Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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399. Eu, samedi 8 août 1840

Je suis arrivé hier au soir. Il est impossible d’être mieux reçu. Mais l’incident de Louis Bonaparte va déranger peut-être tous mes arrangements. Il se peut que le Roi, parte ce soir pour aller passer 36 heures à Paris, et tenir un Conseil qui convoquera la cour des Pairs, et règlera toutes les suites de cette ridicule affaire. On peut bien enterrer solennellement Napoléon. Le Bonapartisme est bien mort. Quel bizarre spectacle ! Louis-Napoléon se jetant à la nage pour regagner un misérable canot, au milieu des coups de fusil de la garde nationale de Boulogne, pendant que le fils du Roi et deux frégates françaises voguent à travers l’Océan, pour aller chercher ce qui reste de Napolèon ! Qu’il y a de comédie dans la tragédie du monde ? Si le Roi part ce soir pour Paris, je pars moi-même pour Trouville. J’y passe Lundi avec mes enfants, et je reviens ici, mardi soir pour y passer le Mercedi et me remettre le jeudi en route, pour Londres où j’arriverai toujours vendredi.
J’emploie tout ce que j’ai d’esprit pour que rien ne dérange ce dernier terme qui est mon point fixe. C’est bien bon et bien doux d’avoir un point fixe dans la vie, un point où l’on revient toujours, et où l’on ramène tout. Il y a des biens (j’ai tort de dire des) qu’on n’achète jamais trop cher. Je vis tout le jour, je pourrais dire la nuit avec M. Thiers. Nos appartements se tiennent ; nos chambres à coucher se touchent. Il a ouvert ma porte ce matin à 6 heures à moitié habillé, pour me trouver encore dans mon lit et presque endormi. Nous nous sommes promenés ensemble de 7 heures à 9. Puis, dans le cabinet du Roi, à déjeuner, sur la terrasse après-déjeuner, toujours ensemble jusqu’à midi et demi, heure où je vous écris. L’estafette part à une heure. Je les trouve tous très animés et très calmes, en grande confiance, sur l’avenir, convaincus qu’on s’est fort trompé dans ce qu’on a fait et qu’on le verra bientôt. Le Pacha ne cédera point, et ne fera point de folie. La coërcition maritime ne signifiera rien. La coërcition par terre, ne s’entreprendra pas. Le Roi et son Cabinet, sont très unis. On n’exagère rien dans ce qu’on dit de l’animation du pays. Adieu. J’ai tout juste le temps, de vous dire adieu, ce qui est bien court, trop court, infiniment trop court.
Je m’aperçois que j’ai oublié de vous dire que le Roi reviendrait de Paris à Eu mardi avec M. Thiers. C’est ce qui me fera répasser par Eu. Adieu. Depuis avant-hier je n'ai rien vu, rien entendu de vous. Encore Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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405. Londres, Lundi 7 septembre 1840
6 heures

Je ne puis pas me rendormir. Je vous écris de mon lit hier en rentrant chez moi, j’ai essayé de travailler. Je n’ai pas réussi. Votre billet m’est arrivé. Que j’aime Guillet ! J’avais envie de le remercier. J’ai encore essayé de travailler. Pas mieux. J’ai pris le parti de sortir, de marcher. J’ai marché deux heures un quart, dans Regent’s Park dedans, à travers, autour. Je me suis arrêté devant trois prédicateurs. L’un prêchait contre le libre arbitre de l’homme. Un autre lisait, dans je ne sais quel voyage, une histoire de Missionnaire pour prouver à ses auditeurs qu’il était plus sage et plus sain de ne boire que de l’eau. Je n’ai pu entendre le troisième. J’ai passé devant une petite porte de Regent’s Park, où est la statue du duc de Kent. Je me suis arrêté. Personne ne parlait là ; mais moi, j’entendais, des choses charmantes Je suis rentré à 6 heures un quart. J’étais las très las. Je me suis endormi dans mon fauteuil, en face de ma fenêtre. Quand je me suis réveillé, j’ai aperçu la lune devant moi, une petite lune claire et douce. Vous l’aurez vue aussi, entre Dartford et Rochester.
A 9 heures et demie j’ai été à Holland house où j’ai mené Bourqueney. Lady Holland est toujours souffrante. Je lui ai remis votre billet. Elle ne voulait pas croire que vous fussiez partie. Il a fallu le lui répéter. Peu de monde. Luttrel, Alava, Moncorvo, Neumann. J’ai demandé à lady Holland quel jour elle voulait venir dîner chez moi en petit comité. Elle craint que sa santé ne le lui permette pas. Ils iront à Brighton pour un peu d’air de mer, mais pas longtemps. Je doute qu’ils y aillent, et je crois qu’ils viendront dîner chez moi la semaine prochaine. J’y dine demain (chez eux) avec lord John Russell. Les nouvelles d’Alexandrie les ont fort troublés. Lady Holland prend le trouble fort au sérieux. Lord Holland dit que le Pacha commence à lui plaire. Il le trouve spirituel et fier. J’étais rentré à onze heures et demie Je suis charmé que votre fils soit venu. Je l’espérais à peine. Et qu’il ait été bien. Puisqu’il a commencé, il continuera. Vous retrouverez quelque chose. Demandez-lui peu. Ne le blessez pas et ne vous blessez pas. Que je voudrais que votre relation redevint convenable et douce.
3 heures
Merci de Rochester comme de Guillet, vous étiez fatiguée. Mais n’est-ce pas que cela ne vous fatigue pas de m’écrire. Il ne fait pas si beau qu’hier ; mais bien doux et pas de vent. J’épie le vent ; je lui parle ; je le prie de se taire. Que de choses je dis et que les paroles qui sortent des lèvres sont peu de chose auprès de celles qui y meurent ? J’ai été obligé de sortir un moment et j’ai manqué George d’Harcourt qui est arrivé hier et repart ce soir. La maladie de son oncle l’a fait venir. Il a causé avec Bourqueney. Il est très frappé de la légèreté des esprits d’ici, qui ne se doutent de rien et se réveilleront un matin tout surpris de trouver le monde en feu et d’apprendre qu’ils y ont eux-mêmes mis le feu pendant leur sommeil. Il y a bien des manières d’être léger. Si tout ceci tourne mal, ce sera la faute des hommes. Les choses ne se portent point d’elles-mêmes à une telle explosion. L’aveuglement et le mismanagement auront leur fait. C’est une de mes raisons d’espérer. J’ai peine à croire que les méprises humaines puissent faire, à ce point violence, à la pente naturelle des choses. G. d’Harcourt dit du reste que, s’il y avait guerre, l’unanimité serait grande en France et qu’on verrait quelle conduite tiendraient les Carlistes eux-mêmes. J’essaie de causer avec vous. J’ai été ce matin savoir des nouvelles de la Princesse Auguste, pour voir Stafford house. Elle était assez tranquille ; mais elle s’affaiblit beaucoup. Adieu. Est-ce vraiment adieu ? J’ai le cœur bien serré. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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404. Du château de Windsor, mardi 18 août 1840
6 heures

404 est le vrai numéro de ceci. J’ai refait ma chronologie. Rétablissez la vérité sur mes six dernières lettres de France. Elles sont comprises entre 397 et 404. J’arrive. Le Roi Léopold n’est pas encore rentré de la promenade. Je l’attends et je pense à autre chose. Je suis dans une grande et belle chambre en damas jaune, en face de la grande allée. Je soupçonne que c’est votre chambre. Je soupçonne qu’on me l’a donnée à dessein. J’ai envie de ne pas me tromper. Une alcôve en face de la cheminée, avec une grande glace au fond, recouverte par une tenture flottante. La grande fenêtre en face de la porte. Une petite fenêtre longue dans un enfoncement à côté de la cheminée. Une toilette dans la grande fenêtre. Trois commodes, secrétaires, & l’un en ébène, très doré ! Un joli petit cabinet de toilette à côté. Ai-je raison ? Je suis venu en deux heures. J’ai dormi une heure ; dormi et rêvé. Éveillé l’autre heure en pensant comme j’avais rêvé. Une pensée unique et immuable dans une vie animée et variée.
Que d’espace j’ai parcouru, que de choses j’ai vues, et dites et faites depuis quinze jours ! Deux grands pays, deux châteaux royaux, trois rois dont une reine, la paix ou la guerre en Europe et en Asie. Et tout cela, c’est la surface. Il y a tout autre chose, au fond, une seule chose?

Mercredi 19 août. Midi. J’ai vu deux fois le Roi Léopold hier à 7 heures et tout à l’heure. Je suis content de ma conversation. J’espère qu’il m’aidera bien. Il comprend très bien la situation de la France. Il a plus d’esprit dans les grandes choses que dans les petites. Il devait partir demain 20 ; mais, il restera jusqu’à samedi 28 et plus longtemps s’il le faut. Je le laisse parler et agir. Je lui ai bien expliqué que mon attitude à moi, C’était l’attente, l’attente froide et tranquille. Nous sommes en dehors. Nous restons en dehors, jusqu’à ce qu’en dedans on sente et on nous dise qu’on a besoin de nous. Je ne change donc rien à mes premiers projets. Je retourne à Londres demain matin. L’affaire d’étiquette s’est passée hier comme nous l’avions prévue. On a coupé le différend par la moitié. J’ai donné le bras à la Princesse de Hohenlohe et je me suis placé à la gauche de la Reine, qui avait le Roi, Léopold à sa droite. Le Prince de Hohenlohe qui avait passé avant moi donnant le bras à la duchesse de Kent, était au dessous de moi à table. Mais au retour, j’ai repris la moitié que je n’avais pas eue en allant. Il n’y avait point de femme, personne ne donnait le bras à personne. Je me suis arrêté à la porte de sa salle à manger pour me faire présenter au Prince de Hohenlohe qui y arrivait en même temps que moi, et la présentation faite, j’ai passé devant lui en rentrant dans le salon. J’en ai fait autant en passant d’un salon dans l’autre. Ainse j’ai exercé tout mon droit. A dîner la Reine et la famille royale ont été, pour moi, particulièrement aimables. A glass of wine avec le prince Albert, le roi Léopold et la Reine elle-même, d’une façon marquée. Lord Melbourne et Lord Palmerston comme à l’ordinaire. Lady Palmerston gracieuse avec empressement ; tout à l’heure à déjeuner, elle se désolait du mauvais temps ; elle s’était promis de me faire faire une jolie promenade de me montrer Virginia-water.
- Mais le temps se lèvera, certainement il se levera.
- Prenez garde, Mylady ; je prends les promesses au sérieux. Lord Palmerston intervient, de l’autre côté de la table.
- Je donne ma garantie ; je suis sûr qu’il fera beau. Je me retourne vers sa femme.
- Lord Palmerston est bien heureux ; il est sûr avant. Moi, je ne le suis qu’après.
Adieu. J’attends Herbet, dans trois quarts d’heure. Je vous redirai adieu.

P. S. Voilà votre lettre. Je ne réponds à rien qu’à Adieu. A demain, entre midi et une heure.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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406. Londres, Mardi 5 sept 1840
6 heures et demie

Je crois que c’est une habitude que je prends. Je me réveille à 6 heures et ne me rendors plus. Il fait un temps admirable. Je regarde les arbres de mon square. J’ai un souffle qui remue les feuilles. C’est bien ce qu’il vous faut ; vous êtes aussi délicate qu’une feuille. Point de vent qui vous agite et du soleil qui vous plaise ; je ne ferais pas mieux, si je faisais le temps. Le courrier que j’ai fait partir hier soir m’a dit que la marée était ce matin à 5 heures. Il ne comprenait pas pourquoi je le lui demandais. Vous ne passerez pas, je pense par cette marée là, vous attendrez la seconde. J’ai employé doucement ma soirée d’hier. Seul dans ma chambre, de 5 heures et demie à onze heures, j’ai classé vos lettres par année, par mois, par lieu de séjour, chaque mois dans une grande enveloppe.
A onze heures j’ai eu Charles Greville qui revenait de Holland-House où il avait dîné avec Bourqueney On y était fort agité, fort troublé, comme à la Bourse, comme partout dans Londres hier, c’est-à-dire partout où l’on pense à ce qui se passe. Napier devant Beyrouth, sommant les Egyptiens d’évacuer la Syrie, le 14 août, deux jours avant que Riffat Bey eût notifié à Alexandrie, au Pacha les propositions de la Porte cela paraissait monstrueux, et très alarmant. Les Rothschild étaient inquiets au dernier point, inquiets au point de contremander une partie de chasse qu’ils avaient arrangée pour ce matin, ne voulant pas s’éloigner aujourd’hui de Londres. Mais vous en saurez, sur tout cela, plus que je ne puis vous en mander. Vous aurez le haut du pavé sur moi pour les nouvelles. Elles passeront par vous pour venir à moi. Il me semble que les ouvriers s’apaisent un peu. J’y regarde bien plus attentivement depuis hier. En soi ce n’est rien ; mais, c’est bien assez pour vous agiter. Quand quelque chose de ce genre vous préoccupera, faites venir tout de suite Génie ; il vous dira exactement ce qui en est. Et pour peu que vous en ayez besoin ou envie, M. de Rémusat. S’il peut vous être bon à quelque chose, il en sera charmé.
Moi, je le suis qu’il n’y ait plus rien que de convenable entre vous et Paul. Son voyage à Paris consolidera et améliorera. Il s’y plaira près de vous. Faites avec lui comme il faut faire avec les hommes en général ; attendre peu, et demander moins qu’on n’attend. Quelque douceur rentrera, dans votre relation redevenue convenable.
2 heures
Malgré le retard de ma lettre, je suis bien aise que vous soyez partie ce matin, par ce beau temps. Vous partiez au moment où j’ouvrais ma fenêtre où je saluais le soleil pour vous. Vous êtes depuis longtemps à Boulogne, peut-être déjà repartie pour Paris. Je le voudrais. C’est que la mer ne vous aurait pas fatiguée. Ma pensée vous suit partout. Dieu est bien heureux. Il est toujours à côté de ceux qu’il aime. Je garde ma fleur de Stafford-House morte comme vive. Dimmanche soir, je l’ai serrée dans mon portefeuille, à côté d’un petit sachet noir qui contient autre chose, encore plus précieux qu’elle. Le lierre ira là aussi, quand j’aurai bien joui de ce qu’il m’a apporté. J’écris beaucoup ce matin. Si je puis sortir à temps vous aurez aujourd’hui votre chêne. Sinon demain. Il n’y a point de petit plaisir. Je viens de revoir les Rothschild toujours très inquiets de ce que leur oncle écrit de Paris. Pourtant la partie de chasse se reprend demain. Inquiet ou non, il faut que la vie aille, et qu’on s’amuse. J’attends avec impatience votre impression sur Paris. J’ai presque autant de confiance dans votre jugement que dans autre chose ; presque.

4 heures
J’ai parcouru Regent’s Park, les jardins clos au bout de Portland Place. Pas un chène, ni jeune, ni vieux. Enfin j’en ai trouvé un dans le Regent’s park du public. Voici sa feuille. un peu passée. L’automne approche. Les feuilles passent ; mais tout ne passe pas comme elles, quoiqu’on en dise. C’est la prétention vulgaire que ce qui est rare ne soit pas possible. Il y a un plaisir profond à lui donner un démenti. Adieu. J’ai bien peur de n’avoir rien demain. A présent, je vous veux à Paris, bien reposée. Adieu. Adieu. Infiniment.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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407. Londres, Mercredi 9 [septembre] 1840
9 Heures

J’ai si mal dormi cette nuit que je me lève tard. Le sommeil m’a gagné ce matin. Je ne veux pas dire que je suis inquiet. Je ne le suis pas. Je ne le serais pas du tout, si vous ne rouliez pas vers Paris. J’en attends avec ardeur les nouvelles. Je ne peux pas me figurer un vrai désordre dans Paris, votre agitation, vos craintes, et moi absent. Que de choses on ne peut pas se figurer, et qui arrivent, et qu’on supporte ! C’est odieux à penser. Je suis parlaitement sûr qu’il n’y a point de danger dans Paris, point en général, point pour vous. Je pense que vous aurez appris l’émeute à Boulogne, et que vous vous serez arrêtée. Ce qui me prouve que l’émeute n’a pas de gravité, c’est qu’elle était fort locale, concentrée dans un quartier d’ouvriers. Il n’y a rien eu dans les quartiers politiques, où l’émeute politique à toujours logé. Ce que je vous dis-là, ne signifiera rien du tout pour vous quand vous le lirez. Mais je vous dis ce que je me dis à moi-mêmes. J’essaye en vain de me parler d’autre chose.
J’ai dîné hier à Holland-House, avec Lord John, dont j’ai été content très content. Il commence à entrevoir la gravité de la situation. Il convient qu’on s’est fort trompé, qu’on est déjà au troisième ou quatrième mécompte qu’on ne referait pas ce qu’on a fait si ce n’était pas fait. Mais comment faire? Il cherche et ne trouve pas. Mais il cherche. Et je sais que Lord Melbourne cherche aussi avec plus de care qu’il ne lui appartient. Je ne vois là rien de plus qu’une bonne disposition pour un moment qui peut venir. En attendant qu’il vienne ceci est bien grave. Voilà le traité en cours d’exécution. Et il s’exécute avant d’être non seulement ratifié, mais notifié au Pacha ; on l’attaque en Syrie avant de lui avoir dit qu’on lui demande de rendre la Syrie, quand on lui donne vingt jours, pour répondre à ce qu’on lui aura dit ! C’est là le premier incident. Il en viendra en foule. Et c’est sous ce feu-là, qu’il faut rester immobile jusqu’à ce que le moment se présente , soit pour nous d’agir, soit pour les autres to retrace their Steps ! C’est bien difficile. C’est pourtant la seule bonne conduite, bonne pour maintenir la paix si la paix peut être maintenue, comme j’y crois toujours, bonne si nous sommes obligés à la guerre. Car il faut que nous y soyons bien certainement, bien évidemment obligés, que nous la fassions pour notre compte, pour le compte de notre rang, de notre influence, de notre sureté en Europe, non pour le compte du Pacha et de la Syrie.
Je pense sans cesse à cela, sans cesse en seconde ligne. J’ai tort car tout se tient, la première et la seconde ligne. J’y pense avec cette passion qui pénètre certainement au fond des choses comme on regarde de sa barque à l’horizon, le point d’où peut venir la tempète. Je ne découvre pas autre chose à prévoir, autre chose à faire. Ma conviction sur les chances de l’avenir, sur la route à suivre, est de plus en plus forte. Mais que la barque où nous vivons est fragile, et que toute notre sagesse, toute notre force est peu de chose quand la mer est si grosse et le port si loin ! Je moralise ; j’ai recours à Dieu, je le prie. Je ne puis pas, je ne veux pas m’en défendre. J’ai le cœur trop plein, il s’agit d’intérêts trop chers, pour que les pensées et les ressources humaines me suffisent. Je vais à la sagesse qui sait tout, au pouvoir qui peut tout. Je lui demande d’intervenir.
Une heure
C’est Rothschild qui est intervenu pendant que j’écrivais. Croyez-vous qu’il prie Dieu pour la surété de son argent ? Je ne pense pas que cela soit jamais arrivé à personne. Grande lumière sur la valeur des choses.
Je n’espérais pas de lettre aujourd’hui. Merci mille fois. Vous êtes bien aimable. C’est presque une vertu d’être aimable. Cela me plaît que vous ayez passé par Calais. Je passe toujours par là. Rien de Paris sinon les journaux qui me prouvent que l’émeute n’a pas été grand chose. Le langage du Constitutionnel, sur la dépêche de Lord Palmerston et sur la situation en général est bon. Mais j’aurais dû avoir un courrier. Adieu. Serez-vous ce soir à Paris, ou demain seulement ? Adieu partout. Adieu toujours.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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408. Londres, Mercredi 9 septembre 1840
6 heures et demie

J’ai fait ce matin quelques visites. J’ai vu notre amis Dedel, toujours très bon et très sensé. Je lui ai porté mes plaintes sur Napier n’ayant pu trouver dans Londres un ministre anglais à qui les adresser. J’avais passé chez Lord Clarendon le seul membre du Cabinet qui réside. Il n’y était pas. Il sort de chez moi, et je lui ai dit comme s’il avait été Lord Palmerston ou Lord Melbourne tout ce que Napier m’avait mis sur le cœur. Il n’y a pas de réponse à cela. Lord Palmerston lui-même n’en trouverait pas. La guerre commencée en Syrie deux jours avant qu’on ait demandé au Pâcha de rendre la Syrie ! Voilà bien les incidents et les subalternes. Je ne sais ce qu’on me dira quand il y aura quelqu’un pour me parler En attendant les journaux même les plus hostiles au Pacha, le Standard par exemple, se récrient contre une telle légèreté ou un tel manqué de foi. On verra ce que c’est que d’entreprendre à 7ou 800 lieues et par toutes sortes de mains une opération bien plus vaste, bien plus compliquée, bien plur longue que cette expédition de Belgique que nous avons eu tant de peine à conduire à bien, sous nos propres yeux et de nos propres mains.

Jeudi 6 heures et demie
Je m’éveille. Achevez. J’ai eu hier quelques personnes à dîner. Rien. Après dîner, j’ai joué au whist. Quelle décadence. C’est demain que je commence à rester chez moi le soir, mardi et vendredi. J’achète une seconde table de whist, des échecs. Je fais venir du Val-Richer mon tric-trac. On ne trouve pas un tric-trac dans Londres. Je n’aurai pas mes deux soirées par semaine à Holland house. Ils vont décidément à Brighton pour quinze jours. Cependant Lady Holland va mieux. Lord John est retourné à Windsor. La Reine ne voulait pas qu’il en sortit, même pour un jour. Pourtant quand elle a su que c’était pour dîner avec moi, elle a dit : " A la bonne heure. Je crois que la Reine a grande envie de la paix. Lord Clarendon est invité à Windsor pour vendredi, la première fois. Lord Holland n’y a pas encore été invité. On en a de l’humeur. On s’en prend à qui de droit.
Lord Tankerville a été opéré hier matin, avec plein succès, dit-on. On n’en sera tout-à -fait sûr que dans quelques jours. Dites-moi ce qu’il y a de réel dans le succès de l’opération sur les yeux de votre nièce. Je déteste la loucherie. Je penserais avec plaisir qu’on a trouvé un moyen de la chasser de ce monde. Je n’ai pas eu hier de lettre du Val. Richer. Je m’en prends aux désordres des ouvriers dans Paris. Je sais que le service des postes en a été un peu dérangé. J’attends encore plus impatiemment le courrier de ce matin. Je n’ai pas besoin d’un redoubement d’impatience. Qu’a donc été votre si mauvaise nuit à Douvres que vous ayez hésité à partir ? Il ne faut pas dire des choses pareilles, cela donne des pensées abominables. Au moins ne soyez pas malade loin.

Midi
Votre fatigue me préoccupe beaucoup. Je m’y attendais. Mais qu’importe ? Vous ne vous réposerez qu’à Paris. Tout y est tranquille. J’ai reçu ce matin une bonne lettre de Thiers. Il paraît que malgré Napier, les syriens n’ont pas envie de se faire égorger pour faire plaisir à Lord Palmerston. Tout optimiste que je suis, je ne le suis pas tant que d’autres. Je trouve qu’on est déjà bien engagé. Je crains toujours les coups fourrés et soudains. Pourtant il est sûr que jusqu’ici tous les mécomptes ont été d’un seul côté. Où aurez-vous couché hier ? A quelle heure arrivez-vous aujourd’hui à Paris ? Je me fais cent questions; et j’ai beau savoir que je ne trouverai pas la réponse; je recommence toujours. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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420. Paris samedi 12 Septembre 1840 à 8 heures.

Vous me voyez temps de bonne heure, c’est que je suis dans mon lit à 9 heures du soir j’ai assez bien dormi. J’ai vu hier matin mon ambassadeur, Appony, Bulwer et de 8 à 9 le soir votre petit homme. Je me suis fait traîner au bois de Boulogne de 4 à 6. Mad. de Flahaut est venu trois fois, j’avais fermé ma porte. Enfin elle m’a écrit pour me presser d’aller dîner chez elle. J’ai décliné et je lui ai promis d’aller me promener avec elle ce matin. Je verrai ma nièce aussi ce matin.
On ne parle plus d’émeutes du tout Dieu merci. Paris est joli, animé, quelle différence de Londres !
Je trouve ici dans le monde que je vois moins de crainte de la guerre que je ne croyais. Ils la croient possible, tout au plus probable non ; ils croient encore qu’à la dernière heure le Pacha cédera, en se mettant sous la protection de la France et que la France qui promettra ses bons offices obtiendra facilement des alliés St Jean d’Acre qui doit satisfaire le Pacha, et satisfaire la France, car ce serait une concession attendu que par son premier refus le Pacha a perdu ses droits à St Jean d’Acre. Si la guerre éclate, ils n’ont pas la moindre idée que ce puisse être autre chose qu’une guerre maritime. Et voilà pourquoi l’Angleterre y est si indifférents. Elle peut parler légèrement de la guerre, elle y gagne. Ses flottes battront et prendront, et ensuite une guerre continentale ne lui fait aucun mal. Il n’en est pas de même des autres puissances. Non, elles ne veulent pas la guerre. Elles ne comprennent pas pourquoi et comment elle se ferait, car elles ne feront rien pour cela de leur côté. Elles ne rencontreront la France nulle part ? La France regarde comme cas de guerre, l’entrée des Russes en Syrie ou à Constantinople mais ils n’y iront pas. Si Ibrahim franchit le Taurus, les flottes anglaises, russes, autrichiennes entreront dans la rue de mer de Marmara pour couvrir Constantinople. Cela ne constitue pas un cas de guerre ? Pahlen m’assure qu’il faudrait que l’Empereur fut bien changé depuis 6 mois pour en avoir envie. Il n’en veut pas. En recherchant les causes de tout ce mauvais imbroglio on trouve d’abord, une disposition hargneuse à Londres. Ensuite des illusions là comme ici. Là, ignorance volontaire ou réelle de la disposition de la France. Ici, incrédulité sur le vouloir ou le pouvoir de lord Palmerston. Après cela on dit aussi que la France a voulu jouer au plus fin. Qu’elle voulait et croyait escamoter l’arrangement en le faisant conclure d’une manière cachée et abrupte entre les deux parties. Que c’est de Pétersboug qu’on a donné l’éveil à Londres. Que cela y est revenu par d’autres voies ensuite. Que cela a excité non seulement à faire, mais à se cacher aussi pour faire le traité. Voyez ; cela me parait assez bien déduit. Au total, mes ambassadeurs ne croient pas à la guerre. Ils sont très modérés, très calmes, une fort bonne attitude. Ils se louent toujours du Roi. Ils ne se plaignent pas de Thiers, mais Appony dit seulement qu’il a des vivacités étonnantes, et que si on ferait comme lui, on se battrait déjà. Cependant il ne lui attribue pas non plus l’envie de la guerre.
Enfin le langage est concevable. Bulwer a peur, véritablement car je crois qu’il essaie de fréquentes bourrasques. Il cherche à expliquer et justifier Napier. Mes ambassadeurs sont plus francs. Ils disent tout bonnement que c’est une action honteuse.
Ah par exemple ils détestent 46 ! Le petit homme hier au soir m’a fort questionnée ; et cross examined. Cher petit, je l’aime beaucoup ; il a un amour si inquiet ! Je l’ai fort bien renseigné sur les dispositions et les résolutions et il a fini par les trouver bonnes, quoiqu’il penche un peu pour autre chose. Il est dans la plus énorme méfiance de 21. Il parle très mal de lui et de sa femme à l’égard du chêne.

1 heure.
Merci du 408. Je bénis l’invention de la poste puisque je n’ai plus qu’elle ! J’ai été faire visite à ma nièce. Elle est charmante, jolie, une beauté fière, distinguée de la race, blanche, fragile et les yeux à peu près droits, vraiment elle me plaît, elle vous plaira. Appony croit savoir aujoudhui que vous méditez quelque coup de théâtre. Caudie par exemple. Ah cela serait mauvais, car comment éviter alors que la guerre ne s’engage. Mais je pense que vous ne commencez pas. Si personne ne commence elle ne viendra jamais. Cependant comment débrouiller ce brouillamini.
Je suis fatiguée, tout me fatigue, je me soigne bien cependant, je fais ce que je peux, il me faut du temps, des ménagements. Je refuse toute sortie, les Appony, les Flahaut me veulent encore a dîner, je dis non à tout le monde. Je verrai Mad. de Flahaut ce matin. Adieu, Bulwer va venir pour causer. Je vais dîner. Et puis le bois de Boulogne. Adieu, adieu comme toujours comme dans les meilleurs moments. Mille, mille fois adieu.
P.S. les Ambassadeurs ne connaissent pas le traité du 15 juillet. On le leur promet après l’échange de ratification.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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411. Londres, Dimanche 13 Septembre 1840
4 heures et demie

Oui, Paris, vous plaira davantage. Paris vous plaira tout-à-fait, tout-à-fait, n’est-ce pas ? Puisque vous n’êtes plus où je suis, j’aime à vous savoir à Paris. Vous me direz, dans quelques jours comment vous y aurez réglé votre vie. Très probablement comme nous nous le sommes dit à Stafford. house. C’est égal ; vous me le redirez. J’aime bien les redites. Je reviens de Kenwoood, (est-ce Kenwood ou Caen-Wood, comme le dit mon Guide?) la villa de lord Mansfield. Le parc est bien beau, les alentours bien beaux. J’aurais voulu être seul. J’avais Bourqueney, Vandeul et Herbet. Ils disent qu’il faut que je me promène. Je n’avais pas encore été à Hamstead. Point de souvenirs donc là. Je crois que j’aime mieux les lieux où j’en ai. Je retournerai à West-hill Je ne sais pas pourquoi je dis : " Je crois que j’aime mieux ", j’en suis parfaitement sûr. Je n’ai trouvé Kenwood que beau. Si nous y avions été ensemble, je l’aurais trouvé charmant. Ensemble une seule fois.
Un homme de Holland house, m’a poursuivi à Kenwood pour m’apporter un billet de Lord Holland qui en revenu ce matin de Windrow et me prie d’aller diner aujourd’hui avec lui. J’irai. Ils partent toujours demain pour Brighton. Lady Holland dit qu’elle veut prendre là les eaux de Marienbad, contre la bile. Les Allemands se moquent d’elle. Ils disent qu’on ne prend pas, les eaux de Marienbad avec si peu de façons. Lord Palmerston m’a écrit de Broadlands qu’il revenait demain. Lady Palmerston avec lui, pour quatre ou cinq jours. Ils retourneront à Broadlands.
J’ai écrit décidément à Glasgow et à Edimbourg que je n’irais pas. Il n’y a pas moyen. Je ne puis courir le risque qu’une dépêche m’arrive 48 heures trop tard. On se préparait à me recevoir très bien à Glasgow, bruyamment peut-être. Raison de plus. La parole publique ne me serait pas commode en ce moment. Pour bien parler, il faudrait dire trop. Lundi 14, sept heures et demie Rien que Lord Clarendon et moi à Holland-house. Nous avons l’air de gens qui essayent de se consoler entre eux. Lord Holland plus vif que jamais et Lady Holland encore plus. J’y dine encore aujourd’hui. Ils ne partent pour Brighton que demain.
Rien de nouveau de Windsor, sinon que lord Melbourne dit à tout propos D... et Dev... ce qui fait beaucoup rire la Reine qui n’avait jamais entendu jurer avant lui. Il lui apprendra à jurer et à ne pas se soucier. Drôle d’éducation royale ! Du reste il (lord Melbourne) en souffrant, assez souffrant. Il dit qu’il ne peut ni manger ni dormir. Il rêve à la Syrie. Il y a de quoi. Après Napier, les quatre consuls. On est ici, surtout parmi les Diplomates continentaux, fort troublé de cette pièce qui amène les armées Européennes en Asie et promet la guerre universelle, la guerre à ontrance. Les uns la blâment, les autres la désavouent, les plus hardis, la nient. Neumann est presque de ceux-ci. Il n’a pas attendu que je lui en parlasse pour protester contre avec colère. Quand j’ai parlé des incidents et des subalternes, j’ai eu trop raison. La politique n’a pas tenu grand place hier soir dans notre quatuor. Lord Holland, était tout littéraire et Lady Holland toute mélancolique. Lord Holland m’a montré de ses vers, une longue pièce de vers ; devinez sur quoi sur le dictionnaire de Bayle :

In health or in sickness, as freedom or in jail
Give me one book, but let that book be Bayle.

Je ne suis pas sûr que ma mémoire soit parfaitement correcte ; mais voilà le trait. Bayle ne s’est jamais douté qu’il ferait une telle passion. Pour lady Holland, elle déplorait sa solitude, les longues heures de solitude de ses journées. Elle ne lit tant que parce qu’elle est tant seule ! Nous nous sommes récriés. Personne n’est moins seul qu’elle. Elle a persisté ; elle a parlé de l’isolement de la vieillesse de tous les amis qu’elle avait perdus : " Quand je me sens trop seule, quand la tristesse me gagne, je viens dans cette bibliothèque ; j’y rappelle tous ceux que j’y ai vus ; je remets Romilly sur cette chaise, Mackintosh ici, Horner là, tous mes amis, de bien aimables amis. " Elle était vraiment émue, et presque éloquente, with very few words. Je vous répète que c’est la femme de ce pays-ci qui a le plus d’esprit. Elle m’a répété les déclarations les plus tendres, et demandé de vos nouvelles. Lord Clarendon ne voulait pas croire que vous eussiez été malade. Elle a soutenu que vous l’aviez été, bien réellement.

3 heures
Voilà enfin une vraie lettre. Ne croyez pas que je me plaigne des autres. Votre exactitude, en courant la poste m’a été au cœur. A quelle heure, la plus matinale, peut-on venir chez vous vous remettre une lettre? J’ai en vue, un messager de plus, très bon, très prompt, mais disponible seulement avant 10 heures ou après 4. Peut-il aller avant 10 ? Quant à nos intermédiaires ici, réglez leurs jours, deux jours par semaine pour chacun, pour que je ne sois pas obligé d’envoyer chaque jour partout. Envoyez-moi votre règlement ; tels jours pour le n°1, tels pour le n° 2 && Je sais l’ordre des N°. A demain la conversation. Je retourne aujourd’hui dîner à Holland house. Ils ne partent que demain pour Brighton. Lord Palmerston m’écrit qu’il ne viendra à Londres que demain. Adieu. Adieu. Mille et un.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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409. Londres, Vendredi 11 septembre 1840
7 heures

Vraiment vous me manquez trop. J’ai travaillé hier tout le jour. Je viens de dormir toute la nuit. Dès que je cesse de travailler ou de dormir, je tombe dans le vide. C’était si charmant de vous voir deux fois le jour en réalite et tout le jour en perspective ! Par ma fenêtre de la table où j’écris en ce moment mes regards enfllent Duke-street jusqu’à Grosvenor-Square et Mount Street. C’était l’un de mes deux chemins, précisement la moitié du chemin entre Hertford house et Stafford house. Il n’y a plus de Stafford house ; il n’y a plus de chemin ; Hertford House est une grande maison sombre et froide dans un désert. Ne me croyez pas pourtant quand je vous dis que vous me manquez trop. Je ne le pense pas. C’est un lieu commun que je dis bêtement comme le dirait quelqu’un qui me regarderait. Quoi de plus naturel, quoi de plus juste que de sentir à ce point votre absence, l’absence d’une intimité comme la nôtre ? C’est tout au plus si j’en jouis assez vivement quand elle est là, si je la regrette assez profondément quand elle a disparu. Je vous ai dit souvent, jamais assez à quel point je trouve le monde médiocre, les affections, les esprits, les relations les conversations. Je n’en deviens point misanthrope ; je me résigne sans humeur. Mais quand je sors de là, quand j’entre dans cette autre sphére où tout me plaît, me convient, me suffit, me satisfait pleinement, c’est une joie inexprimable une joie fière et reconnaissante, c’est le cœur épanoui, l’esprit à l’aise, la vie libre ; c’est l’air pur du matin, le soleil du midi, le plein vent dans les voiles, c’est tout facile, doux, vrai, grand, harmonieux, au lieu de tout petit, gêné, factice, commun, incomplet. Non, vous ne me manquez pas trop et je dois bien au bonheur dont j’ai joui de sentir le vide que je sens. Nous retrouverons notre bonheur, n’est-ce pas ?

2 heures
Pas de lettre, d’aucun côté. Cela me déplaît fort. Ma meilleure chance, c’est que vous ayiez manqué l’heure de la poste dans la ville où vous aurez couché après Boulogne. J’espère bien souvent. que ce n’est rien de plus. Si vous étiez restée malade à Boulogne, vous m’auriez écrit ou fait écrire quatre lignes ; Lilburne, Henoage & Je n’admets pas d’embarras en pareil cas. Je veux être tranquille, c’est-à-dire savoir ce qui est. Abominable tranquillité peut-être. J’ai été hier a soir à Holland house. Rien que des Fox, lord et lady Holland, Miss Fox Charles Fox et Allen. Saviez-vous qu’Allen est le trère de lord Holland ? Lady Holland me trouve très aimable. Je lui suis beaucoup là en effet. Peut-être soupçonne-t-elle à qui elle le doit. Lord Holland a été invité à Windsor. Il y va aujourd’hui, pour deux jours. Ils partent Lundi pour Brighton, pour une semaine. Les ratifications turques sont arrivées hier. L’échange se fait aujourd’hui. On vient de rencontrer quatre voitures, se rendant in fiocchi chez Lord Palmerston. Au moment où je vous écris cela, on vient me dire de chez lord Palmerston, où j’avais envoyé. that he’s not in town. L’échange des ratifications n’a donc pas lieu aujourd’hui. Les Turcs n’en sont pas moins arrivés. Où allaient ces voitures in fiocchi ? Adieu. Il faut que je vive encore toute la journée, sur le petit papier d’hier. J’espère que demain m’en apportera de grand. Demain je vous saurai à Paris. Je n’admets pas le doute à cet égard. Adieu. Il y a dans l’adieu quelque chose d’immuable. Sa tristesse n’ôte rien à sa tendresse. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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410. Londres, Samedi 12 septembre 1840
10 heures

Voilà deux lettres, Poix et Beauvais. Que j’ai le cœur léger ! Je l’avais bien gros en m’éveillant. Je n’ai pas voulu écrire. Vous êtes fatiguée. Mais vous avez faim et la France vous plaît. J’aime que la France vous plaise ; et je ne suis pas jaloux de la France. Ni de l’Angleterre non plus. L’Angleterre a été charmante. Tout est charmant ce matin. Dieu m’a donné son pouvoir ; je fais le monde à mon image, sombre ou brillant, triste ou gai selon l’état de mon cœur. Demain, j’aurai de vos nouvelles de Paris. Et tous les jours. Et de longues lettres. Demain, je ne vous écrirai pas à mon grand regret. Je suis forcé d’envoyer un courrier aujourd’hui. Il fait beau. J’espère que vous serez entrée à Paris sous un beau soleil, que les fontaines sont pleines d’eau, les Tuileries encore vertes, que vous aurez regardé avec plaisir par votre fenêtre. Regardez. Est-ce que je n’arrive pas ? Ah, j’y suis toujours, sauf le bonheur.
Je parle beaucoup de Napier moi. J’en parle à tout le monde. Quelques uns me répondent comme je parle. Les autres, essayent de ne pas me répondre du tout.Les plus hardis sont embarrassés. Je n’ai pas encore pu joindre lord Palmerston. Toujours à Broadlands pendant qu’on traduit et copie les ratifications turques. Ni Lady Clanricard qui est à la campagne aussi, on n’a pas su me dire où. Elle revient Lundi. Les Palmerstoniens attendent avec passion les insurgés de Syrie, un pauvre petit insurgé ; on n’en demande pas beaucoup. Ils tardent bien. J’ai peur que tôt ou tard, il n’en vienne assez pour faire égorger ceux qui ne seront pas venus. Quels jouets que les hommes ! Il y a là, au fond de je ne sais quelle vallée au sommet de je ne sais quelle montagne du Liban, des maris, des femmes, des enfants qui s’aiment, qui s’amusent, et qui seront massacrés demain parce que Lord Palmerston en roulant, sur le railway de Londres à Southampton, se sera dit : " Il faut que la Syrie, s’insurge; j’ai besoin de l’insurrection de Syrie ; si la série ne s’insurge pas, I’m fool ! "

3 heures
Il me tombe aujourd’hui je ne sais combien de petites affaires, de l’argent à envoyer à Paris pour le railway de Rouen, des quittances à donner, le bail de ma maison, Earthope, Charles Greville. On m’a pris tout mon temps, depuis le déjeuner. Je me loue beaucoup de Charles Greville. C’est dommage qu’il soit si sourd. Il arrive de Windsor où le Conseil privé s’est tenu hier. Il part demain matin pour Doncaster. Moi, j’écris ce matin à Glasgow et à Edimbourg que je nirai pas. Il faut qu’absolument que je sois à Londres pour recevoir l’insur rection de Syrie, si elle arrive. Voilà des grouses d’Ellice. J’aimais mieux les premières. dit-on, les premiers ou les premières ? Je le demanderai à lord Holland qui est mon dictionnaire anglais. Je reçois un billet de ce pauvre comte de Björmtjerna qui devait venir dîner aujourd’hui avec moi. Il est depuis hier matin dans une taverne, à côté de Customs house, attendant le bateau de Hambourg qui porte sa femme et ses enfants, et qui n’arrive pas. Il y a eu une violente tempête mercredi et jeudi. J’ai grande pitié de lui. J’ai eu hier ma première soirée. Dedel, Vans de Weyer, Hummelauer, Moncorvo, Alava Schleinitz, des secrétaires. Ils ont joué au Whist, à l’écarté, aux échecs. Les sandwich excellentes. Je les leur voyais manger avec humeur. Longchamps, Longchamps ! Pas de nouvelles. Neumann était à Broadlands. Il en revient aujourd’hui pour dîner chez moi. Quoiqu’il n’y ait personne ici, il y a des commérages. On dit que j’ai dit que si nous faisions la guerre, ce ne serait pas sur le Rhin, mais sur le Pô que nous la ferions. L’Autriche s’en est émue. Je dis que je ne l’ai pas dit, mais que je n’entends pas dire que nous ne ferions pas la guerre sur le Pô, si nous la faisions.
Adieu. Vous partez pour le bois de Boulogne. Adieu là comme partout, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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412. Londres, mardi 15 septembre 1840
7 heures et demie

Demay est parti avant-hier et doit être à Paris aujourd’hui selon sa promesse. Vous me direz si vous êtes contente de Valentin et de votre nouvelle, femme de chambre. Elle n’est pas jolie. Eugénie, vous a-t-elle quittée ! Que devient Chartolle ? Je suis bien questionneur ce matin. J’ai besoin de tout savoir. Encore une question. Avez-vous vu Chermside ? Je suis charmé que votre nièce soit charmante. A-t-elle assez d’esprit pour se plaire un peu avec vous ? Je suis très disposé à la trouver bien, sauf toujours la loucherie. J’y suis impitoyable. Je ne le suis que pour cela, quoiqu’on en dise.
Encore un assez agréable petit dîné hier à Holland house. Clarendon et Luttrel. Pas mal de conversation. Lord Holland et moi. Il est vraiment très aimable. Presque bouffon. Il s’est mis hier à contrefaire les hommes célèbres de son temps Sheridan, Graltan, Curran. Ce gros corps goutteux qui ne peut pas se remuer, cette grosse figure, ces gros sourcils de geolier, tout cela devenait souple, gai avec un air de moquerie fine et bienveillante. Lady Holland est plus souffrante. Pas de Brighton aujourd’hui et probablement pas du tout. Je vous raconte tout mon Holland house. C’est mon Angleterre en ce moment. Savez-vous, comment Lady Holland appelle les quatre consuls d’Alerandrie ? Les Proconsuls.
J’ai reçu une longue lettre de lord Grey. Il me prie de faire obtenir à Lady Durham, qui va passer l’hiver à Pau avec ses enfants, l’autorisation d’introduire, en France sa vaisselle. Vous savez que ce n’est pas facile. Il faut pourtant que j’y réussisse. Dites à Thiers, la première fois que vous le verrez, d’en dire un mot au Ministre des finances, de lui dire qu’il le faut.
Politiquement, voici tout Lord Gey. I rend in the papers, my only sources of information, with great anxiety and concern, the continued account ot the dangers, which threaten, the good understanding between this country and France. I cannot bring myself to believe that a rupture can ultimately take place between live countries which have mutually so strong an interest in preserving the relations of peace and amity. But I can not also be without great fears that à state of things may be produced in which some accident or mischance may decide a question which some wisdom and moderation would settle amicably. I feel confident that your feelings are not different from those which I have expressed, and if any thing could induce me again to talk part in public affairs, it would be the hope of being able to assist, in preventing dangers which are much greater than the value of all Syria, past, présent and to come.
Je ne sais pourquoi je vous copie tout cela, qui me prend mon papier et qu’il vous a peut-être écrit aussi. C’est pour la dernière phrase. Et surtout pour vous parler de tout.

3 heures
J’attends bien impatiemment que vous ne soyez plus si fatiguée, si faible. Il me semble que la vie que vous menez doit finir par vous reposer. Je n’en imagine pas de plus tranquille. Continuez à vous coucher de bonne heure. Le bavardage menteur et hostile de Mad. de Flahaut ne métonne pas du tout. Il me devient bien des bavardages. J’écoute tout et ne me préoccupe pas de grand chose. Je me sens très fort, fort comme l’Angleterre avec sa ceinture d’océan comme sera Paris quand son enceinte continue sera faite. Je crois fermement, après y avoir bien regardé, que, depuis mon arrivée à Londres, j’ai bien jugé et bien agi. Rien ne me manque en fait de preuves. Je me tiens et me tiendrai fort tranquille si jamais j’étais attaqué, ouvertement ou sourdement, je me défendrais bien. Et très sérieusement, car ces affaires-ci sont sérieuses. Adieu. Extrêmement comme vous dîtes. J’aime cet adieu-là.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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421. Paris, Dimanche 15 septembre 1840
9 heures

Voici trois dimanches bien différents entre eux. Dimanche 30 août, dimanche 6 où je vous voyais pour la dernière fois, et celui-ci que je passe si loin, si loin de vous mais il me semble que je suis chez nous. Et cette pensée est si douce, venez la compléter.
J’ai vu hier matin Bulwer, Montrond, mon ambassadeur. Le premier bien agité, bien inquiet. Il y avait quelque chose ; il venait me le dire, l’arrivée de Montrond nous a dérangés. Montrond inquiet aussi croyant à la guerre, me faisant des questions sur vous, surtout les détails de votre attitude, vos allures, votre maison. J’ai pleinement satisfait à toutes ces questions. Je l’ai trouvé ni bien, ni mal, disant seulement que Flahaut disait beaucoup de choses qui ne sont pas bien. Le roi belliqueux, mais croyait à le paix. Au total pas grand chose. Mon ambassadeur inquiet aussi, la journée semblait mauvaise. Il y avait quelque chose de menaçant dans l’air. Je lui ai conté hier M. de Brünnow, il est parfaitement indiqué et parfaitement sûr que l’Empereur n’y est pour rien, mais il ne devine pas et ne comprend surtout par la bêtise. Je lui ai conté M. de Nesselrode aussi, cela le confond, mais il n’a pas pour lui une grande estime. Il me dit que j’ai très bien fait mais que je les mettrai dans un grand embarras. C’est leur affaire de s’en tirer. M. de Pahlen dit un peu autrement qu’Appony. Il est convaincu qui si Ibrahim passe le Taurus nous irons à Constantinople. Au reste, il n’a pas eu un seul courrier depuis mon départ pour l’Angleterre pas un. Il n’a pas eu un mot même par la poste depuis ce traité, c’est-à-dire qu’on ne lui dit pas un mot du traité. C’est drôle ! L’Empereur sera de retour à Pétersbourg cette semaine.
J’ai fait ma promenade avec Mad. de Flahaut. Je suis avec elle comme avec lady Palmerston bien, et pas comme avant. Elle a recommencé des explications sur la lettre. Je lui ai dit que je n’y pensais plus, elle voulait dire, et elle a dit pendant une demi-heure, trente mille même mensonges je les ai écoutés probablement comme on écoute des mensonges car elle m’a dit : " Je vois que vous ne croyez pas un mot de ce que je vous dis." J’ai souri, et je l’ai assurée que sa réponse écrite m’avait parfaitement suffi. Et voilà qui est fini. Elle a bavardé, bavardé sur les affaires, bien dans le sens raisonnable. Après. cela elle a dit qu’il y avait une question curieuse à éclaircir, que le ministère disait que vous n’aviez pas su un mot du traité et ne lui en avez rien mandé jusqu’après sa conclusion ; que vos amis, c’est-à-dire une petite partie de vos anciens amis disaient que vous avez toujours éte d’opinion qu’il se conclurait que vous en aviez averti et souvent. et elle m’a interrogée. J’ai répondu froidement, que Londres on disait et croyait que vous le saviez et que vous l’aviez dit. Flahaut que je n’ai pas vu part demain pour Londres ou autre part afin de n’être pas ici pendant le procès.
J’ai dîné seule, ou plutôt pas dîné. Après, j’ai été en calèche encore, à droite, à gauche, passer mon temps. J’ai manqué Fagel ce que je regrette. Je me suis couchée à 9 1/2.
Voici votre lettre. Comment êtes-vous resté un jour sans rien de moi ! Vous aurez vu au moins qu’il n’y avait pas de ma faute. Il y a deux pages charmantes dans votre lettre, il y a dans chaque lettre des pensées si douces, si tendres. Ah que j’y réponde doucement, tendrement !
Midi. J’ai fait un tour de promenade au jardin à pied je suis lasse, le plus petit exertion me fatigue. Je ne me plains plus que de cela ; très fatiguée, très faible, très maigre. Il faut que je me relève de ces calamités. Adieu. Adieu extrêmement.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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423. Paris Mardi le 15 Septembre 1840
8 heures

J’ai vu hier matin, M. de Werther et Bulwer. Point de nouvelles tout le monde très pacifique. J’ai fait ma promenade au bois avec Emilie. Je n’ai pas vu sa mère, Dieu merci.
Après mon dîner qui n’est pas un dîner, les deux Pahlen sont venus chez moi, du parlage, du rabâchage, car il n’y a rien. M. d’e Pahlen qui connait cependant fort bien l’Orient et parfaitement les Turcs, affirme qu’il est impossible que le traité stipule l’entrée des Russes dans l’Asie mineure, ou que si ce traité le dit c’est une complète absurdité. Car jamais nos troupes en surmonteraient les obstacles matériels et moraux de cette entreprise. Aucune troupe européenne ne le pourrait et nous moins que tout autre, parce que le Russe est détesté par tout musulman ainsi dans son opinion, point de Syrie possible par terre, par mer c’est l’affaire de lord Palmerston voyons s’il en viendra à bout.
Le temps est à la pluie, n’importe Paris est joli. Les fontaines font leur devoir ; les arbres sont un peu gris, C’est vrai ; mais c’est égal. Je n’ai pas vu une âme française depuis mon arrivée ; excepté Montrond. Charles Pozzo vient de se casser une côte. Le vieux est tout-à-fait imbécile, il n’y a plus d’éclaircie. La fille de Jérôme Bonaparte épouse M. Demidoff. J’en suis indignée. Le prince Paul de Wurtemberg est de retour, je pense que je vais bientôt le voir. Il doit être drôle maintenant.
Mon ambassadeur est fort impatient de ce que je n’ouvre. pas encore ma porte. Je l’ai renvoyé avant dix heures. Midi, j’ai vu le petit ami, et il m’a vue dans mon bonnet de nuit. Il est venu trop tôt, ou bien moi, je suis restée trop tard en tenue de nuit.
Il n’y a rien rien. A blank day again. Mais il est impossible qu’il ne survienne pas des événements, les matières remuantes ne manquent pas. Il faut que vous vous contentiez aujourd’hui de ce pauvre chiffon de lettre. Il ne vous en porte pas moins, tout court, qu’il est un bien long, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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413. Londres, Mercredi 16 septembre 1840
6 heures et demie

Je ne me suis pas conché à 9 heures, mais je me réveille de grand matin. Mes vendredi et mardi conviennent, je crois beaucoup aux diplomates. Ils y étaient tous hier sauf ce pauvre comte de Björnstjerna qui attendait encore hier matin le bateau de Hambourg et sa femme. Elle est enfin arrivée hier soir. Il me l’a fait dire par un petit comte de Mörner, joli jeune homme qui barbouille comme je n’ai jamais entendu personne barbouiller. Ils ont beaucoup joué, au Whist, et moi un peu. J’admirais, en remontant dans ma chambre, avec quelles choses et quelles paroles on peut remplir trois heures. Ils sont comme les vôtres, ils croient à la paix ; les uns d’une façon qui me plaît, les autres d’une façon qui me déplaît. Il y en avait là deux qui faisaient pitié à voir, pour leurs propres affaires, Alava et Moncorvo ; ne sachant pas s’ils étaient les ministres de quelqu’un ne recevant rien, ni nouvelles, ni argent, pas de nouvelles depuis bien des jours, pas d’argent depuis bien des mois. Ils jouaient tout de même au Whist. Lord Palmerston est revenu hier matin. Je l’ai vu à 5 heures et demie au moment où ils venaient d’échanger les ratifications. Les tables étaient encore là, les grands papiers, les bâtons de cire. Neumann, Schleinitz et Brünnow sont sortis devant moi de son Cabinet. Brünnow est très changé, et il a l’air consterné d’être si changé. Il a eu un quasi-choléra. J’ai passé une demi-heure avec Lord Palmerston très doux, ne voulant de querelle sur rien. Il m’a abandonné les consuls tout-à-fait Napier à moitié. Aux autres, il promet toujours un succès certain, prempt, pas le moindre vrai danger. Avec moi il n’argumente plus, il ne prédit plus. Nous avons l’air d’attendre tous deux que Dieu donne raison à l’un des deux. Il reste ici, pour quinze jours au moins. Lady Palmerston est revenue avec lui. Vous a-t-elle écrit ?

2 heures
Je n’ai rien encore ce matin. J’ai encore une chance. Je l’attends. Attendre, et attendre une chance, que cela me déplaît ! Quel ennui de ne pouvoir tout faire tout rondement ? Je suis aujourd’hui comme on était autour de vous samedi dernier, noir et inquiet. Je crains des malheurs et des fautes, les pires des malheurs, car elles en sont et elles en font. Je pense beaucoup dans ma solitude. J’entrevois dans la situation la plus périlleuse, une bonne conduite possible, très bonne, mais si difficile, si difficile ! Et puis, je ne sais pas bien l’état, l’état réel des esprits en France, ce qui est bien quelque chose dans la question. Mon instinct est que le bon parti ne veut pas la guerre. Et qu’il aurait la force de l’empêcher s’il en avait l’esprit et le courage. Je suis très perplexe. Mal double pour moi, car la perplexité, fort pénible en elle-même, est de plus contre ma nature. Je ne reste jamais longtemps perplexe. Je viens de répondre à lord Grey. 3 heures et demie Là voilà. Rien ne manque plus à ma journée de ce quelle peut avoir. Je suis moins noir qu’à 2 heures Je crois moins à la guerre, si elle venait, vous seriez malade, très malade. On est toujours à temps de se mieux porter si cela devient absolument nécessaire. Il faut commencer par être malade. Mais j’espère qu’il ne faudra pas. A présent que je vous ai vue comme je vous vois à présent, je vous quitte. J’envoie un courrier ce soir. Je vais à mes dépêches. Il fait froid aussi à Londres. J’ai du feu. En aurais-je à Paris ? Mad. de Tencin disait que la diversité de goût sur le froid, et le chaud avait brouillé plus de ménages que toute autre passion. Croyez-vous ? En tout cas, ne vous refroidissez pas. Adieu, adieu. J’ai une sottise sur le bout des lèvres. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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424. Paris Mercredi 16 septembre 1840
9 heures

J’ai vraiment des moments de grand mépris pour moi, et pour vous. Je trouve si intolérablement absurde que nous soyons séparés. Vous seul à Londres ; moi seul à Paris, chacun au milieu de millions d’habitants, seuls, bien seuls ! Eh bien voyez-vous cet abominable égoïsme qui fait que je vous aime mieux à Londres qu’au Val-Richer. Je vous veux, comme moi, sans compensation, sans distraction, sans plaisir ; pensant à juin, juillet, août rêvant à octobre. Un doux passé, un charmant avenir, n’est-ce pas ? Mais il faut qu’il vienne cet avenir. Il faut que nous allions à lui bien décider à le conquérir.
J’ai vu hier Bulwer et Adair. J’ai été shopping pour un cadeau à ma nièce. Et j’ai passé chez les Appony que j’avais manqués chez moi décidément on était à la paix hier. Appony avait vu Thiers longtemps ; il avait l’air un peu mystérieux (Appony), mais fort rassuré. Après mon dîner j’ai été chez les Flahaut, il y avait M. de Sercey et M. d’Haubersaert. On a beaucoup, beaucoup parlé politique, je n’ai pas ouvert la bouche. C’est exact ce que je vous dis là, pas ouvert la bouche. On disait beaucoup que le Pacha se modérait. On faisait des paris qu’il n’y aurait aucune tentation sur la côte de Syrie qui puisse réussir. Enfin comme de raison, on était très français. J’étais dans mon lit à 10 heures, avec un gros rhume.
Le temps est abominable. J’aurai une lettre aujourd’hui. Ce pauvre M. de Stackelberg a encore perdu une fille. Mad. de la Rovère. Trois enfants dans dix mois. Je devrais dire cette pauvre Mad. de Stockelberg ! Car c’est elle, elle qui le sent !
1 heure
Comment pas de lettres ! Mais c’est impossible, n’est-ce pas c’est impossible que vous ne m ’ayez pas écrit ?
2 heures
Je vais sortir, comment il faudra fermer ma lettre sans un adieu de vous ? Faut-il que je m’inquiète ? Adieu tristement. Adieu tendrement. Adieu bien longuement.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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415. Londres, Vendredi 18 septembre 1840
9 heures

J’attends mes deux lettres car j’en aurai deux aujourd’hui. J’ai eu mon courrier cette nuit. La tempète a été l’une des plus violentes qu’on ait vues. Notre steamer, sorti de Calais avant-hier fut obligé de rentrer. Hier il a mis sept heures pour aller à Douvres. Le port de Douvres est encombré. Et il faut, pour que mon cœur soit tranquille, qu’un petit chiffon de papier surmonté tout cela ! Les nouvelles sont à la paix. J’y ai toujours cru, j’y crois toujours. On a bien des incertitudes, dans l’esprit, comme il y a bien des vicissitudes, dans les événements. Pourtant au fond de la pensée, dans son cours habituel quelque chose domine conviction ou instinct. Pour moi, c’est la paix. Ici, on la désire évidemment de plus en plus. S’il y a quelque concession un peu embarrassante à faire, elle se fera à Alexandrie ou à Constantinople. Je devrais dire et au lieu d’ou. Le traité laisse avec grand soin, cette porte ouverte. Les bases d’arrangement entre le Sultan et le Pacha ne font point partie de la convention des quatre Puissances. C’est une annexe qui vient de la Porte seule et que la Porte peut modifier. Le Pacha de son côté ne me paraît point avoir jeté son bonnet par dessus les moulins. Il n’y a plus que des sages dans le monde. Je prends un singulier moment pour le dire. Pourtant je le crois.
En ma qualité de sage, je vais faire ma toilette pour occuper mon impatience. J’attends très dignement ce que je crains. Mais si on voyait avec quel tumulte intérieur j’attends ce que je désire, on ne me trouverait. pas si sage que je le dis. On aurait tort. La vraie sagesse consiste à ne s’émouvoir que selon l’importance des choses, et je suis bien sûr que j’ai raison dans l’importance que j’attache à celle qui m’émeut en ce moment. Décidément, je vais faire ma toilette.

Une heure
J’ai mes deux lettres, et il vous en a manqué une. Elle ne vous aura pas manqué. On vous l’aura remise plus tard. Je crois même qu’elle était longue, lundi. Je ne vous écris jamais aussi longuement que je le voudrais ! Ni vous non plus à moi. Certainement c’est absurde, absurde et intolérable. Je le sens mieux tous les jours. Mais vous avez tort dans votre égoïsme. Vous ne risquez, vous ne perdez jamais rien dans aucune situation. Partout, toujours mon regret, mon désir est le même. Ceux que j’aime le mieux, je les aime pour eux. Vous, je vous aime pour moi. Est-ce assez ?
Voilà donc la grande duchesse Marie cousine germaine de M. Demidoff. Cousine germaine par alliance. Les Bonaparte se remuent partout. Ici encore, pour tirer de prison leur Empereur Louis. C’est bien dommage que le sentiment du ridicule soit mort. Il aurait de quoi s’exercer. Mais de notre temps le ridicule s’est mêlé à la grandeur, à la tragédie, et cela le tue. J’ai fait comme vous hier au soir ; je me suis couché de bonne heure, à 10 heures et demie. Je n’étais pas sorti. J’avais joué au Whist. Je me fais pitié, pitié comme tristesse, pitié comme décadence. Des soirées si charmantes ! Bonheur à part, je ne puis souffrir de passer mon temps pour le passer, sans y rien recevoir cousine germaine de M. Demidoff. Cousine germaine par alliance. Les Bonaparte se remuent partout. Ici encore, pour tirer de prison leur Empereur Louis. C’est bien dommage que le sentiment du ridicule soit mort. Il aurait de quoi s’exercer. Mais de notre temps le ridicule s’est mêlé à la grandeur, à la tragédie, et cela le tue.
J’ai fait comme vous hier au soir ; je me suis couché de bonne heure, à 10 heures et demie Je n’étais pas sorti. J’avais joué au whist. Je me fais pitie, pitié comme tristesse, pitié comme décadence. Des soirées si charmantes ? bonheur à part, je ne puis souffrir de passer mon temps pour le passer, sans y rien recevoir, sans y rien mettre qui me satisfasse et qui me plaise. Le temps, ce trésor si grand, qui s’écoule si vite, le dépenser pour rien, avec personne ! Cela me choque. Je rentre dans ma chambre honteux, petit. Quand au contraire mon temps a été bien rempli, rempli au gré de mon âme, quand le chêne a bien ouvert ses feuilles, et bien joui du soleil, je me retire, je me couché, je m’endors content et fier, animé et reposé. Je dis adieu non sans regret, mais sans amertume à ces belles heures passées. C’est toujours triste de belles heures qui ne sont plus. Mais elles ont été belles ; elles ont eu leur part des dons de Dieu, des biens de la vie. Ce quelles deviennent, où elles vont en s’enfuyant, je ne le sais pas ; le passé comme l’avenir est un mystère, un sanctuaire où notre vue ne pénètre point. Mais quand la portion de nous-mêmes qui disparaît dans ce sanctuaire a été charmante, il en reste une ombre charmante qui ne nous quitte plus. Je l’avais près de moi chaque soir cette ombre d’un jour plein, d’un jour heureux. En le regrettant, j’en jouissais encore. Je ne regrette plus rien, et mes journées tombent derrière moi, sans que j’y pense, sans que je tourne une seule fois la tête pour y regarder.

3 heures et demie
Je vous ai quittée. Je vous désirais trop. Je ne vous reviens que pour vous dire adieu avant de sortir. Je vais faire deux ou trois visites. J’irai probablement voir lady Clanricard. Elle m’a dit qu’elle serait chez elle a cinq heures. Ce soir, j’aurai mes diplomates qui joueront au Whist. Lady Palmerston m’a dit que cela leur plaisait fort, mais que c’était bien dommage que je n’y eusse pas quelques femmes. Je ne trouve pas que ce soit dommage. Adieu. Adieu. Adieu, me plaît, mais ne me contente pas. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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427. Paris, Vendredi 18 septembre 1840
4 heures

J’ai été retenue chez moi d’abord par mon médecin et puis par le duc de Noailles, qui est venu en ville pour deux heures pour me voir. Vous concevez qu’il a questionné et comme il a questionné. Et puis il a parlé. Il dit que la France au fond veut la paix, que c’est le vœu général, si général, si profond, que même on avalerait une petite humiliation encore plutôt que de se livrer aux hasards de la guerre, que cela est certain ; mais qu’on n’avalerait pas tout. Décidément pas et qu’alors on ferait la guerre très franchement et avec une grande unanimité. C’est aussi l’opinion et le dire de Berryer que le duc de Noailles venait de voir. Berryer croit savoir que Thiers est moins pacifique qu’on ne semble le croire. Il veut bien se montrer pacifique encore parce qu’il n’est pas prêt. Mais le jour où il sera prêt il voudra employer ses moyens, et le moment dangereux sera celui-là. Le duc de Noailles se creuse la tête pour trouver ce que les alliés peuvent vouloir tenter ou plutôt ce qu’ils sont convenus de faire pour le cas où l’insurrection de Syrie ne couronnerait pas leurs espérances. Il croit que les Anglais prendraient Caudie par cette position ils tiendraient les Russes aussi en échec, car ils n’en sortiraient que le jour où les Russes sortiraient de Constantinople ; ce serait européennement parlant une bonne affaire, et une bonne affaire pour les anglais dans tous les cas.
Moi - Mais la France avalerait- elle cela ?
Le duc - Je le crois, presque. Voilà à peu près l’Orient expédié ! Venons à Louis Bonaparte. Il paye très cher à Berryer pour le défendre. Et Berryer accepte parce qu’il est bien payé, et puis parce que cette défense tourne pour lui un moyen d’attaque contre le gouvernement ainsi il justifiera Bonaparte sur ce que la France n’est plus qu’un pays de désordres. Un pays où l’on proclame des légitimités à la demi-douzaine. La branche d’Orléans légitime, Bonaparte légitime, le ministère le dit. On ne sait plus auquel entendre. Voyez la confusion, de là une tentative toute naturelle. Il brodera sur cela. Il brodera sur la situation que le gouvernement a faite à la France, répudiée, isolée; ses deux grandes bases d’alliance détruites l’Espagne, l’Angleterre. Belle situation en Europe ! Enfin, enfin Louis Bonaparte a profité de tout cela, il en avait le droit.
Vienne ensuite la Chambre. Oh à la Chambre ! Qu’un orateur habile se lève et toute pacifique que soit cette chambre, cet orateur peut lui faire voter la guerre dans une demi-heure. Si la situation n’est pas. éclaircie d’ici aux chambres. Il sera très difficile d’éviter un éclat. Le duc de Noailles ne sait pas s’il viendra on ne viendra pas au procès. Je l’ai fort engagé à venir. Il m’a dit que Berryer déciderait un peu cela.

Samedi 19 septembre. 9 heures
J’ai été vraiment malade hier très affaibli, très misérable. Je n’ai pas bougé de ma chaise longue. J’ai vu Appony avant dîner, mon ambassadeur le soir. Appony avait vu Thiers. On est comme de raison très très préoccupé de savoir ce que va devenir la proposition de Méhémet Ali. Nécessairement le sultan la référera à la conférence. Voulut-il même l’accepter, Ponsomby aura soin de l’en empêcher, d’abord ce seront des délais de deux mois au moins ; pendant ce temps l’exécution du traité ira toujours. Appony trouve que le conseil donné à Méhémet ali a été bon, très adroit de la part de la France ; il croit que la conférence pourrait accepter, mais si elle n’accepte pas, si on veut à toute outrance le traite ; alors la situation devient bien plus grave qu’avant cette proposition de l’Egypte, parce que la France est compromise, et qu’elle ne peut pas laisser passer cela. Il me semble que pourvu qu’on entre en voie de négociation cela doit s’arranger. Mais les amours propres anglais se soumettront-ils à cela ? Vous me le direz.
Sur le traité, Thiers a dit à Appony : " Vraiment il est pitoyable votre traité ; il est risible, je suis sûr que le prince Metternich doit en rire aussi. " Appony lui a promis de venir l’informer de suite que le prince Metternich en rit, s’il le lui mande. au reste Appony est très frondeur, excessivement frondeur. Il trouve l’oeuvre insensée ; il fait comme moi. Il cherche le prince Métternich. Savez-vous ce que disait Pozzo au mois de juin de l’année dernière, lorsqu’il était encore vivant, et avant la bataille de Nézib ? Il disait " La Russie doit changer sa politique en Orient, c’est avec Méhémet ali qu’elle doit s’allier. " Pozzo vivant, et Metternich pas mort, et tout aurait été autrement. Il n’y a pas un homme aujourd’hui qui sache juger et conduire une affaire. Aussi. voyez le décousu, l’incroyable confusion !
M. de Pahlen était assez noir hier aussi. Il ne fronde pas aussi haut qu’Appony. Mais il n’est pas content. Il ne comprend pas, et tout qu’on ne l’informe pas, il est décidé à ne pas comprendre. Il était inquiet hier de l’information qu’il a eu que votre gouvernement permet à Levewel de revenir à Paris. Il en parlera ce soir à Thier . Si cela était, il craint un gros orage à Pétersbourg Moi je ne crois pas trop à l’orage cependant, je ne sais pas.

Midi. Voici votre lettre. Je suis touchée de ce que vous me demandez 24 heures. Faites ce qui est convenable, mais pouvez-vous vous absenter ? Encore, une fois je suis touchée, et puis je sais bien aujourd’hui que toutes les plus belles tulipes ne valent pas pour vous la plus modeste fleur des champs. Je suis triste, je suis malade Je maigris encore. On ne sait jamais tout ce qu’on a à perdre je m’étonne tous les jours. Adieu. Adieu. Pourquoi suis-je si triste ?

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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426. Paris, Vendredi le 18 septembre 1840
10 heures

Je suis un peu malade aujourd’hui, je me fâche contre le médecin, contre moi. Je ne pense qu’à me soigner, me bien porter et rien ne va, rien ne réussit. Vous savez comme le découragement me gagne vite. Hier j’ai fait une longue promenade au bois de Boulogne, le temps était charmant ; en revenant j’ai ramassé Fagel et nous avons recommencé. Fagel est de la bonne espèce droit, franc, sensé. Il a de veilles habitudes de confiance avec moi. En rentrant on m’apprend que ma nièce est malade Je suis allée chez elle ce n’est pas grand chose.
Appony m’a dit les nouvelles d’Egypte. Le Pacha proposant de se contenter de l’Egypte héréditaire et de la Syrie viagère, et ... Le soir j’ai laissé entrer chez moi les Durazzo, et les deux Pahlen. Tout le monde est à la paix ici depuis quatre ou cinq jours. J’espère que tout le monde a raison. Avant mon dîner Mad. de Flahaut est revenue. J’avais bonne envie de la refuser, et puis la curiosité l’a emporté, paix ou guerre, je ne savais pas. Je me croyais en guerre. elle est entrée, douce, caressante, la nuit avait porte conseil et elle s’est résignée à rester comme par le passé, avec soustraction de la politique. Je pense que vous allez voir le père et la fille à Holland. house. La fille est gentille, c’est-ce qu’il y a de mieux dans la famille. Le père est ce qu’il y a de pire.
Mon ambassadeur est vraiment un cher homme il me parait qu’il redouble encore pour moi depuis qu’il sait M. de Brünnow. Il fronde un peu mon cabinet et trouve étrange qu’on le laisse depuis quatre mois sans une ligne d’écriture. Rien Ces gens là ne savent plus écrire, car moi aussi je n’ai rien. Midi. Voici le joli médecin m’apportant un charmant remède. Merci, merci. Denay est arrivé et en fonctions depuis quelques jours. La nouvelle femme de chambre est plus bonne que belle. Eugénie part, et je ne sais comment m’en séparer, mais je le lui avais dit ; je ne puis pas me retarder. Personne ne m’a écrit d’Angleterre depuis mon départ. Il faut que j’écrive aujourd’hui à lady Palmerston pour lui envoyer une lettre de la reine d’Hanôvre qui demande explication. Mon Ambassadeur est excessivement occupé de Mad. Lafarge ; et comme je ne lis pas ce procès, il a le plaisir de me raconter tous les jours ce drame là, cela l’enchante.
Adieu, je comprends la sottise, et même je la partage c’est effroyable ce que je vous dis là. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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429. Paris, dimanche 20 septembre 1840
3 heures

Ma lettre est partie, et la vôtre est venue. Quelle charmante page, il y a dans cette lettre. Il n’y a pas un sujet sur lequel on a plus dit depuis que le monde existe que le sujet que traite votre lettre. On n’a jamais dit comme cela, senti comme cela. C’est si beau, si parfait, si charmant que je me demande si je mérite tout cela ? comment il se fait que j’aie mérité tout cela. Je suis fière, je suis humble. Je suis ravie, je suis heureuse, et je suis triste! Je ne devrais pas être loin !
J’ai lu dans la bible, j’ai essayé d’entendre votre voix. J’ai été aux Tuileries, la pluie m’a ramenée plus vite que je ne voulais.
Voici Bulwer. Bulmer bien mélancolique et desponding hier presque joyeux aujourd’hui. Un mot dans le Globe de vendredi que lui semble de bon augure. Mais assez piqué que ce ne soit que jeudi que Thiers lui a parlé de la proposition du Pacha tandis que cette proposition se trouvait livrée à des journalistes anglais depuis la veille. Cela m’est bien égal. Je me sens en train de croire que tout va aller bien, est-ce que je ne crois pas trop vite ? Mais votre lettre m’y encourage un peu.

Lundi 8 heure
J’ai vu un moment mon ambassadeur hier matin ; avant de me rendre au bois de Boulogne j’ai passé chez vous ; je suis entrée sous prétexte de chercher des livres. Je ne les cherchais pas, je n’en ai point pris, j’ai regardé votre portrait, d’autres portraits. Votre fauteuil, votre bureau. Vous ne ne vous doutiez pas que j’étais chez vous. J’y étais avec des sentiments bien mêlés. Le bois de Boulogne un peu, une visite à Mad. Durazzo. Mon dîner qui ne ressemble pas à un dîner, une perdrix. et un gâteau de semouille, je ne sais pas manger encore et puis lady Granville jusqu’à 10 h 1/2.
Le protocole de jeudi est-il ce qui vous faisait me dire vendredi que vous croyiez à la paix ! Il me faudrait plus que cela. Il faut que lord Palmerston dise " Examinons la proposition de M. Ali. " Dès ce moment là je croirai à la paix, avant non. J’ai eu une lettre de lady Palmerston de vendredi, ce même jour je lui écrivais au sujet de la reine de Hanôvre. Une lettre insignifiante pas un mot de politique. elle me provoque à en parler, je verrai si je le ferai. Je vous envoie copie des passages importants de sa lettre.

Midi
Voici votre lettre, courte, et demain je n’aurai rien ! Dites-moi s’il y a espoir que les propositions du Pacha devienne quelque chose. Je suis très flottante. Hier j’espérais, aujourd’hui j’espère peu. Vous m’auriez dit quelque chose, si quelquechose pouvait ressortir du nouvel incident. Cependant vous êtes en pourparler avec lord Palmerston cela laisse du jour. Quand je pense à quel point ma vie, mon bonheur dépendent des paroles qui se disent aujourd’hui à Londres ; je n’ai pas assez de vœux et de soupirs pour tout ce qui agite et remue mon âme. Voici du Soleil ; ce beau soleil de Paris, si brillant, si gai, cet air si pur. Allons nous promener ensemble aux Tuileries. Ensemble ! Ah que ce serait charmant !
Adieu. Adieu bien des fois, et encore. mille fois adieu. Lord Granville verra Thiers ce matin.
A propos Thiers a dit à M. de Pahlen qu’il ignorait qu’on eut permis à Lelevel de revenir. Qu’il allait s’en enquérir auprès de M. de Rémusat. nous verrons. Pahlen redoute tout, s’il revenait prenez garde, Appony ce que je vous dis. Adieu. Lady Palmerston me dit : " Les affaires de ce moment sont trop importantes pour pouvoir espérer de les mener à la distante même de quelques heures. Ainsi, j’ai pris mon parti, et je reste. "

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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417. Londres, Dimanche 20 septembre 1840
une heure

J’arrive de la campagne. J’ai été dîner hier a Ember-Grave, près de Kingston chez M. Easthope. Ancienne promesse, deux fois violée, que je tenais à acquitter. Trois ou quatre membres des Communes et deux ou trois hommes d’esprit, un grand Tory, Sir Edward Sugden, des radicaux, tous raisonnables au fond, comme le Tory. Pensant tous de même, vivant très bien ensemble, mais très séparés. Nous avons beaucoup causé. Je mets en train. J’étais peu en train moi-même ; en sortant de table, je tombais de sommeil. Je n’avais pas dormi la nuit précédente. J’ai dormi là, dans un bien mauvais lit anglais, ces lits immenses, qui n’ont de bon, que leur grandeur. Que résultera-t-il des ouvertures de transaction faites à Alexandrie ? Très probablement, les Musulmans, laissés à eux-mêmes, en tireraient la paix. Mais les Chrétiens sont là. Y aura-t-il à Vienne et à Berlin, un peu de sagesse active ? On n’aura jamais là, à être sage, plus de profit et moins de danger. Je suis inquiet pourtant. Jamais la situation ne m’a paru plus grave que dans ce moment-ci. La solution, bonne ou mauvaise, peut être accomplie d’ici à un mois. Je sens profondément le mal de ne pas bien connaître, par moi-même, l’état des esprits en France. C’est un élément de la question, et de la conduite, qui me manque beaucoup. La poste n’arrive pas. J’étais arrivé moi, comptant bien la trouver, et heureux d’avance comme tous les jours. On me dit à présent qu’elle pourrait bien ne pas venir. Le vent a encore été mauvais hier, et le samedi la malle. Je décide plus aisément à ne pas passer. La malle ne pense pas à moi.
Vous êtes donc toujours bien fatiguée que vous vous couchiez toujours de si bonne heure. Cela me préoccupe extrêmement, vous dormez pas mal au moins. Car, si vous ne dormiez pas, vous ne pourriez pas, rester si longtemps dans votre lit. Je crois beaucoup, beaucoup au sommeil. Lundi une heure J’ai la lettre que je devais avoir hier mais pas celle de ce matin. J’en suis très contrarié. Pitoyable mot ! Vous me dîtes dans l’autre que vous êtes un peu malade. Il n’y a pas d’un peu pour moi quand je ne sais rien. La voilà. Retardée par la raison la plus insignifiante. Tout ce qui se passe dans une âme, en un quart d’heure, à propos de la raison la plus insignifiante ! Je suis heureux. Oui, heureux, quoi que vous me disiez que vous êtes souffrante et triste. Triste ! Je le crois bien.
M. de Clermont Tonnerre dit un jour à M. de Montlosier, à l’assemblée constituante :
" Vous vous mettez en colère.
- Moi, Monsieur ? Non, certes ; j’y suis toujours ! "

Merci de tout ce que vous me mandez. Je ne puis pas disserter aujourd’hui. J’ai un courrier à expédier Ce soir deux ou trois grandes lettres à écrire. Je vais faire fermer ma porte et travailler toute le matinée. Vous avez mille fois raison. M. de Metternich est mort. Peut-il ressusciter ? Je suis dans un profond, très profond accès d’impatience et d’humeur. Moi aussi, je crois que la France désire la paix et n’accepterait pas tout. C’est la disposition de l’Angleterre aussi si les deux pays ne viennent pas à bout de faire ce qu’ils désirent, ce sera par les deux plus sottes raisons qu’il puisse y avoir en ce monde, faute d’esprit et de courage. On ne comprend pas. On n’ose pas. Je vous dis que j’ai beaucoup d’humeur. Avoir de l’humeur tout seul, c’est presque aussi triste que de le joie tout seul. Il est vrai que de la joie tout seul, c’est impossible. J’ai le permis d’entrée pour la vaisselle et les effets de Lady Durham. Je vais l’envoyer à lord Grey. Je n’ai plus entendu parler de lord Mahon. Je n’irai, certainement pas chercher les tulipes. Je ne demande que la permission d’être poli avec elles, si elles viennent me chercher. Les pauvres tulipes ! C’est à présent la seule fleur que je n’aime pas avec passion. Je dîne aujourd’hui à Holland house. Après-demain chez Lady Palmerston. Adieu. Adieu. Comment peut-on se dire adieu ?

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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428. Paris, dimanche 20 septembre 1840
10 heures

J’ai un peu dormi cette nuit. Je vais lire dans cette bible où nous vivions ensemble. J’ai le cœur triste et serré. J’ai eu hier une très longue visite de Bulwer, une très longue visite de Paul de Wurtemberg un peu de causerie avec Appony. Et ce soir j’ai revu les Granville qui viennent d’arrivés du Havre. Ceci a été un vrai plaisir pour moi. Eh bien, tout le monde est d’accord pour regarder la proposition égyptienne comme une nouvelle phase de la question, et comme une circonstance qui laisse aux bonnes volontés toute facilité de s’arranger avec convenance. Les Allemands sont d’opinion qu’il faut accepter tout le monde dit que la Turquie laissée à elle même accepterait des deux mains. Nous pensons. même que la Russie accepterait. Reste lord Palmerston ! Vous nous apprendrez s’il veut se servir de ce moyen pour faire sortir l’Europe des dangers qui la menacent où s’il veut à outrance braver ces dangers. Tout est là.
Les ministres anglais sont encore une fois appelés à examiner une grande question. Mais aujourd’hui ils l’examinent avec l’expérience de ce que leur a valu le 15 juillet. Il y a eu pour eux bien des surprises. En veulent-ils encore. 15 est hautement frondeur. Il n’a plus eu une ligne de 79 depuis deux mois. Le petit 29 écrit à 12 de fort bonnes choses, fort sensées. Il dit : " Il est temps encore aujourd’hui , mais ceci est le dernier moment, demain il sera trop tard. Jamais on ne répond à ces exhortations là. " Le Prince Paul a des dires fort étranges, et une vie toute particulière de la situation. Il a beaucoup couru, beaucoup vu ; et même fait. Il affirme que le mépris pour la France est le sentiment dominant partout, dans tous les cabinets. Que les platitudes passées doivent parfaite confiance dans les platitudes futures, et qu’on a beau faire on ne peut persuader à personne que la France fasse la guerre. Aucun cabinet ne veut le croire. Dirait-il vrai ?
On dit que le roi est très convaincu que tout ceci s’arrangera. Arrangez donc, et dites le moi. J’ai essayé de sortir hier mais il faisait laid, j’étais triste et faible. Je suis sortie pour voir lady Granville ; elle est grasse et rose, le mari ditto. Quand est-ce que je serai grasse et rose ?
2 heure. Point de lettres ? D’où vient ? Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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416. Londres, samedi 19 septembre 1840
onze heures

J’en suis désolé ; mais vous n’aurez probablement aujourd’hui que quelques lignes. J’ai vu hier, tard, lord Palmerston ce qui me donne une dépêche à faire. J’ai reçu ce matin un courrier qui m’oblige à le revoir ; de là une autre dépêche. Ma journée sera pleine et très pleine. De pas grand chose peut-être, mais enfin pleine. J’en suis d’autant plus contrarié que c’est demain Dimanche. Vous serez bien sûre que ce n’est pas ma faute. J’ai maintenant la confiance que vous êtes toujours sûre. Toujours, n’est-ce pas ; et parfaitement sûre. Voilà le 425. Et la correspondance parfaitement réglée. Admettez, à partir de 9 heures deux nouveaux intermédiaires l’ancien petit copiste, et celui dont Génie vous a parlé. J’espère qu’il n’y aura plus de retard. Votre inquiétude me charme, à condition qu’elle restera dans votre cœur, et ne passera point dans vos entrailles. Voilà le déjeuner. Je sortirai après. Mais je reviendrai à temps pour vous dire adieu.

Midi et demi
Quelques mots avant de sortir. Merci de votre prudence, car je la prends pour moi. Mais je trouve le silence absolu un parti bien sévère, même chez les Flahaut. Vous ne direz jamais en y pensant, que ce que vous voudrez, et vous êtes bon juge de ce qu’il faut dire. Détendez-vous un peu. Ne vous brouillez point. Il y a de quoi se souvenir, pas de quoi se brouiller. Et puis, je ne veux pas que vous vous isoliez. Pas du tout dans l’intérêt de vos lettres ; je ne les aime jamais mieux que lorsqu’elles me parlent de nous et pas d’autre chose ; mais pour le petit amusement de votre vie. Vous savez que malgré tout ce quelle peut dire et faire, je trouve à Mad. de Flahaut des qualités réelles. Elle a un fond d’amitié sincère pour vous. Il faut respecter cela et en profiter.
Je ne vous ai pas parlé du traité imprimé parce qu’il ne m’a rien appris. Il a éclairci, non changé mes idées. Vous n’y faites certainement pas une grande figure. Le traité crée en Orient un avenir très obscur. Voilà ce qu’il a de grave. De gros nuages à l’Est, et un vieux barbare, et un Commodore Napier, et beaucoup de canons et d’hommes jetés sous les nuages, c’est beaucoup que cela pour une santé convalescente, comme celle de l’Europe. J’écrivais à Lord Grey et je ne me lasse pas de répéter : " La petite politique tue la grande. " Certainement Napier a eu grand tort, et le traité même lui donne tort. On en convient presque ici. Adieu. Adieu. Je sors.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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418. Londres, Mardi 22 septembre 1840
huit heures

Je ne puis souffrir de vous écrire à la hâte, comme ces jours-ci. A part même l’ennui d’une lettre courte, être avec vous et me presser de vous quitter, cela me choque. Je viens de me lever. Rien ne me presse. Je m’appartiens. Je vous appartiens. Je reviens à votre dernière phrase.
" Pourquoi suis- je si triste ? " Je vous connais comme à moi, une raison d’être triste qui suffit à beaucoup de tristesse. J’accepte celle-là, pour vous comme pour moi. Y en a-t-il quelque autre ? Répondez- moi à la question que vous me faites. Savez-vous ce que j’ai découvert samedi ? Qu’il m’était désagréable de quitter Londres. En roulant sur le chemin de fer, je ne comprenais pas, à la lettre, je ne comprenais pas pourquoi j’avais le cœur un peu serré. Je l’ai trouvé en y pensant, et cela m’a soulagé de le trouver. J’aime Londres. Londres ou Paris. Quand un sentiment possède le coeur, que de mouvement instinctifs, irréfléchis, obscurs, il y fait naître ! On est triste ou joyeux sans savoir pourquoi. Puis on comprend. N’y a-t-il pas bien des chansons qui ont dit ce que je dis-là ? Voi che sapete & & Les chansons ont raison.
Je suis très préoccupé des affaires. La phase où nous entrons et la manière dont nous y entrons ne me plaît pas. Je suis convainecu qu’en France, comme en Europe on désire la paix, et qu’en France comme en Europe, on n’accepterait franchement, on ne soutiendrait ardemment la guerre qu’autant qu’elle serait née d’elle- même, par un accident imprévu, par une nécessité soudaine inévitable. Il faut ne pas vouloir la guerre, même eût-on la prévoyance qu’elle viendra. Car si le monde, qui n’en veut pas, peut soupçonner qu’elle est venue par la volonté ou par la faute de quelqu’un, ce sera, pour celui-là un affaiblissement immense impossible à mésurer. Vous le savez ; j’ai toujours cru, je crois toujours la guerre évitable ; mais quand je croirais, le contraire, et tout en m’y préparant, je m’appliquerais sans relâche, sérieusement, sincèrement à l’éviter jusqu’au moment où elle viendrait tomber sur moi comme la foudre. Si l’incendie doit éclater, il faut que ce soit par le feu du ciel, non pas d’une main d’homme. Personne hier à Holland house. J’ai tort ; lord Jeffrey, qui arrive d’Edimbourg. Je persiste dans ma première impression ; l’homme le plus spirituel que j’aie vu ici. Un peu d’humeur, et de découragement dans l’esprit ce qui en ôte beaucoup, car cela donne l’air vieux, et la vieillesse ne va pas mieux à l’esprit qu’au corps. Je ne sais ce qui m’arrivera ; jusqu’à présent, l’âge, en m’apportant de l’expérience, m’a paru n’apporter que de la lumière et de la force. J’ai appris à mieux penser et à mieux agir, non à douter et à désespèrer. Un moment viendra, je le sais, où mon esprit conservât-il sa pleine santé, mon corps affaibli ne suffira plus à lui servir d’instrument. Je tâcherai de ne pas me faire illusion sur ce moment là.
Depuis quelques jours une singulière envie de dormir me prend tout de suite après dîner, presque à table. Beaucoup moins quand je dîne chez moi que chez les autres. Je soupçonne qu’on mange trop ici, même moi, et que la fatigue de mon estomac fait la lourdeur de ma tête. Une tempête affrense. La pluie bat mes vitres à les casser. Les arbres de mon square baissent la tête jusque sur la grille qui l’entoure. Je crains bien que ceci ne me coûte demain ma lettre. La poste ne passera pas aujourd’hui. Je vois par les journaux anglais qu’elle a passé hier. Ils ont leur exprès de Paris. Il faisait beau hier. La pluie a commencé le soir, quand je suis revenu de Holland house. une heure Cette irrégularité des lettres me désole autant pour vous que pour moi. Quand aurez-vous eu celle de Dimanche ? Quand c’est-à dire à quelle heure, car certainement vous l’aurez eue. Je regarde au vent ; je le trouve tombé. J’espère que ma lettre à moi, passera aujourd’hui et que je l’aurai demain. Pendant qu’on espère une transaction à Paris, j’y travaille ici de tout mon pouvoir. Travail difficile dans cette saison. Où saisir les gens pour les chauffer ? Et les rapports obscurs, contradictoires, embrouillent tout. On a dévié de cette grande idée qui présidait depuis dix ans à la conduite de l’Europe. Aucune question particulière ne vaut la guerre générale. Le mal est là. On n’a plus de boussole ! Et on a dévié pour la plus petite, la plus lointaine des questions, pour une question que bien peu d’années de patience devaient emporter. Je ramène sans relâche, devant tous les yeux, l’idée grande, l’idée simple qui a tout sauvé. C’est en son nom que je prêche la transaction. L’obstination est grande. Obstination d’aveugle, et d’aveugle piqué qu’on le soupçonne de ne pas voir. Je m’obstine aussi. Vous savez que je suis peu accessible, au découragement. Adieu. Je vous redemande, en finissant la réponse à votre question de samedi. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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à lady Palmerston, le 21 septembre 1840

Je ne voulais plus causer politique, mais vous m’en parlez je réponds, et je réponds pour faire votre écho. " Comme je voudrais voir arranger bien et vite cette affaire d’Orient ! " Vous ne le désirez sûrement pas plus que moi, Voilà notre ressemblance. Mais vous y pouvez quelque chose et moi je n’y peux rien ; voilà notre dissemblance. Eh bien ma chère, faites. Inspirez le désir ; saisissez les moyens. Les moyens y sont dit-on. Le traité a eu pour résultat excellent de faire énoncer des concessions auxquelles ni la France, ni le Pacha ne voulaient se prêter avant. C’est un triomphe très patent. Le jour où lord Palmerston dira : Examinons les propositions du Pacha. " Ce jour là, la paix est sûre. S’il dit : " Le traité doit être accompli." La guerre en ressortira. je dis ici que je n’ai vu ni Thiers, ni Molé pas un français excepté un moment le duc de Noailles, et je rapporte tout ce que je vous ai dit de l’opinion du duc. " Tenez pour certain que la France veut la paix, désire la paix. Mais tenez pour certain aussi qu’elle n’acceptera plus d’humiliation, et qu’elle fera la guerre très résolument, très unanimement, et que nous en serons tous. "
( Je fais un peu le portrait du duc de Noailles après cela je continue.)
Ma chère, vous êtes bien grands à vous tous seuls. Vous êtes immensément grands à quatre ! Les plus forts ne dérogent jamais dans quoi qu’ils fassent. Vous avez fait fléchir une inflexible volonté. Votre traité a beaucoup obtenu déjà. Et bien qu’il pacifie aujourd’hui, tout de suite ; ce sera une belle et bonne veuve. La joie sera partout dans la proposition qu’ont été et qui sont encore les alarmes.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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431. Paris, Mercredi 23 septembre 1840
9 heures

J’ai vu hier matin, Bulwer, Appony, Granville chez moi. J’ai fait une courte visite à Lady Granville, une plus courte promenade encore en voiture. Il pleuvait à verse après mon dîner j’ai vu les deux Pahlen jusqu’à 10 heures.
Il y avait une soirée chez Lady Granville. Granville a vu longtemps Thiers à Auteuil lundi matin. Ils sont venus ensemble en ville. Granville est retourné dîner à Auteuil. Le soir il a été à St Cloud. Partout reçu et traité avec amitié et un grand empressement. Je crois. que Thiers a perdu tout le goût, qu’il avait pour Bulwer. Thiers est monté sur son cheval de bataille. Il aura neuf cent mille combattants ; il ne craint pas l’Europe réunie. Le protocole de jeudi est à ses yeux une mystification. Le Roi est soucieux depuis deux ou trois jours. Il se loue beaucoup de M. de Pahlen, (c’est de sa personne qu’il s’agit).
Je relève une erreur dans une de vos lettres. Ce n’est pas la grande duchesse Marie seule qui se trouve être maintenant cousine de M. Demidoff. La mère de Mad. Demidoff était sœurs du Roi de Wurtemberg, cousine germaine de l’Empereur Nicolas, par conséquent M. Demidoff devient neveu de l’Empereur à la mode de Bretagne. Voilà mon indiquation. Après cela, savez-vous qui était le le père de M. Demidoff celui que vous avez vu à Paris riche et perclus ? Il était sorti de je ne sais quel gentilhomme russe et potier, C’était son métier. Il a fait cette fortune par son industrie. Vous voilà bien résigné sur mon indication. Il y a beaucoup de symptômes ici qui indiquent que les préparatifs de guerre s’ils ne sont pas employés bientôt le seront plus tard. La France ne voudra pas avoir tant fait, pour ne faire rien ; et M. Thiers surtout voudra faire beaucoup ou au moins quelque chose.
Voilà ce qu’on se dit, et ce qui a beaucoup de vraisemblance. Alors il y a des personnes qui disent qu’il vaudrait mieux lui. adresser dès aujourd’hui, tout de suite, des questions sur ses armements sont-ils défensifs ? Mais personne ne songe à l’attaquer. Sont-ils offensifs, ou enfin destinés à soutenir les prétentions du Pacha ? On dit que plus douce aujourd’hui qu’elle ne le serait peut-être dans quelques mois. Et qu’en tout état de cause on ne peut pas rester longtemps dans cet état actuel de crise et d’incertitude. Je vous dis le bavardage. Les Anglais en déclament beaucoup contre la reine Christine, probablement aussi contre votre influence sur elle. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle est dans une pauvre situation.
Le petit F. m’a dit tenir de bonne source que 48 parle fort mal du Frêne, à ses confidents il ajoute qu’il ne fait plus de confidences véritables au peuplier. En savez-vous quelque chose ? On dit qu’au fond Thiers est mécontent de ce que Walesky est allé à Constantinople. Je crois moi que le choix de ce négociateur sera particulièrement désagréable à la Russie et ajoutera par là à l’aigreur à Constantinople.
Il faut que j’aie une lettre aujourd’hui, il m’en faut une et bonne et longue absolument. mon fils m’écrit de Bade qu’il va encore en Angleterre. Il ne sera donc ici que dans le mois d’octobre. Vous faites bien d’avoir vos soirées. Mais je vois d’ici que lady Palmerston sous forcera à recevoir des dames. J’ai trouvé le speech du roi de Prusse de son balcon à Konisberg passablement ridicule, bien Schärmevitch. La dernière phrase inintelligible.

2 heures
Pas de lettre ! C’est abominable après deux jours d’abstinence. Il faudra fermer ceci sans vous rendre un adieu, mais je le donne comme vous pouvez le désirer tout-à-fait ? Adieu. Avez-vous lu le National de ce matin ?

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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419. Londres, Mercredi 23 septembre 1840
7 heures et demie

Pardon d’avoir commencé par cette demi- feuille déchirée. Toujours la tempête. Je suis à écrire, dans mon lit depuis quatre heures du matin. J’écris quelques fois pour me rendre de ce que je pense, un compte bien complet, bien rigoureux. On pense si légèrement ! On fait tant de sottises pour avoir légèrement pensé ! Je trouve les esprits encore plus légers que les cœurs. C’est beaucoup. Mais que m’importe que les cœurs et les esprits soient légers ? Le seul cœur, le seul esprit dont j’aie besoin ne l’est pas. Il est loin de moi ; voilà son seul défaut. Je suis bien vivement ce défaut là. Je voudrais bien causer avec vous. Mon instinct m’a dit que l’affaire est dans sa crise ; crise au dedans, crise au dehors. Moi aussi, je suis condamné à la politique de l’isolement. Elle me déplaît fort. Me voilà tranquille sur la tempête. La malle a passé. Un courrier vient de m’arriver. Il ne m’apporte rien du tout qu’une lettre de cet honnête ministre des finances qui m’écrit : " Je suis bien aise de voir que les circonstances ne détournent pas lady Durham et beaucoup d’autres de venir jouir de notre beau climat, et j’espère que cette confiance ne sera pas trompée. " Je vais faire ma toilette en attendant d’autres lettres.

4 heures
J’ai encore écrit énormément depuis ce matin. Je voulais finir ce que j’avais commencé cette nuit. Vous aussi votre lettre est charmante. Laissez-moi juge de ce que vous méritez. C’est moi que cela regarde. Je vous ai dit bien des vérités, franches. Je peux bien vous dire à mon gré des vérités tendres. Ne dirait-on pas que mes vérités tendres ne seront pas franches ? Je vous aime chez moi. N’y ayez pas de sentiments mêlés. Tout est à vous, tout est à moi ; tout ce dont nous avons pu disposer, l’un et l’autre. Jamais don n’a été plus complet. Moi aussi, j’ai eu mes sentiments mêlés. A présent je ne les ai plus ; je ne les aurai plus jamais. Il me semble. Comment avez-vous trouvé mon portrait ? Votre dîner n’est donc pas autre que celui de Stafford house ? Est-ce faute d’appétit, ou de peur de fatiguer votre estomac? Je suis en général porté à croire qu’on mange trop. Le gâteau de semoule de Valentin vaut-il celui de Guillet ?
Voilà la princesse Augusta morte. Il faudra que j’aille passer sans prétexte devant Stafford house. Vous ne savez pas combien ces plaisirs-là s’usent peu pour moi. Je pourrais me donner le même tous les jours pendant des années. Mes plaisirs sont peu nombreux mais immenses, inépuisables. La transaction est sur le tapis. Elle aurait de bien meilleures chances, si le bruit ne s’était pas répandu ici que le Pacha allait céder tout-à-fait, et que c’est M. Valeski qui l’a empêché. Les adversaires de la transaction exploitent beaucoup cela. Cependant je travaille. On travaille. Il y aura un conseil de cabinet lundi. Certainement la transaction y est en grand majorité. Mais la majorité ne suffit pas. Il faut quelqu’un qui ait le courage de la prendre et de s’en servir contre la minorité.
Je dîne aujourd’hui chez Lord Palmerston. Je le pousserai vivement. Lady Palmerston m’a paru en effet avoir quelque envie de plus d’abandon. Je ne demande pas mieux. Je m’abandonnerai pourvu qu’on me cède. J’aurais vraiment aimé à me trouver de l’avis de lord Palmerston et agissant avec lui. Mais il veut tout, et moi je veux ma part. On me dit que c’est l’heure de la poste. Je trouve toutes les lettres trop courtes, celles que j’écris, celles que je reçois. Tout est trop court. Est-il vrai que vous ayez passé à Londres deux ans et demi ? J’ai peine à y croire. Quel charmant temps ! Un charmé si doux et si solennel ! Y aurait-il mieux ? N’est-ce pas, il y aura mieux ? Est-ce possible ? Oui, c’est possible. Adieu. Adieu. En attendant mieux.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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420. Londres, Mercredi 23 septembre 1840
six heures et demie

Je vous quitte à peine et je vous reviens. Pourquoi se quitter jamais? Savez-vous que les trois quarts des chagrins qu’on a c’est qu’on le veut. bien ?
Il me semble que 22 s’accroche bien fort aux branches du Chêne. On me dit qu’il y a bien des gens qui voudraient l’y pendre. De loin, 48 a un peu l’air de s’accrocher à tout. Quoique 12 ne soit que le quart de 48, il se flatte bien d’être un chiffre plus fort, et il s’asseoirait volontiers aux pieds du chêne pour qu’il se prétât à l’usage qu’on voudrait faire de lui. Il lui ferait même probablement d’assez grandes concessions de terrain. Est-ce que la grande pensée n’a pas envoyé quelqu’une de ses feuilles à 83 qui aime tant les fleurs ? Si je ne me trompe il se fait en ce moment bien des calculs autour de 34. Le Mélèze serait curieux de savoir si on lui en veut toujours beaucoup de ne pas vouloir épouser 2 en secondes noces et si on espère que 14 refera un grand mariage. Je vous suis à peine revenu et il faut que je vous quitte pour m’habiller. Quand vous étiez ici, j’en voulais à à R. féminin. Depuis que vous n’y êtes plus, je la revois avec plaisir. Elle n’est pas la rose, mais.... Il est convenu que j’aime les redites.

Jeudi 9 heures
A dîner, Lady Clanricard, Lord Minto, M. et Mad. Van de Weyer, Alava, Pollon et Schleinitz, Lady Clanricard en grande coquetterie avec moi, coquetterie non seulement animée et spirituelle, mais presque douce et affectueuse, ce qui est moins dans sa nature. Un lieu banal de conversation, mœurs anglaises ; elle en faisait très bon marché. " Mais nous avons un seul avantage, l’intimité ; nous aimons l’intimité ; nous avons de l’intimité. " Je me suis récrié : " C’est précisément ce que vous n’avez pas. Je ne sais pas comment vous êtes dans vos ménages mais en sortant du ménage de la famille, vous tombez tout de suite dans le raout. Il faut à l’intimité un laisser-aller, un besoin de communication, de sympathie, d’épanchement, qui me semblent inconnus ici. "
Cela ne vaut pas la peine de vous être redit. Son langage était très bienveillant pour la France, pour la vie et la societé française. Point de politique du tout : " Je ne comprends pas comment fait-on Angleterre une femme de moyen-âge qui devient veuve et n’a plus de grande part au monde. Si cela m’arrive j’irai vivre ailleurs, en France peut-être. " Pas plus de politique avec Lord Palmerston qu’avec Lady Clanricard. Un peu avec Lord Minto. Triste de part et d’autre. L’idée de la guerre possible pénètre ici. Il y a huit jours, on n’y croyait pas encore du tout. Je persiste à n’y pas croire. Une transaction sortira de tous ces essais de transaction. Et j’y regarde avec une anxièté qui surmonte, je vous en réponds, ma disposition générale à l’optimisme. Lord et lady Palmerston très empressés pour moi.

Une heure
Vous avez très bien écrit à lady Palmerston Evidemment, évidemment, il est absurde, il est ridicule de faire courir à l’Europe, pour le motif qu’on allègue, les chances qu’on lui ferait courir en repoussant une transaction. " Il faut Beyrout et Damas au Sultan ! " Qui donc savait, qui pensait à savoir en Europe, il y a deux ans si Beyrout et Damas étaient au Sultan, ou au Pacha ? L’Europe, l’Europe saine grande, forte, belle, attachant ses destinées à la question de savoir si ces ruines pestiférées seront au pouvoir d’un vieillard près de mourir ou d’un enfant hors d’état de régner ? Dieu garde le monde de cette alliance : un petit esprit et un caractère fort ! Il n’y a pas de folie, pas de matheur qui n’en puisse sortir. Moi aussi, le memorandum du 24 août ne m’a pas satisfait, pour la forme du moins. Je l’aurais écrit autrement. C’est vraiment du guignon qu’il passe pour trop doctrinaire. On m’écrit ce matin que 31 a grand peur et fort peu d’envie de rentrer dans une si vive mêlée. Pourquoi n’écririez-vous pas à 2 que vous êtes de retour ? Savez vous ce que je soupçonne dans ce silence gardé envers vous par 2 et trois fois 2 ? Quelque misérable lâcheté, tenez pour certain que le langage de 90 à Paris, et celui de l’homme qui " mange avec autorité " à Londres sont très differents. Le mangeur n’est pas frondeur du tout. Adieu.
Vous ai-je dit aujourd’hui un mot autre que d’affaires ? Non, je crois. Pourtant j’ai bien autre chose dans le cœur Adieu, Selon mon cœur.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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421. Londres Vendredi 25 septembre 1840
7 heures et demie

Vous voyez le travail de Paris et de Londres pour nous brouiller, Thiers et moi. L’animosité personnelle devient très vive ici. On se dit convaincu que Thiers veut la guerre. Je nie, je repousse très haut, très ferme. On persiste. On couvre sous cette conviction, sa propre obstination. Cela fait une situation de plus en plus périlleuse et délicate. Je dis périlleuse quoique le fond de ma pensée ne soit pas changé. Je ne crois pas à la guerre. Je n’y crois guère plus que je ne la veux. Je la trouverais absurde, comme un effet sans cause est absurde. Jamais je ne consentirai à voir dans Beyrouth et Damas une cause suffisante a un si immense effet. Et quoi que l’absurde, ne soit pas banni de ce monde, cependant il n’y est pas puissant à ce point. Mais quand on rase de si près le bord, il est impossible, même en ne croyant pas à la chute de ne pas avoir le sentiment du péril. Et puis les passions des hommes sont à elles seules une cause ; une cause qui dans un moment donné à propos d’un incident imprévu, peut tout emporter soudainement. C’est là le vrai danger ; celui que j’ai constamment mis, que je mets constamment sous les yeux des gens qui ont créé cette situation parce qu’ils n’ont pas voulu y croire. Ils commencent à y croire ; ils commencent à entrevoir la guerre comme possible ; et ne voulant pas s’en pendre à la situation qu’ils ont faite, ils s’en prennent à quelqu’un qui la veut, disent-ils, qui travaille sous main à l’amener. Et je passe mon temps à combattre leurs conjectures sur les intentions et leur sécurité sur la situation. Il y aura toujours un conseil de cabinet lundi, pour reparler de l’affaire Mais lord Lansdowne, lord Duncannon, lord Morpeth sont en Irlande et ne viendront pas. Et aucun de ceux qui viendront n’est encore arrivé, ni lord John Russell, ni lord Melbourne. Ils arriveront dimanche ou lundi, au moment même du conseil. Ils se réuniront sans y avoir pensé, sans en savoir et sans s’en être dit plus qu’ils n’ont encore fait. Ils en parleront une heure ou deux en hésitant beaucoup à se contredire les uns les autres. Ils croiront à peu près ce qu’ils se diront, pour ou pas être forcés de se contredire. Et voilà ce qui peut se cacher de légèreté sous les formes les plus froides et les plus sérieuses. Je n’en pousse pas moins de toutes mes forces à une transaction à une modification des propositions de la Porte au Pacha. Et après bien du temps perdu, il y a bien des chances pour que cela finisse ainsi. Je regarderais ces chances comme extrêmement probables si on croyait ici à une vraie résistance du Pacha. Mais on croit toujours qu’il cèdera.

Une heure
Il n’y a pas moyen, quand on prend le chemin de l’école, d’arriver de très bonne heure, ni toujours à la même heure. Le frêne croit que le petit F. dit vrai sur son compte. Les journaux sont pleins ce matin de mes dissentiments avec Thiers. Je suis de l’avis du Courrier français. Le jour où il y aurait entre Thiers et moi, un vrai dissentiment sur le but et la marche de la politique, nous devrions nous en avertir l’un l’autre. Et nous n’y manquerions certainement pas. Je regarde beaucoup à l’Espagne, et je n’en dis rien parce que je n’en pense rien. La modération sans force, l’anarchie sans force, la folle sans passion, le chaos parodié, quel pitoyable spectacle ! Je mintéresse à la Reine. Je lui trouve de l’esprit et du courage. soit quand elle résiste, soit quand elle cède. Je ne crois pas que, par lui-même, le pauvre pays sorte de son agonie. Mais il n’en mourra pas, et il peut y vivre longtemps sans danger pour personne. A mon avis, c’est l’Europe qui est coupable envers l’Espagne. Et coupable depuis 1833. Après la mort de Ferdinand 7 au premier moment la tutelle européenne proclamée et exercée aurait tout prévenu. On ne veut guères faire, le mal aujourd’hui. On ne sait pas faire le bien. Le bien pourrait se faire, mais à la condition d’être fait grandement. Et on s’effraie de tout ce qui exige de la grandeur. Il y a cinquante ans, l’orgueil des hommes allait à la démence ; ils se croyaient appelés à refaire le monde à la place de Dieu. Aujourd’hui, leur sagesse va jusqu’à l’inertie ; ils laissent Dieu chargé de tout. Voilà du bavardage doctrinaire Vrai pourtant.
Je viens de parcourir ces cinq pages d’écriture. Pas une tendre parole ! Est-ce possible ? Mes paroles vous plaisent. Quel plaisir auriez-vous donc si vous voyez, réellement voir ce qu’elle essayent de peindre ? Vous avez raison ; depuis que le monde existe on a beaucoup dit sur cela ; chacune des mille millions et milliards de créatures, qui ont passé sous notre soleil a élevé la voix et répété la même chose, avec son plus doux accent. Quimporte la répétition ? Tout sentiment vrai est nouveau. Tout ce qui sort réellement du fond du cœur est dit pour la première fois entendu pour la première fois. Et puis vous savez mon orgueil en ceci comme en tout, l’inégalité est immense, la varièté infinie ; les sentiments naturels, universels, que toute créature a connus et racontés à d’autres créatures, ils sont ce que les fait l’âme où ils résident ; toujours beaux et doux car Dieu les a créés tels à l’usage de tous ; mais incomparablement plus beaux, plus doux dans les élus de Dieu, car Dieu a des élus. Ne dites jamais, ne laissez jamais entrevoir ceci à personne, mon amie. Oui, j’ai la prétention de vous dire des choses qu’aucune voix d’homme n’a jamais dites et ne dira jamais qu’aucune oreille de femme n’a jamais entendues et n’entendra jamais. Et que sont les choses que je vous dis auprès de celles que je sens ?
Mon cœur est infiniment plus riche que mon langage, et mes émotions, en pensant à vous infiniment plus nouvelles, plus inouïes que mes paroles. Laissez donc ce papier et entrez dans mon cœur. Lisez ce que je ne vous écris pas. Entendez ce que je ne vous ai jamais dit. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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433. Paris vendredi 25 septembre 1840
9 heures

J’ai vu hier Montrond et les Appony. J’ai fait ma promenade En rentrant, j’ai vu M. de Pahlen. Après mon dîner, j’ai éte un moment chez Mad. de Flahaut avant sa réception et puis chez lady Granville, que je trouve toujours au coin du feu avec son mari. Appony a eu un long entretien, hier matin avec Thiers. M. de Metternich s’emploie à arranger Thiers le trouve long et métaphysique Il voudrait que cela allât plus vite. Il a été un peu menaçant, un peu doux, et toujours un peu drôle. Appony au fond était moins inquiet hier que ces jours derniers. Tout le monde se demande " Mais comment dès qu’on va faire la guerre ! pourquoi ? " Je crois que vraiment quand le moment surprise arrivera, le ridicule pourrait bien tuer le danger. Que Dieu m’entende.
Les petits états envoient des Déclarations de Neutralité, je veux dire Sardaigne, et Suède. Les pauvres allemands n’oseront pas l’être. La Confédération en décidera autrement.
Si je vous écrivais dans mes moments de faiblesse et de tristesse, mes paroles vous feraient de la peine. De la peine et du plaisir. Le matin j’ai un peu de force, vers le milieu du jour elle m’abandonne, le soir je suis tout à fait triste, découragée. Je regarde le fauteuil vert vide, je trouve ma vie si mal arrangée ! Et puis je la crois si courte. Et ce court moment, je le passe seule ! Je ne devrais pas vous dire tout cela. Vous avez assez de votre propre tristesse et puis vendredi, un mauvais jour.
Lady Holland a bien raison de le trouver un très mauvais jour. Je suis fort bien avec Madame de Flahaut. Après la grosse explosion, elle est redevenue charmante. A propos on dit qu’elle ne parle plus dans le monde, qu’elle est d’une réserve, d’une prudence presque outrées.
Je vous envoie une lettre du duc de Noailles, car je n’ai rien à vous dire, et le dimanche vous n’avez rien à lire à Londres. Cette pauvre princesse Augusta je la regrette, car elle était la meilleure personne du monde. Elle louchait cependant , elle ne vous aurait pas plu. J’espère qu’il n’est arrivée a personne de devenir louche après cinquante ans, car après votre déclaration. tout serait donc fini ? Ma nièce plait à tout le monde. On ne peut rien voir de plus gracieux, de plus naturel et de plus élégant. Sa mère sa arriver dans quelques jours what a bore ?

1 heure
Comment se fait-il que je n’ai pas de lettres ? Je vous en prie n’envoyez qu’au gens qui attendent la poste chez eux. Adieu, adieu. Adieu à demain. Je serai bien fâchée contre vous si vous m’envoyez autre chose qu’un tendre adieu après mon explication d’hier. Je sais suffisamment me gronder moi- même et je suis trop malade pour pouvoir supporter d’être grondée. Vous verrez qu’à force de douceur je deviendrai sage tout-à-fait. Adieu. Adieu. Il y aura un Cabinet council lundi. Il sera important. C’est de Londres que je parle.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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423. Londres, Dimanche 27 septembre 1840 sept heures

Byng est venu me dire hier qu’il partait aujourd’hui pour l’Italie et qu’il vous verrait en passant par Paris. L’envie m’a pris de vous dire par lui, un adieu plus tendre que de coutume, bien tendre. Je voudrais bien. Mais rien ne contente ma volonté. Vous savez mon mépris pour les illusions. Hier quand l’idée m’en est venue, il me semblait que je serais charmé de vous dire un peu plus, que je vous dirais tant ! Me voici. Je suis dans mon lit. Bien seul. C’est Dimanche. Je n’entends rien. Si vous étiez là ! Vous n’y êtes pas. Et je suis triste ! Et c’est tout ce que je trouve à vous dire Dimanche est un beau jour un saint jour. Je l’aime. Rien ne rafraîchit l’âme comme de se placer ensemble sous l’œil, sous la main, sous la garde de Dieu. C’est de la sécurité, c’est de l’éternité pour l’affection et pour le bonheur. Vous avez le cœur pieux. J’ai été ravi le jour où je m’ens suis aperçu. Je ne vous ai jamais dit, s’en cela, tout ce que je voudrais. Il me semble, en ce moment, que je ne vous ai jamais rien dit. J’ai le cœur si plein de vous, si plein pour vous ! Si vous étiez là, près de moi, je vous prendrais dans mes bras, je vous presserais sur mon cœur. Point de paroles, ma bien aimée. Rien que mes lèvres sur les lèvres, mon cœur sur ton coeur.
Non, il n’y aura pas de guerre. J’ai beau être inquiet ; ma raison ne cède pas devant mon inquiétude. Plus la guerre paraît s’approcher, moins je la trouve probable. Et il me semble que tout le monde est comme moi. On y croit d’autant moins qu’on la craint d’avantage. En ceci encore, que de choses que je ne puis vous dire. Il n’y a pas moyen. L’absence est devenue bien plus amère, bien plus lourde qu’elle n’avait jamais été. Adieu donc, ma bien aimée. Un adieu tendre et triste. Pourtant mille fois plus tendre que triste ! Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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437. Paris Mardi 29 septembre 1840
9 heures

Cet abominable mardi ; il revient tous les jours ! Pourvu que demain j’aie ma lettre de bonne heure. Je ne vis plus que pour vos lettres. J’ai fait hier ma promenade avec Mad. Durrazo. Vous ne savez pas qu’elle a de l’esprit, beaucoup de finesse, de drôlerie, et qu’elle est le meilleur mime possible. Avant de rentrer, j’ai passé chez Mad. Appony. Hemmelauer qui a passé ici raconte que l’opinion en Angleterre est très vive contre la France et qu’il y a bien peu de vraisemblance à ce que l’affaire puisse s’arranger. Nos pauvres diplomates sont fort tristes et fort tourmentés. Ce sont de très braves gens et qui animent beaucoup Paris !
En traversant la place Louis XV pour rentrer je rencontre Thiers en voiture, qui fait arrêter la voiture et la mienne tout simplement et qui d’un bond s’est trouvé dans ma calèche. Nous sommes restés dix minutes exposés au public. Il m’a dit courtement : " Si le traité s’exécute vous avez la guerre c’est certain." Je lui ai dit que personne de nous en songeait à la lui faire, et que je ne voyais pas comment elle pourrait commencer. " Ah cela, c’est mon affaire. Vous verrez. " Et puis il m’a dit que le roi était furieux, la reine extrêmement, toute la famille. Qu’il était occupé du matin au soir, que tous les jours il veut venir me voir, qu’il viendra, et des tendresses ; personne n’a été nommé. Il m’a demandé ce qu’on me mandait d’Angleterre. Je lui ai dit que les esprits étaient très montés contre la France depuis peu de jours. Il me dit que les rapports sur ce sujet étaient contradictoires. Et nous verrons. Voilà la conversation.
J’ai dîné comme de coutume. Il me semble que je mange ma perdrix mais à me regarder, je croirais plutôt que c’est elle qui me mange. Après le dîner la calèche encore. Je me fais traîner le long du boulevard. C’est si animé, si gai. Je pense à Londres. Je me fâche de regarder quelque chose de gai lorsque vous n’avez que du morne et du triste. Vraiment, je ne conçois pas qu’un français puisse habiter Londres et puis pour tout étranger j’ai toujours pensé qu’on ne peut vivre à Londres que lorsqu’on a un intérieur, des enfants, du bonheur autour de soi, dans sa maison ; alors, et une grande situation pas dessus le marché cela va, surtout. Quand on n’a pas habité Paris. Mais vous, vous ! Vous ne sauriez vous figurer. A quel point je vous plains et je m’en veux de vous avoir quitté. Ah si j’avais pu rester ! Il faut bien que je me répète que c’était impossible. Votre promenade au Regent’s park seul. Cela me fend le cœur, et cet air de Londres si lourd, si gris !
N’est-ce pas que vous comprenez qu’un pauvre diable aille se pendre au mois de novembre ? Mon ambassadeur est venu à 10 heures, il me quitte parce que c’est toujours encore l’heure où je me couche, ma porte est encore fermée à tout le monde. Nous ne parlons que d’une seule et même chose nous ne parlons fort tristement tous les deux. Il admet aujourd’hui la guerre sans la comprendre. Mais enfin la voilà, partant de là il la veut bien forte et bien courte. Encore une fois toute l’Europe, et quelque chose de pire que l’année 15 ? En vérité, c’est très possible. Il y aura bien quelques mauvaises têtes, mais elles sont bien plus rares aujourd’hui qu’elles n’étaient il y a 10 ans 
L’exemple de la France n’est par dangereux. Quel degré de plus de liberté y a-t-il que sous les anciens Bourbons. Qu’est-ce que les pays gagnent à se mettre en révolution? Et l’Espagne ! On regarde tout cela, on a réfléchi à tout cela, et vous trouvez peu de sympathies révolutionnaires. C’est sur cela cependant que vous devez compter. Si ce moyen vous manque, et il vous manquera, qui peut douter que l’Europe résolue comme elle l’était alors, ne fasse, comme alors succomber la France ? vraiment la carrière est plus aventureuse pour la France peu pour les autres. S’il y a des gens légers, présomptueux. Autre part, il y en a bien ici aussi. Pensez à tout cela avec votre immense raison et votre impartialité très rare. Est-on engagé assez loin pour ne pas pouvoir trouver des moyens d’éviter un grand fléau ? La situation est mauvaise. Vous faites bien de prendre des mesures à tout événement. Vous avez bien quelque motif de ressentiment quant aux procédés, aux manières, mais de là à faire la guerre, à la provoquer ! Il y a trop loin. Personne ne vous attaquera, tenez cela pour certain ; on vous laissera. à vous tout le tort de la provocation, et il soulèvera contre vous, sincèrement, toute l’Europe. Je pense et repense sans cesse à tout cela.

10 h 1/2
Quelle surprise charmante ! Cher Simon ! J’ai failli l’embrasser. Vos douces paroles me font du bien en effet beaucoup de bien. Je me soigne ; je me soignerai. Je veux que vous me retrouviez mieux. Je suis joyeuse de votre lettre. J’attends avec une vive impatience l’explication du bis, c’est de l’émotion, un intérêt constant pour toute la journée, car vous n’avez pas un confident aussi pressé que Simon. Tout ce qui s’appelle légitimiste s’est abstenu de paraître hier à la Chambre des pairs. C’est une mesure générale convenue avec Berryer. Ceux des légitimistes qui étaient revenus aux idées et au langage le plus raisonnable ont un peu changé de ton depuis les dernières six semaines. Ils prévoient de la confusion, et par conséquent de l’Espérance.
On dit que Molé dit du roi que son esprit a beaucoup baissé. Le roi a été très vif il y a deux jours dans un entretien avec Appony. Après tout ce que j’ai fait, personne n’a pour moi la moindre considération ! Le mot n’est pas heureux. Il a frappé du poing sur le genou d’Appony de façon que le pied d’Appony a rebondi. Je vous raconte tout le bavardage.
Après le beau temps d’hier ; voici la pluie, ma promenade gâtée. Et il me faut de la promenade pour reprendre des forces. Votre lettre toute seule ne m’en donnera pas. Cependant, elle y fait quelque chose. Une de nos plus grandes dames de Russie, la fameuse comteuse Orloff si riche et dernière de son nom (car Orloff est batard) va épouser un jeune officier de 26 ans sans nom et sans renom. Cela fait un immense scandale. Elle est demoiselle et elle a 54 ans. Elle vivait depuis 20 ans dans un couvent avec des moines dont elle balayait la chambre. Elle venait à la cour pendant la semaine, chaque année et y paraissait toujours couverte de diamants, et dans la plus grande pompe. Elle fait maigre toute l’année depuis 20 ans elle n’a mangé que du poisson à la cour comme au couvent. Elle est grande, grasse, un port de reine et des yeux superbes. La colonie russe ici ne parle que de ce mariage. On en est bien plus préoccupé à Pétersbourg que des affaires d’Orient.
Pahlen nie toujours que nous envoyons notre flotte, mais toujours, toujours il est sans la moindre nouvelle.

2h 1/2
Fleischmann revenu depuis 3 jours de Stuttgard a été faire sa cour hier à St Cloud. Il sort de chez moi, le roi l’a étonné, un peu effrayé, des mouvements d’une vivacité inconcevable. Un langage très exagéré. Il se frappait la poitrine. Il poussait Fleischmann contre la muraille. Il le prenait au collet, le secouait. Enfin c’est drôle. Le duc d’Orléans plus calme de gestes, mais aussi vif de paroles à demain car je suis pressée. Adieu. adieu. Mille milles fois adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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439. Paris, Jeudi 1er octobre 1840
9 heures

Vous m’avez promis que le mois serait beau. J’y compte. J’ai bien dormi, les douleurs sont presque passées. Enfin n’y pensez plus, mais comptez. que je suis docile que je me soigne. Votre lettre est venue hier au moment où la mienne partait, elle ne m’a guère éclairée sur la situation, vous ne dites pas un mot qui me guide.
J’ai appris hier soir que le conseil devait être remis à Jeudi, aujourd’hui. Je meurs d’impatience et d’inquiétude. j’ai vu hier mon ambassadeur celui d’Angleterre, trois fois Bulwer, quatre fois M de Pogenpohl. Ces deux là étaient inquiets de moi. Le soir M. Molé. J’étais levé c-à-d couchée sur ma chaise longue. Les ambassadeurs anxieux.
M. Molé est fort maigri. Vous jugez ce qu’a été son langage. S’il était aux affaires, s’il y était resté, tout était autrement? Jamais l’alliance anglaise ne se fût brisé entre ses mains ; on n’a fait que des fautes ; mais il faut que je convienne qu’il attaque le maréchal Soult un peu plus encore que M. Thiers quant à la conduite. Mais de l’affaire d’Orient, il est plus préoccupé de l’intérieur encore que du dehors. La situation des partis, le manque de chef au parti conservateur, l’éparpillement des doctrinaires. L’infatuation du roi pour M. Thiers. Car le roi coule des jours tranquilles, plus d’attentats, plus d’attaque dans les journaux. Son ministre le couvre, le garantit de tout cela. Mais voici l’étrangeté du roi, après avoir passé des années à montrer Thiers aux puissances étrangères comme un révolutionnaire, ennemi de sa personne, ennemi de son trône, de tous les trônes, il s’étonne que les puissances étrangères ne veulent pas. accepter M. Thiers comme un excellent ministre. Il se fâche, il s’importe.
Molé dit comme beaucoup de monde, " Mais si on ne s’arrange pas comment fera-t-on pour avoir la guerre ? Il n’y a ni sens, ni raison à la faire pour la Syrie. Par quel bout commencer ? où, quoi ? Tout ceci est insensé, absurde. Il n’y a plus un homme en Europe. ( Il y a quelques temps déjà que je me permets cette réflexion. ) De vous il dit qu’on a beaucoup répandu que vous avez été pris au dépourvu, mais qu’il n’en croyait rien, et que d’ailleurs, il y avait des preuves.
Je sais par 29 que 62 est très content de 6. 14 parle très bien du cèdre, de ses principes, il les croit inébranlables très dédaigneusement de beaucoup de petits arbrisseaux surtout de 77. Mais il en reste de bons. Il espère beaucoup que le hêtre sera ici quand la compagnie ce ressemble, et regarde même cela comme indispensable La violette a été très réservée malgré beaucoup de tentations, car on revenait toujours sur ce qui la préoccupe le plus. Midi. Voici la lettre de mardi encore pas un mot qui me fasse jusqu’ici vous avez la moindre espérance de transaction. Vous me traitez trop mal, et il y a vraiment trop d’exagération dans votre prudence.
Votre vue s’allonge parce que vous écrivez trop, pas à moi, à d’autres. M. Molé m’a dit que Berryer avait été pitoyable, très au dessus de lui-même. Je viens de lire son discours et je trouve des passages magnifiques, sublimes. Je suis sûr que vous le trouvez aussi, et aux mêmes endroits. Et je comprends un peu que Molé ne les loue pas. M. Molé pour me homme d’esprit dit quelques fois des pauvretés, et compte trop qu’il parle des sots. Hier encore cette réflexion m’a frappée. Il est désintéressé dans son jugement. Il serait très malheureux d’être appelé aux affaires. Il ne sait pas ce qui se passe, il ne cause avec personne." J’avais envie de lui dire : " mais employons donc mieux notre temps car je ne crois pas un mot de ce que vous me dites.
La partie du discours de Berryer que j’admire parfaitement est ce qui commence à : " Le pouvoir en France est aujourd’hui confié, à un ministère dont l’origine est récente" & & & et qui finit à " et quiconque devant dieu devant le pays me dira : "S’il eût réussi je l’aurais nié ce droit. " Celui-là, je l’accepte pour juge. " J’ai été fort contente du leading article des Débats hier. C’est Le langage d’un cabinet bien plutôt que d’un journaliste. Vous savez que j’attends toujours l’explication du bis. On dit dans le monde que vous allez faire partir l’amiral Duperré avec mission d’empêcher la jonction de la flotte russe avec la flotte anglaise. Mais vient elle cette flotte russe ? On dit aussi que vous embarquez des troupes sur vos vaisseaux.

2 heures
Je ne reviens à vous que pour vous dire adieu. Adieu mille fois adieu. Le meilleur, le plus tendre. Voici les Appony. Adieu.

3 h. Sébastiani aura le bâton de Maréchal. Il y a eu quelqu’embarras mais que le roi a surmonté. Montrond sort d’ici.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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426. Londres, Mercredi 30 septembre 1840
Une heure

Je n’ai pas eu un moment à moi depuis que je suis levé des ennuyeux et des utiles. Je vois beaucoup de monde depuis quelques jours. Je cause beaucoup. Hier soir j’avais un rout. Et je voudrais bien causer davantage. Si je pouvais passer ma vie pendant quinze jours avec trois ou quatre hommes, avec deux hommes, je ne puis m’empêcher de croire que je persuaderais, que je ferais trouver des moyens de sortir d’embarras, car on se sent dans l’embarras et on a envie d’en sortir. Et selon moi, il y a moyen, sans humiliation pour personne. C’est là le problème. Mais comment en fournir la solution, quelques minutes et avec quelques paroles, à des gens qui ne la trouvent pas eux-mêmes ? qui ne trouvent rien eux-mêmes ?
J’ai rarement vu, si peu d’invention avec tant de bonne volonté. J’ai déjà brusqué bien des choses ces jours-ci troublé bien des indolences, dérangé bien des habitudes. Je continue. Mais les événements continuent aussi, et je crains qu’ils n’aillent plus vite que moi. Je persiste pourtant. Je ne crois pas à la guerre. J’entends à la guerre volontairement choisie et engagée. C’est trop fou. Quant à la guerre forcée, la guerre venue par hasard, commencée sans dessein, c’est celle-la que je redoute. Et c’est de cette crainte là que je m’arme pour pousser à une transaction. Personne n’a de réponse à cela. Je suis convaincu que Flahaut écrira très bien d’ici, c’est-à-dire qu’il voudra avoir écrit très bien. Je suis bien pour lui. Il est fort inquiet, Point belliqueux lui-même.

Le 436 est charmant, la dernière moitié. Je suis désolé de ce jour vide. Je prends mille précautions ; je donne mille instructions. Il n’y a pas moyen de pourvoir à tout. Il n’y a pas moyen d’inspirer aux tiers, mon désir d’arriver, votre désir de recevoir. Personne personne au monde n’a la mesure de ce désir, de ce plaisir. Je n’ai rien à pardonner. Je n’ai pas été fâché du tout. Mon Adieu qui ne ressemble à nul autre, c’est qu’il est plus, non pas autre. Voilà comment j’ai interprète votre special. Jurez que vous ne retomberez pas, et puis retombez tant que vous voudrez. Je ne puis plus prendre vos chutes au sérieux. C’est impossible que vous les preniez vous-même au sérieux. Il y a des régions où le soleil ne se couche plus, où tout est toujours parfaitement clair. Nous y sommes arrivés vous et moi. Nous y sommes établis. Tout-à-fait, c’est tout-à-fait. Et votre oui, c’est tout-à-fait oui. Je le lis de votre main. Je me le redis de ma propre voix, pour l’entendre comme si vous me le disiez. Oui, oui.

3 heures
Je trouve que, pour une personne d’autant d’esprit et d’expérience vous vous laissez trop prendre à deux choses, à la comédie du langage, aux vicissitudes de la situation. On ment immensément ; on change de mensonge tous les jours ; on est doux, on est aigre, on croit à la paix ; à la guerre, selon l’intérêt, la manœuvre, la fantaisie du moment. Intérêt bien petit, manœuvre, fantaisie bien passagère, mais qui n’en fait pas moins dire blanc aujourd’hui noir demain. Et la situation elle-même flotte beaucoup ; elle va en haut, en bas, à droite, à gauche. Il ne faut pas laisser baletter son propre esprit selon le bavardage des hommes et ces ondulations des choses. Il y a un fond de vérité, une pente réelle et définitive des évènements. C’est là ce qu’il faut jeter l’ancre, et s’y tenir, et assister de là au mensonge des paroles et à la fluctuation des incidents quotidiens. Je suppose qu’au fond je vous prêche là assez sottement, et que vous me tenez au courant de tout ce qu’on vous dit, bien plutôt que vous n’y croyez vous-même. Pourtant retenez, je vous prie, quelque chose de mon sermon. Vous vous laissez trop affecter par le petit va-et-vient des conversations et des nouvelles. Et votre disposition à vous, triste ou gaie, confiante ou abattue, a pour moi tant d’importance que dans tout ce que vous me mandez la première chose que je vois et qui m’intéresse, cest l’impression que vous en avez reçue. J’ai de bonnes nouvelles du duc de Broglie. Inquiet, mais pensant sur toutes choses, tout-à-fait comme moi. Cela m’importe toujours, et surtout en ce moment. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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428. Londres, 2 octobre 1840, Vendredi,

8 heures J’ai oublié de vous dire hier que j’avais été à Chiswick, avant hier mercredi. J’y ai passé deux heures, me promenant avec mon ambassade. J’aurais mieux aimé être seul. Dans le commun de la vie, à dîner après dîner, je suis bien aise d’avoir du monde, n’importe qui. Il y a des heures pour lesquelles tout est bon. Mais dans un beau lieu, par un beau temps, quand ce qui m’entoure me remue l’esprit ou le cœur, il me faut le bonheur ou la solitude. Chiswick est une maison déplacée. Les prétentions italiennes sans la Brenta ; le soleil sans toute cette nature brillante et chaude qui anime et embellit la plus petite architecture. Et au bas de l’escalier dans un coin, une grande et pauvre statue de Palladio assis qui a l’air de s’ennuyer et de grelotter. Il n’y a du joli que dans le midi. Le Nord ne peut prétendre qu’au beau. Je reproche à Chiswick de prétendre au joli. Au dedans comme au dehors. C’est trop petit, trop orné.
Les femmes de la Provence se bariolent de rubans de toutes couleurs, de bijoux d’or, d’argent, de pierres de toute espèce. Cela va à leur petite taille lègère, à la vivacité de leurs mouvements, à leur gentillesse d’esprit et de corps. Lady Clanricard était l’autre jour à Holland house, toute enveloppée de mousseline blanche avec une seule pierre au milieu du front. Elle était très belle. Les maisons sont comme les personnes. Chacune selon son climat. Il y a, dans Chiswick, des trèsors de peinture. J’ai beaucoup regardé les tableaux, la plupart d’Italie aussi ; point évidemment sous un autre ciel, pour une autre lumière ; mais beaux partout. Des Papes admirables.
Le parc, voilà l’Angleterre. Que j’aurais pu m’y promener avec délices ! Je n’ai vu nulle part, même ici de tels gazons ; si épais, si fins. C’est du velours qui pousse. Ce serait un meilleur lit que les lits anglais. La serre est charmante. Je crois qu’à tout prendre j’aime mieux Kenwood. C’est plus simple et plus grand.
Lady Holland m’a raconté que M. Canning malade lui ayant dit qu’il allait à Chiswick 
" N’allez pas là. Si j’étais votre femme, je ne vous laisserais pas aller là.
- Pourquoi donc ?
- M. Fox y est mort. "
M. Canning sourit. Et une heure après, en quittant Holland house, il revint à Lady Holland, tout bas : " Ne parlez de cela à personne ; on s’en troublerait. "

2 heures
Ne me demandez pas de ne pas m’inquiéter. Résignez-vous à me savoir inquiet, car je ne me résignerai pas à vous savoir malade. Quand nous nous sommes pris for better and for worse, l’inquiétude était dans les worse. Il faut l’accepter et la subir. Inquiet de loin !
Vous avez vu mon petit médecin. Vous ne lui avez pas dit un mot de votre santé. Je ne veux pas vous gronder aujourd’hui. Qui sait si ma hier que j’avais et lettre en arrivant ne vous trouvera pas encoré malade ? Je ne veux vous envoyer que de douces, les plus douces paroles. Mais, je vous en conjure, pensez-un peu à mon inquiétude. Faîtes quelque chose pour ma sécurité. Je me sers de ce mot en tremblant. Il n’y a point de sécurité. Et pourtant il m’en faut. J’en veux avoir sur vous. Ce n’est pas vivre qu’être inquiét pour vous. J’espère que Chemside a raison, que c’est un Cold. Je vous ai vu cela. Vous aviez des crampes dans la région du cœur et de la poitrine. J’aurai des nouvelles demain, bonnes, n’est-ce pas? Il y a eu un second conseil hier. Il y en aura peut-être encore un ce matin. Demain, conseil à Claremont. Mais celui-ci est insignifiant. Les autres le seront peut-être aussi.
Je n’ai jamais été plus actif dans le présent, plus incertain sur l’avenir. Il faut que je vous quitte. J’ai beaucoup à écrire le pour le courrier de ce soir. Adieu. Adieu, comme le 30. Le 30 vous êtiez bien souffrante. Et pourtant quel beau jour ! Mais il n’y a point de beau jour de loin si vous êtes souffrante. Ils sont déjà bien peu beaux quand même vous vous portez bien. Adieu Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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427. Londres, jeudi 1 Octobre 1840
8 heures

Voilà, le 1er octobre le mois nous a fait de belles promesses. Les tiendra-t-il ! Quand serai-je libre ? Vous voyez bien que je ne le suis pas. Jamais je n’ai été plus avant dans l’affaire, et l’affaire plus avant dans sa crise. Pendant qu’on fait effort ici pour une transaction, on fait effort en Orient pour une prompte exécution. D’ici à quinze jours trois semaines, l’un ou l’autre effort aura atteint un résultat. Votre vie a été comme la mienne, bien engagée dans les affaires publiques, et vous en avez le goût comme moi. Ne vous est-il pas bien souvent arrivé de porter cette chaîne avec une fatigue pleine d’impatience, et de désirer ardemment une vie toute domestique toute simple, parfaitement libre, et calme, s’il y a du calme et de la liberté en ce monde. C’est un lieu commun, bien commun ce que je dis-là, mais par moments bien exactement vrai, bien passionnément senti. Je dis par moments pour ne pas donner à ma vie passée et probablement future, un démenti ridicule, car, si je m’en croyais aujourd’hui, je croirais à la parfaite, à la constante vérité du lieu commun. Et comme vous me croirez contre toutes les apparences, je vous dirai à vous, que pour moi le bonheur domestique est le vrai, le seul bonheur, le bonheur de mon goût, la vie de mon choix, si on choisissait sa vie. Mais on appartient à sa vocation bien plus qu’a soi-même. On obéit à son caractère bien plus qu’à son goût. Je me suis porté, je me porte aux affaires publiques, comme l’eau coule, comme la flamme monte. Quand je vois, l’occasion, quand l’événement m’appelle, je ne délibère pas, je ne choisis pas, je vais à mon poste. Il y a bien de l’orgueil dans ce que je vous dis là, et en même temps, je vous assure, bien de l’humilité. Nous sommes des instruments entre les mains d’une Puissance supérieure qui nous emploie selon ou contre notre goût, à l’usage pour lequel elle nous a faits.
J’ai dîné hier à Holland house. Lord Lansdowne, lord Morpeth, lord John Russell. Les deux premiers arrivent pour le conseil d’aujourd’hui. Ils viennent de loin, et fort contre leur gré. Je suis fâché de ne pas connaitre davantage lord Morpeth. Il me plait. Il a l’air d’un cœur simple, droit et haut. J’étais en train de pénétrer dans l’intérieur de cette famille là quand la mort de Lady Burlington est venue fermer les portes. Je les ai pourtant franchies bien souvent depuis ces portes de Stafford house, et avec quel plaisir !

2 heures
437 en aussi bon que long. Merci de vos détails. Ils m’importent beaucoup. Il n’est pas vrai qu’on s’échauffe ici contre la France. C’est un langage convenu. Je crois plutôt que les idées de transaction, le désir d’une transaction sont en progrès dans le public. Petit progrès pourtant, car le public y pense peu. Il n’y a ici point d’opinion claire, forte, qui impose au gouvernement la paix ou la guerre. Il sera bien responsable de ce qu’il fera, car il fera ce qu’il voudra. La question est entre les mains des hommes qui gouvernent. Leur esprit, ou leurs passions en décideront. Quant à la France, personne n’est plus convaincu que moi, par les raisons que vous me dites et par d’autres encore, qu’elle ne doit point provoquer à la guerre, prendre l’initiative de la guerre. Une politique défensive, une position défensive, c’est ce qui nous convient. Mais défensive pour notre dignité comme pour notre sûreté.
Or il peut se passer en Orient, par suite de la situation qu’on y a faite des événements, des actes qui compromettent notre dignité, et par suite notre sûreté. Nous ne devrions pas les accepter. Nous nous préparons non pour accomplir des desseins, mais pour faire face à des chances. Voilà mon abus, et mon langage. On le croit, si je ne me trompe, sincère et sérieux. Je ne m’étonne pas de l’attitude des légitimistes. Ce qu’il y a de plus incurable dans les partis, c’est l’infatuation de l’espérance. Bien pure infatuation, Soyez en sûre. Je ne me promènerai pas aujourd’hui, pas même seul. Il fait froid et sombre. J’aime mieux rester chez moi, à écrire ou à rêver.
Adieu. Je suppose que vous saurez aujourd’hui le secret du bis. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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440. Paris, vendredi 2 octobre 1840,
à 10 heures

Le voilà expliqué le bis, au moment où je commençais une toilette de nuit hier, on m’annonce Byng, je le renvoie ; il me fait dire qu’il arrive de Londres à l’instant ; je le fais entrer rêvant à la paix ou à la guerre ; c’était bien autre chose. Cette charmante lettre en tendres paroles ! Elle a passé la nuit avec moi. Ah que je voudrais vous dire à mon tour tout ce que j’éprouve. J’en étouffe, et cela reste ici. J’ai eu un rêve que vous auriez aimé. Mais ce n’était qu’un rêve !
Hier matin j’ai vu les Appony, Montrond, Bulwer. J’ai fait par ordre du médecin une promenade en voiture fermée. J’ai fait dîner Pogenpohl avec moi pour le voir manger. Ensuite j’ai reçu Tshann, et mon ambassadeur. Mais toujours dans ma chambre à coucher. Le matin j’avais eu une bonne visite de votre plus fidèle. Si la question du dehors s’arrange, savez-vous que celle du dedans sera difficile à arranger. Cela me paraît bien embrouillé, bien compliqué. Le moment des chambres sera des plus curieux. Ma nièce a eu une lettre de son père, il s’annonce positivement pour le mois d’avril, et sa femme dans quinze jours, tout cela est bien pacifique. Il parait qu’on ne rêve pas à la guerre.
Que savez-vous de la disgrâce de Bülow ? Les petits diplomates allemands l’affirment. Vous ne m’étonnez pas par ce que vous me dites de Neumann c’est un gros sot, et fort impertinent ; donnez en de bonnes nouvelles à Paris pour le cas où il y viendrait. A propos les Clauricarde viennent-ils toujours ? Elle ne m’a pas écrit depuis mon départ. Il est vrai que je ne lui ai pas écrit non plus.
J’ai eu un retour de crampes cette nuit et un sot accident après. Je m’étais fait frotter rudement l’épaule et la voilà tout ensanglantée ce matin, et me faisant un mal horrible, comme si j’avais été blessée à la guerre, aussi. ai-je fait chercher le chirurgien du 10ème hussards ! (Chermside)

Midi.
Je viens de recevoir votre lettre d’avant-hier, il y a de l’espoir, il y a de l’inquiétude, un peu de tout. Un peu de gronderie à mon adresse, beaucoup d’autre chose qui n’est pas de la gronderie. J’accepte tout à tort et à travers, mais surtout la dernière partie, toujours désirée, toujours bien venue. Toujours nouvelle quoique si vieille. Voici donc Beyrouth pris. On va crier ici comme si c’était chose inattendue et inouïe. J’en suis effrayée; je suis effrayée de tout, parce qu’il faut si peu pour aller bien mal et bien loin. Vous ne sauriez concevoir le plaisir que j’ai eu à voir Byng. Il avait déjeuné avec vous Samedi. Il été fort pressé de me remettre la lettre. Il était encore en toilette de voyage. J’aime Byng. Adieu, que dois-je penser du conseil de cabinet d’hier ? Je tremble et j’espère. L’article du Times était bon, mais rien ne fait quelque chose à lord Palmerston. Je suis bien aise que vous soyez bien avec Flahaut, je ne sais encore rien de cela pour la femme, je ne l’ai point vue depuis mardi.
Adieu. Adieu, tendrement. Montrond vient souvent sans avoir rien à dire. Il est archi pacifique. Tout le monde l’est je crois, mais n’y a-t-il pas des existences politiques que la paix tuerait. Voilà ce qui m’inquiète. Adieu. Adieu.

2 heures
Dans ce moment, je m’aperçois du vendredi. Je suis enragée contre moi-même, il n’a a pas de remède, ceci ne partira que demain, je vous écris un pauvre mot mais il vous faut la vue de mon écriture, sans cela vous me croiriez morte.

Samedi 3 octobre, 11 heures.
Ma journée s’est passée à Beyrouth c-à-d. que tout le monde est venu chez moi parler de cela et rien que de cela. Le matin, les Granville, Werther, Appony, Pahlen. Le soir M. Molé. Je ne compte pas Adair et autres de cette espèce. Et bien on est bien agité, c’est à dire agité de l’agitation que cela va causé ici, comme si ce n’était pas un événement tout naturel, et très attendu. Thiers a dit hier matin à un diplomate à Auteuil : "Monsieur, c’est la guerre. " On ne le prend pas au mot, parce que vraiment il n’est pas possible qu’elle ressorte de ce fait. le conseil s’était réuni d’abord à Auteuil et puis aux Affaires étrangères. M. Molé me dit que la chambre des pairs était dans un trouble inexprimable. On ne parlait que de cela. On proposait de dresser une pétition à la couronne pour demander la convocation du chambre. M. Molé prétend s’y être opposé. Mais il parle très mal de la situation. Il dit que jamais on n’a si mal gouverné une affaire. Et puis une conduite si lâche à côté de tant de bruit, de si pitoyables réponses au général anglais.
Le dernier factum de lord Palmerston excellent, clair, une vraie pièce de cabinet. Et pas de réponse ? mais c’est incroyable. Enfin vous entendez tout ce qu’il dit. Il voudrait bien savoir bien des choses ; moi, je n’ai rien à lui apprendre. J’ai renvoyé M. Molé avant dix heures pour aller un moment chez Lady Granville. Là j’ai appris l’abdication du roi de Hollande. C’est grave aussi, parce que l’héritier est peu de chose. Tête très légère. Le monde va mal. Mais vous que faites-vous ? L’éclat de Beyrouth devrait faciliter les affaires ; on a meilleure grâce à céder quand ou a un succès. Cependant, je ne sais rien bâtir d’agréable sur ce qui peut venir de Londres. Je suis frappée ce matin du ton de Siècle et du Courrier français. Le Constitutionnel est plus prudent, il est évident qu’il attend vos nouvelles sur le conseil de jeudi. M. Molé prétendait savoir qu’on allait mobiliser la garde nationale, mesure révolutionnaire selon lui. Il croyait aussi que le ministère ne pouvait pas l’empêcher, de convoquer les chambres. Le cri public serait trop fort. Moi, je suis pour la convocation cela va sans dire ! Lord Granville était allé hier soit à St Cloud. L’ambassade anglaise est très agitée. Bulwer excessivement.

1 heure.
J’ai eu votre lettre et un long entretien, avec celui qui me l’a portée. Il vous écrit lui-même. Il voudrait que vous l’instruisiez mieux de votre volonté, de vos idées, pour qu’il puisse faire face aux entretiens qu’il a avec vos amis. Vraiment la situation devient très grave pour les choses comme pour les personnes politiques de toutes les couleurs. C’est bien difficile de deviner le dénouement de tout ceci. On dit qu’ici tout le monde est pacifique au fond, tout le monde, et je le crois mais comment arriver à cette parole décisive " la paix " au milieu de ce qui se passe et peut se passer tous les jours ?
J’approuve tout ce que vous me dites, et comme je comprends ces éclairs d’élan vers une vie tranquille, domestique ! Et moi, que de fois je l’ai souhaitée, et tout juste dans les moments les plus agitées. C’est alors que je rêvais les cottages, que j’enviais le sort des plus humbles de leurs habitants. Ah que je saurais aujourd’hui embellir cette vie là pour vous. Mais vous n’osez pas en vouloir, vous ne le pouvez pas. Je sens tout ; je suis en même temps une créature très passionnée et très sensée.
Je crois l’esprit de 20 très combattu dans ce moment, au fond il n’a pas de l’esprit tout-à-fait Il faut finir, je n’ai encore vu personne aujourd’hui. On dit, c’est votre petit ami qui me l’a dit que les ministres sont un conseil depuis huit heures ce matin. Je crois moi qu’il ne ressortira la convocation des chambres. Encore une fois, il m’est impossible de ne pas la désirer ardemment. J’ai vu chez moi Mad. de Flahaut hier, elle m’a parlé des lettres de son mari, mais elle ne vous a pas nommé. Au reste elle est très douce maintenant, et inquiète comme tout le monde.
Adieu. Adieu. Je ferme de crainte d’interruption et de retard, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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443. Paris, Lundi 5 octobre 1840
9 heures

Hier a été une journée bien active et bien bavarde. D’heure en heure quelque rapportage, et à 5 heures à Tortoni la nouvelle que Thiers avait donné sa démission. On disait qu’il avait résolu de convoquer les chambres, d’y apporter la guerre et d’ordonner en attendant la marche de 200 000 hommes vers le Rhin et l’envoi de votre flotte à Alexandrie pour l’apposer aux alliés. On disait que le roi n’avait point voulu accorder tout cela, ni rien de cela, et que par suite Thiers donnait sa démission. nous verrons aujourd’hui. Berryer est venu chez moi à deux heures. Il ne savait rien de ces bruits, ils n’ont circulé que plus tard mais il me dit qu’une crise ministérielle était arrivée : que Thiers ne pouvait point reculer, qu’évidemment il lui fallait la guerre et que la chambre accueillerait avec transport la guerre, parce que telle était la disposition des esprits maintenant qu’il fallait commencer cependant que Thiers avait fait bien des fautes, qu’il n’avait fait que des fautes mais que pour le moment il ne s’agissait pas de les examiner, qu’il fallait satisfaction à l’amour propre national, et que comme cette satisfaction ne se présentait pas pacifiquement, il fallait la prendre de l’autre manière que ces derniers deux ans avaient fait une grande révolution dans les esprits, qu’il ne pouvait plus y avoir dévouement ou confiance, que les existences avaient été troublées, tout remis en question, et que dès lors, tout pouvait ressortir de cette situation. Que l’Angleterre avait été bien habile, que lord Palmerston était le plus grand homme qui eut paru depuis M. Pitt. Paralyser à la fois la Russie, (je n’ai pas accepté la paralysie) remettre à la tête des grandes puissances, s’emparer de la direction des affaires en Espagne, et rendre ainsi la situation de la France périlleuse de tous les côtés, c’était là un chef d’oeuvre d’habilité, enlevé galamment avec une prestesse admirable. Enfin il grossirait cela de toutes ses forces pour enfler les comparaisons. Il parlait pitoyablement des notes diplomatiques. Il demandait la réponse au factum accablant de Lord Palmerston ? Et puis il a brodé sur les crédits extraordinaires, sur les fortifications de Paris surtout, et de quel droit, sans avoir consulté la Chambre ? Et le bois de Boulogne à qui appartient-il ? Il dit après : le roi a tiré de ce ministère tout ce qu’il lui fallait pour sa propre force. Ce que Thiers préparait pour dehors, le roi se promettait bien de l’employer au dedans et le jour où arrivera la la nécessité d’une révolution extrême, le roi ayant profité habilement de tout ce que la popularité de Thiers a pu lui fournir jusqu’à sa dernière limite, le Roi se passera de lui. Placé entre deux dangers une lutte extérieure, et une lutte intérieure, le roi choisira toujours cette dernière chance. Voilà le dire de Berryer sur la situation en gros ; il n’a point nommé les personnes. Il a seulement dit en passant que vous et Thiers étiez mal ensemble, j’ai dit que ce devait être nouveau parce qu’il me semblait tout le contraire lorsque j’étais à Londres.
Après Berryer, j’ai vu tout mon monde diplomatique les quatre puissances alliées agités, mais point inquiets. Ils ne croient pas sérieusement à la guerre. Sébastiani a dit hier encore à 4 heures de l’un de ces diplomates. Tenez pour certain que le roi n’y consentira pas. Le petit ami est revenu hier une seconde fois très animé, très troublé de tout ce qu’on dit, et de tout ce qu’on lui demande. Je lui ai dit de vous tout dire dans le plus grand détail. Hier soir à 10 heures, M. de Broglie était chez Granville, qui lui a appris tout le tripotage de la journée. M. de Broglie n’en savait pas un mot, et ne voulait pas y croire. Il ne voulait pas croire que le ministère eût pu arriver à ds résolutions aussi excessives. Mais M. de Broglie, me parait être quelque fois un enfant. moi, je suis très très préoccupé de tout ceci pour vous !
Lady Palmerston m’écrit. avec amitié. Sur les affaires elle me dit : " Lord Palmerston désire plus que personne la paix, et je ne puis croire qu’avec ce désir général il y ait crainte de guerre. La conduite de M. Thiers rend toute négociation à présent fort difficile, mais il est clair que l’on serait fort aise de s’accommoder avec la France autant qu’on peut le faire sans déshonneur, et sans abandonner ses alliés. Mon mari est fort raisonnable dans cette affaire et saisirait volontiers tout moyen d’accommodement qui ne porterait point atteinte à l’honneur de son pays, ainsi ne dites pas que c’est de lui que dépend la paix ou la guerre, parce que le résultat est bien plus entre les mains de M. Thiers. Si la France se comporte comme une écervelée ce ne serait point une excuse pour nous d’être lâches ou d’abandonner nos alliés." Elle me dit encore que le duc de Wellington et Peel sont bien plus déterminés encore que son mari, et que Peel a dit : " Si l’on fait des concessions à la France, il n’y aura pas de paix dans trois mois. "

Onze heures
Je reçois votre lettre c’est charmant d’être à Lundi, c’est charmant Mercredi. Mais que faire de l’intermédiaire ? Votre gravure est devant moi dès que je quitte mon lit, tous les jours je trouve la ressemblance admirable. Mais pourquoi ne me regardez-vous pas ? Est-ce le peintre ou vous qui avez voulu cela ? Je ne suis pas sûre que vous ayez eu raison ; c’est parfait comme cela, mais votre regard fixé sur moi, c’eût été mieux encore. Je me repens d’une petite querelle que je vous ai faite hier pour abstenir des nouvelles modernes plutôt que des souvenirs anciens d’Angleterre.
Je me repends de tout ce qui n’est pas des paroles douces tendres ; de loin il ne faut jamais un moment d’impatience même sur ce qu’il y a de plus puéril. compte sur vous. Vous me connaissez un peu pétillante, vive et puis c’est des bêtises.
Mad. 79 se plaint de ce que le bouleau a trop d’intimité avec les personnes qui ne sont pas de l’avis de R. Les journaux ce matin sont bien plats à côté du commérage de la journée d’hier. Le constitutionnel est en bride. L’incertitude ne peut pas durer.
Je ne me porte pas mal, mais je ne suis pas encore assez bien pour voir du monde. Le soir cela me fatiguerait. M. Molé est revenu hier mais je n’y étais pas. Je passe le dimanche à l’ambassade d’Angleterre. Je trouve lord Granville très soucieux. Sa femme est allée avant hier à St Cloud. Elle n’y avait pas été depuis plus de 3 mois. Jamais, elle n’a vu la reine dans l’état d’accablement et de tristesse où elle l’a trouvée.

Samedi 1 heure.
Je n’ai vu personne encore, je viens de marcher sur la place, je rentre pour fermer ni avant les interruptions. Je vous écris des volumes il me semble, mais il me semble aussi que vous les voudriez encore plus gros. Je vous crois insatiable comme moi. Je vous crois comme moi en toute chose, en tout ce qui nous regarde, un peu aussi en ce qui ne nous regarde pas. Enfin je trouve que nous nous sommes tellement eingelebt (Connaissez-vous la nature de ce mot ? ) que nous n’avons plus besoin de nous rien demande,r nous nous devinons. Devinons-nous ce que deviendra ce mois-ci ? Ah pour cela, non !!

Adieu. Adieu. La crise ne peut pas se prolonger. Il faut que la convocation des chambres ressorte de ceci. Adieu. Adieu toujours adieu quoique vous commenciez un peu à le mépriser, et moi peut être aussi. Mais nous sommes trop pauvres pour ne ps accepter les plus petites aumônes. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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430. Londres, Dimanche 4 octobre 1840
Une heure

Nous voilà dans la crise. On dit cela à chaque incident, mais celui-ci est gros surtout par l’effet qu’il doit faire à Paris. Ici on est inquiet. Pas autant que je le voudrais ; pas autant qu’il le faudrait pour qu’on fût sage. On ne croit pas à la guerre. On a le sentiment de sa propre sincérité dans le désir de la paix et dans l’absence de toute intention hostile envers la France. On n’a pas le sentiment de l’état des esprits en France de leurs impressions si vives, de leurs résolutions si soudaines, si on avait prévu, il y a trois mois une telle explosion en France, je suis convaincu qu’on n’aurait pas conclu le traité du 15 juillet. Je l’ai annoncé, répété, rabâché. Mais la prévoyance est ce qui se communique le moins. Et quand on n’a pas prévu, on ne veut pas voir.
Ma situation ici ne me plaît pas. J’ai beaucoup à attendre et peu à faire. On est à merveille pour moi, même ceux qui ne sont pas de mon avis et ne s’y rendent point. Un moment peut venir où je profiterai de cette bonne disposition ; le moment où, ne réussissant pas, en Syrie par les premiers moyens, employés et ne se souciant pas d’aller plus loin, on sentira, la nécessité d’une transaction. J’attends et je prépare ce moment là, quand viendra-t-il ?
On parle de la convocation de nos chambres. Celle du Parlement suivrait aussitôt. Mais, pour moi comme pour le public ce ne sont là que des bruits. C’est maintenant à Paris que se font les événements. Au moins vous me donnez de bonnes nouvelles de vous. Comment s’y est-on pris pour vous écorcher l’épaule ? Il faut que votre femme de chambre ait la main bien lourde. A quoi lui sert donc d’être laide ?

Lundi 2 heures
Trouvez donc un Byng qui vienne à Londres et que je puisse aimer aussi. Je n’ai point de nouvelles ce matin. La convocation des Chambres ! Je crois bien. Politiquement, je la désire. Je sais bien les entraînements publics, la tribune ; mais je sais aussi les entraînements cachés, insensibles, les journaux, les commérages.
Après tout, depuis dix ans, j’ai toujours vu dans les grandes occasions, les chambres favorables au bon parti ; à la raison, au vrai intérêt du pays, et lui prêtant une force qu’il ne pouvait puiser ailleurs. C’est avec les chambres que nous avons lutté contre l’entrainement révolutionnaire, contre les fatuités anonymes de la presse, contre la politique de café. Nous sommes sur le point de rentrer dans la situation de 1831. Avec plus de péril peut-être, et moins d’excuse. Je sais que, pour que les Chambres se rallient à la raison, et la soutiennent, il faut la leur montrer, la tenir constamment sous leurs yeux, la vouloir fermement soi-même et leur en inspirer la confiance. J’espère que cette lumière et cette volonté ne manqueraient pas plus aujourd’hui qu’en 1831, et que si la raison devait succomber ce ne serait pas sans s’être montrée et défendue.
J’ai reçu une longue lettre du duc de Broglie, très judicieuse, et qui me fait croire qu’on ne fera rien de précipité. Vous avez bien raison ; 20 n’a pas de l’esprit tout à fait ; et quand les grands moments approchent ce qu’il en a se trouble et chancelle. Il peut alors se laisser aveugler et entraîner comme un enfant. De son côté 62, très courageux contre le danger, est très timide contre la responsabilité. Il a naturellement beaucoup indépendance et de dignité, peu de pouvoir. Le frêne a beau chercher ; il n’apprendra pas de là ce qu’il aurait, besoin de savoir. Je suis très préoccupé du frêne. Il est très décidé ; mais il ne voudrait pas se tromper sur le moment où doit se placer sa résolution. Deux choses font le succès d’une conduite, son mérite et son à propos. On ne devine pas l’à propos. Il faut le voir. Je voudrais que ma vue s’alongeât plus encore. Je prêterais mes yeux au frêne. Bien décidément j’envie le cottage, j’aime le cottage. Et parlerions-nous quelquefois de tout cela ? J’ai peur que oui. On n’abdique pas sa nature. On ne se fait pas petit, même pour être heureux. Je voudrais pourtant bien être heureux. Qu’est-ce qui vaut une heure de bonheur ? Et quel bonheur ! C’est bien là l’orgueil humain. Je préfère infiniment le bonheur à tout. Je n’aime, à vrai dire, que le bonheur. Mais pour le bonheur, dans un cottage comme dans un palais, je veux à côté de moi, à moi, un grand coeur, un grand esprit, un grand goût, l’intimité d’une grande pensée. Je ne puis pas être heureux à moins, pas cinq minutes. Mais je serais si heureux ? Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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432. Londres, Mercredi 7 Octobre 1840,
9 heures

Voici une lettre d’Ellice. Il me l’a envoyée ouverte en m’engageant à la lire. Il a vraiment de l’esprit et plus d’intelligence continentale et française que presque tous ici. Il a compris, dès l’origine, que, par le chemin où l’on entrait, on en viendrait où nous en sommes. Si tout le monde, avait prévu aussi clair, tout le monde aurait agi autrement. Le vice radical de cette situation, c’est qu’elle n’était pas du tout nécessaire. Aucun grand événement, aucun grand motif européen n’y a conduit. Il y avait, dans un coin de l’Asie, entre un vieux Pacha et un Sultan mourant, une querelle qui laissée à elle-même, serait morte avec eux sans trouble un moment l’Europe. On en a fait une chance de guerre générale. Pourquoi ? Pour satisfaire la passion de lord Ponsomby contre le Pacha et les rêves de Lord Palmerston pour la résurrection de l’Empire Ottoman.
Voilà un courrier. Il ne m’apporte rien, rien du tout. J’en conclus qu’on patauge encore. Le mot est bien à l’image du fait. Je ne veux pas me dire, à moi-même, à quel point je suis impatient. Je vais faire ma toilette, en attendant la poste. 2 heures Certainement non. Jamais trop de feuillets, jamais assez. Vos lettres, c’est mon pain, mon délicieux pain quotidien. J’ai faim avant. Quand elles sont courtes, j’ai faim après. Quand elles sont longues, je suis nourri, point rassasié. Oui nous sommes parfaitement Ninojlubtn, et je sais parfaitement ce que cela veut dire. C’est un mot charmant. Et qui serait encore plus charmant de près que de loin.
La crise de Paris me paraît vive. Je rabâche, car je suis sûr qu’elle est moins vive qu’elle ne paraît. Comme au fond du cœur, presque personne n’a envie de la guerre, pas même les trois quarts de ceux qui la demandent à si grands cris, il est impossible que le fond du cœur n’influe pas sur la réalité de la conduite. On paie les autres d’apparences, et de paroles ; on ne s’en paie pas tout-à-fait aussi aisément soi-même. Cependant un moment peut venir où l’on l’enivre de tant de paroles et si bruyantes. Je n’irai pas avec les gens ivres. La guerre peut sortir de cette situation, et c’est son immense mal. Si elle en sort inopinément, forcément il faudra bien l’accepter, et l’accepter galamment. Mais je crois qu’on peut empêcher qu’elle n’en sorte, et qu’il y faut travailler ardemment. Et toute politique qui poussera, ou se laissera pousser à la guerre ne m’aura pas pour complice.
Probablement, je vous ai déjà dit cela bien des fois. Je rabâche, car je suis très convaincu. Je suis sûr que Thiers se défend contre le vent qui souffle autour de lui si le vent l’emportait, ce ne serait pas une raison pour se laisser emporter soi-même, et pour laisser tout emporter. Il y a encore de la folie révolutionnaire de la folie militaire dans mon pays ; mais aujourd’hui dans cette folie même, il y a plus d’écume que de venin. Et on trouvera toujours, dans le bon sens honnête de pays un point d’appui pour résister. Je pense aujourd’hui, comme en 1831, que pour une guerre juste, inévitable, défensive, la France est très forte, et que l’Europe serait bientôt divisée. Il faut donc que la guerre si elle doit éclater, soit ramenée à ce caractère, et contenue dans ces limites. Et à ces conditions, je suis porté à croire qu’elle n’éclatera pas. Car, malgré la faute très grave que l’Europe a commise en laissant se former, en formant de ses mains, un tel orage pour un si misérable motif, je crois encore au bon sens de l’Europe, et je suis persuadé qu’en Europe comme en France, la bonne politique trouverait de l’appui. Du reste le très fidèle m’écrit ce matin que la bourrasque de dimanche est un peu calmée et que les choses vont moins vite.
Ici, il y a certainement un peu d’inquiétude réelle et un désir sincère de jeter de baume sur les plaies de celte situation, en même temps qu’un parti pris d’exécuter ce qu’on a entrepris, et de ne pas faire acte de faiblesse. On est plus léger avant qu’après. On ne veut pas avoir été léger en paraître intimidé. Mais on n’est pas sans sérieuse appréhension et on a grande hâte d’atteindre le terme du défilé pour se montrer au bout. un peu plus accommodant qu’à l’entrée. Les Ministres se sont dispersés de nouveau. Mais je ne crois pas que lord John Russell, s’éloigne désormais de Londres. J’espère que Berryer et les siens n’espéreront pas trop. Les étrangers, et l’Ancien Régime, la coalition et la contre-révolution, ce sont les deux spectres du pays ; leur vice le pousse à la folie. Adieu. Je ne méprise rien. Je ne me lasse de rien. Je désire tout. Je ne peux me contenter que de tout. Mais j’aime et je goûte toujours avec le même plaisir les moindres portions de ce tout ravissant. Adieu donc aussi tendrement que le jour où adieu fut inventé.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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444. Paris, Mardi 6 octobre 1840
9 heures

Les trois 4 font une drôle de mine et ne font pas honneur à notre intelligence, pour des gens qui ont pas mal de goût à se trouver ensemble. C’est bien bête. J’ai vu hier matin chez moi à la fois l’Autriche, la Prusse, l’Angleterre. Une petite conférence en ressemblant pas du tout à celle de Londres quant aux opinions et aux vœux. Il parait que l’insurrection se ranime en Syrie. Il paraît aussi que les Anglais allaient à St Jean d’Acre. Voilà qui fera une bien autre émotion encore qui Beyrouth !
On dit donc qu’on travaille ici à une sorte de protestation dans laquelle on établirait le casus belli. Mais tout cela n’est-il pas un peu tard ? On est très révolté ici de voir que l’internonce a assisté à la dépossession du Pacha à Constantinople.
Quant à nous je n’ai rien vu de plus modeste, même de plus effacé. C’est très drôle. Tous les acteurs en scène, le premier amoureux seul, dans les coulisses. Je ne crois pas qu’il perd rien à attendre. Mais la comédie est complète. Le soir je voulais aller chez Lady Granville lorsque est venu encore M. Molé et puis mon ambassadeur et Bulwer. Nous sommes restés à quatre jasant toujours de la même chose, et riant même un peu. C’est toujours encore dans ma chambre à coucher que je reste ; et ma porte fermée à tout ce qui ne m’amuse pas tout-à-fait. M. Molé et très curieux de tout, mais au fond il me parait être au courant de tout.
Il disait et Bulwer disait aussi que M. Barrot entrerait au ministère, si les affaires tournent à la guerre. Mad. de Boigne est toujours à Chatenay. M. Molé me l’a répété. Il ne l’a point vu du tout. Molé repart aujourd’hui ou demain pour la campagne. Personne ne parle du procès de Louis Bonaparte. Jamais il n’y eut quelque chose de plus plat. Le petit Bulwer est d’une activité extraordinaire et une relation avec toute sorte de monde, très lié avec Barrot. Il faut que je vous dise que 10 jours après mon arrivée ici j’ai écrit à Paul une lettre assez indifférente lui parlant de ma santé, un peu des nouvelles du jour, rien du tout. J’ai fait cela pour renouer la correspondance sur le même pied qu’a été notre rencontre. Il ne m’a pas répondu. C’est bien fort je ne crois pas que j’aie à me repentir de cette avancée, c’était un procédé naturel mais son silence me semble prouver qu’il ne veut avec moi que les relations de plus strict décorum rien que ce qu’il faut pour pouvoir décemment habiter la même ville que sa mère. Qu’en pensez-vous ? Est-ce comme cela ? Il écrit à Pogenpohl qu’il viendra passer l’hiver ici, cela ne me promet pas le moindre. agrément. Je le recevrai un peu plus froidement qu’à Londres. Son frère est auprès de lui dans ce moment, je l’attends sous peu de jours. 1 heure. Le petit ami est venu me voir, il est presque convenu que ce sera quotidien. Nous devrions beaucoup sur un même sujet une seule personne. Quelle situation difficile et grave, en tout, en tout.
Le chêne n’écrit-il pas trop à 21 ? Il faut qu’il sache bien que ce 21 est plus l’ami des autres que le sien, et qu’au besoin il livrerait telle phrase imprudente on intime de ses lettres. On parle de la présidence de M. Barrot, s’il n’entre pas dans le ministère. Que pensez-vous de cela ? Dans mon opinion qui sera celle de tout le monde, au premier instant les personnalités doivent s’effacer devant une grande circonstance. En y pensant davantage je ne sais que dire. Je suis très perplexe ; et c’est cela qui me fait dire, que tout, tout sera difficile. Cependant les événements viendront au secours des embarras peut-être. Je finis par crainte d’interruptions.
Adieu. Adieu mille fois adieu, que je voudrais vous parler. Ah mon Dieu que je le voudrais ! Ce ne serait ni de l’Orient, ni de la Chambre, ni du ministère. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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447. Paris, vendredi 9 octobre 1840

J’ai vu hier matin mon ambassadeur. Le soir les Granville, où j’ai trouvé Mad. de Flahaut. J’avais fait ma promenade d’habitude dans feu le bois de Boulogne; mon dîner seule, car mon fils dînait dehors.
Je trouve qu’on est généralement rassurer par la convocation des Chambres. C’est quelques semaines de répit. Peut-être pour arriver à pire ! Mais il y a aussi la chance du contraire. Ne faudra-t-il pas la tribune nglaise comme contrepoids ? M. de Broglie est fort consulté et fort occupé. Il s’occcupe toujours avec prédilection d’un ministère qui est son ouvrage, et trouve que la candidature de M. Odilon Barrot pour la présidence est un dévoir de la part du ministère. On dit cependant que M. de Broglie est très inquiet, inquiet de tout, du dehors, du dedans. Il a raison de l’être car tout ceci est bien sérieux. les propos dans le public deviennent atroces. On retourne aux temps où ce n’est pas de l’eau qui coulait sur cette belle place. Vraiment, ma peur vient de bien des côtés maintenant. Je n’ai reçu votre lettre hier qu’à 6 heures.
11. J’ai depuis quelques jours une lecture qui m’amuse beaucoup, c’est mes lettres à mon mari depuis le jour de mon arrivée à Paris. La nouveauté des impressions le jugement quelques fois. correct, d’autre fois un peu léger sur les personnes. Le crescendo, quelques fois le décrescendo de mon goût pour elles, tout cela me divertit à relire. J’essaie de ranger mes papiers, je crois que je n’y réussirai jamais.

Midi
Voici votre lettre qui me plait bien, je suis fâchée de ce mauvais jour qui m’empêche de vous le dire comme je le voudrais. M. de Pahlen a eu un courrier au bout de quatre mois, mais un courrier qui traite de généralités à ce qu’il dit. Il est toujours excellent, sensé, mais bien inquiet. Il pense qu’on va commencer à l’être aussi. Adieu, car je ne vois rien à vous dire ! Comment êtes vous content, ou mécontent de Flahaut ? Adieu très intimement.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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434. Londres, Vendredi 9 octobre 1840
9 heures

Je ne veux dire à personne, pas même à vous, pas même à moi. même, de quelle impatience je suis dévoré. J’attendais un courrier ce matin. Il ne vient pas. Je vois dans les journaux anglais que les Chambres sont convoquées, pour le 28 octobre. Dans vingt jours ! Et d’ici là, que se passera-t-il ? Que va-t-on m’envoyer, me donner à dire, à faire ici ? Je persiste à croire à la paix très décidément. Il faudra encore bien des méprises pour amener la guerre. J’espère qu’il n’y en aura pas assez, de part ni d’autre. Dans vingt jours enfin. J’ai le cœur et l’esprit pleins, pleins ! Quel moment que l’ouverture des Chambres si tout est encore en suspens ! Vous vous porterez bien, n’est-ce pas ? Je n’aurai pas à m’inquiêter sur vous ? Je vous quitte. Je ne puis pas parler.

3 heures
Ma disposition est toujours la même. Je veux pourtant vous parler. On est inquiet ici. Je ne veux pas dire très inquiet. On n’est jamais très inquiet. On est très brave et très en sureté. C’est heureux d’être une grande nation avec l’Océan pour enceinte continue. Mais on redoute réellement, sinon les périls du moins les maux de la guerre. Et puis, on n’a nul goût pour une rupture avec la France ; on tient vraiment à vivre en paix et en amitié avec la France. Cela est profitable et cela a bon air. Les deux grands pays civilisés ; two gentlemen-countries. Et puis encore, au fond du cœur, on aurait honte d’une guerre si peu motivée, amenée uniquement parce qu’on ne l’aurait pas prévue, parce qu’on ne l’aurait pas crue possible. Car si on l’avait crue possible, on n’aurait certainement pas fait ce qui peut l’amener. Voilà la disposition au vrai. Je ne puis pas ne pas croire qu’on peut encore en tirer parti et sortir de cet abominable défilé. Mais, dans les actes et les paroles, la nuance est délicate et indispensable à saisir. En même temps qu’on a envie d’éviter la guerre et de s’accommoder, on est fier surceptible même. Pour rien au monde, on ne voudrait avoir, l’air de céder à la menace. On est, à cet égard, d’une préoccupation presque maladive. Ma principale inquiétude de ce moment est là. De part et d’autre, on a la peau d’une sensibilité prodigieuse. Il y faut des mains de velours. Mains rares, surtout après tant de révolutions, et de guerres.
Avoir raison au fond, et raison dans la forme, c’est beaucoup exiger. Ce sont des moments bien périlleux que ceux auxquels la perfection seule suffit. Et qui sait si la perfection même suffirait ? Je passe ma journée, en alternatives d’inquiétude et d’espérance, situation fort contraire à ma nature qui est portée à conclure, non à flotter et quand elle a conclu, à marcher ferme selon sa conclusion. Par mon instinct je dirai plus par mon expérience, j’ai confiance, grande confiance dans le courage au service du bon sens. Mais l’épreuve peut être bien rude. Et encore je ne vois les obstacles que de loin.
Je désire beaucoup, en me rendant à la session, pouvoir aller prendre ma mère et mes enfans au Val-Richer et les ramener avec moi à Paris. Je respirerais deux ou trois jours l’air de la campagne. Je ferais ce que vous me conseillez et j’arriverais un peu reposé. Car j’arriverai. C’est encore une chose dont je ne peux pas parler. Je n’ai point de petite nouvelle à vous mander. Je me trompe. M. de Brünnow, vient de m’écrire pour me prier d’aller après-demain prendre du thé et jouer au Whist à Ashburnham house. Je ne suis encore entré qu’une fois dans cette maison Ià, et certes pas avec indifférence. Unir à ce point dans le présent et étrangers, dans le passé, cela ne vous semble-t-il pas impossible ? Le comte de Noé est venu me voir il y a deux jours, m’apportant la nouvelle que Mad. Sébastiani était morte, morte à Richmond, au Star and Garter. C’est Mad. Bathiany qui est morte là. Voilà l’ordonnance de convocation, des chambres dans la seconde édition du Morning Post. C’est bien pour le 28. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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433. Londres, Jeudi 2 octobre 1840
9 heures

Mardi est votre mauvais jour. Jeudi est mon jour médiocre. Le mardi, vous m’écrivez plus brièvement ; vous n’avez pas en m’écrivant, le sentiment d’espérance ou de satisfaction qui anime et prolonge l’entretien. Comme nous regardons à tout ! Il n’y a rien de petit pour nous et entre nous. Je dis nous ; vous avez bien raison, tout est pareil entre nous ; nous n’avons rien à nous demander. Nous nous savons. Décidément les Holland partent aujourd’hui pour Brighton. J’ai été leur faire mes adieux hier au soir. Pour huit ou dix jours. Je dis décidément parce qu’on le disait. Ils pourraient bien être encore retenus ou bientôt rappelés. Il y aura peut-être un nouveau conseil de Cabinet après-demain samedi ou lundi. La gravité de la situation se fait sentir et je la fais valoir. On cherche sérieusement un moyen de calmer la France et de se rapprocher. Les plus raides eux-mêmes le cherchent. Il faut le trouver pendant que le traité s’exécute. Il faut se rapprocher au bruit du canon qui vient frapper les cœurs en France, sinon les corps. C’est difficile. Cependant, pourvu qu’on ne fasse pas de folie à Paris, je crois toujours qu’on finira par là. Moi aussi, j’attends la convocation des Chambres. Il faut au moins vingt jours de délai. Cela porte aux premiers jours de Novembre. Du reste, officiellement je n’en sais absolument rien.
C’est le peintre qui n’a pas voulu que je le regardasse. Car, pour vous regarder vous ; il aurait fallu le regarder lui, et tout le monde, et de la même manière. Il a dit qu’il valait mieux ne regarder personne et penser à quelque chose. Moi, je dis à quelqu’un. Pour être vrai cependant, je crois que c’est à quelque chose que pense mon portrait. Grand défaut de ressemblance. Hier soir en revenant de Holland house, j’ai été passer une demi-heure chez Mad. de Björstierna, soirée invitée. Tout ce qu’il y a ici de diplomates grands ou petits, et quatre ou cinq Anglais. J’ai joué au Whist. M. de Brünnow est toujours assez malade, et vraiment très changé. Je l’ai rencontré, il y a trois jours comme je faisais à pied ; le tour de Hyde park, ce tour que nous avons fait souvent le soir en calèche. Il se promenait aussi à pied. Il s’est joint à moi, avec un grand empressement et n’a pas voulu me quitter qu’il ne m’ait reconduit jusqu’à ma porte. On m’écrit que M. de Tatischeff à Vienne, M. de Meyendorff à Berlin, et même vos plus petits agents, dans les plus petits endroits sont remarquablement polis et soigneux depuis un mois avec les agents français, beaucoup plus qu’avant. En savez-vous quelque chose ? Et qu’est-ce que cela veut dire, si cela veut dire quelque chose, ce que je ne crois pas ?
Lord Melbourne est venu hier à Londres. Mais il n’a pas que dîner à Holland house. Il est retenu chez lui par un fort lumbago.

2 heures
Je reviens de Regent’s park. Je marchais dans Portland Place, les yeux baissés. Je les lève et je vois devant moi, assez loin une femme en noir, grande mince, un chapeau blanc, un petit voile, un mantelet de velours noir. Elle a paru me voir au même moment et doubler le pas. Le cœur m’a battu, mais battu ! Comme le sang vous monte au visage. On parle de l’influence du physique sur le moral. Et du moral, sur le physique, qu’en dire ? Pendant quelques minutes, toute ma personne s’est ressentie de cette idée, cette chimère, qui m’avait traversé l’esprit un quart de seconde. Vous avez très bien fait d’écrire à Paul. Vous le pouviez très convenablement après la façon dont vous vous étiez séparés, et dès lors vous le deviez, car vous devez ne laisser jamais échapper une occasion de lui fournir un moyen de revenir de ses torts. J’avais espéré que votre dernière entrevue, amènerait quelque chose d’un peu mieux que le simple décorum extérieur. Je crains bien qu’il ne veuille que cela. S’il vient à Paris, il faudra lui donner ce qu’il veut, et toutes les fois que vous le pourrez avec dignité, lui laisser entrevoir que, s’il voulait, il pourrait avoir davantage. Une humeur très égale, une douceur un peu triste, mais calme et persévérante, finiront peut-être par réveiller dans ce cœur là quelques uns des sentiments qui devraient y être. Comment ne m’aviez-vous pas dit que vous lui aviez écrit ? Le Chêne et le cèdre sont également sages. Ils écrivent, l’un et l’autre, très rarement à 21, et toujours avec une réserve prévoyante. Ce serait une triste et curieuse histoire que celle des rapports du hêtre avec 99, et qui ferait pénétrer bien avant dans les plus fins et plus profonds replis du cœur humain. Les mêmes passions, les mêmes faiblesses qui dominent sans pudeur comme sans combat, dans les natures grossières et basses, pénètrent souvent, par de très longs détours et après, des transformations infinies, dans les natures hautes et délicates. C’est là, dit-on de quoi dégoûter des hommes. Je ne le trouve pas. J’ai rencontré bien des coeurs légers, mais aussi des cœurs fidèles. J’ai vu tomber bien des gens ; j’en ai vu qui sont restés debout. Un seul bel exemple compense et efface presque à mes yeux, des milliers d’exemples tristes. Et là même où le mal se glisse, tout le bien ne périt pas. L’âme peut accueillir de mauvais et petits sentiments, et pourtant rester noble encore.
L’expérience de la vie m’a appris à beaucoup dédaigner et à rester juste. Je suis devenu plus exigeant à part moi, et plus indulgent dans presque toutes mes relations. Je me donne bien moins et je pardonne bien davantage. Et puis pour croire à la lumière, et pour en jouir, je n’ai pas besoin qu’il y ait au ciel des millions d’étoiles ; mon soleil me suffit. J’ai vu plusieurs personnes ce matin. Il me semble que l’inquiétude est réelle ici et va croissant. Hier soir chez Mad. de Björstierna, Neumann me disait, avec quelque componction, que certainement, si l’on avait prévu tout cela, on aurait fait autrement. Easthope sort d’ici, très inquiet, et répétant qu’il faut qu’on fasse quelque chose pour calmer la France. Nous verrons. Cette situation ne peut plus se prolonger beaucoup. Adieu. Que je passerais doucement de longues heures à causer avec vous ! Et les interruptions mille fois plus douces encore que les causeries. Adieu Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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446. Paris, Jeudi le 8 octobre 1840
9 heures

J’ai vu hier Montrond, mon ambassadeur, et le reste de la diplomatie le soir chez Appony. La journée toute guerrière, Appony avait été frappé cependant de trouver Thiers la veille plus découragé que vaillant ; l’esprit très préoccupé. Un homme fatigué, abattu. Vraiment on ne sait pas comment tout ceci peut tourner. Le parti de la paix se renforce cependant, mais le parti contraire est bien bruyant, bien pressé. Le roi est toujours très vif avec Appony, infiniment plus doux avec mon ambassadeur.
Il a fait l’éloge de M. Titoff qui s’est refusé à prendre part à Constantinople, à la dépossession du Pacha. J’ai reçu le petit ami dans la journée. Je suis très frappée de voir que dans le récit de ses longs entretiens avec 1, il soit si peu ou point du tout question du chêne.
Décidément S. n’est pas un ami sincère. Il y a quelque ancienne rancune qui perce. Dites au frênes de ne pas s’y fier tout-à-fait.
Les ambassadeurs sont fort disposés à désirer la convocation des chambres, moi aussi. On dirait cependant que hier rien n’était décidé. J’ai eu hier une lettre de M. de Capellan dans laquelle Il me rend compte des événements de La Haye, et où il me dit qu’il part demain pour Londres pour annoncer à la reine l’avènement de son nouveau roi. Je suis désolées que nous perdions Fagel, son successeur Zeeylen est un désagréable homme. Dites toujours je vous prie mes tendresses à Dedel que j’aime beaucoup, est-il confirmé à Londres ? Pourquoi n’est-ce pas lui qu’on nomme à Paris ?
L’arrivée de ma belle-sœur m’ennuie beaucoup. Sa fille me plait davantage tous les jours. Mais elle a peu d’esprit et elle n’a que deux préoccupation sa toilette, et son mari. Et comme cela, dans cet ordre-là.

11 heures
Je suis enchantée voilà la convocation, et plus prochaine que je ne croyais. Moins de trois semaines. Dites- moi bien, répétez-moi bien que vous viendrez. Ah quel beau jour ! Vous ne sauriez imaginer comme mon cœur est joyeux. Si fait vous le savez, et vous répondez à ce transport. Mon fils va lundi à Londres pour revenir la veille de l’ouverture des chambres. Je ne lui ai pas nommé son frère. On a parlé à Baden de M. de Brünnow et moi ; les Russes en ont parlé, car la petit Hesselrode venu de Londres savait tout. Il n’y a eu qu’une opinion, on l’a blâmée de la vilenie, et encore un peu plus de la bêtise. Cependant, cependant, vous voyez qu’on ne me répond pas. Que c’est bête encore !
Vous ne voyez donc pas du tout M. de Brünnow ? Voici ce que je réponds à lady Palmerston. " Il est assez naturel que M. Guizot aime à parler de préférence avec les gens qui sont de son avis ; mais je le crois assez bien orienté en Angleterre pour savoir qu’il n’y a pas d’autre bénéfice pour lui à cela que le plaisir de la conversation. Il sait fort bien que les gens qui parlent la plus ne sont pas ceux qui mènent."

2 heures
Le petit avec ami me quitte ; nous bavardons, nous bavardons ! Voilà donc que M. Barrot sera porté à la présidence. Vous ne jugerez pas possible sans doute de rester neutre ! Je vous fais la question. J’ai donné au petit les noms français Voilà du monde il n’y a pas moyen de continuer. Je n’ai pas eu de lettres encore aujourd’hui. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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449. Paris, samedi 6 heure le 10 octobre 1840

Voici la copie d’une lettre que ma belle sœur vient de me remettre. Dites-m’en votre avis, je la trouve très mauvaise ; pour bête cela va sans dire, mais dites-moi ce que j’ai à répondre. Je suis fâchée de me fâcher ; ces gens-là n’en valent pas la peine. Je ne puis pas me résigner à me taire, et je ne sais sur quel ton le prendre, ni comment me faire comprendre par des sots. Éclairez-moi et décidez-moi.
D’un autre côté voici depuis cinq ans et demi le premier message de l’Empereur. Il a chargé expressément ma belle sœur de me dire " qu’il espère que je ne l’oublie pas lui non plus ancien ami. " Arrangez cela.
Ma belle-sœur est arrivée de Pétersbourg avec M. Mauguin, recommandée par mon frère aux soins de M. Mauguin depuis le Havre, elle a voyagé dans le coupé de la malle-poste avec M. Mauguin. M. Mauguin d’un signe à écarté les embarras de la douane, « il a fait comprendre qu’il fallait. des égards à Mad. de Benckendorff. M. Mauguin a promis sa protection à ma belle-sœur en car d’émeute ou de révolution, et M. Mauguin a assuré ma belle-sœur qu’il s’opposerait de toutes ses forces à la guerre et qu’il n’y aurait pas de guerre. Mon frère a eu de longs entretiens avec M. Mauguin, et lui a fait comprendre toute la politique de l’Empereur dont M. Mauguin est émerveillé et M. Mauguin est converti !
Je viens de vous raconter une demi-heure de ma matinée, après cela le bois de Boulogne, et puis lord Granville chez moi. Appony avant le promenade rien de nouveau une partie du Cabinet très disposée à la guerre. Je vous écris aux bougies c’est mauvais pour mes yeux, je vous quitte.

Dimanche 11 octobre. 9 heures
Je me suis levée avec quelques nouvelles idées. Si je ne prenais acte que du message de l’Empereur et que je traitasse mon frère de sot, qu’en pensez-vous ? Ce qui est bien certain, c’est que l’à propos de ce message n’est pas insignifiant. Dans ma réponse à mon frère je l’exalterai fort, et je rapetisserai, le valet de tout ce que je grandirai le maître. Approuvez-vous. ? Dans tous les cas mon frère aura le détail des vilainies de M. de Brünnow. Mais dois-je insister sur une satisfaction ? Voilà ce que je vous demande.
Je vous demande une autre chose ; dois-je écrire comme ci-devant Savez-vous que je le ferais avec infiniment de plaisir si j’écrivais droit à l’Empereur. C’est mon frère contre qui j’ai de la rancune. Enfin dites-moi, ce que j’ai à faire. Rien du tout, n’est pas possible.
J’ai dîné seule et puis j’ai été aux Italiens. J’avais dans ma loge Mad. de Flahaut, les Pahlen et Hennage. M. de Werther y est venu. Tout le monde hier était à l’espérance tout le monde croyait que dans les deux pays, on désire et on travaille sincèrement à un arrangement. Voilà le vent d’hier ne sera-t-il demain, aujourd’hui ? Certainement la situation de Thiers est pleine de difficultés, moins de périls ; on le pousse, pourra-t-il résister ?

Onze heures.
Voici votre lettre. Vous venez d’apprendre la convocation. Cela vous a écris comme moi. Que des choses réunies dans cette convocation ! Quel moment pour nous ! Vous avez raison, on ne peut pas parler. Il y a trop trop dans ce fait. Il est immense pour nous. Serez-vous content de ce que vous a porté M. de Lavalette ? le public ici est bien curieux de le connaître. Le petit fidèle croit savoir que c’est une platitude. vous prêteriez-vous a une platitude ? Je suis dans une grande anxiété.

Midi.
Je viens de voir le petit. Je l’engage à vous écrire sans cesse la nuit et le jour, il fait que vous soyez informé de tout car tout à de l’importance.
Adieu. Adieu, bientôt quel adieu !

Les diplomates disaient hier que la France veut quelque chose. de plus que le traité, quelque chose de plus grand comme la tête d’une épingle. Mais enfin quelque chose. Cela va peu avec ce que dit le petit mais on vit ici dans un cercle de confusion et de contradictions. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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435. Londres, Samedi 10 octobre 1840
8 heures

Il est impossible que je n’aie pas un courrier ce matin. Il m’apportera sans doute la note qui a dû être adoptée dans le conseil de Mercredi. Si elle est rédigée avec mesure et habileté, elle peut ouvrir la porte à un arrangement, car on cherche une porte. Si elle a un caractère de défi et d’intimidation, elle aggravera le mal, car c’est sur ce point que, dans ce moment, les imaginations ici sont excitées et susceptibles. Il y a un an, on se promettait tout haut to bully in la France. Aujourd’hui, ce qu’on craint, c’est d’avoir l’air lo be bullied in par la France.
Que les hommes ont peu d’esprit ! S’ils voyaient les choses, s’ils se voyaient eux-mêmes comme ils sont réellement que de querelles tomberaient avec les méprises ! J’espère que la note sera bien. Je suis certainement très perplexe, mais perplexe sur les événements, pas du tout sur moi- même. Je n’ai pas la moindre hésitation de jugement et de conduite. Mon avis est arrêté, mon chemin tracé, mon parti pris. Jamais ma devise ne m’a paru plus vraie et plus commode. Un brouillard, ce matin comme je n’en ai pas encore vu à Londres. J’aperçois à peine la grille de ma cour. Un brouillard, d’un blanc jaune fade. Un petit soleil rouge-pâle, collé sur le ciel comme un pain à cacheter. Je ne sais comment les gens s’en tirent dans les rues.
A Paris on parle encore, on s’appelle, on s’avertit. Ici toujours le silence dans la foule et le mouvement. Comme je ne vois rien, de même je n’entends personne. Je suppose qu’on se heurte beaucoup et qu’on reprend son chemin, sans se rien dire. Il faut que la vie sociale soit une bien bonne chose pour se maintenir si forte et si active entre des gens qui y prennent si peu de peine et si peu de plaisir. Hier soir Neumann, Pollon, Moncorvo, Celto, Van de Weyer, Schleinitz. Et parmi les petits, s’il y a des grands, tous les secrétaires et attachés de l’Autriche. Koller Esterhazy, Lebzeltern, avec une intention marquée d’empressement.
Ce soir à Ashburnham house, j’engagerai M. de Brünnow à venir. Je ne l’avais pas encore fait. Dedel est venu le matin. Nous avons beaucoup causé. Il regrette son vieux Roi. moi, je trouve sa proclamation (au Roi) admirable. Grave simple et résolue. On n’a jamais abdiqué plus galamment : " Je suis fatigué. Et puis la façon dont on me demande à présent de gouverner ne me convient pas. J’ai consenti à ce qu’on désirait. Mais pour le pratiquer, il faudrait changer mes habitudes. Je suis trop vieux. " On dit qu’il n’épousera pas Melle d’Outremont ; qu’après un voyage à Berlin, il reviendra vivre à Harlem, dans un joli pavillon qui lui appartient. On donne pour preuve du non-mariage, qu’il garde auprès de lui toutes les dames de la feue Reine. Moi, je parie pour le mariage.

Une heure
J’ai eu mon courrier et cette note dont je crois que le résultat, sera pacifique. J’ai écrit sur le champ à lord Palmerston pour lui demander à le voir avant le conseil. Il doit revenir ce matin de Penshänger. Cette absence perpétuelle n’est pas commode. Oui certainement je serai à Paris au début de la session. L’adresse ne peut pas se discuter sans moi. J’ai besoin d’y être, pour mon compte autant. qu’on a besoin que j’y sois pour le compte de la discussion. Je vous ai dit hier mon projet, quelques jours au Val-Richer, puis Paris. Paris ! Je vis depuis le 6 septembre, dans une cruelle anxiété sur le moment où j’irai à Paris.
Vous avez raison ; on devrait ne jamais accepter la moindre illusion. Mais cela ne se peut pas. On ne s’avoue jamais, sur ce qu’on désire ardemment toutes les difficultés, tous les doutes. Je dis les doutes parce que c’est là le vrai. Quand nous nous sommes séparés, le moment possible de mon retour à Paris était douteux, et nous aurions dû nous le dire. Mais nous ne nous serions pas arrêtés dans le doute. Nous aurions tenu le mal pour certain, et nous ne voulions pas. Ne dites rien, je vous prie sur M. O. Barrot. A part moi, je suis très décidé. Mais je ne sais pas à quel moment je placerai la publicité de ma décision, ni quel degré de publicité je lui donnerai. Si le Cabinet doit tomber, je veux être absolument étranger à sa chute aux revers qui amèneront sa chute. Bien rester dans ma ligne à moi, et m’y trouver bien debout si les événements viennent m’y chercher voilà à quoi je m’applique. Je ne veux pas faire les événements qui pourraient venir m’y chercher, ni qu’on puisse seulement supposer que j’ai voulu les faire. Vous avez très bien répondu à Mad.12
Adieu. Adieu. Je tourne le dos à ma gravure. J’en suis même de loin, à l’autre bout du Cabinet. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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437. Londres, lundi 12 octobre 1840
2 heures

Vous ne serez pas contente de ma lettre d’aujourd’hui. J’ai bien peur qu’elle ne soit courte, et vide aussi. J’ai travaillé toute la matinée. Je viens de chez lord Melbourne. J’irai tout à l’heure chez lord Palmerston. Bien des choses et bien des gens se remuent. Nous verrons le résultat. Je suis las d’attendre et de prédire. D’attendre surtout, car pour prédire, je n’en ai pas abusé. Je parie encore pour beaucoup de longueurs. Comme toujours, on est plein ici de présomption et d’illusion Parce qu’on a bombardé Beyrouth et débarqué 6000 Turcs, on se croit maître de la Syrie. Des renseignements, qui méritent au moins autant de confiance que ceux dont on se prévaut, me donnent lieu de croire qu’eût-on fait partout, sur le littorab, ce qu’on a fait à Beyrouth, on ne serait pas si avancé, tant s’en faut. Ibrahim et Soliman-Pacha se promettent de tenir très ferme dans l’intérieur, et de faire durer la guerre. Napier lui-même dans ses rapports officiels donnés à Ibrahim 120 000 hommes.
En vérité jamais plus de passions, n’ont été excitées, et de hasards courus pour un si mince motif. Hier soir à Holland house. Nous sommes de mieux en mieux. Lady Holland et moi. Il y a quelque temps, elle m’a demandé, la gravure de mon portrait. Je la lui ai envoyée hier. Elle a été charmée. J’ai envie qu’on me mette dans l’escalier au dessus de vous. J’y dîne aujourd’hui. Ils ne retournent pas à Brighton. Il y a conseil de Cabinet Jeudi.
J’ai fait connaissance hier avec lord Ebrington, qui a l’air d’un bien bon et honnête homme. Il arrive d’Irlande et me paraît fort peu préoccupé du bruit pour le repeal. Il y a bien du bruit partout. J’ai de très bonnes nouvelles du Val-Richer. Mes enfants, deux surtout ont été assez longtemps languissants, après la jaunisse. Ils sont très bien à présent. J’espère toujours aller les prendre et les ramener avec moi à Paris. J’aime bien 448.
J’aime bien vos inquiétudes, vos ombrages, vos susceptibilités. Je m’explique bien des choses, quelques unes tristes, toutes bien petites. C’est dommage. Mad. 62 avait plus de grandeur que 20. Il a le cœur élevé rien de grand. Quant à 1, il s’ignore beaucoup lui-même comme il ignore les autres. Je répète à son sujet, ce que je disais l’autre jour, à propos de 99, mais dans un bien moindre degré. Que Dieu me garde quelque chose de complet et d’immuable ! Je supporterai sans la moindre humeur les imperfections et ces vicissitudes, des relations humaines. C’est bien solennel ce langage là ; pas plus solennel que les sentiments qui me fait parler. J’ai vu que votre belle sœur avait fait route de Pétersbourg au Havre avec Mauguin. Il lui aura dit d’étranges choses. Il a assez d’esprit pour faire croire à ceux qui n’en ont pas, qu’il en a beaucoup. J’ai été dérangé deux fois en vous écrivant. Il faut que je sorte. Adieu Votre adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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451. Paris, mardi 13 octobre 1840
9 heures

J’ai à peine dormi trois heures cette nuit, je ne sais pas pourquoi, si ce n’est que je n’ai pas été au bois de Boulogne hier. Ma belle sœur m’a retenue chez moi et puis des visites à faire. J’ai vu le soir les Appony et les Granville, chez eux respectivement lord Granville avait vu M. Thiers le matin, il avait de ses nouvelles après votre entretien avec lord Palmerston samedi, mais il lui a dit que vous ne lui mandez rien d’ici pourtant ; de sorte que Granville n’osait rien. Les fonds ont monté beaucoup hier, il faut que ce soit sur des nouvelles. de Londres, mais la diplomatie les ignore tout-à-fait. Le roi a reçu Brignoles dimanche au soir et lui a fait subir le même accueil qu’à Fleishmann c’est-à-dire des tirades violentes contre le traité, violentes de paroles et violentent de gestes de façon à épouvanter l’Italien comme l’avait été l’Allemand.
J’ai vu Brignoles hier qui n’en revenait pas. Le roi lui avait semblé très belliqueux, très irrité, très inquiet et il relevait de son discours que c’était une guerre agressive qu’il se voyait à la veille. d’entreprendre. Montrond est venu chez moi le matin, un peu le contraire, ton à la paix, disant que le roi la croyait sûre. Qu’il était très contente de Thiers. Thiers est très peu accessible depuis une huitaine de jours toujours à Auteuil, il cherche à s’effacer pour le moment.
Mes ambassadeurs n’y ont pas été et par conséquent ils l’ont point vu depuis plus de huit jours. Montrond me disait : " Voilà M. Guizot collé à Londres et collé à Thiers n’est-ce pas ? Je n’ai pas répondu à n’est-ce pas, je ne réponds jamais que de moi-même.

1 heure.
Le journal des Débats est très inquiétant ce matin, et le National très épouvantable. Tout le monde dit : s’il y a guerre, il y a par dessus le marché trouble à l’intérieur. S’il n’y a pas guerre, il y a surement trouble à l’intérieur. Quand ce serait vrai, il vaut mieux le mal simple par le mal double. Mais est-il possible qu’on soit condamné à voir cela ? Je suis mal disposée ce matin, j’ai peur, c’est sans doute parce que Mardi je n’ai rien pour me soutenir. J’attends demain avec grande impatience une grande curiosité. Mon fils est parti pour Londres, ce matin, je ne lui ai pas nommé son frère.
Adieu. Adieu que verrons-nous arriver dans le monde ? Je vois bien noir. On laisse trop aller le mal, pourra-t-on le maîtriser ?
Adieu, toujours le même adieu, à travers la guerre les émeutes. Ah mon Dieu ! Marion est animée, elle est venu me voir ce matin, bien gentille et bonne comme de coutume. Mon fils la trouve charmante mais voilà tout. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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450. Paris, lundi 12 octobre 1840
9 heures

C’est à présent que j’ai de la joie à voir s’écouler les jours ! Regardez dans votre cœur et voyez tout ce qui se passe dans le mien. C’est cela ; tout cela, et peut être plus que cela. La journée hier a été très à là paix. Toutes les nouvelles, tous les symptômes étaient à cela. M. de Werther, Granville surtout et même les petites gens, Flahaut & &. J’ai fait ma promenade vers Boulogne. J’ai été rendre visite à Mad. Rothschild qui est dans une angoisse inexprimable sur les affaires. Son mari était à Ferrières. J’ai dîné avec mon fils. Le soir j’ai été un moment chez les Granville, un autre moment chez Mad. de Flahaut et à 10h 1/2 dans mon lit.
Je suis de plus en plus mécontente de S.. Il voudrait tout arranger pour la plus grande commodité de M. Il ne s’embarrasse guère dans cet intérêt d’aplatir le bouleau. Tous les propos de F. sont dans ce sens, et si forts qu’on m’a dit que la violette hier était sur le point de se fâcher. D’un autre côté 62 fait tout au monde pour retarder l’arrivée du peuplier.

11 heures
Voici votre lettre. Je suis bien contente de vous voir bien augurer du résultat de la note. Que Dieu vous accorde le bonheur de voir tout ceci s’arranger pacifiquement. Je suis charmée de tout ce que vous me dites sur votre propre compte.
Moi, je n’ai qu’un avis, un avis grave à donner c’est celui-ci. Si vous n’êtes pas à Paris dès le 28, vous ne pouvez être ce jour-là qu’à Londres. J’avais écrit deux longues pages de développement sur cela, j’aime mieux abréger, ceci vous suffit. J’ai vu le petit ce matin, et puis je viens de me rafraîchir sur la place.
Que de choses à dire, à demander, à commenter. Que les heures de bavardage seront charmantes. Elles se présentent tellement comme cela à mon imagination que je me ravis déjà aujourd’hui que vous dire sur ce pauvre papier. Mais dites-moi bien que vous croyez à la paix, qu’elle est sûre.
Depuis hier je commence à y croire, sans oser presque me l’avouer Mardi demain, c’est affreux ; j’ai si besoin de savoir tous les jours un mot consolant.
Je n’ai pas de nouvelles, je ne sais rien, on attend des dépêches télégraphiques sur l’Orient. Elles tardent bien. Le ton des journaux ministériels est bien doux presque timide. Le journal des Débats fait des articles très habiles, c’est qu’il est libre. An fond c’est la condition de pouvoir, de ne pas l’être.
Selon moi il n’y a de Val Richer possible qu’avant le jour de la convocation, pendant ce jour-là impossible. Voilà une et deux interruptions. Pardonnez, pardonnez. Adieu. Adieu. Ecrivez moi. aimez moi (quelle bêtise !) et arrivez. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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453. Paris Jeudi 15 octobre 1840

J’ai reçu hier après 3 heures les deux lettres de dimanche et lundi votre bonne intention de dimanche n’a été remplie que tard comme vous voyez. Mais mon cœur la compte, je vous en remercie beaucoup beaucoup. Eh bien je vois qu’on a été content de la note, et je vois cependant que cela va encore traîner. Toujours traîner. Ah mon Dieu ! Il est évident qu’on attend vos réponses.
J’ai beaucoup causé avec ma belle sœur, elle est bien peu de chose, mais enfin elle sait et elle se souvient elle se souvient donc qu’il n’y a pas quelque jours aujourd’hui, on ne rêvait pas à la guerre on ne la voulait pas ; elle est très surprise de tout ce qu’elle entend ici. Le mémorandum de Thiers est fait avec un grand talent. Cela se lit et se comprend parfaitement, et je conçois qu’ici il fasse un excellent effet pour le gouvernement et qu’au delà de la manche il a porte également la conviction dans beaucoup d’esprits. Mais nous autres ses visiteurs d’hier matin nous n’en sommes pas contents. Appony dit que tout ce qu’il dit de l’Autriche est faux. M. de Pahlen dit qu’on est bien près de se battre quand on parle ainsi de la Russie. Et il s’attend a quelque contre coup fâcheux de chez nous. En effet voilà des aveux difficiles. Il y a une forte différence entre penser les choses, et les dire ! Nous savons bien que tout le monde pense cela de nous mais aucun gouvernement n’a encore proclamé cette pensée. La France le fait.
Pensez un peu à cela, ne trouvez-vous pas que M. de Pahlen a raison. J’ai eu un long entretien hier avec ma belle sœur. Elle est d’avis d’une forte démarche de ma part contre M. de Brünnow. Elle est d’avis que je raconte tout en détail ma lettre est faite, j’attends votre conseil. J’insisterai sur une réparation. Elle m’a dit de drôles de chose.
L’empereur a toujours de la colère quand il est obligé de reconnaître que j’ai un peu d’esprit. Cela le dépite. J’ai été à une soirée chez Mad. Appony hier. La diplomatie est triste et inquiète. A propos Appony n’a plus été chez M. Thiers depuis 10 jours, et ne compte y aller que lorsqu’il aura eu un Courrier de Vienne. Mon ambassadeur n’y a pas été non plus depuis tout ce temps. Si bientôt les choses ne prennent pas une bonne tournure, elles ne prendront une bien mauvaise. Appony trouve que la question a fait un progrès sensible en ce qu’elle est très simplifiée mais aussi c’est bien plus grave, et la guerre ou la paix est à la porte, il n’y a plus de faux fuyants possibles. il y a des gens qui disent que s’il faut la guerre au bout de tout cela, il vaut mieux l’accepter tout de suite. Quand la France sera bien en mesure de la faire les alliés pourraient bien n’être plus aussi unis. Aujourd’hui ils tiennent ensemble et la France n’est pas suffisamment préparée.
Cependant il me parait clair aussi que nous (alliés) nous ne la commencerons pas, et que ni d’une part, ni de l’autre il n’y a de véritable bonne raison pour la commencer. Quelle mauvaise bagarre que tout ceci ! Que le ciel nous en tire, car les hommes ne paraissent pas devoir nous en tirer. Quand viendrez-vous quand me pourrez-vous venir ? On dit que tous vos amis sont d’opinion que vos devoirs à Londres sont un prétexte et même une raison suffisante pour vous dispenser de vous trouver ici à l’élection du président.
J’attends avec impatience ce que vous déciderez. Je n’ai point d’opinion là dessus. Je désire que rien n’aggrave l’embarras de la situation que rien ne gâte la vôtre. Je fais des vœux pour l’ensemble, je fais de bons vœux pour vous. Voilà où j’en suis. bien incertaine sur les moyens de concilier tout.

1 heure
Le petit sort d’ici ; tout ce qu’il me dit est bien grand pour le Cèdre. Le cœur me bat bien fort. Qu’est-ce qui ressortira de tout ceci ? L’heure de la décision à prendre va sonner. Ah mon Dieu. Adieu. Adieu. Mon cœur est aussi inquiet qu’il est tendre, qu’il est fidèle, qu’il est passionné. Adieu.
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