Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 14 oct. 1853

Il fait un temps magnifique depuis quatre jours. J’ai envie que cela dure une quinzaine. Je pars lundi pour aller passer dix ou douze jours à Broglie. Je me promènerais beaucoup là. Ici, mon jardin et mon Cabinet me suffisent et se passent plus aisément de beau temps. Écrivez-moi lundi à Broglie (Eure). J’y aurai votre lettre mardi matin. Barante m’a quitté hier. Douce et agréable société. Il sera à Paris lundi et veut être rentré dans ses montagnes, le 29 octobre pour y rester jusqu'à la fin de Mars. Il est occupé de son histoire du Directoire qui éclaira celle de la Convention. Ce sera certainement ce qu’il y aura de plus vrai, faits et appréciations, sur la grande révolution Française. Vous ne lisez pas le siècle, ni moi non plus ; il m'en est tombé l'autre jour un numéro sous la main, le 57e fragment, je crois d’une histoire de de M. de Lamartine.
L'Assemblée constituante, qu’il publie là, en articles, pour gagner de l'argent. A peu près aussi révolutionnaire que son histoire de la Restauration est légitimiste, et beaucoup moins de talent. Personne, ce me semble, n'y fait attention. C’est-à-dire dans notre monde à nous ; mais le monde du Siècle est nombreux, et tenez pour certains que les préjugés, et les manies révolutionnaires vont s'enracinant là, bien loin de s'éteindre.
Les Débats m'ont manqué hier. Ce que je tiens pour évident et pour très rassurant, c’est que si la guerre commence elle se passera entre vous et les Turcs et qu’on ne s’en mêlerait que si vous portiez la main sur Constantinople, ce que vous ne ferez pas, je pense. C'est un accident que cette guerre un malentendu, une bêtise, passez-moi le mot, de tout le monde. On ne souffrira pas qu’elle devienne une folie. Ce n’est pas du tout pour vous rassurer, et pour me rassurer moi-même, que je dis cela ; je le pense bien réellement.

Onze heures
Vous auriez tort d'aller à Bruges. Vous n'êtes pas assez forte pour faire de belles équipées. Adieu, adieu. Ce que dit Balabine est bien drôle.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 16 oct. 1852

C'est bien dommage que vos yeux soient malades ; ils auraient à regarder. aujourd’hui un magnifique soleil, brillant comme en Juillet. Mais il fait froid.
La réception du Président sera splendide. Le ciel s'en mêle. M. Fould maintient-il le rendez-vous qu’il vous a donné au 16e jour après le retour à Paris ?
Vous aurez de vos fenêtres, le double spectacle du passage du cortège sur la place Louis XV et des amphithéâtres élevés sur les deux terrasses des Tuileries, pour les spectateurs. Ce sera beau. J'espère que vous aurez assez d'yeux pour en jouir un moment.
Je viens d’employer les miens à lire dans le Moniteur une longue pièce du comité des propriétaires de houilles à Mons pour amener le Roi Léopold à l’arranger avec le gouvernement français. Ils sont bien pressés de voir cesser l’augmentation de droits que le decret du président a établis. L'affaire belge d'à présent s’arrangera mais l’arrangement ne mettra pas fin à la situation. Elle est au dessus des questions commerciales.
Je suis assez curieux de lire la circulaire que le gouvernement Belge a adressée à tous les cabinets pour expliquer sa conduite. Elle sera certainement publiée. Je doute un peu de l'opportunité. Il ne peut pas donner publiquement, ses vraies et grandes raisons.
Ma lecture du Moniteur m’y a fait découvrir ce que je ne savais pas ; c’est qu’il se met à publier des Romans feuilletons, comme les autres journaux. C’est inconvenant. Ses romans seront mauvais, comme les autres. Une si méchante invention ne devrait pas pénétrer dans le journal officiel.
24 personnes exécutées à Sinigaglia, chez le Pape, en septembre 1852, pour les crimes de 1848 ! C’est trop tard. Les gouvernements ne peuvent pas commettre de plus grande faute que de faire venir le châtiment longtemps après le crime. L'impression du crime a disparu, blâme moral et peur ; et on a à la place l'impression d'horreur du supplice et de pitié pour le criminel. C'est stupide. La première condition pour l'efficacité de la justice, c’est qu’elle soit prompte.
Je n’ai pas vu le nom de l'Anglais Murray dans ces condamnés. Il me semble qu’il était de cette bande-là. Est-ce qu’on lui a fait grâce ?

Onze heures
Voilà un plaisir. Merci de votre longue lettre. Elle me charme. D’abord pour moi, et puis pour vous, dont les yeux vont un peu mieux. Je ne vous demande point pardon de mon égoïsme. Le papier vert me manquait trop depuis deux jours. Adieu, adieu. G

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 8 octobre 1853

Je renonce plus que jamais à prévoir ; on ne prévoit pas les emportements de Barbares ignorants, ni les faiblesses d'Etats puissants, ni les étourderies de Ministres hommes de sens et d’esprit. Je ne sais si je radote dans mon coin ; mais, à mon avis, il n’y a pas, à cette crise si grave, un seul motif sérieux et elle aurait pu très aisément être évitée au premier moment et termine dix fois depuis qu’elle a commencé. C’est ce qui fait que je ne crois pas encore aux conséquences extrêmes. Que la guerre soit absolument faisable dans cette saison, c’est possible ; mais elle est à coup sûr, plus difficile. Vous n'attaquerez pas les Turcs. Pour vous attaquer, il faut qu’ils passent le Danube, très mauvaise chance pour eux. On restera probablement l’arme au bras ; et si on ne se bat pas tout de suite, passera-t-on l’hiver sans rien faire pour se battre au Printemps ? C'est le comble de l’invraisemblance. Je retombe toujours dans ma raison. Pourtant je suis inquiet. Je crois que je ne le serais pas du tout, si je ne l'étais pas pour vous. Mais vous êtes dans la question. Je persiste à croire qu’il s'est passé à Olmütz quelque chose que nous ne savons pas et qui laisse une poste entrouverte pour la paix.
Parlons d'autre chose. Avez-vous lu la vie du Marquis de Bouillé par son petit-fils René de Bouillé ? Cela vous intéresserait. Vous passeriez la partie militaire. M. de Brouillé a été l’un des rares hommes de sens et du caractère du parti émigré dans notre grande révolution, et il a été, en rapport avec tous les hommes considérables de son temps.

Onze heures
Bonne lettre dans notre péril. J’ai toujours confiance à la dernière extrémité. S'il y a quelque nouvelle chance de négociation, Aberdeen ne se retirera pas. Très probable ment d'ailleurs, il ne se retirerait pas seul, et vous savez qu’un cabinet nécessaire à l'intérieur, ne se dissout pas pour des raisons de politique extérieure. J’ai trouvé, pour la Princesse Koutschoubey, non pas tout ce qu’elle cherche, mais quelque chose qui, je crois, peut lui suffire quant à présent et vaut peut-être mieux pour commencer. Je le lui écrirai demain à elle-même, puisque vous le désirez. Je n'ai pas le temps ce matin. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 12 oct. 1853

J’ai Barante ici depuis avant hier ; il ne m’a rien appris, mais nous causons beaucoup. Il est aimable, bon, et de mon avis presque sur toutes choses. Il ne croit pas plus que moi, et que M. de Meyendorff qu’on se batte sérieusement, ni que la France et l'Angleterre s'en mêlent réellement. L’attitude et l’unanimité du cabinet anglais disent aussi cela. Piscatory m'écrit que nous ne tenons pas assez de compte des Barbares, des Turcs eux-mêmes, et que leur ignorance et leurs passions déjoueront, toute la modération Européenne. Je ne le crois pas pourtant ce qui se passe depuis un mois lui donne quelque apparence de raison. Voyez-vous les Holland ? Barante dit qu’ils sont très animés, et que, ces jours derniers. Thiers, chez eux, était fort à la guerre. Il a eu là, à ce sujet, une dispute très vive avec Cousin, grand partisan de la paix. " Voilà comme vous êtes toujours, vous voulez recommencer 1840 & & " Cousin développe très bien un bon thème.
Avez-vous lu la lettre de Montalembert à Dupin qui lui avait envoyé son discours au comice agricole de Corbigny ? C'est vieux, mais c’est vif et bien tourné.
La correspondance d’Havas ferait mieux de ne pas trahir si clairement, dans son petit bulletin politique, son désir de la chute de Lord Aberdeen. J'y trouve aujourd’hui cette phrase : " Au jour où le gouvernement anglais se déciderait à entrer en lutte avec la Russie, il est possible que les précédents de l'illustre diplomate deviennent gênants et qu’il soit utile de remettre la conduite de la guerre en des mains plus vigoureuses et moins engagées ; mais tant qu’il reste quelque espoir de conserver la paix, tant qu’il y a des négociations à suivre, des concessions à solliciter, l'influence pacifique du nom de Lord Aberdeen est bonne, ce nom semble à conserver ? C’est une maladresse d'être à la fois timide et malveillant. On me dit que Naples est assez agité surtout la Sicile ; les correspondances de Malte recommencent. Le Roi de Naples est convaincu que, si la guerre éclatait, la Sicile serait la vraie indemnité anglaise. Les perspectives de cet avenir là commencent à agiter beaucoup aussi Rome et Turin.
Vous devriez lire les nouvelles lettres de la Palatine, Madame mère du Régent. M. de Sainte Beuve en donne dans le Moniteur, un extrait piquant. Je ne connais pas un exemple pareil de grossièreté unique dans le langage ; mais le fond est sensé, spirituel et honnête. Cela vous amuserait. Je ne connais pas du reste encore les nouvelles Lettres. Je n'en parle que d'après le Moniteur.
Onze heures
Adieu, adieu. Je n'ai rien de plus à vous dire. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 8 sept 1852

Dites-moi précisément quel jour Aggy part pour son petit voyage. J’irai passer avec vous trois jours pendant son absence. Je veux voir par moi-même comment vous êtes et me donner, nous donner ce rafraîchissement dans le cours d’une si longue séparation. Je puis faire cela la semaine prochaine. J’attendrai après demain vendredi votre réponse pour fixer le jour de mon départ. Ce sera un charmant plaisir.
Je m'étonne que le Président ne soigne pas Cowley autant que Hubner. Il compte sans doute davantage sur la complaisance, de l’Autriche pour sa grande affaire ; mais il a besoin aussi de celle de l'Angleterre, et je ne la crois pas inabordable. Ce que vous me dites de Lord Cowley quant aux chances de l'avenir n’est probablement pas son sentiment à lui seul dans son gouvernement. La politique anglaise est peut-être, de toute celle qui vit le plus dans le présent. Le Cabinet actuel d'ailleurs n'est guère en état, ni en disposition d’aller au devant d’aucune difficulté, il les éludera tant qu’il pourra et n'en créera à personne pour ne pas s'en créer à lui-même.
Le journal des Débats répond à ma question ; il annonce le rappel du ministre de France à La Haye, le petit d’André, si je ne me trompe. Je doute que cela fasse revenir les Chambres hollandaises, au traité sur la contrefaçon. Ce seront de mauvais rapports inutiles.
Mad. Kalerdgi manquera à l'Elysée et à M. Molé. Il a le goût des comédiennes Mad. de Castellane valait mieux que celle-ci. Elle était capable de dévouement. Je doute qu’il en soit de même de Mad. Kalerdgi. Passe pour le dévouement d’un jour ; mais la dévouement long exclusif, non. Mad. de Castellane, il est vrai n’avait pas commencé par ce dévouement-là ; mais elle y était venue. C'est quelque chose. à propos de Mad. Kalerdgi, Piscatory me revient à l’esprit. J’ai eu de ses nouvelles il va mieux. Il a eu une forte esquinancie mais il a une de ses filles assez gravement malade, ce qui le tourmente beaucoup. Il a du cœur. Il se tient parfaitement tranquille entre ses enfants et les champs.

Onze heures
Je vous chercherai de vieux Mémoires. Ce pauvre Piscatory a perdu sa fille, une enfant de douze ans. Je reçois trois lignes de lui. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 1er Sept. 1852

Ce que vous me dites de Hübner ne m'étonne pas ; il a de l’esprit, mais son esprit est placé trop bas pour se répandre aisément ; il n’y a que les esprits hauts qui soient communicatifs et libres.
Vous avez en effet bien peu de ressources à Paris en ce moment ; mais vous en auriez encore moins ailleurs. La campagne est bonne à ceux qui ne craignent pas la solitude.
A mon avis, vous avez tort de ne vouloir absolument. d’aucun château ; vous n’y seriez pas, il est vrai, aussi parfaitement, sans gêne que chez vous ; mais vous y auriez un peu de bonne conversation et beaucoup de bon air. Il faut bien choisir entre ses goûts et sacrifier quelque chose des uns à la satisfaction des autres. Je vous fais de la très bonne morale, sans compter sur son succès.
Pour moi, je ne parie plus ni pour contre l'Empire ; il viendra, ou ne viendra pas, comme on voudra ; je n’y pense même plus. Je puis oublier beaucoup le présent.
La guerre devient bien vive, entre le Times et le Moniteur. Je ne crois pas que cela serve le Président en Angleterre où tout le monde lit le Times et personne le Moniteur. Et en France, où personne ne lit le Times, et tout le monde à présent le Monteur, cela n’a d'autre effet que d’apprendre au public, que le Times attaque violemment le Président. Ce sont des polémiques où l’on s’engage pour la satisfaction de son humeur, non pour le service de son intérêt. Je les comprends de l'Empereur Napoléon, il faisait la guerre à l'Angleterre ; il la lui faisait dans le Moniteur comme partout ; ses articles étaient soutenus par ses canons, et expliquaient ses canons. Mais le Président, est et veut, être en paix avec l’Angleterre ; le Moniteur ainsi employé lui rend la paix plus aigre voilà, tout. C’est un mauvais calcul un anachronisme.
Je suppose que vous ne lisez pas le Bernardin de St Pierre de M. Ste Beuve. aussi soigneusement que ses Regrets. Quatre Bernardin de St Pierre à la fois, celui qui a eu le prix à l'Académie, celui de M. Villemain dans son Rapport, celui de M. de Salvandy dans les Débats, et celui de M. Ste Beuve dans le Constitutionnel, c’est beaucoup.
Vous êtes vous fait lire le Rapport de M. Villemain ? Aggy lit-elle bien tout haut ?

Onze heures
Je reçois quatre lignes de Piscatory qui me dit qu’il est malade, et qu’on le croit dangereusement malade, d’une esquinancie. Lui, il se croit mieux ; mais il finit en me disant. " Je pourrai me vanter d'avoir été pendu. " J’en suis très fâché, car j’ai vraiment de l’amitié pour lui. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mardi 19 oct. 1852

J’ai bien peine à croire qu’on attende six semaines, et je ne trouverais pas cela habile. L'opinion du ministère des affaires étrangères est que l'affaire Belge s’arrangera. On n'y met pas beaucoup d'empressement à Bruxelles où l'on n'est ni bienveillant, ni vraiment inquiet ; mais personne, parmi les gens du métier à Paris ne craint que cela devienne politiquement grave. C’est trop tôt. Tout le monde est et croit à la paix.
Je ne puis pas juger si le Président a eu raison de mettre Abdel Kader en liberté. Cela dépend de l'état de l'Algérie. Il se peut que cinq ans d’absence, aient fait perdre là, à Abdel Kader, presque toute sa force. En ce cas, le président a bien fait.
Le voilà délivré du marquis de Londonderry. Il (le président) vient de faire un très bon acte en nommant Cardinal l’archevêque de Tours. C’est un des homme les plus sensés et les plus justement honorés du clergé.
Qu'est-ce que cet ouvrage que je vois annoncé dans le Journal des Débats, avec une certaine solennité : Mémoires secrets pour servir à l’histoire de la Russie sous Pierre le grand et Catherine 1ère ? En avez-vous entendu parler ? C’est bien vieux pour vous intéresser, quoique ce soit Russe.
Voici, ma seule question sur votre santé. Vous me dites Chomel, Andral. Les avez-vous vus ensemble ? Chomel est-il revenu ? Se sont-ils mis d'accord sur votre régime ?
J’ai des nouvelles de Suisse. La Duchesse d'Orléans porte toujours et portera encore quelque temps le bras en écharpe. Mais elle va bien. Elle retourne décidément à Claremont avec la Reine.
Le Duc de Broglie est resté à Coppet. Il ne revient à Broglie que du 20 au 25. Il me paraît que la rencontre du Président et de Morny a été très affectueuse. Entendez-vous dire quelque chose de Flahaut ? Viendra-t-il à Paris dans cette circonstance ! Je me figure que Mad. de Flahaut a beaucoup d'humeur de n’y pas être.

Onze heures
Voici votre lettre. Je l’aime mieux que celle d’hier. Elle n’est pas abattue. Deux choses seulement ; tout de suite. Je serai charmé quand nous causerons ; mais ne comptez pas sur moi pour disputer beaucoup ; je ne dispute plus guères quand je disputerais trop. Et puis, quoique je sois vraiment désolé d'avoir brûlé la lettre d'Aggy, pardonnez moi d'avoir souri de votre légèreté française. Vous avez l’art de faire d’une pierre, mon pas deux coups, mais trente six millions de coups, pour rendre le coup plus lourd. Je n’ai pas la même goût ; je ne cherche pas en vous les défauts russes. Adieu, Adieu.
Vous ne m’avez point dit pourquoi lord Beauvale est contre le discours de Bordeaux.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer. Lundi 6 sept 1852

Vous me demandez des lectures. Vous intéressez-vous d’autant plus à un temps que vous vous en êtes plus, et plus récemment occupé ? Si c’est là votre disposition, quand vous aurez fini l’histoire de la Restauration de Lamartine, prenez l’histoire des deux restaurations de M. Vaulabelle, un moment ministre de l’instruction publique sous le gouvernement provisoire, après Carnot, je crois. Six volumes non terminés ; cela va jusqu'en 1827 et à la chute de M. de Villèle. C'est l’histoire révolutionnaire de la Restauration ; parfaitement révolutionnaire ; tout est bon pour défendre ou répandre la révolution ; tout est légitime contre la légitimité ; l’auteur accepte et accepterait tout y compris la ruine de la France, plutôt que de transiger une minute avec les adversaires quelconque de la Révolution. Cela dit, c’est un livre curieux, sérieux, fait avec soin, avec un certain talent lourd, mais passionné, avec conscience quant à la vérité des faits et même avec une certaine intention d'impartialité quant aux personnes. C’est un mauvais livre qui mérite d'être lu.
Il y a quatre ouvrages à lire sur l’histoire de la Restauration ; Lamartine et Vaulabell, plus Lubis, celui- ci est la droite Villèle et gazette de France ; plus Capefigue, recueil d'anecdotes, de documents, écrit avec une fatuité pédante et intelligente. Tous livres faux, et dont aucun ne restera parce que, ni pour le fond, ni pour la forme, aucun n'est l’histoire ; Lamartine seul offre çà et là pour la forme, des traces d’un esprit et d’un talent supérieurs ; mais tous amusants aujourd’hui et nécessaires à consulter plus tard, pour qui voudra connaître notre temps. Si vous aimez mieux quelque chose encore plus près de nous, lisez l’Europe depuis l'avènement du Roi Louis-Philippe, jusqu’en 1842, par Capefigue, dix volumes. C'est bien long et bien médiocre, mais animé, plein de détails sur les faits, sur les personnes, et plutôt vrai que faux, un long bavardage écrit par un coureur de conversations et de nouvelles qui ne vit pas habituellement dans le salon, mais qui y entre quelque fois.
Si vous voulez les romans, demandez les trois ou quatre nouvelles de Mad. d'Arbouville, la femme, laide et morte, du Général d’Arbouville. Vous l’avez rencontrée, je crois, chez Mad. de Boigne. Vraiment une femme d’esprit, dans le genre roman, du cœur elle-même, et l’intelligence du cœur des autres. Je crois qu’il y en a quatre, Marie, Le médecin de village, je ne me rappelle pas le nom des deux autres. Ils ne portent pas le nom de l'auteur, mais tout le monde sait de qui ils sont. Voilà ma bibliographie à votre usage.
Je m'attendais à votre réponse sur Lady Palmerston. Il y a beaucoup de sa faute, un peu de la vôtre. Elle a mérité que vous vous détachiez (je ne veux pas dire détachassiez) d'elle ; mais vous vous détachez aisément quand vous n'aimez plus beaucoup. Vous ne tenez pas assez de compte du passé, même du vôtre.
Deux romans qui me reviennent en tête vraiment spirituels et intéressants, Ellen Middleton et Grantley manor, de Lady Georgia Fullarton. Moi qui n’en lis point, j’ai lu Grantley Manor qui m'a plu, et surtout attaché. C’est un peu tendu.
Comme je ne lis jamais les journaux Allemands, je ne savais pas qu’ils fussent violents contre le Président. Mais je vois que faute de répression à Berlin, Tallenay vient d'adresser à ce sujet une note à la diète de Francfort. C'est faire une bien grosse affaire. Je ne doute pas que la diète me réponde, très convenablement ; mais après ? Gouvernements, ou amants les plaintes inefficaces ont mauvaise grâce.
On annonce l’arrivée à Paris du Marquis de Villamarina, comme ministre de Sardaigne en remplacement de M. de Collegno. S'il vient, vous ferez bien de l’attirer chez-vous. C’était autre fois un homme d’esprit. Il y a longtemps à la vérité.
Pauvre Anisson qui est venu mourir subitement à Dieppe. C’était un bon et honnête homme, aussi honnête que laid. Ce sera un chagrin pour Barante.
Quel volume ! Presque comme si nous causions. C'est bien différent pourtant. Adieu. en attendant la poste, je vais faire ma toilette.

11 heures
Je n'ai plus de place que pour adieu. Adieu. G. On m'écrit que le Sénat sera convoqué pour le 20 novembre.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Jeudi 23 sept. 1852

Je trouve le discours du Président à Lyon très bien fait, le meilleur qu’il ait fait. On ne tire pas mieux parti de sa situation et de son nom. On ne fait pas mieux servir les faits passés aux intérêts présents. Toutes les paroles répondent à des dispositions instinctives du peuples, réelles et bien comprises. Je n’y vois qu’une faute ; c’est la malice contre la légitimité à propos de la statue équestre de Napoléon. Cela n’est ni grand, ni juste. Le gouvernement de Juillet a remis la statue de Napoléon sur la colonne de la place Vendôme, et Napoléon lui-même sous le dôme des Invalides. Cela vaut bien une statue équestre. J'étais ministre à l’une et l'autre époque et j’ai bien le droit de dire que jamais gouvernement ne s’est plus généreusement conduit envers la mémoire d’un prédécesseur dont les descendants restaient des rivaux. Cela m'amuse de prendre, en ceci, fait et cause pour la légitimité et de reporter sur elle le mérite des actes du gouvernement de Juillet. Mais je n’ai pas tort.
Au fond, ce n’est pas contre la branche légitime seulement, c’est contre les deux monarchies précédentes, contre toute la maison de Bourbon que l'allusion est dirigée, et là est l'injustice comme l’artifice ; à cela près, le discours est habile et a très bon air.
Voilà la guerre commerciale engagée entre la France et la Belgique. On vient. de doubler les droits d’entrée, sur les houilles et les fontes belges. La nouvelle négociation a donc tout-à-fait manqué. Cela peut devenir sérieux. Mais rien ne devient sérieux maintenant, rien du moins de ce qui peut aboutir à la guerre.
Je vous parle toujours des Feuilles d’Havas. Je suis frappé d’un petit article que je trouve dans celles d’hier, pour prendre le parti du Duc de Wellington contre les journaux qui l'ont attaqué, en attaquant l’article de l'Assemblée nationale. La défense est très convenable, de fond et de ton. On veut évidemment n'être point responsable des mauvais procédés et du mauvais langage envers l’Angleterre.
Vous ne lisez plus le Journal des Débats. Faites-vous lire pourtant, dans le numéro d’hier mercredi, un article de M. St Marc Girardin sur les Mémoires de Mallet Dupan. Très sensé, très spirituel et très piquant. Avez vous lu, ou du moins parcouru ces Mémoires de Mallet Dupan ? C'est, sans aucune comparaison, ce qui a été écrit de mieux sur la Révolution Française. C'est la vérité vue et entendue au milieu de la fumée et du bruit du canon.
Je ne vous parle que de discours et de journaux, et c’est à votre santé que je pense surtout. J'espère avoir ce matin de vos nouvelles, par vous et que vous me direz que vous recommencez à manger. Adieu, en attendant je vais faire ma toilette.

Onze heures
Voilà une lettre qui me fait bien plaisir. Mangez et dormez. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 8 sept 1852

Dites-moi précisément quel jour Aggy part pour son petit voyage. J’irai passer avec vous trois jours pendant son absence. Je veux voir par moi-même comment vous êtes et me donner, nous donner ce rafraîchissement dans le cours d’une si longue séparation. Je puis faire cela la semaine prochaine. J’attendrai après demain vendredi votre réponse pour fixer le jour de mon départ. Ce sera un charmant plaisir.
Je m'étonne que le Président ne soigne pas Cowley autant que Hubner. Il compte sans doute davantage sur la complaisance, de l’Autriche pour sa grande affaire ; mais il a besoin aussi de celle de l'Angleterre, et je ne la crois pas inabordable.
Ce que vous me dites de Lord Cowley quant aux chances de l'avenir n’est probablement pas son sentiment à lui seul dans son gouvernement. La politique anglaise est peut-être, de toutes celle qui vit le plus dans le présent. Le Cabinet actuel d'ailleurs n'est guère en état, ni en disposition d’aller au devant d’aucune difficulté, il les éludera tant qu’il pourra et n'en créera à personne pour ne pas s'en créer à lui-même.
Le journal des Débats répond à ma question ; il annonce le rappel du ministre de France à La Haye, le petit d’André, si je ne me trompe. Je doute que cela fasse revenir les Chambres hollandaises, au traité sur la contrefaçon. Ce seront de mauvais rapports inutiles.
Mad. Kalerdgi manquera à l'Elysée et à M. Molé. Il a le goût des comédiennes Mad. de Castellane valait mieux que celle-ci. Elle était capable de dévouement. Je doute qu’il en soit de même de Mad. Kalerdgi. Passe pour le dévouement d’un jour ; mais la dévouement long exclusif, non. Mad. de Castellane, il est vrai n’avait pas commencé par ce dévouement-là ; mais elle y était venue. C'est quelque chose.
A propos de Mad. Kalerdgi, Piscatory me revient à l’esprit. J’ai eu de ses nouvelles il va mieux. Il a eu une forte esquinancie mais il a une de ses filles assez gravement malade, ce qui le tourmente beaucoup. Il a du cœur. Il se tient parfaitement tranquille entre ses enfants et les champs.

Onze heures
Je vous chercherai de vieux Mémoires. Ce pauvre Piscatory a perdu sa fille, une enfant de douze ans. Je reçois trois lignes de lui. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 19 sept 1852

Je suis impatient d'avoir de vos nouvelles ce matin, et de savoir ce qu'aura dit Chomel. J’espère qu’il aura un peu élargi votre régime alimentaire. Il faut certainement ne pas donner à votre estomac beaucoup de fatigue, puisque ce sont les organes digestifs qui sont souffrants et fatigués. Mais il faut aussi soutenir les forces de ces mêmes organes pour qu’ils puissent continuer leurs fonctions. Toujours de la politique de juste milieu, aussi indispensable que difficile, et aussi difficile, qu'indispensable.
J’ai parcouru hier soir les journaux que je n’avais pas vus tant que je vous voyais. Pur acquis de conscience, car il n’y a rien.
Lisez un petit roman, la Messe noire, dans la Revue contemporaine des 1er et 15 septembre. Assez intéressant mélange. des moeurs du Moyen- ge et des nôtres, d'un amour de la croisade et d’un amour de salon. Je ne sais si l'article de M. Vitet sur le Louvre vous intéressera. Il m’a intéressé. C’est une histoire du monument, de toutes les vicissitudes, et une discussion de son avenir. Très sensible et spirituelle. Peut-être un peu technique pour vous.
Je trouve ici des torrents de pluie. Je n’ai pas pu hier passer plus d’un quart d'heure dans mon jardin. La température est extrêmement douce.
Je vois que Lord Mahn sera l’exécuteur testamentaire du Duc de Wellington comme de sir Robert Peel. Cela le consolera un peu de n'avoir pas été réélu au Parlement. Lady Mahon était une des petites favorites du duc. N’y aura-t-il pas, pour le Président, quelque inconvénient au grand éclat du début de son voyage ? Nevers ne peut guères être surpassé, et il est difficile que ce niveau là se maintienne. La saison des fleurs est trop avancée ; il n’y en aura pas assez partout pour embarrasser les jambes de ses chevaux, et les empêcher de marcher.
J’ai des nouvelles de Barante qui me dit : " On est bien tenté, quand on a tiré les ficelles, de prendre les mouvements de Polichinelle pour des actes vivants ; c’est un grand danger. "

Onze heures
Ne vous inquiétez pas trop du changement de régime ; la politique de juste milieu ressemble souvent à la politique de bascule ; on se porte à droite après s'être porté à gauche, là, où le secours devient, pour le moment, nécessaire. Adieu, Adieu.
Je reçois une longue lettre de ce pauvre Sauzet. Quelle ombre ! Bien honnête, sensée et pompeuse. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 10 oct. 1852

Lisez, si vous avez des yeux et de la patience pour lire les discours adressés au Président par l’évêque de Carcassonne l'archevêque de Toulouse, et le premier président de la cour d’appel de Toulouse ; ils sont remarquables par la mesure politique gardée au milieu des expressions de la reconnaissance et de la louange. C'est le langage sincère et réfléchi d'hommes sérieux. Dans mes tristesses sur mon pays, je prends plaisir à rencontrer quelques actes, ou quelques paroles qui m’en soulagent un peu.
J’ai aujourd’hui, le plus beau ciel et le plus beau soleil possible. Je me promènerai. Il a fait froid cette nuit, de la glace. Je ferai rentrer demain mes orangers. Si le froid s’établit, nous aurons du beau temps. Nous avons depuis deux mois un temps aussi mauvais que triste. J’espère que celui-ci vous vaudra mieux. C’est un tonique. Mais prenez bien garde ne pas vous enrhumer.
Que signifie cette singulière ordonnance donnée sur la frontière de la Prusse Polonaise, que tout voyageur sera obligé de déclarer en entrant, combien il a d'argent et l’usage qu’il compte en faire ? C'est bien curieux. Est-ce une curiosité Prussienne ou Russe ? ce que j'approuve tout-à-fait et ce qui me paraît un bon petit symptôme de civilisation pacifique, c’est la convention conclue entre la France et les Puissants Allemandes, y compris la Belgique, pour la transmission des dépêches télégraphiques par un chiffre diplomatique pour chaque Puissance, connu seulement de chaque gouvernement et de ses agents au dehors. C'est la seule manière de rendre le télégraphe électrique praticable et utile pour les gouvernements. On se promet probablement qu’on devinera les chiffres étrangers. Mais il s'en faut bien qu’on y réussisse toujours.

Onze heures
Je ne vous dis qu'adieu. Je réponds quatre lignes à Aggy, très présomptueuses. J’espère que ma lettre d’hier lui aura fait quelque effet. Je veux y ajouter tout de suite ma réponse à celle que je reçois d’elle ce matin. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Dimanche 5 sept. 1852

Quand quelque chose vous empêche de m'écrire, faites-moi écrire je vous prie, deux lignes par Aggy ; non pour me donner des nouvelles, dont je me passerais fort bien quand même, il y en aurait, mais uniquement pour me dire ce qui vous empêche d’écrire, et comment vous vous trouvez ; c'est là ce que j'ai tous les jours besoin de savoir, et ce qui me préoccupe quand je ne le sais pas.
J’ai eu hier des visiteurs de Trouville, des Delessert, des Mallet, Hippolyte de La Rochefoucauld, une bande ; ils ont passé ici la matinée. Il y a beaucoup plus de monde, mais pas plus de nouvelles, à Trouville qu'au Val Richer. Il y a eu de la grande compagnie ; elle s'en est allée ou s'en va ces jours-ci. La quantité reste. Le Chancelier et Mad. de Boigne toujours centre le soir, sauf pour ceux qui vont danser au salon. Et toujours très intelligents sensés et causants.
Le 15 Août a été très brillant à Trouville ; illumination de toutes les maisons sur la plage, et celle de Mad. de Boigne très bien illuminée. Et le 26 Août, elle est allée à un très modeste service dans la petite église d'Hennequeville, pour la mémoire du Roi Louis-Philippe. Il y a du bon sens et du bon goût à concilier ce qui est dû aux souvenirs du passé et aux droits du présent, au pouvoir qu’on a servi et aimé et au pouvoir qui maintient l’ordre au profit de tous. Il n’y a pas, dans ce pays-ci, beaucoup de gens qui sachent faire cette conciliation-là.
Voilà, M. de Persigny qui a repris possession de son portefeuille. Est-ce qu’on ne dit rien de l'objet de son voyage à Londres ? Il me revient qu’en dépit des articles du Times et du Moniteur, l’intelligence est très bonne entre le Président et le gouvernement Anglais, et que s’il avait à recevoir de là quelques bons offices, on les lui rendrait volontiers.
Il me revient aussi que la situation de Fould, même en son absence, devient de jour en jour meilleure. On dit, par exemple, qu'aucun ministre n’est plus admis à envoyer au Moniteur un communiqué sans l'avoir fait passer par le Ministre d'Etat. Dans le gouvernement tel qu’il est constitué aujourd'hui, c’est très sensé.
Le vote du Conseil général des Hautes-Pyrénées que Fould présidait, à dû plaire au Président. C'est à la fois le plus positif et le plus large. Quand, M. de Nesselrode, doit-il rentrer à Pétersbourg ?
Je suis impatient de savoir quelles conséquences auront les ouvertures faites à votre fils Paul et les bontés de l'Impératrice pour lui. Je crains un peu d'humeur et de jalousie ministérielle. Le bon vouloir du pouvoir le plus absolu est bien aisément distrait ou entravé.
Avez-vous entendu dire que la Constitution avait été sur le point, il y a quelques jours d'être suspendue pour deux mois, à propos de son article, très inconvenant, il est vrai, sur le duc de Parme ? Antonini s'en est plaint, avec raison. Le Constitutionnel s’est excusé comme il a pu, et on s’est contenté de son excuse publique. Mais il a eu peur. C’est probablement, pour vous une vieille histoire.

Onze heures
Merci de votre lettre. Je suis bien aise que la restauration de M. de Lamartine vous amuse. Je vous chercherai quelque autre lecture. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 7 nov. 1851

Le message est profondément médiocre. Mais je ne crois pas du tout que ce soit un manque de dédain pour l'Assemblée. C’est tout bonnement de la médiocrité naturelle. Les articles du Dr Véron valaient mieux. Je ne trouve pas non plus que Berryer ait bien conduit sa première attaque. Il a été long, confus et hésitant. Mais si j'étais à Paris, je ne dirais pas cela. L’esprit de critique nous domine, et nous sacrifions tout au plaisir de tirer les uns sur les autres. Sur la physionomie de ce début, je crois moins que jamais à de grands coups, de l’une ou de l'autre part. On ne disserte pas si longuement et si froidement, au moment de telles révolutions. Elles sont précédées, ou par de grands signes de passion ou par de grands silences. La montagne épousant systématiquement le Président et sa mesure, cela est significatif et pourrait devenir important. Je doute que cela tienne. Le Président n'en fera pas assez pour eux et ils ne seront jamais pour lui ce qu’il veut, sa réélection. Chacun finira par rentrer dans son ornière.
J’ai mal dormi cette nuit, pas tout-à-fait par les mêmes raisons que vous. Je cherchais deux paragraphes de ma réponse à M. de Montalembert. Ils m'ont réveillé à 2 heures ; je les ai trouvés, je me suis levé, je les ai écrits, et je me suis recouché, pour mal dormir, mais pour dormir pourtant.
Le froid commence. Il gèle fort la nuit. Je vois fumer en ce moment le tuyau de ma serre. Il n’y a plus de fleurs que là. Il est bien temps d'aller retrouver ma petite maison chaude. Je ne vous écrirai plus que trois fois. Je voulais porter d’ici à Marion une belle rose en signe de ma reconnaissance. La gelée me les a flétries. Elle a bien raison d’ajouter à votre lettre des détails sur votre santé. C’est un arrangement excellent, et dont je la remercie encore.
J’ai fait ces jours-ci quelque chose d'extraordinaire dans mes moments de repos, et pour me délasser de mon travail. J’ai lu deux romans, David Copperfield de Dickens et Grantley Manor, de Lady Georgina Fullerton. Le premier est remarquablement spirituel, vrai varié et pathétique ; plein, seulement de trop d'observations et de moralités microscopiques. Le commun des hommes ne vaut pas qu'on en fasse de si minutieux portraits. Pour mon goût, j’aime bien mieux le roman de Lady Georgina, la société et la nature humaine élevée, élégante et un peu héroïque ; mais elle a l’esprit bien moins riche et bien moins vrai que Dickens. Qu'est-ce que cela vous fait à vous qui n’avez lu et ne lirez ni l'un, ni l’autre.

Onze heures et demie
Décidément mon facteur vient plus tard ; mais peu m'importe à présent. Adieu, Adieu. Je voudrais bien que vous ne violassiez pas trop les règles de Chomel. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 5 Sept. 1851

Je vois dans les feuilles d’Havas que M. Carlier a livré à la justice un grand complot, qui a des ramifications à l'extérieur comme à l’intérieur, et que déjà 47 personnes sont arrêtées. Que dit-on de cela ? En parle-t-on sérieusement ? Est-ce une préface ? Les Montagnards ont l’air en grande fermentation. L’air, ce me semble, plutôt que la réalité. Ce sont des conspirateurs aussi alarmés qu'obstinés. Si le voeu des conseils généraux pour la révision va comme il paraît, presque à l'unanimité, ce sera un fait grave, et qui pèsera beaucoup sur tout le monde. Dans ce pays-ci, ce voeu a été exprimé sans contestation et sans confiance ; le conseil général a à peine discuté ; le public en veut aux adversaires de la révision sans espérer beaucoup de la révision même.
Ce qui me revient du Général Changarnier est tout-à-fait conforme à ce que vous m’en dites. Voulant être porté, promettant qu'après, il fera tout ce qu’on peut désirer, mais ne voulant, rien faire avant. Je comprends cette attitude quand il était employé par le gouvernement et à la tête de l’armée. Mais à quoi lui sert-elle aujourd’hui ? Si je suis bien informé, la candidature du Prince de Joinville dans le Finistère a peu de chances, et on y renonce. Mais on renonce si peu à le faire élire représentant qu’il est question de la démission d’un député du département de la Somme, en remplacement duquel l'élection du Prince de Joinville serait certaine. On s’en occupe sérieusement à Amiens, et on attend des réponses de Claremont.
Voilà la Duchesse de Montpensier accouchée. Rien ne retiendra plus le Duc d’Aumale à Séville et la délibération de famille, pourra bientôt avoir lieu.
J’écrirai à Lord Aberdeen, quand j'aurai lu sa lettre Je viens d'achever la lecture de celles de Gladstone. C’est un honnête homme qui croit sincèrement ce qu’il dit, mais qui croit bien légèrement ce qu'on lui dit, et qui dit bien inconsidérément ce qu’il croit.

10 heures
Je vais lire le Constitutionnel. L’inconvénient des meilleurs articles, c'est qu’ils fomentent la polémique, engagent les amours-propres et rendent les hésitations et les retours presque impossibles. Adieu. Adieu.
Vous avez raison de vous faire traîner pendant les heures, ou il y a encore du soleil. La Redorte et Montebello ont raison de soutenir, et il ne faut pas qu’on soit du même avis pour rien. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 9 août 1851

Montebello m'écrit d'Angoulême où il est allé conduire son fils aîné pour les examens de l’école de Marine. Le pauvre homme est encore sous le coup des inquiétudes qu’il a eues pour sa femme ; il m’en parle avec terreur. La maladie aigüe est guérie, mais il lui reste mal au foie et des crises presque intermittentes qui la font beaucoup souffrir, et qui dureront probablement jusqu'à ses couches prochaines. Montebello compte toujours aller à Claremont vers la fin de ce mois. Il a vu me dit-il à Angoulême le Général de La Rue, inspecteur général de la gendarmerie, homme d’esprit, que je connais beaucoup, et dont le jugement a de la valeur. Le général qui vient de parcourir beaucoup de départements en rapporte l'impression qu'il n’y a et qu’il n’y aura, pour la Présidence, que deux candidats sérieux Louis Napoléon et Ledru Rollin.
En attendant la candidature du Prince de Joinville éclate tout-à-fait. L’ordre est à lire désormais puisqu’il se déclare le moniteur des Régentistes. La conduite me paraît bien peu habile. Le Roi Louis-Philippe n’a jamais voulu se laisser conduire par Thiers. Sa famille, apprendra probablement, après sa mort, combien il avait raison. M. de Lasteyrie dit que M. le Prince de Joinville accepte la candidature, et il en promet, aux uns la fusion, aux autres le contraire. C’est un jeu qui ne comporte pas la durée, ni la publicité. En attendant l'élection, à la Présidence on sonde Paris pour une élection du Prince à l'Assemblée, en remplacement du général Magnan. Mais les coups de sonde ne réussissent pas. Manœuvre pitoyable. C’est bien assez d’une abdication. Est-ce qu’on fera passer tous les Princes par cette même porte ? MM. de Lasteyrie et de Rémusat sont furieux de n'avoir pas été portés par la majorité à la commission de permanence. Et très tristes d'avoir échoué par la minorité. Vous aurez vu, dans la Patrie, la réponse du Président au coup qu'on lui a porté à propos de ses projets d'emprunt à Londres. On avait fait grand bruit d'avance de ce coup-là. Il me paraît que même le bruit ne sera pas grand.
J'ai reçu une nouvelle lettre de mon ami Croker qui insiste encore pour que j'aille le voir à Alverbank quand j’irai à Londres. Il ajoute : " And now let me ask another favor of you. Some one has set about à story that George the IVth had endeavoured to sell the Royal Library (which was afterwards given to the British Museum) to the Emperor of Russia, and Madame de Lieven is quoted as the authority for this statement. I never before heard of any such idea, and I wish you would ask Madame de Lieven with my compliment and best regards, if she can tell me any grounds for such a rumour. I am curious to know how, il such a thing ever happened, it has escaped either my memory or my knowledge, for I had the honour of a good deal of George IV confidence on such matters, though he did not often follow my advice. » Pouvez-vous satisfaire la curiosité de Croker ?
J'ai aussi ma curiosité. Je voudrais savoir qui dit vrai, de l'Assemblée nationale, ou de Lord Palmerston, sur les notes ou lettres venues du nord aux cours de Naples, de Florence et de Rome. Le Journal est bien positif ; et le Ministre a bien l’air de mettre dans sa dénégation un subterfuge. Je suis charmé que vous ayez retrouvé Marion. Il est bien juste que le Prince de Metternich règne un peu au Johannisberg. Je ne sais si ses successeurs feront mieux que lui, mais il ne paraît pas qu’ils puissent faire autrement.
Si vous pouvez à Schlangenbad, à Ems ou à Francfort vous procurer le dernier numéro de la Revue des deux mondes (1er août), faites-vous lire l'article de M. Cousin sur Madame de Langueville. Il y a bien à dire ; mais c’est très agréable spirituel et curieux ; avec un ton tantôt de rigidité pieuse, tantôt de désinvolture aristocratique auquel la vérité manque également dans l’un et dans l'autre cas mais qui a de l’élévation et de la grâce. Cela vous intéressera et Marion aussi.

10 heures
Adieu. C’est tout ce qui me reste à vous dire, et ce qui me plaît mieux que tout ce que je vous ai dit. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 6 mars 1851

L’article du Constitutionnel est en effet très remarquable, et celui de l’Univers peut-être encore plus. Armand Bertin doit être bien perplexe. Je crains beaucoup qu’il ne finisse par tomber du mauvais côté. Par camaraderie et par faiblesse plutôt qu'avec confiance et par goût. Même dans ce cas, je doute fort qu’il prête un appui bien énergique et bien actif. La désapprobation percera à travers l'apologie. De tout ceci, quoi qu’il arrive il restera toujours un grand mal ; une recrudescence de désunion et d'aigreur dans les partis monarchiques, et des Princes très compromis et affaiblis. Si la République était viable, elle aurait bien des chances de vivre. Étrange pays où il se fait au même moment des mouvements en sens contraires ; c’est au moment où, dans l’Assemblée et dans les Conseils Généraux, les deux grands camps monarchiques, se rapprochent, et agissent ensemble, que dans la région princière, l’esprit de division et de politique égoïste pénètre et prévaut. M. Royer Collard disait souvent, en parlant de Thiers : " Ce sera l'homme fatal de la Monarchie de Juillet, et si on le laisse faire de la France ! Nous verrons si la seconde moitié de la prédiction s'accomplira. J'espère toujours que non.
Est-ce que vous n'avez pas revu le Général Changarnier. A part l’intérêt positif, qui est grand, il y a, dans cet homme, un problème qui excite vivement ma curiosité. S’il était vraiment sincère et décidé dans ce qu’il nous dit, il y aurait un grand parti à tirer de lui, précisément dans le trouble actuel.
Qu’entendez-vous dire de la Belgique depuis que la loi sur les successions directes a été rejetée par le Sénat ?
J'irai le 16 ou le 17 passer huit ou dix jours à Broglie. Tout ce qui me revient de la disposition du duc en bon ; s’il n'est pas décidé pour le bon côté, il l’est tout-à-fait contre le mauvais.
Je viens de lire les deux volumes d'Histoire de la Restauration de M. de Lamartine. Grand pamphlet politique comme l'histoire des Girondins. D'abord pour gagner de l'argent, puis pour faire de l'effet théâtral, puis, pour servir à la situation personnelle de l’auteur, puis pour nuire à la Restauration comparée à la République, puis pour nuire surtout à la Monarchie de Juillet comparée à la République et à la Restauration. Grande profusion d’esprit et de talent sur un chaos continu de vrai et de faux. C'est certainement un homme très remarquable. Il a l'abondance et l'éclat. Il se promène magnifiquement à la surface des choses. Au fond, artisan de désordre. Je crois pourtant qu’à tout prendre ce livre-ci fera plutôt du bien que du mal. Mais s’il le continue sur ces dimensions là, il fera vingt volumes.

10 heures
L’article de ce matin dans les Débats me plaît fort. Il éluderont la polémique, au lieu de l'y enfoncer, et je suis charmé que ma conversation y soit répétée. J'étais bien sûr que j’avais raison de parler. Je ne concevais pas mon silence. Adieu. Adieu. Je vous dirai ce que j'écrirai à Lord Aberdeen. Mais le Prince de Schwartzenberg à tort de dire de lui ce qu’il en dit ; il ne faut pas jeter ainsi le manche après la cognée à la tête de ses amis. Adieu G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Mercredi 20 août 1851

Vous n'aurez ce matin que quelques lignes. Je suis pris d'une violente, migraine. Je viens de me promener trois quarts d'heure dans le jardin pour voir si le grand air la dissiperait ; mais l’air, qui est pourtant charmant, n’y fait œuvre. Je crois que je vais m'étendre sur mon lit. Il n’en sera plus question ce soir. Elles étaient bien plus fréquentes autrefois. Avec beaucoup de plaisirs l’âge emporte aussi quelques ennuis.
Vous ne lisez pas l’Univers ; il conterait ces jours-ci une lettre à Gladstone, très médiocre d’esprit et de forme, mais qui lui donnait, sur quelques uns des faits qu’il a affirmés, des démentis précis et frappants ; par exemple 1800 prisonniers dans les prisons de tout le Royaume de Naples, au lieu de 20 à 30, 000. Et le nom de chaque prison, et le nombre des détenus dans chaque prison, y sont énoncés. Le Roi de Naples et les agents ont grande raison de multiplier les renseignements. Il devrait faire offrir à M. Gladstone de revenir les vérifier lui- même.
Vous vous étiez promis des merveilles de mes lettres écrites de Paris. Vous n'y aurez pas trouvé grand chose. Je n’avais trouvé moi-même à Paris que bien peu de chose. Je n’ai eu rien de mieux à vous envoyer. Je crains bien que ma course en Angleterre ne jette, pour vous comme pour moi, un peu de trouble dans notre correspondance. C’est très ennuyeux. Je ferai tout ce que je pourrai pour l’éviter. Adieu, Adieu.

Je vais réellement me mettre sur mon lit. J’ai la tête lourde, et le cœur barbouillé. Adieu. Je ne fermerai pourtant ceci qu'après avoir reçu mon courrier.

10 heures
Je vous ai écrit mardi matin une longue lettre. Je ne comprends pas ce retard. Votre poste de Francfort est insupportable, et je ne mérite aucun reproche. Je ne vous ai pas écrit le dimanche 10, en arrivant à Paris, parce que ma lettre écrite au Val Richer la veille 9, partait de Paris pour Francfort précisément ce même jour Dimanche 10. C'était donc deux lettres qui vous seraient arrivées le même jour. Peu aurait importe si j’avais eu quelque chose de nouveau à vous dire. Mais je n'avais rien. Je suis très contrarié de votre ennui. Vous aurez certainement eu ma lettre du mardi 12, écrite en partie le lundi, tard en partie le mardi matin. Adieu, adieu.
Adieu, dearest. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 18 sept 1850

Je lis Peel and his times. Ce serait trop long pour vous, trois gros volumes ! Votre impatience étoufferait votre curiosité. Mais c'est dommage ; toute l'histoire de votre temps en Angleterre. Peel est entré dans le Parlement, en 1809 et dans les affaires en 1812, au moment de votre arrivée à Londres. Le livre est fait avec simplicité, et bon sens, libéral modéré, comme Peel est devenu à la fin. Le point de départ était bien loin de là et les phases de la transformation sont curieuses à observer. Je vis avec Lord Liverpool, Lord Castlereagh, M. Canning. Vus ainsi de loin et dans l’histoire, les deux premiers font moins grande figure que dans votre conversation. Le pouvoir, même habilement et heureusement exercé, ne suffit pas pour placer un homme bien haut dans la mémoire des hommes ; il faut absolument avoir eu de l'éclat par quelque côté, par la pensée, par l'imagination, par le caractère, par la parole, il importe peu quelle grande qualité, mais une qualité first rate, qui mette un homme à part entre ses contemporains. L'histoire ne laisse à leur rang que ceux-là. Canning a cet honneur. Peel aussi l’aura, à des titres bien différents. Lord Liverpool et Lord Castlereagh, meilleurs ministres de leur temps peut-être descendent à mesure que leur temps s'éloigne ; ils n'avaient rien de ce qui est beau et grand dans tous les temps.
Savez-vous s'il est vrai que M. le Duc de Nemours et les Princes ses frères aient écrit au général Changarnier pour le remercier de la messe des Tuileries ? Ils ont eu fort raison, s'ils l’ont fait et j’avais eu tort, moi de ne pas songer à le leur conseiller. Je serais bien aise d’être sûr qu’ils l’ont fait.
L'article que j'ai lu hier dans le Constitutionnel est certainement de M. Granier de Cassaignac. Je me rappelle qu’il est venu me voir, il y a quelques semaines, dans je ne sais plus quel de mes passages à Paris, et que je lui ai dit une grande partie des choses qui sont là. Il s'est évidemment souvenu et prévalu de cette conversation.
Je vous quitte pour ma toilette. Je vais ce matin faire une visite à dix lieues d’ici chez M. de Banneville. J’avais deux visites lointaines à faire. J’en serai quitte. Il faut que je parte à 9 heures tout de suite après l’arrivée de la poste. Nous avions depuis quinze jours un temps admirable. Ce matin, un grand brouillard, mais de ces brouillards que le soleil dissipe quand il est bien levé. Je compte sur le soleil. J'ai beaucoup perdu de mon optimisme pour les grandes choses ; il me reste encore pour les petites.

9 heures
Voilà votre lettre. Adieu. Je pars. Adieu Adieu. Je suis fort aise de l'accueil fait à Piscatory à Claremont. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 17 Juillet 1850
Sept heures

J’ai aussi mes ennuis, que je ne compare pas aux vôtres. Je mène aujourd hui Pauline faire à Lisieux ses visites de noce. J'ai déjà fait cette corvée avec Henriette, heureusement, beaucoup de personnes sont à la campagne.
La loi de la presse est une mauvaise affaire. Je doute qu'elle passe. Au dernier jour, toute la montagne et le tiers parti, qui ont voté pour les amendements, voteront contre la loi, avec tous les mécontents et tous les timides du parti modéré, légitimiste et conservateur. Et si elle passe ce sera encore une mauvaise affaire. L’assemblée se sera brouillée avec la portion bruyante, et parlante de son propre public, avec les gens qui se sont battus pour elle, dans les départements comme à Paris, avec les honnêtes comme avec les malhonnêtes avec les sages comme avec les fous. Cela ne se peut pas. On retrouvera cela au jour des élections. Il faut avoir une armée, et des sous-officiers dans cette armée, et des braves, quelques fois embarrassants et compromettants, parmi ces sous-officiers. Je crains que nos amis les Burgraves n'aient fait là une mauvaise opération, et que cette loi ne coûte beaucoup plus qu’elle ne vaut. A moins qu'elle ne vaille à l'un d'eux les bonnes grâces de Mad. Kalergi. Mais je ne suppose pas ; n’est-elle pas toujours radicale ?
Je trouve que c’est beaucoup d'appeler la mort du Duc de Cambridge une catastrophe. A cela près que celle-là est connue de tout le monde, il n’y a guère de mort plus insignifiante. Comme sa vie. Du reste j'ai été bien aise de voir les témoignages de respect officiel pour son nom et sa veuve, les discours, les adresses du Parlement et du public. Tout respect est bon et devient presque d’autant plus frappant que la personne n’y entre à peu près pour rien.
Peu ou beaucoup, je suis bien aise que vous ayez Constantin et sa femme. Ce sont des soins, si ce n’est pas de la conversation. On me dit, quoiqu’il me dise lui-même le contraire, que Duchâtel n’ira pas en Allemagne. C'est assez pour lui de prendre les eaux de Carlsbad à Paris et il est plus préoccupé de sa propre santé, qui est bonne, que de celle de sa femme qui me paraît, à moi, très inquiétante. J'ai peur qu’il n'aime vraiment que lui-même. Avec sa disposition à s'ennuyer, c'est bien lourd. La préoccupation de soi-même ajoute à l'ennui, bien loin d'en distraire. Savez-vous ce qu’il faut faire pour se désennuyer ? Relire les Mémoires de St Léonard. Moi qui ne m'ennuie pas, je fais cela le soir, et je ne m'en lasse pas. Je conviens qu’il faut avoir des yeux. Comment vont les vôtres ? S'ils vont assez bien, ne me le dites pas par ménagement. Je comprendrai votre silence.
Comment fait-on l'hiver à Ems, dans des maisons sans poêle ni cheminée ? Est-ce que personne ne vit là en hiver ?
Voici une note qui m'est fort recommandée par des gens que je serais bien aise d'obliger. Excusez le constitutionnalisme des deux premiers paragraphes. Je connais le Général Rybinski, brave homme, ce qu’il y a de plus honnête et de plus tranquille dans l'émigration polonaise. Il me semble que l'Empereur, n'est pas mal disposé pour lui et les siens. Il s'agit uniquement d'aider de pauvres jeunes filles à ne pas mourir de faim. Pouvez-vous, quand vous verrez Constantin lui en dire un mot, et pourra-t-il en dire ou en écrire un mot au Maréchal Paskéwitch ?

9 heures
Votre visite au Prince et à la Princesse de Lippe Schaumbourg Bückebourg met le comble à ma compassion. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 6 août 1851

Lisez quelquefois, je vous prie, la Chronique politique de l'Assemblée nationale signée Robillard. C'est, depuis quelque temps ce qu’il y a de mieux dans le Journal. J’y trouve aujourd’hui sur les Régentistes et leur journal l'Ordre, des réflexions pleines de sens et d'à propos.
Je souhaite que M. de Beroldingen ait raison dans tout ce qu’il vous a dit de l'Allemagne et que les masses aient, en effet fait leur expérience. Cela dépend des gouvernements ; quand ils se conduisent avec tact et mesure, les expériences profitent en effet aux masses ; quand les gouvernements abusent des expériences, les masses recommencent bientôt de plus belle et plus fort. Nous ne voyons pas autre chose depuis soixante ans.
Voilà encore deux élections qui viennent de se faire ici, l’une dans le nord, l'autre dans le Lot, et qui toutes les deux, ont tourné comme les quatre précédentes contre les Montagnards, et les pointus légitimistes réunis qui n'ont pu ni faire l'élection en y prenant part, ni la faire manquer en s'abstenant. Cela fait bien des échecs pour eux dans l’Assemblée, et au dehors. Si le plaisir du succès peut consolider l’union des conservateurs et des légitimistes sensés, ce sera excellent, [?] le Président en profitera le premier.
J’ai eu hier des nouvelles de votre ami M. Fould, à l'occasion d’une petite affaire que je lui avais recommandée, et qu’il a faite de très bonne grâce. Il m’écrit d’un ton content. Ce que vous me dîtes de l'absence de toute nouvelle directe à Frohsdorf, le 23, sur la visite à Claremont, est étrange. C'est bien le cas de dire légèreté française. Je vous demande la permission de mettre humain à la place de française, par amendement. Que d'anglais auraient fait une démarche semblable sans en rien dire, ni avant, ni après au premier intéressé.
Je commence à m'occuper de mon discours futur en réponse à M. de Montalembert. Sans connaître du tout le sien qui n’est pas fait, et qu’il m’apportera ici, m’a-t-il dit, vers la fin de septembre. Je n’écris pas un mot, comme de raison ; mais je lis ce qu’ont écrit M. Droz et M. de Montalembert mes deux sujets. Deux sujets bien divers, venus des points opposés de l’horizon, et qui ont fini par se rencontrer dans les mêmes sentiments sur toutes les grandes choses de la vie. Il y a de quoi bien parler. Dieu sait où nous en serons quand viendra cette séance ! Peut-être au milieu de l'élection d’une assemblée constituante. Cependant je ne crois pas ; je persiste à ne croire à rien jusqu'au printemps de 1852.
Ce que j’ai peine à croire, c’est que je ne désire pas vous retrouver dimanche à Paris, et que j'y aille pour ne pas vous y retrouver. Je n'ai encore point de nouvelle de Duchâtel depuis son retour, je suppose qu’il persiste dans son projet de visite à Claremont. Je saurai Dimanche si nous faisons ce pèlerinage à plusieurs. Montebello ni Dumon non plus ne m’écrivent. Il paraît que tout le monde est las de n'avoir rien fait et ne songe qu’à s'en reposer. onze heures J'espère bien que votre mal de tête n'est que de la migraine, et par conséquent un mal très passager. J'ai deux lettres de vous à la fois, du 1er et du 2. Adieu Adieu.
J’ai peur de n'avoir rien demain. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 30 Sept 1851

Ce que vous me dîtes de Mad. Gabriel Delessert m'étonne un peu. Je la croyais bien dans les eaux, sinon de Thiers au moins de M. de Rémusat ; et M. de Rémusat, d'après ce qui me revient est au moins aussi engagé que Thiers dans la candidature Joinville. Il n’y a pas moyen de se faire à présent une idée juste des chances de cette candidature ; trop de mois et trop d'incidents nous séparent des jours de l’épreuve. Si l'élection se faisait à présent, l'échec me paraîtrait certain. Qui sait dans sept mois ?
Entendez-vous mettre quelque importance à ce qui se passe en Belgique ? Il me paraît que le ministère Rogier gagne sa partie et qu’il aura un sénat plus traitable. Cela me semble mauvais. Mais après tout, je n‘ai pas envie que la résistance au mal commence en Belgique ; elle y serait trop aisément battue.
Vous devriez jeter un coup d'oeil sur la brochure de M. de Késatry, dont je trouve des extraits dans les Débats. Cela n'a guère d'autre mérite que celui d’une grande franchise ; mais c’est quelque chose. Le gros public qui m’entoure pense tout ce que dit M. De Késatry.
J’ai eu hier la visite de l'inspecteur des écoles primaires de mon arrondissement. Vous ne devinerez jamais pourquoi je vous en parle. Un homme de 40 ans, d'une assez jolie figure, l'air intelligent, un peu familier, très bavard après m'avoir parlé des écoles : " Jai vécu trois ans à Berlin, Monsieur, dans la maison d’un de vos admirateurs. - Qui donc, Monsieur ? - Chez le Ministre de Russie, M. le Baron de Meyendorff. J’ai achevé l'éducation de ses fils. " - Grands détails sur M. de Meyendorff, sur son esprit, sa prodigieuse instruction, sur son intérieur, sa femme, ses fils. J’ai peine à croire que mon inspecteur ait été là, un bon et convenable précepteur. Il s'appelle M. Lambert. Du reste on m'a dit du bien de lui et il s’acquitte bien, ici, de ses fonctions.
Je continue la lecture du Mémoire napolitain décidément, il a trop longuement raison. Je regrette Montebello pour vous. J'ai bien peur qu’un grand malheur ne l'attende. Il en souffrira beaucoup. Est-ce qu’il va établir sa femme à Tours pour l'hiver ?

Onze heures
Je crois tous les jours un peu moins au coup d'Etat auquel je n'ai jamais cru. Thiers est bien bon de s'amuser à avoir peur de Vincennes. C’est du luxe de peur.
Mes lettres ne m'apprennent rien du tout. J'en reçois une de Montalembert qui s’excuse de n'avoir pas encore terminé son discours, et demande un peu de répit. Ce qu’il voudra Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 23 Juillet 1850

Si je me guérissait de mes passions, les Assemblées, ne seraient pas la seule dont j’aurais à me guérir. J’aime mieux rester comme je suis. A tout prendre en France du moins, et depuis 1814, les Assemblées ont empêché plus de mal qu'elles n’en ont fait. Sans elles en 1830, et en 1848, le démon révolutionnaire aurait triomphé. Elles l'avaient bien un peu encouragé ; mais elles le lui ont fait bien payer après. Je viens de parcourir tous mes journaux. Je n’y trouve rien. La nomination de la commission permanente sera le dernier acte. Et puis nous serons trois mois sans assemblée. Je souhaite de tout mon cœur que nous soyons mieux dans trois mois qu'aujourd’hui. Je suis bien aise que l'article d’Albert de Broglie vous ait plu. Mais maintenez vos critiques. Je les trouve très justes.
L'homme aux mémoires est bien Saint-Simon. Quoiqu'il écrivit encore sous et sur la Régence, c’est le 17ème siècle qu’il raconte le plus. Louis XIV et sa cour. J'en lis tous les soirs 30 ou 40 pages, là et là à mes enfants. Cela les amuse parfaitement. Je n’ai pas lu les Sophismes en frustrade dont vous parle Marion. Si cela en valait la peine, je les ferais demander. J’ai demandé s'il y avait déjà quelque chose d'un peu complet sur Peel. On me répond qu'il y a un livre, publié, il y a deux ou trois ans par un Dr. Cooke Taylor " Sir Robert Peel and his Times." Vous n'avez surement par entendu parler de cela.
J’ai des nouvelles de Ste Aulaire. Il me dit qu’Horace Vernet, raconte que votre Empereur est toujours charmé de la République en France et surtout partisan zélé du général Cavaignac. C'est sa plus grande nouvelle. Vous voyez que je suis à peu près aussi stérile qu'Ems. Adieu. Adieu. Voilà enfin le soleil revenu. La pluie nous a accablés pendant quelques jours. Adieu. G.

Midi
Je rouvre ma lettre. Je viens d'avoir une visite qui me rend ma liberté pour le 6 août. J'irai donc vous voir à présent. Je partirai d’ici samedi prochain 27. Je serai dimanche matin, à Paris. J’en partirai le soir ou lundi matin pour Bruxelles et je serai à Ems mardi soir 30 ou mercredi Il. J’y passerai huit jours avec vous. Il faut que je sois à Paris, dans la journée du 11. Si Aberdeen vient à Ems, tant mieux. Sinon encore tant mieux. Grand plaisir que cette petite course. Adieu, adieu.
Soyez assez bonne pour m’assurer à Ems un petit logement. J’aurai avec moi un domestique, Adieu encore. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 7 Oct. 1851

Voici une lettre de M. de Carné qui n'est pas sans intérêt. Je voudrais que vous la fissiez lire au Duc de Noaille, s'il vient un de ces jours à Paris. Il est bon que les légitimistes voient combien le danger est réel, et ce qu'en pense un homme d'esprit, autrefois, un des leurs est devenu l’un des miens. L'expédient qu’il indique de l'Assemblée remettant la question de la révision au vote populaire n’est peut-être pas sans valeur. Renvoyez-moi, je vous prie cette lettre. Il faut que je réponde.
Dimanche 26 octobre, on inaugure à Falaise la Statue équestre de Guillaume le Conquérant. J’ai reçu hier du maire et de la commission municipale, l’invitation d'assister à cette cérémonie où se rendront tous les bons normands. Et on me demande d'y dire quelques paroles en l'honneur de Guillaume et de notre vieille histoire. Je ne puis pas refuser et cela ne me déplait pas. J'irai donc.
Ce ne sera pas loin du moment, très doux, où nous nous retrouverons. Que de choses nous aurons à nous dire ! On se dit bien peu, même en s'écrivant tous les jours. Je voudrais seulement avoir achevé, ou à peu près, mon discours en réponse à M. de Montalembert. Je m’en occupe, quoiqu'il ne m'ait pas encore envoyé le sien. J’espère que je le recevrai le 15, ou le 16 de ce mois.
Vous m'avez appris qu’il y avait au Français, des Demoiselles de St. Cyr. Je ne lis pas les articles Spectacles. J’aimerais mieux que vous vous fussiez amusée. Mon amusement à moi, depuis deux jours, c'est les Mémoires d’Outre tombe. J’avois besoin de revoir les détails de la brouillerie de M. de Châteaubriand avec M. de Villèle. Lecture attachante, quand même. C'est l'explosion désespérée d'un égoïsme malade qui n'ayant pas trouvé en ce monde la satisfaction d’un orgueil et d’une vanité incommensurables, a voulu se donner au moins en mourant le plaisir de les étaler sans gêne, sans la forme du dédain et du dégoût. Cet homme-là a dû beaucoup souffrir, autant qu’on peut souffrir ailleurs que dans le cœur car il avait bien peu de cœur. Mais infiniment d’esprit, presque grand, et de talent, toujours grand et brillant, même dans son déclin ; d'éclatants rayons du soleil couchant, dans un ciel sombre et triste.
Savez-vous qu'Alexis de St. Priest est presque mourant à Mâcon ?

11 heures
Adieu, Adieu. Votre solitude me pèse autant qu'à vous ; mais je pense comme vous que l'apparence de l'agitation stérile ne vaudrait rien du tout pour moi. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 1er octobre 1850
8 heures

On me dit et ce sont des Belges qui le disent, que la mort de la Reine Louise. fera beaucoup de mal au Roi Léopold. Elle est pour beaucoup dans sa bonne position, et on lui en veut beaucoup de n’être pas bien pour elle. On va jusqu’à dire que cela pourrait devenir grave et amener des manifestations populaires qui pourraient amener des événements. Les mœurs du Roi font un grand contraste avec la piété de la Reine. Le peuple Belge y est très sensible, en affection et en colère. Il serait bizarre qu’un trône, qui a résisté à l'ébranlement de l’Europe, fût ébranlé pour des fredaines de 50 ou 60 ans. Quel est précisément l’âge du roi Léopold ?

Je viens de me lever. Je lisais dans mon lit. Toujours Peel and his times qui m’attache extrêmement. Attachement triste par ses retours ! Nous avons fait pendant 30 ans de la politique qui valait bien celle-là avec des débats qui valaient bien ceux-là. M. Royer Collard revenu à son amitié pour moi, me disait peu avant sa mort : “ Vous vous faites beaucoup d’honneur; vous êtes le premier de votre temps et entre les premiers de tous les temps. “ Gardez-moi le secret de mes secrets plaisirs d'orgueil. Est-ce que tout cela doit aboutir au régime d’aujourd’hui. Est-ce là la fin ? Je ne le crois pas, mais quelques fois, je le crains. Je ne pense pas que je devienne superstitieux ; mais en tout cas, il y a de quoi devenir modeste ; on fait bien peu, même quand on fait bien, et il ne faut pas un bien grand vent pour tout emporter.

Onze heures
Les mêmes nouvelles nous arrivent en même temps. Votre lettre me dit ce que je viens de vous dire sur la Belgique. C'est triste et grave. Je pense sans cesse à la pauvre Reine de Claremont. J'espère qu'elle aura la satisfaction de voir encore sa fille. Pourquoi attend-elle ? Est-il vrai que la République ait témoigné à Bruxelles des craintes sur l’arrivée de la famille royale à Ostende ?
La joie à cause de la circulaire Barthelemy me paraît bien puérile. J’en doute un peu. Non pas qu'on l'ait manifestée, mais qu’on la sente réellement. On aura cru que la fusion devenait impossible, au moins que tout le public en France le croirait et le dirait. On aura voulu être de l'avis actuel du public ; sauf à avoir plus tard un autre avis si les évènements en suggèrent un autre. Suivre le vent, tous les souffles du vent, c'est l'habileté des habiles qui n’ont pas la grande ambition ni la grande habileté !
Voilà un horrible accident dans ma famille. Cette jolie petite Mad. de Vaines vient d'être horriblement brûlée. Son mari me donne les mêmes détails qui sont dans les débats. On espère la sauver mais sans certitude. On est à peu près sûr que, si elle est sauvée, elle ne sera pas défigurée. Pauvre jeune femme qui s'amusait de si bon cœur ! On est arrêté tout à coup dans le plaisir, comme dans la bonne politique. Adieu, Adieu.
Je vais aujourd' hui dîner à Lisieux malgré la pluie. Demain j'aurai du monde et de la conversation. Vendredi, 4, j'aurai 63 ans. Samedi 5 M. Hébert vient me voir avant d'aller à Claremont. Mercredi, 9, je vais à Broglie. Voilà mes affaires d’ici à huit jours. Adieu. adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 1er Nov. 1853

Tout est possible ; ma confiance n’est pas grande ; je reconnais avec vous que la raison est en déroute. Pourtant je ne crois pas à la guerre, à la vraie guerre. Je ne trouve pas que de la part de l'Angleterre du moins, rien en ait l’air. Vous oubliez un peu le prix qu’on met à vous inquiéter, pour que vos inquiétudes aillent à Pétersbourg et pèsent sur les impressions, et par là, sur les résolutions de votre Empereur. Je ne voudrais nuire en rien à cette petite manoeuvre, car moi aussi j’ai grande envie que votre Empereur se prête à ce qu’on lui demande. Il le peut sans perdre autre chose que le puéril plaisir de la taquinerie ou de la bravade ; la facilité qu’il montrera aujourd’hui ne changera rien à l'avenir de la Turquie ni aux destinés de la Russie. La question du fond est depuis longtemps décidée, et n'attend que son jour. Et comme votre Empereur n'est pas pressé, il peut attendre aussi, et en attendant maintenir la paix de l'Europe dans laquelle des questions bien plus grandes que la Turquie sont engagées. Si, pour le porter à cela vos inquiétudes sont bonnes à quelque chose, gardez-les. Mais quand je vous en vois réellement tourmentée, je laisse là ma diplomatie, et je les combats comme si elles ne servaient à rien.
Si j’en crois le Moniteur, vous n'êtes pas oisifs en Chine, et vous voir préparez à profiter là de la chute des Tartares. Encore un point sur lequel vous vous trouverez en présence des Anglais et des Américains. Dans un siècle d’ici, il ne restera plus sur ce globe un pays dont la race Européenne ne soit maîtresse. C'est juste.
J’ai bien fait de n'avoir pas à vous écrire hier ; vous m'auriez trouvé une bien mauvaise écriture ; j’avais les épaules tout-à-fait prises de rhumatismes. Les frictions ont fait leur effet. J’ai très bien dormi cette nuit, et je suis dégagé.
Avez-vous lu les Mémoires du comte Mollien et les extraits du Moniteur ne vous en donnent-ils pas quelque envie ? Vous passeriez les dissertations de finances ; il y aurait encore, dans les conversations avec l'Empereur, et les embarras intérieurs de son gouvernement, de quoi vous intéresser. Si vous vouliez les volumes, il sont dans ma bibliothèque à Paris ; mon fils, qui y retourne samedi, vous les ferait remettre.

Onze heures
Le facteur m’arrive au milieu de la toilette. Je suis bien aise que les diplomates ne fassent des notes, et très fâché que vous passiez des nuits blanches. Vraiment, si la guerre devait sortir de tout ceci il y a longtemps qu'elle aurait commencé, tant on a mal conduit les affaires de la paix. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Lundi 6 Oct. 1851

Avez-vous lu Baruch ? Baruch c'est l'article de M. Vitet sur M. de Barante et la Convention, inséré dans la Revue des deux mondes et répété dans l'Assemblée nationale. C'est excellent. Je n’ai rien lu de meilleur ni qui fasse justice plus ferme et plus claire de tous les révolutionnaires, passés ou présents, acteurs ou historiens de révolutions. C'est un peu long pour vos yeux. si vous ne l’avez pas lu, priez Marion de vous le lire ; elle y prendra plaisir comme vous.
Les légitimistes ont raison dans les deux résolutions qu'ils ont prises et ils feront bien de prendre la troisième, celle de voter pour le président tant que le rétablissement de la monarchie par la fusion ne sera pas possible. Monarchiques dès que cela se pourra, et gouvernementaux au profit de l’ordre, et de la paix tant que cela ne se pourra pas, voilà leur rôle. Rôle qui non seulement convient à leur intérêt de parti, car il leur épargne l’échec définitif et empêche qu'on ne leur souffle la Monarchie ; mais qui les met en sympathie et en bons termes avec la masse de la population, ce dont ils ont grand besoin. La France est monarchique au fond, et gouvernementale en attendant ; que les légitimistes soient comme elle, c'est, pour eux, le meilleur; moyen d'amener la France à être un peu comme eux ; ce qu’il faut absolument pour que la fusion et la Monarchie deviennent possibles. Que dit-on de la reculade de Thiers dans l'ordre ? Ce n'est pas lui qui a eu la pensée de la candidature du Prince de Joinville ; il ne l'a pas conseillée ; il n'en accepte pas la responsabilité. Je le reconnais bien là ; étourdi et irrésolu, téméraire et timide, ne poursuivant jamais, dans les mauvais pas les lièvres qu’il a levés. Reste à savoir si cette reculade est une manœuvre calculée ou un mouvement de retraite par embarras.
Henriette me quitte aujourd'hui et partira le 16 de Paris pour Rome. Seriez- vous assez bonne pour demander, de ma part, à M. de Hatzfeldt, s'il pourrait donner à M. de Witt quelques mots de recommandation pour M. d'Usedom qui est toujours, je crois Ministre de Prusse à Rome, et qu’on dit homme d’esprit. Ma fille, très bonne Protestante comme vous savez, désire avoir à Rome quelques connaissances protestantes surtout dans la légation de Prusse qui a à Rome une chapelle. Je donnerai à M. de Witt une lettre pour Garibaldi qu’il ira lui porter lui-même pour en avoir quelque appui auprès de la douane de Civita Vecchia, qui est, dit-on, assez difficile. Ils comptent vivre à Rome très retirés ; mais encore faut-il faire entrer ses malles et y pratiquer sa religion sans embarras. Vous serait-il possible de savoir où sont à présent, le Duc et la Duchesse de Mignano ? S'ils étaient à Rome, la Duchesse serait pour ma fille une ressource. Mais j’en doute. Onze heures Je n’ai rien de plus à vous dire qu'adieu, en attendant mieux. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 4 oct 1849
2 heures

Je ne puis croire à cette guerre ; à moins que votre Empereur n'ait un parti pris de la vouloir, ce que je ne crois pas. Je ne pense qu'à cela et j’arrive toujours à la même conclusion. Ils s’évaderont. Je vois déjà dans un journal de ce matin, que Kossuth s'est évadé. Ce n’est probablement pas encore vrai. Cela deviendra vrai. Faire la guerre parce qu’ils se seront évadés, pour en punir la Porte comme un geôlier négligent ou vendu, est impossible. Certainement si l’Angleterre soutenait effectivement la Porte, la France en ferait autant. Peut-être même, ici, n'en serait-on pas fâché. Une occupation qui serait distraction. Ce pays-ci s’inquiète des francs jamais des millions. Il déteste de donner de l'argent ; mais il aime à le jeter par les fenêtres. Je ne peux me résoudre à examiner sérieusement l’hypothèse où vous ne pourriez habiter ni Londres, ni Paris. Naples, si une fois vous y étiez arrivée aurait, pour l’hiver le mérite du climat. Bruxelles serait froid, mais sûr. La Belgique resterait neutre. Et au moins aussi bonne compagnie à Bruxelles qu'à Naples. Et bien plus près. J’en parle parce que vous m'en parlez. Je répète encore que je n'y crois pas. Mais il résultera de cette affaire-ci une situation bien plus accentuée, comme on dit aujourd'hui, en Europe ; la Russie et l’Autriche d'un côté, la France et l’Angleterre de l'autre, la Prusse entre deux, penchant géographiquement du premier côté, moralement du second. C’est très mauvais. L’Europe coupée en deux c'est de l'encouragement et de la force pour les révolutionnaires de tous les pays. Il ne se peut pas que l'Empereur ne voie pas cela. Certainement si cette guerre éclatait l'Italie et la Hongrie recommenceraient. Et Dieu sait qui les imiterait. Il ne faut pas ouvrir de telles perspectives. Pour la troisième fois, je n'y crois pas. Vous viendrez bientôt à Paris. Mais il est clair, qu’il faut attendre un peu pour y voir plus clair. Avez-vous remarqué dans les débats d’hier 3, la lettre de [Bucha?] ? Assez piquante probablement du vrai. La réponse napolitaine à Lord Palmerston est très bonne. Peu lui importe. Il veut. s'afficher Protecteur de la Sicile. Par routine et par mauvais esprit. Le même partout et toujours. C’est un spectacle qui m'ennuie. Je ne lis pas les Mémoires d’Outre-tombe. C’est vous qui me faisiez lire ces frivolités-là, Outretombe, Raphael. Quand je ne vous ai pas, je ne me doute pas qu'elles paraissent. Je vais demander les passages où il est question de vous. J’ai eu la brochure de M. Dunoyer. Honnête homme, lourd et courageux. Plein de pauvres idées, et d’erreurs de fait sur les journées même de Février, mais beaucoup de sens et de bonne hardiesse sur la situation générale d’à présent. Je n'ai rien du tout de Paris. Ce silence absolu et la nullité des premières séances de l'Assemblée me font croire qu’il se brasse quelque chose. On se tâte, on se prépare, on doute, on projette tout bas ; et en attendant on se tient coi. Je ne crois toujours à rien de plus gros qu’à une modification du Cabinet.
Onze heures et demie
Voici votre lettre. Je persiste toujours à ne pas craindre ce que vous craignez. J’ai écrit à Paris pour être bien précisément tenu au courant des intentions et des dispositions du gouvernement et du public. Ce que j'en sais déjà ne me permets pas de douter que la France ne fasse tout ce que fera l'Angleterre et qu'elle ne pousse l'Angleterre plutôt que de la retenir. Adieu, adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 29 Sept. 1850

Je vous vends Fleischmann. Je suis frappé de son hostilité contre l'ancienne diète de Francfort. Quand un homme aussi honnête et sensé pense cela, il y a bien à regarder. Car il n'est pas complaisant pour les radicaux ; témoin ce qu’il vous dit de la Reine des Pays-Bas. Evidemment, il faut à l'Allemagne, autre chose que ce qu'elle avait avant février ; elle n'y retournera pas et ne s'y tiendra pas tranquillement. De loin, la raison le dit ; voilà un homme intelligent et monarchique à qui l’observation le dit de près. Le bon chemin entre le bouleversement et l'immobilité n'est pas encore trouvé. L’Autriche devrait le trouver ; elle n’est plus vouée à l'immobilité ; de gré ou de force elle change tant de choses dans sa propre maison, elle y admet tant de nouveau; elle devrait trouver aussi et admettre le nouveau qui convient au grand corps allemand. C’est la seule manière de déjouer l'ambition de la Prusse. Tout ce qu’il faut à l’Autriche, c’est que la confédération germanique subsiste tran quille et point asservie à la Prusse. Il ne se peut pas que l'ancienne organisation soit la seule qui atteigne à ce but. " Cherchez et vous trouverez. “, dit l'évangile qui a toujours raison. Je suis convaincu que, si l’Autriche, cherche sérieusement et sincèrement, elle trouvera.
Le Roi de Wurtemberg me fait dire qu’il espère que je retournerai sur le Rhin l'été prochain et qu’il me priera alors de pousser jusqu'à Stuttgart. Avez-vous vraiment quelque idée d’y aller voir, votre grande Duchesse ?
Peel and his times m'amuse toujours beaucoup. Je viens de lire 1827, l'apparition et la disparition de Canning. Vous n'êtes pas nommée du tout ; mais les menées autour de George IV, pour la formation de ce Cabinet brillant et éphémère sont assez vivement racontées, par un libéral modéré et de peu d’esprit, qui déteste les cours et les femmes dans les cours. Il parle du travail caché que faisait ou laissait faire le Duc de Wellington pour remplacer lui-même, Lord Liverpool et il dit : " The king was disposed to favour this tortuous course ef proceeding ; he had et this time become a kind of English Sardana palus, and was anxious, to have a government sufficiently strong to relieve him from all anxieties about affairs of state, and to leave him free to enjoy the imitation of a Mohammedan Paradise which he had established at Windsor, perfect in all respects save the prohibition of wine." Il raconte assez bien l'effet que fit sur le Roi la démission, simultanée des six anciens collègues Tories de Canning : " This, which certainly looked like an attempt to intimidate, fired the pride of George IV ; he immediately confirmed the appointment of M. Canning, and gave him full power to supply the places which had been vocated. " Cela vous amuserait.

10 heures
Votre lettre est intéressante. J'y répondrai demain. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 22 sept 1850

Je lisais hier dans Peel and his times, le récit de l’entrée de Canning dans le Cabinet de Lord Liverpool, les répugnances du Roi de tous les collègues de Liverpool, le travail de la marquise de Conyngham. Je regardais si votre nom ne venait pas. Il n'est pas venu. C’est un bien froid, sec et vide récit, quoique exact au fond. L’exactitude n’est pas la vérité, ni la vie. J’ai votre récit à vous très présent à la mémoire.
Certainement la revirade ou la conversion de Peel, comme on voudra l'appeler, est la plus complète qui se soit jamais vue. Tendre la main, en entrant aux Orangistes et en sortant, aux radicaux, c'est énorme. Pourtant on entrevoit dès les premiers temps que la revirade pourra se faire un jour, si un jour vient où il convienne qu’elle se fasse. Peel semble avoir toujours pressenti le triomphe des mesures qu’il combattait, et s'être ménagé une issue dans leur sens. Son père l'avait prédestiné et il se croyait lui- même prédestiné à être le successeur de M. Pitt. Ils ont tenu, M. Pitt et lui, les conduites précisément contraires. M. Pitt voulait certaines grandes mesures libérales, l'abolition de la traite l'émancipation des catholiques ; il les a toujours sontenues et avouées, et jamais faites. M. Peel les a toujours combattues, jusqu'au jour où il les a faites. L’un, élevé whig, devenu Tory ; l’autre élevé Tory, devenu plus que Whig. Voilà le facteur et votre lettre qui m’arrêtent au milieu de ma comparaison.

Onze heures
J’allais vous demander ce que signifie le voyage de la Gazette de France (M. Lourdoneix) à Frohsdorff. Je trouve à peu près la réponse dans mes journaux de ce matin. La circulaire du Conseil de M. le comte de Chambord met à l'index, l’appel au peuple. Elle a raison mais par par d'assez bonnes et grandes raisons. Je n’ai pas en idée que cette circulaire ait beaucoup de succès. C’était une excellente occasion de parler à tout le monde en parlant à son parti. L’occasion me semble un peu manquée. Napoléon avait coutume de dire: " L'exécution est tout." Il avait ses raisons pour le dire ; il était fou dans la conception et admirable dans l'exécution. Mais il est très vrai que l'exécution est beaucoup. La meilleure idée, mal exécutée devient une sottise. Moi aussi je n'ai rien de plus à vous dire. Je vous quitte pour me promener, un peu après déjeuner. Il fait encore beau mais d’un beau temps en train de se gâter. Adieu, Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville. Dimanche 18 août 1850

Vous avez dû bien rire, en effet, vous et le duc de Parme, au moment et après. Vous avez du bonheur, dans vos aventures. C'est juste.
Je dîne aujourd’hui chez Madame de Boigne. Je la divertirai, elle et le Chancelier de votre récit. Il ne se passe rien de si amusant à Trouville. J’ai été hier passer trois quarts d'heure au salon, pour un concert de charité. Un chanteur célèbre, dit-on, et dont je ne savais pas le nom a chanté, pour me faire plaisir le non pui andrai de Mozart, et quelques boléros espagnols. Il s’appelle M. Geraldy. Pas plus de personnes de connaissance qu’il y a huit jours. Beaucoup de gens évidemment riches et fort en train de vivre. Une société inconnue pullule autour de nous. Peu spirituelle, peu honnête, peu fière mais puissante par le nombre et le mouvement. Que d'efforts, et de mal et de temps il faudra pour la faire rentrer dans les bonnes règles, si elle y rentre ! Quelle produise du moins ses propres chefs, des hommes à elle, capables de la conduire. Jusqu'ici elle est aussi stérile que forte.
Le voyage du Président tourne à un assez grand effet. On m’a toujours dit que Lyon serait le lieu de son plus brillant triomphe, malgré les efforts contraires. Je ne vois encore de clair que ce résultat ci, un coup de fouet donné à tous les partis, un accès de fièvre au milieu de l’apathie générale. Les Conseils généraux, qui vont se réunir dans le feu de ce mouvement en seront peut-être un peu excités. Cependant ce qui me revient de ceux de la Normandie n’annonce pas grande ardeur. Ils se disposent à demander la révision de la constitution, sans s'expliquer sur la prolongation des pouvoirs du Président. Ce n’est pas la peine. Wiesbaden et Lyon en même temps. Si bizarre spectacle !
Une personne d’esprit m'écrit : " Rien n'empêchera que le public ne répète et ne croie que vous avez vu le comte de Chambord. Je sais des gens que cette idée console fort. " Ils sont bien bons. Peu m'importe du reste, J'ai besoin que dix ou douze personnes sachent positivement ce qui en est et elles le savent. Le surplus m'est, et est réellement indifférent.
Voici qui est bien loin de Wiesbaden. Notre consul en Californie homme intelligent, m’écrit de Panama, après avoir traversé les Etats-Unis : " M. Bulwer a gagné beaucoup de terrain à Washington. Avec son esprit et ses bons dîners, il mène le sénat. Il serait difficile de placer maintenant les relations entre la France et les Etats-Unis sur l'ancienne base d’une hostilité commune ou d'une méfiance commune à l'égard de l'Angleterre. Personne en Amérique ne croit à la république française. C'est, aux yeux des démocrates comme des Whigs, une expérience faite et manquée. Les Américains se sont sentis humiliés des hommes qu'on leur a envoyés. "

Midi.
Moi aussi, je suis bien contrarié de votre lit. C’est bien dommage que je ne sois pas là, nous nous soignerions mutuellement, car je ne suis pas non plus tout-à-fait en bon état. L'humidité paraît vouloir cesser ici. Adieu Adieu. Lisez dans la Revue des deux mondes (15 août) un article intéressant sur la première campagne du Maréchal Radetzki Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad le 15 août 1851

Je commence par vous quereller. Je remarque que vous ne m'avez pas écrit du tout dimanche le 10. Pourquoi ? J'aurai fait pendant mon voyage une nouvelle connaissance importante, Mirabeau ah qu'il a d'esprit ! Et quel courage, quelle confiance en lui-même, quelle énergie, quelle puissance de volonté. Un homme comme celui-là aujourd’hui ! Que cela ferait de bien ! Il y a des lettres de lui merveilleuses, vraiment je vous remercie de m’avoir donné cette lecture. Je vous la rapporte en bon état.

7 heures Voilà qui est trop fort. Après m’avoir planté là le dimanche & donné quatre lignes seulement. Lundi vous ne me dites rien du tout. Mardi. Pas de lettres. Et j’en attendais une très intéressante. Les dissipations de Paris font que je vous passe du souvenir. J’étais bien fatiguée, bien harassée à Francfort je vous écrivais tout de même.

Samedi 16 Je ne me console pas de n’avoir pas eu de lettre, & j’allais dire, je ne pardonne pas. Voyons aujourd’hui mais il faut attendre jusqu'à 4 h. Et il est huit heures ! Pas une âme hier. Je me partage entre la promenade, les journaux & Mirabeau. Ce soir un peu de piquet avec Marion & mon lit à 9 heures. Et incendie aux Invalides tous les drapeaux brûlés. Sébastiani ne valait pas cela. Adieu. Adieu.
Ma tête & ma bouche vont toujours mal, je ne sais ce que c’est.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Voici Lord Sidmouth et un volume de Louis XVI publié par M. de Falloux, et qui doit vous intéresser. Je vous demande un peu de soin pour ce volume-là que je ne voudrais pas perdre. Mais vous êtes très soigneuse.
Je vous ai quittée vite, triste de vous quitter et de vous laisser triste, ne dites pas, ne pensez pas que nous ne nous reverrons pas. Nous nous reverrons. Nous retrouverons nos conversations intimes. Vous êtes très souffrante, mais très vivante dans votre faiblesse. Je ne vous dis pas tout ce que je pense et sens à votre sujet. Je crains de vous émouvoir. Je crains vos impressions. Au revoir dearest, ever dearest. Adieu, Adieu. Au revoir. G.
Vendredi 17 sept. 1852 6 heures

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ma nuit a été très bonne, malgré le coup de vent que je n’ai pas entendu du tout. Il n’y en aura pas Lundi. Je suis bien. Le retour complet de mes forces n’est plu évidemment qu’une affaire de temps et je crois que dans ma disposition actuelle, le voyage me fera plutôt du bien.
On cherche en ce moment les Mémoires de Fléchier dans un immense tas de livres en désordre. Dès qu’on les aura trouvés, je vous les enverrai.
Génie ne sait rien. On est venu hier du Ministère de l’intérieur pendant qu’il était sorti. Il écrit à l'instant pour savoir où en est l'affaire. Quelles gens ! Adieu. Adieu, à midi un quart. G

Vendredi 4 oct.1844

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris samedi le 4 Septembre 1852

Si je vous avais écrit hier je ne vous aurais parlé que de mes souffrances, j’ai préféré me taire. Mauvaise journée. Je ne vois pas que ma docilité me profite, et je continue cependant à faire tout ce qu'on m'ordonne. Molé est venu ici deux jours de bonne heure avant huit heures, ce qui me donne de longs tête-à-tête. Il est fort triste, & stérile. Mais sa conversation me fait un grand plaisir. Je suis trop accoutumée aux gens d’esprit, et je crois vraiment que c’est cette absence qui est pour beaucoup dans mes maux. Mad. Kalerdgi n’est pas arrivée encore. Il l’attend. Tant mieux pour moi. Je crois que Fould doit arriver aujourd’hui. Je ne saurai que tantôt le dîner d’hier à St Cloud. La petite princesse vient se promener avec moi. Je vais toujours à Bagatelle. Je prends mon livre & je reste là couchée. Je lis la Restauration avec un grand plaisir. Recom mandez moi quelque autre lecture après. Beauvale me mande que sa soeur a été à la mort, elle est hors de tout danger. Je répondrai très sincèrement à votre question. Mon amitié est très refroidie, et il ne reste si peu que j'ai peur de convenir qu'il y eut en difficulté pour des larmes. C'est bien mal ce que je dis là. Pas de nouvelles du tout. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 18 Septembre 1852

J'ai oublié de vous dire tantôt que j’ai lu l'Assemblée nationale. L’article sur le duc de [Wellington] m'a beaucoup frappé. Comme il est bien fait.

19 Dimanche. Je suis très engourdie depuis hier soir, un demi-sommeil perpétuel, et pas moyen de manger, je ne veux plus de rien. Voilà le premier effet des nouveaux remèdes. C'est un peu excessif, & je ne sais pas si ces messieurs sont dans la bonne. route. Je continue à obéir.
Morny est venu hier et est resté deux heures. Très intéressant. il ne doute pas de l’Empire, tout en raisonnant comme moi. Toutes fois l’année finira encore en république. Tout le monde est frappé de l’article de l'Assemblée nationale sur Wellington & Napoléon. Je l'ai donné à Morny. Il est irréprochable, mais il donnera de l’humeur. Le voyage est en fin roulant d'enthousiasme. Cela devient monotone, je désire que cela reste monotone. J’ai vu peu de monde hier ; le soir rien que Kalerdgi Dumon et Kisseleff. La chaleur hier était étouffante. Votre lettre ce matin me plait.
A moi aussi le dernier moment a laissé un souvenir bien doux. J’étais restée plus triste que satisfaite des 3 jours. Ceci a effacé et j'ai le coeur remis en place.
J’ai eu une lettre de Paul. On veut qu'il fasse une sorte de noviciat qu'il passe quelque temps à Petersbourg avant de reprendre la carrière active. Cela ne me plait pas du tout ni à lui, & pour commencer sa santé ne le lui permettrait vraiment pas en hiver. Nous verrons tout cela se débrouiller au retour de Nesselrode dans un mois. Il est dans le ravissement de Castellane. Adieu, pas de nouvelles ce matin. Je ne verrai du monde qui dans la soirée. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 7 Septembre 1852

J'ai lu tout Mad. d’Arbouville tout Georgia Fullarton. Vos autres recommandations ne me promettent pas grand chose. Trouvez mieux je vous prie ; du vieux historique, mémoires. Ne prenez pas la peine de me les expliquer. Dites les titres et à côté, " bien, passable, curieux. " selon qu'ils le méritent.
Molé a vu Thiers longtemps et l'a trouvé résigné pour longtemps au Président, et puis disant qu'on reviendra à la monarchie mais qu'il faut pour cela que les deux monarchies se réunissent et ensuite l'abdication ou l’adoption, ce qui veut et donc bonjour. Moi je crois que Cowley a raison, et Dieu sait ce que verra la France. Dumon est rentré en ville. Molé part ce matin pour le Marais, mais il reviendra dans 15 jours avant le départ de Kalergi.
Hubner a été étonné de lire qu'on a lancé ma nouvelle frégate portant le nom d'Austerlitz. Toujours ces souvenirs affichés, cela finira par provoquer. Qu'il laisse dormir en paix les masses et les triomphes de son oncle. Je le trouve trop modeste, il a assez fait lui-même et peut se passer désormais de ces souvenirs.
Kalerdgi m’amuse. Elle a beaucoup recueilli, et elle bavarde. Son oncle trouve les Bourbons immensément bêtes. Le général Haynau est parti fort content de son séjour ici. Adieu, adieu. Kolb a décidé les Delmas à rester, cela m’arrange.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche le 5 Septembre 1852

J'ai manqué la petite princesse hier. Elle m’a fait attendre. Je suis partie sans elle, de sorte que je ne sais rien de sa journée de St Cloud. J’ai vu du monde le soir. Pas Molé, il était aux pieds de Kalardgi arrivée dans la journée et trop fatiguée pour venir chez moi, de sorte que je n’ai pas joui des premiers transports. Mad. Roger est venue me voir. Elle a passé quelques semaine en Suisse auprès de la Duchesse d'Orléans, qui est en assez mauvais état de santé. Elle va à Eysenach mais il n’y a rien de là pour l’hiver.
Comme la description de la bataille de Waterloo est belle dans Lamartine ! L'avez vous lue ? C'est charmant. Molé trouve qu’il ne sait pas le français et que tout est menti dans son ouvrage. Lamartine ne trouve pas M. Molé un grand homme. Adieu, car je n'ai rien à vous dire. Il pleut aujourd’hui ; j'aime mieux, cela que le beau temps, parce qu'alors je me résigne mieux à Paris. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 17 Juillet 1850

Ah me voilà contente puisque vous l’êtes. Hier enfin j’ai eu ce qu'on appelle une lettre, je la méritais. Cette Assemblée me faisait d'ici le même effet qu’à vous. Je ne suis pas fâché de voir les assemblées devenir ridicules. Vous ne pensez pas comme moi à cet égard, et cependant vous devriez être guéri de votre passion.
J'ai eu une longue lettre de Marion. L'Angleterre est encore toute abandonnée à ses regrets et à son admiration pour Peel, les quelques paroles de Dupin, ont flatté, touché, charmé. La petite malice n’a pas été perdue non plus. Sir Robert a laissé à son fils aîné 22 000 L. de rentes of entailed property. 70 000 £ à chacun de ses autres fils, & 25 000 à chacune de ses filles. J’ignore le douaire de sa femme. Sûrement considérable. Le fils aîné se conduit à merveille. Marion fait une foule de réflexions spirituelles & sensées sur cette mort, et elle finit en me disant, qu'on ne sait pas bien encore si elle est, ou n’est pas un grand malheur. pour le pays.
La princesse régnante vient me voir à peu près tous les jours. Elle est dans une véritable angoisse, elle a peur de s'ennuyer, elle a raison. Hier elle me parlait de votre beau discours à l'assemblée l’autre jour. La Princesse de Prusse quitte Coblence pour aller résider à Bade où son mari commande l’armée. Je ne verrai donc rien de tout cela. Je vous réponds que je vous reviendrai aussi peu instruite sur l’Allemagne que j’étais partie. La politique des petits princes ne s'éclairera pas.
Marion me demande si vous avez lu " Sophisms on free trade by a Barrister " (Serjeent Byles) et comment vous le trouvez. On en est à la 8ème édition. On espère toujours renverser le ministère. Bêtise. J’ai commencé Albert de Broglie sur M. de Châteaubriand. Excellents sentiments, beaucoup d’esprit, la manière un peu lourde & quelque fois confuse. Je crois qu'il écrira mieux. En attendant ceci m’intéresse beaucoup. 2 heures. Le duc de Saxe Meiningen qui avait toujours été interrompu quand il commencent à me parler intimement des affaires allemandes m’a enfin trouvée seule aujourd'hui. Il est Prussien, il est pour un parlement allemand. Il dit que si on veut revenir à l’ancienne confédération il y aura une explosion générale. Il désire que l’Autriche reconnaisse cette vérité, & la Russie aussi. La paix avec le Danemark amènera indubitablement & tout de suite la guerre entre le Danemark & les Duchés. C'est une inextricable difficulté. Je vous ai dit tout Saxe Meiningen. J'ajoute que c'est un homme très sensé & parfaitement gentleman surtout. Je continue à me baigner & à boire. Je n'ai rien à dire de l’effet, cela me fatigue, voilà tout. Je suis toujours dans mon lit à 9 heures ce soir, & debout à 61/2 du matin. Adieu, Adieu.

J’espère que tous mes adieux vous arrivent. Je reprends une petite critique sur Albert de Broglie. Je viens d'achever. C’est charmant. Cherchez la 109ème page, et dites-moi, qui est l'homme aux Mémoires du 17ème siècle. Ce ne peut être St Simon qui écrivait encore sur la régence. Qui est-ce ? Je suis bête sans doute, mais je ne trouve pas.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Mardi le 8 Juillet 1851

Votre lettre fait ma journée Je n’ai donc rien à vous dire de plus que je ne vous disais hier. Les verres d’Eau, le bain, la promenade, Duchatel & sa femme. Ah, Le prince George de Prusse neveu du roi. Jeune homme sérieux et agréable, mais qui va partir. Je suis curieuse de Londres, Montebello a promis à Duchâtel de lui écrire de là. Je suis honteuse je n'ai rien à vous dire du tout. Il ne vaut pas la peine de vous envoyer cette lettre. Elle restera jusqu'à demain.
Mercredi 9 juillet. J’espère que vous ne me gronderez pas de vous avoir manqué un jour d’autant plus que hier ressemble à aujourd’hui avec ceci de plus que je suis fort dérangée dans ses entrailles ; le dîner est détestable et cela me cause de vilains mouvements de bile. Je vais essayer aujourd’hui les talents d'Auguste. J’ai peur que cela n’aille pas. Voilà mon seul souci d'Ems.
Comment n'avez-vous pas encore reçu dimanche ma lettre de Cologne de vendredi ? C'est étrange. Dites-moi, ou répétez moi, si vous l'avez reçu ou non. Cela m'importe, car j’avais écrit d’autres lettres de là. Duchatel n’est pas reçu hier soir. Lui aussi a ces mêmes accidents que moi, et de plus un peu de fièvre. Il est mieux ce matin & reconduit sa femme à Coblence.
Le comte de Chambord a parfaitement raison de ne pas risquer Londres. Quel plaisir pour moi de lire M. de Maistre, & quel remord ! Quelle honte ! Tous les soirs chez moi pendant tant d’années et ne me souvenir que de sa figure. Certainement je n’ai pas de l’esprit naturellement. On m'en a donné un peu, et bien tard ; et pour être tout-à-fait vrai je crois qu’il ne m’en est venu un peu qu’à Paris et depuis 14 ans. Il fait très froid ici 8-10 degrés pas davantage,
Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Dieppe le 4 août Mercredi. 1852

Je suis comme hier, & le jour précédent. Ni mieux, ni pire. Broutelle veut que j’ai courage et confiance ; c'est beaucoup exiger. Je n’ai pas la moindre nouvelle. Mme St Arnaud est ici. Son mari arrive demain, mais comme je ne les connais pas, c'est inutile.
Je lis dans l’Indépendance votre Cromwell. C’est charmant. j’ai écrit à Meyendorff. Je n’ai plus à qui écrire, pas un mot à dire à l’Impératrice Je m'ennuie beaucoup. Et je serais bien aise de tourner le dos à Dieppe. Il ne vaut guère la peine de vous envoyer ma lettre pour les choses que je vous dis. 5 heures J'écrirai tout exprès à M. Fould pour lui faire votre message. Le duc de Mouchy est reparti pour Paris. J'aime mieux le voir revenir. On est bien seul ici.
Adieu. Adieu, pas un mot pas un seul à vous dire. Au fond j’allais mieux le 4ème jour que je ne vais aujourd’hui le 9ème.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Dieppe jeudi 5 août 1852

Vraiment votre Cromwell est d'un intérêt énorme. Je le dévore dans l'Indépendance. Je suis au troisième feuilleton. Est-ce que l'ouvrage à Paris, est en vente et où ?
Je suis comme hier. Je saurai tantôt s'il y a une nuance, en essayant de mettre le pied à terre. Je suis bien poltronne. Je n’ai pas de lettre du tout. Je ne sais rien, et je ne saurai rien jusqu'à samedi. Lord Cowley arrive ce jour-là, mais seulement pour une heure. Si je manque cette heure-là c’est fini Aggy a reçu hier une lettre où on lui dit qu'on va transporter Fanny à Brompton. Marion l'accompagnera. Les parents resteront seuls à la campagne. Voilà encore une belle affaire ! Je n’ai pas l'air de croire que cela me regarde, et elle ne m'a rien dit dans ce sens. Mais ne suis-je pas menacée d’une bombe ? Vous savez à quel point ce serait un malheur. Avant ceci j'avais écrit hier matin une lettre au Père, pleine de gratitude et de bonheur de sa présence. Peut-être voudront-ils essayer du tête-à-tête. C'est très anglais, cela.

2 heures Des personnes venues de Paris, inconnues à moi, disent que les nominations au Conseil d'état ont fait beaucoup d’effet. Celle de Cormenin surtout, pas bon. Ensuite on trouve Fould bien compromis. Certainement tout-à-fait, moi je reste charmée qu'il soit rentré aux affaires. Cela le fixe à Paris. Je fais quatre pas, soutenue par quatre bras. Cela va bien pauvrement. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Mardi 18 Sept.1849 6 heures

Lisez dans la Revue des deux Mondes, du 15 sept un article de M. de Sainte Beuve (que vous trouviez si laid et avec raison) sur Madame de Krudener, et sur une Vie de Madame de Krudener que vient de publier, M. Charles Eynard. Cela vous amusera. Je suppose que la Vie même est amusante, et je vais me la faire prêter. En 1805, quand je suis arrivé à Paris Valérie me charmait. On me dit que j’avais tort, c'est possible ; mais je conserve de Valérie, un souvenir agréable que les révélations de M. Eynard et les demi-moqueries, de M. de Ste Beuve, ne détruiront pas.
Je viens de faire une grande promenade dans la forêt de Broglie, moitié en voiture avec la princesse de Broglie et mes filles, moitié à pied avec le duc et son fils, sur un bon gazon et sous de beaux hêtres. Nous avons beaucoup plus pensé à l'art qu'à la nature, et à un art très difficile, celui de changer les constitutions, sans y toucher, et de défaire légalement la légalité. Le Duc de Broglie m’a exposé, pour cela. Un plan très ingénieux et, au fond, très praticable quoi qu'un peu subtil. Il y a des moments où les hommes veulent absolument qu'on leur donne, pour faire ce qu'ils ont besoin et envie de faire, des raisons autres que le franc bon sens. Il ne faut pas leur refuser le plaisir. Voici le problème. On veut refaire une légalité autre que celle qui existe, sans sortir de celle qui existe. S’il vous vient de votre côté, à l’esprit, quelque bon expédient, envoyez-le moi, je vous prie.

Mercredi 19-10 heures
Décidément le Mercredi est le jour où je vous aime le mieux. Vous avez bien fait de me dire ce que Lord John vous avait dit du duc de Broglie. Cela lui a fait plaisir. Une ou deux fois, dans sa dernière ambassade Lord John a été sa ressource contre Lord Palmerston, et une ressource efficace. Two letters at once. C’est dommage qu’elle ne le soit pas plus souvent. Je suis convaincu que vous avez raison : vous vous amusez mutuellement sans vous changer. Je vois que le Globe dément formellement la révocation du Gouverneur de Malte Est-ce aussi là un effet de Lord John ?
La question allemande est maintenant la seule à laquelle je pense sérieusement. Il y a vraiment là quelque chose à faire quelque chose de nouveau et d’inévitable. Il vaut la peine de tâcher de comprendre et de se faire un avis, Pensez-y aussi je vous prie, et mandez-moi ce que vous apprendrez ou penserez. Je suis bien aise de ce que Collaredo vous a dit de Radowitz. Je suis enclin à attendre de lui une bonne conduite, et à lui souhaiter du succès. Il m’a paru n'être ni un esprit fou, ni un esprit éteint. Il n’y a plus guères que de ces deux sortes là. La maladie de M. de Falloux retardera ou rendra insignifiants les premiers détails de l'Assemblée. J’ai cru d'abord qu’il lui convenait d'être malade ; mais il l'est bien réellement. Un visiteur arrivé hier soir ici dit que les derniers orages ont fait du bien au choléra, c’est-à-dire contre le choléra à Paris. Les cas diminuent et s'atténuent. Cependant on retarde de huit jours la rentrée eu classe des Collèges pour ne pas faire revenir sitôt les écoliers, Guillaume restera huit jours de plus au Val Richer. Que fait M. Guéneau de Mussy ? Reste-t-il encore un peu à Londres ?
Adieu, adieu. Je travaille avec un assez vif intérêt. Cela me plaît de concentrer, en un petit espace tout ce qu’une grande révolution peut jeter de lumière sur les autres. Je persiste à croire que s’il faisait très clair, il y aurait moins d'aveugles. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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202 Paris. Mercredi 26 Juin 1839 8 heures

Je sors d’une nuit détestable. Je ne sais si je dois m'en prendre à l'orage qui a été violent. Mais je viens de passer quelques heures dans un mal aise et des rêves affreux. J’avais mes trois enfants près de moi, au milieu d'un déluge. L'eau montait, les soulevait de terre. Elle m'en a emporté un, puis deux. Je retenais ma fille Henriette de toute ma force. Elle me conjurait de la lâcher et de me sauver à la nage. J’ai souffert le supplice d'Ugolin. Je me suis réveillé couvert de sueur, criant, pleurant. Je revois encore. Mes mains se sont jointes avec désespoir. J’ai prié, j’ai supplié les trois Anges que j’ai depuis longtemps au Ciel, ou de me rendre ceux qui venaient de les rejoindre, ou de me prendre avec eux. Il y a une des heure que je suis levé. Je suis dans mon cabinet. Je vous écris. Je souffre, je tremble encore. J’attends une lettre de mes enfants. Je l’aurai certainement. En attendant, je ne puis reprendre mon empire sur mon imagination sur mes nerfs. Quelle nuit ! Quelle horreur que la douleur dont le rêve est une telle torture ! Pardon de vous parler de la mienne. Mais vraiment, je souffre encore beaucoup. Je suis très ébranlé. J’attends mes lettres avec angoisse. Il me semble que je me rassure en vous parlant.

10 heures
Voilà une lettre de Pauline et de ma mère. Dieu soit loué ! Il n’y en a point de noyé. J’étais vraiment fou il y a deux heures, je ne voyais rien que ma pièce d'eau. Mes enfants tombés dans ma pièce d’eau. Il faut que je parle d'autre chose, car je retomberais. Que nous sommes de faibles créatures ! Et avec une telle faiblesse, toujours à la porte de tels dangers, de telles douleurs ! Une étourderie, un faux pas, une minute de négligence d’une bonne, rien, vraiment rien, entre nous et le supplice ! Et nous marchons, nous vivons nous dormons au bord de ces abymes ! Ah, nous sommes aussi légers que faibles. Nous oublions tout, les maux passés, les maux possibles, les maux qui sont là peut-être là tout près ! Que nous sommes dignes de pitié ! Et quelle pitié que ce que nous sommes ! Il faut que je vous quitte encore. Je ne puis m’arracher à mon impression de cette nuit. J’aime pourtant bien votre grand papier, car j'ai aussi votre N°201.

Jeudi 27 7 h et demie
Les débats de la Chambre s’animent un peu. Le Cabinet avait eu avant-hier sur l'affaire du Mexique, une pitoyable séance. Les hésitations et les contradictions du Maréchal et de son avocat le Garde de sceaux, avaient soulevé le cœur. Hier sur l’Espagne, M. Passy et M. Dufaure est assez bien parlé. Je doute que le Roi soit content de ce qu’ils ont dit surtout M. Dufaure ; mais ils ont réussi. Pour qui les deux séances ont été bien mauvaises, c’est M. Molé. Défendre dans l'une par M. de Salvandy, sans le moindre effet, et dans l'autre, attaquant le cabinet actuel par M. de Chasseloup qui est resté seul, absolument seul. Tout le monde en a été frappé ! Demain ou après-demain, le débat sur l'Orient. Vous voyez les nouvelles. Les gens qui connaissent le pays ne croient pas que le Pacha dirige son effort sur Constantinople ; ce qui mettrait ses amis d'Europe dans l’embarras et les empêcherait de lui donner l'appui dont il a besoin. La guerre une fois engagée et s’il bat les Turcs, il marchera plutôt de l'Ossoff à l'Elbe que du Sud au Nord et vers Bagdad que vers Constantinople. Conquérir l'hérédité, c’est son grand but. Il y subordonnera toute sa conduite. Nos instructions partent pour notre flotte en Orient, analogues à celles de l'Angleterre.
Le procès commence aujourd’hui. Pendant son cours, le gouvernement s'attend à quelque nouvelle attaque. Ces gens-là l’annoncent très haut. Ce sont des sectaires de plus en plus isolés, et qui redoublent de rage à mesure que leur nombre diminue. Dans leurs réunions du matin et du soir ils mettent en avant les projets les plus frénétiques, l'incendie, l'assassinat. On est fort sur ses gardes. On a fait venir deux régiments de plus. Je doute fort d’un nouveau coup. Les Chefs des accusés refusent absolument de parler. Avant-hier le Chancelier pressait Martin. Bernard de questions. Celui-ci a dit au greffier : " Ne pourriez-vous pas faire taire ce grand Monsieur qui m’ennuie ? " Il faut que je vous quitte. J'ai ma toilette à faire Je vais déjeuner au Luxembourg avec Lady Jersey. Nous ne nous quittons pas. Elle a voulu entendre la lecture du Chapitre des Mémoires de Mad. de Rémusat qui raconte la mort du Duc d'Enghien. M. de Rémusat l'a lu hier au soir chez Mad. Anisson. Elle part demain pour Londres. L'autre jour à dîner chez Madame Brignole, la Princesse de Ligne était là aussi. Madame Brignole ne savait trop à qui donner le pas. Elle a imaginé d'aller confier son embarras à Lady Jersey elle-même qui lui a répondu. " Il n'y a rien de plus simple. Je suis femme d’un lord d’Angleterre. Vous ne pouvez pas hésiter. " Je suis de son avis. L’aristocratie passe avant la noblesse. Adieu. Adieu. Votre grand papier a son mérite mais il est traitre comme le petit du reste. Vous n’écrivez pas sur le verso. On n'a que la moitié de ce qu’on attend. Adieu encore.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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191 Du Val Richer - Mardi 4 juin 1839

Je vous voudrais comme ma vallée, fraiche et riante. Je la regarde avec envie en pensant à vous. Et bientôt je ne la regarde plus ; je ne pense plus qu'à vous. Je vous vois maigre, triste, desponding, en larmes. Et pourtant je ne retourne pas à ma vallée ; je reste avec vous. Je resterai toujours avec vous.
L’annulation de l'élection de M. d’Houdetot, réélu à si grand'peine, est un petit incident fort désagréable au château. On en a été très piqué. Il ne faut pas avoir tort en face de ses ennemis Mr d’Houdetot avait tort. C’est l'erreur des gens de cour, puisque cour y a, de croire qu'ailleurs aussi, ils auront le privilège de la faveur. Il y a des favoris partout, mais non partout les mêmes. Les esprits impartiaux, les honnêtes gens ont voté contre M. d’Houderot. Le pire, c’est qu’il ne peut plus se représenter puisqu’il n’est pas éligible. Le choix tombera probablement sur un homme de l'opposition.
Il paraît que le procès aura lieu décidément vers le milieu de Juin. On le presse ; on ne veut pas que, s’il doit y avoir des exécutions, elles soient trop voisines des fêtes de Juillet ; et très probablement il y en aura. L'assassinat est prouvé, dit-on, contre deux des accusés, et des principaux. L’un, le nommé Barbès a tué de sa main l'officier qui commandait le poste du Palais de justice, l'autre Milon, Miron, je ne sais pas bien, a fait fusiller trois soldats, après avoir enlevé un corps de garde. Plusieurs témoins les reconnaissent.
Après les fêtes de Juillet, le Roi veut aller à Bordeaux. Il a formé plusieurs fois ce projet. Je doute qu'il l'exécute encore. Cependant il le promet. Bordeaux le demande beaucoup, et comme une réparation. Ils disent que jamais Roi ou Empereur ne les a laissés neuf ans sans aller les voir. Le Maréchal Vallée avait demandé plusieurs fois à être rappelé. On s'est montré disposé à le lui accorder. On lui aurait donné le Général Cubieres pour successeur. Il ne s'en est plus soucié, et il reste. J’en suis bien aise. A travers toutes les manies d’un esprit systématique et d’un caractère insociable, c’est un homme honnête, capable et prudent. Qualités dont notre établissement d'Afrique à grand besoin. Je m'intéresse à cet établissement. Je m’en suis beaucoup mêlé.
Mon sac est vidé, madame. Bien petit sac cette fois, et probablement souvent jusqu'à ce que je retourne à Paris. On ne m'écrit guères les petites choses, et il n’y en a pas de grandes. Vous n’avez probablement jamais ouvert un livre intitulé : Historiettes de Tallemant des Réaux. C'était un abbé du 17e siècle qui écrivait tous les soirs tout ce qu’il avait entendu dire sur toutes les personnes dont tout le monde parlait. Il a écrit ainsi six gros volumes curieux et amusants, quoique pleins d'énormes sottises. Quelqu'un de votre connaissance, mon Génie, se donne le même plaisir sur notre temps. Il laissera des volumes beaucoup plus convenables, j’en suis sûr que ceux de l'abbé Tallemant, et peut-être assez piquants. On oublie beaucoup trop en ce monde. En attendant de vraies nouvelles d'Orient, j’ai apporté ici et je lisais tout à l'heure l'ouvrage de M. Urquhart de la Turquie et de ses ressources. Savez-vous au juste quel cas on fait à Londres de l'auteur ? Le livre me semble bien vide, avec de grandes prétentions.
Adieu pour aujourd'hui. Je vous quitte pour aller assister à des plantations de fleurs ; je devrais dire coopérer. Je transporte le jardin du Roi au Val-Richer. Je mentirais si je disais que cela ne m'amuse pas du tout ; et je mentirais bien davantage si je disais que cela m'intéresse vraiment. On peut vivre superficiellement ; mais il n'y a pas moyen de s’y tromper. Pour moi, je n'y prétends pas.

Mercredi 7 heures Depuis que je ne vous vois plus, ma perplexité est extrême. Je suis bien plus inquiet ; j'ai besoin que vous me rassuriez, et j'hésite à vous le demander, à vous occuper de votre santé. Convenons d'une chose ; c’est que vous me direz tout, absolument tout ; je n'ignorerai aucun détail, ni aucune de vos inquiétudes. Ce sera comme si je vous voyais, sauf le plaisir de vous voir. A cette condition, je ne vous agiterai pas, de mon tourment. J’attends presque avec humeur le moment où j’attendrai vos lettres à jour fixe. En aurai-je ? N'en aurai-je pas ? Cette ignorance m'est insupportable. J’en ai encore pour huit jours avant que vous vous soyiez posée, que je le sache du moins et que jen éprouve l'effet. Où êtes-vous en ce moment ? à Vitry, je pense. Vous vous levez. Vous allez partir pour Nancy. J’ai fait cette route-là, il y a douze ans, le cœur bien déchiré. Je conduisais à Plombières ma femme mourante.
Que notre âme est étrange, & tout ce qui s’y passe dans le cours de la vie ! Quels contrastes, quels désaccords, impossibles à concevoir ensemble, et qui coexistent pourtant & s'effacent et disparaissent dans cette mer du temps qui couvre de son uniformité tout ce qu'elle engloutit Adieu. Adieu.
9 heures. Voilà le facteur, et deux lettres de Paris qui ne m’apportent rien à vous envoyer. Adieu encore.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°151 Samedi 6 octe 6 h 3/4

Avez-vous eu une raison pour me chercher avant-hier avec plus de tendresse que de coutume ? Avez-vous pensé que j’étais né ce jour-là, il y a 51 ans ? car nous sommes du même age. Quand mes enfants sont venus m’embrasser avec leurs gros bouquets et leurs petits ouvrages, vous m’avez manqué, je vous ai cherchée aussi. Nous sommes, nous rencontrés à ce moment ? Je ne suis pas [?] du tout, et je n’aime pas les gens qui le sont, je ne puis souffrir qu’il entre dans le cœur ou qu’il en sorte quelque chose d’affecté et de ridicule. Mais je trouve le monde si froid, si sec ! Vous avez bien raison ; il n’y a point de joie solitaire. Ces mêmes émotions qui, partagées, seraient douces et charmantes retombent sur le cœur isolé et l’oppressent. N’ayez pas mal aux nerfs deares ; que vos genoux ne tremblent pas, que votre vue ne se trouble pas ; mais aimez-moi toujours comme hier et avant-hier.
C’est par courtoisie sans doute que M. Molé destine au Turc, l’hôtel de Pahlen. Il veut que cette maison soit encore un peu Russe. Vous la reprendrez avec Constantinople. Pourquoi M. de Pahlen n’achèterait-il pas l’hôtel d’Hauré ou de Lille ! C’est grand et beau, & toujours à vendre, si je ne me trompe. Quand le comte Appony sera-t-il établi dans sa nouvelle maison ? Voilà une affaire traitée de bonne grâce. A partir de ce matin, je suis tout à fait seul. Mon dernier cousin s’en va et je n’attends plus personne, M. et Mad. Villemain devaient venir, mais ils ne viendront par.
Lisez donc la Littérature de M. Villemain. Il y a vraiment beaucoup d’esprit, de l’esprit sensé et gracieux, ce qui prouve bien, à coup sûr, la distinction de l’âme et du corps. Mais j’oublie que vous n’aimez guère la littérature, même spirituelle. Il vous faut la vie réelle, les personnes. Moi aussi, j’aime infiniment mieux les personnes qui me plaisent que les livres qui me plaisent. Mais beaucoup de personnes ne me plaisent pas, et les livres me distraient de celles-là. Henriette aime beaucoup les livres et j’en suis charmé. C’est une immense ressource pour une femme que le goût de l’étude. Elle lit avec le même ravissement le Voyage du jeune Anacharsis et Macbeth. C’est un esprit bien sain, en qui toutes les facultés, tous les goûts se développent dans une rare harmonie. Si vous aviez été ici à la campagne, avec moi, en mesure de jouir ensemble des œuvres de l’art comme de celles de la nature, je vous aurais montré avant-hier sa traduction, à elle seule, bien réellement seule, d’un fragment du Lay of the last Minstrel, et vous auriez trouvé que pour un enfant de neuf ans, l’intelligence était assez vive et l’expression heureuse. A propos de mes enfants, je vous conte mes propres enfantillages. Je ne les conte à nul autre.
M. de Broglie était encore avant-hier sans nouvelles de sa fille. Je suis impatient qu’elle l’ait rejoint. Il ne faut pas toucher souvent aux plaies. Dites-moi, s’il a vu les Granville. Je suppose que non, puisque Lord Granville ne peut pas sortir. Il me tarde que vous soyez rentrée en possession de Lady Granville. Sans elle vous me faites l’effet d’une personne à qui son dîner manque. J’espère que vous garderez Alexandre au moins quelques jours. 9 h. 1/2 Non, vous ne serez plus seule. J’en ai besoin pour moi, encore plus que pour vous. Adieu, adieu. Je vais marquer des place où je veux plantés des arbres. Le mélèze que vous savez, qui voulait me suivre, se porte à merveille. J’en vais planter d’autres. Aucun ne le vaudra. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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126 Val Richer, Jeudi 27 Juillet 1854

Plus de grosse chaleur. Nous avons échappé hier à un violent orage qui est allé éclater ailleurs. Aujourd’hui, il fait frais. Je voudrais vous mesurer à votre goût le soleil et la pluie. Au moins le bien être matériel, à défaut des grandes satisfactions. Je veux croire que le découragement et la désaffection ne pénétreront pas chez-vous, quoique vous en ayez donné de grands exemples ; mais votre Empereur, finira par comprendre, le mal qu’il se fait à lui-même, et par accepter quelque arrangement que l’Autriche et la Prusse seront toujours là pour proposer. Plus la guerre durera, plus les conditions de la paix lui seront dures. Il ne divisera pas la France et l’Angleterre. Il ne les ruinera pas. Je compte encore sur son intelligence, et son bon sens pour mettre fin à une situation dont il souffre et dont il souffrira beaucoup plus que personne, dans la puissance Européenne et dans la prospérité intérieure de son peuple ai-je tort ?
J’ai grand peine à croire qu’on soit obligé de se mêler de l’Espagne. Le désordre intérieur sera énorme peut-être la guerre-civile ; mais rien qui affecte l’Europe, même les voisins. Les révolutions Espagnoles ne sont pas contagieuses chez nous. Je doute quelles se propagent en Italie. Je vois qu'une tentative a déjà échoué à Péronne. Je persiste à penser qu’il n’y aura là, qu’une mauvaise monarchie radicale, substituée à une mauvaise monarchie quasi absolutiste.
Je vois par le bulletin d'Havas que c’est aussi le pronostic du gouvernement, et qu’il se prépare à vivre en bons termes avec Espartero. Il n’y aura plus de rivalité Franco-anglaise qui y mette obstacle.
Faites-vous envoyer l’histoire de la Turquie de M. de Lamartine. Ce ne sera certainement qu’une série de coups de théâtre et de décorations d'opéra. Mais comme décorateur, comme Sicari de l’histoire, il a beaucoup de talent. Il vous amusera. Lisez aussi le Charles Quint de M. Mignet. Il le mérite. Mlle de Cerini vient elle à bout de vous lire un peu ?

Midi
Adieu, adieu. Je ne reçois absolument rien ce matin.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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109 Val Richer. Lundi 3 Juillet 1854

J’ai peur que vous n'ayez raison et que tout ce mouvement de retraite ne soit qu’une opération de guerre, agressive ou défensive, comme l’Autriche. Je ne vois pas jusqu'ici que vous vous retiriez au delà du Pruth ; c’est seulement au delà du Sereth, vous levez le siège de Silistrie et vous évacuez la Valachie, mais vous vous arrêtez en Moldavie passé devient votre quartier général au lieu de Bucarest. Militaire ou pacifique, la reculade est grande, mais je la voudrais pacifique. Vous ne pouvez plus vous faire illusion sur l’Autriche, sa convention avec la Porte pour l'occupation des principautés est sa manière d'entrer dans l'alliance, et elle s’engage à ne faire aucun arrangement avec vous tant que la Porte ne sera pas rentrée, et garantie dans la plénitude de ses droits et de son indépendance. C'est bien décidément l'Europe entière contre vous et vous n'avez encore eu à faire qu'aux Turcs !
Je penche à croire que nous apprendrons au premier jour que la Suède a fait comme l’Autriche et qu’elle est entrée dans l’Alliance.
L’Europe ainsi unie, vous n'aurez pas même la ressource des insurrections et des révolutions. Vos tentatives en Grèce, et en Bulgarie échouent évidemment ; on dit qu'en vous retirant vous emmenez avec vous 5000 Bulgares qui se trouvent compromis avec les Turcs. C'est de la dépopulation de plus en Turquie, et pour vous les partisans de moins. J’ai rarement vu les fautes porter leurs fruits aussi vite et aussi durement.
J’ai peine à faire attention à l'insurrection de Madrid. Vous savez qu’on vous l'imputera, comme la folie des 50 ou 60 Mazziniens qui ont débarqué sur la côte de Toscane. Je saurai quelques détails sur Madrid ces jours-ci ; le Duc de Glücksburg doit en arriver. Son père est plus malade.
Avez-vous lu dans la Revue des Deux Mondes les articles de Viel Castel sur la Correspondance de Lord Castelreagh ? Ils n’ont rien de remarquable ; mais c’est un résumé clair et complet de la politique Européenne de cette époque, qui nous touche encore, et déjà si loin ! France, Angleterre, Russie, quel changement de principes, de conduite, de langage, de puissance. C’est l’Autriche qui a le moins changé.

Midi
Je n’ai rien de Paris et les journaux ne m’apprennent rien. Adieu, adieu. G.
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