ne crois pas trop à l’orage cependant, je ne sais pas.

Midi. Voici votre lettre. Je suis touchée de ce que vous me demandez 24 heures. Faites ce qui est convenable, mais pouvez-vous vous absenter ? Encore, une fois je suis touchée, et puis je sais bien aujourd’hui que toutes les plus belles tulipes ne valent pas pour vous la plus modeste fleur des champs. Je suis triste, je suis malade Je maigris encore. On ne sait jamais tout ce qu’on a à perdre je m’étonne tous les jours. Adieu. Adieu. Pourquoi suis-je si triste ?

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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425. Paris Jeudi le 17 septembre 1840
9 heures

Avant toute chose, la question de la correspondance. Ce n’est qu’à huit heures hier au soir que j’ai eu votre lettre de lundi, encore j’ai été la chercher. C’est-à-dire que mourant d’ inquiétude de n’avoir pas eu de lettres j’ai pris le parti d’aller chez Génie pour savoir s’il avait quelque nouvelle, si vous étiez malade. Enfin j’étais moi dans une véritable agonie, et je vous préviens que j’y serai chaque fois qu’il n’arrivera pareille aventure. Mettez y bon ordre, car ces choses me rendent malade et vous savez que je n’ai pas besoin d’agitation ! La preuve que ceci m’avait fait du mal et que j’ai été obligée de faire chercher mon médecin le soir, toute inquiétude se porte sur les entrailles. Et j’avais repris des douleurs. Ensuite on peut me voir toujours de 9 à 10. Et puis, j’écrirai Mercredi et Lundi au N°1. Mardi et Samedi au N°2. Jeudi et Dimanche au 3.
J’ai été à Kenwood bien souvent quand je vous proposai une promenade à Hamstead, c’était là que je voulais vous mener. Pourquoi n’y avons-nous pas été ensemble ? J’ai vu hier matin chez moi Appony, Mad. Durazzo, et Mad. de Flahaut hélas ! Appony venait de prendre lecture rapide du traité dans le journal anglais. Il pensait qu’il n’y avait rien là qui dût irriter la France ou l’inquiéter. Il trouve que la lettre de Königsberg insérée dans le Constitutionnel a un grand fond de vérité ! Mad. Durazzo bonne, douce et pas bête. Brignoles revient dans un mois je crois.
Mad. de Flahaut est venu me faire une scène, une scène. M. de Flahaut et elle sont très offensés de ce que je ne veux pas parler politique en leur présence. Il est évident que je me méfie d’eux, que je ne crois pas un mot de leurs explications sur la lettre. Cela n’est pas tolérable. Et sur ce point là, je ne puis plus être qu’une connaissance et non plus une amie. Voilà littéralement la déclaration. Vraiment c’est trop drôle. J’ai répété que je ne voulais plus entendre parler de la lettre, et qu’assurément je ne parlerais pas politique qu’ils s’arrangent. La colère est grande, il y a eu des insinuations et des paroles, fort étranges, je ne les ai pas relancés. Je veux simplifier les querelles. Vraiment j’ai bien à faire avec mes amies !
C’était bien autre chose encore que lady Palmerston on dirait qu’on s’est donné le mot. Revenez au milieu de la scène, Mad. de Flahaut pleure, moi je n’ai pas eu l’air tendre. Le temps hier était épouvantable. Un vrai hurricane. Le chaos. J’ai eu peur. Plus tard, j’ai été pour une demi-heure au bois de Boulogne.
Après mon dîner, comme je l’ai dit plus haut, chez Génie avec des battements de cœur si forts si forts, il est venu à la portière me remettre la lettre reçue disait-il après 5 heures Mon ambassadeur est venu de 8 1/2 à 9 1/2 et puis mon médecin. Il reviendra ce matin. Et bien le traité ! Vous ne m’en parliez pas Lundi. Il était dans les journaux anglais cependant. Est-ce que par hasard il ne vous aurait pas été communiqué ? Je l’ai lu, je ne trouve pas que nous y jouions un grand rôle. Après cela je ne le trouve en vérité pas incommode pour la France. Et puis l’acte de Napier reste toujours incroyable car l’article qui prescrit les mesures avant la ratification dit nommément que c’est parce que l’insurrection était en train. Or elle se trouvait étouffée.
Le 14, et le 14 était toujours deux jours avant le 1. Effacez vendredi au N°1 car ce jour là j’écris tout droit. Je l’avais oublié et donnez au n°1 Lundi en place de Vendredi. Et ôtez alors le lundi au n°2. Je viens de faire cela à la seconde page. C’est compris maintenant ? 1 heure Pas de lettres, mais la tempête d’hier explique cela, je ne veux donc pas m’inquiéter. Les journaux ministériels ne font pas d’observation sur le traité. J’attends les vôtres. Je me trompais peut-être sur Napier, alors cet article du Protocole réservé est bien étrange. Dites-moi donc ce que vous en pensez.
Voici le 412. Grey a bien du bon sens. J’aime les Holland parce qu’ils vous aiment et parce qu’ils sont aimables. Je ne pourrai rien dire pour la vaisselle de Lady Durham ; vous voyez bien que je ne vois pas Thiers pourquoi ? Je ne le comprends pas et bien vous ne me dites pas un mot du traité. Why ? Chermside sort d’ici, il trouve qu’on m’a fait prendre du quinine trop tôt. J’ai des vertiges, et l’estomac bien affaibli.

2 heures
Il me semble que je vous écris de pauvres lettres, si j’allais dans le monde elles vaudraient mieux mais je n’ai pas la force et vous voulez n’est-ce pas que je me repose. Je pense que Molé ne vient pas parce que je ne lui ai pas envoyé dire que je suis ici. Il est parmi les susceptibles. Mais je vous avoue que je trouve très bon qu’on n’aie pas à citer mes paroles, et le plus sûr alors est de ne pas voir les gens, ou quand on les voit (Flahaut par exemple) de mériter des scènes pour mon silence. C’est une prudence d’enfant, mais je vis au milieu de menteurs.
Adieu. Adieu, beaucoup de fois ou une seule bonne according to your texte. Adieu. Vous avez raison, il faut obtenir la vaisselle pour lady Durham. Lord Grey plus que qui que ce soit arrange ses opinions politiques sur ces petites choses. Et ce qu’il vous mande a de l’importance et beaucoup, il faut l’entretenir dans cette disposition. Je ne puis pas finir sur cela il faut encore adieu. Dites aux Holland mille bons souvenirs de moi, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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421. Londres Vendredi 25 septembre 1840
7 heures et demie

Vous voyez le travail de Paris et de Londres pour nous brouiller, Thiers et moi. L’animosité personnelle devient très vive ici. On se dit convaincu que Thiers veut la guerre. Je nie, je repousse très haut, très ferme. On persiste. On couvre sous cette conviction, sa propre obstination. Cela fait une situation de plus en plus périlleuse et délicate. Je dis périlleuse quoique le fond de ma pensée ne soit pas changé. Je ne crois pas à la guerre. Je n’y crois guère plus que je ne la veux. Je la trouverais absurde, comme un effet sans cause est absurde. Jamais je ne consentirai à voir dans Beyrouth et Damas une cause suffisante a un si immense effet. Et quoi que l’absurde, ne soit pas banni de ce monde, cependant il n’y est pas puissant à ce point. Mais quand on rase de si près le bord, il est impossible, même en ne croyant pas à la chute de ne pas avoir le sentiment du péril. Et puis les passions des hommes sont à elles seules une cause ; une cause qui dans un moment donné à propos d’un incident imprévu, peut tout emporter soudainement. C’est là le vrai danger ; celui que j’ai constamment mis, que je mets constamment sous les yeux des gens qui ont créé cette situation parce qu’ils n’ont pas voulu y croire. Ils commencent à y croire ; ils commencent à entrevoir la guerre comme possible ; et ne voulant pas s’en pendre à la situation qu’ils ont faite, ils s’en prennent à quelqu’un qui la veut, disent-ils, qui travaille sous main à l’amener. Et je passe mon temps à combattre leurs conjectures sur les intentions et leur sécurité sur la situation. Il y aura toujours un conseil de cabinet lundi, pour reparler de l’affaire Mais lord Lansdowne, lord Duncannon, lord Morpeth sont en Irlande et ne viendront pas. Et aucun de ceux qui viendront n’est encore arrivé, ni lord John Russell, ni lord Melbourne. Ils arriveront dimanche ou lundi, au moment même du conseil. Ils se réuniront sans y avoir pensé, sans en savoir et sans s’en être dit plus qu’ils n’ont encore fait. Ils en parleront une heure ou deux en hésitant beaucoup à se contredire les uns les autres. Ils croiront à peu près ce qu’ils se diront, pour ou pas être forcés de se contredire. Et voilà ce qui peut se cacher de légèreté sous les formes les plus froides et les plus sérieuses. Je n’en pousse pas moins de toutes mes forces à une transaction à une modification des propositions de la Porte au Pacha. Et après bien du temps perdu, il y a bien des chances pour que cela finisse ainsi. Je regarderais ces chances comme extrêmement probables si on croyait ici à une vraie résistance du Pacha. Mais on croit toujours qu’il cèdera.

Une heure
Il n’y a pas moyen, quand on prend le chemin de l’école, d’arriver de très bonne heure, ni toujours à la même heure. Le frêne croit que le petit F. dit vrai sur son compte. Les journaux sont pleins ce matin de mes dissentiments avec Thiers. Je suis de l’avis du Courrier français. Le jour où il y aurait entre Thiers et moi, un vrai dissentiment sur le but et la marche de la politique, nous devrions nous en avertir l’un l’autre. Et nous n’y manquerions certainement pas. Je regarde beaucoup à l’Espagne, et je n’en dis rien parce que je n’en pense rien. La modération sans force, l’anarchie sans force, la folle sans passion, le chaos parodié, quel pitoyable spectacle ! Je mintéresse à la Reine. Je lui trouve de l’esprit et du courage. soit quand elle résiste, soit quand elle cède. Je ne crois pas que, par lui-même, le pauvre pays sorte de son agonie. Mais il n’en mourra pas, et il peut y vivre longtemps sans danger pour personne. A mon avis, c’est l’Europe qui est coupable envers l’Espagne. Et coupable depuis 1833. Après la mort de Ferdinand 7 au premier moment la tutelle européenne proclamée et exercée aurait tout prévenu. On ne veut guères faire, le mal aujourd’hui. On ne sait pas faire le bien. Le bien pourrait se faire, mais à la condition d’être fait grandement. Et on s’effraie de tout ce qui exige de la grandeur. Il y a cinquante ans, l’orgueil des hommes allait à la démence ; ils se croyaient appelés à refaire le monde à la place de Dieu. Aujourd’hui, leur sagesse va jusqu’à l’inertie ; ils laissent Dieu chargé de tout. Voilà du bavardage doctrinaire Vrai pourtant.
Je viens de parcourir ces cinq pages d’écriture. Pas une tendre parole ! Est-ce possible ? Mes paroles vous plaisent. Quel plaisir auriez-vous donc si vous voyez, réellement voir ce qu’elle essayent de peindre ? Vous avez raison ; depuis que le monde existe on a beaucoup dit sur cela ; chacune des mille millions et milliards de créatures, qui ont passé sous notre soleil a élevé la voix et répété la même chose, avec son plus doux accent. Quimporte la répétition ? Tout sentiment vrai est nouveau. Tout ce qui sort réellement du fond du cœur est dit pour la première fois entendu pour la première fois. Et puis vous savez mon orgueil en ceci comme en tout, l’inégalité est immense, la varièté infinie ; les sentiments naturels, universels, que toute créature a connus et racontés à d’autres créatures, ils sont ce que les fait l’âme où ils résident ; toujours beaux et doux car Dieu les a créés tels à l’usage de tous ; mais incomparablement plus beaux, plus doux dans les élus de Dieu, car Dieu a des élus. Ne dites jamais, ne laissez jamais entrevoir ceci à personne, mon amie. Oui, j’ai la prétention de vous dire des choses qu’aucune voix d’homme n’a jamais dites et ne dira jamais qu’aucune oreille de femme n’a jamais entendues et n’entendra jamais. Et que sont les choses que je vous dis auprès de celles que je sens ?
Mon cœur est infiniment plus riche que mon langage, et mes émotions, en pensant à vous infiniment plus nouvelles, plus inouïes que mes paroles. Laissez donc ce papier et entrez dans mon cœur. Lisez ce que je ne vous écris pas. Entendez ce que je ne vous ai jamais dit. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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420. Londres, Mercredi 23 septembre 1840
six heures et demie

Je vous quitte à peine et je vous reviens. Pourquoi se quitter jamais? Savez-vous que les trois quarts des chagrins qu’on a c’est qu’on le veut. bien ?
Il me semble que 22 s’accroche bien fort aux branches du Chêne. On me dit qu’il y a bien des gens qui voudraient l’y pendre. De loin, 48 a un peu l’air de s’accrocher à tout. Quoique 12 ne soit que le quart de 48, il se flatte bien d’être un chiffre plus fort, et il s’asseoirait volontiers aux pieds du chêne pour qu’il se prétât à l’usage qu’on voudrait faire de lui. Il lui ferait même probablement d’assez grandes concessions de terrain. Est-ce que la grande pensée n’a pas envoyé quelqu’une de ses feuilles à 83 qui aime tant les fleurs ? Si je ne me trompe il se fait en ce moment bien des calculs autour de 34. Le Mélèze serait curieux de savoir si on lui en veut toujours beaucoup de ne pas vouloir épouser 2 en secondes noces et si on espère que 14 refera un grand mariage. Je vous suis à peine revenu et il faut que je vous quitte pour m’habiller. Quand vous étiez ici, j’en voulais à à R. féminin. Depuis que vous n’y êtes plus, je la revois avec plaisir. Elle n’est pas la rose, mais.... Il est convenu que j’aime les redites.

Jeudi 9 heures
A dîner, Lady Clanricard, Lord Minto, M. et Mad. Van de Weyer, Alava, Pollon et Schleinitz, Lady Clanricard en grande coquetterie avec moi, coquetterie non seulement animée et spirituelle, mais presque douce et affectueuse, ce qui est moins dans sa nature. Un lieu banal de conversation, mœurs anglaises ; elle en faisait très bon marché. " Mais nous avons un seul avantage, l’intimité ; nous aimons l’intimité ; nous avons de l’intimité. " Je me suis récrié : " C’est précisément ce que vous n’avez pas. Je ne sais pas comment vous êtes dans vos ménages mais en sortant du ménage de la famille, vous tombez tout de suite dans le raout. Il faut à l’intimité un laisser-aller, un besoin de communication, de sympathie, d’épanchement, qui me semblent inconnus ici. "
Cela ne vaut pas la peine de vous être redit. Son langage était très bienveillant pour la France, pour la vie et la societé française. Point de politique du tout : " Je ne comprends pas comment fait-on Angleterre une femme de moyen-âge qui devient veuve et n’a plus de grande part au monde. Si cela m’arrive j’irai vivre ailleurs, en France peut-être. " Pas plus de politique avec Lord Palmerston qu’avec Lady Clanricard. Un peu avec Lord Minto. Triste de part et d’autre. L’idée de la guerre possible pénètre ici. Il y a huit jours, on n’y croyait pas encore du tout. Je persiste à n’y pas croire. Une transaction sortira de tous ces essais de transaction. Et j’y regarde avec une anxièté qui surmonte, je vous en réponds, ma disposition générale à l’optimisme. Lord et lady Palmerston très empressés pour moi.

Une heure
Vous avez très bien écrit à lady Palmerston Evidemment, évidemment, il est absurde, il est ridicule de faire courir à l’Europe, pour le motif qu’on allègue, les chances qu’on lui ferait courir en repoussant une transaction. " Il faut Beyrout et Damas au Sultan ! " Qui donc savait, qui pensait à savoir en Europe, il y a deux ans si Beyrout et Damas étaient au Sultan, ou au Pacha ? L’Europe, l’Europe saine grande, forte, belle, attachant ses destinées à la question de savoir si ces ruines pestiférées seront au pouvoir d’un vieillard près de mourir ou d’un enfant hors d’état de régner ? Dieu garde le monde de cette alliance : un petit esprit et un caractère fort ! Il n’y a pas de folie, pas de matheur qui n’en puisse sortir. Moi aussi, le memorandum du 24 août ne m’a pas satisfait, pour la forme du moins. Je l’aurais écrit autrement. C’est vraiment du guignon qu’il passe pour trop doctrinaire. On m’écrit ce matin que 31 a grand peur et fort peu d’envie de rentrer dans une si vive mêlée. Pourquoi n’écririez-vous pas à 2 que vous êtes de retour ? Savez vous ce que je soupçonne dans ce silence gardé envers vous par 2 et trois fois 2 ? Quelque misérable lâcheté, tenez pour certain que le langage de 90 à Paris, et celui de l’homme qui " mange avec autorité " à Londres sont très differents. Le mangeur n’est pas frondeur du tout. Adieu.
Vous ai-je dit aujourd’hui un mot autre que d’affaires ? Non, je crois. Pourtant j’ai bien autre chose dans le cœur Adieu, Selon mon cœur.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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419. Paris, vendredi 9 h. du matin
Le 11 septembre 1840

Je ne suis arrivée qu’à 8 heures, Génie était dans la cour, il avait vu venir le postillon qui me devançait il m’attendait. Il est entré avec moi, il m’a remis. La première impression à Paris a donc été du bonheur. Je vous écris pour être lue un dimanche, j’aimerais mieux un autre jour. Je me suis couchée hier à 9. heures. Je verrai Pogenpolh à midi. Mon ambassadeur plus tard. Je voudrais bien rester ignorée de tous les autres. Mad. de Flahaut, avait déjà passé deux fois ici. M. Thiers y est venu dès mardi, me croyant arrivée.
Il faut que je me repose. Mon appartement me plait. J’espère qu’il me plaira, encore davantage. Paris me plait aussi. N’est-ce pas il me plait davantage ? Je pense à tout ! à tout !
Voici votre 407. C’est presque Londres. Vous, moi, pas autre chose. Je n’ai pas encore. eu une impression, une nouvelle pas un visage étranger. Je suis seule avec deux lettres. C’est une bonne compagnie et douce et tranquille. C’est cela qu’il me faut surtout.

3 heures.
Longtemps Pogenpolh. longtemps mon ambassadeur qui me quitte à l’instant. Bon, excellent homme. Toujours le même : " Madame, je ne sais rien, on ne m’écrit rien de Pétersbourg ! On ne me parle pas ici, je n’ai rien à leur dire ; ich lebe aufoncinem eigenen funde, recht ruhig und recht glücklich. " Et il a l’air de cela. Demain je vous écrirai longuement j’espère.
Adieu. Adieu. Il faut que ma lettre parte si cela peut s’appeler une lettre. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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416. Boulogne Mardi 8 septembre 1840
à 6 heures après-midi.

Je suis arrivée ici morte de fatigue. Je puis à peine tenir la plume. Mais il vous faut un mot. Je vais me coucher. On me dit des nouvelles, très effrayantes de Paris ! On débite ici qu’on se bat, qu’il y a des barricades, que Thiers a donné sa démission, que le roi ne l’a pas acceptée. Que les fonds ont fléchi de 6 %. Enfin, c’est à perte de vu. Je n’ai pas fort peur. Je crois que je partirai demain mais vous saurez ce que je fais ou ne fais pas. Pour le moment Je n’en sais rien moi même. Je suis ivre de fatigue. Rien que cela, à ce que me dit mon médecin. Adieu. Adieu.
Je viens de voir George d’Harcourt. Il est parti pour Paris. Il se plaint d ne vous avoir point vu. Je m’en plains aussi. j’aurai aimé à lui entendre. parler de vous. Pardon de cette feuille pitoyable. Je ne sais sur quoi j’écris. Je tombe. Bonsoir. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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409. Stafford house, Vendredi 7 août 1840,
midi
Je choisis tout juste cette heure-ci pour vous écrire, aujourd’hui d’ailleurs je n’aurais pas pu le faire plus tôt. J’ai passé une mauvaise nuit, je ne me suis endormi vraiment que vers huit heures ce matin, ainsi je me lève. J’ai trouvé votre petit billet hier en rentrant. Je suis fort aise que vous ayez même M. Herbet. Ces nouvelles de Boulogne me troublent, je n’avais pas besoin de cela de plus. Hier j’ai fait une tournée en calèche seule avant le dîner. A 8 1/2, j’ai été prendre lady Clauricarde je l’ai menée au clair de lune (un tout autre clair de lune) dans les environs de Londres. Je suis descendue un moment chez Lady Willoughby qui était venue le matin me prier de passer chez elle. J’y ai trouvé de l’élégance, et Neumann et Gersdorff, rien de plus important que cela. Neumann tenait sur M. Thiers de fort mauvais propos. J’ai eu toujours l’habitude de regarder un peu les ministres comme les rois et je trouve assez mauvais qu’on parle avec inconvenance des uns comme des autres. Mais je n’ai pas à faire l’éducation de Neumann et de personne. Je ne suis resté là qu’un quart d’heure. J’étais dans mon lit avant onze heures. Lady Clauricarde était comme ce matin très montée, enchantée de l’affaire de Boulogne ! Je lui ai observé qu’elle était trop officielle pour pouvoir montrer sa joie. Voici qui donne démenti à ce que je viens de dire mais nous étions tête-à-tête au clair de lune. Et on est toujours franche en face du ciel. Le ciel, je l’ai bien regardé hier, bien invoqué toutes les puissances de ce Ciel !
J’ai reçu plusieurs lettres ce matin, d’abord une du duc de Poix que je vous envoie. Une de la petite Princesse au moment de quitter le Havre pour retourner en Allemagne. une de mon banquier de Pétersbourg m’envoyant un compte de pensions, de dettes, & & pour lesquelles je suis taxée au quart, tandis que mes droits de succession l’ont été à la 7ème partie : si c’est la loi je n’ai rien à dire, mais je m’informerai ; si c’est contre la loi, je ne vois pas pourquoi je dois subir cette disposition arbitraire de mon fils aîné. L’affaire de la vaisselle n’est pas terminée et ne le sera que dans 6 mois. Je fais venir Benckausen pour lui parler.
Vous êtes en France. Qu’aurez-vous trouvé là ? Les récits du matin dans les journaux ne sont pas assez clairs. Je ne vois pas assez que cette sotte affaire soit terminée. Où est Louis Bonaparte ? Serait-il possible que lord Palmerston lui eût fait visite ces jours-ci comme le disaient les journaux ? Si vous prenez ce fou, j’espère bien que vous saurez mieux faire que la première fois. N’avez-vous donc pas de conseil de guerre pour un cas pareil ? Et justice immédiate. Cela va bien ajouter encore au clabaudage entre les deux pays ! Je dînerai aujourd’hui chez Lady Clauricarde. Adieu. Adieu, mille fois. J’attendrai vos lettres avec une extrême impatience. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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404. Paris, dimanche le 18 juin 1840
9 heures

J’écris de bonne heure et j’enverrai ma lettre de bonne heure à la poste ! Car voici une grande revue et tout Paris sur pied, car on attend l’Empereur Nicolas ! Imaginez que les Parisiens le croient. J’ai vu hier Montrond, Molé les Appony et Granville le soir. On parle beaucoup de l’Angleterre. Montrond et Molé enchantés que ce soient des sociétés secrètes. Ce sera d’un bon effet ici. Molé dit c’est notre belle révolution qui porte ses fruits. " Je suppose que vous ne prendriez pas la chose ainsi. En attendant c’est vraiment un spectacle fort alarmant.
J’ai vu mon compagnon de voyage; je l’ai bien examiné. Il est tout juste de taille à ne pas encombrer ma voiture. Il a l’air doux et tranquille, et gai, et il est comblé d’être mené aussi commodément.
J’ai eu une longue lettre de William Russell avec des détails intéressants. Nous sommes détestés à Berlin, on a tout fait pour empêcher l’empereur d’arriver. Le Roi de Hanôvre venait aussi. Ces deux ensemble paraissent de mauvais conseiller pour un nouveau roi. On ne sait comment il marchera, on ne connait pas ses idées politiques. On dit maintenant ici que la Redorte pourrait aller à Berlin, ce qui est sûr c’est que sa nomination n’est pas encore au Moniteur.
Je suis bien fatiguée d’hier. Des paquets, des arrangements, des visites, et au matin on va m’envahir pour voir de chez moi la revue. Mon ambassadeur est bien grognon de mon départ. Mad. de Flahaut m’écrit pour s’annoncer pour le 25. Elle a toujours quelque petite tirade contre les doctrinaires. Adieu. Adieu. Encore demain Adieu, et puis, quel plaisir !
On fait à M. de Lamericière des réceptions superbes au château. Molé critique cela et critique tout. Il est de l’opposition la plus violente.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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403 Paris, samedi le 13 juin 1840

Les Granville sont très bouleversés du coups de pistolet. Moi, je crains qu’on ne prononce en Angleterre le nom du roi de Hanovre. Quand il arrive une atrocité on pense à lui tout de suite. Je n’ai jamais vu d’homme soupçonné de tant de mal. Espagne occupe aussi ici. On ne comprend pas le voyage de la reine. Granville a l’air de croire à un mariage Cobourg. Le prince est parti d’ici il y a trois semaines sans qu’on sache pour où. M. Molé croit savoir que la Reine veut sortir du royaume et que cela est concerté avec l’Angleterre. Moi je ne sais rien.
Zéa est venue deux fois sans me trouver. Si j’ai le temps je la ferai encore venir avant mon départ.
Thiers a été chez Armin. Il lui a dit que Bresson quitterait Berlin sans lui dire qui serait le successeur mais on pense que ce sera M. Pontois et qu’ils changent de poste. Le duc d’Orléans est allé chez Armin aussi, très sévèrement affligé de la mort du roi. J’ai vu Armin. Il a l’air de craindre pour son compte. Le duc de Nemours est allé chez Granville hier au sujet du coup de pistolet. Granville a pris cela pour une visite de parenté Cobourg, et non de politesse française. Voilà le châpitre fashionable moves. Je n’ai rien fait hier que visites et préparatifs.
M. de Broglie va faire un voyage avec son fils, et puis ils passeront quelques mois en Suisse, il ne retournera à Paris que pour la session prochaine. C’est de Grainville que je tiens cela. Demain revue de la garde nationale. Il me semble que nous aurons beaucoup de choses à nous dire. Quel plaisir ! Votre lettre ce matin m’a donné deux plaisirs. Je ne puis vous les dire qu’à Londres. Mais soyez sûr que je suis heureuse, heureuse, et joyeuse. Je vous écrirai encore deux fois. J’ai vu Génie hier, je le recevrai Lundi. Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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403. Eu, Jeudi matin 13 août 1840

Décidément, je pars demain Vendredi, à 8 heures, et je serai samedi à Londres, pour dîner. J’espère trouver de vos nouvelles à Hertford house en y arrivant, et j’irai, en chercher moi-même à Stafford house dès que j’aurai dîné, de 8 heures à 8 heures et demie. D’avant-hier mardi à après-demain samedi sans rien de Vous ! Thier est arrivé ce matin. Nous passons la journée ensemble. Il retourne ausi à Paris demain. Je suis content, je devrais même dire de plus en plus content des dispositions publiques et personnelles. J’espère que mon pays se fera honneur et que je l’y aiderai.
Adieu. Adieu. Je vais rejoindre, le Roi et Thiers. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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402. Paris, vendredi le 12 juin 1840

J’ai un grand plaisir. Enfin quelque chose me réussit. Je serai accompagnée, par M.Heneage l’un des secrétaires de l’ambassade d’Angleterre, et je dormirai tranquille. Lady Granville m’a arrangé cela. Il n’est pas ici, mais il arrive demain de Fontainebleau. La question du logement ne sera pas aussi favorable. Vraiment je serai parfaitement mal. J’ai bien plaint souvent les pauvre voyageurs que je visitais à Londres. Mais que faire ! Il faut tacher d’arranger en campagne au plutôt ; pour cela faites finir le parlement.
J’ai vu hier au soir Berryer il y avait bien deux mois qu’il n’était venu. Il a causé avec esprit mais son humeur est grogneuse. Il avait espère quelque éclat, ceci prend une mine trop solide, qui le deroute. Il me dit : " Thiers pouvait le taire plus fort, il a préféré faire la chambre plus faible. Il doute de l’entrée de Barrot dans le Cabinet ; et il ne compte plus du tout sur la dissolution. La gauche est divisée. Et les conservateurs ne sont pas gouvernés. Voilà à peu près l’essence de ce qu’il m’a dit. Montrond est venu hier soir aussi. Ils ont causé. Mon ambassadeur, les Durazzo d’autres.
J’avais chaud. J’aurais préféré le bois de Boulogne d’où je n’étais revenue qu’à 9 heures. Il y faisait charmant. Je jouis de cet air bien pur ; d’un air qu’on n’a jamais en Angleterre. Je reviens un moment à Berryer. Il est frappé du despotisme complet de Thiers et m’a cité à ce sujet des traits assez curieux. Jaubert est un des plus soumis
A propos mon ambassadeur est maintenant en bonne connaissance avec tous les Ministres. Cela est venu à la suite d’un commérage de ma part. Vous savez mon estime pour les commérages. Adieu Monsieur, je n’aurai plus de réponse à cette lettre Adieu.
2 heures
Je réponds encore à votre lettre. Je suis charmée de Windsor. Votre dîner des 15 chez Lady Lovelace en est dérangé, cela ne me déplait pas trop, elle a un trop joli nom. Je vous dis de loin des bétises. Je suis sûre de n’en point dire de près. Mon départ reste fixé au 16 à moins que Heneage ne me prie de le retarder. Ce ne serait que d’un jour il me ferait arriver le 19. Comme vous le dites. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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402. Eu, Mercredi 14 août 1840
Onze heures et demie

Je suis arrivé il y a deux heures et je n’ai pas trouvé Thiers ici. Il n’y sera que demain matin, et il demande au Roi de me retenir un jour de plus. Il le faut bien. Je ne serais donc à Londres que samedi, au lieu de Vendredi. Ceux qui ne croient pas à mon retour se trompent. Et vous avez raison de croire à une chose. Toujours. J’avais si bien arrangé tout pour partir demain Et d’ici à mon départ, je n’aurai point de lettre. J’ai peu de satisfaction par l’écriture quand je la vois ; mais quand je ne la vois pas, je la désire beaucoup. Je me suis échappé après le déjeuner. Et voilà que le Roi me fait demander. Adieu. J’ai roulé toute cette nuit sans dormir et sans changer de pensée. Adieu

Le discours de Lord Palmerston aux Communes a fait en France beaucoup d’effet et un bon effet. Le mal est grand, mais non incurable.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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401. Trouville, Lundi 10 août 1840
une heure

Je ne devrais plus vous écrire. Cette lettre-ci sera à Londres, Vendredi. Vous n’y serez pas. Et quand vous y serez, j’y serai. N’importe. Je vous écris. Je viens de recevoir votre lettre 409. J’ai oublié de numéroter les miennes. Il me semble que ceci doit être 405. Il y a trois jours, je ne me résignais pas aux lettres. Aujourd’hui une lettre vient de me charmer. Il fait très chaud, très beau. J’irai tout à l’heure promener ma mère et mes enfants, dans la forêt de Touques ; ma mère en calèche, mes enfants, sur des ânes. Ils sont bien heureux. Je les ai menés à la mer ce matin ; ils se sont baignés devant moi. Mad. de Meulan vient d’arriver. Elle retournera au Val-Richer demain. Ma mère et mes enfants samedi 15.
J’ai déjà parlé à Eu de mon congé en octobre. J’y compte. Toujours subordonné à l’état de cette malheureuse question d’Orient. Mais ou je me trompe fort ou elle sera immobile à cette époque. Le blocus durera sans aboutir. C’est, je vous jure un curieux spectacle que la complète opposition des conjectures sur le Pacha, les uns si sûrs qu’il cédera, les autres qu’il ne cédera pas. Très sincèrement sûrs. Il y a de quoi prendre en grande pitié les convictions diplomatiques. L’erreur sur l’insurrection de Syrie a été grossière ; elle n’a pas été un moment sérieuse, et Lord Alvanley est un badaud. Lord Francis Egerton a donné aux insurgés trois canons rouillés, et 800 fusils hors de service ; par ardeur chrétienne et pour affranchir les frontières de la Terre Sainte. Il n’y a eu personne pour se servir de ses fusils. Méhémet en profiterait s’ils étaient bons à quelque chose. Les Carlistes aussi ont eu la main dans l’insurrection ; par Catholicisme et par Carlisme. Tout cela a abouti à élever un nuage de poussière que Lord Palmerston a pris, pour un orage. De son erreur je conclus qu’il se trompe probablement sur Alexandrie comme sur Beyrout. M. Thiers est infiniment plus sceptique, plus modeste. Pourtant il ne doute pas de la résistance obstinée du Pacha.
Conseillez à Lady Clauricarde de retirer sa joie sur Louis Bonaparte. Elle a des joies un peu légères. Voilà les obsèques de Napoléon accomplies, tranquillement accomplies. Le Roi, ses ministres, le public, tout le monde est charmé. Le Bonapartiosme est tombé plus bas que l’insurrection de Syrie, le pauvre Louis Bonaparte ne voulait pas se coucher dans le château de Boulogne parce qu’il n’avait pas son valet de chambre pour le déshabiller. Et jeudi dernier, quand on l’a retiré de l’eau et conduit en prison, comme il ne voulait pas poser sur la pierre froide ses pieds nus (il venait d’ôter ses bas) un des gardes nationaux qui venaient de lui tirer des coups de fusil, l’a pris dans ses bras, et l’a porté sur son lit.
Vous avez bien fait de m’envoyer la lettre du duc de Poix. Il n’y a en effet rien à faire à présent. On a fait quelque objection à son fils, très haut. Cette nouvelle vilenie de Pétersbourg (pardonnez-le moi) m’a indigné comme si elle m’avait surpris. Je croyois que nous avions atteint le terme. Vous n’avez sans doute plus rien entendu dire de la prochaine arrivée. Vous m’en parleriez. Mais j’oublie que vous m’avez écrit vendredi, vingt, heures après m’avoir vu. Les heures sont bien longues.
Adieu. Ceci est pourtant ma dernière lettre. Mais non pas mon dernier adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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401. Paris jeudi le 11 juin 1840
9 heures

Simon est charmant, il vient toujours de bonne heure. C’est un si doux réveil ! La mort du Roi de Prusse fait beaucoup de sensation. Lady Granville a été hier soir à Neuilly, elle dit qu’on est accablé. On dit : " C’était le seul souverain benveillant pour nous. " Et cela est vrai, j’ai éte chez elle en revenant de Boulogne où j’ai fait ma visite de députion. Il y avait tout le dîner de l’autre jour moins Thiers. (Rothschild est furieux contre Thiers pour cette affaire des juifs de Damas.) Les ambassadeurs en masse. A propos M. Molé et moi nous les trouvons bien bêtes tous. Vous verrez que le nouveau règne en Prusse sera en effet bien du nouveau et cela seul est un mal, car tout était bien sous me vieux roi. Pauvre esprit mais droit et juste. Celui-ci beaucoup d’esprit, l’esprit charmant, mais sans règle.
Je suis sûre que les Berry ont envie de vous faire épouser Miss Trotter, mais cela ne m’enquiète pas du tout. J’irai regarder ce qui m’inquiète, ou plutôt je n’y penserai pas du tout, n’est-ce pas ? Comment faire pour arriver sans partir ? J’ai horreur d’un départ, et quand cela est accompagné de mille tracas et désagréments qui sont pour moi seule je suis sûre, il y a de quoi se fâcher beaucoup contre... Voyons ? Contre celui-qui me fait partir, croyez-vous ? La Stafford house me fâche. Il est très vrai qu’ils ont écrit il y a trois semaines à Lady Granville qu’aussi tôt partis ils mettaient Stafford house à Westhill, leur villa à ma disposition. Mais il fallait me le dire à moi, ce qu’ils n’ont pas fait, et ce qui fait que cela ne veut rien dire du tout. En attendant on me dit que je suis très mal campée, il y a beaucoup d’étrangers arrivés ou arrivant cela me sera odieux. Et à Londres je trouverai cela très inconvenant pour moi.
Voilà pourquoi la fin du season m’eut bien mieux convenu à la veille des campagnes. Il me semble que je suis un peu cross, c’est vrai mais c’est par moment ; le fond est de la joie bien grande, bien intime, bien profonde ; de la joie comme la vôtre tout au moins. Le temps est charmant, j’espère qu’il se soutiendra. On continue à parler beaucoup des mutations prochaines dans la diplomatie. Bresson, Pontois, Latour Maubourg, Rumigny tout cela doit faire la seconde edition des préfets. Adieu. Adieu. Il y en aura encore quatre de Paris? Adieu.
Lady Palmerston m’annonce qu’Esterhazy arrive incessamment à Londres, et lors Beauvale. aussi et qu’on va faire les affaires à Londres. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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400. Trouville, Dimanche 9 août 1840
Une heure
Je suis arrivée ici, ce matin. La joie de mes enfants est charmante. Je voudrais vous en envoyer la moitié. Je ne jouis qu’avec remords de ce que je ne partage pas avec vous. Henriette m’a déjà demandé de vos nouvelles. Elle est comme vous dîtes ; elle a bien de l’esprit, dans le cœur. Je les ai trouvés à merveille tous les trois ; Henriette, forte et vivante ; les deux petits pas forts, mais très vivants et sans excès. Ma mère aussi est bien ; l’air de la mer lui a réussi. Elle vous aurait bien plu ce matin ; elle m’a reçu avec ce mélange de vivacité passionnée et de gravité pieuse qui n’appartient qu’aux natures méridionales. Ils retourneront tous au Val- Richer samedi 15. Moi, je les quitterai ici après demain mardi, à 4 heures. Je serai à Eu Mercredi matin. J’en répartirai, dans la nuit du Mercredi au jeudi, pour aller coucher à Calais, et vendredi, je dînerai à Londres. Il me semble que je vous ai déjà dit cela. Pourquoi ne vous le redirais-je pas ? Je me le suis déjà redit à moi-même plus de vingt fois. Je dois vous avoir écrit bien bêtement hier et avant-hier. Je vous ai écrit avec un ennui poignant. Vous m’avez grondé une fois de ce que je décriais les lettres quand il ne restait plus que cela. Il faut un peu de temps pour se faire à une telle décadence. J’aurai une lettre de vous demain. Vaudrait-elle mieux que les miennes ? A chaque nouvelle expérience de la séparation, je suis épouvanté du progrès. J’ai bien tort de dire épouvanté ; mais je ne veux pas parler vrai.
Ce qui est vrai, c’est qu’à tout prendre je suis content de ce que j’ai vu à Eu, des deux partis. J’ai vu, d’une part de la révolution, de l’autre, de la modération. Les penchants, les désirs au fond ne sont pas, les mêmes ; mais les conduites pourront fort bien s’accorder. On travaillera sincèrement à maintenir la paix ; on fera hardiment la guerre si l’occasion l’exige. Et on prévoit des occasions qui pourraient l’exiger. On ne provoquera point ; on ne commencera point. Mais on n’éludera point. Le pays est dans la même disposition ; nulle envie de la guerre, tant s’en faut ; mais un grand parti pris de ne pas accepter tel ou tel dégoût et d’accepter les sacrifices. C’est une démocratie fière sans exaltation et résigner à souffrir plutôt qu’ambitieuse et confiante. Vous verrez cette physionomie passer même dans la presse, malgré ses fanfaronnades, et ses colères. Je ne fais qu’entrevoir mon pays ; mais ce que j’en entrevois me convient. J’espère qu’il ne sera pas mis à de trop dures épreuves. Je crois qu’il s’y ferait honneur. Lord Palmerston m’a dit souvent : « Je ne comprends pas que vous ne soyiez pas de mon avis. On me dit ici la même chose à son égard. Il y a bien peu d’esprits qui se comprennent les uns les autres. Chacun s’enferme dans son avis comme dans une prison, et agit du fond de cette prison-là. Cette complète préoccupation de son propre sens joue dans les affaires un infiniment plus grand rôle qu’on ne croit. Voici ce que je n’ai pas entendu, mais ce qui m’a été répété bien authentiquement : - " Que deviendrais-je aujourd’hui si j’avais Molé pour ministre ? " Louis Bonaparte, et son monde vont être traduits à la cour des Pairs. J’ai peur que ceci ne vous arrive pas avant jeudi. Je suis hors des grandes routes. Vous accepter tel ou tel dégoût et d’accepter les sacrifices. C’est une démocratie fière sans exaltation et résigner à souffrir plutôt qu’ambitieuse et confiante. Vous verrez cette physionomie passer même dans la presse, malgré ses fanfaronnades, et ses colères. Je ne fais qu’entrevoir mon pays ; mais ce que j’en entrevois me convient. J’espère qu’il ne sera pas mis à de trop dures épreuves. Je crois qu’il s’y ferait honneur. Lord Palmerston m’a dit souvent : « Je ne comprends pas que vous ne soyez pas de mon avis. On me dit ici la même chose à son égard. Il y a bien peu d’esprits qui se comprennent les uns les autres. Chacun s’enferme dans son avis comme dans une prison, et agit du fond de cette prison-là. Cette complète préoccupation de son propre sens joue dans les affaires un infiniment plus grand rôle qu’on ne croit. Voici ce que je n’ai pas entendu, mais ce qui m’a été répété bien authentiquement : - " Que deviendrais-je aujourd’hui si j’avais Molé pour ministre ? " Louis Bonaparte, et son monde vont être traduits à la cour des Pairs.
J’ai peur que ceci ne vous arrive pas avant jeudi. Je suis hors des grandes routes. Vous serez déjà à la campagne. Je vous écrirai encore 400 demain, à tout hasard. Samedi, en revenant de West, vous trouverez une lettre et moi. Adieu. J’aspire à demain. Trois jours sans un signe de vie ! Cela m’est-il jamais arrivé ? Adieu Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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400. Paris Mercredi 10 juin 1840

Voici vraiment, un gros chiffre, et qui ne prouve pas que nous soyons des gens d’esprit. Trois ans font environ 1100 jours. Plus du tiers de ce temps nous l’avons passé séparés !
J’ai vu hier soir beaucoup de monde ; les ambassadeurs, M. Molé, M. de Poix, M. de Noailles et les diplomates d’été comme il les appelle, c’est-à-dire les petites puissances. M. Molé seul d’abord car il vient de bonne heure. Il n’a pas vu le Roi depuis 6 semaines ; il ne voit pas pourquoi il y irait. Il blâme fort la conduite du Roi, il la trouve très malhabile. Il se préoccupe de l’entrée de Barrot dans le ministère il croit qu’on le nomme à la justice. M. Vivien au commerce, et M. Gouin dehors. Si l’entrée de Barrot faisait sortir les doctrinaires, ah, cela serait un gros événement. Alors le ministère ne peut pas tenir, les conservateurs se retrouvent compactes, forts. Cela lui plait beaucoup. Le maréchal Valée aura pour successeur au commandement de l’armée, le général Bugeaud. Dufaure serait nommé gouverneur civil de l’Algérie. Voilà le dire de M. Molé.
Les ambassadeurs étaient occupés de Berlin. Le Roi était à l’agonie. Ils commencent à trouver que ce sera une immense perte. Les derniers 6 mois de l’année 40 peuvent développer beaucoup de mauvais germes. Il y a longtemps qu’on se sent menacé de tous côtés, ne croyez vous pas que le moment est prochain où l’orage doit éclaté ? On dit que Don Carlos est dans la misère. Les légitimistes se cotisent pour le faire vivre.

2 heures
Votre n°390 me laisse un grand remord de ne pas partir Samedi. J’ai tort de dire remord, c’est regret qu’il faut dire, parce qu’il n’y a pas de ma faute à ce retard. Ma seule faute c’est d’avoir du malheur dans les petites choses comme dans les grandes. Je n’en connais qu’une grande qui ne soit pas entachée de cela. Elle couvre tout.
Vous m’apprenez que les Sutherland me donnent Stafford house, et vous concevez que ce n’est pas comme cela que je dois l’apprendre. Assurément ce serait un grand tracas et un bien mauvais gîte d’épargné. Mais encore une fois, ils ne me l’ont pas dit. J’écrirai à Benckhausen. La veille de mon départ pour qu’il me trouve un appartement convenable. dans l’une des auberges de Londres. Je ne partirai pas sans avoir vu Génie. Je serai à Londres jeudi le 18 au soir ou vendredi dans la journée. Cela dépendra du passage. Je vous écrirai de Douvres si je m’y arrête ; si non, comme je devancerai la poste, vous saurez mon arrivée quand je serai arrivée.
N’ayez pas peur que je perde une minute jusqu’à mon départ vous aurez tous les jours une lettre, et une de la route, pour que vous me sachiez vraiment en route. Adieu. Adieu. Je ne pense qu’au bonheur qui m’attend. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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399. Paris, mardi le 9 juin 1840

Décidément,je ne pourrai pas partir samedi, ce ne sera que mardi le 16. Je vous jure que c’est indispensable que je remette à ce jour-là. Les raisons sont longues et trop multiples pour vous les dire mais elles sont bonnes. Je vous supplie de ne pas vous fâcher, n’est -ce pas vous ne vous fâcherez pas et j’aurai des lettres jusqu’à lundi inclusivement.
J’ai dîné hier chez Granville ; personne, et rien que Pahlen après le dîner, et pas de nouvelles. Si fait, et probablement ce que vous savez, que M. de la Redorte va à Madrid, et que l’ambassade est pour M. de Rumigny. Cet arrangement a coûté à Thiers beaucoup d’efforts auprès du Roi. Mais enfin cela s’est fait selon la volonté du ministre; Il est très vraisemblable que M. Barrot entre dans le cabinet sous très peu de temps. Il veut l’intérieur, il est clair que les doctrinaires sortiront dans ce cas. Tout ceci est exactement ce que m’a dit Lord Granville, et je crois qu’il ne dit pas les choses légèrement. Et bien, si cela arrive, qu’arrivera-t-il à Londres ? That is the question !
J’ai été au bois de Boulogne après dix heures du soir, et comme j’avais, peur j’ai pris Fullarton, qui était ravi de la lune, et de l’invention d’une promenade à cette heure-là.
Midi. Un peu de promenade et ma toilette, maintenant les great and little bores d’un départ ; vous ne sauriez croire comme je suis helpless ! Pogenpohl m’aide beaucoup, et puis un homme que m’a donné Génie. Je cherche toujours un compagnon de voyage. Je suis sur la trace. Il faut que je réussisse. Je ne me vanterai que quand il sera vraiment pris. Je vais et viens, je vais à mes paquets, je reviens à vous.
Je suis curieuse de vous revoir. Ne trouvez-vous pas l’expression ridicule ? Mais c’est cela, il me parait que je trouverai du nouveau ; et si même ce nouveau était mieux, voyons.... Si je vous trouvais 25 ans au lien de 50 ! Et bien cela me déplairait beaucoup. Je veux retrouvez ce que j’ai perdu le 25 février, le retrouver tel qu’il était ce jour-là. Je l’aimais tant comme cela !
Adieu. Je vous en dirai encore quelques uns, et puis nous n’aurons plus à les dire. C’est charmant, adieu.
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