Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Darcy, Hugues-Iéna (1807-1880)
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[...] J'ai lu votre 3e volume avec l'émotion passionnée que vous savez. Mais je ne suis pas sûr que M. Th. accepte ce que vous avez dit de ses traditions et de son milieu politique, du même de son initiative en matière de lois de répression. (p. 290 et 245). Je crains aussi que M. de Broglie ne soit pas franchement satisfait d'avoir été moins habile qu'il n'aurait pu l'être avec la chambre, le Roi, m. de Talleyrand et M. de Metternich. (p. 328, 333 &) mais il est vrai que si les mémoires contemporains n'étaient que des cassolettes de parfum, si la vérité, même voilée et discrète, n'y pouvait trouver place il n'y aurait pas de mémoires possibles. [...]

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 27 oct. 1852

Il était difficile de croire que l’insignifiance des journaux pût augmenter. Elle augmente pourtant. Le voyage du Président les animait un peu. Les cérémonies de l'Empire seront quelque chose, pas longtemps. Tant que la peur du socialisme et la prospérité de la Bourse dureront, ce sera bien. Mais après ? On arrive toujours à ce mot là. On dit ici que le suffrage universel sera convoqué pour le 21 novembre. On n'y pense guère, mais on votera. Je ne crois pas à une diminution considérable du nombre des votes.
Certainement Chasseloup ne donnera pas sa démission. Il est de ceux à qui le régime parlementaire convenait le mieux ; toujours un peu dans l'opposition, sans les efforts et les périls de la résistance. Aujourd’hui, l’opposition serait trop sérieuse. J’ai plus de doute sur Montalembert. Pourtant je n'y crois guère. Annonce-t-on toujours son ouvrage ?
Les états italiens ne savent ce qu’ils font pas plus la Toscane que Naples d'hommes gens condamnés aux travaux forcés pour avoir lu la Bible dans leur maison, avec quelques uns de leurs amis. Cela n’est pas de notre temps parlementaire ou non, pas plus que la torture. Ce qui est déplorable, c'est qu'on use ainsi en sottises la réaction d’ordre à ce moment-ci, et qu’on amènera une réaction, en sens contraire dont on ne saura comment se défendre. Les hommes sont bien sots quand ils ne sont pas bien fous.

Onze heures
Lord Minto a raison de se tenir pour fini. Adieu, adieu. J’espère que vous n'avez pas eu cette nuit l'épouvantable vent qui m’a réveillé trois ou quatre fois. Vous n'auriez pas dormi du tout. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 25 Septembre 1852

J'ai demandé hier au nonce des détails sur l’entrevue à Rome. Les journaux sont bien renseignés. Cela s’est passé comme cela. Quelle impertinence ! Exiger les dossiers pour se faire juge d'une affaire jugée par un [gouvernement] étranger. Je suis bien aise du fiasco. J'ai une lettre de Meyendorff que je vous enverrai quand je l'aurai bien déchiffrée. Le [général] de l’Etang envoyé d'ici a dîné chez Buol avec la Duchesse de Parme. Elle a été charmante pour lui. J'ai revu hier le duc de Noailles. Il a été cause que je vous ai quitté si brusquement. Il est très décidément pour la léthargie. Vous voyez que le voyage est fabuleux. Grenoble et Valence dépassent tout ce qui a précédé. La [grande duchesse] de Mecklembourg est venu hier me faire visite. Grande politesse car je n’y ai pas même été par carte ni rendu visite à sa fille. C'est une bonne femme, animée, en train, curieuse. Mais trop shy pour venir dans mon salon. Je crois que l'absence de Kisseleff sera bien courte. Adieu et adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 19 Oct. 1851

Mes visiteurs d'hier étaient assez curieux à observer. A peu près tous des Elyséens sensés. Il sont tristes et déconcertés de ce qui se passe, mais pas troublés au point de croire leur partie perdue, et de renoncer. Ils disent que le Président n'ira pas jusqu'au bout, qu’il s’arrêtera ou qu’il reviendra à temps, qu'il n'abandonnera pas définitivement le parti de l’ordre, qu'il est encore la meilleure garantie de l’ordre, &. Ils ajoutent que tous des mouvements parlementaires restent inconnus ou indifférents à la masse des paysans qui sont toujours décidés à voter pour Louis Napoléon que la candidature du Prince de Joinville ne gagne ici point de terrain, plutôt le contraire, deux choses seulement les ébranleraient tout-à-fait ; si le président. prenait décidément ses ministres et la politique à l'entrée de la Montagne, obligeant ainsi le parti de l’ordre en masse à devenir opposition ; si des lois pénales étaient rendues dans l'Assemblée contre la réélection du Président. Ceci pénétrerait jusqu'aux paysans et arrêterait beaucoup de votes. Dans cette hypothèse, à laquelle ils ne croient pas, quelques uns vont au Prince de Joinville. D'autres, les plus intelligents pensent à Changamier, beaucoup disent que le Président des rouges l'emporterait et ont peur.
Sur la loi du 31 mai, à peu près tous désirent les modifications dont il était question avant la crise et blâment beaucoup le Président de ne s'en être pas contenté. Voilà mes observations. Décidément ce pays-ci est sensé. Si toute la France, lui ressemblait, il n’y aurait pas grand chose à craindre. On dit cependant que le département de La Manche se gâte un peu. Toujours, dans la masse des paysans même méfiance et même antipathie envers les légitimistes.
Je regrette que Kisseleff n'ait pas dîné à St. Cloud avec les dames Russes. Il est bon observateur. Je suis curieux de savoir jusqu'à quel point le Président est confiant ou troublé.
Pendant que nous remettons ici tout en question, l'Europe est tranquille et se reconstitue. Je suis frappé du contraste. Quand l’Assemblée sera réunie, on devrait bien faire ressortir ce fait pour faire sentir à la France sa jolie et poser sur les honnêtes gens. Si le Président. changeait réellement de politique, l’armée Française quitterait Rome, et ce serait un petit ébranlement. Mais l’Autrichienne y entrevoit tout de suite. Je ne crois pas aux Italiens. Pourtant il y a encore là des volcans et des tremblements de terre.
A propos d'Italiens, avez-vous été à leur rentrée ? Je n'ai pas regardé dans les journaux si elle avait été brillante. Cela ne vous fera-t-il pas coucher trop tard le samedi, veille du Dimanche ?

Onze heures
Mes impressions d’ici ne sont pas en désaccord avec ce que dit M. Fould de la confiance du Président. Quand l'Assemblée sera là, ce sera autre chose. On a beau en mal parler. Sa présence réelle agit et sur le public, et sur le président lui-même. Nous verrons. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 29 Sept. 1851

La réponse du gouvernement Napolitain à Gladstone a un grand mérite ; c'est d'être envers lui non seulement polie et mesurée, mais juste et vraie. Elle le voit tel qu'il est réellement. Cela importait beaucoup pour l'effet en Angleterre, où Gladstone est honoré avant la réponse napolitaine, la présomption dans les esprits en Angleterre, était certainement pour lui ; après la réponse, elle sera probablement contre lui ; il est clair que le gouvernement napolitain le juge lui-même, avec beaucoup plus de sang froid et d’équité qu’il n’a jugé le gouvernement napolitain.
La Préface est donc bonne. L'ouvrage est trop long, trop chargé de phrases, de développements moraux ou presque oratoires ; j’y voudrais plus de faits, des faits plus serrés et plus précis. Il y en a quelques uns qui sont positifs et concluants, comme le nombre des prisonniers politiques, le nombre des accusés dans le dernier grand procès, la suppression des cachots souterrains & & & Je regrette qu’il n’y en ait pas davantage. Il fallait prendre simplement, textuellement, toutes les assertions de Gladstone, et mettre en regard la dénégation, ou la rectification et même quelquefois, s'il y avait eu lieu, l'admission de la réalité de tel ou tel abus, comme il y en a dans les gouvernements les plus doux et les plus attentifs. C’était, je crois, le plus sûr moyen de faire effet. Du reste, je n'ai encore lu que la première partie de la réponse, dans les Dodah, et à tout prendre, elle est bonne.
Le discours aussi de Palmerston est bon ; bon pour lui et habile, comme vous dites ; très mauvais pour le continent. C'est plus que de la malice simple, c’est de la malice perfide. Il tourne à la gloire de l'Angleterre les troubles du continent, passe ; mais il fait servir le bon état de l'Angleterre à fomenter les troubles du Continent, car il à l’air d'attribuer ces troubles à l'absence des libertés politiques, c’est-à-dire à l’entêtement ou aux fautes des gouvernements, et pas du tout aux jolies ou aux crimes des révolutions. C’est précisément ce qu’il y a de plus propre à encourager les révolutionnaires et à affaiblir les gouvernements. Je doute que Palmerston lui-même se rende bien compte du mauvais effet de ses paroles et les dise avec toute la mauvaise intention qu'elles semblent contenir ; mais des mauvais instincts lui suffisent et il répand son venin, sans dessein arrêté et réfléchi d'empoisonner.
Montebello a très bien fait de dire à Léon Faucher ce qu’il lui a dit sur le mot d’ordre que le gouvernement devait donner dans les élections, et il faut faire arriver cette idée de tous côtés. Non seulement elle est très bonne pour le succès électoral ; mais elle efface les anciennes classifications, les anciennes dénominations des partis, et en introduit de nouvelles qui laisseront aux hommes sensés beaucoup plus de liberté et les aideront à chasser de l'esprit des masses les anciennes préventions.

11 heures
Vous avez raison sur Gladstone. C'est bien dommage que des gens d’esprit et d’honnêtes gens soient ainsi des sots. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 12 sept 1851

J'ai reçu hier une singulière lettre de Barante, un long plaidoyer en faveur de la candidature du Prince de Joinville. Le plaidoyer lui est, je le parie, venu de Claremont, par la voie des d’Houdetot. C'est une tentative indirecte pour me détourner de mon opposition. J’ai reconnu les raisonnements et presque les paroles de la conversation de Jarnac. On est de mon avis sur la fusion, seul dénouement qui n'aurait point le caractère révolutionnaire On me promet que de tous les présidents possibles, le Prince de Joinville sera le plus disposé et le plus propre à accomplir cette œuvre-là. On me fait observer qu'il ne peut s’y engager expressément, car il diminuerait beaucoup les chances de son élection, et peut-être même celles de la réussite du projet définitif. On espère que sa candidature n'appartiendra pas seulement " à ce funeste tiers-parti qui recommencerait, pour la servir, alliance des banquets. "
On se demande, et on me demande pourquoi les légitimistes, ne se joindraient pas à ce mouvement, dont ils feraient leur profit qui serait aussi le nôtre ; alors la fusion porterait de bons fruits et beaucoup de gens qui n’en sont pas viendraient s’y ranger. " En même temps qu'il me transmet ces arguments, Barante ne se soucie pas que je le prenne tout à fait pour une dupe, car il ajoute : " Ce ne sont point là mes espérances ; mais si j'en avais, elles s’attacheraient à cette branche de salut. "
Je me rappelle en ce moment que les Anisson aussi étaient à Claremont il y a quinze jours. La commission est probablement venue à Barante par cette voie-là. Je lui répondrai sérieusement et innocemment en lui expliquant bien pourquoi je suis convaincu que M. le Prince de Joinville, voulût-il la fusion, ne serait pas en état, s’il devenait président, de résister à Mad. la Duchesse d'Orléans, à Thiers et au courant révolutionnaire qui n’en voudraient pas.
Mes arguments ne réussiront pas mieux par la voie détournée qu’ils n'ont réussi par la voie directe, et que ceux qu'on m'envoie ainsi de nouveau ne réussissent auprès de moi. Mais on verra encore que je suis bien décidé, et que si on persiste, il faut se contenter d'être le candidat de ce funeste, Tiers-Parti recommençant l'alliance des Banquets.
Butenval a fait sa diplomatie avec vous. Adoucir l’Autriche quant au Piémont et l'inquiéter sur une explosion probable du reste de l'Italie. Petite manière d'avoir l'air de protéger un peu les pauvres libéraux Italiens. Je déplore la situation de la France en Italie. Elle n’y sert ni la cause de l'ordre européen, ni celle de sa propre influence. Elle pouvait tirer grand parti de l'expédition de Rome pour l'un et l’autre dessein. Elle ne fait que dépenser là son argent, pour une vaine apparence de pouvoir. C'est une politique aussi puérile que celle de Palmerston est perverse.

10 heures
Votre lettre est très intéressante et vous avez l’air moins fatiguée. Je vous vois quand je vous lis. Si la correspondance du Times, empêche Thiers d'aller à Londres, c’est un second service qu’elle rend.
Je suis trop loin pour prendre exactement la mesure de votre envie de renouveler vos meubles. Car votre envie est la seule bonne raison de ce renouvellement. Je ne crois point à un bouleversement, ni avant 52 ni au printemps de 52. Le péril à mon avis n’est pas grand, et si votre plaisir à avoir un meuble neuf doit être très vif, ayez un meuble neuf. Plaisir à part comme on ne peut pas dire qu’il n’y ait point de mauvaise chance du tout, et comme votre mobilier est encore fort convenable, il est plus sage d'attendre. Conclusion : si c'était moi j'attendrais. Pour vous, je ne puis pas décider ne sachant pas au juste quel plaisir vous aurez à regarder un meuble neuf ; et quel déplaisir à voir encore le vieux. Adieu, Adieu.
Mon adresse à Broglie sera : chez le Duc de Broglie à Broglie. Eure. Adressez-moi là votre lettre de Mardi 16, je ne partirai d’ici mardi qu'à midi. La poste de Lundi, me sera arrivée. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 10 Septembre 1851

Hier M. de Buttenval, arrivé de Turin. Il est bien noir sur l’Italie. Pas le Piémont là cela va assez bien, & l'on se rapproche un peu de l’Autriche. Mais à Milan, à Florence à Rome, c’est aussi mal que possible. La compression autrichienne arrivée à sa dernière limite dans les deux premières villes. Une explosion, probable. Il ne sait rien sur Naples.
J’ai eu un long tête-à-tête hier soir avec le Général Changarnier. Il a beaucoup parlé et bredouillé, car vous savez que je ne saisis pas tout ce qu'il dit. Il s’est plaint des défiances, des maladresses, du manque d'ensemble dans le parti conservateur. On ne devait pas voter la révision, les départements n'ont été que les échos de la majorité. Elle est donc puissante. Elle pourrait donc faire mieux & autrement qu’elle ne fait. Sur la candidature Joinville il pense comme moi à peu près ; seulement il ne lui préfère pas comme moi le président. Il ne veut ni de l’un ni de l’autre. Et si c’était le Président nous aurions la guerre tout de suite. Il la ferait pour se soutenir. Cela faisait réponse l’indépendance est fort injurieuse pour vous au sujet des lettres sur Claremont.
Je vous écris vite et mal. J'ai les nerfs mal arrangés. Toujours de mauvaises nuits, toujours de l'agitation. Oliffe est revenu hier. Il me trouve changé et mon pouls aussi. Il dit que cela se remettre, mais je ne suis pas entrain de me remettre. J’avais fixé d’aller à Champlatreux aujourd’hui, j'y renonce C'est de la fatigue Adieu. Adieu. Adieu
On a fait hier l’opération à Decazes. Il ne va pas mal aujourd’hui !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Mercredi 20 août 1851

Vous n'aurez ce matin que quelques lignes. Je suis pris d'une violente, migraine. Je viens de me promener trois quarts d'heure dans le jardin pour voir si le grand air la dissiperait ; mais l’air, qui est pourtant charmant, n’y fait œuvre. Je crois que je vais m'étendre sur mon lit. Il n’en sera plus question ce soir. Elles étaient bien plus fréquentes autrefois. Avec beaucoup de plaisirs l’âge emporte aussi quelques ennuis.
Vous ne lisez pas l’Univers ; il conterait ces jours-ci une lettre à Gladstone, très médiocre d’esprit et de forme, mais qui lui donnait, sur quelques uns des faits qu’il a affirmés, des démentis précis et frappants ; par exemple 1800 prisonniers dans les prisons de tout le Royaume de Naples, au lieu de 20 à 30, 000. Et le nom de chaque prison, et le nombre des détenus dans chaque prison, y sont énoncés. Le Roi de Naples et les agents ont grande raison de multiplier les renseignements. Il devrait faire offrir à M. Gladstone de revenir les vérifier lui- même.
Vous vous étiez promis des merveilles de mes lettres écrites de Paris. Vous n'y aurez pas trouvé grand chose. Je n’avais trouvé moi-même à Paris que bien peu de chose. Je n’ai eu rien de mieux à vous envoyer. Je crains bien que ma course en Angleterre ne jette, pour vous comme pour moi, un peu de trouble dans notre correspondance. C’est très ennuyeux. Je ferai tout ce que je pourrai pour l’éviter. Adieu, Adieu.

Je vais réellement me mettre sur mon lit. J’ai la tête lourde, et le cœur barbouillé. Adieu. Je ne fermerai pourtant ceci qu'après avoir reçu mon courrier.

10 heures
Je vous ai écrit mardi matin une longue lettre. Je ne comprends pas ce retard. Votre poste de Francfort est insupportable, et je ne mérite aucun reproche. Je ne vous ai pas écrit le dimanche 10, en arrivant à Paris, parce que ma lettre écrite au Val Richer la veille 9, partait de Paris pour Francfort précisément ce même jour Dimanche 10. C'était donc deux lettres qui vous seraient arrivées le même jour. Peu aurait importe si j’avais eu quelque chose de nouveau à vous dire. Mais je n'avais rien. Je suis très contrarié de votre ennui. Vous aurez certainement eu ma lettre du mardi 12, écrite en partie le lundi, tard en partie le mardi matin. Adieu, adieu.
Adieu, dearest. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, 16 Août 1851

Je serais curieux avant d'aller à Claremont, de savoir avec détail ce que le Prince de Prusse vous a dit de la Duchesse d'Orléans. C'est dommage que nous soyons si loin.
Je suis toujours frappé des Pièces de Mazzini. Infiniment supérieures à celles des démocrates français. Un habile mélange de mysticisme et l'irréligion, de vieil esprit et de nouvel esprit Italien. Cet homme là et sa secte donneront beaucoup d'embarras à l’Europe. Et la question italienne est la pire de toutes, car elle ne peut ni résoudre, ni s'éteindre. La Pologne finira ; l'Italie ne finira pas. Je ne vois pas du tout clair dans cet avenir là. Je respecte beaucoup le Pape, et j'estime la fermeté persévérante du Roi de Naples ; mais ce ne sera le gouvernement ni de l’un, ni de l'autre qui apaisera l'Italie. Et l’Autriche ne conquerra pas toute l'Italie, et nous ne nous la partagerons pas comme vous vous êtes partagé la Pologne. J'y renonce.
La lettre du comte Roger, n'est pas si franche, ni si hardie que le manifeste de Mazzini. Et les Débats sont bien embarrassés. C’est un triste spectacle. Il me paraît impossible qu’une politique si entortillée et si subalterne réussisse. Il n'y a pas une idée juste ni un sentiment noble qu’elle ne choque. Nous verrons si le temps sera lui-même assez subalterne et assez court d’esprit pour s’y prêter. Autour de moi, dans le gros public, on pense très peu à la candidature du Prince de Joinville ; n'est pas entrée en circulation. Je dis comme vous ; je n’ai rien de plus à vous dire. Je vous quitte pour faire ma toilette. Admirable séjour pour travailler ! Je suis endormi à 10 heures, levé à 6 et dans mes seize heures de veille, j'en passe bien dix dans mon Cabinet. Adieu, en attendant le facteur.

10 heures
Pas de lettre. Votre départ de Francfort en est certainement la cause. J'espère bien que l’ordre ne sera pas aussi tout à se rétablir pour moi que pour vous. Adieu. Je n’ai d'ailleurs rien de Paris. Voilà la candidature au Prince de Joinville tout à fait lancée... dans les journaux. Nous verrons la suite. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 23 Juillet 1851

Que signifient ces nouvelles entraves apportées à la libre circulation des Russes en Europe ? Nécessité de rentrer en Russie tous les deux ans au lieu des cinq, accroissement des frais de passeport & &. Vous voyez que je lis mes journaux attentivement. Est-ce de la politique ou de la pure finance ? Vos fils en seront fort importunés.
Vous ne lisez pas le Pays, le journal de M. de Lamartine. Il vous amuserait par ses Hymnes en l’honneur de la discussion sur la révision, et par son désespoir hypocrite de n'avoir pas pu y prendre place. J'imagine que tous ceux qui crient si fort à présent contre la brusque clôture du débat, ont été charmés d'être dispensés de parler. La situation n’était pas commode pour ceux qui n'ont envie de se commettre, ni pour, ni contre le Président. Je ne vois pas encore clair dans le mois d'Octobre prochain, la question recommencera-t-elle ? Personne ne me paraît décidé. Cela dépendra beaucoup de l’attitude des conseils généraux qui vont se réunir à la fin d'août. S'ils étaient tous comme ceux des départements qui m'environnent, ils ne feraient pas grand effort pour ramener la révision sur l'eau.
Tous ces Princes Allemands qui vous servent de gardes du corps ne vous disent-ils rien des affaires d'Allemagne, et de la diète de Francfort. Pure curiosité d'artiste, car il ne viendra de là aucun évènement ; mais la question de l’entrée de toute l’Autriche dans la confédération m'intéresse. J’ai envie de savoir ce que vous en voulez au fond. Et puis les affaires d'Italie sont à mon avis, les seules interminables en Europe et toujours menaçantes ; il y a là des hommes qui ne peuvent ni réussir, ni renoncer. On m’écrit que le gouvernement piémontais, malgré ses complaisances, ne parvient pas à en avoir assez pour les mazziniens, et commence lui-même à en être excédé. Votre dépêche aux Etats italiens vos amis était bien vraie. Et il est bien vrai que lecture en a été donnée à Londres et à Paris.
On, c’est-à-dire M. Berger, se donne bien du mouvement à Paris pour faire un peu de bruit de la fête qu'on veut donner à l’industrie universelle. Je trouve cela pitoyable. L’hôtel de ville est très beau ; mais même là, un dîner de chevet ne sera pas un rival suffisant du Palais de cristal. Un journal prétend que le Prince Albert y viendra. Je ne puis pas le croire.

10 heures
Mes lettres m'arrivent aujourd'hui avant mes journaux. Je n'aurai les journaux que dans deux heures. Je n'ai de nouvelles de personne. Vous avez bien raison avec Marion, pour les courses comme pour le jeu, drôle de fille. Je m'étonne quelques fois qu’il n’arrive pas plus d'aventures aux Anglaises qui en courent tant. Adieu, Adieu. Je vous quitte pour ma toilette. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, lundi 16 Sept. 1850

Mon instinct ne me trompait pas sur les affaires de Hesse. Je soupçonnais que le grand Duc avait tort. J'espère que le conflit entre les deux grandes Puissances m’aura pas lieu, pas plus pour la Hesse que pour Bade ou pour ailleurs. J’ai confiance dans leur bon sens et dans la lenteur allemande. Même la brutalité n'exclut pas là l'inertie. Au fond, l’Europe ne me préoccupe plus guère, ni d'Allemagne, ni d'Italie, il ne viendra de gros événements. Elles ont jeté toute la gourme qui leur était venue de France, et la France, d’ici à quelque temps ne leur en enverra pas d’autre.
Avez-vous lu les lettres de Mazzini essayant de se justifier des assassinats systématiques ? Ridicule mélange de fanatisme et d'embarras. Il ne veut pas qu’on le croie assassin, et il veut qu’on craigne son pouvoir d’assassin. Vous ne me dites rien de M. de Meyendorff. J’en suis pourtant curieux.
J’ai envie que vous pensiez bien de mon fils, Guillaume. Lisez, je vous prie ce qu’il m'écrit du Norfolk. A sensible boy.
Voici ce que vous désirez pour Fleischmam. Je ne croyais pas ma première lettre compliquée. Elle disait les choses comme elles sont avec détail et sollicitude, comme désirant le but et regrettant les obstacles. Je ne puis rien envoyer de plus décidé. Conrad veut en causer avec son frère. Et comme personne n’est encore amoureux, on n'est ni pressé, ni tout-à-fait indifférent aux considérations mondaines. Melle de Witt une fois mariée, ne pourrait pas continuer à vivre avec sa tante. Cela n'irait pas, et il a toujours été entendu entre eux qu’on se séparerait alors. Ou pour vivre seuls, ils auraient excessivement peu. Il faut ou une bonne carrière, ou de l'amour, ou assez d'argent. En attendant qu’une de ces trois choses là vienne, si elle peut venir, ayez seulement la bonté d'envoyer à Fleischmann ma petite lettre. Vous avez raison ; je peux trouver les lenteurs de mes gendres naturelles, mais je ne dois pas vous en ennuyer.
Thiers me paraît précisément ce qu’il faut pour que la Reine de Hollande et la Princesse de Prusse en raffolent. Elles ne le rendront pas plus sages, ni lui, elles. De l'amusement des deux parts voilà tout. Adieu. Adieu. Je demande tous les jours à ce beau soleil de chasser votre rhume. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Samedi le 14 septembre 1850

Je croyais vous avoir parlé du Piémont. Changarnier m’en a parlé dans le même sens que vous dites. Palmerston voulant recommencer la révolution en Italie. La guerre avec l’Autriche, & le Président entraîné à secourir le Piémont. Il me dit qu'il fallait y regarder. Je vous prie écrivez-moi sur Fleischmann une lettre que je pense lui envoyer. Il ne faut pas nous être enfilés là dedans pour rebrousser chemin sans grandes raisons. Moi, je l'épouserais. mon rhume me paraît descendre la montagne mais je ne suis pas sûre encore. J'ai marché dans le bois. Temps perfide. Le vent froid & le soleil ardent. J’ai vu le prince Paul, & les Holland le matin. Le soir le duc de Noailles & Dumon. Nous sommes très frappés d’un article du Times d’avant hier sur Salvandy, très exact. Aucun journal français ne le reproduit. Je n’ai pas de nouvelles de ce qui se passe ici. Je n’ai vu personne qui eût pu m'en donner.

Midi. Un courrier de Berlin qui m'apporte un de Constantin. " L’Empereur a pris connaissance avec beaucoup d'intérêt de votre note du 1/13 août, et me charge de vous remercier pour cette nouvelle preuve du zèle avec lequel vous avez toujours rempli vos devoirs" signé Czernicheff. Constantin ajoute que de pareils remerciements n’arrivent pas deux fois dans l'année. Il est fort content, & il est content que sa note a fait un grand plaisir. A propos de la Hesse, il me dit qu'on va voir là renouveler Charles X & Polignac, & que c’est déplorable. L’électeur un très vilain homme, & qui est tout à fait dans son tort. On le chassera. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 12 Sept. 1850
6 heures

Je me lève de bonne heure et le soleil est levé avant moi, brillant dans un ciel pur. Je veux absolument croire qu’il vous aidera à chasser votre rhume. Je commence à me sentir reposé. Je me mets au courant de ma correspondance. J'étais fort en arrière. Les lettres prennent bien de la place dans la vie. Mais ce n'est pas une place perdue. On agit beaucoup par lettres bien des gens se défient moins d’une lettre que d’une conversation. On croit plus volontiers un absent. On lui sait gré de la peine qu’il prend pour persuader et on met moins d'amour propre, à lui résister.
Je vais faire aujourd'hui une visite à huit lieues de chez moi. M. de Neuville le député de Lisieux et le gendre de M. de Villèle. Vous m'en avez je crois entendu parler. Il est venu me voir plusieurs fois et je ne lui ai pas encore rendu sa visite. C’est toute une journée. Je reviendrai dîner chez moi.
J’ai lu L'ère des Césars dont je vois que les journaux font quelque bruit ! C’est un livre ridicule d’un homme d’esprit impertinent. Le Président dit à Cherbourg : " Donnez-moi du pouvoir ". Ses écrivains lui disent à lui : " Prenez du pouvoir " Il ne prend pas et on ne lui donne pas. Sot contraste! Plus l’action est prudente et modeste, plus la parole est exigeante et superbe. On se dédommage par ce qu’on dit de ce qu’on ne fait pas, de ce qu’on n'ose et ne peut pas faire.
Entendez-vous un peu parler des affaires du Piémont ? On me disait à Paris. (Je ne me rappelle plus qui) qu’on s'en inquiétait aux Affaires étrangères, et que si la querelle se réchauffait entre Turin et Vienne, et si Turin demandait appui à Paris, on ne serait pas en état de le refuser ou plutôt d'empêcher le Président de le donner. On dit aussi que les agents anglais recommencent à se remuer beaucoup là. Dans la stérilité de la saison je ramasse tous les on dit. Vous n'avez plus même Antonini pour le questionner.

Midi
J’ai été pris par des gens de Lisieux et je n'ai que le temps de fermer ma lettre avant de partir pour ma visite lointaine. Je vous parlerai demain de Fleischmann. Mais chassez votre rhume. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 11 Nov. 1849
8 heures

Je suis de l’avis de Lord John sur la boutade du Président. Le rapport de Thiers sur les affaires de Rome en a été, sinon la cause, du moins l'occasion déterminante. C’était bien insultant de ne pas dire un mot du président et de sa lettre, comme s’ils n'eussent pas existé. Et c'était bien léger d'insulter ainsi l'homme qu'on a élevé et qu’on ne peut renverser. Cette faute a fait éclore la disposition du Président, disposition préexistante, mais jusque là contenue, et qui probablement fût restée encore à l'état latent, comme dirait le Ministre actuel du commerce. M Dumas, grand chimiste. Je vois d'après ce qui me revient que les hommes intelligents de la majorité ont le sentiment de cette faute, et la regrettent. Mais c’est fait. Et la boutade du président aussi, Tout cela suivra son cours. Puisque Flahaut n'en veut pas être, il a bien fait de s'en aller. Je crois que la faute du Rapport était facile à éviter. Il était facile de faire sur la lettre un paragraphe convenable qui dégageât complètement, l'assemblée de la politique du président en donnant au président lui-même satisfaction pour sa dignité et avertissement pour son gouvernement personnel.
Je suis charmé que Lord John prenne ainsi goût, non seulement à avoir des lettres de vous, mais à vous écrire. Il n'aurait pas vos lettres sans cela, et il a raison d'en vouloir. Vous excellez à rendre la vérité agréable.
Je dis comme vous pour ce qui touche ma situation personnelle en reparaissant. Nous verrons. Nous devons avoir ce qu’il faudra d'habileté et de bon sens. Le silence qui vous choque ne m’étonne pas. C'est de l’embarras et de la platitude, faute d’esprit et faute de cœur. Deux choses, si je ne me trompe, mettront à l'aise, autant qu’ils peuvent être à l'aise, les poltrons et les sots ; d'abord ma manière, et bientôt ma situation même.
Je ne vous écrierai pas de longues lettres ces jours-ci. J’ai beaucoup à faire ; dans mon Cabinet pour conduire mon travail au point où je veux qu’il soit en partant ; et hors de mon Cabinet pour les petites affaires du Val Richer. Il faut aux petites affaires autant d’attention de paroles, et de temps qu'aux grandes. Je suis seul avec mes filles. Mlle Chabaud est partie, pour aller passer quelques jours près de Rouen, chez une de ses amies.

Onze heures
Je ne vois absolument aucune raison d'hésiter, et je suis décidé. Il n’y a que deux espèces de personnes qui me conseillent de ne pas revenir ; celles qui s'en iraient volontiers elles-mêmes, et celles qui ont envie que je ne revienne pas du tout. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 8 nov. 1849
8 heures

Je fais dire au Duc de Broglie, ce que pense Flahault. Je ne vous réponds pas qu’il le fasse. Il est dans une disposition à la fois, très amère et très réservée, de plus en plus dégouté de se mêler de ce qui se passe, en quelque façon que ce soit soit pour nuire, soit pour servir. Je suppose que Lord Lansdowne ne compte pas rester longtemps à Paris. Il serait bien bon en effet qu’il vît les choses telles qu’elles sont réellement. Je ne sais pourquoi je dis cela, car je ne pense pas qu’il résulte grand chose à Londres de son opinion sur Paris, quelle qu’elle soit. Il est de ceux dont le bon sens ne sert à rien quand il faut qu’ils fassent un effort pour que leur bon sens serve à quelque chose. Je suppose aussi que de Pétersbourg, on ne fait pas grand effort pour empêcher, en Hongrie, les exécutions qu'on déplore. C'est le rôle des sauveurs de déplorer et de ne pas empêcher, de nos jours, la Restauration a fait cela en Espagne, la République à Rome ; et vous en Hongrie. Cette affaire des réfugiés hongrois finit bien pour vous. Il était bon à l'Empereur d'avoir à se plaindre de l'action anglaise, et de le faire un peu haut. La République française, sans l'afficher ouvertement, en ayant même l'air de ne pas le vouloir, vous aidera beaucoup à faire de la Turquie votre Portugal. L'état de l'Europe vous est bien bon. L’Autriche sauvée par vous, la France annulée, vous n'êtes en face que de l’Angleterre. Si vous ne faites pas trop de boutades, vous gagnerez bien du terrain. Le refus de la présidence décennale et d’une bonne liste civile est une preuve sans réplique qu’il y a parti pris pour l'Empire. Quand ce jour-là viendra, la partie sera difficile à jouer pour tout le monde. Président, assemblée et chefs de l’assemblée, armée et chefs de l’armée, sans parler du public, pour qui rien n’est difficile, puisqu'il ne fait rien et laisse faire tout. Ce sera l'une de ces grandes eaux troubles, où les petites gens habiles font leurs propres affaires, et ceux-là seuls. Donnez-moi, je vous prie si vous pouvez quelques détails sur ce terrain que je trouverai pour mon propre compte, et qui vous indigne. Je le vois d’ici en gros ; mais il est bon de savoir avec précision, et d'avance. J'en serai plus instruit qu'indigné. J’ai une indignation générale, et préétablie qui me dispense des découvertes. Mad. Austin est à Paris. Elle a trouvé à Rouen, M. Barthélemy, Saint Hilaire qui l’a fort rassurée, et qui l’y a conduite. J'attends aujourd’hui des lettres qui me feront, je pense prendre un parti à peu près précis sur le moment où j'en ferai autant.

Onze heures
Les lettres que je reçois me disent à peu près toutes comme Sainte Aulaire, et le duc de Noailles. Je me tiens donc pour à peu près décidé pour la fin de la semaine prochaine. N'en dîtes rien. Ce sera un charmant jour. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 28 oct. 1849
7 heures

J’ai devant moi, sur mon jardin et ma vallée un brouillard énorme, pas anglais du tout, bien brouillard de campagne normande. Il fera beau à midi. Les bois, par ce beau soleil étaient charmants il y a quelques jours ; toutes les nuances possibles de vert, de rouge, de brun, de jaune. A présent, il y a trop peu de feuilles. Dans quinze jours, il n'y en aura plus. J’irai chercher à Paris autre chose, que des feuilles. Je vous y trouverai. Et puis, quoi ? J'ai beau faire ; je ne crois pas à l'Empire. Et pourtant, on ne sortira pas de ceci en se promenant dans une allée bien unie.
J’arriverai à Paris sans avoir fini mon travail. Il sera très près de sa fin, mais pas fini. Il me plaît, et je crois qu’il m'importe. Je ne veux le publier que bien et vraiment achevé. J'aurai besoin, chaque jour, pendant trois ou quatre semaines de quelques heures de solitude. Je les pendrai le matin, en me levant. C'est mon meilleur temps. Je ne recevrai personne avant 11 heures. On me dit que j'aurai bien de la peine à me défendre, qu’on viendra beaucoup me voir. Amis et curieux, tous oisifs. Je me défendrai pourtant. Je veux garder pleinement mon attitude tranquille et en dehors. Je n'ai rien à faire que de dire, quelquefois et sérieusement, mon avis.
Que signifie le retard prolongé de Pétersbourg ? C'est plutôt bon, ce me semble. Les partis pris d'avance sont prompts. Avez-vous fait attention aux lettres du correspondant du Journal des débats, de Rome, leading article. Je connais ce correspondant. On finira par s’en aller de Rome, purement et simplement. La question de Rome ne peut être résolue qu'Européennement. Il faut que Rome redevienne une institution européenne. Elle était cela au moyen âge. C'était les Empereurs et les rois d’Europe qui intervenaient sans cesse dans les rapports du Pape avec l’Italie, et qui les réglaient après les grands désordres. Il y avait des révolutionnaires dans ce temps-là comme aujourd’hui et ils chassaient aussi le Pape. La non-intervention dans les affaires du Pape est une bêtise que l’histoire dément à chaque page. Seulement l’intervention est obligée d'avoir du bon sens. On est intervenu pour le Pape, et maintenant on voudrait faire à Rome autre chose qu’un Pape. J’espère que le Général d’Hautpoul qu’on y envoie, sortira un peu de l'ornière où l'on est. C’est un homme sensé, et un honnête homme. En tout, les militaires se sont fait honneur là, généraux et soldats. Il faut qu’il s’en trouve un qui ait un peu d’esprit politique. J’ai oublié hier ceci ; matelas et non pas matelat.

Midi
M. Moulin (un des meilleurs de l’assemblée) m’arrive pour passer la journée avec moi. Votre lettre est bien curieuse et d'accord avec ce qu’il me dit. Adieu, Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 23 octobre 1849
7 heures

Madame Austin m'est arrivée hier. Voici ce que m’écrit Reave : « Je suis revenu à Londres au moment de la discussion turque. Au fond, de part et d’autre, je sens que nous avons pris cette affaire un peu trop vivement et Lord Palmerston en a profité pour jeter une pierre dans le jardin de ses adversaires. Mais il en résulte que l’Angleterre a montré que les endormeurs du Peace congress, ne l’avaient pas tout à fait assoupie, que l'Empereur de Russie s’attachera davantage à son état de repos armé ; et que l’on a acquis ici des notions plus justes sur la valeur vraie de la soi-disant alliance de la République française, qui consiste essentiellement à ne rien faire. A tout prendre, je ne regrette pas cette petite campagne, malgré le petit ridicule qui s’attache à tout excès de vigueur hors de propos. Du reste la mission arrogante du Prince Radziwill et l'exécution militaire de Louis Balthiany, sans la procédure judiciaire qui devait faire ressortir sa culpabilité sont, je crois, les deux fautes capitales des Empereurs alliés. On dit qu’il a été saisi une correspondance de Bathory, étant ministre avec le Roi Chartes Albert. Si cela est vrai, il aurait suffi de constater le fait devant la justice. du pays pour le conduire au supplice d’une manière légitime. »
Vous voyez qu’on sait à quoi s’en tenir à Londres sur le concours qu'on peut attendre de la République française, et qu’on ne croit pas à de bien grands coups après tant de bruit. Vous dites bien : le problème à résoudre pour l'Empereur c'est de concilier la grande attitude avec la raison. Il en viendra à bout, sa boutade n’a pas été heureuse ; elle a retourné contre lui l'Europe qui allait à lui, et elle ne lui vaudra pas en Turquie ce qu'elle lui a fait perdre en Angleterre et en France. Il n'en avait pas besoin pour faire, à l'occasion des affaires de Hongrie, un grand pas vers Constantinople. Le pas était fait ; et s'il tenait à le constater, il y avait dix manières d'atteindre ce but là, à meilleur marché. L'Empereur s’est laissé aller à une première idée, et à un premier accès de vainqueur. Il lui en coutera quelque chose de le reconnaitre et de rentrer dans une autre voie. Mais il le fera. Il a un sentiment trop juste de sa mission et de son intérêt de souverain, je veux dire de grand souverain, pour le lancer et pour lancer l'Europe dans le chaos de la guerre et de la révolution parce qu'on ne lui livrera pas Bem et Dembinski. Je suis très curieux, mais plus curieux qu'inquiet du résultat de la mission de Fuad. Effendi. Reeve me dit peu de chose de l'état des esprits en Angleterre sur nos affaires intérieures. Ceci seulement qui est sensé et qui me plaît assez. « Nos yeux se tournent de nouveau avec. sollicitude vert la France. Si M. Thiers se décide enfin à prendre un rôle plus actif, je ne vois devant lui qu’une des catastrophes qui lui sont familières. Il ne manquerait plus que cette direction suprême pour couronner les malheurs du pays. Je suis de plus en plus heureux que vous soyez complètement étranger à ce qui se passe dans cette assemblée. C'est là, je crois le sentiment de tous vos amis de ce côté de la manche, et de plusieurs de ceux qui m’écrivent de l’autre. Dans une position aussi radicalement fausse que celle de la République, il est impossible de faire autre chose du pouvoir qu’une déplorable fiction. " Je suis content de l’issue du débat sur Rome. Le défilé est passé. Le gouvernement, Président. et cabinet s’en tire sans y grandir, et la bonne cause est la seule qui ait été bien défendue. Ce sont là, pour le moment, les seuls résultats auxquels en toute occasion, il faille prétendre. Je doute que j’ai aussi pleinement satisfaction dans les deux questions encore sur le tapis, l'affaire turque et le rappel des deux branches bannies. On passera aussi ces deux défiles ; mais personne, je le crains ne dira ce qu’il y aurait à dire sur l’une et l'autre affaire, comme Montalembert, et même La Rozière, l'ont dit dans celle de Rome.
Onze heures et demie
Adieu, Adieu. Je n'ai que le temps de fermer ma lettre La vôtre est intéressante. J'en reçois une de Piscatory qui l’est aussi. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, mardi 16 octobre 1849
8 heures

Je ne pense pas que même en essuyant aucun retard, vous puissiez être demain soir à Paris. Vous ne partirez certainement pas de Boulogne aussitôt après votre arrivée. Vous y coucherez. Mais je ne veux pas courir la moindre chance qu'en arrivant à Paris vous n'y trouviez rien de moi. C'est bien assez de n’y pas être moi-même. Boislecomte est ici jusqu’à demain soir. Nous avons déjà beaucoup causé. Très noir, mais point démoralisé. Croyant à un avenir possible, mais lointain. Vous en saurez bientôt plus que je ne puis vous en dire. Il me paraît que pour le moment. Rome n’est plus rien. Constantinople pas grand chose ; c’est l'adoption, ou le rejet, ou l'ajournement de la proposition sur les rois bannis qui est la grosse affaire. La réunion du conseil d'Etat en a été bouleversée. Je doute que la majorité reste longtemps intacte et immobile. Il faudra qu'elle avance. Et si elle avance, elle se divise. Etrange pays, où tout le monde parle sans cesse de progrès, et où personne n'en fait aucun ! Cependant j’ai une lettre de Piscatory qui croit l'affaire de Constantinople grosse. Il en est très occupé, ou plutôt préoccupé. La majorité ne paraît avoir aucun goût à s'embarquer, dans la barque de Lord Palmerston. C'est le président qui porte tout son poids de ce côté. Adieu, adieu. Quand vous m'écrirez de Paris, vous m'enverrez les faits, je vous renverrai mes réflexions. En attendant que faits et réflexions nous soient communs. Adieu, adieu, adieu.
P.S. Voici, en résumé, les deux faits. qui me sont signalés comme nouveaux et importants. 1° La France est à la remorque et à la merci de l’Angleterre dans l'affaire de Constantinople. C'est le président qui l’y a mise. Son cabinet était divisé. Molé et Thiers lui conseillaient de n'en rien faire. 2°. La majorité s’est séparée, ou est près de se séparer du Président, sur Rome, sur Constantinople et sur le rappel des bannis. Pronostics d'immense confusion. Armand Bertin était attaché à l'Ambassade de M. de Châteaubriand. Un soir en rentrant M. de Châteaubriand lui dit : " Madame de Lieven me traite bien mal. Elle ne sait pas à qui elle a affaire ni quels sont mes moyens de me venger. Certainement je me vengerai ? " Votre article d’Outretombe a été écrit alors de verve de vengeance. Il y a ajoute depuis ce qui me regarde. Je vous dis ce qu’on vient de me dire. Je ne l’ai pas lu.
Onze heures
Merci de votre second mot de Londres. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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[…] ce qu'il ne veut pas. C’est une double manière d’éviter la responsabilité. Je n'ai aucune nouvelle personnelle de Thiers. Je ne l’ai pas vu, depuis mon retour de Dieppe. J’entends dire que, dans la commission des Affaires de Rome, il fait des morceaux d’enthousiasme sur le motu proprio, sur les cardinaux et sur le Pape. La commission du budget ajourne, le plus qu'elle peut l'examen des questions, d'impôt, c'est le plus gros embarras de la session. Il est probable que les anciens impôts seront rétablis. Rien n’est plus nécessaire mais rien n'est plus dangereux."

Pas un mot des affaires de Constantinople ; ce qui me prouve qu’à tort ou à raison, on n'en est guère préoccupé. Mercredi 10, Huit heures Je me lève tard et je me suis couché hier de bonne heure. J'avais un peu mal à la gorge. Je vais mieux ce matin. J’espère que la pluie va cesser et le froid sec commencer. Je l’aime beaucoup mieux. Ma maison ferme mieux que je n'espérais. J’ai de bon bois et je ferai de grands feux, presqu'au moment où j'irai me chauffer dans ma petite maison rue Ville-l'Evêque et votre bonne chambre rue Florentin. Vous ne m’avez pas dit si vous aviez quelqu'un en vue pour vous accompagner. Quel plaisir (petit mot) si nous pouvions passer tranquillement notre hiver dans nos anciennes habitudes ! Je me charme moi-même à me les rappeler. Hélas connaissez-vous ces trois vers de Pétrarque : Ah ! Nostra vita, ch'e si bella in vista, Com' perde agevolmente, in un matino, Quel che'n molti anni a gran pena s'acquista ! « Ah, notre vue, qui est si belle en perspective, comme elle perd aisément, en une matinée ce qui s’acquiert à grand peine, ou beaucoup d’année ! " Je crois que je vous fais injure et que vous savez bien l'Italien. Onze heures Voilà votre lettre. Nous causerons demain. Je persiste toujours à n'avoir pas peur. Adieu Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 3 Oct. 1849 9 heures

Je comprends que l’Autriche et la Russie insistent pour se faire rendre les fugitifs hongrois et polonais. Je comprends que la Turquie, refuse de les rendre. Certainement aucun des grands gouvernements Européens ne les rendrait. Être la seule nation en Europe capable de cela, c’est beaucoup. Les Turcs ne sont plus assez barbares. Sont-ils assez faibles ? Si j’avais à parier, je parierais que les fugitifs s’évaderont et iront en Angleterre. Vous ne ferez pas la guerre à la Turquie pour les reprendre. La France et l’Angleterre ne vous feront pas la guerre, avec la Turquie pour l'aider à ne pas vous les rendre. Tout le monde sera dans une impasse dont tout le monde voudra sortir. Ils s’évaderont. On criera d’un côté, on se taira de l'autre. Et bientôt on n’en parlera plus. Resteront dans le monde Kossuth, Bem, et Mazzini, trois hommes qui se seront fait un nom dans les événements de 48 et 49. La seule chose qui en reste. En apparence du moins et pour quelque temps car si les évènements ont été impuissants et ridicules, leurs causes subsistent, toujours redoutables, à ces trois hommes correspondent trois questions dont deux, l’Italienne et la Polonaise sont insolubles mais très vivaces et dont la troisième la Hongroise ne peut être résolue que par un bon gouvernement Autrichien, ce qui n’est par sûr. Et le vent de folie révolutionnaire, et socialiste soufflant toujours sur ces trois places de l’Europe, il y a à parier que l’accès de fièvre chaude qu'elles viennent de lui donner n’est pas le dernier. Si vous lisiez les journaux légitimistes, vous verriez que le parti catholique lui-même, les politiques du moins, M. de Falloux en tête ne songent qu’à profiter du Motu proprio du Pape pour sortir de Rome sauf à négocier encore après pour obtenir de lui quelque chose de plus, un peu plus d’amnistie ou un peu plus de constitution. On n'insistera pas sur le dernier point. Qui gardera le Pape et Rome après cela ? Peu importe. On aimera mieux les Espagnols que les Autrichiens. On se résignerait aux Autrichiens. L’armée française aura rétabli le Pape dans Rome, et protégé la politique modéré. C’est assez pour s'en aller. Que la politique modérée, et le Pape deviennent ensuite ce qu’ils voudront. La République française ne songe qu'à se laver les mains des révolutions et des restaurations qu'elle a faites. Ni pour les unes, ni pour les autres, elle ne se charge du succès.
Je suis frappé de la rentrée en scène, à Paris de Proudhon et de Louis Blanc par leurs nouveaux journaux la Voix du Peuple et le Nouveau monde. Le parti modéré a beau vouloir dormir ; ces gens-là, ne le lui permettront pas. Ou des batailles au moins annuelles dans les rues, ou un gouvernement assez fortement constitué pour que ceux-là, même qui ont envie de la bataille la croient impossible ; il n’y a pas moyen d'échapper à cette alternative. Il faut que la société mette le socialisme sous ses pieds, ou qu’elle meure de sa main. Et pour mettre le socialisme sous ses pieds, il faut ou cent mille hommes et le général Changarnier en permanence dans Paris, ou un vrai gouvernement. Combien de temps maintiendra-t-on le premier moyen pour s’épargner la peine de prendre le second ? C’est la question.

Onze heures
Nous ne pouvons nous répondre que le lendemain. Je vois que vous craignez plus que moi que la rupture entre la Russie et la Porte ne devienne sérieuse. Si elle devenait sérieuse, vous auriez le dernier. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 30 Sept.
1849 - 6 heures

J’ai été déjeuner ce matin à Lisieux, chez mon député à l’Assemblée, M. Leroy Beaulieu qui part ce soir pour Paris. J’ai trouvé là bien du monde, tous réactionnaires ardents, sans se soucier de leur passé. La révolution de Février aura servi à faire pénétrer la politique conservatrice dans une nouvelle couche de la société où elle n’eût jamais pénétré sans cela. Je crains seulement que le moyen ne coûte plus cher qu'il ne rapporte. On dit que M. de Falloux va beaucoup mieux, et qu’il parlera sur les affaires de Rome. On obtiendra du Pape un supplément d’amnistie et on sera content. On dit qu'on rétablira tous les impôts supprimés, même l’impôt sur le sel. Tout plutôt que de faire banqueroute, c’est la maxime courante dans l'Assemblée, parmi la majorité. Je n'aperçois aucune pensée sérieuse d'Empire. S’il doit venir il ne viendra pas naturellement et dans une forte pression extérieure sur l'Assemblée. On assure que l’armée n'y pense pas davantage. Les paysans qui l’approuveraient, et l’appuieraient ne prennent l’initiative de rien. Quant à la liberté de la presse, la loi qui a interdit la vente des journaux dans les rues et le colportage dans les campagnes a fait de l’effet. Un effet de ralentissement non de suppression du mal. On va rétablir et probablement élever l'impôt ou timbre, ce qui fera tomber beaucoup de petits journaux. Si cela ne suffit pas, on entrevoit comme mesure extrême, une interdiction de fonder, sans le consentement du gouvernement, aucun nouveau journal au delà de ceux qui se trouveraient exister au moment de la promulgation de la loi ; et pour ceux-ci, autorisation au gouvernement de les supprimer s'ils étaient condamnés deux fois par les tribunaux.
Je reçois aussi ce matin une longue lettre de Lord Aberdeen. Très tendre. Ne lui laissez pas oublier sa promesse de venir à Paris en décembre. A part notre plaisir, il serait vraiment bon qu’un homme comme lui, parfaitement impartial et sincèrement bienveillant, vît Paris et la France tels qu’ils sont aujourd’hui. Le Duc de Broglie, le désire presque autant que moi.

Lundi 1er Oct. 9 heures
Sachez que je suis rentré en possession de tous les originaux dont les copies sont en Angleterre. Il n'y a presque plus de choléra à Paris. J'y renvoie Guillaume samedi prochain pour rentrer le lundi 6 à son Collège. On est assez sérieusement préoccupé des premières séances de l'assemblée. Je n'en espère et n'en crains pas grand chose. Il n’y a plus, parmi les Montagnards personne qui puisse provoquer de vrais débats et mettre le feu sous le ventre aux gens qui voudraient rester tranquilles. M. Ledru Rollin faisait cela. Il n'a point de successeur. Il n’y aura ni l’initiative des coquins, ni celle des honnêtes gens. Onze heures Vous avez très bien parlé à Achille Fould. Adieu. Adieu. Je suis pressé. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Jeudi 27 sept. 1849 9 heures

Je viens de causer à fond avec le Duc de Broglie des chances de tranquillité de Paris. Il ne croit pas au danger du débat sur l’affaire de Rome. L'absence de M. de Falloux est une circonstance favorable. On avouera le fond de la politique qui est dans la lettre du Président. On regrettera la publicité. Il y aura des gens dans la majorité qui blâmeront. La majorité ne se divisera pas là dessus. Le parti catholique se séparât-il tout entier, la majorité subsisterait. C’est un ou deux jours de discussion désagréable à passer. Rien de plus. Deux autres incidents peuvent causer un peu de bruit ; le procès de Versailles et la crise, ministérielle. Là il n'y a pas moyen de prévoir et de mesurer. Les faits de ce genre sont toujours pleins d’inconnu. Rien à craindre en définitive on est plus averti, et plus fort qu’il ne faut contre les rouges à Versailles, et les intermittences ministérielles à Paris, s'il sortait de tout cela quelque évènement, ce qui n’arrivera pas, il ferait faire plutôt un grand pas dans la réaction. Cependant il est vrai qu’il y a là deux causes d’agitation populaire, et l’agitation même vite aux manifestations, et les manifestations aux coups. Ce n'est pas une prudence nécessaire, mais il est peut-être plus prudent d'attendre que ces deux incidents soient vidés, Le procès de Versailles durera un mois. Si la crise ministérielle éclate, M. Dufaure se défendra fortement et longtemps. Il est décidé à ne lâcher prise qu'à la dernière extrémité. M d’Haussonville, écrit de Paris à son beau que la léthargie politique est complète, ni Rome, ni le Cabinet, ni le procès ne préoccupent le moins du monde le public. Personne ne pense à rien qu'à ses affaires. Celles de Paris sont toujours médiocres.
Guillaume revient de chez Mad. de Ségur qui est dans sa terre des Nouëttes, à 68 lieues d’ici. Il me rapporte une lettre d’Edgar de Ségur qui arrive de Rome et qui me dit : " Je n'ai quitté l'Italie que le 15 de ce mois ; j'ai assisté avec M. de Rayneval à toutes les phases de celle si malheureuse affaire. Je reviens navré de ce qui j'ai vu et profondément ignorant de la solution que peut recevoir la question romaine. L’aveuglement de la cour de Rome est tel, le conflit entre elle et notre gouvernement est si patiemment et si vivement engagé que je ne conçois pas comment l'on pourra sortir de cette inextricable position. " Edgar est un jeune homme intelligent que j’avais dans mon cabinet, et que j'avais envoyé comme attaché à Naples où il resté. On vient de le nommer second secrétaire à Berlin. On dit que la nomination de M. de Suleau comme Préfet à Marseille, en remplacement d’un Républicain de la veille, fera du bruit. M. de Suleau était Préfet de M. de Polignac à Avignon. Toujours légitimiste depuis. Les blancs et les bleus sont très tranchés et très tranchants à Marseille. On croit que M. Dufaure fait cette gracieuseté aux légitimistes et à M. de Falloux pour les amadouer un peu au moment du retour de l'Assemblée. Je connais M. de Suleau. C’est un homme capable et qui a de l’entrain. Il m’avait demandé à servir dans la diplomatie. La lettre du Lord Beauvale et les réflexions identiques de Lord John ont beaucoup frappé. " Ils ont parfaitement raison. Mais nous ne sommes, capables de cette raison là. " Exactement ce que je vous ai dit tout de suite ce matin, avec une teinte bien plus foncée de découragement. M. de Persigny est ce qu’il y a de plus intelligent auprès du Président ; mais bien plus animé et bien plus pressé que le Président sur la question de l'Empire.

Vendredi 28 Sept 10 heures
J'ai bien pris la lettre de l'Empereur au Comte Nesselrode pour un manifeste. Pus d'orgueil que d’ambition. Une intelligence profonde de l'état de la société Européenne et de son mal. Une attitude très haute prise contre ce mal sans rien qui interdise la modération, ni qui oblige à l’action. C’est habile. L'Empereur a certainement, beaucoup d’esprit, du grand et juste esprit. Voici la lettre de Beauvale. Je viens de lire le décret du Pape. Bien assez libéral s’il était sérieux. Il n’est pas sérieux, et il ne cache pas qu’il n’est pas sérieux. Ruse de prêtre pour échapper à l'embarras du moment. Point d'intelligence de la situation. Ce n’est pas une solution à Rome, et c'est une complication de plus à Paris. Votre Empereur en sait plus long que le Pape et que la République. Adieu, adieu. Je retourne dans deux heures au Val Richer, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Dimanche 23 sept. 1849 8 heures

Je vois que M. de Falloux va mieux. Mais on doute que d’ici à longtemps, il puisse reprendre les affaires. Si on le remplace, il aura probablement M. Beugnot, pour successeur. Ancien pair. mêmes opinions que M. de Montalembert. Ami des légitimistes sans l'être lui-même catholique, point fanatique. Honnête homme et homme d’esprit, mais au fond du cœur, sans conviction et sans passion. Il a choisi plutôt qu'embrassé ses opinions. Il pourrait boucher le trou de M. de Falloux, sans autre altération dans le Cabinet. On ne croit toujours pas, parmi les connaisseurs à un grand renouvellement. Si M. de Falloux se retire, on fera un effort pour que la modification aille jusqu'à deux ou trois ministres, M. Benoît au lieu de M. Passy, M. Piscatory au lieu de M. de Tracy. Piscatory me paraît de plus en plus pressé. Il n’est pas venu ici évidemment pour ne pas quitter le terrain. Dufaure est décidé à avoir toujours au moins un, jamais plus de deux légitimistes dans le Cabinet. Il se conduit avec assez de suite et de savoir faire. Je reçois des nouvelles de Duchâtel, de La Grange. Pas plus de politique que cette phrase-ci : Il y a bien peu de chose à dire sur les affaires de notre triste pays. Je vois dans tout ce qui m’entoure les sentiments très bons, mais comme partout, peu ou point de portée dans les esprits, et peu d’énergie dans les volontés. On ne sait plus ni comprendre, ni vouloir. " Il reviendra à Paris au commencement de décembre. L’Autriche sera médiateur entre la France et le Pape et dominera à Rome comme Turin. J’assiste ici tout le jour au chagrin du Duc de Broglie surtout d'abaissement. Je puis être aussi modeste que cela me convient. Il est plus noir que jamais aussi désespérant de l'avenir que désespéré du présent. Je ne partage pas cette impression. A tout prendre depuis que je suis en France, je crois un peu plus au salut, sans y voir plus clair. Votre visite à Claremont y aura fait plaisir. J'en ai eu des nouvelles hier par l'ancien précepteur du petit Duc Philippe de Wurtemberg qui vient d'y passer un mois. Il m’a dit que madame la Duchesse d'Orléans avait quitté à grand regret et en pleurant beaucoup. La lettre de Lord John à M. Hume sur Malte est décisive. Il ne peut plus reculer. Lord Minto y a certainement été pour beaucoup. Il n’y a rien de tel que les gens médiocres pour influer. Personne ne s'en méfie.
Je vois dans les Débats un grand article de M. Cuvillier Fleury sur la révolution de Février et sur le Roi. Je le lirai. Lisez-le aussi, je vous prie, si vous avez des yeux, où une lectrice. Je serais bien aise d’en savoir votre impression. C’est certainement un langage à peu près convenu. Adieu, Adieu. Le beau temps est tout à fait revenu ici. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie jeudi 20 Sept 1849 Sept heures

J’ai tout le jour sous les yeux une preuve frappante qu’il n’y a aujourd’hui pour la France, dans la pensée de tout le monde, point de politique extérieure. Personne n'en parle. Personne ne songe à en rien demander ni à en rien dire. Il vient ici assez de visites ; on ne parle que des affaires publiques ; point des Affaires étrangères ; un mot, en passant, sur Rome, qui tombe aussitôt et qui est dit plutôt pour parler du Président. qu'on est curieux de bien connaître, que de Rome dont on ne se soucie pas. La France n’est préoccupée que d'elle-même. Le Duc de Broglie me dit qu’il répète sans cesse aux Ministres : " La paix à tout prix, et point d'affaires ; la République ne peut pas avoir une autre politique. " Il a raison, et le public, est de son avis. Les journaux seuls sont en dehors de cette disposition du public, et raisonnent à perte de vue sur l'Europe. Et leurs lecteurs se plaisent assez à cela. Mais comment on se plaît à un moment de badauderie et d'oisiveté. Personne ne prend les journaux au sérieux. Ce qui n'empêche pas qu'à la longue ils n'agissent. Un jour viendra où le pays sortira de cette insouciance forcée sur sa politique et sa position au dehors, et s’en vengera sur le gouvernement qui lui en fait une nécessité. Etrange chaos que l'état des esprits et ce qu'ils ont à la fois d'activité et d’apathie de passion et d’indifférence de bon sens et d’inintelligence. Plus j'y regarde, plus je me persuade que c’est bien un état de transition, non une chute définitive. C'est ma seule consolation, et je crois que c’est la vérité.
Transition à quoi. Je n’en sais pas plus que je n’en savais quand nous avions le bonheur de causer ensemble de tout cela. Pourtant je suis plutôt confirmé qu’ébranlé dans l’idée à laquelle j'aboutissais en définitive quand nous voulions absolument voir à ceci une issue.

Onze heures
Je vous reviens après être allé entendre une homélie de l'évêque d'Evreux dans l’Eglise de Broglie. Hélas oui, il y a deux grands mois que nous nous sommes quittés ! Je n'essaie pas de vous dire combien vous me manquez. Vous me manquez non seulement pour les choses que je ne dis qu'à vous et que je n’entends que de vous, là où le vide est complet quand vous n’y êtes pas. Vous me manquez même dans les moments où il n’y a pas de vide, ou ce que j’entends et dis me plait et m'intéresse. Je suis toujours sur le point de me retourner pour voir si vous êtes là et pour vous mettre de part dans tout. Que de choses je ne dis pas que je vous dirais, et que de choses je vous dirais que je ne vous ai jamais dîtes ! Et la vie s’écoule dans cette impatience d’une affection qui ne donne et ne reçoit pas, tout ce qu'elle pourrait recevoir et donner dans le sentiment d’un grand bonheur possible et manqué.
Paris sera tranquille. Et si les rouges essayaient de le troubler la tranquillité serait pleinement rétablie en quelques heures comme au 13 Juin. La force et la volonté de faire cela y sont également. Certainement le choléra diminue. Pourtant il y en a encore, et presque toujours grave. Ne vous ai-je pas déjà dit hier qu'à cause du Choléra, on retardait de quinze jours la rentrée des écoliers aux collèges ?
La lettre de Marion est charmante et très originale, si cette aimable fille était heureuse, elle aurait tout le bon sens hors duquel elle se jette quelquefois pour répandre et animer son âme. Elle a naturellement beaucoup de bon sens. Mais il faut aux femmes même aux plus distinguées, du bonheur personnel, et de cœur, pour être dans cet équilibre intérieur qui met en état de voir les choses du dehors comme elles sont réellement, parce qu'on n'a rien à leur demander. Je parlais un jour à la Duchesse de Broglie d’une jeune femme de sa connaissance, et de la mienne qui avant son mariage avait un amour propre assez agité et exigeant, et qui depuis son mariage, était devenue parfaitement calme et modeste : " Je le crois bien, me dit-elle, elle a ce qui apaise et satisfait le plus grand amour propre possible d’une femme : elle est aimée et heureuse. " J'ai bien souvent reconnu la vérité de cela. J’ai peur que notre bonne Marion reste toujours républicaine, tantôt pour Cavaignac, tantôt pour Manin, faute d'avoir son roi à elle, un mari qu'elle adore, et qui l'adore. Adieu. Adieu.
Je ne vois rien dans mes journaux de ce matin. Je pars toujours le 28 pour retourner au Val Richer le Duc de Broglie, le 29 pour Paris. Il veut être au premier jour de l’assemblée aussi à la réunion du Conseil d'Etat qui aura probablement, lieu la veille. Adieu, Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie. Dimanche 16 sept 1849 8 heures

J’ai un soleil superbe, un beau gazon, une belle vallée, et une belle forêt devant mes yeux. Je voudrais vous envoyer cela. C'est moins bien tenu que Richmnond. La Tamise n’y est pas et la main de l'homme y a moins fait. Mais la nature est aussi riante, et plus grande. Personne que nous ici, et un ancien député conservateur, M. Galos, beau-frère de Piscatory, galant homme, réactionnaire ardent, que ma conversation relève un peu de l'abattement où le jette celle du Duc de Broglie. Je crois que Piscatory viendra la semaine prochaine. Ils ont cru un moment qu'ils convoqueraient l’assemblée. Mais il n’en sera rien. Le Cabinet fait de son mieux pour ne pas se disloquer et le public l’y aide. Le plus probable paraît toujours une modification partielle ; MM. Benoît. Piscatory et Daru entrant aux finances à la Marine et aux travaux publics à la place de MM. Passy, Tracy et Lacrosse. Ne prenez pas cela pour ma propre opinion. Je n'en sais rien. C'est ce qu’on me dit.

Voilà votre lettre. Je ne vois et n’entends rien, absolument rien, qui confirme ce que Lord Normanby attribue au Gal Changarnier, sur une nouvelle bataille dans les rues. Tout le monde dit toujours que tout est possible. Mais personne ne croit à cela. C'est le procès des Ledru Rollin, Felix Pyat &&, annoncé à Versailles pour le 10 octobre, qui fait dire ou supposer ce que mande Lord Normanby. Et en effet, il se pourrait bien que les rouges, à cette occasion, fissent un peu de train. Mais les forces sont énormes à Versailles comme à Paris, et je ne puis découvrir aucune inquiétude, tant soit peu sérieuse de ce côté. Sachez bien que la position de Lord Normanby est plus ridicule qu’elle nait jamais été. Sauf ce qu’il dit de la part de l’Angleterre, personne ne le prend une minute au sérieux lui-même, ni ce qu’il dit ; ni ce qu’on lui dit. Le Marquis Italien est son nom populaire. Et les Italiens n’ont pas grandi depuis dix-huit mois. Ni les marquis. Les intrigues intérieures, du Cabinet à propos de l'affaire de Rome, les lettres, réponses, répliques, contre lettres de tout le monde, et la santé de M. de Falloux, voilà les seules choses qui préoccupent le public qui s’occupe d'autre chose que de ses affaires privées. Le Duc de Broglie persiste à croire que de tout cela, il ne sortira pas même une vraie crise ministérielle. Et je vois qu’il n’est pas seul de son avis car je lis dans une lettre d’un correspondant assez spirituel au journal Belge l’Emancipation : " La question romaine est déjà bien loin. Ce n'est plus de la guerre que l’on s'effraye ; c’est d’une crise à l’intérieur. Allons, vite, qu’on s'embrasse ; voilà ce que c’est que de trop parler. On a failli se brouiller pour avoir dit que l'on était d'accord. Dans les temps où nous vivons, il est bien permis de s'injurier de se diffamer de se calomnier, de se renier, de se trahir. Mais ce n’est pas une raison pour se brouiller. Au contraire." Du reste, je regarderai avec soin du côté où l'on vous montre un point noir.
Adieu. Adieu. Demain est encore un bon jour. Mais après-demain mardi, rien. Adieu. Adieu G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie. Vendredi 14 sept 1849 sept heures

Vos yeux me désolent, pour vous et pour moi. J’ai lu votre lettre hier, en arrivant ici, avec regret pour ce qui n’y est pas, avec remords pour ce qui y est. Vous vous fatiguerez et vous me direz si peu ! Ne pourriez-vous pas, si cela se prolongeait, vous faire prêter Marion pour huit jours, quinze jours ? Un service positif à demander pour une raison claire et pour un temps déterminé cela se peut. Je cherche, je voudrais tant imaginer quelque chose qui vous soulagent, el qui m'assurât de nos lettres. Quel malheur d'être loin !
Je ne suis pas rentré ici sans émotion. J’y étais venu, pour la dernière fois, en septembre 1838, au moment de la mort de la Duchesse de Broglie, il y a onze ans. Je l'ai vue morte sur son lit, le 27 ou le 26 septembre, je crois. Le lieu est toujours beau. La jeune femme qui l'habite aujourd’hui est jolie et gracieuse, et semble prendre, à ce qui se passe et se dit autour d'elle un intérêt intelligent. Mais la différence est grande. Est-ce qu’il y a vraiment du déclin dans les personnes comme dans les choses, ou seulement du déplacement ? On mène ici une vie à peu près semblable à celle du Val-Richer, déjeuner à midi dîner à 7 heures On se couche à onze. C’est un peu plus tard que mon habitude. Je remonterai chez moi à 10 heures, si plus tard me dérange. Je ne veux par interrompre, mon travail pendant quinze jours. J’ai un bon appartement avec une vue charmante. Il fait presque froid. J’ai un bon feu. Je viens de me lever. Je prendrai du thé dans ma chambre avec du beurre à 9 heures et demie ; votre déjeuner. Je ne descendrai qu’à midi. On est fort libre tout le jour. On fait une promenade, ensemble s’il fait beau.
Voilà votre lettre d'avant-hier. Quel bonheur. Je n'espérais pas la poste sitôt. Elle arrive à 7 heures et demie, et repart à 2 heures Et une longue lettre que je lis presque sans remords puisque vos yeux vont un peu mieux. Je m'inquiète pourtant, vous n'auriez pas du m'en écrire si long. Je tiens plus à vos yeux qu'à la politique de Lord John, et de Lord Ponsonby. Merci mille fois. Lord Ponsonby est curieux. Comorn se rendra comme, le reste. Ce ne sont plus que des malheurs particuliers de l'héroïsme perdu. C’est grand dommage ! Il y a des pays où l'on emploierait si utilement ce qui n’est bon à voir là. Le Duc de Broglie est convaincu que l'affaire de Rome tombera à plat comme toutes les autres. Personne ne sortira du Ministère. Personne, en y restant, ne poussera rien un peu loin. Les légitimistes veulent que M. de Falloux reste ministre et leur fasse faire une part un peu plus grosse dans le pouvoir. Les conservateurs ne pensent qu'à rester tranquilles, pourquoi ils laisseront tout le monde, tranquille, président et ministres. S’il faut rester à Rome avec ou sans le Pape, on y restera. S’il faut s’en aller de Rome, et que d'autres y viennent, ou s'en ira et on les laissera venir. Je me méfie d’une despondency, si absolue. Je suis certes bien loin aujourd’hui d'espérer beaucoup de mon pays. Mais je le connais. Il a des retours subits qui mettent fin brusquement à ses plus profondes léthargies. Je me suis trompé pour m'être fié à sa sagesse. Ceux qui se fient à son abattement se trompent de même. Il me paraît pourtant probable que Dufaure résistera aux attaques dirigées contre lui, et que le Cabinet ne sera que partiellement modifié. Personne, je vous le répète, ne croit ce que croit Morny. Cependant ce qui est le probable, n'est pas tout le possible.
Plusieurs de mes journaux me manquent ce matin. Adieu, adieu. J’espère que votre lettre, qui me fait tant de plaisir, n'aura pas fait de mal à vos yeux. Adieu, adieu dearest. G. Je suis bien fâché que Lord Beauvale ne revienne pas de Richmond.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Vendredi 14 Sept 1849 4 heures

Nous revenons d’une longue promenade, tous ensemble sauf Melle Chabaud qui ne peut marcher ni vite, ni longtemps. Nous causons beaucoup. Je crois que ma visite leur est très agréable. C’est du mouvement porté chez les gens qui l’aiment et qui ne savent pas s’en donner. Nous connaissons, vous et moi, ce genre de succès.

Samedi 15, 7 heures
J’ai été interrompu hier par des visites qui m'ont retenu jusqu'à l’heure du dîner. Je m’aperçois ce matin que c’est samedi et que j'ai mis hier ma lettre à la poste comme si vous pouviez l'avoir demain. Peu importe du reste. Le Duc de Broglie ne désespère pas au fond, autant qu’il le dit et qu’il le croit. Une idée le préoccupe constamment, et c’est une idée d'avenir. Comment faudrait-il reconstituer le Gouvernement si on avait à le reconstituer, mettant de côté la question du nom propre de ce gouvernement. Faire un bon lit, n'importe qui doive y coucher. Son avis est qu'on obtiendra beaucoup plus avant qu’on ne ferait après, en fait de garanties d’ordre, et de pouvoir. Parce que tant qu’il ne sera pas question de nom propre, tout le parti conservateur sera uni. Parce que, sous le manteau de la République on ira plus loin que sous aucun autre en fait de conservation. Parce qu'il faut que le gouvernement qui devra durer, trouve, quand il viendra, ses affaires essentielles toutes faites, faites par la France elle-même, sous sa responsabilité nationale, et ne soit pas obligé de les faire lui-même, et de répondre de la solution des questions. Le Duc de Broglie cherche donc la solution de toutes les questions constitutionnelles, la meilleure solution possible. Il ne croit pas qu'on révise la Constitution bientôt, ni par des coups d'Etat ; mais il ne croit pas non plus qu’on s’expose à une nouvelle épreuve de la constitution actuelle à la réélection d’une assemblée et d'un président par le suffrage universel, tel qu’il est établi aujourd’hui. Aux approches de cette épreuve-là, on prendra son parti de sauter le fossé plutôt que d’y tomber. 10 heures Je ne m'étonne pas que la malle ne soit pas arrivée en Angleterre. Nous avons vécu quatre jours au milieu des orages. Cela se calme.
Si les Holland sont en Angleterre, pourriez vous éclairer ceci ? Le Duc de Broglie était très lié avec eux et allait sans cesse à Holland House pendant son dernier séjour à Londres. Dés qu’il les a sus à Paris, il est allé les chercher et ne les a pas trouvés. Ils ont mis simplement une carte chez lui et il n’en a plus entendu parler du tout. Il ne comprend pas. Ils ne vivent, dit-il, que sur la frontière la plus rapprochée des rouges, et avec Jérôme Bonaparte. Il suppose que la froideur vient de là. La rigueur envers Gilberti est en effet un peu drôle. Pendant qu’Albert de Broglie, était encore à Rome, Gilberti y est venu. Le Pape l’a reçu, complimenté, embrassé, comblé. Et son livre avait paru. Les gouvernements oublient trop qu'aujourd’hui on n'oublie rien sur leur compte du moins. Ils sont condamnés à plus de prévoyance, et de conséquence que n’en comporte peut-être la faiblesse humaine.
A cela près du contraste trop choquant, je trouve fort simple que le Pape mette à l’Index, les livres, qu’il trouve mauvais et dangereux. C’est de sa part une simple déclaration de son jugement qui ne coûte pas un cheveu aux auteurs, et un avertisse ment à la conscience des Catholiques qu'il a charge de diriger. Quand on interdit au Pape l'index, et qu'on lui commande un gouvernement libéral, on lui interdit tout simplement d'être le Pape. Adieu. Adieu. Je suis préoccupé du Choléra de Londres. Celui de Paris est stationnaire. Adieu. G. Je n’ai pas su lire le nom de Lord .... avec qui vous avez dîné chez Lady Alice. Je trouve pourtant votre écriture meilleure que vos yeux ne se comportent.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, mardi 11 sept 1849

4 heures

Voici l’histoire de la lettre du Président sur Rome. Il l’a écrite lui seul. Puis il l’a montrée d'abord à M. de Tocqueville, qui s’est un peu effarouché, et a fait des objections. Le Président a réfuté les objections et soutenu sa lettre ajoutant d'ailleurs, qu’elle était partie. La conversation a continué entre eux et Tocqueville entrainé, moitié par les raisonnements, très obstinés (du président) moitié par l'autorité du fait accompli, a fini par se rendre et par approuver la lettre se réduisant à demander qu’elle fût montrée au Conseil. Le président y a consenti ; le conseil a été convoqué et la lettre montrée. Tous les ministres présents, sans exception ; nommément M. de Falloux. Tous, ou presque tous, ont répété les objections de M. de Tocqueville. Tous sont revenus au même point, à l’approbation de la lettre partie. Le Président a bien constaté cette approbation. Puis, trois jours après, il a dit que sa lettre n'était point partie avant la délibération du Consul mais seulement le lendemain. Ils se sont regardés, et n’ont rien dit. Vous savez tout ce qui a suivi la publication de la lettre. On dit qu'elle a été écrite par l'inspiration de Dufaure. C'est vraisemblable, et tout le monde le croit. Le parti légitimiste a fait dire au Président, par un intermédiaire fort accrédité auprès de lui, qu'ils étaient bien fâchés mois qu'il leur serait impossible de voter pour lui, sur cette question, dans l'assemblée, qu’ils ne pourraient se dispenser de voter avec le petit parti catholique (30 ou 40 membres) qu’il s’était aliéné par sa lettre. Que la majorité courait donc grand risque d'être disloquée. Le général Changarnier blâme ouvertement la lettre et paraît, en tout, moins intime avec le Président. Les conséquences de ceci à l’intérieur, peuvent donc être grosses. Quant aux conséquences à l'extérieure, il faut attendre ce que diront le Pape et l’Autriche. Je doute qu'ils fassent comme les ministres du Président et qu'ils avalent la lettre parce qu'elle est écrite et publiée. Le rédacteur du journal légitimiste de Caen vient de m’arriver en hâte pour me dire que la réconciliation des deux familles était faite, que M. le Duc d’Escars le lui écrivait positivement, et que son journal l’annoncerait demain. Ils sont évidemment en grand travail pour faire faire, et surtout pour faire croire. On dit que M. de Montalivet, agit fort dans ce sens. Vous en revient-il quelque chose ?
Autre bruit de Dieppe. Thiers a fait une longue promenade en mer, dans un bon canot, avec trois hommes sûrs. Il a rencontré au large M. le Prince de Joinville, et ils ont passé deux heures ensemble. L’attaque contre Dufaure, pour sa répugnance à écarter les fonctionnaires rouges au quasi-rouges, sera très vive. Chacun a des faits choquants à citer. La coïncidence de deux attaques vives sur la politique du dedans, et celle du dehors, fera plus que doubler l'effet. Le cabinet peut sortir de la mort, et le Président blessé. Je ne rencontre personne qui croie au dire de Morny sur Thiers et Molé prenant le pouvoir. Le choléra devient plus rare à Paris. Toujours grave quand il vient, mais plus rare. On dirait aujourd’hui qu’Odilon Barrot, en était atteint. Ce qui est sûr, c’est qu’il a été assez souffrant pour demander instamment qu’on le laissât. tranquille pendant huit jours, sans lui parler de rien, dans sa maison de campagne de Bougival. Il y était en effet quand la publication de la lettre du Président est venue l’en tirer. M. de Villèle est fort malade, dans sa terre près de Toulouse. Plus malade encore d'esprit que de corps. La tête très affaiblie, presque en enfance. Il n'a que 75 ans. M. Ravez sera remplacé à l'Assemblée par son fils. Il me semble que j'ai vidé mon sac. J’ai eu du monde toute la matinée de Paris, Trouville et Caen.
Lady Anna Maria Domkin est partie ce matin. Encore un orage tout à l'heure. Mercredi 12, huit heures Toujours la pluie, et assez froid. J’ai eu hier un assez bon échantillon de la disposition des fonctionnaires qui servent ce gouvernement-ci. Le Préfet du département est venu me voir. Il n’était pas encore venu, moitié par lâcheté, moitié à cause de la session du Conseil général. C’est un homme sensé, intelligent, honnête tout cela dans la région moyenne, et préfet sous la monarchie. Il a l’esprit très libre, et la langue assez libre sur toutes choses, y compris toutes les personnes. Il m’a raconté le séjour du Président au Havre où il était la session de son Conseil Général, les circulaires des Ministres, les discours en promenade de M. Léon Faucher, en spectateur qui ne prend pas grand intérêt au spectacle et n'admire pas beaucoup les acteurs. Les hommes de ce temps-ci ont l'art d'avoir de l’impartialité sans indépendance et de la liberté d’esprit sans dignité. Au fait, ce n’est rien de plus que la nature humaine, déshabillée et courbée par des coups de vent trop forts pour elle.

Onze heures
Ménagez vos yeux. C'est beau à moi de vous dire cela en présence d'une lettre un peu courte. N'importe ; ménagez vos yeux, et adieu sans fin. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche, 9 sept 1489 4 heures

Les visites s'en vont et je viens à vous. J’avais là tout à l'heure, mon ancien préfet, M. Bocher, aujourd’hui membre de l'Assemblée , beau frère de Gabriel Delessert. Il a été bien étonné quand je lui ai dit qu'on me disait que Thiers allait entrer avec Molé. Cela lui parait un grand et invraisemblable abaissement. Il est, lui, à ce qu’il m’a paru, plutôt pour le maintien du Cabinet actuel, un peu modifié. Gabriel Delessert vient d'arriver à Trouville avec sa femme malade, sa belle-mère malade. Il a eu son fils trés malade en Italie. Plus triste et découragé que jamais. La lettre du président sur le Pape ne réussit pas du tout. Ceux à qui elle plaît et ceux à qui elle déplait la trouvent également inconséquente, et le disent en souriant. Le Cabinet vient de l’épouser avec amour. L’article du Moniteur du soir est de M. Dufaure. Les journaux de la réaction un peu vive, dévots ou non dévots l’attaquent vigoureusement. L’Univers avec colère. L'Assemblée nationale. dit : " Nous ne voyons pas pourquoi demain le Conseil d'Etat ne réhabiliterait pas M. de Lesseps. C'est sa potitique qu’on adopte ; c'est sa diplomatie qu’on veut faire triompher aujourd’hui à Rome. " Cela deviendra une grosse affaire, très grosse dans l’Assemblée et en Europe.
Il est vrai que le Code Napoléon et le gouvernement libéral sont bien enfantins. C'est là mon impression de tous les moments ; ce sont des enfants, sans prévoyance et sans consistance. Si M. de Falloux n’est pas un enfant, il sera embarrassé. Comment n’a-t-il pas su ? Et, s'il a su, comment n'a-t-il pas empêché ? On ne peut agir sensément et efficacement à Rome qu'en agissant de concert avec l'Autriche. L’Autriche peut être raisonnable. Je me suis conduit d'après cette idée là. Et je suppose qu’elle est encore juste aujourd’hui. Regardez un peu attentivement, je vous prie, à tout ce qui va se développer dans cette affaire. Elle mérite votre curiosité. Je ne vous cite de la lettre de Montebello que cette phrase-ci : " J’ai lu dans quelques journaux que j’avais été au devant du Président jusqu'à Château Thierry. Je vous prie de croire qu’il n'en est rien, et que je n’ai pas commis cet excès de zèle. J’ai été, avec la plupart de mes collègues, le recevoir à Epernay où nous étions convoqués. "

Lundi 10. six heures Je plains l'Empereur. Perdre un ami est toujours affreux. Bien plus pour un Roi. Même pour un Roi égoïste. L’égoïsme ne sauve pas des tristesses de l'isolement. Vous m'avez toujours dit que l'Empereur était capable d'affection. Sauf son chagrin, il doit être content. Il a très bien réussi dans une très bonne politique. Il a fait preuve de sagesse dans la force et de force dans la sagesse. C'est le problème que Dieu donne à résoudre à tous les grands souverains et que bien peu résolvent. J'espère pour lui et pour l'Europe, qu’il persistera dans la même conduite et toujours avec le même succès. Je suis bien préoccupé de la réorganisation de l’Autriche ; aussi nécessaire à l’Europe qu'à elle-même. Belle occasion pour ce jeune Empereur d'être un grand homme. Le mot de votre Empereur à Lamoricière est excellent. Et Lamoricière n'aura pas compris que l'Empereur le louait trop. Ce qui fait qu'il n’aura point été embarrassé de l'éloge.

Onze heures
Les Adieu du lundi ne me consolent point du mardi je n'ai rien de Paris. Adieu adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, 8 Sept 1849 4 heures

La conversation de Morny est curieuse. Mais un seul fait est important : Molé et Thiers entrant au pouvoir. Pour le pays et pour moi-même, par les raisons patriotiques et par les raisons égoïstes, je le désire. Je suis sûr qu’ils feront beaucoup mieux qu’on ne fait et je doute qu’ils y grandissent beaucoup. M. d'Haussonville, qui vient de me quitter parce qu’il est obligé d'être demain matin, à Paris, croit le fait possible. Pourtant il en doute encore. La lettre du Président à Edgar Ney peut devenir un événement. Elle en est déjà un, car elle ne deviendra un dans toutes les hypothèses. Si le Pape cède, le Gouvernement français prend la responsabilité du gouvernement de Rome et doit rester là, longtemps du moins pour le soutenir, si le Pape ne cède pas, les Français finiront par quitter Rome, et les Autrichiens ou les Napolitains par les y remplacer. Grosse complication. La République française est condamnée à soulever des fardeaux qu’elle ne peut pas porter. Je penche à croire qu’au premier moment le Pape cèdera. Que dit le Prince de Metternich de ceci. J’en suis plus curieux que de sa feuille volante. sa petite lettre est spirituelle, et il a raison au fond. Si l’union devait rester dans les limbes là, elle ne serait que ridicule. Je serais bien trompé, si elle n’en sortait pas et ne devenait pas plus précise. Je reçois ce matin même des nouvelles de Piscatory ? " Rien ne se passe ici. Le Président a été vivement reçu dans son dernier voyage. Je ne crois pas cependant qu’il pense, ni qu’on pense pour lui à autre chose que ce qui est. Le pays refait un peu ses affaires; le pays de promène et chasse. Il ne faut pas qu’on le trouble dans cette illusion, et les Conseils généraux eussent été très mal venus à parler révision de la Constitution. Ils parlent impôts. C'est à peu près aussi grave, et peut-être plus dangereux. L[?] fait tout ce qu’il peut dans le Midi de la question des boissons. Il en peut sortir des orages. Vous allez à Broglie. Dites-moi quand. Je voudrais pouvoir m'échapper pour vous y joindre. J’ai beaucoup à vous dire, et bien plus encore à entendre. Il serait même possible que j'eusse un sérieux conseil à vous demander. " Les derniers mots sentent bien le cabinet. Je suis assez porté à croire que Morny a raison sur toutes les personnes. Je ne sais rien de Claremont. Je ne crois pas à l'Italie. Le Roi tiendra toujours à l'Angleterre. Rome n’est pas possible. On serait bien embarrassant à Naples. Il serait plaisant que Palerme fût le lieu de repos. La maison offerte ( je dis trop, n’est-ce pas ?) à l'Impératrice. La joie de la Reine d'Angleterre me plait. J’ai objection pourtant à ce ravisse ment du sans-gêne de la vie privée. C’est aujourd’hui la manie des Rois. Preuve qu’ils ne prennent pas leur métier assez au sérieux, ou qu’ils le trouvent trop lourd. à propos une hut, s'écrit une hutte.

Dimanche 9 - 7 heures
Quand vous reverrez Morny, si mes questions vous arrivent à temps faites-vous dire par lui je vous prie, 1° la statistique de l’Assemblée combien pour chaque parti à son avis ; 2° Quelle est, dans l’intérieur du parti légitimistes la force relative des [ ?] Berryer en tête et des pointus, MM. Nettement et du Fougerais en tête. Je suis curieux de contrôler, par Morny les renseignements qu'on me donne. J’irai à Broglie jeudi prochain 12. Ecrivez moi donc là, après-demain mardi, en réponse à cette lettre ci. Vos lettres m’arriveront le surlendemain comme ici. Au château de Broglie, par Broglie. Eure. Je serai de retour ici au plus tard, le 28 septembre. Adieu, adieu, en attendant la poste. Onze heures Merci de votre longue et intéressante lettre mais ménagez vos yeux. J'en reçois une de Montebello qui est à la campagne. Il vous a déjà dit; je suppose, ce qu’il me dit. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 7 sept 1849

J’ai déjeuné hier avec dix huit personnes, quelques une venues de Rouen, de Trouville et de Paris. J’ai été frappé de l’uniformité de leur langage. Elles disent que, dans les villes, dans la bourgeoisie, Henri V et le comte de Paris ensemble gagnent beaucoup de terrain ; dans les campagnes, l’Empereur. Les paysans ne veulent de la légitimité, ni de la République. Je parie toujours, d’ici à assez longtemps, pour le statu quo, ou à peu près. Mais le sentiment de l’instabilité domine évidemment toujours dans les esprits. Il renait pourtant une peu de prospérité. Rouen, Le Havre, Lyon, sont contents. Quand l’Assemblée se réunira, le cabinet pourra se targuer de la tranquillité publique pendant l’entracte, du silence des Conseils généraux et de la renaissance des Affaires. C’est assez, ce me semble, pour ralentir l’attaque. Il y avait là hier, deux membres de l’Assemblée qui disaient tout haut : " Si nos gros bonnets veulent prendre le pouvoir, nous renverserons le cabinet sur le champ ; sinon, ce n’est pas la peine. " Il ne me revient sur les dispositions de Molé et de Thiers, que ce que je vous ai déjà dit. On évalue, dans l’Assemblée, les rouges à 200 ; le tiers-parti, amis de Dufaure à 150 ; décidés, légitimistes ou Orléanistes à 400. Je n’ai rien de plus dans mon sac pour l’intérieur. Au dehors, je sais que Georgey est déjà gracié. J’en suis charmé. J’ai peu de confiance dans la magnanimité par habilité. Au reste, les affaires de l’Autriche en Italie, bien que plus simples et plus finies en apparence que les affaires en Hongrie, me semblent, au fond, plus mauvaises et moins finissables. Je comprends une vraie pacification entre l’Autriche et la Hongrie ; il y a là des bases d’arrangement, une semi-indépendance, une constitution ancienne et reconnue, et qui peut être rajeunie. Entre l’Autriche et la Haute Italie, il n’y a que de la force ; point de passé autre que la conquête ; point de droits naturellement acceptés. La force est probablement très suffisante pour rester. Mais rester, ce n’est pas pousser des racines ; et il faut des racines, surtout de notre temps où les orages sont toujours à prévoir. Il y assez de mauvaise humeur en effet dans le billet de lord John. Je crois, comme vous, qu’on ne s’épargnera pas pour vous brouiller, et qu’on n’y réussira pas. Ce serait trop bête. Pour vous, vous avez beau jeu à être patient. Et pour l’Autriche, elle ne peut se rétablir que par la patience. Je ne la connais pas assez bien pour savoir. Quelles sont les ressources de régénération intérieure. Je suis porté à croire qu’elle en a, qu’elle se relèvera. Mais il faut qu’elle se relève. Sans quoi, ce sera lord John qui aura raison, et vous serez vis à vis de l’Autriche, comme vis-à-vis de la Turquie et de la Perse, des protecteurs-héritiers. Le monde sera curieux à voir dans un siècle ou deux. Il aura résolu bien des problèmes.
Je rentre dans le Val Richer. J’y attends demain D’Haussonville. J’y ai aujourd’hui Lady Anna Maria Domkin qui me raconte des commérages de Richmond, Madame de Caraman cherchant un mari anglais et disant aux personnes qui lui demandent pourquoi elle n’en prend pas un : « Ma vie est voué aux arts. » Elle (Lady Anna-Maria) s’étonne que vous vous plaisiez à Richmond, entre Lady Alice Peel, Madame de Metternich et les Berry. J’ai défendu vos sociétés et dit du bien de Lady John. Votre lettre à lord John est très bien tournée. Vous avez le don de la malice dans la franchise.

Samedi 8 Sept heures
Je relis votre lettre. Je voudrais précisément vous demander des nouvelles de Marion. Faites-lui, je vous prie, toutes mes tendresses, mes anciennes et constantes tendresses. Je ne puis souffrir ces longs silences, ne point parler et ne rien entendre des personnes qu’on aime, comme si l’amitié n’était plus ou si la mort était déjà là. Interrompez cela pour moi, de temps en temps, avec Marion. C’est vraiment bien triste que ses parents ne veuillent plus de Paris. Est-ce qu’elle ne pourrait pas, elle, y venir passer six semaines ou deux mois avec vous, quand vous y serez, pour sa santé ? Comment va Aggy ? Je suis sûr que vous ne faites pas attention au concile provincial qui va se tenir à Paris. Vous avez tort. C’est un événement. Soyez sûr que les questions religieuses reprendront en France une grande place, ne fût-ce que parce qu’on n’en a pas parlé depuis longtemps. Les libertés politiques pourront souffrir de tout ceci ; les libertés religieuses, non. Celles-là seront nouvelles, et sacrées. Et elles fourniront, autant que les autres, de quoi parler et se quereller.
Avez-vous remarqué ces dernières paroles de Manin quittant Venise : « Quoiqu’il arrive, dites : cet homme s’est trompé ; mais ne dites jamais cet homme nous a trompés. Je n’ai jamais trompé personne ; je n’ai jamais donné des illusions que je n’avais point ; je n’ai jamais dit que j’espérais lorsque je n’espérais pas. » C’est bien beau. Je m’intéresse à cet homme-là.
Onze heures
Votre lettre arrive, plein d’intérêt. Si ce que vous dit Marny est vrai, le changement de cabinet sera un événement. Adieu, adieu. Adieu, G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Mercredi 29 août 1849
8 heures et demie

Je me lève tard. Je suis rentré tard hier. 37 personnes à dîner. On s'est mis à table à 6 heures et demie. Sorti de table à 8 et demie. En voiture à 9 heures un quart. 6 lieues à faire. Par le plus beau temps, et la plus belle lune du monde. J’étais un peu fatigué de m'être tenu trois heures sur mes jambes à me promener dans un assez joli parc montant et descendant, sur le flanc d’un côté. J’ai très bien dormi. Je ne pouvais refuser cette invitation-là. C'est le manufacturier le plus considérable de Lisieux, et qui m'a été le plus hautement fidèle. Je refuse toutes les invitations ordinaires. Il y avait là deux membres de l'Assemblée législative ; modérés parmi les modérés, mais à peu près convaincus que le Cabinet Dufaure ne tiendra pas quand l’Assemblée reviendra. Passy, Lacrosse et Tracy à peu près certainement. Dufaure et Tocqueville probablement. Pour mon compte, je n'y crois pas, et je les en ai plutôt détournés ; du moins pour Dufaure et Tocqueville. Si l’Assemblée avait de quoi les remplacer par un cabinet décidé, et capable qui eût vraiment envie de gouverner, et qui pût, en tenant toujours la majorité unie, la conduire fermement à son but, à la bonne heure. Mais cela n'est pas ; Molé et Thiers, les seuls plus capables veulent et ne veulent pas du pouvoir. Et s'ils le prenaient très probablement la majorité se diviserait au lieu d'avancer. Je suis pour qu’on redoute, et améliore par degrés le Cabinet actuel, sans toucher aux grosses pièces.
La fin de l'affaire de Hongrie tue la politique extérieure. On n'y pense plus. Rome seule embarrasse encore. On voudrait bien en sortir vite, et on n’ose pas trop si on n’y fait pas prévaloir, un peu de politique libérale. On finira par oser et par s’en aller quand même si le Pape ou son monde continue à résister. Le gouvernement actuel n’est pas, en état de pratiquer à Rome le bonne politique. Il ne la sait pas, et s’il la savait, il n’oserait pas l'avouer. Et pour la pratiquer avec succès, la première condition c’est de l'avouer très haut, et d’en faire une politique de l’Europe envers Rome ; politique adaptée, conseillée, soutenue et payée à Rome par les Puissances catholiques. Un Budget du Pape, comme chef de l'Eglise catholique, réglé et alimente de concert par les Puissances catholiques est le seul moyen d'assurer le succès de cette politique. Il faut que le Pape puisse vivre comme chef de l’église catholique, et en soutenir le grand état-major dont il est entouré sans être obligé de pressurer, par tous les abus imaginables, le petit pays dont il est le souverain temporel. Les Papes d’autrefois vivaient avec les revenus très gros qu’ils tiraient par toutes sortes de voies, les unes reconnues, les autres contestées, des états catholiques. Aujourd’hui, ils ne retirent plus rien, ou presque plus rien, du dehors ; et on veut qu’ils restent vraiment Papes, qu'ils gardent, et qu’ils soutiennent tous ces cardinaux, tout ce clergé, tout ce peuple d'ecclésiastiques qui est le cortège et l’armée de la Papauté ; et il faut que les petits états Romains suffisent à tout cela. C'est impossible. Cette fourmilière de prêtres ne peut pas vivre aux dépens de ce coin de terre sans un irrémédiable déluge d'abus. Que la Papauté soit épousée et soutenue par toute le catholicité ; et le Pape pourra laisser la population des états Romains faire elle-même ses affaires locales les discuter et les régler dans les communes dans les Provinces, sans que la souveraineté temporelle et spirituelle du Pape lui-même soit entamée, tant qu’on n’entrera pas ouvertement, et en disant pourquoi, dans cette voie, on s'embourbera de plus en plus dans les embarras et les complications dont on ne sait comment sortir.

Onze heures
J’ai été interrompu par la visite d’un ancien député conservateur, M. Leprevost. On m’arrive quelques fois à 9 heures du matin, quand on a couché la veille à Lisieux. Vous voyez que Rome est une de mes questions favorites. Je croyais avoir trouvé et commencé là quelque chose qui pouvait réussir, et qui valait la peine qu’on le fit réussir. Votre lettre de Dimanche et lundi arrive, et j’ai ma toilette à faire. Adieu. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Dimanche 26 Août 1849.
Val Richer 7 heures et demie

Je n'ai point été nommé au Conseil Général. C'est le voisin que je vous ai indiqué. Malgré ce que j'ai dit on m’a encore donné 300 voix. Ma commune et deux communes voisines n’ont pas voulu aller voter du tout, plutôt que de ne pas voter pour moi. Bien des poltrons ont encore peur de moi. Bien des esprits faibles sont encore incertains. Dans les premiers temps de la révolution, les Républicains de toute nuance, et plus récemment mes anciens adversaires politiques, ont ardemment travaillé contre moi, dans tout le pays. Journaux, petits pamphlets caricatures, lettres particulières, mensonges spécieux ou effrontés, odieux ou stupides, tout a été mis en œuvre et non sans quelque succès dans quelques parties de cette masse qui n’a point d’yeux pour voir, ni de temps pour regarder. Il reste, et il restera longtemps encore des traces de ce travail. Mais évidemment le vent souffle aujourd’hui de mon côté. Le courage revient à mes amis. La faveur des indifférents me revient. On fait de tout côté, honte à ceux qui ont menti ou qui ont cru aux mensonges. Ma présence et mon immobilité plaisent. Je n'ai qu'à continuer, et je continuerai certainement. Je suis sur le flot qui monte. S’il monte assez haut pour me relever, à la bonne heure. Je ne suis point pressé et je ne me contenterai pas à bon marché.
Ce qui me contentera parfaitement dans trois heures, j’espère, c’est votre lettre vos deux lettres. Comment se fait-il que ces irrégularités aient attendu jusqu'à présent pour se produire et qu’elles se renouvèlent à si peu de jours de distance ? Si on lit nos lettres, et si ceux qui les lisent ont un peu d’esprit, ils doivent voir bien clairement deux choses, que nous ne nous gênons pas, et que nous n’avons rien à cacher. Ce n’est vraiment pas la peine de nous causer le très vif déplaisir d’un retard.
J’ai reçu hier un mot de Dalmatie qui m’a annoncé sa visite pour cette semaine. On me dit que M. de Corcelle est très malade, et qu’il pourrait bien mourir à Castellamare. Ce serait une perte pour le Pape dont il a épousé avec passion la cause. On me dit aussi qu’il y aura, un peu plutôt ou un peu plus tard nouvelle explosion en Piémont, au moment où le Roi sera obligé de dissoudre la Chambre actuelle. La Suisse redevient le foyer du volcan, et c’est sur le Piémont que la flamme se dirige. Suisse et Piémont seront envahis s’ils éclatent, et la République Française fera comme les autres, on laissera faire les autres. Si les gouvernements sensés, sont assez sensés, leur chance est bonne. Les fous sont faibles et bêtes. Je crains que la brouillerie qui a éclaté entre Narvaez et Mon ne se raccommode pas cette fois. Ce serait bien dommage. Adieu jusqu'à la poste. Adieu, adieu. Je vais faire ma toilette.

Onze heures
Voilà seulement la lettre de jeudi 23. Je devrais avoir aussi celle d'avant-hier vendredi. Est-ce que les lettres mettraient désormais trois jours à m’arriver ? Je ne puis pas le croire. Il faut qu’il y ait quelque méprise, quelque retard dans l’ajustement de Richmond à Londres, et de Londres à Paris. Vous y prenez surement grand soin, dearest. Pourtant, j'ai bien envie que nous retrouvions notre exactitude accoutumée. Jusqu'ici cela marchait si bien ! Adieu, adieu. Nous verrons si j'aurai deux lettres demain, ou seulement celle de Vendredi. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 22 août 1849
Sept heures

Je n’ai aucune nouvelle à vous envoyer. Vitet, de retour à Paris, m’écrit : " Paris est plus mort que jamais. Il n'y reste absolument personne. La politique est partie pour les Conseils généraux ; je ne crois pas qu’elle y fasse grand bruit. C’est un temps de sommeil. On essaiera quelques petites parodies d’Etats provinciaux ; mais ce seront des bluettes. Il n'y a pour le quart d'heure, de sérieux nulle part. " Il en sera ainsi jusqu'au retour de l’assemblée, c’est-à-dire jusqu'aux premiers jours d'octobre. Alors commencera une crise ministérielle. L’assemblée voudra faire, un ministère plus à son image. Elle y réussira probablement. Mais l'image sera pâle, et aura peur d'elle-même en se regardant. En sorte que l'opposition y gagnera plus que la réaction ; et on entrera, dans une série d’oscillations, et de combinaisons batardes où la République modérée et la Monarchie honteuse s’useront, l’une contre l'autre, sans que ni l’une ni l’autre fasse rien de sérieux. Mon instinct est de plus en plus qu’on se traînera, tout le monde jusqu’au bord du fossé. Sautera- t-on alors, ou tombera-t-on au fond ? Je ne sais vraiment pas. Je regrette que vous ne connaissiez pas M. Vitet. C’est un des esprits les plus justes, les plus fins, les plus agréables et aussi les plus fermés, que nous ayons aujourd'hui. Et tout-à-fait de bonne compagnie, malgré un peu trop d’insouciance et de laisser aller. Voici une nouvelle. J’ai fait vendre à Paris ma voiture, mon coupé bleu. On l’a revu dans les rues. Cela a fait un petit bruit.
Je trouve dans l'Opinion publique, journal légitimiste : " Ce matin à midi et demi, un élégant et massif coupé de ville, bleu de roi, cheminait à petits pas sur la chaussée du boulevard des Capucines. La curiosité nous ayant poussé vers cet équipage que nous avions cru reconnaître, nous nous sommes en effet assurés que c'était bien comme nous l'avions jugé à distance, la voiture de M. Guizot, son écusson y est intact, avec sa devise : Recta omnium brevissima, et le cordon rouge en sautoir autour de l’écu. Pourquoi cette voiture errait-elle autour de l’hôtel qu’elle a hanté si longtemps ? Nous ne savons." Si j’avais été à Paris, j'aurais fait dire dans quelque journal, le lendemain, que ma voiture roulait parce que je l’avais vendue. Vous avez bien raison, l'immobilité et le silence me servent parfaitement.

En fait de folie, je n'en connais point de supérieure à celle de la Chambre des représentants de Turin. Elle ne peut pas faire la guerre ; elle le dit elle-même, et elle ne veut pas faire la paix. Point de dévouement à la lutte et point de résignation à la défaite ; je ne me souviens pas que le monde ait jamais vu cela. Il est probable que la nécessité finira par triompher, même de la folie. Mais il y a là un symptôme bien inquiétant pour l’Autriche, l'impuissance ne guérira point l'Italie de la rage. Le monde est plein aujourd’hui de problèmes insolubles. Insolubles pour nous, qui sommes si impatients dans une vie si courte. Le bon Dieu en trouvera bien la solution.
Vous ne me manquez pas plus que je ne croyais, mais bien, bien autant. Je parle, j'écoute, je cause sans rien dire et sans rien entendre qui mérite que j'ouvre la bouche ou les oreilles. La surface de la vie assez pleine, le fond, tout-à-fait vide. Je suis entouré d'affection, de dévouement, de soins, de respect. Il me manque l’égalité et l’intimité. Et combien il manque encore à notre intimité même quand elle est là ! La vie reste toujours bien imparfaite, quoi qu’elle aie de quoi ne pas l’être. Je m’y soumets mais je ne m'en console pas.

Onze heures
Pas de lettre. Pourquoi ? Et je l’attends plus impatiemment le mercredi que tout autre jour. Il a fait beau. Ce n’est pas la mer. Je suis très contrarié. Je me sers d’un pauvre mot. Adieu. Adieu. Adieu. Ce sera bien long d’ici à demain. Adieu. Guizot.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mercredi 22 août 1849

J’ai livré à lord Melbourne. Votre lettre sur le Pape. Il en raffole. Elle est admirable. (Il me l'a rendue cependant, mais lue tout à loisir.) C’est dommage que Metternich a tort une fois. dans cette lettre car du reste elle lui ferait un grand plaisir. Nous n’avons rien de nouveau par ici. Mais évidemment la guerre de Hongrie touche à sa fin. Dans huit jours j'espère apprendre le dénouement. Ce sera une grande affaire de terminée après cela cependant viendront pour le gouvernement autrichien les plus grosses difficultés. Vous savez qu'il a demandé à la Bavière 20 m. d'hommes pour venir garnisonner Vienne. Quelle situation pour ce grand empire ! Lord Palmerston est toujours et restera toujours bien hostile à l’Autriche. Il l'est un peu à nous maintenant. Ah comme Melbourne le déteste !
J'ai fait mon luncheon hier chez la duchesse de Glocester. Rien, qu'une excellente femme, et qui aurait bien envie que je passasse l’automne à Brighton avec elle. Mon fils est venu me voir hier. Il a pauvre mine, il est sans cesse malade à Londres et il est trop paresseux pour quitter sa vie de club. Brünnow est à Brighton, il n’y a vraiment personne à Londres. Lord Ponsonby écrit de Vienne à Lord Melbourne une excellente lettre. Toujours occupé à empêcher les personnalités entre Lord Palmerston & le Prince Schwarzemberg. Quand aux affaires de Hongrie, il n’a plus l'ombre du doute. Nous écrasons l’insurrection. L'Empereur sera bien content.

2 heures
Voici votre lettre. Curieux portrait de Lamoricière. Ce doit être vrai. Duchâtel vous mande exactement ce qu’il m’a mandé à moi. Il est clair que la durer de ceci n’est pas possible. Mais d’où partira l’explosion ? Que je voudrais qu'elle se fit vite ! Je n’ai plus aucun goût aux événements ; Je voudrais trouver les choses faites. Adieu. Adieu, vous voyez que je suis stérile aujourd’hui. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 21 Août 1849
Sept heures

Votre dernière lettre est datée du 18 Août, juste un mois après mon départ. C'est déjà bien long. Chaque jour plus long. Vous me dîtes : " Je veux de la sécurité à Paris. Qui me répond que j'en aurai ? " J'y regarde bien. J’ai toutes les raisons possibles d'y bien regarder, vous la première. Plus j’y regarde, plus je crois à la sécurité matérielle dans Paris. Et je ne vois personne qui n’y croie comme moi. Les coquins sont aussi abattus dans leur cœur que décriés dans le public. Non pas certes qu’ils renoncent. Mais dans l'état actuel, ils ne se croient aucune chance de succès. Ils attendront un autre état. Viendra- t-il un autre état ? Ceci, je le crois, et tout le monde, le croit. Il n’y a donc pas de sécurité politique. L'avenir amènera des évènements. Lesquels et quand ? Personne ne le sait. Tout ce qu'on peut dire, tout ce que disent tous les hommes sensés, c’est que dans trois ans, si d'ici là on ne fait rien, la réélection du Président et de l'assemblée fera une révolution, bonne ou mauvaise plus probablement mauvaise. Et probablement avant ce terme, aux approches de ce terme, pour éviter cette révolution inconnue, les pouvoirs aujourd’hui établis, et certainement, les plus forts, l'Assemblée, le Président, le Général Changarnier feront quelque chose. Personne ne sait quoi, ni quand. Tout le monde croit à quelque chose et croit que quelque chose sera nécessaire. Je reviens donc à mon point de départ. De la sécurité matérielle, oui. Pas de troubles dans la rue. De la sécurité politique, pas d’évènements graves. Personne ne peut vous promettre cela. La question se réduit donc à ceci : quel genre et quel degré de sécurité vous faut-il ?
M. de Metternich a raison ; l'exécution du prêtre à Bologne est stupide. C’est du bois sur un feu qui s'éteint. Les gouvernements vainqueurs ne savent pas le mal qu’ils se préparent quand ils redonnent un bon thème aux mauvaises passions vaincues. Ce que veulent surtout les révolutionnaires, c’est un fait, un acte, un nom-propre, de quoi parler. Ils excellent ensuite à commenter et à répandre.
Je ne comprends pas Brünnow à votre égard. Non seulement de la négligence, mais de la malveillance, c’est trop bête pour un homme même pour un subalterne d’esprit. Il faut que je ne sais quand, je ne sais comment, vous l’ayez blessé dans quelque secret repli de son cœur subalterne. Vous pouvez avoir le Génie de l'offense ; quelque fois le voulant bien, quelquefois sans le savoir. Peu importe du reste cette occasion-ci. M. de Brünnow n'apprendra rien à Lord Palmerston sur l’amitié que vous lui portez.
Je regrette bien Lord Beauvale pour vous. C'est évidemment la conversation qui vous plaît le plus. Pourquoi les Ellice ne veulent-ils plus venir à Paris ? Est-ce que le père et la mère ont peur ? Avez-vous des nouvelles de Bav. Ellice ? Est-il en Ecosse ? J’ai vu arriver hier un petit anglais, le second fils de Sir John Boileau. Il vient passer huit jours au Val Richer. L’aîné est aux Etats Unis. Milnes veut venir me voir ici. Bon homme et fidèle, malgré la promiscuité de son amitié.

Onze heures
J'ai beau faire ; j’attends la poste le mardi comme les autres jours. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 19 août 1849
Sept heures

Vous trouvez la conduite du Pape insensée. Peut-être. Mais tenez pour certain que, s’il suit les conseils de MM. Od. Barrot et de Tocqueville, il se tue infailliblement, lui et la Papauté. C'est là ce qu'on lui demande, car on lui demande de donner à Rome une Constitution, ou l’apparence d’une Constitution. Or en fait de Constitution, aujourd’hui, il n’y a plus de mensonge possible ; l’apparence, c’est bientôt la réalité, ou l’anarchie. Une constitution à Rome, c’est le Pape mort et Mazzini ressuscité. Les amis de Mazzini savaient très bien ce qu’ils faisaient quand ils ont assassiné Rossi. Je ne sais pas si Rossi serait devenu un grand homme, mais il était en train de le devenir. Lui aussi avant d’être à Rome Ambassadeur et Ministre, il avait cru et aspiré, là à une Constitution. Même pendant son Ambassade, j’ai souvent retrouvé dans ses lettres d'abord cette espérance, puis un désir sans espérance, puis un regret sans désir. Puis à la fin de son Ambassade, et surtout quand il est devenu Ministre du Pape, je suis convaincu qu'il ne croyait plus et qu’il ne tendait plus à une constitution romaine. Il voulait sérieusement avant tout, le maintien de la Papauté, la dernière grande chose de l'Italie comme il le disait à Grégoire XVI, et la chose nécessaire à l’Europe. Il avait compris que la Papauté et la constitution, le Pape coupé en deux, infaillible comme souverain spirituel, responsable et discuté tout le jour comme souverain temporel, cela était impossible. Rossi se détournait de cette chimère, et se mettait avec ardeur à une autre œuvre, à la reforme réelle, efficace, de la détestable administration romaine de ses abus de justice, de finances de police, de gouvernement intérieur subalterne, de petit et inintelligent népotisme. Il voulait donner, dans toutes ces affaires-là, satisfaction aux intérêts quotidiens de la population romaine, et une part de pouvoir, de pouvoir décisif à la portion, un peu riche et considérable, et laïque de cette population. Il y a deux choses impossibles aujourd’hui à Rome comme ailleurs ; l’une, qu’on prenne de l'argent à tort et à travers dans les poches du public qu’on dépense à tort et à travers l’argent pris dans les poches du public, qu'on juge à tort, et à travers les procès du public, qu’on ne paye pas ses dettes au public qu’il n’y ait point de sureté sur les routes, point de réverbères dans les rues, des imbéciles et des fainéants dans les fonctions publiques ; l'autre, que toutes ces affaires-là, qui sont les affaires des familles qui sont le peuple, toutes les affaires civiles de la population laïque, soient, en réalité et en définitive entre les mains et sous l'influence des ecclésiastiques ; je dirais des prêtres si je voulais reproduire le sentiment qui s’attache aujourd’hui à ce mot, à cause de ce fait. Le Prince de Metternich dit, et m'a dit que le fait n'existait plus, que depuis 1831 l'administration civile Romaine avait été sécularisée et était entre les mains des laïques. M. de Metternich se trompe ; certains changements, il est vrai avaient été faits dans ce sens ; changements vains, pures apparences nominales et dilatoires. Le pouvoir efficace, définitif, dans l'administration civile comme ailleurs était toujours entre les mains du Clergé ; et les abus choquants, l’inertie insurmontable, l'incapacité ridicule de cette administration subsistaient toujours. Ce sont là les deux choses que Rossi voulait changer. Il voulait que l'administration civile des Etats Romains devînt réellement bonne, et que pour devenir bonne ; elle devînt essentiellement laïque. C’est dans les limites et vers ce but que de mon temps, je l’ai constamment ramené, et qu’il avait fini lui-même par se diriger positivement. Il croyait, et je croyais aussi que cela se pouvait faire en laissant intacte, non seulement la souveraineté spirituelle du Pape, mais sa souveraineté temporelle et en n'enlevant point, non seulement l’autorité souveraine dans l’Eglise mais le gouvernement politique de l'Eglise et des Etats Romains, au Pape et au grand régiment ecclésiastique, Cardinaux et autres, dont il est et dont il doit être entouré. Avais-je raison de croire cela possible ? Rossi a -t-il eu raison de l’entreprendre ? Il y a de quoi douter et discuter. La manie des constitutions, c’est-à-dire la manie d'appliquer partout, à tort et à travers dans les plus petits pays comme dans les plus grands, les plus grosses, et plus fortes machines de gouvernement, cette manie stupide est devenue bien générale et bien intraitable. Ce n’est plus une question de bon gouvernement et de garantie pour les droits ou les intérêts réels des citoyens ; c'est une question de bruit et de vanité. Il faut que chaque état soit une salle de spectacle où tout le peuple soit tour à tour acteur ou spectateur et dont le plus souvent possible, le monde entier entende parler. Il se peut que la population Romaine, la population bruyante, et remuante qui entraine ou annule le reste, veuille cela absolument, et que la meilleure et la plus laïque administration civile ne suffise pas à la contenter. Cependant je ne le crois pas. Je crois qu'avec l'adhésion claire et l'appui concerté des grands gouvernements européens, le Pape pourrait faire prévaloir cette politique là. Je crois en tout cas que c’est la seule à tenter, car c’est la seule qui ait des chances de succès. Hors de là, on alternera entre Mazzini et les petits abbés, deux pouvoirs également impossibles aujourd'hui et qui, l'un et l'autre, mènent Rome à sa ruine, et l’Europe à un perpétuel embarras. au sujet de Rome.
En voilà bien long, si long que je n'ai pas le temps de vous parler d’autre chose. Soyez tranquille ; je vous répète que je ne serai point de Conseil général. J'ai fait ce qu’il fallait pour cela. L’élection se fait aujourd’hui. C’est un conservateur de mes voisins M. Thiron, qui sera nommé. Adieu, Adieu. Adieu. Je vais faire ma toilette

Onze heures
Votre lettre est très intéressante, ne vous occupez pas de le sœur de Chopin. Elle a eu un passeport et est arrivée à Paris, une permission de six semaines. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond vendredi le 17 août 1849

Lord et Lady Palmerston sont venus ici hier pour quelques jours je crois. Ils sont au Star comme moi et mes voisins de Chambre. J’ai dîné avec eux chez Lord Beauvale. A table conversation générale se félicitant de trois choses finies. Le Danemark, la Sardaigne, & l’unité allemande dont il n’est plus question. Nous avons cependant trouvé que s’il n'en était plus question à la façon de Francfort, il fallait que quelle qu’autre façon la remplace à moins d’en revenir à l'ancienne. L’Empire français remis au mois d’octobre. M. Drouyn de Lhuys, très agréable et facile en affaires. Il n'y a guère eu que cela pour la galerie. après le dîner il s'est rapproché de moi pour me dire, d'abord, que nous avions battu les Hongrois en Transylvanie et en Hongrie. [?] a failli tomber en nos mains, nous lui avons pris tout sont bagage, sa voiture de voyage, ses papiers, tout. De l’autre côté [Paskeviez] a battu Georgy. Partout où nous les rencontrons, l’avantage est à nous, mais ils trouvent le moyen d’échapper. L'issue de la lutte ne saurait être douteuse mais elle peut être longue. En transaction est toujours ce qu’il y a de désirable. Pourquoi l’Empereur d’Autriche ne dit-il pas ce qu’il veut faire ? Il est impossible qu'il songe à [?] la constitution hongroise. Pourquoi ne dit-il pas qu’il leur rendra leurs droits, leurs privilèges ? On ne sait pas qui gouverne là. C’est comme au temps du Prince Metternich où l’un rejetait la faute sur l’autre. La constitution faite par Stadion est impraticable, impossible aujourd’hui il n'y a rien, pas de constitution, on n’y songe plus. L'Autriche et la France sont en très bonne entente sur l'Italie. L’Autriche et la Prusse se divisent tous les jours, davantage. Mais la Bavière est encore bien plus que l'Autriche en guerre de paroles avec la Prusse. J'ai demandé si deux Allemagne n'était par la chose probable ? Peut être. Et puis se rapprochant de moi un peu davantage et à voix basse. Le général Lamoricière a été fort mal reçu à Varsovie. On lui avait d’abord destiné un bel appartement au palais de Bruhl et il le savait. Mais à son arrivée, porte close. Il a fallu aller chercher à se caser dans une auberge. Là, avec difficulté, de mauvaises chambres. Cela a fort étonné. Deux jours après, audience de l’Empereur qui l'a reçu très froidement. On cherche les causes ; il a passé par Cracovie. Parfaitement lors de la route de Berlin à Varsovie. Un énorme détour. Qu’est-il allé faire là ? Autre motif qu'on insinue de Paris. C’est un avis confidentiel qu'aurait reçu l’Empereur que Lamoricière n’avait point du tout la confiance du Président, & qu’il fallait se méfier de lui. Cet avis serait venu de source directe. Lord Palmerston ne comprend pas bien. Il s’étonne et me raconte sans beaucoup de déplaisir. Je lui ai demandé qui conduisait les affaires à Paris. Il me dit qu’au fond c’était le Président qui faisait tout & qu'il avait plus de good sense que tous les autres. Il a entendu parler aussi du dégout de M. de Tocqueville et de son envie de se retirer. Je crois vous avoir tout redit. La visite impromptue du Prince Scharamberg à Varsovie ne lui est pas expliqué. Il n’a passé que 24 heures. On dit à Lord Palmerston qu’il venait demander plus d'activité dans les opérations militaires. L’Empereur lui a répondu en lui montrant les rapports des deux engagements cités plus haut. Lord Palmerston blâme vivement le gouvernement autrichien pour avoir fait exécuter un prêtre à Bologne. Il avait été pris les armes à la main dans la suite de Garibaldi, mais il était sujet roumain & ne pouvait pas être jugé par les Autrichiens. A propos de prêtre, de quoi s'avise votre archevêque de Paris ? Voici Lord Palmerston. Je vous quitte adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mercredi 15 août 1849 6 heures

Je viens de voir lord John, le hasard a fait qu’il me citait un mot un peu radical de Lord Grey l'actuel, je lui dis à cela, que je croyais que lord Palmerston était le seul radical des ministres, qu'au moins on prenait bien du soin pour le classer ainsi et le distinguer des autres. Vous voulez parler du portrait & du discours dans les meetings ? oui. à quoi Lady John observe qu’elle ne croit pas qu’il ait recherché cela. C’est possible, mais il l’a mérité Lord John. I Wonder whether they are flatered by it. Si Lord Palmerston est un homme d'esprit, il devrait ne pas l’être, ce sera la pierre de touche, quant à moi je croirai convenable de lui en faire un compliment de condoléance. Lord John a ri ; bien des petits mots & des petits gestes m'ont prouvé que la chose lui déplairait fort. J’ai eu soin de glisser dans la conversation le mot de position isolée. J’ai voulu vous dire cela tout de suite pour ne pas l'oublier. Hier lord John & les Palmerston ont dîné chez Brunnow avec le duc de Lenchtemberg. Il n’y avait d'Anglais qu’eux. Les Collaredo y étaient mon fils aussi qui ne parait que quand il y a du [?]. Lord John a distingué un nommé Mussard le secrétaire du commandement du Prince avec lequel il a causé & qu'il a trouvé homme d'esprit. Vous ai-je parlé de lui ? Il a vraiment de l’esprit.

Jeudi le 16. Je ne me remets pas et cela m'ennuie. Je fais ce qu'on me dit ; j'ai une très pauvre mine je crois que M. G. de Mussy vient aujourd’hui. Je vois toujours chez moi tout Richmond, je suis sortie aussi le temps était avez beau quoiqu'il soit fort rafraîchi. Lord John en me parlant hier de Rome, me dit qu'on leur demande conseil sur ce qu’il y a à faire là (je suppose qu'il veut dire les Français) et qu'on a répondu d'ici qu’on n’avait aucun conseil à donner. La situation est bien désagréable. Il est évident que la conduite du Pape est insensée. Les français vont-ils soutenir et protéger les cardinaux, ou les combattre ? Ou se retirer de là absolument ? Mauvaise affaire.
Je vous prie ne soyez pas du conseil général. Un journal anglais dit ce matin que vous en êtes. Je ne veux pas le croire.
1 heure. Voici votre lettre. Vitet dit comme le Journal des Débats sur le Havre. Va donc pour la république. What a bore ! Imaginez que les Ellice restent à Brighton, pas de Paris les parents n’en veulent plus. Adieu. Adieu & Adieu dearest.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond samedi le11 août 1849

J’ai vu longtemps Flahaut hier le matin chez moi, le soir chez Beauvale. Il ne sait rien de nouveau de Paris. Il a des lettres de G. Delessert de Naples. Il avait passé à Rouen quelques jours, grande tranquillité, excellente tenue de l'armée, sa population bienveillante pour elle. Quant au Pape la plus complète indifférence à son égard. A Naples tout va bien.
Lady Palmerston est venue me voir, très radicale et parlant toujours de concessions à faire à l’esprit du temps. Ce rabâchage est ennuyeux. Lord Chelsea était présent, il a ri comme moi. Elle ne m’a rien appris de nouveau. Toujours le même vœu pour la France. Ils attendaient hier Le duc de Lenchtemberg à Londres. Le Roi Louis-Philippe la reine et toute la famille sont venues prendre le thé au Star & Garter hier. J’ai rencontré la duchesse d’Orléans marchant sur la terrasse. Lady Alice est venue dîner avec moi. Elle n’a plus de cuisinier du tout. Pourquoi a-t-on rappelé le général Oudinot ? Est-il trop catholique ? M. de Falloux me plait beaucoup. C'est une vraie acquisition pour le gouvernement. Le Times a aujourd’hui à son sujet un long article fort bien fait ou il démontre. Comment Louis Philippe était à tout jamais privé des services des gens de ce parti, tandis que la République peut les réunir tous. Seulement il range M. de Tocqueville parmi les légitimistes. Ceci n’est pas exact je crois. Comme je regrette que vous ne veniez pas dîner chez moi ! Le pain ici est excellent, le dîner fort bon aussi, vous voyez bien que je ne vous regrette que pour cela. Lady Palmerston me disait hier que le Consul Anglais à Yassy annonce l’entrée de 25 m. hommes de troupes hongroises en Moldavie. On n’y comprend rien, & l’étonnement là est extrême. Cela peut forcer la Porte à faire cause commune avec l'Autriche & la Russie.
Voici votre lettre. Il faut causer pour que je comprenne votre préface, & j'espère bien que nous causerons. L’occasion serait excellente pour dire d’excellentes choses. Adieu. Adieu. Demain le mauvais dimanche. Adieu dearest adieu. J'aime mieux que vous ne soyez pas du Conseil général. Flahaut souhaite le contraire. Adieu.
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