Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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3 Val Richer, mardi 14 Juillet 1846

Pas d'estafette cette nuit. A sa place un gros orage. Le tonnerre a roulé pendant une heure et demie. Il faut de l’espace au tonnerre. Les rues de Paris lui déplaisent ; on ne l'y entend pas. La mer et les bois, c’est là qu’il triomphe. J’avais envie de dormir, et pourtant. j'écoutais avec plaisir comme un bruit champêtre. J’ai très bien dormi après et ne me suis levé qu'à 7 heures après m'être couché avant 10. Je me soigne avec une obéissance exemplaire. Hier soir, à 8 heures, je suis rentré pour éviter le serein. J’ai cette éternelle disposition, à l'éternument qui n’est rien qu'un ennui, mais bien, un ennui.
Je viens d'écrire à Sir J. Easthope. Bien, je crois ; indiquant que la confiance peut se gagner, que je désire sincèrement qu’on la gagne, mais qu’il faut la gagner. C'est le commentaire d’une phrase d’une lettre de vous à Lady Palmerston. J’écris aussi à Brougham. Brièvement. Il abuse des lettres. Il est saisi d’une haine aveugle contre les Whigs, et sera contre eux au Parlement et dans le monde, d’une activité tout aussi aveugle. Je ne veux ni me l'aliéner, ni me livrer à lui. Les relations de ce genre sont l’ennui du métier. Amis ou ennemis, de la confiance ou de la guerre, à la bonne heure, mais se méfier et ménager, c'est l’ennui. L’Espagne, me préoccupe beaucoup. Si l'Angleterre épouse D. Enrique, nous retomberons dans la vieille ornière, la lutte des partis Espagnols modérés et progressistes, & le patronage français et anglais au service de cette lutte. Situation très incommode, car ce qu’on abandonne le plus difficilement, c’est un ancien patronage. Question d'influence politique et d’amour propre personnel. Je crois bien que dans cette lettre, j'aurai le bon bout. Si les Progressistes espagnols avaient le pouvoir à Madrid, et que de concert avec Londres, ils m'offrissent D. Enrique, je serais fort embarrassé à le refuser. Mais ce sont les modérés qui dominent en Espagne ; ils ne voudront pas de D. Enrique, et si je les décide à vouloir du Duc de Cadix, l’embarras du refus sera pour l’Angleterre, qui ne refusera pas, je crois. Au fait, je ne crains pas beaucoup cette alternative, et la question ainsi placée, n'a pour nous, plus de bien mauvaise issue. Notre principe et notre honneur sont saufs, en tout cas. Je cause avec vous, en attendant votre lettre qui n’arrive pas. L’orage aura retardé la malle.
6 heures et demie Voilà votre lettre. Nous nous rencontrons parfaitement sur D. Enrique. Comme toujours. Quoique cette situation soit difficile, je l’aime pourtant bien mieux que la chance du Cobourg. Ce que vous dit Könneritz de la Constitution en Prusse me parait probable. Il y aura encore plus d’une oscillation de ce genre. Ce qui n'empêche pas qu’on ne marche vers la constitution. La dépêche de Pétersbourg est bonne en effet, bonne avec complaisance. On a pris plaisir à l’écrire. On fera tout ce qu'on pourra pour être bien avec nous, comme gouvernement, sans changer d’attitude personnelle. Je puis, après ce qui s’est passé depuis cinq ans et ma raideur de 1843, m'accommoder assez de cette situation. Elle ne manque pas de dignité, et peut avoir de l'utilité. Voici une lettre intéressante de Londres. Renvoyez-la moi, je vous prie, dès que vous l'aurez lue. Soyez sûre que le Cabinet Whig a quand on regarde à ses adversaires, une meilleure position, et plus de chances de durée qu’on ne le dit. C’est dans son propre sein que sont les germes d’une dissolution, peut-être assez prompte. Lord John, lord Palmerston et Lord Grey n'iront. pas longtemps ensemble. Il faut que je vous quitte pour répondre aux lettres d’affaires. Celle-ci est bien froide, bien d’affaires. J’ai tout autre chose dans le cœur. Je ne m'accoutume pas en me promenant que vous ne soyez pas avec moi. Je m'arrête pour vous attendre. Je me retourne pour vous chercher. C’est surtout quand quelque chose me plaît que vous me manquez Adieu. Adieu. Vous partez donc demain pour Dieppe. Allez ensuite chez la vicomtesse. Il ne faut pas s'annoncer pour ne pas aller. On s’attire de la malveillance. Même de la part de ceux qui auraient autant aimé qu’on ne leur eût rien annoncé. Adieu. Adieu, dearest. J’enverrai toujours mes lettres à Génie. G.
Ibrahim Pacha dit que la nation anglaise l’a reçu comme il a été reçu par le Roi des Français.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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4. Beauséjour lundi 11 heures
Le 14 août 1843
J’ai trouvé en ville hier votre petit mot d'Evreux. Cela m’a raffermi le coeur. J’ai été à l’église. J’ai prié avec ferveur. M. Cuvier nous a fait un bon sermon, simple, très bien.
En rentrant ici j’ai trouvé Bulwer qui m’attendait. Il part ce soir pour Dieppe d'où il veut revenir à la fin de la semaine pour se mettre à ma disposition. Je n’y crois pas du tout. Acton explique longuement qu'Espartero, avait eu raison dans son place de campagne, le bombardement de Séville était même très habile et très juste. Malheureusement Serano qui devait battre, a été battu. Petite différence qui a tout dérangé. Grande désunion parmi les chefs vainqueurs. Grande vraisemblance et même imminence de troubles à Madrid une réaction. Le parti français grossissant. Grande crainte que l'Espagne toute entière ne demande le duc d’Aumale. Voilà Acton, Bulwer a l’esprit préoccupé du duc d'Aumale aussi, et me demande beaucoup ce que j'en crois. Qu’est-ce que je puis croire ? Je ne crois rien, mais je m’amuse des inquiétudes anglaises, c’est ce que je lui ai dit. En ajoutant qu’ils étaient singulièrement crédules. Après, Bulwer j’ai vu Kisselef. Il n’a pas eu un mot par le dernier bateau, il ne savait donc rien et avait tout à apprendre. Grande éloge des discours du duc de Nemours vanté même par les légitimistes au Club.
A quatre heures je suis partie pour Versailles avec Pogenpohl. Jolie course, air excellent qui m’a donné des forces J'ai marché beaucoup sur la terrasse avent dîner, après dîner à huit heures je suis repartie, j’ai descendu à pied la montagne à St Cloud et j'étais rentrée à 9 1/2 et dans mon lit avant 10 heures. Voilà bien exactement hier. Aujourd’hui je vais en ville je passerai à la porte de Génie. Je dinerai chez les Cowley. Demain je compte m’établir à Versailles, mais je vais encore apprendre si la pieuse comtesse y vient décidément ; si elle ne venait pas j’irai à St Germain que je vois plus gai. Certainement je ne resterai pas ici j'y suis trop triste. Avant hier Appony, hier Bulwer ont fort exalté votre mérite. Grands, grands éloges. Voici du bien beau temps ; mais mon jardin me déplait. Je vous envoie la lettre d’Emilie. Il est clair qu’elle n’a pas grande envie de ce mariage. Je pense beaucoup à tout ce qui se prépare en Espagne, hors d’Espagne. Je crois beaucoup à une ligue européenne contre le mariage possible avec la branche d’Orléans. Je crois surtout que vous seriez mieux à Paris dans un moment pareil qu'au Val-Richer. Que de retard ; & que d'occasions où un jour de retard porte un dommage difficile à réparer. Je ne puis m’empêcher de répéter avec beaucoup d’autres que vous vous en allez tout juste au moment où vos embarras et votre action commencent, c’est singulier ! Je me sers du mot le plus poli. J’en ai de bien gros au bout des lèvres. Adieu. Adieu pourtant. Adieu. Le 26 et peut être avant. Pensez un peu si avant ne deviendrait pas nécessaire ? Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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5. Château d'Eu, Mercredi, 10 sept. 1845
7 heures du matin

Hier, à midi, nous roulions très agréablement, six chars à bancs, calèches &,& portant 40 ou 50 personnes dans les longues allées et sous les ombres profondes de la forêt d’Eu. Vers une heure, à un rendez-vous de chasse, nous avons quitté les grands chevaux et les jockeys du Roi pour prendre les petits chevaux de poste. Les postillons en veste couverte de rubans tricolores, poudrés avec d’énormes catogans pas toujours bien attachés et se disputant à qui ferait le plus de bruit avec leurs fouets. C’est un amusement qui n’est pas usé, pour la Reine. A une heure et demie, nous rolions sur la grande route sous un soleil très brillant, caché par d'épais nuages de poussière. Je ne crois pas que le plaisir du fouet des postillons ait suffi pour les dissiper. " Les Rois, dit quelque part St Simon, ont des amusements qui n’appartiennent qu'à eux. " Heureusement celui-ci a été court. Nous étions au château avant 2 heures.
Chacun est rentré chez soi pour se laver. A 4 heures tout le monde était réuni dans le salon de la Reine et la Reine d'Angleterre, en entrant, a trouvé là trois ébauches de tableaux, son débarquement au Tréport dans la petite maison trainée en charrette, sa promenade d’avant hier dans le nouveau grand parc, la salle de spectacle du soir. Trois peintres avaient fait cela dans la nuit. Le premier tableau vraiment joli. Elle l’a emporté. Le dîner a été gai. Tout le monde, était visiblement content. J’étais à côte de la Duchesse de Cobourg, la plus vraiment intelligente des Princesses (Chut!) Son mari l'adore. Il prend son lorgnon vingt fois pendant le dîner pour la regarder. Lady Canning, qui était à côté de lui ne l’en à pas distrait un moment. Reines, Princesses, tout le monde était habillé comme si le bal avait dû suivre le dîner.
A cinq heures et demie, on s'est précipité hors de la salle à manger, et avant 6 heures tout le monde était de retour en habit de voyage, dans le vestibule du château. La marée pressait beaucoup ; nous n'avions qu’un quart d'heure pour nous embarquer, sans charrette. Nous sommes arrivés juste à temps. La Reine d'Angleterre a pu à peine faire à la nôtre ses adieux. Nous sommes entrés, presque tombés dans le canot royal, la Reine, le Roi, le Prince de Joinville, le Duc de Cobourg, Lord Aberdeen, Lord Liverpool et moi. Deux autres canots suivaient. La Reine, Madame le Prince et la Princesse de Salerne restant sur le rivage, dans leur char à bancs, à nous attendre. Quelques minutes après sous l’éclat d'un soleil couchant presque chaud à force de lumière et sur une mer, si calme que le canot vacillait à peine comme une feuille, nous sommes montés à bord du Victoria-Albert. La Reine m’avait dit tout bas en partant : " Je vous en prie, empêchez que le Roi ne nous revienne trop tard. " Ce n'a pas été facile. Le Roi est rentré en conversation avec Lord Aberdeen. Le Prince de Joinville, est allé visiter the Fairy. M. de Salvandy et M. Vatont ont pris du thé. Au bout d'un quart d'heure, je me suis approché du Roi : " Je comprends, je comprends ; mais je veux voir établir, là haut la lune sous laquelle la Reine va voyager. La lune se levait en effet, un petit croissant aussi blanche que le soleil était rouge tout à l'heure, et presque aussi claire. La rade était couverte de bâtiments. Les nôtres saluaient et les batteries de la côte. Ce bruit ne dérangeait pas du tout le calme de la soirée. C’était charmant. J’ai laissé le Roi causer avec la Reine, et j ai recommencé moi-même avec Lord Aberdeen, qui m’a parlé du Prince de Joinville, avec un intérêt presque affectueux. Sa figure, ses manières nobles et un peu sauvages, son air tour à tour mélancolique comme un sourd et gai comme un enfant, tout cela lui plaît. Le Prince est revenu du Fairy. Les derniers adieux sont enfin venus.
Nous avons repris le canot du Roi, et avant 7 heures et demie nous étions remontés dans le char à bancs de la Reine et nous roulions vers le château. Le Roi m'a gardé jusqu’à 8 heures et demie nous promenant en long, point en large, dans sa galerie Victoria, et me faisant mille déclarations de bonne politique, et de tendresse. La Reine d'Angleterre a dû rester en panne dans la rade jusqu'à minuit et se mettre alors en mouvement pour l’ile de Wight où elle arrivera aujourd’hui vers 10 heures. Un de nos bateaux à vapeur l'accompagne, et reviendra annoncer ici son arrivée. J’ai encore eu hier une longue conversation avec Lord Aberdeen. Je suis sûr qu’il part très content et très ami. Mais l’amitié est nécessaire Il faut se voir. Avec cela, tout ira bien.
Je vais employer ma journée à causer avec le Roi, et à faire visite à Madame, Madame la Duchesse d'Orléans, le Prince et la Princesse de Salerne, le Duc et la Duchesse de Cobourg et la Duchesse d’Aumale. Je serai en voiture demain, à 7 heures. Que j’aime Beauséjour ! Salvandy est dans le ravissement. Adieu. Adieu. J’attends votre lettre. Adieu.

10 heures
Oui le N°4 qui m’arrive sera le dernier. Je viens de recevoir des nouvelles de Pampelune. Accueil fabuleux de nos Princes par tout le monde, sur toute la Route, les Reines comme les paysans, les paysans comme les Reines. Cela me plaît. Je tiens à l’Espagne. Je suis d'ailleurs très content de la position bien établie & bien acceptée, sur cette question dans la visite qui vient de finir. Adieu donc, Adieu. Je vais déjeuner. Que je suis bavard ! Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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4 Paris. Lundi 27 Février 1854

On me remet votre N°2. J'accepte votre tristesse, mais non pas votre toux. Il fait doux et beau ici. Quand je sors, je m’applique à ne pas passer par votre bout de la rue de Rivoli. Cela m'est insup portable. Moi à part, vous manquez à tout le monde plus que vous ne croyez. Hier, Duchâtel et Noailles, ce matin Dumon m'ont fait des morceaux sur vous. Noailles restera un soir chez lui. Duchâtel aussi. Mais il n’y a plus même de monnaie de M. de Turenne. J’ai dîné hier chez Broglie avec mon fils. Fini la soirée chez ma fille. Ce soir, j’ai un comité Protestant, puis le chancelier et M. de Neuville.
Voilà le chaos Espagnol commencé. Rien absolument jusqu'ici contre la Reine Isabelle. Son gouvernement a battu l'insurrection. Il va dissoudre les Cortès et le Sénat, et convoquer des Cortès constituantes qui feront une constitution nouvelle, plus monarchique. A Saragosse, le colonel Horé, chefs des insurgés, a été tué à la tête de son régiment, le régiment de Cordoue. Le capitaine général, avec les Grenadiers de la Reine, l’a chassé de la ville. 150 hommes sont restés sur la place, parmi lesquels quelques bourgeois. A Madrid, beaucoup d'hommes considérables ont été arrêtés, Gonzales Bravo, le général Serrano &. On s'attend à une guerre civile où reparaîtront tous les partis, Carlistes, Espartéristes, Républicains & &. Une dépêche télégraphique courait hier soir disant que la République avait été proclamée à Madrid. On n'y croyait pas.
Le Prince Napoléon commandera un corps de réserve, à Constantinople. Duchâtel avait hier une lettre d’Ellice inquiet pour le cabinet anglais, à l'occasion du bill de réforme de Lord John. On croit qu’entre l'opposition, quelques radicaux mécontents et les députés des bourgs que son bill dépouille de leur privilège électoral, il pourrait bien se former une majorité qui lui infligeât un échec qu’il n'accepterait pas. L'échec serait au profit de Lord Palmerston. Je n'y crois pas. Le Parlement ne dérangera pas aujourd’hui le gouvernement. Lord John a du guignon. J’ai une lettre de Croker qui a fait réimprimer en une petite brochure, toute leur correspondance à propos de Moore avec des additions assez piquantes. Il me dit : All the world here of all parties, as Brougham writes to me, agree that I have had a complete victory.
Rothschild ne fait pas l'emprunt. On dit qu’on le mettra en adjudication quand le corps législatif sera réuni. Si vous ne savez pas bien ce que cela veut dire, demandez-le au premier venu qui vous l'expliquera. Le bœuf gras se promène très paisiblement. Il s’appelle M. d'Artagnan, et non plus le Prince Mentchikoff. Adieu, Adieu. G

La fin du discours de Clarendon est remarquable d’un ton plus élevé que de coutume et ouvrant, sur l'avenir, une longue perspective pleine de guerre et aussi de réserves. On prévoit beaucoup, et on ne veut. s’engager sur rien.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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4. Au Val Richer, Mardi 15 août 1843,
7 heures du matin

Quel ennui d’être loin ! J’aurais mille choses à vous dire, votre avis à prendre, car j'ai besoin de votre avis. Il n'y a pas moyen d’écrire tout cela. J’ai une première réponse de Londres, une première conversation de Chabot avec Aberdeen, des hésitations, des embarras, des pusillanimités, des susceptibilités, des prévoyances, des méfiances à l'infini, et à travers tout cela, un désir sincère de s’entendre avec nous, un fort instinct que cela se peut, qu’il n’y a que cela de sensé que c'est pour eux, le seul moyen de sortir d'une mauvaise situation. Et c'est de si loin que j’ai à traiter avec toutes ces impressions, toutes ces nuances de dispositions qui seraient déjà bien assez difficiles à manier de près !
L’estafette m'a réveillé à 2 heures et demie J’écris depuis ce temps-là au Roi, à Chabot, à Génie. Je viens de renvoyer l’estafette et je vous écris à vous, pour me rafraîchir. J'étais venu ici pour me promener, et ne rien faire. Ce n’est pas le tour que je prends. Je me suis beaucoup promené hier. J’ai arrosé mes fleurs. J'en ai beaucoup et de charmantes, des raretés. Vous les aimeriez. Ce matin, il y a un brouillard immense. Il enveloppe tout. Il fera très beau à
Midi. Vous n’avez nulle raison d'être inquiète ; mais vous avez grande raison de m’aimer plus que jamais et de me le dire. Mon plaisir à l’entendre mérite tout ce que vous voudrez. Je crois aussi que Salvandy acceptera Turin. Pourtant il n’y a jamais à compter sur les esprits mal faits, et mal faits surtout par la vanité. Ils déjouent toute prévoyance. Je vais faire ma toilette en attendant la poste. Puis j’essaierai de dormir un peu. Je m'étais couché hier avant 10 heures. Mais de 10 heures à 2 heures et demi, c’est trop peu de sommeil.
10 heures et demie. C’est charmant deux lettres. Oui, il y a, en ce moment, un inconvénient réel à être loin et très probablement je n'attendrai pas, le 26. N'en dites rien à personne. Je suis frappé d'Espartero faisant un manifeste donc n'abandonnant pas tout-à-fait la partie. On fera de lui, si on veut, un instrument d'intrigues en Espagne, et on le voudra, si nous ne nous accordons pas. Tout cela a besoin d'être conduit avec une grande précision et heure par heure. Je suis bien aise que vous ayez reçu une lettre de votre frère. Il paraît certain que l'Empereur ira à Berlin. On l’y attend. Bresson me mande que M. de Bülow est revenu en très bon état. Je vous quitte pour Génie à qui j’ai plusieurs choses à dire. Adieu. Adieu. Soyez charmante tous les jours, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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4 Val Richer, Mercredi 15 Juillet 1846,

Vos yeux malades me déplaisent beaucoup. Presque autant que vos yeux bien portants me plaisent. Vos yeux bien portants ont, par moment, un caractère de profondeur de regard recueilli et intérieur, admirable. Je les vois tels dans ce moment-ci. Qu'ils ne soient pas malades. Mad. Danicau vous lit-elle beaucoup ? Vous ne me dites rien d'elle. Je suis presque bien aise que vous renonciez à Dieppe. Je n’y avais pas goût. C’est bien loin pour ce que vous alliez y chercher. Et en cas de grand ennuis, il faut deux jours pour revenir à Paris. J’aime mieux St Germain ou Versailles. Je pense que vous allez samedi à Mouchy. Moi, j’irai ce jour-là établir Pauline à Trouville. Je devais y aller demain. Quelques arrangements me font retarder de deux jours. Fleischmann tient-il sa parole ? Le temps est resté un peu gâté de l'orage. Je me suis moins promené hier. Pourtant une course d’une heure dans les bois. On m’annonce pour aujourd’hui beaucoup de visites. Si je savais m’ennuyer, l’occasion serait bonne. L’état des esprits est excellent, ici et dans les environs. Je ne crains que le trop de confiance. Tous les nôtres se croient sûrs du succès trop sûrs.
Rien aujourd’hui d’aucun point. Si ce n’est de Bruxelles où l’Infant D. Enrique s’est rendu en deux jours, à charge à tout le monde, en particulier à sa sœur qui parle mal de lui et dit qu’il faut bien le veiller. Il ne s’est entouré que des émigrés progressistes. Il a dîné le 14 à la Cour, et il part aujourd’hui même pour la Hollande, d’où il ira sans nul doute à Londres. Vous avez toute raison de parler toujours de lui, comme de notre candidat N° 2. J’attends la première lettre de Jarnac pour lui écrire en détails à ce sujet. A tout prendre, je serais bien aise que Bulwer quittât Madrid pour Constantinople. C'est aussi l’avis de Bresson. Palmerston a été à Tiverton, bien réservé sur les affaires étrangères, et bien aigre sur Peel. Il me paraît impossible que l’hostilité ne recommence pas bientôt entre eux. Les Whigs feront ressortir les fautes de Peel, et il ne se laissera pas faire, je suppose. Je reçois un mot de Flahaut qui trouve sa retraite (la retraite de Peel) magnifique. Mais M. de Metternich a été très choqué de l’éloge de Cobden.
J’avais tort tout à l'heure de vous dire que je n’avais rien de nulle part. J’oubliais ce mot de Flahault qui me demande de la part de Metternich, des renseignements très détaillés sur l'organisation et le service de la Gendarmerie en France. On veut établir un service semblable en Galicie. On vient, d’Autriche, nous emprunter de la police. Pas un mot sur le discours de Montalembert et sur mon silence. Flahaut a tort. Que M de Metternich ne lui en ait rien dit, je le comprends ; mais il devrait avoir lui des informations, des conjectures, sur ce que Metternich en a pensé, et me les dire. Il fait comme bien d’autres, plus en pouvoir que lui ; dès qu’il y a quelque embarras, il s'efface. Vous ai-je dit qu’il avait écrit à Morny ? Il y a peu de temps qu’on lui disait que je n'étais pas content de lui, que j’avais envie de donner son poste à un autre, &. pour peu que cela fût vrai, disait-il, il voudrait le savoir, car pour rien au monde, il ne voudrait rester à son poste contre mon gré ou seulement contre mon goût. J’ai pleinement rassuré Morny. Adieu.
Je reviens à vos yeux. J'en attends de meilleures nouvelles. Merci de vos excellents conseils pour Henriette. J'en ai fait usage d’autant que je les avais devancés. Elle est à l’œuvre. Vous avez mille fois raison. Vous êtes vous-même, un modèle d’ordre. Adieu. Adieu. Je viens d’écrire longuement au Roi sur l’Espagne. Adieu G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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4. Versailles, Dimanche 9 heures 3 Septembre 1843

Le télégraphe annonce le passage devant Cherbourg hier à 6 h. du matin, elle sera donc arrivée hier à Eu. Et que vous ayez été en mer à sa rencontre ou non, Dieu merci le temps est et a été beau, je suis donc un peu tranquille et j’attends la nouvelle et vos nouvelles.
Hier Pogenpohl est arrivé, pendant que je dinais, je suis bien aise. Il dinera et promènera avec moi, that is a great help. A 8 heures Génie est venu. Nous nous sommes réciproquement communiqué au fond, c’étaient les même choses. Il ne voit pas pourquoi je me dérangerais. Si elle vient à Paris c’est autre chose, c'est-à-dire si on apprend qu’elle doit y venir. Vous voyez que tant qu’elle reste à Eu, je peux bien rester à Versailles, car ou on a rien à faire ou à décider à Paris, aucun conseil ou idée possible à donner parce qu'on n'en a pas besoin. J'ai bien envie qu’elle n’y vienne pas. Un accident, serait quelque chose d'épouvantable quand on s'engouffre dans cette idée cela fait maigrir sur place de terreur. La demeure aux Tuileries est mauvaise pour cela, car elle sort le matin de bonne heure à pied. Elle voudra sortir dans le jardin. La retenir prisonnière est si gauche. L'exposer est si terrible. Au fait l’Elysée Bourbon si elle veut Paris, c'est-ce qu’il y a de mieux. Mais j'aime mieux qu’elle ne veuille pas. Elle devrait traverser Paris incognito, voiture ordinaire, coucher à St Cloud. Voir Versailles and go home that would be the good thing. Vous allez me dire tout cela. Que vous devez être content ! Savez-vous que plus on y pense plus on trouve qu’il y a de quoi. C'est superbe et excellent. Pogenpohl me dit qu'à Paris l’effet est immense. Dans les rues partout, on ne parle que de cela. C'est une époque dans un règne. Quel joli petit paragraphe cela fera dans le discours d'ouverture des Chambres. Je voudrais bien être à Vienne, Berlin & Pétersbourg pour une demi-heure. Certainement, le soufflet est gros. Génie croit savoir qu’Armin en est le plus non pas dépité, mais chagriné par le mauvais air que cela donne à la maussaderie de son Roi il y a 1 an 1/2. Il dit savoir aussi que le langage d'Appony s'est amendé. Je verrai cela. Je suppose qu’ils viendront demain ne pouvant pas venir aujourd'hui.

Midi. Voici Génie qui me fait la gracieuseté de m’envoyer un homme exprès pour m’annoncer l'arrivée de la Reine, et m’envoyer en même temps votre lettre N° 3. Dieu merci, et merci que je suis contente, et que j'ai été bête hier avec mes terreurs. Mais vous ne vous serez par fâché. Vous ne vous fâchez pas contre moi vous savez d’où viennent mes bêtises.
Ce que vous me dites de Metternich à propos du mariage de Don Carlos m'amuse. C’est bien lui ! Qu'il va se trouver nigaud avec son idée correcte ! Mais savez-vous ce qui arrivera ? C’est qu’entre ceci dont l’Espagne ne voudra pas, Naples que l’Autriche empêchera. Les autres retrouvés par d’autres motifs, quand il ne se trouvera plus de Bourbons, que personne ne peut vouloir un de vos fils, et que vous ne pouvez pas permettre un Autrichien, on finira par trouver le Cobourg le plus inoffensif, en même temps que le lien entre l'Angleterre et la France. Prenez garde à la possibilité que l’affaire prenne cette marche-là. Arrangez-vous pour Naples avec Angleterre. C'est la bonne affaire. Pogenpohl qui a des correspondances beaucoup à Florence où il a longtemps résidé dit que le Lucques est un charmant garçon. Pourquoi pas Lucques si Naples n’allait pas ? Adieu. Adieu.
Je rabâche. Je suis in the highest spirits de savoir la Reine en France, à Eu. C'est une perfection. J'oublie de vous dire que j’ai bien dormi, que je suis mieux. à 7 1/2 j’étais sur la terrasse du palais, pas une âme que la sentinelle. Un air pur excellent. Adieu. Adieu. Que je suis impatiente de votre prochaine lettre. Adieu ever adieu. Remettez ceci à Lady Cowley.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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5 Paris, Mardi 24 Février 1854
2 heures

Je prends le petit papier. Je n'ai rien aujourd’hui. J’ai passé. hier ma soirée au comité protestant. Ce matin, le beau temps et la mardi gras dispersent tout le monde. On est un peu incrédule ici sur vos immenses armées. On commence à vous croire très forts chez vous et pas très forts quand il faut en sortir ; bien efficaces quand il ne faut que peser beaucoup moins quand il faut agir. On dit qu’il est plus sûr d'emprunter 400 millions que d'attendre des présents, même de 25 millions.
Je suis frappé de deux choses, l’une que la question grandit, l'autre, que vous ne grandissez pas. On entreprend plus qu’on ne croyait ; on vous redoute moins qu’on ne faisait. Sur le premier point, on ne se trompe certainement pas ; l'avenir nous apprendra si on a raison sur le second.
Je viens de voir les lettres de Madrid. Quant à présent, l'insurrection a échoué ; mais, dans la voie où entre le gouvernement de la reine Isabelle, la guerre civile me paraît inévitable. Les partis Espagnols n'abdiquent pas en attendant que leur tour revienne de régner ; ils se battent, même quand ils ne sont pas les plus forts.
C'est le général Randon, dit-on, qui reviendra d'Algérie pour faire l'intérim de la guerre en l'absence du Maréchal St Arnaud. Le général Pélissier restera en Algérie pour y faire l'intérim de gouverneur général. Les généraux Canrobert, Bosquet, d'Allonville et Forest accompagneront le Maréchal St Arnaud. Adieu.
Je dîne demain, chez Duchâtel, samedi chez Mad. Mollien. J’irai ce soir chez Molé et à l'Ambassade d'Angleterre. Mon temps est le tonneau des Danaïdes ; ce que j’y mets ne le remplit pas, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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5 Val Richer, Jeudi 16 Juillet 1846
7 heures

Je me lève. J’étais dans mon lit et endormis hier avant dix heures. Depuis que je me repose je sens ma fatigue. Je voudrais vivre comme La Fontaine : Quant à son temps, bien le sut dispenser ; Deux parts, en fit, dont il voulait passer L’une à dormir, et l’autre à ne rien faire. Je n'entre dans mon Cabinet, je ne me remets à mon bureau avec plaisir que pour vous écrire. Cela passera ; non pas, mon plaisir à vous écrire, mais mon besoin de ne rien faire. J'étais vraiment bien fatigué. Il n’y a qu’un plaisir qui s’allie très bien avec la fatigue, c’est celui de la conversation, de la conversation douce, intime, sans but, pur plaisir. Celui-là n'existe pour moi qu'avec vous. Si je pouvais faire mes affaires en en causant avec vous, sans autre souci que de chercher et de décider avec vous ce qu’il faut faire, laissant ensuite à d’autres le soin de l'exécution avec les autres, ce serait le Paradis, un Paradis paresseux, mais charmant.
Dites-moi votre avis sur ceci. Faut-il attendre que Palmerston ait parlé à Jarnac des affaires d'Espagne et lui ait indiqué sa disposition ou bien faut-il que Jarnac, prenant l’initiative, aille droit à Palmerston et lui dise : « L'Infant D. Enrique va arriver à Londres ; le parti progressiste veut en faire son instrument et votre candidat. Ce sera le retour de l’ancienne situation qui a été si nuisible au repos de l’Espagne, et à la bonne intelligence entre nous ; la France et les Modérés, l'Angleterre et les Progressistes, deux mariages, deux gouvernements ; une lutte continuelle, dans laquelle nous aurons l’air d'être les patrons, et nous ne serons que les instruments des partis Espagnols. Voulez-vous que nous coupions court à tout cela, et que nous travaillions, ensemble, sincèrement activement, à marier promptement la Reine d'Espagne à l’un des fils de D. François de Paule à celui qu’elle et son gouvernement préfèreront ? Nous sommes prêts ? C’est là, je crois ce qu’il y aurait de mieux. J’ai posé hier la question au Roi. J’attends sa réponse et la vôtre qui est déjà dans votre lettre d’hier. 9 heures Voilà une lettre qui me désole. Moi, Marion, Verity absents, c’est trop. Je vais attendre bien impatiemment la lettre de demain, j’espère que vos yeux ne s'obstineront pas à mal aller. Vous avez déjà eu souvent ces oscillations. Je me dis ce que j'ai besoin de croire. Si vous revenez à votre gold anointment (est-ce le nom ?), faites le vous-même plutôt que de le faire faire par Chermside.
Comment réussit Mad. Daucan ? Au moins, elle sera bonne pour vous lire. Tant que vous serez inquiète de vos yeux, vous serez mieux à Paris qu’à St Germain. La solitude est le pire. Je suis vraiment bien fâché pour cette pauvre Marina. Elle vous convenait. Le mal est-il si avancé qu’il n’y ait rien à faire ? Sinon, elle ferait bien d’aller consulter, M. Velpeau, ou M. Jaubert, ou M. Cloquet. Ce sont les habiles en ce genre. Avez- vous quelque femme de chambre en vue ? Qu’est devenue votre ancienne Marie ? Je vous questionne à tort et à travers. Si j'étais là, je saurais tout et je ferais quelque chose. Il me paraît difficile que vous ne donniez pas une petite indemnité au courrier qui vous a attendue, et ne s’est pas engagé à d'autres. Je n’ai pas d’idée du chiffres. Entre 60 et 100 fr. Ce me semble. Je dis cela au hasard. J’ai trouvé en effet, au fond de la grande enveloppe, une lettre particulière de Rayneval. Absolument rien qu’un compliment sur la mort de Mad. de Meulan.
Bonnes nouvelles de Rome. Rossi a présenté ses lettres d’Ambassadeur. Bon discours au Pape. Bonne réponse du Pape. Excellente position. Les Autrichiens se disent très contents de l’élection du Pape. Au fait si le cardinal Autrichien Gaysruck était arrivé à temps, il se serait opposé au choix de Martaï. Cela paraît certain. Il n’est plus guère douteux que le Pape ne fasse bientôt l’amnistie et des améliorations considérables dans les états romains. Gizzi Secrétaire d’état à peu près sûr. Amal, à l'intérieur ; moins sûr, mais probable. Tous deux très bons. Adieu. Adieu. Je recommande à Génie de vous montrer une dépêche de Naples qui vous amusera. Adieu. Que Dieu garde vos yeux ! Et vous toute entière ! Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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6. Beauséjour Mardi le 15 août 1843 à 10 heures

J'ai dîné hier chez Cowley. L'humeur n’était pas trop bonne, on demandait ironiquement à Bulwer si les voitures de voyage de la Reine Christine étaient dans sa cour, d’un autre côté on espérait que le régent n'irait pas en Angleterre. Bulwer part ce soir pour Dieppe et va décidément passer deux jours à Londres. Il sera de retour ici le 24.
Plus je pense à l’affaire d’Espagne plus je vois noir. Si l’on entre une fois dans la voie des paroles aigres cela ira bien mal. Il est très évident que l'Angleterre se trouvera dans la question du mariage à la tête de tout le reste de l'Europe. C'est là ce qui va lui donner et lui donne peut être déjà courage. Or, Aberdeen sait être brutal quand il n’a pas peur. Il faudrait lui ôter l'occasion. Que je voudrais vous parler !
La pieuse contesse est ven hier me dire son dernier mot. Je la précède aujourd’hui à Versailles. Elle veut aller demain coucher à St Germain. Je ne demande pas mieux. Je lis dans le journal de Pétersbourg que le bateau qui avait touché Copenhagen était arrivé à Cronstadt le 29 juillet. La lettre de d’André était du 31. Vraiment St Priest se sera trompé. Mais nous allons voir cela bientôt. Bulwer vient de m’interrompre. J'ai écouté, et j’ai parlé ! L'Angleterre prescrit à Acton la reconnaissance du Gouvernement à Madrid. Aberdeen est dans les idées les plus douces. J’ai accepté, et puis j’ai dit qu’il me revenait de tous côtés des inquètudes sur le mariage que les grandes puissances allaient se mettre en campaqne sur cela qu’il fallait faire bien attention à une chose. C’est que la seule, l'unique chance peut-être pour que le duc d’Aumale fut roi serait le cas où les puissances s'aviseraient de l’exclure d'avance. Cette parole prononcée d'une manière tant soit peu officielle serait comme un défi, et personne en France ne supporterait cela tandis que si on laisse les choses aller d’elles mêmes ; si on ne gâte pas en tripotant et en se méfiant, il est bien sûr que cela ne se fera jamais. Je vous dis en gros ce que j’ai donné comme mon opinion mais cela est entré pour rester dans la tête de Bulwer. Il va à Londres. A propos l'Ambassade anglaise croit savoir que Sébastiani va à Londres en mission. Bulwer ne m'en paraît pas fâché car il sait qu’il est bienveillant. Je remets ceci à Génie que je vais chercher. J’aurai, j'espère une bonne lettre aujourd’hui. Adieu. Adieu. Mille fois, parlez-moi du 26 ou de quelque chose avant. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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6 Du Val Richer Jeudi 17 août 1843
8 heures

Mon paquet retardé m’est arrivé hier soir, à 10 heures et demie. J'étais déjà couché. Par je ne sais qu’elle méprise du courrier, ce paquet était allé me chercher à Bayeux d'où on me l’a renvoyé. Je vais demander des explications et faire reprimander sévèrement le courrier. Mais j’ai le cœur content depuis que j’ai mes lettres, c’est-à-dire ma lettre. Il n’y avait rien de grave dans le paquet des dépêches, et le retard n’a point nui. Je n'en viens pas moins de régler notre départ pour lundi 21. Nous irons coucher, à Evreux ; et je serai à Auteuil mardi dans la matinée. Il serait possible que je fusse obligé de ne partir d’ici que mardi et de n’arriver à Auteuil que Mercredi. Mais j’espère lundi.
Vous ne croyez pas au 26. Vous aurez, nous aurons mieux. Je suis bien aise que Bulwer aille à Londres. Vous lui avez très bien parlé très véridiquement et très utilement. On fera une faute énorme si on fait du bruit contre le mariage Aumale. Au fond, si nous voulions ce mariage, si les raisons françaises et Espagnoles étaient en sa faveur, je n'aurais pas grand peur de ce bruit Européen. Je le crains parce qu'il est inutile et deviendrait fort dangereux s’il faisait de ceci, pour la France et pour l'Espagne, une question d’indépendance et de dignité nationale. Du reste, je ne sais pourquoi je vous répète là ce que vous avez dit à Bulwer. M. de Metternich, sous des apparences réservées et douces, me paraît bien préoccupé du comte d'Aquila, préoccupé surtout de la crainte que le Roi de Naples ne reconnaisse, avant l’Autriche, la Reine Isabelle, et ne s'échappe ainsi du bercail, comme fit, il y a quatre ans le Roi Guillaume. Il y aurait là, en Italie un acte et un germe d'indépendance qui lui déplairait fort. C’est évidemment une affaire qu’il faut conduire sans en parler beaucoup, et sans admettre une discussion préalable. En tout, je ne m’engagerai dans aucune discussion de noms propres. Je resterai établi dans mon principe, les descendants de Philippe V. C'est à l'Espagne à prononcer et à débattre les noms propres. Votre Empereur a déclaré aux Arméniens Schismatiques, dont le Patriarche est mort dermièrement qu’il ne consentirait à une élection nouvelle qu'autant que la nation entière reconnaitrait la suprématie spirituelle du Synode de Pétersbourg. La nation a refusé. L'Empereur a interdit toute élection et confisqué en attendant les biens du Patriarche, qui sont considérables, dit-on. Cela fait du bruit à Rome. Le Pape protégera les Schismatiques contre l'Empereur.
La lettre d'Emilie est bien triste. Et celle de Brougham bien vaniteuse.
10 heures
Voilà les numéros 7 et 8. Vous avez très bien fait. Je crois comme vous, à la vertu de la vue de ce qui a été écrit sans intention. Je ne réponds plus sur le 20. Il est devenu le 22. Je vous quitte. J’ai à écrire à Génie et à Désages. Je ne crois pas à Espartero sur un bateau à vapeur entre à Bayonne. Ce serait trop drôle. Adieu. Adieu. Je suis charmé que l’air de Versailles vous plaise. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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7 Château d’Eu. Lundi 4 Sept. 1843,
8 heures

Je pense beaucoup à ce qui se passe ici, si je ne consultais que mon intérêt, l’intérêt de mon nom et de mon avenir, savez-vous ce que je ferais ? Je désirerais, je saisirais, s’il se présentait un prétexte pour me retirer des affaires et me tenir à l'écart. J’y suis entré, il y a trois ans, pour empêcher la guerre entre les deux premiers pays du monde. J’ai empêché la guerre. J’ai fait plus. Au bout de trois ans à travers des incidents, et des obstacles de tout genre, j’ai rétabli entre ces deux pays la bonne intelligence l'accord. La démonstration la plus brillante de mon succès est donnée en ce moment à l’Europe. Et elle est donnée au moment où je viens de réussir également sur un autre théâtre dans la question qui divisait le plus profondément la France et l'Angleterre, en Espagne. Je ne ressemble guères à Jeanne d’Arc ; mais vraiment ce jour-ci est pour moi ce que fut pour elle le sacre du Roi à Reims. Je devrais faire ce qu’elle avait envie de faire, me retirer. Je ne le ferai pas et on me brûlera quelque jour comme elle. Pas les Anglais pourtant, je pense.
Aberdeen a causé hier une heure avec le Roi. C'est-à-dire le Roi lui a parlé une heure Aberdeen a été très très frappé de lui, de son esprit, de l'abondance de ses idées, de la fermeté de son jugement de la facilité et de la vivacité de son langage. Nous sommes montés ensemble en calèche au moment où il sortait du Cabinet du Roi. Il était visiblement très préoccupé, très frappé, peut-être un peu troublé, comme un homme qui aurait été secoué et mené, très vite en tous sens, à travers champs, et qui bien que satisfait du point où il serait arrivé, aurait besoin de se remettre un peu de la route et du mouvement. The king spoke to me un very great earnestness, m’a-t-il dit. Et je le crois car, en revenant de la promenade, j’ai trouvé le Roi, très préoccupé à son tour, de l'effet qu’il avait produit sur Aberdeen. Il ma appelé en descendant de calèche pour me le demander. " Bon, Sire, lui ai-je dit ; bon, j’en suis sûr. Mais Lord Aberdeen ne m’a encore donné aucun détail. Il faut que je les attende. "
Il les attend très impatiemment. Singulier homme le plus patient de tous à la longue et dans l’ensemble des choses, le plus impatient le plus pressé, au moment et dans chaque circonstance. Il est dans une grande tendresse pour moi. Il me disait hier soir : " Vous et moi, nous sommes bien nécessaires l'un à l'autre ; sans vous, je puis empêcher du mal ; ce n’est qu’avec vous que je puis faire du bien. "
Il fait moins beau aujourd’hui. J'espère que le soleil se lèvera. Nous en avons besoin surtout aujourd’hui pour la promenade et le luncheon, dans la forêt. Le Roi a besoin de refaire la réputation de ses chemins. Il a vraiment mené hier la Reine victoria par monts et par vaux, sur les pierres, dans les ornières. Elle en riait, et s'amusait visiblement de voir six beaux chevaux gris pommelés, menés par deux charmants postillons et menant deux grands Princes dans cet étroit, tortueux et raboteux sentier. Au bout, on est arrivé à un très bel aspect du Tréport et de la mer. Aujourd’hui, il en sera autrement. Les routes de la forêt sont excellentes. Du reste il est impossible de paraître et d’être, je crois, plus contents qu'ils ne le sont les uns des autres. Tous ces anglais. s'amusent et trouvent l’hospitalité grande et bonne. J’ai causé hier soir assez longtemps, avec le Prince Albert. Aujourd’hui à midi et demie la Reine et lui me recevront privatily. Ce soir spectacle. Débat entre le Roi et la Reine (la nôtre) sur le spectacle. La salle est très petite. Jean de Paris n'irait pas. On a dit Jeannot et Colin, beaucoup d'objections. Le Roi a proposé Joconde. La Reine objecte aussi. Le Roi tient à Joconde. Il m'a appelé hier soir pour que j'eusse un avis devant la Reine. Je me suis récusé. On est resté dans l’indécision. Il faudra pourtant bien en être sorti ce soir. Adieu.
J'attends votre lettre. J'espère qu'elle me dira que vous savez l’arrivée de la Reine et que vous n'êtes plus inquiète. Je vais faire ma toilette en l’attendant. Adieu. Adieu.

Midi
Merci mille fois de m'avoir écrit une petite lettre, car la grande n’est pas encore venue et si je n'avais rien eu j'aurais été très désolé et très inquiet. A présent, j’attends la grande impatiemment. J'espère que je l’aurai ce soir. Ce qui me revient de l'état des esprits à Paris me plait beaucoup. Tout le monde m'écrit que la Reine y serait reçue à merveille. On aurait bien raison. Je regrette presque qu'elle n’y aille pas. Pourtant cela vaut mieux. Mad. de Ste Aulaire est arrivée ce matin. Voilà le soleil. Adieu Adieu. Je vais chez la Reine et de là chez Lord Aberdeen. Adieu Cent fois. J’aime mieux dire cent que mille. C'est plus vrai. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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7. Val Richer, Samedi 18 Juillet 1846, 6 heures

Où êtes-vous à St Germain ? Je suppose au Pavillon de Henri 4. Vous ne me l’avez pas dit. J'espère que vous y avez plus beau temps qu’il ne fait ici ce matin. Ma vallée est sous un voile de pluie. C'est ennuyeux pour aller à Trouville. J’y vais pourtant. Je pars à onze heures. Le soleil percera peut-être d’ici-là. Le temps est très variable depuis deux jours. Je vous dirai demain matin ce que j'aurai trouvé pour vous à Trouville. On dit que la maison où ma fille, et Mlle Wislez vont s’établir est la meilleure de l’endroit, la plus confortable, par la vue, et au dedans. Elles ont le projet de s’établir au second étage et de laisser le premier disponible. Je vous dirai quand j'aurai vu. L’aide de Guillet y sera. Facilité de plus.
Le Roi fait venir du château d’Eu son portrait en pied par Winterhalter, et le donnera à Lord Cowley. A propos de portrait, il a fait faire, en porcelaine, à Sèvres, d’après Winterhalter, deux très beaux portraits de la Reine Victoria et du Prince Albert, pour Windsor. Mais à la dernière cuisson, une crevasse s’est déclarée dans celui du Prince Albert, ce qui sera difficile à réparer. Peut-être faudra-t-il recommencer ? En attendant. celui de la Reine est parti. On dit que c’est un chef d’œuvre.
Le Roi a été frappé de la dépêche de M. de Nesselrode sur les croix. Voici sa phrase : " Cela est gracieux. Il y a quelque progrès ; mais je doute fort que cela aille plus loin. " L’idée de l’initiative franche avec Londres pour l’un des fils de D. François de Paule est fort approuvée. Je vais la mettre à exécution, lundi probablement. J'en écrirai en même temps à Madrid et à Naples. La Reine Christine m’a mis bien à l'aise à Naples en faisant attaquer elle-même dans ses journaux, par son secrétaire Rubio, la candidature de son frère Trapani, et en en rejetant sur nous la responsabilité. C'est bien elle qui l'abandonne et la tue. Je réserverai pour cette combinaison-là, comme pour celle de Montemolin, les chances de retour, toujours possibles avec un tel monde. Je maintiendrai notre principe tous les descendants de Philippe V si seulement, nous nous portons selon les termes, vers celui qui peut réussir, favorable à celui-là sans en abandonner aucun. Rien encore de Londres qui indique avec un peu de précision ni sur cette question-là, ni sur aucune autre, le tour que va prendre Palmerston. La réserve des Whigs est extrême. En tout, la situation donnée, je ne trouve pas leur début malhabile. Ni de mauvais air. C’est assez tranquille, et sensé. Avez-vous remarqué ces jours-ci un article du Morning Chronicle qui n'aura pas fait plaisir à Thiers ? On lui donne poliment son congé, comme War-party. N’avez-vous rien reçu de Lady Palmerston ? Avez-vous écrit à Byng ? Mad. Danicau sait-elle vous lire le Galignani ? Le Prince de Joinville et sa flotte, et sa rencontre là, avec le Duc d’Aumale, ont fait grand effet à Tunis. Nos affaires sont bonnes à l'est et à l’ouest de l'Algérie. Après son apparition devant Tripoli, il (Joinville) ira à Malte, de là à Syracuse, de là une visite au Roi de Naples, puis une au grand Duc à Florence, puis une au Pape à Rome. Tout sauvages qu’ils sont, ces Princes là se montrent volontiers quand il y a quelque effet à faire. Ils se regardent bien comme les serviteurs du pays et obligés de soigner ses intérets et sa grandeur. Le comte de Syracuse passera, dit-il, l’hiver prochain à Paris. Il va parcourir la France, en attendant. Voilà mon sac vidé. Mon cœur reste plein. Loin de vous, il se remplit de plus en plus. Nous nous croyons bien nécessaires l’un à l'autre. Nous le sommes plus que nous ne croyons.
9 heures Je vais déjeuner et partir pour Trouville. Bon petit billet de St. Germain. Je suis content de vos yeux et de Mad. Danicau. Bonnes nouvelles de Londres même sur l’Espagne. Ce demain les détails. Je suis pressé. Soyez tranquille. Rien à craindre que la pluie. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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7. Du Val Richer. Vendredi 18 août 1843,
7 heures

Dans quatre jours, je serai en route vers vous. Dans cinq. je serai près de vous. Comment se quitte-t-on quand on a un tel plaisir à se retrouver ? Nous avons bien peu de sens et de volonté. Nous sommes à la merci de ce qui ne nous fait rien. Nous sacrifions sans cesse le fond à la surface. Dieu doit nous prendre en grande pitié. J'écris ce matin, au Président d’âge de mon Conseil général pour lui dire que je n'irai pas, et pourquoi. C’est une réunion qu’il faut traiter avec égard. J'écris aussi à quelques membres, pour leur recommander les affaires des cantons que je représente et qui pourraient bien être négligées en mon absence.
Vous ne comprenez rien à ce que je vous dis là, et cela ne vous fait rien. Vous êtes la personne la plus étrangère aux détails de toute situation, de toute vie qui n’a pas été la vôtre. Et pour la vôtre, personne ne comprend et ne soigne mieux que vous les détails, et la pratique de tous les moments. Vous resterez comme vous êtes, et c’est ce qui me plaît. J’ai renvoyé hier à Désages ma dépêche pour Chabot avec le changement désiré. J’avais voulu que le changement fût approuvé à Eu précisement parce que la dépêche n’avait été vue qu'après avoir été envoyée. Elle sera de retour, à Londres après demain, et j'espère qu’elle y sera le point de départ d’une politique un peu nouvelle. Je mets beaucoup de prix à changer, sur l’Espagne la vieille politique de l'Angleterre par intérêt public et par orgueil personnel.
Vos conversations avec Bulwer ont été excellentes. J’ai écrit à Flahault pour qu’il se gardât un peu du Prince de Metternich à qui évidemment notre succès ne plaît guères, et qui veut trop le mariage D. Carlos et pas du tout le mariage Aguilla. J'ai peur que Flahault ne soit aussi trop bien avec lui et n'évite trop d’avoir un autre avis que le sien. Espartero est donc décidément à Bayonne. S'il ne fait comme sa femme, que traverser la France pour aller en Angleterre, peu m'importe. Mais s’il entendait rester en France, il y aurait à y bien regarder D. Carlos, Christine et Espartero ! En attendant, j’ai écrit au Ministre de l’Intérieur qu'il ne fallait à aucun prix, le laisser séjourner près des Pyrénées. Au moins aussi loin de l’Espagne que Bourges. On m'écrit de presque tous les points de l’Espagne que sa fuite précipitée, quand la dernière bombe venait à peine de tomber sur Séville fait baisser la tête de honte à tous ses partisans.

10 heures et demie M. de Beauvoir, un jeune attaché fort intelligent m’arrive à l’instant de Londres. Chabot me dit de le faire causer et qu’il est fort au courant. Sa conversation est bonne. Lord Aberdeen ne demande pas mieux que de se concerter avec nous et de nous aider en fait, à réussir dans le mariage Philippe V. Tout ce qu’il désire, c’est que nous lui épargnions le calice du principe. J’en suis d'accord et ma dépêche est partie. M. de Beauvoir croit qu’elle sera acceptée avec joie et mise en pratique. Sur ce adieu, car il faut que je renvoie le jeune homme à Paris, et j’ai encore plusieurs lettres à écrire. Adieu. A mardi. Je serai à Auteuil avant 4 heures. Adieu. G.
Voilà votre n°9. N'ayez donc pas de point de côté. Ne vous levez pas sans vous couvrir. Il ne faut pas être si remuante quand on est si délicate. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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7. Versailles Mardi 5 Septembre 1843 8 heures du matin.

Merci de deux bonnes lettres hier. La seconde avec l'incluse de lady Cowley m'est arrivée tandis que j’étais à dîner avec Appony et Armin. Comme elle était fort innocente. Je leur ai donné le plaisir de la lire. C'était pour eux un treat. Ils sont venus de bonne heure, j’étais dans les bois en calèches avec Pogenpohl qui me tient fidèle compagnie pour la promenade et pour le dîner. Nous avons eu encore de la causerie avant le dîner à nous trois.
Vraiment Appony est impayable. Il me dit maintenant on ne pourra plus dire que c'est un caprice d'une petite fille curieuse puisqu’elle ne vient pas à Paris. On était tout juste lui il y a 3 jours. C'est de moi qu'ils ont su qu’elle n’y venait pas. car en ville on l’attend encore. Tous les deux m'ont dit avec bonne grâce " c’est plus flatteur puisque c’est personnel. " Enfin le ton était tout-à-fait changé. Mais j’arrive à l’essentiel. Tous deux m'ont parlé du mariage Espagnol. Vous ne serez pas sorti de votre voiture en arrivant à Paris qu’ils seront là pour vous presser au sujet du mariage Don Carlos. Armin en a reçu l’ordre formel de sa cour. Appony s’est longuement étendu sur le fait. Bon pour tout le monde. Bon pour l’Espagne puisque cela confond et réunit les droits et écarte les dangers d’une guerre civile que ferait naître un prétendant. Bon pour l'Angleterre pour la France (qui veut un Bourbon) pour toutes les puissances puisqu’elles sont d’accord sur la convenance et l’utilité de ce mariage. Bon encore pour l'Espagne puisque c’est la seule combinaison qui lui assure la reconnaissance immédiate de la reine par les 3 cours. Enfin rien de plus correct, de plus irréprochable, de plus désirable. J’ai dit amen. Mais deux choses, l’Espagne voudra-t-elle ? & Don Carlos voudra-t-il ? pour l'Espagne nous en sommes presque sûrs pour Don Carlos c’est difficile, mais si l'Angleterre & la France voulaient seulement concourir, l’Espagne serait sûre & on pourrait l’emporter à Bourges. Au reste ajoute Appony je vous dirai que Lord Aberdeen est excellent et qu'il a dit à Neumann qu’il était tout-à-fait pour le mariage Don Carlos, en êtes-vous bien sur ? Parfaitement sûr.
Nous sommes revenus à la visite de la Reine, à l’effet que cela ferait en Europe. Ils en sont tous deux curieux, au fond ils conviennent que cela ne plaira pas, que c’est comme une consécration de la diplomatie et que certainement pour ce pays-ci c’est un grand événement ; nous avons parlé de la Prusse, et moi j’ai parlé. du peu de courtoisie des puissances envers ceci. Appony s’est révolté ; comment ? Au fond la France nous doit bien de la reconnaissance si nous ne lui avons pas fait des visites au moins l’avons- nous toujours soutenue, toujours aidée. Le solide elle l’a trouvé en nous. C’est vrai mais les procédés n’ont pas été d’accord. Les princes français ont été à Berlin, à Vienne, d’ici on a toujours fait des politesses. On n’en a reçu aucun en retour, et depuis quelques temps vous devez vous apercevoir que le Roi est devenu un peu raide sur ce point. Alors Armin est parti. Le Roi a été très impoli pour nous. C'est une grande impolitesse de n’avoir envoyé personne complimenter mon roi quand il s’est trouvé l’année dernière sur la frontière. Nous avons trouvé cela fort grossier & M. de Bulow l’a même dit à M. Mortier (quelque part en Suisse) mais votre Roi n’avait pas été gracieux six mois auparavant. Il a passé deux fois à côté de la France sans venir ou sans accepter une entrevue. Oh cela, c'est Bresson qui a gâté l’affaire. Il a agi comme un sot. Il a voulu forcer la chose et l’a fait échouer par là. Je vous répète tout. Ensuite rabâchant encore sur Eu, Appony me dit au moins la Reine ne donnera certainement pas la jarretière au Roi. C’est cela qui ferait bien dresser l’oreille dans nos cours ! Pourquoi ne la donnerait-elle pas ? Vous verrez que non.
Ils ont ensuite parlé de la légion d’honneur au prince Albert comme d’un matter of course Je crois que j’ai expédié mes visiteurs dans ce qu’ils m’ont dit de plus immédiat. Faites donner la jarretière au Roi. Vous avez tous les moyens pour faire comprendre que cela ferait plaisir ici. Commencez par donner le cordon rouge au Prince. Mandez-moi que vous n'oubliez pas cette affaire. Car c’est une affaire.
Direz-vous quelque chose à Aberdeen de vos dernières relations avec ma cour ? Il ne faut pas vous montrer irrité, mais un peu dédaigneux ce qu'il faut pour qu'il sache que vous voulez votre droit partout. Cela ne peut faire qu'on bon effet sur un esprit droit et fier comme le sien. J'espère que vous êtes sur un bon pied d’intimité et de confiance et qu'il emportera l’idée qu'il peut compter en toutes choses sur votre parole. Faites quelque chose sur le droit de visite. N'oubliez pas de dire du bien de Bulwer. C'est bon pour lui en tout cas qu’Aberdeen sache que vous lui trouvez de l'esprit et que vous vous louez de son esprit conciliant.
Après le dîner que je fais toujours ici à cinq heures, j’ai été avec mes deux puissances faire une promenade charmante mais un peu fraîche en calèche. Ils m'ont quitté à 8 1/2 et comme je n’ai plus retrouvé Pogenpohl je suis allée finir ma soirée chez Madame Locke. J’ai passé une très mauvaise nuit. Mes attaques de bile. Décidément les dîners d'Auberge ne me vont pas et j’ai envie de m’en retourner aujourd'hui à Beauséjour.
10 heures. Génie, notre bon génie m’envoie dans ce moment votre n°4 excellent je vous en remercie extrêmement. Je suis bien contente de penser que tout va bien. Quelle bonne chose qu'Aberdeen ait vu le Roi, vous. Quel beau moment pour vous en effet. Je me presse, je remets ceci à ce messager, sauf à vous écrire plus tard par le mien. Adieu. Adieu. Adieu.
N’allez pas dire un mot à Aberdeen des vanteries d'Appony. C'est-à-dire ne dites pas que c'est moi qui vous le dis. Ne prononcez pas mon nom quand vous parlez affaires. Pardon vous savez tout cela, mais j’aime mieux tout vous dire, tout ce qui me traverse l'esprit. Adieu. Adieu à tantôt.
Pourquoi ne faites-vous pas donner la part du Diable ? C'est décidément charmant. Opéra comique.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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8 Val Richer, Dimanche 19 Juillet 1846 6 heures et demie

Temps affreux hier pour aller à Trouville. Grande pluie, grand vent. Pourtant quelques coups de soleil et un vif plaisir à revoir la mer. Vraiment cette plage est très jolie. Peu de baigneurs encore. Personne de votre connaissance. C’est au mois d'août que doivent venir Mad. de Boigne, Mad. d’Haussonville, Mad. de Ségue & M. Molé et Mad. de Castellane devaient venir ces jours-ci. Ils avaient loué la moitié de la maison du Dr. Olliffe qui a là une assez bonne maison, confortable. Ils lui ont écrit qu'ils ne viendraient pas. Le bruit de Trouville était qu’ils ne venaient pas à cause de moi, parce qu'on leur avait écrit que je venais à Trouville, que j’y étais très populaire, qu’on devait m'y faire des fêtes &. Il est sûr que je suis là très populaire, et que j’y ai été reçu avec tous les témoignages possibles de toute la population, tous les bateaux du port pavoisés, tous les notables du bourg réunis dans ma maison. Bonne maison, la meilleure de Trouville ; très simple et très propre assez bien pourvue de meubles, linge & sur la plage, n'ayant que la mer sous vos fenêtres ; si bien qu’hier, de la salle à manger, au rez-de chaussée, pendant le dîner, à la marée haute, on ne voyait absolument que la mer sans rivages, pas plus le rivage près que le rivage loin. Vous y seriez très passablement, au 1er étage, trois chambres, avec cabinets de toilette et des chambres de domestique en haut. Pauline et Mlle Wislez seraient au second. L’aide de Guillet est là, suffisant. La maison appartient à l’un de mes amis de Lisieux qui me la prête tout entière, tant que je voudrai. Si vous en aimiez mieux une autre, il y a celle d’Olliffe, tout ou partie de ce qu’avait loué M. Molé et qui est encore vacant. Vous voyez qu’en tous cas, vous ne manqueriez pas de ressources. Pour de la société jusqu'à présent, je ne vous en vois guère là. J’irai vous y voir et vous y chercher pour vous amener au Val Richer où vous pouvez, soit coucher, soit ne passer que la journée, comme vous voudrez. On y vient de Trouville par une très jolie route en poste en moins de trois heures. Quel plaisir de vous avoir ici, malgré mes commentaires par avance ! Avec quel plaisir, nous nous y promènerions comme vous voudriez, ni plus, ni moins ! Voyez. Dites-moi. Mes descriptions sont exactes, sans omission, ni exagération. J’étais parti de Val-Richer à onze heures. J'y suis rentré à neuf heures et demie. La route est partout une allée de jardin.
Jarnac a eu une longue conversation avec Palmerston sur les affaires d’Espagne. Pure conversation, sans proposition, ni conclusion de part ni d’autre mais bonne. Notre principe des descendants de Philippe V bien maintenu. Ni admis, ni contesté comme principe ; mais approbation très explicite des fils de D. François de Paule, avec pente indiquée vers D. Enrique. Le Coburg tout-à-fait écarté avec quelque surprise que la France n'en veuille pas, car il est plus français qu'anglais. Pas un mot, sur l'Infante déclaration très expresse que les deux seuls alliés de l’Espagne doivent être là d'accord et agir de concert. Disposition annoncée, à me communiquer ses instructions à Bulwer et à continuer l’entente intime, comme Aberdeen. Tout cela assez superficiel et réservé, mais dans la bonne voie. Je vais écrire aujourd’hui à Jarnac avec détails. Lord John très bien avec Peel me dit Jarnac. Il a rencontré chez ce dernier, le Duc de Bedford, en intimité marquée. Tout le monde se concerte pour surveiller Palmerston. Pourvu qu'il n'en prenne pas de l'humeur, et ne s'amuse pas à attraper ses duègnes. J’ai peur qu’il n’y ait jamais entre lui et nous, qu'un mariage de raison. Croyez-vous que cela suffise jamais ? Deux idées, je crois à bien inculquer à W. Hervey. L’une, qu’il faut se hâter de saisir le moment où nous sommes bien disposés pour les Infants D. François de Paule, le mariage, après tout, qui convient le mieux à l'Angleterre puisque c’est un mariage purement Espagnol. L'autre, qu’il faut bien se garder de recommencer en Espagne, l’antagonisme des deux patronages, Français et Anglais, au profit des deux partis, modérés et progressistes. Ce serait la ruine du mariage François de Paule de l’ordre naissant en Espagne et de la bonne intelligence entre nous. S’il parle de l'Infante dites que le Duc de Montpensier, s'il l’épouse, est bien décidé à l'emmener en France et à vivre en France avec elle à en faire une Princesse française. Il a grand dégout et grande méfiance des Cours du midi de leurs mœurs de leurs Camarillas &. C'est le sentiment de toute la famille royale. En voilà bien long pour vos yeux, quoique bien peu pour mon plaisir. Ah, l’absence, l'absence. J’y fais tous les jours des découvertes.
9 heures Voilà le N°8. Il n’y aura de bon numéro que le dernier. Je me porte bien. Les élections aussi, comme on se poste bien au milieu d’une bataille. La lutte est très vive. Il y aura bien des morts de part et d’autre. Mais tout continue, à présager que le champ de bataille nous restera. Adieu. Adieu. Je suis accablé ce matin de signatures à donner et de lettres à écrire. Et c’est dimanche, jour de visites. Adieu. Adieu. Charmante parole dans le N°8. Vous viendrez au Val Richer. Adieu donc.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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8 Val. Richer, Samedi 19 Août 1843
8 heures

Je viens de dormir neuf heures de suite. Il y a longtemps que cela ne m'était arrivé. J’ai beaucoup marché hier. Le soir, j'étais rendu. J'espère bien qu'il n’est plus question de votre point de côté.
Je n’avais pas bonne idée de votre essai de coucher à St Germain ou à Versailles. Quand on parviendrait à réunir, dans une chambre d’auberge, tous les conforts possibles, comment arranger le dehors, le bruit, le mouvement, les chevaux, les postillons, les voyageurs ? Il faut voyager ou rester chez soi. Enfin nous serons à Beauséjour, mardi. Il fait toujours beau. Je compte, pour nous, sur un beau mois de septembre.
Je ne parviens pas à voir comme vous l’Espagne en noir. Sans doute la situation est grave et difficile ; il faut y bien regarder, et la suivre pas à pas. Mais au fond, elle est bonne, très bonne ; et en définitive, après toutes les oscillations et tous les incidents possibles, c’est le fond des choses qui décide. La conduite sera bonne aussi. J’ai de plus maintenant l'autorité car j'ai réussi. Je m’en servirai au dedans et au dehors. Au dedans, je crois à ma force dans la discussion. Au dehors, je crois au bon sens anglais. Voilà ma confiance. Voici mes craintes, car j’en ai plus d'une. Je crois que les Espagnols les vrais meneurs ne veuillent absolument un grand mari, et que ne pouvant avoir Aumale, ils ne reviennent au Cobourg. Je crains que malgré le bon sens de Londres, les vieilles routines Anglaises et Palmerstoniennes ne persistent dans les agents secondaires et éloignés, que l’esprit d’hostilité contre la France ne les porte à fomenter toujours en Espagne, les intrigues Espartéristes et radicales. Je crains que la bouffée de raison et de modération qui souffle en ce moment en Espagne, ne soit courte, et qu’on n’y retombe bientôt dans l’anarchie des passions et des idées révolutionnaires. Trois grosses craintes, n'est-ce pas ? Je m'y résigne. Il y a, dans le fond des choses de quoi lutter contre ces périls-là. Je sens tout le poids du fardeau que je porte. Mais je suis convaincu que les hommes qui ont gouverné leur pays, dans les grands temps n’en portaient pas un plus léger. Il faut accepter sa condition.

10 heures Voilà le 10. Je suis charmé que le point de côté soit passé. Vous avez toute raison de ne pas choquer la jeune comtesse. Je ne partirai d’ici que mardi, et ne serai à Auteuil que mercredi. Je reçois à l’instant même une lettre du Roi, qui m'avertit que Salvandy est parti d'Eu hier soir et viendra demain au Val-Richer. Tout n'est pas arrangé, bien s'en faut d'après ce que me mande le Roi. Pourtant il y a du progrès. Il faudra que j'aille faire une course à Eu dans les premiers jours de septembre ! Je l’ai promis au Roi et il me le rappelle encore aujourd'hui. Ce sera deux nuits en voiture et 36 heures de séjour. Je vais lire le discours de Palmerston sur la Servie. On m'écrit de Londres qu'il a fait de l'effet, et la réponse de Peel pas beaucoup. Adieu. Adieu. Je n’aime pas ces 24 heures de séparation de plus, mais il le faut.
Adieu. Cent fois G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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8. Versailles Mercredi onze heures
Le 16 août 1843

J’ai quitté Beauséjour à 4 heures. Je suis venue dîner seule ici, à 8 la jeune contesse est arrivée. Elle ne m’a pas ennuyée. Mais voici de son côté. Elle me dit tout à coup - Il doit être bien tard chère Princesse. - Quelle heure pensez-vous qu'il soit ? Près de onze heures. Il était huit heures 3/4. Vraiment j’ai peur qu’elle ne supporte pas longtemps le tête-à-tête.
Je me suis couchée à 10 h. J'ai très bien dormi. A 8 h, j'étais sur la Terrasse. Il faisait frais et beau. J’ai déjeuné, j’ai fait une toilette et me voici. La jeune comtesse est allée se promener dans les galeries, déjeuner chez Mad. de la Tour du Pin. J’y étais conviée aussi, mais je reste. Je vous écris et j’attends votre lettre.
Bulwer parle très sérieusement. Au fond il trouve le Cadiz ce qu’il y a de mieux et de plus pratique surtout. Le fils de Don Carlos impossible. Naples peu vraisemblable comme disposition espagnole. Dieu garde dit-il que qui que ce soit mette en avant un prince étranger quel qu'il soit. Car aussitôt la France serait forcée de lui opposer un Prince d’Orléans. Il ne faut pas à tout prix que la lutte de candidats s'engage. Il ne faut se mêler de rien. Il dit cependant que l'Angleterre doit agir pour empêcher que les Cortès ne nomment le duc d’Aumale, car malgré la résolution du Roi le cas pourrait devenir embarrassant. Si l'Angleterre veut en finir, je crois bien qu’elle arriverait au résultat contraire, mais enfin ce n’est que le dire de Bulwer. Il a beaucoup répété que son gouvernement était dans les meilleures dispositions d’entente avec la France. Il a insisté sur le bon effet qu’aurait la présence de Sébastiani, fort respecté à Londres. Cependant ne sera-t-il pas un peu trop Whig pour les gouvernements actuels ?
Tout ce que vous me dites dans votre N°3 me plaît. Vous avez pris si doucement mes reproches. De la manière dont vous me répondez, je trouve bon toutes vos faiblesses. Mais voici ce que je ne pourrais jamais trouver bon c’est que je fusse renvoyée au delà du 26. Vous pouvez être faible pour votre mère, mais vous ne serez pas injuste et dur pour moi. Je reste donc ferme dans ma foi pour le 26.
Midi et demie. Voici le N°4. Je comprends fort bien la première page, car Génie m’avait confié ce qui était venu de Londres. J’espère que vous aurez consenti à rétrancher le petit mot déplaisant. Il ne faut pas que vous ayez à vous reprocher un seul fait ou geste qui empêche de s’entrendre. Mais quel dommage que vous ne soyez pas ici. Je le répète : un jour de retard dans des affaires comme celle-ci c’est beaucoup risquer et vous dites mieux que moi. Je vous copie. " tout cela a besoin d'être conduit avec un grande précision et heure par heure." Et vous êtes à 46 lieues ! Mais au moins vous reconnaissez l’inconvénient, tout le monde le pensait, et moi aussi, par dessus toutes les autres choses. Revenez, revenez. Ceci est votre grand moment vous n'avez rien eu de si grave, de si important, et de si directement posé sur vos épaules depuis 3 ans bientôt que vous êtes ministre. Et c’est là le moment que vous avez choisi pour vos vacances. Pardonnez-moi si je reviens. Mais vraiment je voudrais impress upon your mind combien cela est sérieux pour vous. Je comprends toutes vos jouissances au Val-Richer, & j’essaie même de n'être pas jalouse ; mais je suis désolée de ce que votre sommeil soit toujours troublé. Enfin votre mère en vous voyant comme cela accablé de travail, vous laisserait bien partir, car elle reconnaîtrait que la politique est sa vraie rivale Adieu. Adieu.
Je renvoie Etienne avec ceci. Je regrette que mon N°7 soit arrivé à Génie trop tard pour vous être envoyé par la poste. Je l’avais donné à [?], à 4 pour le poster de suite. Il ne s’est présenté qu’après 6. Nouveau grief. Par dessus la glace & & Adieu. Adieu. Aujourd’hui variante avant le 26. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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9. Beauséjour Mercredi le 6 septembre 1843

Me revoilà dans mon home et j'en suis bien aise. J’ai encore dîné hier à Versailles et j’étais ici à 8 heures, & dans mon lit à 9. J'ai bien dormi jusqu'à 6 heures. à 7 heures j’étais sur les fortifications, je viens de faire ma toilette et me voici à vous. J’attends votre lettre. Le Galignani et les journaux ont devancé votre récit. Je sais que Lundi s’est bien passé. Belle promenade & concert. Je voudrais que tout fut fini. Dieu merci c'est le dernier jour.
Kisseleff est venu me trouver à Versailles hier sur les 3 heures, nous ne nous sommes vus seuls que dix minutes. Le Duc de Noailles est arrivé. Dans les 10 minutes il m’a dit qu'il avait écrit à Brünnow ceci : " On dit que le corps diplomatique (de Paris) montre quelque dépit de l’entrevue royale, quant à moi je me tiens dans un juste milieu. Je dis que c'est un événement très favorable au Roi et à son gouvernement et voilà tout. Si les autres disent plus ou autrement je trouve que c’est de la gaucherie. " Je l'ai encore loué. Il me dit qu'Appony avait changé de langage. Je le savais moi-même de la veille. Il est évident que c’est le rapportage de Molé et La confidence que je lui en ai faite qui ont amené ce changement. C'est donc un service que je lui ai rendu. Mais il n'en sort pas sans quelque petits blessure.
J’ai régalé le duc de Noailles de tout ce récit qui l’a fort diverti. Il a jugé l'homme comme vous et moi. Je lui ai dit qu’on savait que son langage à lui était très convenable. Cela lui a fait un petit plaisir de vanité. Il est évident que tous les jours ajoutent à son éducation politique, et qu’il meurt d’envie de la compléter. Je lui ai lu ainsi qu'à Kisseleff les parties descriptives de vos lettres. Cela les a enchantés surtout le duc de Noailles. Il trouve tout cela charmant, curieux, historique, important. Non seulement il n’y avait en lui nul dépit mais un plaisir visible comme s’il y prenait part. Je lui ai lu aussi un petit paragraphe, où vous me parlez du bon effet du camp de Plélan. Il m’a prié de le lui relire deux fois. Il est évident qu'il voudrait bien qu'on se ralliât. Il suivrait, il ne sait pas devancer. Il m’a parlé avec de grandes éloges du Roi, et de vous, de votre fermeté de votre courage, de votre habileté, de votre patience sur l’affaire d’Espagne. Il est très Don Carlos il a raison, c’est la meilleure combinaison parce qu'elle finit tout et convient à tous. Mais se peut-elle ? Il regrette que la Reine ne soit pas venue à Paris. " Un jour pour Paris, un jour pour Versailles. Elle aurait été reçue parfaitement. Le mouvement du public est pour elle aujourd’hui tout à fait. Une seconde visite sera du réchauffé. Aujourd’hui tout y était, la surprise, l’éclat. " C’est égal j’aime mieux qu’elle n'y soit pas venue. Kisselef m’avait quittée à 4 1/2 pour s’en retourner par la rive droite. Comme le Duc de Noailles partait par la gauche nous avons eu notre tête-à-tête jusqu'à cinq. Kisseleff partait triste, il avait peu recueilli. Tous les deux avaient dû dîner en ville et n'ont pas pu rester. J’ai dîné ave Pogenpohl que j’ai ramené jusqu’ici. J’ai remarqué qu'il en avait assez de Versailles. Un peu le rôle de Chambellan. La promenade et le dîner, et encore par la promenade quand j'en avais un autre. Mais c’est juste sa place.

Onze heures. Voici le N°8 merci, merci. Que vous avez été charmant de m'écrire autant ! Enfin vendredi je vous verrai c’est bien sûr n’est-ce pas ? Passez-vous devant Beauséjour ou bien y viendrez-vous après avoir été à Auteuil ? Vous me direz tout cela. Que de choses à me dire ; nous en avons pour longtemps. Et puis, l’Europe a-t-elle donc dormi pendant Eu ? Comme nous allons nous divertir tous les jours des rapports de partout sur l'effet de la visite ! J’irai ce matin en ville mais tard. Je passerai à la porte de Génie pour causer avec lui. Et puis commander ma robe de noce pour lundi. Ensuite en Appony pour voir le trousseau. J’y resterai pour dîner. Voici donc ma dernière lettre. Adieu. Adieu. Adieu. Apportez-moi moi la jarretière, je m’inquiète que vous ne m'en parlez pas. Ce que vous dites de la princesse de Joinville est charmant ! Adieu encore je ne sais pas finir. Adieu. Prenez soin de vous demain. J’ai si peur de la mer. Et puis j’ai peur de tout. Revenez bien portant, revenez. Adieu. Je me sens mieux aujourd'hui.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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6 Chateau d’Eu Dimanche 3 sept. 1843,
10 heures et demie

Un mot puisque j'ai une lettre de Lady Cowley à vous envoyer ; un seul car je suis fatigué et je meurs de sommeil. Ce matin une promenade d’une heure et demie par un mauvais chemin, pour arriver à un joli point de vue. C’est notre Reine qui a le goût de ce point de vue, et n’a pas songé au mauvais chemin. L'autre Reine s'en est amusée. Avant la promenade, une très bonne conversation avec Lord Aberdeen sur l'Espagne. L'affaire ira. Ce soir une bonne aussi sur toutes choses, dans le salon de la Reine : salon sévère, comme le Sabbath. On a regardé des images et fait des patiences. M. le duc de Montpensier y excelle. A dîner en revanche, la Reine V.. s’était parfaitement amusée ; le Roi l’a fait rire tout le temps, je ne sais avec quoi. Moi, j’ai amusé Lady Cowley. Si j’avais le temps, elle m'aimerait. Adieu. Adieu.
Dieu nous garde ce beau temps la semaine prochaine, pour notre dîner de St Germain. Quel plaisir ! Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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9. Val Richer, Dimanche 20 août 1843
10 heures

Je serai bien court aujourd’hui. C’est un jour d'audience universelle. J’avais déjà trois visites ce matin, à 8 heures. On sait mon départ mardi. Tout le monde viendra. Et j’attends Salvandy dans la journée. Mes nouvelles d’Espagne sont bonnes. L’union des coalisés persiste et s'affermit au lieu de s’ébranler. Prim est chargé de pacifier Barcelone. Nous verrons bientôt une autre coalition, la Carlo-républicaine. Déjà on m'avertit que les Coalisés se remuent beaucoup. Coalition contre coalition. Olozaga viendra à Paris comme Ambassadeur vers la fin de septembre. On nous demandera d'en envoyer un à Madrid après le serment de la Reine aux Cortes. Jusqu'ici ce sont des affaires conduites sensément, sans presse et sans peur.
Espartero, en arrivant à Lisbonne a fait demander les honneurs de Régent. Le Ministre d’Espagne lui a fait dire qu’il avait reconnu, il y a deux jours, le gouvernement de Madrid, et le Cabinet Portugais qu’il allait le reconnaître. Espartero a déjà les illusions d'un émigré. Comme le monde va vite !
Ecrivez-moi encore demain. J’aurai votre lettre mardi matin, avant de partir. Le Roi de Prusse s’est personnellement. rejoui de la chute d’Espartero. Et Bülow aussi. Mais le travail anti-français est toujours bien actif en Allemagne. Il n’y aura pas de divorce légal entre le Prince et la Princesse Albert ; mais séparation de fait. Quand nous sommes ensemble à défaut de grandes nouvelles, il y a nous. Mais de loin, rien que des petites nouvelles, c’est pitoyable. Que Mercredi sera bon !
Piscatory fait très bien en Grèce. La conférence de Londres a adopté toutes ses vues. Adieu. Adieu. J’ai mon paquet à fermer et des gens qui attendent. Adieu, encore. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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9 Val Richer. Lundi 20 Juillet 1846 9 heures

Nous avons tort de rire de Brougham. C’est un fait grave que la reconstitution si prompte, si avancée du parti Tory, ne fût-ce que dans la Chambre des Lords. La situation des Whigs en sera fort embarrassée. Cela est déjà visible dans les réponses de Lord John aux interpellations sur ce que sera sa politique. Il ménage également Lord George Bentinck et M. Duncombe. Rien de si faible que de ne pouvoir plaire ou déplaire à personne. Il me revient que les Cowley parlent assez de cette situation et s'en frottent les mains. Plaisir de morts ; mais le fait n'en est pas moins réel. Il n'empêchera pas le Cabinet whig de durer puisque nul autre Cabinet n'est et ne sera d'assez longtemps possible ; mais il le contraindra peut-être à la dissolution prochaine, et à une dissolution sans drapeau ; en sorte que les élections pourraient être aussi confuses, aussi embarrassées que le Parlement. Curieux spectacle et gouvernement bien empêtré. Que de choses nous nous dirions sur cela, en nous promenant sur la terrasse de St Germain ou sous mes marronniers ! Je ne m'étonne pas des expressions succulentes. Et je m'en désole. Il n'y a pas moyen. Je puis beaucoup sur les actions rien sur les paroles. A moins de demander le silence, qui n’est pas toujours possible, comme dans ce cas.
9 heures La lettre du petit cousin est aimable. Certainement la vie de ce jeune homme se ressentira de vous et de ses voyages. Je suis bien aise des détails qu’il vous donne sur la bonne et agréable position d'Alexandre. Le courrier ne m’apporte rien du tout, pas même les journaux que Génie a oublié de mettre dans le paquet. De longues lettres de Lisbonne où Palmella a bien de la peine à vivre, et ne réussira probablement pas. Peu m'importerait pour nous que le parti radical portugais redevînt le maître. Mais je crains la contagion en Espagne. On cherche évidemment à la répandre. Lord Howard, qui était autrefois modéré à Lisbonne pendant que Clarendon ou Aston étaient radicaux à Madrid est devenu radical à son tour, en haine de M. Costa Cabral. Mais cela ne vous fait rien. Je ne m'étonne pas du commérage de Heischmann sur Sébastiani. Il n'y a pas de baliverne qui ne puisse passer là pas quelque tête.
Ce que vous me dîtes de Mad. Danicau qui me convient. C’est un peu de sécurité pour moi sur vous Lisez cette lettre de Désage, et renvoyez la moi. Vous verrez que c’est un homme d’esprit. Adieu. Adieu. Je veux écrire aujourd’hui à Londres, Madrid et Naples. Je n’en suis pas encore venu à bout. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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10 Du Val Richer, Lundi 21 août 1843

Voici mon dernier numéro. Mercredi sera charmant. Il me semble que je viens de passer dix jours absolument seul sans voir personne, sans parler à personne et que je retrouverai Mercredi, ma société à moi, toute ma société.
J’ai pourtant beaucoup écouté et beaucoup parlé hier soir. Salvandy a passé deux heures dans mon cabinet. Il est toujours bien perplexe. Le Roi ne l’a pas décidé. Je crois avoir un peu plus avancé hier. Mais ce n'est pas sûr. Par malheur pour lui, plus je l’entends, plus ma conviction qu'il ne peut pas retourner en Espagne s'affermit. Soyez tranquille. Il n’y a point de chance de faiblesse. Et en même temps je dois le dire, je le trouve plus honnête, plus touché des bons motifs que je ne le croyais. Il me demande de marier sa fille. Si je marie sa fille, il ira où je voudrai, n’ira pas où je ne voudrai pas. Il sera parfaitement content. Elle a vingt ans, de l’esprit, pas jolie, fort peu d’argent, quelques espérances et elle lui dit : " Mon père, prenez garde ; se brouiller avec le Cabinet, c’est se brouiller avec le Roi, et le parti conservateur." Je crois qu’en définitive. il prendra Turin. Il me revient de Madrid qu'Aston laisse voir quelque envie d'y rester. Il a fait donner par le Chargé d'affaires du Danemark, M. d'Alborgo, un dîner au Duc de Baylen. Tout le corps diplomatique y était. Aston a été fort poli, et presque caressant avec tout le monde. En même temps pourtant il parle mal du nouveau gouvernement. A propos du départ de Prim comme gouverneur de Barcelone il disait : " Il va se faire fusiller, ou bien il bombardera Barcelone, ou bien il se mettra à la tête d’une nouvelle insurrection. " Prim répond bien qu’il ne fera rien de tout cela. Il est tout-à-fait dans la main du Général Serrano qui me parait de plus en plus, l'homme de tête et de cœur de l’évènement. Narvaez se conduit plus sagement et avec moins de prétentions que dans les premiers jours.
Il a plu hier au soir par torrents. Ce matin le soleil reparait. En tout ces dix jours ont été très beaux. J'en ai joui à St Germain autant qu’au Val-Richer. Avez-vous fini par vous arranger avec les gens d'écurie comme avec les coqs de Beauséjour ? Je sais bon gré à la jeune Comtesse de ses soins pour vous. Je chercherai quelque manière de lui faire plaisir.
Je commence à croire tout-à-fait que le général Oudinot n’a pas été à Pétersbourg. Il y serait depuis longtemps et d'André me l’aurait écrit. Nous aurons fait de la sévérité en l’air. Il n’y a pas de mal. Il en saura quelque chose, l'Empereur aussi, et l'effet en sera bon. J’espère que d'André aura eu l’esprit de ne pas tenir absolument caché ce qu’il était chargé de faire en cas. Je vous quitte, selon ma coutume, pour ma toilette.
Je vous reprendrai tout à l'heure. Adieu. Adieu.

10 heures Je ne vous reprends que pour deux minutes. Il m’arrive une foule de dépêches que je veux lire avant de les renvoyer. Elles me conviennent en général. Celles de St. Domingue sont très bonnes. Je ne vous ai jamais parlé de cette affaire-là. J'y mets de l’importance. Le Prince de Joinville et le Duc d’Aumale vont en se promenant en mer, faire une visite à Woolwich, et de là à Windsor. Je suis toujours bien aise qu’on les voie. Adieu Adieu. A après-demain.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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10. St Germain lundi 20 juillet 1846
Lord William Hervey est venu dîner avec moi hier. Nous avons causé de bien des choses. Plus de guesses que de facts, car on ne leur écrit rien, rien du tout. Cowley n’a pas un mot de Palmerston, ni d'affaires, ni de réponses, à son offre de démission. Cela les étonne et donne bien quelques petites émotions aux dames. Hervey m’a montré quelques lettres dont j’ignore les auteurs. Toutes disant que l'air s'obscurcit, gloomy prospects. Jeudi dernier. M. Dennison très excellent Whig, que je connais depuis longtemps pour un homme d'esprit et très considéré a tenu & pris un langage d'opposition. Gendre du Duc de Portland, grand ami de Canning. John Russell est évidement embarrassé. La question du sucre est un gros embarras. On croit très probable qu'il la perde, il faudrait dissoudre, ou quitter la partie. Le mois d’octobre pourrait voir la chute de ministère, et l’avènement d’un ministère protectionniste qui n’aurait guère plus de durée. Cela confirme la lettre de la petite grande dame ! Nous reviendrons à pied avant un an.
Le roi a reçu samedi soir Miraflores & Cowley. Beaucoup beaucoup causé avec le premier dans un salon à part. Un peu causé avec Cowley dans le salon de la reine. Le vieux un peu susceptible. C’est cependant bien naturel. Il n’y aurait que du rabâchage au fait il n’est plus dans les affaires. Hervey revient toujours à l'Espagne & moi j’insiste plus que jamais sur votre idée de s’entendre pour l’un des fils. J'affirme que vous le voulez sincèrement comme la seule bonne solution, bonne pour la chose et pour la communauté de conduite. Trapani doute, non pas de vous, mais du Roi, qui viendra mettre son Trapani entre les jambes. Je me suis montrée très surprise des doutes. Il me parait que c'est vous qui menez les affaires. Il a dit ensuite qu’ avec Christine à Madrid on n’aboutira jamais. Cela c’est possible, & je crois que si vous l’invitiez à venir à Paris ce serait plutôt fait ! il regarde Montémolin comme a scourge for pain. On peut l’épouser mais après ce sera la guerre civile dans le palais dans le pays, partout. Il craint que Miraflores n’entretienne le roi dans l’idée de Montémolin. Metternich très mécontent de Rome, du Pape, de tout et travaillant de toutes ses forces contre ce qui s’y prépare. Hervey m’a rejeté Sébastiani. Cela est fort répandu dans le corps diplomatique. J’ai repoussé comme parfaitement ridicule. Il y a trois ans peut-être & par votre fait. Aujourd'hui on rirait de vous, & personne ne songe à une pareille absurdité !
Midi. Voici votre lettre. [Monted ?] après dîner, quant à Hervey, car c’est hier qu'il est venu. Mais je lui ai dit tout ce qu'il fallait ; il est très persuadé & moi aussi que Palmerston ne se prêtera jamais au Montémolin ce qu'il croit aussi c'est que Palmerston ne prendra jamais hautement le métier de patron d’un candidat quelconque. Ce n’est pas dans les principes anglais. On n'impose pas un roi ou un mari. C’est vrai cela. Ce serait une interférence very unconstitutional. Mais il marcherait à votre suite, c’est Hervey qui parle. Cela ne me semble pas dans la nature de Palmerston. Voici une lettre de sa femme, évidemment la situation est épineuse & fragile. Renvoyez-moi la lettre, pour que je l'aie après demain. Ce n’est pas une lettre glorieuse. Et puis je la trouve bien réservée, pas un mot de foreign politics. Ils ne sont pas à leur aise. Cela n’ira pas. Je trouve toujours que votre proposition d'entente & d’action en Espagne est excellente, si bonne manière de commencer un bon ménage s'il en veut. S'il ne peut ou ne veut pas entrer là dedans il est vraisemblable que vous obtiendrez au moins la neutralité. Mais le principe de non interférence ne s’applique-t-il pas à vous aussi ? Enfin je voudrais bien que cette grande fille fut mariée.
Merci merci des avis sur Trouville. C’est excellent, & il est plus que probable que j’irai faire ce petit voyage pour deux jours, sur lesquels un dîner au Val-Richer. Comme je vous ai dit après les élections le 4 le 5. Nous verrons. Adieu. Adieu. Je ne veux pas retenir le message. Je n’ai reçu de Londres que la Palmerston. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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12. St Germain dimanche midi
Le 20 août 1843

Hier un gros orage, point de visites de Paris. J’ai été voir madame [Svétehein] qui a une maison à St Germain. Elle est trop pédante, cela ne me va pas. Je crois l’avoir déroutée un peu, car pour le plaisir du contraste je suis plus que jamais restée simple. Cependant à tout prendre nous ne nous sommes pas ennuyée. Madame de Nesselrode ne vient pas. C'était un conte. Savez-vous qui ne m’ennuie pas et ne m’ennuiera jamais ? C'est la jeune comtesse. Sa bonté sur [?] tellement qu'on se sent le cœur tout réjoui avec elle, et mon esprit, je l'oublie.
Le N°8 m'arrive dans cet instant ; c'est donc à mercredi, pas plus tard je vous en prie. Je suis frappée de ce que vous me dites que les Espagnols pourraient vouloir un grand mari. Dans ce cas là, et s'il n’y avait pas d’autre alternative, il faudra bien que vous soyez le grand mari, better you would or not.
Nous attendrons Kisseleff à dîner aujourd’hui. L'air est fort rafraîchi mais il fait beau. Je griffonne mais la jeune comtesse entre et sort. Je ne sais pas ce que j'écris. Qu’est-ce que cette nouvelle aventure avec l'Angleterre ? Un français tué. On va vous donnez encore bien de l'ennui. Albert Esterhazy arrive après demain. Cela fait de grandes joies et de grands chagrins, car au fond les parents en pleurent. Toute la famille Kotchouby mère & tous les fils arrivent aujourd’hui au Havre. Hélène y arrive aujourd’hui aussi, de sorte que l’à propos est complet. La comtesse Strogonoff sera ici dans quinze jours. La mauvaise chair qu'on fait ici m’a un peu dérangé l’estomac. N’était cela je me porterais parfaitement bien, car certainement l’air me convient. Adieu. Adieu.
Je ne vois point de nouvelles dans les journaux ! L’arrivée d’Espartero n’est pas confirmée est- elle vraie ? Adieu. C'est long encore jusqu’à mercredi ! Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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12 St Germain Mercredi 22 juillet 1846 Onze heures

Thom est venu dîner avec moi hier. Il n'a rien de vieux du tout. Il présume que le ministère Whig ne plait pas beaucoup au P. M. Il parle très sérieusement de la Galicie et de toutes ces affaires-là. Il prévoit de gros embarras en Allemagne, et convient de la décroissance de l’Autriche. Enfin très raisonnable et beaucoup plus d’Esprit que son Chef. Sur l’Espagne il est fort entêté. L'enfant de Bourges se perdrait à tout jamais s’il épousait la reine en la reconnaissant. Il faut qu'il maintienne ses droits, et qu'il garde son avenir. En Espagne tout est fragile, son temps viendra. si on s’épousait sans préambule. Le roi épouse la Reine à la bonne heure. Confondre les droits mais maintenir le droit. Si non, non. Thom regarde le mariage Don Enrique s’il pouvait se faire comme un mariage anglais et fait en dépit de la France, je l’ai très fort combattu sur ce point, et me suis étonnée de son ignorance. Enrique est comme tous les Bourbons votre candidat, il a même toujours été regardé par vous comme le plus désirable et possible après Trapanny, si celui-là n’avait pas été antipathique à l’Espagne. Vous accepteriez Enrique avec plaisir. Il prétend savoir que Cadiz ne veut pas de la reine, enfin il est très mal renseigné. Il est très lié avec Villa Franca & sur Bourges. Je crois que son dire est la vérité quant aux idées & résolution de parti, & du prince Metternich. Thom est votre grand admirateur.. Il dit que Metternich l’est aussi. Il parle mal d'Armin. Il me parait qu’Armin est peu aimable dans le corps diplomatique. Voilà tout mon paquet d’hier je n'ai que cela. Aujourd’hui Lord Bathurst et sa sœur se sont annoncés chez moi pour déjeuner. Je ne sais encore qui j'aurai à dîner. Je ne me sens pas bien. Mon estomac en désordre, & mes jambes me manquent. L'air ici est très vif peut-être trop pour moi. Je verrai encore quelques jours.
Midi. Voici votre lettre. Je vous renvoie les incluses. L'Angleterre curieuse & compliquée. La France en bonne voie if true. Vous savez ma méfiance française ! Il y a eu une confusion de mon courrier à Paris (car j’en ai trois par jour) qui fait que je n'ai pas mes lettres d’abord, s'il y en a. Je n’ai donc rien à ajouter. Madame Danicau va toujours bien. Soigneuse pour moi, intelligente dans ses soucis, mais décidément elle ne sait ni lire ni écrire, triste découverte. Adieu. Adieu. Le temps est au froid cela ne me va pas dans le moment. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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12 Val Richer, Jeudi 23 Juillet 1846 7 heures

Décidément je ne puis pas me promener dans ce pays-ci passé huit heures du soir. Je l’ai fait un peu hier, par la plus belle soirée du monde. J’ai été pris, cette nuit d’un éternuement ridicule, qui dure encore. Si j’étais dans cet état-là dimanche prochain, je serais parfaitement incapable de dire quatre paroles devant tout ce monde qui en attendra plus de quatre. C’est un sentiment très désagréable que d'être indispensable, à heure fixe, pour quelque chose d'important. Je n'ai point d’inquiétude. Mon éternuement sera passé ce soir. Je me tiendrai strictement dans la maison, à partir du dîner et j'aurai dimanche en ma possession mon cerveau et ma gorge. Il me les faut absolument. Si mes filles m’entendaient, elles me diraient avec un peu d’embarras et beaucoup de foi, qu’il n’y a point d'absolument devant Dieu, et que c’est à lui qu’il faut demander ce dont j’ai besoin. Elles auraient raison. J’ai ici M. et Mad. Austin qui me sont arrivés hier à l’heure du dîner. J’attends ce matin, M. Libri. Ils me resteront, je crois, deux ou trois jours. Ce sont vraiment des gens d’esprit. Mais il n'y a plus dans le monde qu’un esprit qui me plaise toujours et que je n'épuise jamais.
J’ai écrit au Roi les faveurs envoyées de Pétersbourg à l'Ambassade russe, et toute cette coquetterie envers la France, sauf le Roi des Français après un petit mouvement d’impatience, cela le fera rire. Il est enchanté de ses promenades, aux fortifications. Il m’écrit : " Vous n'imaginez pas le succès de celle d’aujourd’hui. Il était évident que les foules d'ouvriers, de gens de la campagne, étaient enchantées que le Roi visitât les forts et voulaient le lui témoigner. C'est magnifique, très important et pour moi délicieux à contempler. On peut à présent répondre de la sureté de la France et dire, comme Léonidas à Xerxès : " Viens les prendre. " Il ajoute à la fin de ses lettre : " Le Duc d’Aumale a eu, au col, un dépôt assez gros qu’il a fallu ouvrir. Il a de la fièvre. Cela ne donne pas d'inquiétude, et on m'assure quelle diminue et ne durera pas. Nous n'en faisons pas de bruit et la Reine ne décommande nullement ses invitations. N'en parlez donc pas si vous n'en entendez pas parler. 9 Heures J’ai des nouvelles de Londres. Very gloomy, comme les vôtres. On croit très probable que le Sugar bill, sera rejeté et alors la dissolution immédiate. Et proba-blement une majorité protectionniste. Avenir plus obscur que jamais. Peel, a favourite to the nation autant que perdu dans le Parlement. A Madrid Bulwer mal pour les fils de D. François de Paule ; cherchant à les décrier, y compris De Enrique. Remettant sur le tapis un archiduc, un brouillon dépité. Je lui croyais plus d’esprit. Et j’ai encore peine à croire qu’il fût impossible d’en tirer meilleur parti. Mais les deux hommes se sont heurtés, dés le premier moment au lieu de s'accrocher. J’ai toujours pensé que Thom avait de l’esprit. J’ai essayé plusieurs fois d’aller au devant de cet esprit, de le faire sortir à l’air. J’ai causé. J’ai été bon enfant. Il n'y a pas eu moyen. La peur le paralyse. Ses informations et ses idées espagnoles lui viennent évidemment de Bourges. Adieu. Adieu. J'ai à écrire à Génie pour je ne sais combien d'affaires. Votre estomac et vos jambes me déplaisent. Il faisait froid ici aussi ces jours derniers., Aujourd'hui le chaud revient. La promenade serait charmante. Adieu. Mon éternuement m'irrite. J’ai pris cinquante fois mon mouchoir en vous écrivant. Adieu de loin. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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14. Paris vendredi 24 juillet 1846

D’abord, je vais mieux ; je sais que je suis pour vous la première personne. Et puis voici ma révolte. Des instructions pour Bulwer ont traversé Paris Mardi dernier le 21. Elles portent ceci. Aucune puissance n'a le droit de se mêler du mariage de la Reine. L’Espagne est libre, & ce serait une attitude portée à son indépendance. L'Angleterre ne s’en mêle donc pas, mais elle ne saurait voir avec indifférence un mariage qui donnerait à une puissance quelle conque une influence prépondérante en Espagne. Elle s’y oppose donc, & Bulwer le déclarerait. Trappany & Montémalin sont aux yeux de Lord Palmerston hors de cause. Reste les deux enfants espagnols & Coburg. Celui des trois qui conviendra le mieux à la reine semblera très bon à l'Angleterre. Mais elle reste en dehors de toute intervention là-dedans ! Observations générales sur l’Espagne. Elle a une constitution qui n’existe que de nom. En fait il n'y en a pas. Quand les Cortez incommodent le pouvoir on les chasse. La presse on la suspend. L'Angleterre n’intervient pas pour faire à cet égard des remontrances. Mais Bulwer est invité à donner cours à l’opinion que porte son Cabinet sur cet état de choses. Tel est le sommaire des instructions. Des avis particuliers disent que la reine penche beaucoup pour un Coburg. Palmerston est assez d’avis de Enrique. Il n’est pas sûr encore qu’il aille à Londres. Il y a des embarras pour sa réception. La reine ne veut pas le voir. Elle a trouvé très impertinent qu'il lui ait écrit de Bayonne une lettre de félicitations sur ses couches. (la lettre de Palmerston au roi !!) Dans tout cela elle marque la préférence pour la candidature Coburg.
Voilà votre lettre. Suis-je furieuse ! Je vous dirai ce que vous faites pour faire plaisir à Henriette vous la menez promener le soir, & voilà votre rhume. Prenez garde, je n'aimerai pas du tout votre fille, & je trouve vos faiblesses très ridicules. Est-ce que moi je vous prendrais cinq minutes pour le soupçon du plus léger risque d'un seul éternuement ? Ecoutez je vous défends formellement de vous promener le soir, et si vous le faites je vous promets que je serai malade de façon à vous inquiéter. Je savais l’indisposition du duc d'Aumale avec tous les détails. Les gens de cour sont très bavards ici, Thom m’avait conté cela. J’ai vu hier Génie et lord W. Je me suis tenue fort tranquille pour me soigner, & je suis mieux. Je ne sais encore si je reste ou si je retourne à St Germain. Je penche pour retourner ou pour aller à Lisieux et vous barrer la promenade dès 7 heures du soir. Comme c’est ridicule ce que vous faites. Je suis en grande colère. Je vous en prie mariez votre fille & que son mari la mène promener. votre éternuement m'a dérouté de l’Espagne, je reviens car il y a encore quelque chose. Miraflores est chargé de demander formellement le duc de Montpensier & si on le refuse, de déclarer qu'on prendra le Coburg. Le roi a répondu qu’il ne donnerait pas son fils & qu’il ne souffrirait pas le Coburg. Si la reine est si pressée qu’elle prenne un infant Espagnol ou si son aversion pour eux est plus fort que sa hâte d’un mari, qu’elle attende. Il ne l’a pas dit si fortement que cela mais voilà cependant dans le fond. Miraflores a conté tout cela à Cowley. Cowley a reçu une réponse de Palmerston. Il remercie l'ambassade de sa very handsome letter (probablement il insinuait qu'il se rendrait si on le pressait.) Il eut été charmé de lui voir continuer ce qu'il faisait à bien mais des partis considerations le forcent à soumettre à la Reine la demande du nouveau lord Normanby. Voilà Cowley furieux & qui ne comprend pas ce que veulent dire des partis considérations. Je ne les ai pas vus. On leur insinue que dans quinze jours Normamby pourra venir à Paris. Voilà une longue lettre, vous ne la méritiez pas du tout. Vraiment vous ne m’aimez pas. Vous aimez mieux une fantaisie de votre fille que ma tranquillité, mon bonheur. Je suis triste car tout cela me mène loin, et je prévoyais que je dégringolerais au Val Richer. 1 heure. Je vous envoie une lettre de Bulwer. On m’a dit en confidence qu'il avait demandé un congé. Sa lettre est bien aigre selon moi. Un homme irrité, blessé, dérouté et espérant de Mischiefs. Lord Willian trouve bien mauvais que vous soyez absent dans ce moment. Il dit qu'on aurait bien besoin de vous à présent pour ces tracasseries espagnoles. Moi Je trouve qu'il faut vous laisser votre repos, mais si vous comptez l'employer à éternuer je vous prie de revenir. Savez-vous qu’à tout prendre vous auriez mieux fait d’épouser don Enrique que tout de suite il y a un ou deux ans. Quel gâchis à présent. Adieu je ferme, je vous gronde au milieu de deux ou trois adieux.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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14 St Germain Mardi onze heures
Le 22 août 1843

Je n’ai pas vu une âme hier et je m'en suis très bien passée. Une seule me suffit, c’est drôle quand cela s’applique à la jeune comtesse, qu'on dise après cela que je suis difficile à vivre ! Le temps s’est un peu gâté cependant nous avons fait comme de coutume nos trois ou quatre promenades. Chacun de nous a ses chevaux et sa calèche, et ses jambes et rien à faire. Cela fait aller !
Je vois par les journaux ce matin qu'à Barcelone, cela s'embrouille. encore, et à Saragosse un peu aussi. C’est dommage, car vraiment les gouvernants à Madrid se conduisent très bien. Je suis curieuse des détails que vous devez avoir reçus de Glüsberg. Voici donc ma dernière lettre Dieu merci, je l'envoie toujours à Génie. Peut-être a-t-il encore une occasion de vous la faire parvenir : je dînerai vraisemblablement seule aujourd’hui. La jeune comtesse veut se divertir à sa manière qui n’est pas la mienne. Elle ira dîner à l’auberge avec une société qu’elle a invitée. Le soir il y a le concert Murad [?] dans le jardin. Celui-là j'en jouirai très bien de notre salon jusqu’ici c'est moi qui ai donné la musique car la jeune comtesse m’avait fait la galanterie d'un piano.

1 heure. Je reçois votre lettre au moment où je suis forcée de fermer ceci. Quel plaisir demain. J'ai eu une longue lettre de Bulwer. Il s'embarquait à Boulogne ; il m'écrira de Londres aussitôt après avoir vu Aberdeen. Mon même Constantin m'annonce sa prochaine arrivée à Paris ! J'en suise fort aise. Adieu. Adieu. Voilà mad. Schitchein, il faut que je vous quitte. Adieu mille fois. Vous ne me dites pas l’heure de votre arrivée ! Ni quand vous viendrez me voir. Je serai à Beauséjour entre midi et 1 heure. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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15. St Germain samedi 25 juillet 1846

Hier soir quinze jours depuis notre séparation. Combien en faut-il encore ? Je suis revenue dîner, le médecin le permet. Si le mal me reprenait ce serait décidément causé par l'air. Alors il faudrait renoncer tout-à-fait Eternuez-vous encore ? Je suis tout aussi fâchée aujourd’hui que je l’étais hier. J'ai vu Hervey encore avant de quitter Paris. Toujours l’Espagne. Parfaite certitude que Palmerston n’entrera pas dans votre idée d’action commune ou simultanée pour un candidat quelconque, très sûr que le queen's favorite est Coburg. Et vraisemblance que c’est par là que les Whigs chercheront la faveur de la cour. J’ai dit un mot du tripotage pour l'Autrichien comme l’ayant appris à Paris, et j’ai ajouté, cela n’est pas possible même dans votre idée de prépondérance étrangère. C'est bien différent me dit Hervey, l'Autriche n’est pas voisine. Il ne croit pas qu’on accorde de congé à Bulwer. Il est trop nécessaire dans ce moment tout ce que je vous ai rapporté hier sur les instructions à Bulwer est au fond sensé, et serait reçu avec acclamation au parlement. On y trouverait la conduite d'Aberdeen trop subserviest to France. C'est un bon terrain pour Palmerston & c'est là ce qui m’inquiète. J’ai paru chez Lady Cowley en m'en allant. Je l’ai trouvée froide et aigrie. Hervey m'en avait un peu prévenue. Cela a été pour moi comme non avenue. D'après ce qu’elle m’a dit Cowley aurait vraiment presque demandé à rester, car la réponse de Peel était ceci. " Malgré le désir que j’aurais eu à vous contenter en vous conservant à votre poste" & & C'est un peu enfant à Cowley. A présent encore ils ne se pressent pas. Ils croient que le Ministère sera renversé sur le sucre. Mais leur aigreur pour moi ne vient pas de là. Ils sont très susceptibles à l’endroit de lord Winston et ses visites chez moi les offusquent. Me sachant en ville et malade, elles ne sont pas venus quoique je le leur ai mandé, et puis elles ont donné quelque mauvais prétexte à cela. Ils sont en marche pour l'appartement des [Heusbourg]. Hervey est furieux, il trouve que leur résidence à Paris serait de la dernière inconvenance, certainement incommode pour lui. Il ne croit pas qu'on le leur permette, & cite Stuart qui était resté, & qu'on a menacé du retrait de sa pension s'il persistait. Il a quitté. Le portrait du roi est superbe. Un cadeau très royal, et dont ils sont bien glorieux.
Madame Danicau va toujours bien sauf la lecture. Voici une lettre de Flahaut. Lisez la jusqu’au bout, si tant est qu’il ne vous parle pas lui-même de la séance de la chambre des pairs. Orloff m’a répondu avec beaucoup de politesse sur l'envoi de l’argent. Voici ma dernière lettre de Marion. Charmante fille. Que faut-il dire sur la demande de 3 mois en hiver ? Il me parait préférable que la femme reste à Rome qu'à Vienne. Midi. Voici le N°13. Merci, merci puisque votre rhume est passé, ma colère l’est aussi, mais ne retouchez pas, je vous en prie. Ne sortez jamais après 7 heures promettez-moi cela. Lady Allen me mande que Peel is likely to support the sugar bill et qu’il vaut mieux que les Whigs ne touchent pas sur cette question qui est très populaire. Elle ajoute que personne eux y compris ne croie qu'ils pensent durer au delà de la session. Adieu, bon courage et bonne voix pour votre banquet. Ne parlez pas trop longuement. Je ne sais tout ce que vous allez dire. J’espère all rights and to the point. Adieu. Adieu. dearest. Vous ne me parlez plus de votre visite projetée à Paris pour le 30 ? Dites m'en un mot. Adieu. Adieu encore god bless you, & pardonnez-moi mes colères. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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17 Val Richer. Vendredi 15 août 1845

Ceci vous trouvera à Boulogne. Je pense avec plaisir que la mer n’est plus entre nous. Quand je nagerais aussi bien que Léandre, le Pas de Calais est plus large que le Bosphore. Et ce pauvre Léandre n'est pas arrivé.
Guillet a écrit à Page de passer à la rue St Florentin et d’y donner son adresse. Je vous engage encore à passer quelques jours à Boulogne avec les Cowley. Vous n'aurez personne à Beauséjour, surtout le soir. Le Roi de Prusse a beaucoup d'humeur de ce que la Reine comme elle le lui a fait savoir ne reste à Stolzenfels que jusqu’au 14 et veut en partir le 15 pour être à Cobourg le 17. Il avait fait de plus longs préparatifs. Il s’est écrié, sur cette nouvelle : " Ah, c’est trop fort. Il y a de la part des Princes allemands et des hommes considérables, fort peu d'empressement pour se présenter chez le Roi de Prusse & lui rendre des devoirs pour lui-même, avant l’arrivée de la Reine d'Angleterre. On va au contraire beaucoup au Johannisberg. On peut évidemment se montrer froid pour le Roi de Prusse et confiant dans M. de Metternich. Le Roi en est choqué. Et comme il est surtout homme d'impressions et d'amour propre, cette petite manœuvre n’aura probablement pas l'effet qu’on s’en promet.
La Reine d’Espagne et même la Reine Christine ont été très bien reçues à St Sébastien et dans les Provinces basques, en général ; mieux qu’on ne s’y attendait. Voilà encore des conspirations qui échouent. Ce ne sont pas les conspirations que le général Narvaez a à craindre ; c'est l'opposition dans son propre parti. Les prochaines cortes seront orageuses. Le grand Duc de Modène a décidément et pour la seconde fois refusé sa fille à M. le Duc de Bordeaux. On a donné un bal à Schönbrunn dans cette vue. Il a déclaré que si le Duc de Bordeaux y allait, ses filles n'iraient pas. Le Duc de Bordeaux a été indisposé. Le parti est très chagrin, très déconfit de cet échec. Ils disent qu’ils n’ont plus d’espoir que dans la seconde fille du Prince Jean de Saxe, 15 ans, bien laide & pauvre ; et que si cela aussi échoue, il faudra que le Duc de Bordeaux épouse une française de bonne maison, car il faut absolument qu’il se marie. La Dauphine a fort essayé de causer politique et France avec l’Electrice douairière de Bavière qui s’y est refusée. Elle (la Dauphine) s'est montrée parfaitement découragée et résignée. On lui a demandé si elle passerait l’hiver à Vienne ou à Frohsdorf : " Je n'en sais rien et cela ne me fait rien, avec le peu de jours qui me restent à vivre, et ce que j’ai à en faire, qu'importe ? " Voilà mon bulletin. Le calme est profond.
Le Roi et tout le château d’Eu ont été charmés de mon discours à St Pierre. Il m'écrit avec effusion. Henriette est décidément très bien. Mais le temps redevient mauvais, froid. Quel été ! J’ai écrit à Charles Greville. Adieu. Adieu.
Vous avez déjà passé où vous passerez après-demain. Il n'y a pas de vent aujourd’hui. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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20 Val Richer Samedi 16 août 1845
8 heures et demie

J’écris depuis six heures du matin, et je viens de recevoir, un courrier énorme qui me donnera à écrire toute la journée. La Syrie, la Grèce, l’Espagne, Rome la Prusse. A tout prendre tout va assez bien partout ! C’est à dire que partout, nous marchons à notre but, et nous grandissons en marchant. Les chemins sont difficiles. Nous bronchons quelques fois. Nous nous arrêtons de temps en temps, tantôt par nécessité, tantôt volontairement. C'est le cours ordinaire des choses. Il n’y a que les enfants qui s'en plaignent. Mais, je vous le répète tout va assez bien partout. Ce qui n'empêchera pas que l'avenir ne soit chargé d’embarras, d'ennemis, de combats, de périls. Je ne m'en plaindrai pas davantage, si, en dernière analyse, j’obtiens les mêmes résultats. Vous vous rappelez le mauvais début de la dernière session. Et bien aucune n’a aussi bien fini, ni laissé dans le pays une si profonde impression de succès et de progrès.
Je suis très content de Piscatory. Lyons travaille avec passion à faire ce qu’il lui reproche d'avoir fait, à allier M. Mavrocordato et M. Metaxa pour renverser. M. Colettis. L'alliance Anglo-Russe à la place de l'alliance Franco-Russe maintenant debout. Lyons a échoué. Et dans l'alliance Franco-Russe, Colettis a gagné beaucoup de terrain. Piscatory a vraiment beaucoup de savoir faire. Et je ne vois pas qu’il se soit écarté de l'épaisseur d'un cheveu, de la ligne que je lui ai tracée à Constantinople, on s'occupe sérieusement des affaires de Syrie. Le Ministre des Affaires étrangères, Chékib Etfendi, y est envoyé en mission pacificatrice, avec de grands pouvoirs. Nous verrons s'il en sortira quelque chose. Le public est exigeant. Il ne se contente pas d'être bien gouverné lui-même. Il veut que tous les gouvernements soient bons, même le Turc.
En Espagne, le duc de Séville a réellement, gagné un peu de terrain. Même ce me semble dans l’esprit de la Reine Christine. Vous savez que nous n'avons ni extérieurement ni au fond du cœur, pas la moindre objection à cette combinaison. J’ai averti à Naples qu’elle était en progrès. Le langage de M. le Duc de Nemours à Pampelune sera très bon. Il a été un peu indisposé à Bordeaux. Pure fatigue du voyage, qui est fatigant en effet, mais utile.
Thiers aussi va voyager en Espagne. Pour voir les champs de bataille. Et aussi en Portugal. Il y emploiera, le mois de septembre. Il va en compagnie. peut-être MM. de Rémusat, Mérimée (votre bon député), &... Bülow de plus en plus mal. D'après le langage, de ses amis mêmes, on croit sa situation désespérée. Les émeutes religieuses se multiplient en Prusse. Halberstadt a eu la sienne pour Ronge comme Posen pour Cgerski. Je ne crois pas au succès des nouvelles religions. Mais elles feront du mal aux anciennes, et j’en suis fâché. Adieu.
C'est mardi seulement que je vous saurai arrivée à Boulogne, car je compte que vous n'aurez quitté Londres qu'aujourd'hui. Ce que vous me dîtes de vos yeux me charme. Adieu. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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21 Boulogne lundi 18 août 1845
10 heures

Bulwer m’a parlé très sérieusement et très intimement de la question du mariage du duc de Montpensier avec l’infante. J’ai dit que j’ignorais tout à fait, et puis j’ai dit Pourquoi pas ? " Parce que ce serait mille foi pire que d'épouser la Reine elle-même. Il deviendrait plus puissant que le mari. Des tiraillements à l’intérieur, immense jalousie au dehors. D’ailleurs il est certain que la Reine n'aura jamais d'enfant. " En résumé Bulwer s'opposera de tout son pouvoir à ce mariage. Il en a l’ordre & d'Aberdeen & de Peel. l don't care. Et puis, il a répris. " La seule manière pour que cela puisse se faire serait que Cobourg épousât la Reine. " " Mais alors que Cobourg épouse l'infante et M. la Reine. " " Oui c’est égal." Savez-vous qu'il y a de quoi méditer sur cela. Je vous l'envoie tout cru. J'aurai à ajouter verbalement. Aberdeen ne m’a pas dit un mot d'Espagne, seulement en termes généraux s’attendant toujours à quelque événement là.

Midi. Voici votre lettre de Samedi. Nous sommes rapprochés d'un jour, Dieu merci. Vous ne me parlerez pas de votre santé ! Dites-moi que vous vous portez très bien. Merci mille fois des nouvelles, grandes & petites. Tout m'intéresse. J'ai dîné & passé ma soirée hier avec les Cowley. [Geor?] est fort bonne pour moi. Mon temps pourra se passer passablement pendant quelques jours. Je ne décide rien encore. L'Ambassadeur va pour quelques jours en Angleterre. On en fait peu de cas là. J’ai fort bien parlé de lui. Il me semble qu'il sera bien temps que vous reveniez à Paris, c-a-d. à Beauséjour pour toutes vos affaires et qu'il sera surtout fort bon que vous vous rencontriez avec Aberdeen. Il y a à parler sur tout. Mais ce que lui regarde toujours comme la plus grosse difficulté avec la France, la plus grande, c’est ce petit misérable Tahiti. Il me parait que l'entrevue avec Metternich aura été très courte si celui ce n’est allé qu'à Stolzenfels. Adieu. Adieu.
Imaginez que je n’apprends qu'aujourd’hui que le feu était à bord du bateau pendant que je passais dessus ! Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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22 Val Richer Lundi 18 août 1845
9 heures

Vous êtes en France. Vous avez certainement passé hier car il faisait beau. Le beau temps continue. J’aurai après demain de vos nouvelles de Boulogne. C’est charmant. Ce sera bien mieux, le 30.
Point de nouvelles du tout ce matin. Sinon des frontières d'Espagne. L’enthousiasme des populations basques, autrefois carlistes, pour les deux Reines, est curieux. Bresson m’en écrit des détails amusants qui lui arrivent à Bagnères d’où il partira bientôt pour rejoindre M. le duc de Nemours à Bayonne et aller avec lui à Pampelune. Les Reines se prêtent de très bonne grâce à ce mouvement populaire. Elles se promènent à dos de mule ou à pied dans les vallées, dans les montagnes. Les paysans illuminent les montagnes, les vallées et escortent les Reines en bande de milliers d'hommes. C’est une fête, et un chant universel de ce côté des Pyrénées qu'on entend presque de notre côté. Le Roi de Prusse ne fait pas mieux sur le Rhin pour la Reine d'Angleterre. Je suis charmé de cet accueil Espagnol. Il consolide le cabinet, satisfait & calme le Général Narvaez. Le gouvernement rentrera à Madrid raffermi. J’ai tort de prédire ainsi sur l’Espagne. Mais voilà mon impression.
A propos du Roi de Prusse, la Reine reste un jour, de plus à Stolzenfels. Elle en partira le 16 au lieu du 15. " On est parvenu, m'écrit-on de Mayenne, à lui faire comprendre que le Roi était fort affecté de voir qu'en public, une visite annoncée et préparée de si longue main, ressemblait si fort à un passage."
Je suis charmé que vous approuviez mon discours. Ici et à Paris, il a fort réussi. On s'en occupe encore. A dire vrai, on ne sait de quoi s’occuper. Le calme est profond, la prospérité toujours croissante, la satisfaction réelle, la confiance dans l'avenir plus grande qu’elle ne devrait. Tout cela ne me supprimera, à la session prochaine, ni un débat, ni un embarras, ni une injure. Le bien et le mal marchent, dans le pays-ci à côté l’un de l'autre, sans se faire tort l’un à l’autre. Nous verrons. Au fond, moi aussi j’ai confiance. Mais quand j'étais jeune, j’avais une confiance joyeuse. A présent, il n'y a pas de joie dans ma confiance. Je sais trop combien le succès même coûte cher et reste toujours mêlé et imparfait. Adieu.
Il faut que j'écrive au Maréchal, au Garde des sceaux, à Salvandy, à Génie. J’écris beaucoup, à vous c’est mon repos comme mon plaisir. Adieu. Adieu.
Je vous trouve très raisonnable sur vos yeux, voyant ce qui est, restez dans cette disposition .

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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23 Val Richer, mardi 19 août 1845

Je suis charmé de vous savoir à Boulogne. Génie qui est allé chercher quelque chose dans mon cabinet à Beauséjour me dit qu’il l’a trouvé charmant, plein de fleurs, si riant et si tranquille ! J’espère que nous y aurons un beau et bon mois de septembre. Avec quel plaisir je reprendrai-là nos douces journées et nos douces soirées ! Je suis bien aise que vous ayez été contente de vos amis d'Angleterre. Cela me plait de penser que jamais peut-être deux étrangers n'ont obtenu là autant d'estime et d’amitié que vous et moi. Je n’ai ce matin absolument aucune nouvelle, si ce n'est de Suisse où l'on s'attend tous les matins à l'explosion de la guerre civile. Les deux partis extrêmes s’y préparent ouvertement, et la Diète et son parti n’en parlent pas pour ne pas se faire de peine. Il se fait là au milieu de l’Europe, un singulier essai des maximes radicales les plus folles. Quand ils seront assez las de leurs fous, ils demanderont à l’Europe de les en délivrer.
Voici mes arrangements. J’ai chez moi les 21, 25 et 27 août, trois grands déjeuners électoraux. Je partirai d’ici le 30 à 5 heures du matin. Je serai à Beauséjour à 6 heures pour dîner, et nous passerons ensemble, la soirée de notre 30. Que de choses je retrouverai en vous retrouvant.
Vous ai-je dit que j’ai écrit au duc de Noailles à propos de sa lettre à vous et de son fils ? Il est allé passer deux jours à Paris. Il a du monde chez lui ces jours-ci. D’après ce qui me revient le parti légitimiste est en plus grand désarroi et abattement que jamais. Mon succès à Rome et le refus du grand Duc de Modène les ont fort déconfits. Ils se croyaient bien établis là.
Voilà une estafette qui m’arrive du château d’Eu. Une réponse du Roi sur des demandes de croix que fait Bresson à l'occasion de l’entrevue de Pampelune. Les Espagnols font de grands, grands préparatifs ; des troupes, des meubles, des chevaux, des taureaux. Ce pays-là passera probablement encore par bien des épreuves bien des hauts et des bas. Cependant, ou je suis bien trompé, ou c’est un pays qui se relève, et qui avant cent ans d’ici aura repris un rang considérable en Europe. On a toujours tort d'oublier que la première résistance à Napoléon est venue de là. Grande preuve d’énergie et de vitalité nationale. Je vous quitte pour répondre au Roi, et pour écrire au Duc de Nemours et à Bresson. Adieu. Adieu.
Comment êtes-vous logée à Boulogne ? Je ne m’y suis jamais arrêté. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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24 Val-Richer Vendredi 7 août 1846

Voici ce que me mande Duchâtel sur le résultat définitif des élections. " Nous avons gagné sur l'opposition 49 batailles. Mais, parmi, les candidats que nous avons appuyés, il y en a deux ou trois un peu douteux."
" L'opposition nous a battus, par des candidats. de ses diverses nuances, dans 28 Collèges. Il y a sur ce nombre deux ou trois membres qui peuvent, je crois, être ramenés."
" Elle a fait passer contre nos candidats, dix candidats conservateurs auxquels elle a donné la préférence sur les nôtres, qui sont, à très peu d’exceptions près, bons au fond, mais qui auront besoin d'être disciplinés." " Les pertes de l'opposition dans ses diverses fractions. se résumant ainsi : Légitimistes, 17 pertes. 6 membres nouveaux. Perte nette 11. Extrême gauche, 7 pertes. 1 membre nouveau Perte nette 6."
"gauche et centre gauche, parti Thiers, Barrot. 30 pertes. 19 Membres nouveaux. Perte nette 11"
Il est parfaitement content. Je lui ai écrit hier très amicalement. Le Roi aussi est très content. J’ai reçu cette nuit à 2 heures deux lettres de lui, et copie de la lettre qu’il a écrite à Duchâtel après le succès. Je suis charmé et du succès et de sa joie. Je prendrai garde seulement qu'il ne croie pas que tout est possible.
Longues nouvelles de Madrid. Rien de vraiment nouveau. Bulwer malade. Assez malade, pour être dans son lit et ne voir personne. Je crois qu’il use beaucoup de la maladie. Pas mal d'inquiétude dans le gouvernement Espagnol et les deux Reines, sur les penchants et les projets du Cabinet anglais en faveur des Progressistes. Forte aigreur entre Madrid et Lisbonne jusqu'à craindre une entrée des Espagnols au Portugal ce qui y amènerait les Anglais. Bresson s'emploie beaucoup à calmer cela. De Berlin, commencements de réforme, dans l'administration de la justice, les codes, les procès. Le Roi entrant toujours en conversation et en discussion avec son peuple. M. de Canitz un peu mieux. Je vous renvoie la lettre de Lord John. Si vous lui écrivez, parlez-lui de moi, je vous prie.
Oui, je vous verrai le 13 au matin, et nous réglerons votre marche. Ma volonté sera ce qui vous plaira. D’abord ce qui vous sera bon. Au fond, je suis très exigeant très romanesque comme vous dîtes. Mais je ne me laisse pas être tout ce que j’aurais envie d'être. Pas même avec vous. Glücksbierg vient d’arriver. Jarnac arrive pour dîner. Je les renverrai demain tous les deux au château d’Eu, d’où Jarnac partira pour Londres et Glücksbierg pour Madrid en repassant par ici. Je tiens à causer de nouveau avec lui quand il aura vu le Roi. Je vous quitte pour écrire à Stockhausen qui m’a écrit, il y a plus de quinze jours, pour me presser. Grace à Dieu, cette affaire-là est finie Elle m’a bien ennuyé. Il me fallait absolument Lavalette. Je suis charmé que Bacourt apprécie l'habilité avec laquelle je m’en suis tiré. Adieu dearest. J’espère bien que votre mauvaise nuit n'aura pas eu de suite. Cette nuit, quand l’estafette du Rois m’a réveillé, j’ai été trois quarts d’heure sans me rendormir pensant à vous. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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29 Val Richer, Mercredi 27 août 1845
9 heures

Quand vos inquiétudes ne durent pas assez longtemps pour vous faire mal, je vous les pardonne aisément car je les aime. Donc la première page du N°28 est pardonnée. Je ne suis jamais étourdi pour vous, sachez bien cela. Vous partez aujourd’hui. Vous serez à Beauséjour demain. Moi le surlendemain. Plus j’y pense plus je trouve cela charmant.
Presque toute ma maison part vendredi, et sera arrivée samedi matin. Guillet en tête. Il m’aime de tout son cœur. Je lui avais permis d'amener ici sa femme qui était souffrante. Elle s’en retourne se portant à merveille. Je pense qu'en arrivant vous avez fait appeler Charles.
Vous n'aurez que quelques lignes ce matin. Je viens d’écrire une longue lettre à Piscatory. Je n’aime pas cet excès de triomphe de Colettis et du parti français. J’espère que les deux hommes. Colettis et Piscatory, auront assez d’esprit pour comprendre cela. Je le leur explique et le leur recommande très bien. La sédition de Madrid est réprimée. Cela recommence souvent. Pour cette fois, il y avait une cause sérieuse. Le nouveau système de finances de M. Mon augmente les impôts & fait user les abus. Les fripons et les contribuables se défendent. J’espère qu’ils seront battus. Le gouvernement Espagnol a besoin d’argent. Il en prend à ceux qui en ont et ne souffre plus qu’on le vole. M. Mon est un honnête homme et un homme de courage. Je viens de lui faire donner le grand cordon. Il faut soutenir les amis. Quoique tout soit bien précaire dans le pays, j'ai assez bon espoir. Bresson est à Bayonne, attendant M. le duc de Nemours qu’il accompagnera à Pampelune. Adieu. Adieu.
J’ai plusieurs ordres à donner à Génie, ma toilette à faire, 25 personnes à déjeuner. C'est le dernier. D'après vos lettres, je suis content de vos yeux. L’écriture est ferme. Et puis vous n'en parlez pas. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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34 Val Richer, Mardi 19 Juillet 1853

La Reine Christine vient en France surtout pour ses affaires d’argent, puis, parce qu'elle a des enfants en pension près de Dieppe, puis pour se retirer un peu des embarras ministériels de Madrid et laisser résoudre, en son absence, la question de la formation du Cabinet, et du retour du Maréchal Narvaez. On est fort inquiet en Espagne sur Cuba. Le mécontentement va croissant dans l’intérieur de l'ile contre la métropole, à cause de la mauvaise adminis. tration, et le Général Pierce est beaucoup plus menaçant que son prédécesseur. Cuba sera un jour, et bientôt peut-être, américain. L’Angleterre a perdu, ses colonies, faute de justice, et de bon gouvernement et quand il n’y avait personne à côté pour les lui prendre. L’Espagne est bien moins sage, et bien moins forte que l’Angleterre, et elle a les Etat Unis pour voisins.
Thiers a dit ces jours-ci à l’un de me voisins à moi, qui est venu me voir avant hier, qu’il viendrait, au commencement d'août passer quelques jours à Trouville. Il y a de la rumeur et de l'humeur dans ce petit coin là. M. d’Hautpoul autrefois maire a un joli Yacht sur lequel il allait quelquefois en Angleterre ; je l’ai vu à St Léonard. On lui a interdit de sortir du port avec son yacht. Probablement par crainte des correspondants avec Claremont, ou même des transports de personnes. Le pays est fâché. M. d’Hautpoul a quitté Trouville disant qu’il n'y remettrait plus les pieds. Je vous ai peut-être déjà dit ce commérage. C'est l’arrivée de Thiers à Trouville qui m’y a fait repenser. Il a dit à mon voisin qu’à propos des dernières arrestations, fort nombreuses, qu’on a faites à Paris, on avait voulu lui donner quelque inquiétude, peut-être pour le décider, à s'éloigner, mais qu’il avait répondu qu’il était fort tranquille à Paris, et qu’il ne s'en irait point qu’on l’arrêterait si on voulait. Ce serait absurde. Je suis bien sûr qu’il ne se mêle de rien.
Le Duc de Nemours est allé en Hongrie, et n'ira pas du tout à Vienne. Ce qui me revient de l'effet produit à Paris et à Londres par la seconde circulaire de M. de Nesselrode me confirme pleinement dans ce que j'en ai pensé en la lisant. L'humeur contre l'Angleterre et la France a été une mauvaise conseillère. On a ajouté un embarras de plus à une affaire qu’on voulait arranger. Elle s’arrangera, mais en laissant une plus désagréable impression.

Onze heures
Vos oscillations tout [répétées] d’inquiétude, et l'espérance me chagrinent pour votre santé encore plus que pour votre repos. Heureusement elles sont, sans influence sur le résultat qui me paraît prochain, car je suis toujours convaincu que votre Empereur ne veut pas devenir révolutionnaire. Il le serait plus que personne, car il déchainerait deux révolutions à la fois, l’une en Orient, l’autre en Occident.
Je vous ai écrit tous les deux jours sans faute. Dites-moi, je vous prie, si au moins vous avez reçu la lettre du 9. Autant qu’il m'en souvient, elle n'était pas sans intérêt. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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85. Paris dimanche le 6 Novembre 1853

Je n'ai rien à vous raconter de nouveau. On parle d'une bataille gagnée ou perdue par nous. Si le gouvernement sait quelque chose, il le tient bien caché.
Meyendorff me mande que Lord Radcliffe est débordé. Aujourd’hui qu'il est sincère dans ses efforts pour le paix, il est impuissant. Nous ne passerons le Danube en aucune cas, sauf si vous envoyez des troupes. Alors nous soulèverions les populations grecques partout. Villeme est venu me faire une longue visite. Il me plaît beaucoup, malheureusement il part, il est nommée Président de Sénat. Il me fait un éloge très grand de la cour de Séville, vraie cour, brillante, digne, comme on n'en a jamais eu en Espagne. Énormes contraintes avec celle de Madrid. Grande popularité pour l'infante et son mari. La Reine n’est pas jalouse mais elle est en respect devant sa soeur quand elles sont ensemble ; la Reine Christine retourne à Madrid sous peu de jours. Narvaez doit y être, Villeneuve pense qu’il reprendra le gouvernement de l’état, pourvu qu’il n'aspire pas à celui du palais. Cela, la reine n'en veut pas. Grand dépouillement à cette cour de Madrid, moralement et matériellement.
Kisseleff & Hübner sont pris à Fontainebleau. Tous les diplomates qui n'ont pas été à Compiègne le sont également. La cour y va le 12. Il me semble que je n’ai plus rien à vous dire sa good bye & Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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102. Ems vendredi 21 juillet 1854

Encore Ems. Tout était prêt ; mes gens à peu près partis & moi sur le point de monter en voiture hier, j’attendais seulement la poste & mes lettres. En voilà une d’Olliffe qui m'annonce que lui & Morny seront ici aujourd’hui. Je remets mon départ, je les attends. Hélène n’a pas pu attendre, elle est partie et mon fils aussi. Ce matin une lettre de Morny du même jour mais plus dubitative. Cela me vexe. Je n’attendrai pas au delà de demain, et je partirai. Par quoi finira ma tristesse ? Je ne me sens de courage à rien si vous étiez là ! Ah mon Dieu quelle bénédiction, quel bonheur ! Mais personne à qui dire ce que je pense, personne même avec qui causer de ce qui se passe et dans quel moment !
Je ne crois pas du tout à la soit-disant dépêche de Nesselrode à Budbery. C’est trop absurde et d'un ton qui n’est pas à notre usage. Les minoteries à droite et à gauche sont incroyables. Constantin est toujours à Peterhof. La mort du Comte Vorontsov a causé là un vif chagrin. Tout de suite après les couches malheureusement de la Grande Duchesse Catherine, femme du Duc George de Mecklembourg. Elle était très mal et l’enfant mort. On ne parle plus des flottes à Peterhof, ni de la guerre.
Évidemment l’Autriche hésite encore. Cela ne peut cependant pas se prolonger. La Prusse est toujours en grande tendresse pour nous. Les petits allemands attendent avec curiosité. Il me paraît que l’Espagne tout entière à fait son prononciamento. Ce n’est pas mauvais, mais cela peut nous donner du nouveau. L’Europe est bien arrangée ! Adieu & Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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104. Ems le 24 Juillet 1854

Me voilà encore. J’ai du plaisir à la société de Morny. Je ne trouve rien de si agréable à Schlangenbad. D’abord c’est que je n’y trouve rien du tout. La chaleur est excessive. Je recule devant ce voyage. Je reste emballée cependant, mais je lambine. Ici nous causons beaucoup, toute la journée. Morny est bien agréable. Il a de plus un talent de musique charmant. La plus belle voix. Il est bien à son aise, je n’ai plus personne, car le prince de Prusse est absent pour quelques jours.
L'Espagne devient une véritablement grosse affaire. Personne ne s’en mêlera. C’est convenu. B. d'Hilliers va avec ses troupes occuper l'île de Gothland, c. a. d. qu'on l’y reçoit. La Suède se serait donc compromise contre nous. Cela me parait exorbitant mais nous devons nous attendre à tout. Nous avons bien mené nos affaires !
Comme il y a à parler, à penser. Une grande révolution s’opère en Europe. Toutes les situations sont changées. & l'ancien état de choses ne peut plus revenir. J'ai beaucoup à dire, mais Je meurs de chaud, et j’écris un peu loin.
Morny est découragé. Il croit qu’Ems ne lui conviendra pas. Olliffe est d'un avis contraire. Ils vont décider ce soir s’il reste ou s’il va à Plombières. Il a eu aujourd’hui une reprise de ses audiences de Paris. Adieu. Adieu. Je n'ai aucune nouvelle de Russie, & je ne crois pas un mot aux nouvelles des journaux. J’attends les faits. Une bataille. Encore ! Personne n’aura été battu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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105. Ems le 26 juillet 1854

Toujours ici encore. Vos lettres se promènent mais elles m'arrivent je n’ai pas fixé de jour, je lèverai le camps du soir au matin. Je suis restée emballée depuis 8 jours. Morny est bien malade, et découragé. Il ne veut pas rester ici, mais il ne se décide pas. La conversation me plaît et m’amuse, je m'ennuierais à Schlangenbad profondément. Hélène m'écrit pour m'exhorter à rester. Elle sait que l'ennui est ma plus grande maladie. Enfin je suis encore là, sans savoir si j’y serai demain. Nous avons des chaleurs excessives. On ne peut pas bouger le jour. On ne peut pas dormir la nuit.
Pas de nouvelles. D'Orient rien militairement & politiquement on élabore quelque nouveau protocole qui voudra dire que nos propositions ne sont pas acceptées. Je sais ce pendant qu'on les a trouvé pas sables et que sans y donner suite à présent, on les regarde comme des jalons pour l’avenir. L’Espagne. Que va-t-elle devenir ? Je crois que c'est Espartero qui va reparaître et régner.
Je ne sais sur la mort du général Aurep que ce qu’en disent les journaux. Sa femme avait passé ici il y a une dizaines de jours. Elle ne s’y est arrêté que quelques heures pour me voir. Les journaux sont si menteurs que je ne crois pas encore à cette mort. Si l'Espagne était arrivée dans la belle saison du bavardage de mon salon, que de choses à se dire, et Dumon comme il parlerait ! Adieu. Adieu, que se passera- t-il encore jusqu’au temps où nous nous retrouverons tous ? Ce temps viendra-t-il ? Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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111 Val Richer, Mercredi 5 Juillet 1854

Au pouvoir absolu, il faut absolument deux choses, un grand homme et du bonheur, toujours un grand homme et toujours du bonheur. Quelquefois, l’une de les deux conditions supplée quelque temps au défaut de l'autre ; pas bien longtemps. Et quand toutes les deux manquent à la fois tout s'en va. Quand je dis que tout s'en va, j’ai tort ; la grandeur certainement s'en va, la puissance au loin et par la seule voie d'influence. Mais il y a des temps et des lieux où le pouvoir absolu est si naturel et si nécessaire, si bien peut-être le seul gouvernement possible, que la grandeur peut lui manquer sans grand péril intérieur. Je crois que c’est votre cas. Votre pouvoir absolu peut déchoir en Europe, sans être compromis en Russie. Il peut rentrer chez lui triste ressource ; ressource réelle pourtant et qui est une force contre les plus puissants ennemis. Si les choses continuent dans leur cours actuel c'est la ressource dont vous serez réduite à user.
Vous n'aurez seulement pas très bonne grace à en user parce que vous avez beaucoup fait blanc de votre épée au dehors. L'Empereur Alexandre pouvait se retirer glorieusement, héroïquement devant l'Empereur Napoléon ; il avait toujours été modeste, en n'était point allé chercher, avec fracas, la guerre qu’on venait lui faire.
Vous ne pouvez faire maintenant aucune concession qui détache l’Autriche de l'alliance ; elle est tiré pour son propre compte ; il lui faut, comme aux deux autres des satisfactions sérieuses, non des palliatifs. A moins que vous ne battiez les armées Autrichiennes, mieux, beaucoup mieux, que vous n’avez battu les armées turques. Ceci serait un gros événement. Qui sait ? Depuis 1848, je ne prédis plus et je ne crois plus qu'à long terme, en prenant du temps, beaucoup de temps ; je ne vois clair que de loin ; de près, je vis dans les ténèbres ; du jour au lendemain, je suis très modeste. Je donne mes conjectures, mais sans y compter. Tout est possible. Vous repasserez peut-être bientôt le Danube. Mais la situation générale n'en serait pas changée. Sans grand homme, l’Angleterre persistera et fera persister les autres. Elle a un grand gouvernement. Je vois avec plaisir que le général Luders n'est pas mort. Je ne le connais pas du tout ; mais la mort prématuré d’un homme distingué me déplait toujours.
La nouvelle insurrection Espagnole ne paraît pas avoir plus de succès que les autres. Quand Mérimée est revenu de Madrid l'hiver dernier, il disait à qui voulait l’entendre que la Reine n'en avait pas six mois et que tout le monde n'en voulait plus qu’à elle. Voilà deux insurrections, depuis, toutes deux sans succès, et toutes deux criant : " Vive la Reine. "
J’attends le texte de votre réponse à la sommation Autrichienne ; je ne puis croire que vous ayez dit : " jusqu'à notre dernier homme et notre dernier rouble. " On ne dit pas cela, même quand on le fait. C’est un lieu commun populaire qui ne vous va pas.

Midi
Rien que des nouvelles d’Espagne, et l'attente de quelque coup dans la Baltique. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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121 Val Richer, 20 Juillet 1854

Je suis charmé que votre fils Paul vous ait rejointe ; avec lui de moins vous pouvez causer en liberté. Vous avez donc trouvé un logement à Schlangenbad. Si le ciel y est aussi pur et le soleil aussi chaud que nous l'avons ici depuis trois jours, ce doit être charmant.
Je ne prévois pas ce qui arrivera des affaires d’Espagne ; le bouleversement revient bien complet. Je penche à croire que la bombe éclatera encore cette fois sur la tête. de la Reine Christine, et non par sur celle de la Reine. Les insurgés, qui sont d'origine très diverse, auraient trop de peine à s'entendre sur quelque autre solution, si la Reine Isabelle disparaissait, la réunion au Portugal, la République, l'infante Montpensier tout cela est factice et combinaison du coterie ; il n’y a que deux partis sérieux. la Reine Isabelle et les Carlistes. Il ne me revient absolument rien de Narvaez ; je ne rencontre sans nom nulle part. Les chefs civils, et modérés du parti constitutionnel, Mon, Pidal, ont également disparu. Étrange pays dans un temps où tous les pays sont étranges.
Que fera le duc de Montpensier à Séville, si les insurgés y arrivent ? Je suis assez curieux de savoir qui sera, ou était à la tête de votre armée dans la grande bataille qui va être, ou qui a été, livrée entre Giurgiu, et Bucharest. Le Maréchal Paskevitch est-il réellement disgracié ? Il avait raison de ne pas se soucier de la guerre. Je m'étonne de plus en plus que pas un de vos grands Ducs ne soit à l’armée.
Ce n’est pas avec la Reine d'Angleterre, c'est avec le commodore Grey que l'Empereur Napoléon s'est rencontré à bord d’un vaisseau Anglais. Grand honneur pour le fils de votre ancien ami.

Midi
Adieu, adieu. Nous causerons demain, comme on cause de loin. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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123 Val Richer, Dimanche 23 Juillet 1854

Ce que je regrette bien vivement pour vous, malgré la passion Russe, c’est Hélène ; elle vous était très bonne et sa fille très agréable. A part les grandes tristesses de la vie, c’est une tristesse véritable que ces liens de quelques mois, de quelques semaines qui se rompent au moment même où ils devenaient. utiles et doux. Que devient Hélène après Schwalbach ? Retourne-t-elle immédiatement à Pétersbourg. Faites lui, je vous prie, de ma part, un adieu un peu affectueux. Je compte bien la revoir à Paris. Car nous avons beau être tristes, et avec grande raison ; ce qui se passe passera, et si Dieu nous laisse encore en ce monde, nous n’y serons pas toujours séparés.
On m'écrit, que Morny se refuse aux instances de l'Empereur qui veut le faire président du Corps législatif à la place de Billaut. Je doute que si les instances sont sérieuses, la résistance le soit longtemps. Et vraiment l'Empereur aurait raison d'insister Morny conviendrait très bien à ce poste. Il n’est pas lettré et habile écrivain, comme l'était M. de Fontanes ; mais il servirait. avec une certaine mesure d'indépendance, dans l’attitude, et un vernis de dignité, comme faisait M. de Fontanes sous le premier Empereur. Cela aussi est un service qui a son prix. On me dit, en même temps que si Morny refuse décidément, c'est M. Rouher qui remplacera Billaut, et que c’est Morny qui le propose. Il paraît que l’incapacité a été la seule cause du renvoi de Persigny. Son idée fixe n’a pu suffire, plus longtemps à couvrir sa paresse et sa nullité comme ministre de l’Intérieur. Certainement Billaut sera plus actif et plus capable. Il a de la ressource dans l’esprit, et je ne serais pas surpris qu’il menât assez bien et assez rondement l'administration. On dit que l'Empereur commence à s'apercevoir, que même le pouvoir absolu d’une part et le dévouement absolu de l'autre, ne suffisent pas, et que les hommes capables sont nécessaires. Il est très content de Bourqueney ; à ce point que s’il y avait un congrès, ce serait probablement Bourqueney qui y serait son homme. Il proposerait cela aussi à Morny ; mais Morny se dit aussi peu de goût pour le congrès européen que pour la Présidence du Corps législatif.
A Paris, on est content et confiant ; bien disposé pour la paix et prêt à s’arranger. de conditions modérées pour vous, mais convaincu que Londres en voudra de fort dures, et bien décidé à ne pas se séparer de Londres. On jouit du charmant mécompte qu’on a, depuis trois mois, à votre égard : " Nous qui étions persuadés que c’était un colosse, que ses ressources étaient inépuisables et ses armées invincibles ; et tout cela n'était qu’une apparence, à peine de la fumée ! " Ce sont là les propos courants, dans les cafés et au foyer de l'opéra, comme ailleurs. Voilà Espartero en scène en Espagne. Je l’attendais, lui ou Narvaez. L’un exclut l'autre, on plutôt l’un pousse l'autre de l'autre côté. Malgré l'extrême décri de la Reine Isabelle, je doute qu’elle tombe ; la Reine Christine sera encore une fois le bouc émissaire. Espartero, c’est-à-dire le parti progressiste, s'emparera de la Reine Isabelle et gouvernera sous son nom. Puis, un jour Narvaez viendra la délivrer et délivrer l’Espagne d’un autre mauvais gouvernement. Je ne m'attends pas à autre chose qu'à la répétition des vieilles scènes.
J’ai des nouvelles du Prince de Joinville. Purs remerciement pour le Cromwell qu’il a trouvé, en arrivant à Claremont. Remerciements tristes, d’une tristesse digne et abattue.

Midi
Adieu, adieu. J'espère que vous avez aussi. beau et aussi chaud que moi, et que votre rhume est parti. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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124 Val Richer. Lundi 24 Juillet 1854

J’ai, vous le savez, la prétention de n'être pas du tout général et tacticien. Je ne m’applique donc point à suivre pas à pas les opérations de la guerre, à eu discuter le mérite, et à mettre mes jalons à côté de ceux qu’on suit sur le Danube. ou dans la Baltique. Je m'étonne pourtant un peu de voir partout que notre corps de troupes qui vient de partir de Calais, est destiné à aller prendre et occuper les Îles d’Alaud. Comment y restera-t-il l’hiver prochain, sans l’appui des flottes, si la guerre n’est pas terminée au mois d'Octobre ? Comme malheureusement tout l'indique ? J’ai peine à me figurer le général Baraguey d'Hilliers et 8 ou 10 000 soldats Français seuls au milieu des glaces, pendant six mois dans les Îles d’Alaud. Il faut qu’on ait le projet de quelque coup plus prochain et qui mette plutôt fin à la situation.
Quant à l’Espagne, je vois, dans le Moniteur d'avant hier samedi, que Narvaez et Espartero sont d'accord. Si cela est, la Reine Isabelle n'a qu'à se soumettre. Il est vrai qu’il y a aussi moins de chance qu’elle soit détrônée.
Savez-vous pourquoi, le voyage du Roi de Portugal à Paris est remis au mois de septembre ? Est-ce simplement un arrangement convenu de bonne grâce entre lui et l'Empereur Napoléon, ou bien y a-t-il quelque intention de ne pas faire la visite ? C'est du reste quelque chose d’assez singulier qu’un Roi de Portugal absent de Lisbonne pendant qu’il sa passe de telles choses en Espagne. J’ai des nouvelles de Piscatory revenu en Touraine après deux mois passés en Italie avec sa femme et ses enfants. Pas plus content de l'Italie que d'autre chose. Il veut absolument que je le tire de ses ténèbres sur l'avenir, les plus noires le monde : " Est-ce la paix ou la guerre qui décidément résultera de tous ces mouvements belliqueux et de toutes les volontés pacifiques ? J’ai peut-être grand tort, mais tout cela me paraît pitoyable, d’un bout. du monde à l'autre. " Je ne lui dirai rien qui lui apprenne ce qu’il cherche, ni qui change sa disposition.

Midi
Rien de nouveau, ni à Giurgiu, ni à Madrid. J'espère que vous ne souffrez pas de cette chaleur qui me convient très bien à moi. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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125 Val Richer, Mardi 25 Juillet 1954

Voilà donc l'Empereur, à Biarritz et formant, là aussi, un camp à propos des événements d’Espagne. Les ministres ont fait ce qu’ils ont pu pour empêcher ce voyage. Ils ne sont pas accoutumés à prendre sur eux la responsabilité des résolutions. Mais l'Impératrice a déclaré qu’elle n'irait pas seule à Biarritz, et l'Empereur voulait qu’elle y allât ; il l'a donc accompagnée. Au fait, qu’elle que soit l'arrogance des décisions, avec le télégraphe électrique, ce sera lui qui les prendra toutes. Seulement cela supprime à peu près la discussion préalable, dans l’intérieur du gouvernement aussi bien qu’en dehors.
On est un peu frappé d’un acte de résistance du Conseil municipal de Paris. Le gouvernement n'est pas, pour le moment, très bien avec les Jésuites, et pour les empêcher d'acheter un des grands collèges de Paris, le collège Stanislas qui est à vendre pour cause de mauvaises affaires, il a voulu que la ville de Paris elle-même l'achetât. Il en a fait faire la proposition dans le conseil municipal ; le ministre de l’Instruction publique et le Préfet de la Somme s’y sont vivement employés. La discussion a abouti à 16 boules blanches et 16 boules noires, de sorte que la proposition n’a pas été adoptée. C'est M. Delangle, le premier président de la cour impériale qui a été à la tête de l'opposition. Autre petit fait, moins sérieux. La visite. de l'Empereur au Commodore Grey, devant Calais, n’a pas été sans mésaventures. Le beau steamer La Reine Hortense, sur lequel l'Empereur s'est embarqué, était entré trop avant dans le port et a voulu en sortir trop tôt, avant la marée pleine. Il a fallu une heure et demie d'effort pour y réussir. Puis on n’a pas bien abordé le vaisseau Anglais ; on a eu besoin d’un remorqueur anglais. Puis, le maréchal Vaillant a manqué l'échelle et est tombé à moitié dans l'eau, où il serait tombé tout-à-fait si on ne l’avait ressaisi à temps. Voilà l’histoire qui court le long de la côte.
On dit beaucoup à Paris que les événements de Portugal tourneront au profit de la maison de Bragance. Bragance et Cobourg. M. de Païra est fort dans l’intimité de M. Drouyn de Lhuys.

10 heures
J’ai mes lettres de bonne heure. Je pense avec plaisir au plaisir que vous aurez eu à causer un peu avec Morny. Mais dites-moi que ce beau temps là vous fait du bien ; il est si beau ! On m'écrit de Paris : " On commence à s’inquiéter, dans les régions officielles, du caractère révolutionnaire, et anarchique du bouleversement Espagnol. Les révolutionnaires ici sont en grande jubilation, et annoncent de prochains mouvements en Italie, surtout dans le royaume des deux Siciles. "
Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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126 Val Richer, Jeudi 27 Juillet 1854

Plus de grosse chaleur. Nous avons échappé hier à un violent orage qui est allé éclater ailleurs. Aujourd’hui, il fait frais. Je voudrais vous mesurer à votre goût le soleil et la pluie. Au moins le bien être matériel, à défaut des grandes satisfactions. Je veux croire que le découragement et la désaffection ne pénétreront pas chez-vous, quoique vous en ayez donné de grands exemples ; mais votre Empereur, finira par comprendre, le mal qu’il se fait à lui-même, et par accepter quelque arrangement que l’Autriche et la Prusse seront toujours là pour proposer. Plus la guerre durera, plus les conditions de la paix lui seront dures. Il ne divisera pas la France et l’Angleterre. Il ne les ruinera pas. Je compte encore sur son intelligence, et son bon sens pour mettre fin à une situation dont il souffre et dont il souffrira beaucoup plus que personne, dans la puissance Européenne et dans la prospérité intérieure de son peuple ai-je tort ?
J’ai grand peine à croire qu’on soit obligé de se mêler de l’Espagne. Le désordre intérieur sera énorme peut-être la guerre-civile ; mais rien qui affecte l’Europe, même les voisins. Les révolutions Espagnoles ne sont pas contagieuses chez nous. Je doute quelles se propagent en Italie. Je vois qu'une tentative a déjà échoué à Péronne. Je persiste à penser qu’il n’y aura là, qu’une mauvaise monarchie radicale, substituée à une mauvaise monarchie quasi absolutiste.
Je vois par le bulletin d'Havas que c’est aussi le pronostic du gouvernement, et qu’il se prépare à vivre en bons termes avec Espartero. Il n’y aura plus de rivalité Franco-anglaise qui y mette obstacle.
Faites-vous envoyer l’histoire de la Turquie de M. de Lamartine. Ce ne sera certainement qu’une série de coups de théâtre et de décorations d'opéra. Mais comme décorateur, comme Sicari de l’histoire, il a beaucoup de talent. Il vous amusera. Lisez aussi le Charles Quint de M. Mignet. Il le mérite. Mlle de Cerini vient elle à bout de vous lire un peu ?

Midi
Adieu, adieu. Je ne reçois absolument rien ce matin.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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129 Val Richer. Lundi 31 Juillet 1854

Je trouve le bulletin du Prince Gortchakoff sur la bataille de Giurgiu, très modéré et convenable, sans forfanterie insolente et vulgaire. Il parle des Turcs avec estime et en homme qui a éprouvé qu’il n'en fallait pas parler légèrement. Omer Pacha se fait certainement beaucoup d’honneur. Il serait plaisant que le résultat de tout ceci fût de relever réellement, sinon pour toujours, du moins pour cinquante ans l'Empire Turc. Tout est possible, surtout l'imprévu.
Les Anglais paient bien vivement de leur personne dans les débuts de cette guerre. Voilà quatre ou cinq officiers d’un nom commun tués à Sulina et à Silistrie, Parker, Butler & Ces morts sont racontées, dans les lettres des chefs avec une simplicité grave et émue qui fait honneur aux morts et aux vivants. Un pays Chrétien, aristocratique et libre, c’est ce que l’histoire du monde, jusqu'ici, a offert de plus beau.
Les affaires d’Espagne tournent selon mon attente. Espartero sera premier Ministre comme il a été régent, au nom de la Reine Isabelle, et il gouvernera l’Espagne jusqu'à ce qu'à force de mal gouverner, il ramène au pouvoir Narvaez où son pareil. La France et l'Angleterre feront très bien de ne point s'en mêler et je ne crois pas que rien les y oblige.
Je vois que le général Aurep est à la tête de trois corps à Frateschi. Nous aurons encore là, au premier jour, une grande bataille, où comme vous dites, personne ne sera battu.
Vous faites bien de rester à Ems tant que vous y avez quelqu’un dont la conversation vous plaît. Quelle est donc la maladie de Morny et comment fait Oliffe pour abandonner ses maisons, et ses baigneurs de Trouville, du reste, le monde commence seulement à y arriver. Le Prince Murat qui a acheté le château y donne des fêtes à la population, des spectacles, des bals. Cela console médiocrement les familles, dont les chefs et les enfants ont été pris pour les flottes. Dans ce seul bourg de Trouville, on a pris 175 marins.

Midi
Rien de nouveau. Adieu, adieu. Il fait moins chaud, quoique beau. En jouissez-vous ? Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°161 Lundi soir, 15 oct, 9 heures et demie

Moi aussi je regrette cet entassement d’arrivants et de partants. Ils vous fatigueront. Bien distribués, ils vous reposeraient. Car vous avez besoin d’un mouvement qui vous repose. Vous n’avez assez de force ni pour le monde, ni pour la solitude. Il vous faut de tout, des doses, si justes qu’on les manque souvent. Il n’y aura que mes visites, j’espère, qui n’auront pas besoin d’être mesurées. C’est dommage que vous ayez refusé la conférence sur l’Orient. J’aurais demandé à y être envoyé.
J’ai passé ma matinée couché sur une carte de Turquie et de Grèce suivant la marche de petits événements bien oubliés, mais dont je voulais me rendre compte avec précision. Je me résigne parfaitement à l’ignorance, pas du tout au savoir vague et incomplet. J’en sais beaucoup en ce moment sur l’Orient. Je comprends votre refus ; mais c’est dire à l’Occident. qu’il fera bien de s’unir et d’y bien regarder. M. Turgot reprochait aux Encyclopédistes leur esprit de secte et de coterie : " Vous dites nous ; le public dira vous. " Vous faites bande à part ; on fera bande en face de vous. Cette affaire-là, ne s’arrangera pas sans canons. C’est dommage encore une fois. Ce serait un beau spectacle que l’Europe maintenant l’Orient de concert tant qu’il pourra être maintenu, et le partageant de concert quand il tombera. Si nous nous entendions, cela se pourrait peut-être. Vous voyez que j’ai aussi mes utopies. Mais elles sont très dubitatives. Et à tout prendre, comme il faudra bien un jour que le canon recommence, il vaut mieux que ce soit là qu’ailleurs. Je ne m’étonne pas que Lord Palmerston soit avec vous dans l’affaire belge. Soyez sure qu’on n’en est fâché nulle part. Il faut une raison de céder.

Mardi 7 heures
e reprends la politique. J’ai des nouvelles de la frontière d’Espagne. Les succès des carlistes sont réels et les provinces carlistes dans l’enthousiasme. Les gens sensés n’en tirent pas de grandes conséquences.. Cela arrive près de l’hiver, quant la campagne ne peut être tenue longtemps. Les Chrisminos y perdront plus que les Carlistes n’y gagneront. La solution en Espagne est toujours qu’il n’y ait pas de solution. Notre petit duc de Frias me paraît faire la même figure qu’il a faite chez vous (C’est bien chez vous n’est-ce pas?) le jour où il n’a pas voulu se coucher dans la Chambre cramoisi. Ici, le Ministère est très préoccupé d’affaires qui ne vous intéressent pas du tout des chemins de fer, du sucre de betterave, un peu de la pétition sur la réforme électorale ; pas autant peut-être qu’il le devrait, car elle a plus de signatures qu’on ne le dit. dans la 6e région, la majorité, à ce qu’il paraît, a signé. Je vous prie de vous souvenir un jour que je vous ai toujours dit que le mal essentiel, le déplorable effet de l’administration actuelle, c’est de pousser ce pays-ci vers la gauche de lui faire regagner quelque chose beoucoup peut-être du terrain que nous lui avions fait perdre. En voilà pourtant bien assez. Que faites-vous du Duc de Noailles ? Il me semble qu’il devrait être revenu à Paris avec son soleil, qui n’est pourtant pas à lui tout seul. On m’écrit que les Holland ne se sont pas fort amusés à Paris. Ils ont mal pris, leur temps.

10 heures 1/2
Le facteur est arrivé au milieu de ma toilette. J’ai lu votre lettre. Puis, j’ai achevé. Il faut que je le fasse repartir. Je n’avais pas du tout, du tout pensé à vous en vous parlant. de Lord Holland. En cachetant ma lettre, l’idée m’est venue que vous me diriez ce que vous me dîtes ; et qu’au fait vous pourriez me le dire. N’importe. C’est bien simple de vous dire de rester comme vous êtes. Je n’ai pourtant que cela à vous dire. Quand vous voudrez changer. j’y mettrais mon veto. C’est comme vous êtes que je vous aime, sauf à vous critiquer, soit sans y penser; soit en y pensant. Adieu Adieu, le plus tendre que je sache. G.
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