34 Val Richer, Mardi 19 Juillet 1853
La Reine Christine vient en France surtout pour ses affaires d’argent, puis, parce qu'elle a des enfants en pension près de Dieppe, puis pour se retirer un peu des embarras ministériels de Madrid et laisser résoudre, en son absence, la question de la formation du Cabinet, et du retour du Maréchal Narvaez. On est fort inquiet en Espagne sur Cuba. Le mécontentement va croissant dans l’intérieur de l'ile contre la métropole, à cause de la mauvaise adminis. tration, et le Général Pierce est beaucoup plus menaçant que son prédécesseur. Cuba sera un jour, et bientôt peut-être, américain. L’Angleterre a perdu, ses colonies, faute de justice, et de bon gouvernement et quand il n’y avait personne à côté pour les lui prendre. L’Espagne est bien moins sage, et bien moins forte que l’Angleterre, et elle a les Etat Unis pour voisins.
Thiers a dit ces jours-ci à l’un de me voisins à moi, qui est venu me voir avant hier, qu’il viendrait, au commencement d'août passer quelques jours à Trouville. Il y a de la rumeur et de l'humeur dans ce petit coin là. M. d’Hautpoul autrefois maire a un joli Yacht sur lequel il allait quelquefois en Angleterre ; je l’ai vu à St Léonard. On lui a interdit de sortir du port avec son yacht. Probablement par crainte des correspondants avec Claremont, ou même des transports de personnes. Le pays est fâché. M. d’Hautpoul a quitté Trouville disant qu’il n'y remettrait plus les pieds. Je vous ai peut-être déjà dit ce commérage. C'est l’arrivée de Thiers à Trouville qui m’y a fait repenser. Il a dit à mon voisin qu’à propos des dernières arrestations, fort nombreuses, qu’on a faites à Paris, on avait voulu lui donner quelque inquiétude, peut-être pour le décider, à s'éloigner, mais qu’il avait répondu qu’il était fort tranquille à Paris, et qu’il ne s'en irait point qu’on l’arrêterait si on voulait. Ce serait absurde. Je suis bien sûr qu’il ne se mêle de rien.
Le Duc de Nemours est allé en Hongrie, et n'ira pas du tout à Vienne. Ce qui me revient de l'effet produit à Paris et à Londres par la seconde circulaire de M. de Nesselrode me confirme pleinement dans ce que j'en ai pensé en la lisant. L'humeur contre l'Angleterre et la France a été une mauvaise conseillère. On a ajouté un embarras de plus à une affaire qu’on voulait arranger. Elle s’arrangera, mais en laissant une plus désagréable impression.
Onze heures
Vos oscillations tout [répétées] d’inquiétude, et l'espérance me chagrinent pour votre santé encore plus que pour votre repos. Heureusement elles sont, sans influence sur le résultat qui me paraît prochain, car je suis toujours convaincu que votre Empereur ne veut pas devenir révolutionnaire. Il le serait plus que personne, car il déchainerait deux révolutions à la fois, l’une en Orient, l’autre en Occident.
Je vous ai écrit tous les deux jours sans faute. Dites-moi, je vous prie, si au moins vous avez reçu la lettre du 9. Autant qu’il m'en souvient, elle n'était pas sans intérêt. Adieu, adieu. G.