Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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122 Val Richer, Vendredi 21 Juillet 1854

Sacy (ou son rédacteur) a eu certainement tort ; la liberté des cultes existe en Russie ; elle a même, depuis longtemps été l’un des mérites de votre gouvernement, et l’un de ceux dont on l’a et dont il s'est avec raison, le plus vanté. Les Débats n'auraient pas eu tort s'ils avaient simplement dit qu’en sa double qualité de chef de la religion grecque et de souverain absolu, votre Empereur avait fait souvent, dans l’intérêt de l’unité de son pouvoir religieux comme politique, de la domination et de la propagande tyrannique, aux dépens des cultes non-Grecs de ses états Catholiques, Protestants, Juifs, en ont souffert et s'en sont plaints. Vous vous rappelez les religieuses persécutées, les Jésuites bannis, les Provinces Baltiques tracassées, les Juifs de Lithuanie transportés en masse. Il y a eu certainement là de quoi réclamer au nom de la liberté religieuse. Mais on ne s’inquiète jamais assez de savoir la vérité des faits et de ne parler que dans la mesure de la vérité. Je comprends qu’on se préoccupe des lenteurs de l’Autriche ; je n’y mets, pour mon compte que très peu d'importance ; je suis de l’avis de Gréville ; à cause de la Prusse, l’Autriche ne peut faire autrement. Le dénouement sera le même : ou bien vous vous déciderez à faire la paix, une paix désagréable pour vous, mais nécessaire, ou bien l’Autriche prendra décidément parti contre vous et la Prusse elle-même un peu plus tard. Au point et dans le courant où sont les choses, cela me paraît inévitable.
C'est étrange qu'Orloff ait été si insolent avec l'Empereur d’Autriche de deux choses l’une ou le comte Orloff n’a pas autant d’esprit qu’on lui en donne, ou s’il n'a fait qu’agir selon les instructions de votre Empereur, votre Empereur s'est bien trompé sur le caractère et la situation du jeune souverain auquel il avait affaire. Infatuation ! Infatuation. C'est la maladie des jolies femmes, des peuples en révolution et des souverains absolus. J’aurais certainement pris plaisir à causer avec votre jeune Prince de Nassau. Je me le rappelle, très bien. Ces deux ans passés à parcourir l’Amérique du nord, lui font honneur.

Onze heures et demie
Rien dans les journaux, ni du Danube, ni d’Espagne. Deux lettres de Paris qui ne m’apprennent pas. L'Impératrice n’est pas grosse puisqu'elle va prendre des bains de mer. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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120 Val Richer, Mercredi 19 Juillet 1854

Certainement, on pourrait se parler, et il y a, dans votre réponse aux dernières ouvertures de l’Autriche, de quoi arriver à la paix. Mais on n’y arrivera pas ; on est de part et d'autre sous le poids des fautes passées et des arrières-pensés d'avenir. On ne voulait pas de la guerre qu’on se fait, et aujourd’hui, quand on parle de paix, on veut autre chose que ce qu’on se dit. Sans nécessité, par imprévoyance et malhabileté, contre le voeu naturel des peuples et des gouvernements eux-mêmes, on a laissé se poser publiquement, avec éclat, deux questions énormes, la question de la lutte entre les gouvernements libéraux et les gouvernements absolus, et la question de prépondérance entre l’Angleterre et la Russie en Europe, et en Asie. Que fera-t-on de ces deux questions dans la paix qu’on peut faire aujourd’hui ? Evidemment on ne les résoudra pas, on n'en fera pas même entrevoir la solution. Il faut rétrécir et abaisser infiniment, les négociations pour arriver à un résultat, il faut fermer les perspectives qu’on a ouvertes, arrêter les esprits qu’on a lancés, ramener les choses et se réduire soi- même à de très petites proportions après avoir tout exagéré, enflé, soulevé. C'est bien difficile, et je n'ose pas espérer, pour arriver maintenant à la paix, un degré de sagesse, de prévoyance, de mesure et de fermeté bien supérieur à ce qu’il en aurait fallu pour éviter la guerre. Voilà, mon inquiétude et ma tristesse. Je n’y échappe. qu'en espérant que la fardeau des questions soulevées sera trop lourd pour ceux qui ont à le porter, gouvernements et peuples, et qu'à tout prix, ils s'en débarrasseront plutôt que d’y succomber avec un éclat honteux. Nous ne sommes pas dans un temps de grands desseins, ni de grandes persévérances. On peut sortir, par faiblesse du mauvais pas où l’on s’est engagé par maladresse. Dieu veuille qu’on soit aussi faible qu'on a été maladroit.
En attendant nous allons apprendre quelque grosse bataille entre Giurgiu et Bucharest. Je doute que le gros de l’armée Anglo-Française, soit déjà là, mais il paraît bien certain que Canrobert était arrivé le 9 avec sa division, au quartier général d’Omer-Pacha.
Je suppose que c’est une bouffonnerie des journaux qui disent que votre Empereur a interdit l'enseignement du Français et de l'Allemand dans votre École militaire d'Orembourg pour y substituer celui du Persan, de l’Arabe, et du Tartare. Vous n'en êtes pas encore à quitter aussi l'Europe pour l’Asie.
J’ai des nouvelles de la Reine Marie Amélie. Lettre du pure amitié, en arrivant à Claremont. Elle me dit : " Je crois avoir fait un beau rêve de six mois, car rien n'a été plus satisfaisant et plus doux pour mon coeur que le temps que j'ai passé à Séville ; le bonheur que j'y ai éprouvé et la douleur et la beauté de ce délicieux climat ont rétabli ma santé qui est tout à fait bonne. " Pas un mot, comme de raison, des troubles d’Espagne qui s'aggravent évidemment.

Midi
J'ouvre d’abord votre lettre, puis mes journaux. Est-il vrai que le Général [?] se soit suicidé ? J’espère G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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111 Val Richer, Mercredi 5 Juillet 1854

Au pouvoir absolu, il faut absolument deux choses, un grand homme et du bonheur, toujours un grand homme et toujours du bonheur. Quelquefois, l’une de les deux conditions supplée quelque temps au défaut de l'autre ; pas bien longtemps. Et quand toutes les deux manquent à la fois tout s'en va. Quand je dis que tout s'en va, j’ai tort ; la grandeur certainement s'en va, la puissance au loin et par la seule voie d'influence. Mais il y a des temps et des lieux où le pouvoir absolu est si naturel et si nécessaire, si bien peut-être le seul gouvernement possible, que la grandeur peut lui manquer sans grand péril intérieur. Je crois que c’est votre cas. Votre pouvoir absolu peut déchoir en Europe, sans être compromis en Russie. Il peut rentrer chez lui triste ressource ; ressource réelle pourtant et qui est une force contre les plus puissants ennemis. Si les choses continuent dans leur cours actuel c'est la ressource dont vous serez réduite à user.
Vous n'aurez seulement pas très bonne grace à en user parce que vous avez beaucoup fait blanc de votre épée au dehors. L'Empereur Alexandre pouvait se retirer glorieusement, héroïquement devant l'Empereur Napoléon ; il avait toujours été modeste, en n'était point allé chercher, avec fracas, la guerre qu’on venait lui faire.
Vous ne pouvez faire maintenant aucune concession qui détache l’Autriche de l'alliance ; elle est tiré pour son propre compte ; il lui faut, comme aux deux autres des satisfactions sérieuses, non des palliatifs. A moins que vous ne battiez les armées Autrichiennes, mieux, beaucoup mieux, que vous n’avez battu les armées turques. Ceci serait un gros événement. Qui sait ? Depuis 1848, je ne prédis plus et je ne crois plus qu'à long terme, en prenant du temps, beaucoup de temps ; je ne vois clair que de loin ; de près, je vis dans les ténèbres ; du jour au lendemain, je suis très modeste. Je donne mes conjectures, mais sans y compter. Tout est possible. Vous repasserez peut-être bientôt le Danube. Mais la situation générale n'en serait pas changée. Sans grand homme, l’Angleterre persistera et fera persister les autres. Elle a un grand gouvernement. Je vois avec plaisir que le général Luders n'est pas mort. Je ne le connais pas du tout ; mais la mort prématuré d’un homme distingué me déplait toujours.
La nouvelle insurrection Espagnole ne paraît pas avoir plus de succès que les autres. Quand Mérimée est revenu de Madrid l'hiver dernier, il disait à qui voulait l’entendre que la Reine n'en avait pas six mois et que tout le monde n'en voulait plus qu’à elle. Voilà deux insurrections, depuis, toutes deux sans succès, et toutes deux criant : " Vive la Reine. "
J’attends le texte de votre réponse à la sommation Autrichienne ; je ne puis croire que vous ayez dit : " jusqu'à notre dernier homme et notre dernier rouble. " On ne dit pas cela, même quand on le fait. C’est un lieu commun populaire qui ne vous va pas.

Midi
Rien que des nouvelles d’Espagne, et l'attente de quelque coup dans la Baltique. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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91 Val Richer, Dimanche 11 Juin 1854

Si l’on juge par les nouvelles de Grèce, les insurrections intérieures, en Turquie, soit que vous les ayez encouragées ou non, vous seront de peu de secours ; un embarras momen tané pour l'Alliance occidentale, la nécessité de quelques garnisons là et là, mais rien de plus. Les insurrections ne vous vont pas, pas même là. En principe, vous les désavouez, et en fait vous dites tout bas que vous ne voulez point ce qu'elles veulent, l'indépendance et l’aggloméra tion des populations Chrétiennes. On ne dit rien tout bas aujourd’hui, excepté en Russie même partout ailleurs, tout se sait. Je suis sûr que les conversations de votre Empereur, avec Seymour courent la Grèce, la Bulgarie & Je me figure ce qu’on aurait pensé et dit mon ami Colettis, le grand conspirateur contre les Turcs. De quelque côté qu'on envisage cette Affaire, elle est bien mauvaise pour vous. Vous aviez bien raison de vouloir rester tête-à-tête avec les Turcs il devient clair que vous n'êtes puissants contre eux qu'à condition du tête à tête, et que dés que l'Europe s'en mêle votre force d’agression en Orient, force révolutionnaire et force militaire se trouve très insuffisante. Il vous faut absolument deux choses, le tête à tête avec la Porte et l'Europe divisée. L’une et l'autre vous manquent. Vous pouvez croire que la seconde ne vous manquera pas toujours, mais quoiqu’il arrive, la révélation qui se fait en ce moment sur votre compte restera, et vous en souffrirez longtemps. Je ne pense pas que de l’entrevue du Roi de Prusse et de l'Empereur d’Autriche à Teschen, il sorte autre chose que l’attitude actuelle des deux puissances, sauf quelques paroles un peu plus précises sur les développements que cette attitude pourra prendre. Et si vous n'avez pas de grands succès, ces développements, quelle que soit la bonne volonté des Princes, seront de plus en plus contre vous. L'Allemagne ne peut supporter longtemps cette expectative de guerre et de révolution, il faut que de gré ou de force. elle vous fasse faire la paix.
Certainement l'Angleterre est contente de l’Autriche sans cela, Kossuth ne serait pas traité comme il l'est aujourd’hui par le Times, le Morning Chronicle &. Il serait plaisant que la guerre ne détronât que Mazzini et Kossuth.

Midi.
Je n'attendais pas de lettre aujourd’hui. Je suis impatient de vous savoir arrivée et établie. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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85 Val Richer, Dimanche 4 Juin 1854

Vous avez bien de la peine à prendre Silistrie. Quand on dit cela, vos amis répondent que vous y avez mis deux ans en 1828. Pauvre réponse pour 1854. Si les Turcs et leurs alliés ne sont pas en mesure d'entreprendre rien de grand contre vous cette année, il paraît que ni vous non plus contre eux. Voilà les propos des spectateurs de cette insignifiance mutuelle dans les débats de la guerre, il résulte. Deux impressions contradictoires en apparence, mais toutes deux favorables à la guerre ; on s'impatiente et on a moins peur.
Voilà la session du Corps législatif close sans qu’on lui ait demandé aucun pouvoir discrétion naire ni pour des levées d'hommes, ni pour des emprunts. Cela n'indique pas qu’on aie le projet de faire cette année beaucoup plus que ce qui est déjà fait. Certainement si la paix ne se fait par l'hiver prochain, cette affaire là sera la honte de la diplomatie, au moins de celle qui désire la paix.
Dans la confusion, où est la Grèce, je ne sais ce que sont devenus les anciennes classifications de parti ; mais si elles subsistent encore, le nouveau ministère au Roi Othon est anglais, Maurocordato et ses collègues ont toujours appartenu à cette couleur de mon temps, malgré notre entente cordiale à peu près partout, nous ne nous entendions point en Grèce, et les Anglais y compris, Lord Aberdeen, ne pardonnaient guère à Colettis sa couleur française. Je ne suppose pas qu’on les rende aujourd’hui la même susceptibilité.

18 heures et demie
Je vous ai quittée pour aller faire un tour de jardin. La pluie m'en chasse, une pluie froide par un vent de Nord ouest. Vous avez bien fait de retarder votre départ jusqu'au 7 ; on supporte mieux le vilain temps dans un ancien que dans un nouvel établissement.

Midi
Pas de lettre. Je ne comprends pas pourquoi. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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79 Val Richer, lundi 29 Mai 1854

Je penche assez à croire à l'obstination de votre Empereur et de son peuple. Pourtant, il y a deux grandes puissances, grandes même chez les Barbares, le bien être et l’orgueil. L’un et l'autre auront beaucoup à souffrir de cette situation. La destruction de votre commerce ruinera les nobles, votre expulsion politique de l'Europe humiliera la prince, les nobles et le peuple. Vous ne serez plus ni riches, ni influents, ni amusés. Passe encore si c'était pour quelques mois, on s'enferme chez soi ; on brûle Moscou un matin ; l'ennemi se retire le soir. Il y a de l'éclat dans le malheur et il est court. Mais il en sera tout autrement ; si vous vous obstinez, on s'obstinera tout en dépensant beaucoup d'argent, on sera moins ruiné que vous et si on ne peut pas vous aller chercher chez vous, on aura le plaisir de vous y tenir en prison. Votre Empereur a l’esprit pour ne pas voir que cette situation, mauvaise pour tout le monde, est plus mauvaise pour lui que pour personne, et qu’il est pressant d’en sortir.
En 1812, la Russie avait avec elle, dans le présent l’Angleterre et dans l'avenir toute l'Europe, aujourd’hui. elle a contre elle l’Angleterre et bientôt toute l'Europe. Cette différence vaut la peine qu’on y pense.
Que fera le Roi Othon quand l’armée Française va arriver à Athènes, où elle est sans doute déjà arrivée. Restera-t-il roi d’un royaume occupé, ou se fera-t-il chef d'insurgés ? Le fait est aussi embarrassant pour lui que le spectacle est choquant pour nous. Des troupes Françaises occupant Rome pour le Pape et Athènes contre le Roi ! J’ai ici, dans mon salon le portrait de mon ami Colettis je lui demande ce qu’il comprend à tout cela et ce qu’il veut faire. Il ne me répond rien, et je crois qu’il n’en sait pas plus que moi. Il serait bien malheureux. Il détestait les Turcs, les Russes et les Anglais, et il aimait les Français.
Je lis dans le Constitutionnel que le monde financier vous devient contraire. Rothschild m'en a donné la preuve vendredi dernier ; je l’ai rencontré dans les Tuileries, et il m'a reconduit un quart d’heure. Il est impossible d'être plus Anglo-Français. Je ne suppose pas que le rejet du bill des Juifs à Londres le fasse changer d’avis. J’ai bien recommandé à Génie, en partant, de finir sans retard l'affaire de votre appartement.

Midi.
Je ne m'étonne pas qu’on vous aie volé des lettres ; j’ai toujours trouvé qu’à Paris vous n'y faisiez pas assez d’attention ; vous les laissiez traîner partout. Je regrette de ne pas vous avoir donné samedi la distraction dont vous aviez besoin. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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78 Val Richer, Dimanche 28 mai 1854 C'est bien dommage que le Val Richer ne me rapproche pas de vous au lieu de m'en éloigner. S’il était au bois de la Cambre, il serait tout-à-fait charmant. Mais vous me manquez partout.
J’ai trouvé ma fille Pauline très bien. Sa grossesse la fatigue un peu ; mais voilà tout. Montebello est venu me voir une heure avant mon départ. Je l’avais engagé à aller vous faire sa visite demain, ou après demain ; mais il aime mieux retarder de quelques jours.
Je sais positivement que l’amiral Parseval est assez content de sa flotte ; il a des équipages un peu vieux ; on a pris, pour les former d’anciens matelots de 40 ans qu’on avait laissés chez eux ; mais ils avaient de l'expérience, et ils ont repris de l’entrain. Il manquait à cette escadre des bâtiments à vapeur ; on lui en a envoyé sept de plus Anglais ou Français, il y aura là un armement énorme. On fait certainement de grands efforts pour développer notre marine. On veut remplacer celle qu’on va détruire chez vous.
Sur terre, on est très frappé de votre peu d'efficacité. Le Duc de Noailles m'en parlait avant hier avec une surprise qui s'accroît de jour en jour. Vous êtes, depuis six mois, en face des Turcs sans leur avoir fait éprouver un seul grand échec. Ni le système de la guerre défensive, ni la lenteur des premiers préparatifs ne devraient, ce semble, vous empêcher aujourd’hui de déployer la supériorité de vos forces. Quoiqu’il arrive plus tard, il y a là un déclin.
Mad. de Sebach vous a sûrement raconté son impétuosité en dînant, un de ces jours, je ne sais plus lequel, chez je ne sais plus qui, quoiqu'on me l'ait dit ; la Prusse et la fille de M. de Nesselrode n’a pu se contenir ; elle a éclaté en reproches, et a fini par dire qu’elle voyait bien qu’elle ne pourrait plus rester longtemps à Paris. Est-ce à cause de cela qu'elle est allée passer huit jours à Bruxelles ?
On parlait aussi des vivacités populaires de Pétersbourg, telles que M. de Nesselrode aurait été sifflé dans la rue, et tout le parti allemand ou de la paix, dans sa personne.
Midi
Voici votre 67. Je suis charmé d'avoir si bien parlé de M. de Stahl. Je ne me rappelle pas un mot de ce que je vous ai dit. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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73 Paris, Lundi 22 mai 1854

Je commence aussi par l'affaire. Je vous renvoie la copie de votre lettre à [Rothschild] Je suis d’avis que Génie la remette et vide cette petite question. Je viens d'en causer avec lui, il sait très bien ce qu’il faut dire, et il la dira comme il faut le dire. Vous devez garder votre appartement, sans obligation ni charge de réparations, sauf celles que vous jugerez vous-même à propos de faire, et que vous paierez vous-même.
Je ne m'étonne pas que votre Empereur rappelle Brunnow et Kisseleff de Bruxelles. Il était difficile de comprendre pourquoi, ils y restaient. Brunnow n'en fera pas plus à Vienne que M. de Meyendorff. La question n'est plus aujourd’hui dans le savoir-faire des agents de l'Empereur, mais dans la disposition réelle, personnelle et intime de l'Empereur lui-même. S’il veut sérieusement la paix, la paix est encore possible, les intermédiaires et les agents ne manqueront pas. S'il ne la désire pas sincèrement et sérieusement, personne ne viendra pas à bout de la faire. Il arrivera alors de deux chose l’une, ou bien toutes les puissances européennes seront successivement amenées à s’engager contre vous, grandes et petites, ou bien l'Europe entière tombera, dans le chaos révolutionnaire. La première chance est bien mauvaise pour vous ; la seconde est mauvaise pour tout le monde, vous compris.
Comment pouvez-vous vous dire si sûrs de la Prusse après son traité d'alliance et de garantie mutuelle, avec l’Autriche ? Il se peut que les intentions et les paroles soient toujours de votre côté ; mais les engagements et les actions sont évidemment de l'autre. Et comme ici on pèsera de plus en plus sûr l’Autriche, les mêmes causes qui l’ont amenée et la Prusse avec elle, où elle est aujourd’hui, les mèneront toutes deux plus loin. Les puissances Allemandes peuvent vous être très utiles pour arriver à la paix ; mais si la paix ne se fait pas l’hiver prochain, ce n'est pas vers vous que le courant les pousse ; et vous ne réussirez pas plus à les désunir que vous n'avez réussi à désunir la France et l'Angleterre.
J’ai passé hier la journée à la campagne, chez Mad. Mollien. Je ne suis rentré chez moi qu'à minuit. C’était un peu long.
La reine a dû partir avant hier de Séville, par Cadix et l'océan. Cependant, au dernier moment encore, elle a pu se décider à revenir par la Méditerranée. Elle était mieux, mais toujours très faible. Il me revient de Claremont que le Duc de Nemours partait pour aller au devant d'elle jusqu'à Cadix et la ramener en Angleterre où le Prince de Joinville ne revenait pas encore. Adieu.
Je ferai aujourd’hui votre commission à Duchâtel. J’ai vu Montebello qui veut toujours aller vous voir, mais qui ne sait pas bien encore quel jour. Je repartirai Vendredi soir pour le Val Richer. C'est là qu’a partir de vendredi, je vous prie de m'écrire. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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72 Paris, Samedi 20 Mai 1854

J’ai vu hier Mlle de Cerini. Elle devait partir mercredi 24 pour tenir bien exactement sa parole. Je lui ai dit la certitude que vous lui laissiez. Elle hésitait à en profiter, quoiqu'elle en eût envie. Comme je veux lui remettre, pour vous un livre qui ne doit paraître, et que je ne puis avoir que Vendredi, je l’ai engagée à prendre deux jours. Elle partira Samedi prochain 27. J’ai été vraiment content de sa conversation et de sa disposition. Elle m’a dit que vous aviez été parfaitement bonne pour elle qu’elle désirait de tout son coeur répondre à votre bonté, qu’elle voudrait être pour vous une fille. Tout cela avec une émotion simple et franche qui m’a touché. J’ai parlé de la lecture. Elle la fera. Elle demande seulement un peu d'indulgence au commencement, si elle ne lit pas très bien. C'est une habitude à prendre.
J'attends, mon homme pour votre arrangement avec Rothschild. Cela ne peut se traiter que par un homme d'affaires. Le mien sera ici demain.
Voilà votre N°61. J’approuve tout à fait votre lettre à Rothschild. Il ne peut pas ne pas accepter. Vous revenez au prix de l’ancien bail et vous vous chargez des réparations, dont vous êtes le juge naturel. Envoyez-la lui. L'affaire sera réglée. Le Duc de Noailles doit venir me voir aujourd’hui à cinq heures. Je lui en parlerai. Il sera certainement de mon avis.
Dîner hier chez Mad. de Staël, avec les Broglie et les d’Haussonville. Le soir, chez Duchâtel, où il y avait un peu de musique 40 ou 50 personnes. Presque tout notre monde. Point de diplomate. Je n'ai vu personne qui eût vu Hübner depuis son retour. Il me revient que son langage est plus contenu. Evidemment on compte ici tout à fait sur l’Autriche, et on n'a pas la moindre inquiétude sur la Prusse qu’avec raison on regarde comme définitivement liée par la convention Austro Prussienne. Les politesses qu'elle vous fait sont naturelles, et insignifiantes. Mais on dit que les menaces du Times n’ont pas été inutiles pour amener le Roi de Prusse à ce point.
Le nouveau ministre des Etat-Unis à Paris M. Mason est venu me voir hier. Gros homme qui à l’air d’un grand sens. Très résumé, et je crois, très indifférent sur la politique Européenne. Il en parle en passant, comme d’une curiosité qui l'amuse et ne le regarde pas. Uniquement préoccupé du prodigieux développement de richesse et de puissance de son pays sur ceci, il ne tarit pas. Un de ses amis, qui n'aime pas les villes, avait bâti son habitation à trois milles de celle à laquelle il appartenait, dans l’Etat des Illinois. Il a été un an absent de chez lui, pour le congrès, pour les affaires. Quand il y est retourné, il a retrouvé sa maison dans une rue ; la ville était venue le rejoindre à la campagne. Il est plus contenu. Évidemment on compte. Vous voyez qu’il n’y a rien de nouveau.
e cherche si on m'a raconté quelque histoire. Le comte Branicki a accompagné le Prince Napoléon. A Marseille, il a imaginé de se faire lui-même colon Français et il s'est promené dans les rues avec l'uniforme. Le ministre de la guerre, informé par le télégraphe, est allé trouver l'Empereur qui lui a demandé " Êtes-vous sûr du fait ? Voilà la dépêche du général qui commande à Marseille. - Eh, bien, faites, ce que vous voudrez " Ordre transmis immédiatement par le télégraphe de déshabiller le comte Branicki qui a été déshabillé en effet, et a continué de suivre le Prince, en uniforme de fantaisie.
Adieu, Adieu.
Je vais demain passer la journée à la campagne, chez Mad. Mollien. Je pars à 9 heures et demie. Il est probable que je ne vous écrirai pas demain. Je ne comprends pas ce qu'est devenu le N°66. Mercredi dernier, en arrivant à Paris, je ne vous ai pas écrit. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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71 Paris, Vendredi 19 mai 1854

L’Académie a occupé hier ma journée. Nous avons fait ce que nous voulions. Je croyais à 20 voix pour l'évêque d'Orléans et à 22 pour M. de Sacy. Ils en ont eu chacun une de moins. Ce sont deux choix très dignes, à la place de MM. Tissot et Jay.
Je repartirais pour la Val Richer, si je n'avais encore Vendredi prochain une élection à l'Académie des Inscriptions. Celle-ci sera plus disputée. Le Ministre de l’instruction publique, M. Fortoul, se met sur les rangs. et il a des chances. Quoiqu’il ait contre lui, dit-on, la princesse Mathilde. M. de Nieuwkerke soutient vivement le concurrent de M. Fortoul, qui est son second dans l'administration du Musée.
Les fureurs du Times contre le Roi de Prusse sont de bien mauvais exemples. Les purs révolutionnaires ne diraient pas mieux. C'est aussi absurde que choquant la convention Austro Prussienne est bien plus occidentale que Russe, et ce n’est pas au moment où elle vient de la signer que la Prusse s'éloignerait de cette politique. Je trouve cette convention très sensée. Les deux puissances s'y engagent dans la mesure qui convient à chacune d'elles, et il y a là des moyens de négociation et des chances de paix. Pourvu que la vigueur de l’exécution réponde à la sagesse de l’intention. C'est par l’exécution surtout que la politique pêche aujourd’hui, on fait ce qu’on ne voulait pas faire ; on va où l’on ne voulait pas aller. Par imprévoyance et par faiblesse quotidienne, à chaque moment où il faut passer de l’intention, à l'action.
Ici, on se dit content de la Convention, et je crois qu’on l'est. Il y a de la confiance et du mouvement ascendant dans la situation plutôt que de l’inquiétude, et du déclin. Toujours quelque agitation autour de M. de Persigny ; il était en querelle dernièrement avec ses chefs de service, surtout avec le principal, M. Frémy. Il a, comme de raison, gagné cette petite bataille et congédié, M. Frémy. On répète aussi que M. Drouyn de Lhuys est fort ébranlé. Je ne crois à aucun de ces bruits. Lord Cowley n’est pas encore revenu de Londres. J’ai vu hier tout notre monde à l'Académie, Molé, Noailles, Montalembert, Barante & quand je suis arrivé, j’ai trouvé Thiers assis à côté de ma place : " On dit que je vous ai pris votre place, m'a-t-il dit. - Non, mais vous me l’avez fait prendre par M. de Barante à qui vous avez pris la sienne. " Il s'est reculé d’une chaise, et je me suis assis entre Barante et lui. Nous avons causé aussi amicalement qu'insignifiamment et nous avons voté ensemble.
Montalembert est tranquille et de bonne humeur. Tout le monde dit qu'après le départ du Corps législatif, son procès tombera dans l’eau. Noailles me demandait d'aller dîner dimanche chez lui, mais j’ai promis à Mad. Mollien. Hier chez Mad. Lenormant, aujourd’hui chez Mad. de Staël et lundi chez Duchâtel qui part mardi.

Une heure
Je n'ai pas de lettre aujourd’hui. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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70 (je ne me souviens pas bien) Paris, Jeudi 18 mai 1854

J’ai vu assez de monde hier, Broglie, Duchâtel, Sacy, Mallac, Mornay, & Je trouve tout, les faits et les esprits, exactement dans le même état. Le gouvernement redouble ses efforts pour la guerre, les envois de troupes, de matériel, les préparatifs des camps de St Omer et de Marseille. On croit qu’il va demander au Corps législatif une sorte de pouvoir discrétionnaire en fait d'emprunts dans l’intervalle des sessions. Il l'aura et il en usera. Un nouvel emprunt est indispensable, et assez prochain. C'est dans cette vue qu’on prend tant de peine pour soutenir la Bourse ; on m’a très bien expliqué les moyens ; je ne vous les répèterai pas ; ils sont efficaces en ce moment et le seront quelque temps, pas bien longtemps, mais assez probablement pour que le nouvel emprunt se fasse passablement, sauf à avoir plus tard une baisse générale dont les badauds payeront les frais. Le public se préoccupe peu de la guerre et il en souffre peu.
Morny dit vrai ; les affaires reprennent assez. Il se trouve, à l'épreuve que le commerce avec la Russie est peu important pour la France et pour l'Angleterre. Les progrès de la consommation à l’intérieur et du commerce général rendent ce vide spécial peu sensible.
Quant à la politique de la guerre, personne n'y pense ; personne ne s'inquiète de savoir si Baraguey d'Hilliers sera ou non remplacé. L'Empereur est parfaitement le maître de prendre Lord Stratford pour ambassadeur, et s'il est content de ses services, le public sera content aussi. Les journaux Anglais ont publié de grands détails (et piquants) sur la querelle de Baraguey d'Hilliers avec Reschid et Redcliffe. Il y a eu défense absolue aux journaux Français d'en traduire un seul mot. Baraguey a eu tous ses défauts et quelque fierté. Pour Redcliffe, tous les défauts sont aujourd’hui des qualités.
Je suppose que vous savez tous les détails sur M. Lazareff et la visite de sa femme à M. de Persigny pour le remercier. " Mon mari était assez mal en cour ; vous lui avez rendu un grand service, en le mettant à Mazas ; il aura enfin un trône qu’il désire depuis longtemps sans pouvoir l'obtenir. " J’ai demandé si ce serait [?] André.
Je ne vous ai pas parlé du général Osten Sacken et de la lettre qui lui a été adressée par ménagement pour votre goût du pouvoir absolu. Car on a tort de s'en prendre à votre Empereur en personne pour ces bévues hautaines ; c’est de sa situation qu'elles viennent. La pouvoir absolu y est condamné, et tôt ou tard, les plus grands génies y tombent. Quand on est très puissant, il faut être, à chaque instant, averti et contenu pour ne pas devenir fou à lier, ou à faire rire.
Vous savez probablement que Mad. de Bauffremont est retrouvée ! Elle s’est rendue d'elle-même au couvent des Augustines pour y réfléchir, dit-elle, sur sa situation. Elle a tout bonnement erré dans les environs de Paris, presque sans se cacher. On se moque un peu de la police.
Thouvenel avait et aurait encore envie d'aller à Constantinople. Son chef ne veut pas. Ils sont de plus en plus mal ensemble. Le chef a besoin de l'intérieur, et craint que, si l'inférieur devenait ambassadeur, il ne devint bientôt ministre. Je ne vois pas pourquoi, si l'Empereur voulait faire Thouvenel ministre, il prendrait la peine de le faire passer par Constantinople. Je ne verrai probablement pas Mlle de Cerini.
Si j’ai un moment, je ferai une visite à Mad. Sebach que je prierai de lui redire ce que vous me dites. Je vais m'occuper de Rothschild. Il est bien juif ; mais la chose est très claire. Il vous demande 12 000 fr. de loyer, et une somme de 12 000 fr pour faire remettre l’appartement tout-à-fait en état, comme quand on change de locataire. Il y a à redire sur ceci. Par malheur Génie ne sera ici que dans quatre jours. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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69 Val Richer. Mardi 16 Mai 1854

Je doute qu’à Paris, on soit aussi certain du concours de l’Autriche qu'on le dit à Bruxelles. Il me revient qu'en définitive on y compte peu, et qu’on s'en explique vertement. Je reviens toujours à mon dire ; si la guerre se prolonge, elle deviendra révolutionnaire ; Italie, Hongrie, Pologne, tout ce qui est inflammable s'enflammera, et nous recommencerons 1848. Il fallait le concours de tous les grands gouvernements pour contenir la révolution. Votre Empereur a rompu le concours, en persistant à vouloir, faire en Orient bande à part. Il n’y a plus d'Orient ; et pour peu que ceci dure vous verrez que l'Occident et ses questions sont toujours tout.
Je trouve un peu puérile votre persistance à faire tant de distinction entre la France et l'Angleterre ; distinction toujours repoussée. Cela n'a pas beaucoup de dignité, et pas beaucoup plus d'habileté, surtout après la publicité de ces conversations où vous teniez si peu de compte de la France. Dans les pays où le silence règne, on se trompe toujours sur l'effet des actes et des paroles dans les pays où l'on dit tout.
Je suis bien aise que vous ayiez Montebello. Le garderez-vous quelques jours ? Andral a-t-il donné une nouvelle réponse sur Ems ou Spa ? Pure curiosité puisque la bonne résolution était prise. Il est bon que la princesse Kotschoubey soit encore quelques mois avec vous pendant que Mlle de Cerini s'y établira. Elle lui donnera le bon avis. Vous m’avez fait envie avec le bois de la Cambre et le beau soleil. Ici, je ne me promène guère que dans mon jardin. Je ne m’y promènerai pas d'ici au 27. Je pars ce soir pour Paris, par un très vilain temps ; il pleut et il fait froid. Ma fille Pauline va bien. Adieu, Adieu. Je vais faire ma toilette en attendant le facteur.
Midi
Adieu. Votre lettre est curieuse. Je vous écrirai après-demain de Paris. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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65 Val Richer Vendredi 12 Mai 1854

Ce qui se passe en Grèce et quant à la Grèce est déplorable à lire. Depuis plus de 30 ans, je me suis accoutumé à porter intérêt à ce petit état. De 1840 à 1848, je l’ai soutenue contre votre domination exclusive et contre le mauvais vouloir anglais. La conduite qu’il tient en ce moment, roi et pays, est très imprudente, mais très naturelle, et il n’y a dans la Grèce même, personne, ni Roi, ni chambres qui soient en état de l'empêcher quand ils le voudraient. Je suis choqué du langage qu’on parle à ses pauvres gens. Je suis sur qu’on pourrait peser sur eux et les contenir un peu avec d'autres façons et d'autres paroles. Nos soldats iront-ils faire en Grèce, au profit des Turcs, ce qu'y faisaient les Égyptiens de Méhémet Ali quand nous y avons envoyé une armée pour les en chasser, et ferons-nous, contre la marine grecque, un second Navarrin ?
Détruire successivement, dans la Méditerranée, les marines Turque, Russe et Grecque c’est beaucoup. Cette affaire d'Orient tournera mal pour l'Europe ; la politique ne peut pas se mettre à ce point en contradiction avec la religion, avec les instincts populaires, avec les actes, tout reçus, des gouvernements eux-mêmes. Plus j'y regarde, plus je me persuade que, si on n'en finit pas promptement, on tombera dans un odieux Chaos. Que signifie ce qu’on écrit de Vienne sur de nouvelles propositions que l’Autriche, après avoir occupé la Bosnie, adresserait à la Russie, et que M. de Meyendorff aurait trouvées acceptables ?
Le bruit se répand ici, parmi le peuple, que le recrutement de l'armée prochaine sera avancée, et qu’on prendra six mois plutôt 80 000 hommes. On s'en attriste ; mais on s'y résigne. La guerre et ses conséquences n'étonnent et ne choquent jamais beaucoup ce pays-ci même quand elles lui déplaisent Du reste, il ne me revient rien qui me donne lieu de croire que ce bruit soit fondé.

Onze heures et demie
Je serais bien fâché qu’il arrivât malheur à ce pauvre M. de Meyendorff. Il me semble que je le connais. Adieu, Adieu.
Voilà enfin le rapporte détaillé de l'amiral Hamelin. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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43 Bruxelles mercredi le 28 avril

Grande haine à Pétersbourg contre les Anglais. Des invectives dans les rues aux passants russes qui ont la tournure anglaise. Pas un mot des Français, au contraire bonne amitié pour eux. Le plus gros juron russe est Palmerston. Les cochers disent cela entre eux. Le duc de Noailles vous répètera que l’Empereur Napoléon est rempli de désir de la paix, et de l'horreur de la propagande révolutionnaire. Morny a été bien vif et décidé sur ce chapitre à aucun prix on ne favoriserait ce parti. On se trouve en grande et bonne compagnie, en grand renom. On veut rester comme cela. On y restera. Persigny a tenu le même langage à Marion. (Elle me le mande.) On croit à une campagne stérile, on souhaite ardemment des propositions acceptables. La difficulté sera l'Angleterre mais on pèsera sur elle ; efficacement si on est à trois, et si non on pourrait bien sans elle se décider Morny a trouvé le roi Léopold assez mécontent de l'Angleterre. Il lui a dit de ne pas faire attention à ces bourrades contre les Russes à Bruxelles. Qu'il les garde, qu’il garde son indé pendance. On ne sait trop ce que ferait les Allemands. La Prusse certainement point d’action contre nous, si l’Autriche s'en mêlait ce serait bien douce ment. La neutralité le plus longtemps possible et toujours en position de négocier la paix. Mon empereur la veut ardemment. En consentant à un congrès c'est bien la plus grande preuve. Lui qui s'obstinait au tête-à-tête.
Mes pauvres yeux, je vous renvoye au duc de Noailles, il a tout entendu tout écouté. Sa rencontre si intime avec Morny l’a bien amusé. Du matin au soir avec lui car on déjeunait chez moi, et la nuit au bal dans ma voiture, mariés pour le quart d’heure. Moi aussi cela m'a bien amusée. Voilà que cela finit ! Pourquoi Montebello, Dumon, d'Haubersaert ne viendraient-ils pas ? Toujours mon château. Que je serais aise. Mais concevez-vous le malheur de me séparer d'Hélène. Et pourquoi Andral ne pouvait-il pas avoir un avis, le [?] Politique de confrère. C’est mal. Adieu Adieu.
N'oubliez par le courrier de Hatzfeld le 1er mai Lundi si vous avez de quoi.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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42 Bruxelles Vendredi le 28 avril 1854

Le duc de Noailles passe encore la journée ici. Il s’amuse, il y a de la variété & toujours des nouvelles. Il a dîné hier chez Lamoricière avec M. de Rémusat. Avant hier à un bal chez Brockhausen, Morny y a été aussi. Très élégant bal dit-on.
La convention austro prussienne n’est pas tout-à-fait conclue. Le duc George est encore à Berlin. Sebach en arrive, il dit qu'on est peu russe à Berlin et encore moins français.
On écrit ici de Pétersbourg qu'on a fait transporter à Moscou le trésor de la forteresse 400 millions. De tous côtés cependant on doute qu’on puisse attaquer Cronstadt. Lamoricière qui connaît la place a dit au duc de [Noailles] que par mer elle est imprenable, par terre ce serait possible avec un corps de 30 m h. On dit cela aussi de Sevastopol. Mes yeux vont mal depuis hier. Je fais économie et ceci ira par le duc de [Noailles]. Je me ravise. On ne sait pas l’avenir autant vaut vous envoyer toujours ce bout de lettre par la voie ordinaire sauf à écrire encore si je puis. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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35. Bruxelles le 20 avril 1854

Vous avez réparé l'erreur des numéros. All right. Je n’ai vu hier que Brockhausen, et Van Praet. Le premier très préoccupé des nouvelles propositions envoyées par son roi à Pétersbourg. Fixer une date pour l’évacuation des principautés ; sortie simultanée des flottes ; congrès, suspension des hostilités en attendant. D’abord mon Empereur acceptera- t-il ? Et puis l'Angleterre voudra-t-elle ? On dit que dans ce moment elle ne veut entendre parler de rien que de coups de Canons. Il n'y a donc aucune vraisemblance. à ce que ceci aboutisse. C’est tout à fait l'avis ici. On ne croit à rien de possible. à présent.
Pardon de la demie feuille. Vous dînez chez Duchatel aujourd’hui. Je voudrais y être. J’aurais accepté s'il m’avait priée. Je me sens capable de tout si j’étais à Paris. Incapable de rien. Un découragement, une tristesse ! Ah mon Dieu ! Vous ne m'avez pas vu dans mon état naturel à Bruxelles. J’étais si heureuse pendant ces cinq jours ! Mais à présent, mais pour longtemps, sans savoir fixer une date ! C'est là ce qu'il y a d’affreux. Voilà l’Autriche bien affichée par la présence du duc de Cambridge à Vienne. Il y a un an Lord Westmorland n'osait pas se montrer dans les rues. Haynau oublié. Que de changements, partout, en tout. Hier Rotensky, Van Straten, et Van Praet le soir. Pas autre chose. Hélène attend avec anxiété la réponse d'Andral, et moi donc ! Il ne manquerait plus que cela. L’isolement à Ems. Mais je crois que ma veine de malheurs n'est pas épuisée. Adieu. Adieu.
Vos lettres font ma seule joie.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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31 Bruxelles le 16 avril 1854

Voici que j'ai bien besoin de vous. Et vite. Andral avait ordonné Ems à Melle de Offenberg. Ici, un médecin le déconseille, & veut l'envoyer à Spa. Elle consulte Andral aujourd’hui par lettre, lui soumettant le motif du changement, mais attendant qu'il décide par ce que sa confiance est à Andral tout-à-fait. Je vous en conjure décidez Andral à persister dans son premier jugement. Je suis perdue s'il fléchit, car tout ce voyage est pour la santé de cette jeune personne & Hélène y subordonne tous ses mouvements.
Voyez comme c’est pressé et comme c’est grand pour moi. Je suis curieuse de votre rencontre avec Marion. Ah que de choses frappantes à lui dire. M’abandonner, parce que je suis dans le malheur ? Avoir de la résolution et de la volonté pour s'amuser, en manquer quand il s'agit de charité. Je ne suis pas un Cosaque, elle le sait bien et vous encore mieux. Tout ceci me tracasse beaucoup et m'empêche de dormir. Ni embarquer avec une étrangère, grande dame, car on me dit qu’elle l'est quoique ce soit une affaire d’argent. Les mouvements de la dame de compagnie avec l’obligation de faire des cérémonies. Les alle mandes tiennent à cela. Il faudra peut-être que je lui porte sa chaise. Voyez-vous. tout cela se présente à moi sous un jour peu engageant. Ah Marion ! A propos si son père lui refusait de l’argent vous savez bien avec quelle joie je lui livrerais tout ce que j'ai. Je me souviens qu’elle me disait à Brighton : " Si vous me donniez comme à Miss Gibbon 100 £ comme je vous servirais mieux qu’elle ! " Enfin je rabâche avec moi- même, & je vous envoie en rabâchant avec nous. Dans ce moment le pressé, très pressé c’est Andral, car il est capable de répondre dans la journée. Hélas il n'y a donc pas une minute à perdre. Le ferez-vous ?
Hier Brunnow, Van Praet, Van Straten, Brockhausen, celui-ci deux fois par jour régulièrement. Vous ai-je dit qu’ici on a envoyé promener une fois pour toutes les insinuations à propos de la réunion russe. Jamais on ne dit rien de Paris. Les tracasseries venaient de Londres. On dit que la Prusse tente des nouvelles propositions auprès de nous, pour que nous en fassions à notre tour. Tout ce que vous me dites aujourd’hui est plein de good sense. Brockhausen a dû recevoir son courrier régulier ce matin, il ne m'a rien apporté. Sans doute oubli. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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34 Paris, lundi 10 avril 1854

Hier matin, le chancelier ; hier soir le Duc de Noailles, Molé, Duchâtel, Savandy, Berryer. Personne ne sait et n'attend rien de nouveau, si ce n'est la guerre réelle. Vous semblez partout décidés à une guerre purement défensive. C'est la guerre indéfiniment. Il faudra pourtant bien qu’elle finisse, dit-on. Qui sait ? Je suis triste, et plein de sombres pronostics. Je ne connais rien de plus inattendu, de moins nécessaire, de plus factice que tout ce qui arrive. Apparemment Dieu le veut. Si la paix n’est pas faite, l'hiver prochain, nous en aurons pour dix ans, et l'Europe entière bouleversée.
Le nouveau protocole, après la déclaration de guerre a en effet une grande valeur. On dit que la lettre de l'Empereur d’Autriche à l'Empereur Napoléon, en ce sens. " Maintenant, approbation de la politique occidentale, entente continuée dans la neutralité ; avec la Russie, jamais union active ; avec la France et l'Angleterre, union active peut-être, probablement plus tard, certainement le jour où les intérêts propres de l’Autriche seraient engagés. "
Voici une moins grande question. La mort de M. Tissot laisse une place vacante à l'Académie Française. M. l’évêque d'Orléans se présentera-t-il pour faire, en lui succédant, l'éloge d’un vieux Jacobin archi-voltairien ? Je voterai pour lui, s’il se présente ; mais je serais étonné qu’il se présentât. Il y a encore dans l'Académie quatre octogénaires, dont deux malades. M. l'évêque d'Orléans n'attendra pas longtemps une autre vacance.
J’irai aujourd'hui voir et renverser la prince de Ligne. On ne se rencontre plus nulle part. Le Chancelier ne donne plus à dîner. Molé ne reçoit plus. Dans trois ou quatre semaines, tout le monde sera disposé.
J’attends ma fille Pauline demain, et certainement avant le 15 Mai. Je serai rétabli au Val Richer. Quand les grandes satisfactions de l’âme me manquent, je prends les petites en dégoût, et je ne me plais plus que dans le libre repos de la famille et de la campagne.
Kisseleff a bien peu d’esprit d'être revenu chez vous sans commencer par vous offrir son appartement avec ses excuses. L’égoïsme finit toujours par être sot et ridicule. La moindre société humaine vaut un peu de bienveillance sincère et de sacrifices mutuels, je dirai volontiers un peu d’amitié. Où il n’y en a pas du tout, la simple politesse même et le bon goût disparaissent bientôt. Adieu, Adieu.
On commence à se désoler sérieusement du beau temps. On dit que si ce soleil sec dure encore quinze jours, la moitié de la récolte prochaine sera perdue. La disette avec Dantzig et Odessa de moins, ce serait grave. Adieu encore. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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26 Bruxelles le 10 mars 1854

Bual en apprenant nos propositions a dit, il est trop tard. L’Autriche ne se prononce pas encore hostilement mais elle aime à nous laisser dans l’inquiétude. Meyendorff est dans son lit de colère et de vexation. Brouillé tout-à-fait avec son beau frère. Tout a très mauvaise apparence. Ce que vous me dites de votre anglais ne présente pas une perspective passable prochaine. Ah mon Dieu que notre joie aura été courte ! A point seulement pour m'empêcher de pleurer quand je me suis séparée de vous. Mais que de soupires je pousse depuis.
Hier un arrivant russe de Vienne. Mad. Barrot, [Chrepto vitch] [Brockhausen] Van Stratten, je n’ai pas vu autre chose. J'oublie Kisseleff cinq minutes pour une commission indirecte. Même froideur de mon côté. Brunnow m’a parlé de lui, du repentir. Et bien qu'il le montre. La commission c’était Mercier lui écrivant de Dresde à propos d'une dame de compagnie, un écho de Mad. Bilinska. Grand commérage déjà. Seebach passera par ici demain se rendant à Dresde. Ah mon Dieu que les jours sont longs.
Vous ne me dites pas si vous avez reçu tous mes N° avez-vous eu le 23 ? Sans importance mais for regularity's sake.
Le Maréchal Paskevitch a des pleins pouvoirs prodigieux militaires et diplomatiques. Il commande tout depuis la Crimée jusqu’à la Baltique et prendra une résidence centrale d'où il dirigera tous les mouvements. Pétersbourg est trop loin. Nous nous replions sur nous-même abandonnant tous les postes exposés. Je crois vous avoir déjà dit cela. Je me souviens d'avoir l'année 34 proposé à l’Empereur de faire cadeau à quelqu’un des îles d'Ossil et Dago. Habitées par des sauvages, car j'en avais vu à bord du bâtiment où j’étais sur la Baltique. Nous avions pensé échoué là sur des rochers, et ces animaux étaient venus nous porter secours. Une honte d’avoir de pareils sujets si près de la capitale. Adieu. Adieu.
Que deviendrai- je sans vos lettres ! Pas un moment de soulagement pour mon esprit dans toute une longue journée. Et Paris, si beau si charmant, si vert, si animé, l'air si doux, et la causerie ! et vous deux fois le jour, quel paradis. Adieu.

Auteurs : Guizot, François (1787-1874) ; Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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25 Paris, Samedi 25 Mars 1854

Je voudrais bien espérer que votre Empereur saisira l'occasion de l'Émancipation des Chrétiens, si elle arrive, pour nous tirer tous, et lui-même de cette détestable situation. Il ferait deux grandes choses ; il sauverait l’Europe du chaos révolutionnaire où elle tombera. Si la guerre éclate et dure ; il ferait évanouir d’un seul coup, les méfiances dont il est lui-même l'objet, et deviendrait le chef de l’ordre Européen. Remettre le monde sur sa base et remonter soi-même au sommet cette double gloire vaut bien la peine qu’on ne la manque pas. Mais je vous avoue que j'espère peu. Ce qui s’est passé depuis un an, ce que je lis depuis deux mois, me laisse une impression triste. L'âme et la politique de votre Empereur sont pleines de troubles, et de combats intérieurs. Je suis convaincu qu’il désire la paix, qu’il n’a nul dessein de renverser l'Empire Ottoman et d'en prendre promptement ce qui lui convient. Et pourtant, par les conversations de 1844 et de 1853 à Londres, et à Pétersbourg, il a donné lieu au cabinet anglais, de croire le contraire. Préparer ce qu’on ne veut pas faire, se montrer pressé de régler d'avance une succession qu’on serait fâché de voir ouvrir, est-ce prudent, est-ce conséquent ? Autre désaccord. J’ai quelquefois trouvé, et je vous ai dit, que, dans ses manifestations officielles, tout en se disant décidé à maintenir la paix et l’ordre Européen, votre Empereur devrait avouer plus hautement la politique générale, que lui prescrivaient, et la position géographique de son empire et les traditions de la race ; on en eût ajouté plus de confiance à sa modération, et on lui en est eût plus de gré. Or, en même temps qu’il ne faisait pas cela dans ses manifestations officielles, il le faisait dans ses communications confidentielles ; il entrait, avec le Cabinet Anglais, dans le détail des vues traditionnelles qu’il était obligé de suivre, et qu’il s'ouvrait au moment de la crise de l'Empire Turc : " Je tolérerai ceci, et non pas cela ; je prendrai ceci et non pas et prenez ceci vous-même, mais non pas cela. " Étrange. contraste entre le désintéressement affiché en public et les desseins avoués en secret ! Et puis, après avoir eu, avec le Cabinet anglais ces épanchements si intimes et si bien cachés, votre Empereur y fait tout-à-coup un appel public, oubliant que l'Angleterre est un pays de publicité, et que ses ministres ne peuvent être provoqués ou défiés, par un souverain étranger sans répondre. aussitôt à son défi. Pourquoi ces alternatives ces incohérences, ces perplexités dans la conduite comme dans le langage ? Parce que votre Empereur n'est, ou pas assez ambitieux, ou pas assez conservateur, trop peu Russe, ou trop peu Européen. Il ne se gouverne pas par une idée simple, permanente, dominante ; il flotte entre ses propres vues, qui sont pour la paix, et les traditions de ses ancêtres, qui sont pour l’agrandissement. Il se préoccupe trop à la fois du présent et de l'avenir. Quelque puissant qu’on soit, on ne peut pas être tout et tout faire à la fois, la paix et la guerre, maintenir, et partager les Empires ; il faut choisir. Si la Porte accorde l'Émancipation des Chrétiens, Dieu donnera encore là, à votre Empereur, à la dernière heure, l'occasion de faire son choix, un bon et grand choix. Puisse-t-il lui donner en même temps la volonté de le faire en effet et de rendre la paix à l’Europe, au lieu d'encourir la responsabilité de tous les maux, prévus et imprévus, que la guerre nous attirera à tous !
Voilà votre N°18 qui m’arrive. J’ai tous les précédents, sans lacune. Je vous ai écrit Mercredi du Val Richer. Je m'étonne des nouvelles de la Mer Noire que la princesse Kotschoubey a reçues de Pétersbourg comment n'en savait-on rien à Vienne le 20 mars et à Constantinople le 14 ? C’est étrange.
Je compte toujours partir le 31 pour aller vous voir. Soyez assez bonne pour me faire assurer une chambre à l'hôtel Bellevue, si c’est possible, comme je l’espère, et un petit cabinet pour mon domestique. Ce sera charmant de causer.
Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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17 Bruxelles le 22 mars 1854

Quel ennui que ce N°15 égaré ou retardé ! Je crois que j’y répondais à votre charmant projet de me me voir. J’accepte la date avec bonheur. Dites-moi quand vous aurez reçu cette lettre chanceuse. On est très vif ici à propos de la nouvelle de Constantinople. Certainement l'envoi des troupes dépendait des consentements de la porte à la demande d'émancipation des Chrétiens. Si cette émancipation est vraiment obtenue et on y croit, et si mon empereur à la bonne foi & le bon esprit de s'en tenir pour satisfait voilà la guerre évitée, mais c’est trop beau pour croire à ce facile dévouement.
Lord Holland & M. Barrot se sont rencontrés chez moi hier, bien contents & tous deux bien pacifiques. J’ai été très contente du langage de l'Anglais, un grand changement depuis huit jours. Le français avait toujours été convenable et bien. On annonce Brunnow pour aujourd’hui. Quelle curieuse correspondance que celle qu’on vient de produire au parlement. Pauvre dépêche que celle de lord John, mais quel entrain de mon empereur. Dites-moi je vous prie votre avis de tout cela. La publi cation ne me paraît pas une chose bien inventée, pourquoi avons-nous provoqué cela ? à tout instant je me sens le besoin de vous interroger, de vous entendre. Je n’ai pas encore lu cette correspondance jusqu'au bout. Mes yeux sont très capricieux. Je les croyais mieux, ils sont repris. Le temps est froid. Je serai charmée de vous savoir revenu à Paris.
Adieu. Adieu, je suis restée deux jours sans vous écrire à cause de votre absence. J'ai eu peut être tort, mais je croyais que mes lettres reposeraient à Paris. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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22 Lundi 20 mars 1854

Si Lord Stratford obtient pour les Chrétiens les quatre concessions qu’il a dit-on, formellement demandées, l'abolition du Karatoch, le droit de témoigner en justice, le droit de posséder des terres et celui d'entrer dans l'administration civile et dans la milice, je ne comprends pas ce qui vous restera à demander spécialement pour les chrétiens grecs. Il est vrai que vous avez manifesté, dit-on, l’intention de ne vous occuper que des Chrétiens grecs et de ne pas vouloir que les concessions fussent communes entre eux et les autres. Ceci vous mettrait encore, vis-à-vis de l'Europe, sur un plus mauvais terrain. J’ai peine à y croire.
On disait hier soir que votre refus péremptoire d'obtempérer à la sommation Anglo-française était arrivé le matin, et que vous aviez répondu sur le champ, sans attendre le terme des six jours. On en concluait que vos flottes de la Baltique s'étaient mises en sûreté, autant qu'elles le peuvent sans quoi, vous auriez profité du délai de six jours.
J’ai dîné hier chez Mad. de Boigne ; le chancelier, M. et Mad. de Rémusat, Mad. de Chastenay, d'Haubersart et Lagrené. Le soir, il est venu assez de monde, Dumon, la Duchesse de Maillé, Mad. Mollien, le général d’Arbouville, la petite Lagrené qui est bien jolie. Sa mère ne sort pas ; leur seconde fille sort à peine d’une fièvre typhoïde qui l’a mise en grand danger. le plus de votre absence.
Barante est arrivé, bien portant, et assez en train. Il me semble que, l’hiver dernier, vous l'aviez repris en grâce. Pour moi, amitié à part, je retrouve toujours sa conversation avec plaisir. Il a l’esprit juste, fin, varié et libre, et nous avons le même passé ; grande sympathie. Je ne puis en conscience répéter à Chasseloup Laubat votre compliment de regret.

Midi
Je viens de lire les deux premières des nouvelles pièces communiquées au Parlement. Le Memorandum de 1844 vous vaut mieux que la dépêche de Seymour de 1853. Je n'ai pas encore entendu parler de votre occasion. Adieu. Je pars ce soir pour le Val Richer ; d’où je vous écrirai après-demain mercredi. leur seconde fille sort à peine d’une fièvre Je serai de retour à Paris vendredi matin. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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16. Bruxelles le 19 mars. 1854

Je pense que ma lettre vous trouvera encore avant votre départ. Cela m'ennuie que vous soyez plus loin de moi pendant 4 jours. Ah que les jours sont longs pour moi. Quel supplice que cet exil, et quand finira- t-il. Nesselrode écrit : " la lutte sera longue. Les préparatifs chez nous sont énormes, il n’y aura pas moyen de nous entamer." Qui se lassera le premier ? Je doute que ce soit nous. Entêtés, éloignés et barbares. Il ne me paraît plus qu'il puisse être question d’arrangement. L'Angleterre veut l'annulation des anciens traités. Jamais nous n'accorderons cela à moins que le nouveau nous vaille mieux et cela n’est pas possible. J'ai beaucoup de doutes sur les Allemands. La Prusse nous donne des bonnes paroles qui déplaisent beaucoup à Londres & à Paris. Elle ameute les états secondaires, la Saxe, la Bavière, le Wurtemberg, et voudrait qu'avec l’Autriche, l’Allemagne fédérale déclarât sa neutralité ; c’est bel et bon, mais si l'[Angleterre] va ravager les côtes de la Prusse, & la France fait avancer ses bataillons, je doute qu’on reste neutre. Tout cela est une énorme affaire, et qui se présente vraiment comme la fin du monde. Je suis bien triste.
Le soir j’ai toujours Van Praet, et quelques diplomates, le mien qui n’est pas brillant. Je suis très au courant de tout ce qu'on sait ici. Et mon rôle est comme à Paris la confidente de tout le monde. Mais la causerie où est elle ? Adieu. Adieu.
Je coupe Cromwell c’est encore tout ce que je puis faire, mais je tombe sur des sublimités toujours.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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14 Paris, samedi 11 mars 1854

Je vais ce matin de bonne heure à l'Académie, et j’ai encore à corriger les dernières épreuves de mon Cromwell, qui paraît mercredi. De là le petit papier.
Je voudrais bien croire aux moindres chances de paix ; mais au point où l’on en est venu, cela me paraît impossible. Pour les uns ou pour les autres, ce serait trop ridicule. Et une trop grande reculade. Pourtant Kisseleff et Brunow en permanence à Bruxelles, cela signifie quelque chose. Je souhaite au Roi Léopold tout le succès possible, car je ne doute pas de son bon travail.
L’article du Journal de St Pétersbourg (2 mars) est curieux et bien rédigé. Mais pourquoi se plaindre “ qu’on cède, à l'opinion presque traditionnelle qu’on s'est faite de la politique russe en Orient ? " Pourquoi avoir l’air de nier la politique traditionnelle, de la Russie en Orient au lieu de la justifier en l'expliquant, et en la limitant ? On obtiendrait, par ce second procédé, beaucoup plus de créance que par le premier.
Voilà décidément le Maréchal St Arnaud général en chef. On dit qu’il part la semaine prochaine.
Hier soir chez Mad. de Staël, les Broglie, Rumpff Viel-Castel. On parlait surtout de l'emprunt. Le voilà, ce matin au Moniteur. Il sera promptement couvert. Le mode de souscription nationale est le seul qu’on ait pu trouver pour avoir à la fois le concours de Rothschild et du crédit mobilier, c’est à-dire Fould et Pereyre. Ils souscriront chacun de son côté, sans rien faire en commun. Les receveurs généraux et le public prendront leurs restes. Adieu, adieu.
Je vais déjeuner et je pars aussitôt après. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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9 Paris, Dimanche 5 mars 1854

Je suis pressé ce matin. Je trouve le ton de la réponse de votre Empereur très convenable, modéré, doux, même caressant. Quant au fond, j’y retrouve le même défaut que j’ai trouvé, dans le commencement de l'affaire, dans tout ce qu'a dit et fait votre Empereur ; il n’a jamais assez nettement, assez complètement, assez hautement avoué, sa situation particulière vis-à-vis de la Turquie, vos traditions, et la politique que lui imposaient les perspectives d’un avenir qu’il ne voulait point hâter, mais dont il ne pouvait oublier les nécessités et les chances. Il s’est toujours présenté comme aussi attaché que la France et l'Angleterre à l’intégrité et à l'indépendance de l'Empire Ottoman. Cela n'est pas ; cela ne se peut pas ; vous êtes voisins et grecs. Si vous aviez pris ouvertement, votre position, on vous aurait su gré de votre modération. Au lieu de cela, on s’est méfié de votre langage officiel que démentaient les tendances plus ou moins cachées, plus, ou moins lointaines de vos actes. Il y a, dans la lettre actuelle, le même défaut et vérité générale. Vous êtes trop de petits saints, vous en êtes affaiblis comme politiques. Je ne dis rien des questions de détail comme droit public, vous avez souvent raison.
Voilà l'Assemblée nationale suspendue, c’est-à-dire supprimée. Quoique inattendue en ce moment et pour l’article inculpé, la mesure ne m’a pas surpris. Je lui ferais volontiers le même reproche qu'à la lettre de votre Empereur ; il y a trop de réticence.
Dîner littéraire hier chez Mad. Mollien ; pas ennuyeux. Le soir, Mad. de Boigne malade. Mad. Rothschild ne recevait pas, par exception. Je suis rentré chez moi de bonne heure.
Il vaut mieux que le Ministre de France soit allé vous voir, et que vous soyez avec lui, en bons rapports. C’était autrefois un conservateur décrié. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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8 Paris, Samedi 4 mars 1854

Je n’ai encore rien de vous ce matin. Je ne m'en étonne pas ; vos lettres m’arrivent presque toujours fort tard ; mais j'en suis bien impatient. Si vous étiez trop souffrante, ou vos yeux trop malades, j'espère que la Princesse Kotchoubey aurait la bonté de me donner, en quatre lignes, de vos nouvelles. C'est elle qui fait, en ceci, ma sécurité, si sécurité, il y a.
Je vous ai dit sincèrement mon impression sur l’idée de votre retour immédiat. Je vous la devais, quelque amère qu'elle ne fût. Plus j’y pense, plus elle se confirme. Je ne regarde pas comme impossible qu’il se présente quelque expédient imprévu pour mettre fin tout à coup à cette déplorable guerre. Mais quant à présent, même en France, où elle déplait, elle est de plus en plus prise au sérieux, et la passion pourrait bien ne pas tarder à s'y mettre.
M. de Flavigny me disait hier qu'à la séance Impériale, en entendant le discours, le sénat et la magistrature avaient été froids, mais le corps législatif, les gens des provinces, approbateurs et assez animés. Ils ont pris leur parti de la guerre. Ils prennent au pied de la lettre les paroles de paix prochaine et point de conquêtes qui contient le discours. Ils soutiendront sans rien objecter.
Je reçois ce matin une lettre de Piscatory, qui m'écrit : " C'est maintenant le succès qu’il faut souhaiter, et en toute sincérité, je le souhaite ardemment ; le drapeau est engagé ; et puis honneur et intérêt du pays à part, la défaite n'est jamais bonne à rien, ni à personne. Avec de bonnes dispositions, et dans le monde du gouvernement et dans celui de l'opposition la Russie n'est pas populaire.
Je ne me représente pas agréablement vous au milieu de cette atmosphère là ; votre repos et votre dignité en souffriraient également. Restent les maisons de santé, les raisons impérieuses. Celles-là l'emportent surtout.

3 heures
Je rentre et je trouve votre lettre qui me fait grand plaisir parce qu'elle est bien moins abattue. Dieu veuille que vos yeux aillent mieux. Dans le public indifférent, le discours impérial a assez peu de succès. Je ferme ma lettre. J’ai là du monde. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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5 Paris, Mardi 24 Février 1854
2 heures

Je prends le petit papier. Je n'ai rien aujourd’hui. J’ai passé. hier ma soirée au comité protestant. Ce matin, le beau temps et la mardi gras dispersent tout le monde. On est un peu incrédule ici sur vos immenses armées. On commence à vous croire très forts chez vous et pas très forts quand il faut en sortir ; bien efficaces quand il ne faut que peser beaucoup moins quand il faut agir. On dit qu’il est plus sûr d'emprunter 400 millions que d'attendre des présents, même de 25 millions.
Je suis frappé de deux choses, l’une que la question grandit, l'autre, que vous ne grandissez pas. On entreprend plus qu’on ne croyait ; on vous redoute moins qu’on ne faisait. Sur le premier point, on ne se trompe certainement pas ; l'avenir nous apprendra si on a raison sur le second.
Je viens de voir les lettres de Madrid. Quant à présent, l'insurrection a échoué ; mais, dans la voie où entre le gouvernement de la reine Isabelle, la guerre civile me paraît inévitable. Les partis Espagnols n'abdiquent pas en attendant que leur tour revienne de régner ; ils se battent, même quand ils ne sont pas les plus forts.
C'est le général Randon, dit-on, qui reviendra d'Algérie pour faire l'intérim de la guerre en l'absence du Maréchal St Arnaud. Le général Pélissier restera en Algérie pour y faire l'intérim de gouverneur général. Les généraux Canrobert, Bosquet, d'Allonville et Forest accompagneront le Maréchal St Arnaud. Adieu.
Je dîne demain, chez Duchâtel, samedi chez Mad. Mollien. J’irai ce soir chez Molé et à l'Ambassade d'Angleterre. Mon temps est le tonneau des Danaïdes ; ce que j’y mets ne le remplit pas, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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89 Paris le 14 Novembre 1853

Certainement tout et au plus noir, & vous ne tenez pas vos promesses. La guerre. générale est inévitable. L’article du Moniteur a paru à tout le monde très provoquant. Il donne un démenti à l’Empe reur Nicolas et l’on s’attend généralement à ce que cela empêche [Kisseleff] d’aller à Fontainebleau. Je ne suis pas de cet avis du tout. Il faut qu'il aille. Il ne doit pas commencer la guerre.
On reste sans nouvelles. Je n'ai pas besoin de vous dire dans quelle agitation je vis. Je vous attends avec impatience, mais vous aurez de la peine à me remettre en équilibre. On est très à la paix à Londres à ce qu’on dit, mais qu’est-ce que cela signifie ?
L'Angleterre a épousé la France et fera sa volonté. Celle-ci a pris un élan belliqueux. Elle eût préférée peut-être la paix, mais la guerre aussi lui convient. Nous avons très bien fait vos affaires, celles de votre Empereur.
Adieu. Adieu, ma dernière lettre donc, à moins d'un gros événement.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 13 Nov. 1853

Je crois que nous ne comprendrons guère mieux la guerre que la négociation. Je ne parviens pas à démêler qui, des Russes ou des Turcs est resté vainqueur à Oltenita. Vienne dit les Turcs, Berlin dit les Russes. Je crois que ce sont les Turcs. C’est dommage que le Prince Gortschakoff, qui est venu, dit-on, complimenter ses troupes sur leur bravoure, n'en eût pas placé là un assez grand nombre pour que la bravoure fût sûre du succès.
Je suis obstinément pour la paix, comme Lord Aberdeen, et je persiste à croire que c’est à la paix qu’il faut travailler, et qu’on doit réussir à la rétablir. Mais si nous devons être jetés dans la guerre, et dans la grande guerre, je suis pour que les Turcs soient chassés d’Europe. Au moins faut-il que nous avons ce profit en perspective au bout de ce chaos.
Duchâtel m’écrit dans un grand accès d'indignation contre la façon dont " cette misérable affaire a été conduite ; il n’y a pas deux jugements à rendre." Il est du reste plus préoccupé du dedans que du dehors : " L’hiver, dit-il, sera difficile à passer ; il n’arrive que peu de grains étrangers ; le commerce prétend manquer de la sécurité nécessaire. Les denrées autres que le blé, ont manqué comme le blé et même quelques unes dans une plus forte proportion. Le vin est arrivé à un prix que l'ouvrier ne peut pas payer. Il y a un sujet grave d’inquiétude. Les dispositions du peuple, même dans nos campagnes ordinairement si tranquilles, prennent un caractère menaçant ; le socialisme chemine sous terre sans qu’on s'en aperçoive. Il ne suffit pas, pour le détruire, de la comprimer d’une main en l'encourageant de l'autre ; la force est nécessaire contre les idées mauvaises, mais à elle seule, elle est insuffisante ; il y faut le concours énergique des idées vraies, fortement soutenues. "
Il a raison. Il ne reviendra à Paris qu'à la fin de l’année.
Je ne trouve rien à redire à votre manifeste. Il ne dit que l'indispensable, y compris, la phrase sur la foi orthodoxe. Les catholiques ardents ne peuvent pas vous pardonner ce mot orthodoxe. C'est pour cette raison qu’ils aiment mieux les Turcs qui n’ont pas la prétention de l'orthodoxie. Il me semble que la circulaire de M. de Nesselrode en dit plus que le manifeste, et qu’elle laisse entrevoir la chance d’une guerre offensive de votre part, bien au delà du Danube. En général, les commentaires par circulaires ne vous ont pas réussi.

Onze heures
Je reçois à la fois plusieurs lettres. La situation me paraît grossir et gronder. Que c’est absurde ! Mais ce n'en est que plus grave. Adieu, adieu.
Voici la dernière lettre à laquelle vous répondrez. Je vous écrirai encore deux mots mardi. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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88. Paris samedi le 12 Novembre 1853

Notre manifeste déplait ici. La critique du Moniteur est cependant assez mesurée, et entre nous il dit vrai sur l’af faire. Cette pièce est adressée au peuple russe plutôt qu'à l'Europe. Sans avoir trop menti nous prenons l'Empire pour de bons amis. Je suis curieuse de voir ce qu'on en dira en Angleterre. Je suis bien aise qu'on fasse mention des révolutionnaires.
Hier on débitait ici des nouvelles très favorables à nos armes. Je ne sais ce qu'il y a de vrai ou de faux. Constantin m'écrit sans cesse de patienter. Nous voulons que les Turcs s’avancent en nombre suffisant pour les écraser en masse. C’est fort bien, mais faut-il pour cela se laisser battre en détail ? Hier on parlait beaucoup fusion ; la visite des princes d’Orléans avait eu lieu ou allait avoir lieu à Frohsdorf. Fould même m’en a parlé comme d’un “on dit”. C’est une petite diversion à l’Orient.
Les Anglais à Paris traitent notre manifeste de bare faced lie, et disent qu'il aura pour conséquence la chute de Lord Aberdeen.
On parle de Victoire remportée sur les Turcs, je ne croire que quand je serai mieux renseigné. Adieu. Adieu. 1 heure.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 11 Nov. 1853

Les feuilles d'havas me donnent une dépêche télégraphique de Vienne, du 8, qui dit que les Russes ont attaqué les Turcs et que ceux-ci ont conservé leur position. Je suis décidé à ne rien croire que les nouvelles officielles, et celles-ci pas toujours.
Je vois que Lord Palmerston a eu une brillante réunion à Broadlands, presque tous les diplomates. Je suis assez curieux de savoir quelle sera la fin de cette carrière.
Le discours au Roi Léopold à l'ouverture de ses Chambres fait un grand contraste avec cette agitation et cette confusion de toute l’Europe. Je voudrais qu’il réussit aussi bien dans les conseils à Londres que dans son gouvernement à Bruxelles. Mais ce ne sont pas les bons conseils qui manquent à Londres. Vous voyez que je n'ai absolument rien à vous dire. Je vous écrirai pourtant encore dimanche et mardi. Jeudi, nous causerons.

Midi.
Triste lettre et triste début d’hier. Je ne vois guères maintenant d’autre chance de salut que celle sur laquelle vous comptez, la bêtise générale. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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87 Paris jeudi le 10 Novembre 1853

Les nouvelles hier étaient très mauvaises dans un engagement entre 12,000 turcs & 9000 russes ceux-ci auraient. par être battus. Le combat fini aurait duré toute la journée du 5. On a épuisé la poudre des deux côtés, on a été réduit à se battre à l’arme blanche et c'est là où le nombre l’a emporté. C’est aux aff. étrangères qu'on donnait ces détails et avec beaucoup de tristesse parce que cela ne laissait plus d'espoir pour les négociations. Le combat a eu lieu près de Silistrie. Je vois que le Moniteur n’en parle pas ce matin. Il faut attendre. Je me trompais le Moniteur en parle. J’ai encore une lettre de Meyendorff, sans grande importance. Il compte sur la neige & le manque d’argent. Les gens venus d’Afrique & d'Asie n'endureront pas la première & tout le monde criera contre l'autre. Dans 2 mois révolte au camps turc. Moi je ne compte plus sur rien que sur la bêtise des gouvernements, right and left. C’est la plus triste & la plus sotte affaire ! Dans ce moment arrive le Manifeste russe du 21 octobre 2 novembre par lequel nous acceptons la guerre, & recourons à la forme des armes " pour obtenir réparation des offenses par lesquelles la Turquie a répondu à nos demandes modérées, & à notre sollicitude légitime pour la défense de la foie orthodoxe en Orient. "
Je copie des journaux étrangers, je suppose le manifeste vrai. C’est bien engagé. On me dit que le langage à St Cloud est devenu très belliqueux. Les journaux le sont. Voilà un triste hiver qui commence. Le froid est venu aussi. Adieu. Adieu.
J’ai vu hier soir Noailles & Berryer. Oiseaux de passage Dumon est fixe, & je le vois tous les jours.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 9 Nov. 1853

Je viens de parcourir, cet immense acte d'accusation contre le complot, de l'opéra comique. Ce sont les mêmes idées, les mêmes desseins, les mêmes paroles que de mon temps. Les noms propres ne signifient plus rien, ni pour le gouvernement, ni pour les conspirateurs. C'est une perversité et une démence permanente, abstraite, qui passe de génération en génération, sans qu’il vaille, la peine de savoir qu’ils en sont les instruments momentanés ; ils ne se distinguent pas les uns des autres, et ils s'attaquent indifféremment à Charles et à Louis-Philippe, à Napoléon III, à Frédéric Guillaume à Ferdinand. Le premier qui trainera réellement ce démon rendra un immense service à l'humanité.
Les journaux ne m’apprennent absolument rien. Sans doute on ne s’est pas encore battu. On ne cache pas longtemps une bataille. Je suis décidé à croire que vous rejetterez les Turcs dans le Danube, et que l'affaire finira par là. J’ai bien des choses à vous dire, mais nous sommes trop près de nous revoir. Nous causerons la semaine prochaine. Je pars décidément. Mercredi soir 16.
J’ai des nouvelles de Broglie, de Piscatory et de Barante qui m’en disent encore moins que les journaux. Barante est frappé de l'apathie universelle, sauf une seule espèce d'homme, la démagogie révolutionnaire : " C'est la seule opinion qui conserve quelque vivacité. De jour en jour, elle manifeste plus de démence et de rage. Elle espère et menace. Les chefs qu’on a ménagés, les envolés des sociétés secrètes qu’on a rappelés du bannissement sont les plus animés. Leur action sur les classes marchandes et sur les gens de la campagne est tout-à-fait nulle ; mais la cherté du pain et surtout du vin, leur donne assez de prise sur les ouvriers de nos villes. " Piscatory ne pense qu’à l'hiver prochain et à la disette.

Onze heures
Adieu, Adieu, à nos prochaines conversations.
Orosmane dit à Zaïre : Mais la mollesse est douce et sa suite est cruelle ; je mets la faiblesse à la place de la mollesse et un politique à la place d'Oromance ; si on n’avait pas été, en commençant, faible avec Lord Stratford, faible avec les Turcs & &, on ne serait pas si embarrassé.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 7 Nov. 1853

Voici des nouvelles d’Angleterre. On vous les a peut-être données aussi. En tout cas, je vous les donne. Palmerston ne croit pas à l’arrangement de l'affaire Turque. Il dit qu’on ne se découragera pas, qu’on négociera jusqu'à la dernière extrémité ; mais les choses, selon lui, sont si mal emmanchées et votre Empereur a de telles répugnances (qu’est-ce que cela veut dire ?) qu’on n’arrivera probablement pas à la conclusion qu’on demande. Il se prépare pour cette chance ; il trouve sa position bonne ; il a toujours été fidèle à sa politique de liberté Européenne et d'émancipation des peuples ; le cabinet de Paris ne peut douter de sa loyauté. Bref, il est content, et il attend. J’espère qu’il se trompe. S'il ne se trompe pas, vous aurez la France et l'Angleterre unies pour la guerre libérale, au lieu de les avoir une comme de mon temps, pour la paix constitutionnelle. J’ai beau y penser ; je n'y crois pas. Pouvez-vous vérifier si ce qu’on me dit de Palmerston est vrai ?
En tout cas, les coups de canon qui le tirent en ce moment en Valachie amèneront, ou la paix prompte, ou une guerre de trente ans. On m'écrit que le marquis de Viluma quitte Paris pour aller être président du Sénat à Madrid. Si Narvaez ne devient pas bientôt président du Conseil il reviendra comme ambassadeur à Paris. La nomination du frère de M. de Viluma, du général Pezuela comme gouverneur de Cuba n'indique pas que l’Espagne soit près de s'entendre, à ce sujet, avec les Etats-Unis. C'est un militaire espagnol, très brave, très fier et très vif.
Encore une lettre d’Angleterre, de mon ami Hallam. En voici deux phrases, très sensés : - The worst that could now happen would be a decisive advantage in the fields obtained by the Turks. - There is an apparent spirit in this country very much opposed to the temporizing policy of our friend Lord Aberdeen ; but I do not believe, it lies deep, through the press is almost universally in that tone. A good deal of this swing to the refugee and revolutionary party throughout Europe, and I am most anxious for a pacific settlement, in order to defeat their objects.

Midi
Je ne suis plus curieux que des nouvelles de la bataille. Si vous ne passez pas le Danube, je suis tranquille. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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85. Paris dimanche le 6 Novembre 1853

Je n'ai rien à vous raconter de nouveau. On parle d'une bataille gagnée ou perdue par nous. Si le gouvernement sait quelque chose, il le tient bien caché.
Meyendorff me mande que Lord Radcliffe est débordé. Aujourd’hui qu'il est sincère dans ses efforts pour le paix, il est impuissant. Nous ne passerons le Danube en aucune cas, sauf si vous envoyez des troupes. Alors nous soulèverions les populations grecques partout. Villeme est venu me faire une longue visite. Il me plaît beaucoup, malheureusement il part, il est nommée Président de Sénat. Il me fait un éloge très grand de la cour de Séville, vraie cour, brillante, digne, comme on n'en a jamais eu en Espagne. Énormes contraintes avec celle de Madrid. Grande popularité pour l'infante et son mari. La Reine n’est pas jalouse mais elle est en respect devant sa soeur quand elles sont ensemble ; la Reine Christine retourne à Madrid sous peu de jours. Narvaez doit y être, Villeneuve pense qu’il reprendra le gouvernement de l’état, pourvu qu’il n'aspire pas à celui du palais. Cela, la reine n'en veut pas. Grand dépouillement à cette cour de Madrid, moralement et matériellement.
Kisseleff & Hübner sont pris à Fontainebleau. Tous les diplomates qui n'ont pas été à Compiègne le sont également. La cour y va le 12. Il me semble que je n’ai plus rien à vous dire sa good bye & Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 5 nov. 1853

Il semble que nous devons apprendre bientôt que vous avez battu les Turcs. Si vous suivez mon plan de campagne, votre victoire amènera promptement la paix. Vous y aurez honneur et profit. Les journaux ont tous l’air de savoir vos dernières nouvelles et de croire plus que jamais à la paix. J’attends avec quelque impatience ce qui nous viendra de Valachie. On me dit que le motif du rappel de M. Delacour, c’est qu’il a été trop souvent de l’avis de M. de Bruck, trop favorable à la politique autrichienne.
Depuis que ce pauvre Valdegamas est mort, vous ne pensez certainement plus jamais aux affaires d’Espagne. J’ai quelque curiosité de savoir s’il est vrai que le nouveau ministre américain à Madrid, M. Soulé, qui a été si doux dans son discours à la reine, ait pourtant demandé à acheter Cuba, et ce que pense de cette demande le Maréchal Narvaez. Le voilà rentré à Madrid nous entendrons bientôt parler de lui. Est-il venu vous voir avant son départ ?
On dit que la Reine Christine a été très surprise que la Reine Marie Amélie n'ait pas voulu la recevoir, et qu’elle n’a pas pu comprendre pourquoi. Il y a un certain degré d’égoïsme qui en effet ne peut pas comprendre qu’on ne l'accepte pas toujours tel qu’il est et qu’on lui demande jamais autre chose que ce qui lui convient.
J’ai des nouvelles de la Reine Marie- Amélie ; elle avait passé, les Alpes et assez bien supporté ce voyage. Elle doit être arrivée à Gênes. Si elle ne retombe. pas malade, sa passion d’aller à Séville lui fera braver trois jours de mer. C’est une indisposition du comte de Paris qui a empêché Madame la Duchesse d'Orléans de se rendre à Genève, auprès de la Reine.

Onze heures
Votre lettre ne vaut pas la dernière. Il n’y a plus qu'à attendre les événements. Les hommes ont bien mal jouer leur rôle. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 3 Nov. 1853

Les Turcs ont donc passé le Danube, et vous n’y avez pas fait obstacle, probablement dans l’intention de les battre et de les rejeter ensuite au delà du fleuve, en leur disant : " Repassez si vous voulez. " Je me figure qu’il y a là, pour vous toute une politique, et une bonne politique ; si vous restez fermement dans les principautés, en en chassant toujours les Turcs, mais sans en sortir jamais vous-mêmes, vous ferez un grand pas dans votre destinée, en forçant l’Europe de reconnaître que vous ne voulez point aujourd’hui renverser l'Empire Ottoman ; vous remporterez des victoires en vous épargnant les plus grandes difficultés de la guerre, et vous resterez de plus en plus en mesure de négocier, une bonne paix. Je fais profession de ne rien entendre du tout à la guerre comme guerre ; mais la guerre comme moyen de la politique, je la comprends, et dans cette occasion-ci, je ne serais pas embarrassé pour m'en bien servir.

Onze heures et demie
Vos nouvelles valent mieux que mes plans de politique. Comme vous dites, il faut encore tout que ce soit fini ; mais quand ce sera fini, je ne serai guère plus sûr de la paix que je ne l’ai toujours été. Adieu, adieu. On sonne le déjeuner, et ma toilette n’est pas encore achevée. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 3 Novembre 1853

Je suis décidé à croire que votre Empereur ne veut pas la guerre, et par conséquent à croire qu’il saisira la première occasion de sortir d’un mauvais pas qui mène à la guerre à la guerre révolutionnaire générale, au chaos Européen.
Si malgré cette perspective, vous aviez votre parti pris de pousser la botte à fond et de jeter bas l'Empire Ottoman pour mettre la main sur les gros morceaux, je comprendrais l'obstination et je n'aurais rien à dire, sinon que le moment est mal choisi pour un si grand coup. Mais je suis convaincu que vous ne voulez pas porter ce coup et alors je ne comprendrais pas que vous ne missiez pas fin, le plutôt possible, à la situation actuelle. Vous n’avez qu'à y perdre. Vous y avez déjà pas mal perdu ; vous y avez perdu votre grand caractère de pacificateur général, de conservateur suprême de l'ordre Européen ; vous avez reveillé les méfiances des autres puissances ; vous vous êtes séparés de l'Angleterre ; vous l’avez unie à la France ; vous avez placé votre plus sûr allié, l'Autriche, dans la situation la plus périlleuse. Vous avez fait autre chose encore ; vous avez fourni à la Turquie une nouvelle occasion de s'établir dans le droit public Européen.
Taxez moi de rancune si vous voulez ; mais ce fût là, en 1840, votre faute capitale, pour isoler, pour affaiblir le gouvernement du Roi Louis Philippe, vous avez alors mis de côté votre politique traditionnelle qui était de traiter les affaires de Turquie pour votre propre compte, à vous seuls sans concert avec personne, vous avez vous-mêmes porté ces affaires à Londres par le traité du 15 Juillet 1840 vous en avez fait de vos propres mains, l'affaire commune de l’Europe. Vous avez été obligés l’année suivante, de faire encore un pas dans cette voie, et la convention des détroits du 13 Juillet 1841, et, de votre aveu, confirmée, pour la Turquie, l’intervention et le concert de l'Europe. Ce n’est pas là, je pense, ce qui vous convient toujours et au fond, et vous deviez être pressés de rentrer avec la Turquie dans vos habitudes de tête à tête. L'affaire des Lieux Saints vous en fournissait, il y a quelques mois une bonne occasion ; après y avoir essuyé, par surprise, à ce qu’il paraît un petit échec, vous y aviez repris vos avantages ; vous l'aviez réglée comme il vous convenait, sans vous brouiller avec la France, et de façon à être fort approuver de l'Angleterre. Pourquoi n'en êtes vous pas restés là ? Tout ce que vous avez fait depuis vous a mal réussi, vous avez eu l’air de vouloir plus que vous ne disiez ; vous n'avez pas fait ce que vous vouliez ; vous vous êtes bientôt trouvés engagés plus avant que vous ne vouliez ; vous avez rallié l'Europe contre vous et jeté la Turquie dans les bras de l’Europe. Pourquoi ? Encore un coup, je ne le comprends pas. Je ne le comprendrais que si je vous croyais décidés à jouer, en ce moment, la grande et dernière partie de cette question, et à mettre, à tout risque, la main sur Constantinople. Et comme je ne crois pas cela, je persiste à penser qu’une seule chose vous importe ; c’est de mettre fin promptement à une situation qui a le triple effet de vous isoler en Europe, d’unir l'Europe contre vous et de placer de plus en plus la Turquie sous la sauvegarde du concert Européen. Vous pouvez sortir de ce mauvais pas, sinon sans quelque déplaisir momentané, du moins sans aucun inconvénient sérieux pour votre politique nationale, et son avenir ; la géographie et le cours naturel des choses vous donnent, dans la question Turque, des forces et des avantages que rien ne peut vous enlever. Pourquoi susciter contre soi un orage quand il suffit de laisser couler l'eau ? Adieu.
J'en dirais bien plus si nous causions. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 1er Nov. 1853

Tout est possible ; ma confiance n’est pas grande ; je reconnais avec vous que la raison est en déroute. Pourtant je ne crois pas à la guerre, à la vraie guerre. Je ne trouve pas que de la part de l'Angleterre du moins, rien en ait l’air. Vous oubliez un peu le prix qu’on met à vous inquiéter, pour que vos inquiétudes aillent à Pétersbourg et pèsent sur les impressions, et par là, sur les résolutions de votre Empereur. Je ne voudrais nuire en rien à cette petite manoeuvre, car moi aussi j’ai grande envie que votre Empereur se prête à ce qu’on lui demande. Il le peut sans perdre autre chose que le puéril plaisir de la taquinerie ou de la bravade ; la facilité qu’il montrera aujourd’hui ne changera rien à l'avenir de la Turquie ni aux destinés de la Russie. La question du fond est depuis longtemps décidée, et n'attend que son jour. Et comme votre Empereur n'est pas pressé, il peut attendre aussi, et en attendant maintenir la paix de l'Europe dans laquelle des questions bien plus grandes que la Turquie sont engagées. Si, pour le porter à cela vos inquiétudes sont bonnes à quelque chose, gardez-les. Mais quand je vous en vois réellement tourmentée, je laisse là ma diplomatie, et je les combats comme si elles ne servaient à rien.
Si j’en crois le Moniteur, vous n'êtes pas oisifs en Chine, et vous voir préparez à profiter là de la chute des Tartares. Encore un point sur lequel vous vous trouverez en présence des Anglais et des Américains. Dans un siècle d’ici, il ne restera plus sur ce globe un pays dont la race Européenne ne soit maîtresse. C'est juste.
J’ai bien fait de n'avoir pas à vous écrire hier ; vous m'auriez trouvé une bien mauvaise écriture ; j’avais les épaules tout-à-fait prises de rhumatismes. Les frictions ont fait leur effet. J’ai très bien dormi cette nuit, et je suis dégagé.
Avez-vous lu les Mémoires du comte Mollien et les extraits du Moniteur ne vous en donnent-ils pas quelque envie ? Vous passeriez les dissertations de finances ; il y aurait encore, dans les conversations avec l'Empereur, et les embarras intérieurs de son gouvernement, de quoi vous intéresser. Si vous vouliez les volumes, il sont dans ma bibliothèque à Paris ; mon fils, qui y retourne samedi, vous les ferait remettre.

Onze heures
Le facteur m’arrive au milieu de la toilette. Je suis bien aise que les diplomates ne fassent des notes, et très fâché que vous passiez des nuits blanches. Vraiment, si la guerre devait sortir de tout ceci il y a longtemps qu'elle aurait commencé, tant on a mal conduit les affaires de la paix. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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82. Paris le 31 octobre 1853

J'espère que votre rhumatisme sera passé quand vous recevrez ceci. Cowley que j’ai vu hier on dit qu’on a élaboré une nouvelle note à Constantinople et que c’est en conséquence de cela que les ambas sadeurs ont obtenu un sursis aux hostilités. Ce n'est donc que demain qu'on commence si l’aventure devant [?] n’est pas regardée comme la guerre. Ce n’est pas nous qui avons tiré les premiers. Nous avions le droit de naviguer sur ce point, il est au-dessous de l'embouchure du Pruth. Il me paraît que les flottes ne feront rien à moins que nous ne franchissions le Danube. Si nous le passons ce sera cas de guerre pour l'Angleterre et pour Cowley est la France, convaincu que jamais nous ne sortirons des principautés. Baraguey d’Hilliers part ce matin avec un personnel considérable. On s'agite beaucoup ici, mais on fait un peu comme vous on ne croit pas encore à la guerre. Quand je pense que depuis 6 mois, chaque pas fait pour la détourner y a mené tout droit je ne puis pas concevoir qu'on se livre à l'espérance du contraire.
En attendant je ne dors pas. Sur huit nuits blanches j'en ai une passable. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 30 oct. 1853

Voilà donc des coups de canon. Je ne connais pas assez les localités pour savoir ce qu’ils valent comme opération militaire ; il paraît que vous avez pris l’initiative. Je serais étonné si vous ne laissiez pas aux Turcs l’embarras de passer le Danube, et de venir vous attaquer dans les Principautés. Militairement cela semble sensé, et politiquement, c’est beaucoup mieux pour vous. Les Turcs ne peuvent soutenir longtemps la guerre offensive. L’article du Moniteur est calmant et pacifique. Mais je ne m'explique pas la nomination du général Baraguey d’Hilliers, sinon par l'Empire des services personnels, abstraction faite de toute politique. Du reste la Bourse et Galignani disent que le Moniteur n’a pas fait sur tout le monde la même impression que sur vous et moi.
Je suis frappé de la froideur et de l’ennui des journaux Anglais sur cette affaire. C'est ce qui arrive des questions factices. Quand le bavardage a jeté son feu, et qu’il faut en venir à l'action sérieuse, il n’y a plus rien, et en voudrait bien n’y plus penser.
J’ai quelque peine à écrire ce matin. Je suis pris, dans l’épaule, d’une douleur rhumatismale assez vive quand je fais un mouvement. Je connais cela. J'en ai été atteint un jour où j’avais à parler à la Chambre des Paires, et j’ai parlé quand même, l’épaule et le cou de travers. Je n'ai plus besoin de si maltraiter mon mal. Cela passera avec quelques frictions et deux ou trois jours.

Onze heures
Voilà une lettre qui me déplait beaucoup. Mais vos impressions sont bien en contradiction avec cette suspension momentanée des hostilités dont les journaux m’apportent le bruit. Je ne crois pas à l'attaque dans la mer Noire. Que tout cela est fou et triste ! Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Broglie, Mercredi 26 oct. 1853

Certainement si la Grèce prenait parti contre les Turcs et soulevait partout les Grecs, la complication serait grosse et l’Europe Chrétienne bien embarrassée. Mais cela n’arrivera que si vous le voulez, et vous ne le voudrez pas. Il y avait un homme qui est mort, et qui s’il vivait n'y manquerait pas ; c'était Colettis. Il aurait cru trahir, la Grèce et les Grecs s’il avait laissé échapper une telle chance que l'Europe le voulût ou non. Mais ces hommes-là sont rares, et je ne pense qu’il y ait en Grèce un autre Colettis.
Le Duc de Broglie reçoit à l’instant une lettre du Dr Chomel qui est arrivé de Genève le 22. Il avait quitté la Reine le 24, la laissant mieux, mais pas encore tout-à-fait en convalescence. Encore de la fièvre. Il craint l’âge, la saison, la fatigue. Cependant il est plutôt rassurant qu'inquiétant.
On a eu grand tort à Londres de n'être pas parfaitement poli envers votre grande Duchesse. D’autant plus poli qu’on semblait plus près de se battre. La guerre n’est pas une brouillerie entre les personnes. Je trouve misérables ces impolitesses préméditées, par raison d'Etat. Il n’y a à cela ni dignité, ni habilité. C’est une humeur subalterne ou une maladroite, imprévoyance. Reine d’Angleterre, j’aurais rendu extérieurement à votre grande Duchesse tout ce qui lui appartient, sans me préoccuper de la paix ou de la guerre. Empereur des Français j'aurais invité Kisseleff et Hübner à Compiègne comme les autres, sauf à ne pas leur dire là un mot de politique. C’eût été de meilleur goût dans le présent, et de meilleure politique pour l'avenir.
Je suis revenu hier ici, par un temps magnifique qui dure. Il y a chasse aujourd’hui dans la forêt. On court un chevreuil. Mon fils, est parti ce matin avec Albert et Paul de Broglie. Il y aura certainement moins de confusion qu'à Compiègne, et j’espère pas d'accident. J'écrirai à M. Monod pour qu’il n’attende rien. Je crois qu’on a raison. Ce serait bien solitaire. Ecrivez-moi encore et demain Jeudi, je vous prie. Je n'en partirai que samedi matin de bonne heure. Le Duc de Broglie partira aussi samedi pour Paris où Mad. de Staël arrive. Il va conduire son fils Paul à l'Ecole polytechnique où ce jeune homme entre brillamment. Il est spirituel, original, sauvage, et doué, à ce qu’il paraît de dispositions rares pour les Mathématiques.
Adieu, adieu. Où donc est allé Dumon ? Je ne pense pas qu’il doive être absent longtemps. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Lundi 24 octobre 1853

Quand Xérès fit dire à Léonidas " rends-moi tes armes " c’est, je pense, qu’il était un peu embarrassé de passer les Thermopyles ; et Léonidas fit acte de bon sens comme d’héroïsme en lui répondant " Viens les prendre."Il me paraît qu’Omer Pacha, est dans le même embarras que Paris, et qu’il somme le Prince Gortschakoff de passer le Danube et de venir l'attaquer, le menaçant de le passer lui-même et d'aller l’attaquer, en cas de refus. Je ne sais si c’est sérieusement qu’on écrit cela de Bucarest ; il n’y a pas eu beaucoup de situations plus ridicules que celle de ces deux armées qui vont passer l'hiver à se montrer le poing d’un bord du Danube à l'autre. Entendez-vous parler de l’Asie et la guerre peut-elle vraiment commencer là, à défaut de l'Europe ?
Je n'ai pas eu hier de nouvelles de la Reine Marie Amélie. Quand même elle continuerait d'aller mieux, elle serait hors d'état de faire son voyage d’Espagne. Les Princes ont écrit à leur frère Montpensier de venir sur le champ à Genève. On préparait, à Lisbonne, une très belle et très affectueuse réception pour la Reine. La Reine de Portugal mettait du prix à la traiter avec éclat. Le Duc de Nemours est accouru en hâte, laissant sa femme à Vienne où il retournera probablement. Je dis comme vous, je n'ai rien à dire. Je vous quitte pour aller profiter, dans mon jardin d’un temps admirable. Nous avons eu hier le plus beau jour de l’année, chaud et clair. comme dans un bel été. Aujourd’hui sera aussi beau.
Un journal dit que sir Edmund Lyons reprend du service comme marin, et va rejoindre comme contre amiral, la flotte de l’amiral Dundas. Lord Palmerston ne peut pas renvoyer en Orient un agent plus dévoué, plus remuant, plus impérieux, et plus anti-russe.

Midi
Je ne m'étonne pas de toutes ces mollesses. Il n’y a vraiment pas un motif sérieux de guerre, à moins qu’on ne s'échauffe par taquinerie, et ce n'est pas la peine. Adieu. Adieu. Ma fille vous remercie de vos bons souhaits. Elle part ce soir, en assez bonne disposition. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche le 23 octobre 1853

J’ai des nouvelles de [Greville] enfin rien de remarquable. On travaille à une nouvelle note, et on attendait avec curiosité ce qu’aura dit l’[Empereur] de la déclaration de guerre des Turcs. (cela n’est pas inquiétant !) Les meeting en Angleterre sont a complete failure. Pas un homme considérable n’a voulu y prendre part.
La neutralité de l’Autriche et de la Prusse est due à la fermeté de M. de Manteuffel. Voilà toute la lettre, accompagnée d’assez de dégoût de toute cette affaire. Le Cabinet devait se réunir la semaine prochaine. On me mande de Berlin que nous resterons sur la défense tout l'hiver, et que nous accueillerons toute proposition venant de Constantinople ayant pour but de finir à l'amiable. Cela n’est pas fier! Quelle sotte affaire !
Je vous ferai réponse après demain sur M. Monod. Je ne sais point de nouvelle de Compiègne. Marie [Meiringen] y est. On passera quelques jours de la semaine à St Cloud, et puis Fontainebleau. Les Hatzfeld sont revenus contents & pas bavards. Hübner est toujours aigre. Dumon est réparti. Viel Castel aussi de sorte que je suis assez abandonnée. Adieu. Adieu.
Offrez je vous prie mille voeux de ma part à votre fille. J’espère que ce voyage réussira. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Broglie, Samedi 22 oct. 1853

Voici la réponse de M. Monod. On fera maintenant ce qu'on préférera. Dites le moi seulement dès que vous le saurez pour que j'en informe, M. Monod.
Je reçois à l’instant des nouvelles de la Reine du 19 à 10 heures du matin, un peu meilleures. On me dit que les mauvais symptômes ont cessé et qu'on est rassuré. J’ai pour que ce ne soit là que les oscillations d’une maladie bien grave. Elle avait été mieux le lundi 17 ; elle est retombée le mardi 18 ; un des poumons s’engorgeait ; il paraît qu’elle était mieux le Mercredi 19. On a fait venir de Paris, une soeur de la Charité qu'elle aime particulièrement.
C'est dommage que G. ne vous écrive plus. Je lui croyais l’âme trop exercée aux pertes ou aux gains de Newmarket pour que ses correspondances en fussent dérangées. Si l'Europe ressemble à la France, M. de Persigny aura raison.
Avez-vous lu l’article des Débats d’hier sur la race Slave, et le théâtre en Russie, et savez-vous qui est M. Pierre Douhaina l’article m’a intéressé, quoique bien long. Les Russes et les Turcs vont remplir les journaux. Je trouve le dernier langage du Times très sensé. On fera évidemment partout tout ce qu’on pourra pour rétablir la paix, et probablement on y réussira. Mais, on a en même temps partout le sentiment qu’il y a beaucoup d'inconnu, dans cette situation, et on se prépare à n'être pas surpris, ni pris au dépourvu par l'inconnu.
Voilà, toutes mes nouvelles. Je pars dans deux heures pour aller passer deux jours au Val Richer. J’ai eu ici un temps affreux. Il fait un peu moins laid aujourd’hui. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Broglie, Jeudi 20 oct. 1853

Je viens d’en lire bien long, la lettre de M. Xavier Raymond, et le manifeste de Raschid Pacha. C'est bien du bruit. Jamais les hommes ne font plus de bruit que lorsqu’ils n'ont pas envie de faire autre chose. Quand on regarde au fond et de ce manifeste et de toutes les pièces de cette affaire depuis l'origine, on trouve le bruit bien ridicule, car au fond, il n’y a rien. Vous demandez qu’on vous redonne ce que vous avez. On refuse de vous le redonner, mais on reconnaît que vous l'avez. Voilà pourquoi on vous déclare la guerre. Vous dites que vous ne l'acceptez pas, et vous avez raison, et je crois qu’on ne vous la fera pas. Pourtant, il y a là un grand secret un secret de Dieu. A-t-il décidé que le moment de la mort de la Turquie est venue, et par conséquent le moment du remaniement, c'est-à-dire du bouleversement territorial de l'Europe au sujet de l'héritage ? C'est possible ; et moins je vois de motifs assignables, de motifs humains à la guerre, plus j'ai peur quelquefois, qu’il n’y ait là une volonté divine, et que ce ne soit bien lui même qui pousse à la guerre, les hommes qui n'en veulent pas. Nous verrons bien.
En attendant, je cause ici, de cela et de tout. J’irai après demain passer 24 heures au Val Richer pour dire adieu à ma fille Pauline qui en par lundi pour le midi. Je reviendrai, après son départ, passer encore ici la semaine prochaine, et je retournerai au Val Richer, le samedi 29 pour le quitter définitivement le 15 ou 16 Novembre. C'est bien des courses, et mon Cromwell, qui touche à sa fin, en est un peu dérangé. Je serais fâché quand j'aurai fini ; c'était une société dans ma solitude, et un but dans mon oisiveté. Il faudra que je m'en fasse un autre.

9 heures
On m’apporte votre lettre, et le duc de Broglie m'en envoie une du Prince de Joinville qui est en effet très inquiet pour la Reine sa mère. La pleurésie allait mieux ; mais le matin même, une inflammation d’entrailles venait de se déclarer et paraissait grave. On attendait le Duc de Nemours qui venait de Vienne avec sa soeur la Princesse Clémentine. Le duc d'Aumale est en Savoie. Ils ont évité de se trouver tous réunis à Genève, de peur de quelque ennui politique. Je crains beaucoup pour la Reine ; elle est prête, fatiguée ; elle a 71 ans. Il y a de bon médecin à Genève. Ecrivez-moi demain à Broglie. Je n'en partirai samedi qu'après déjeuner. Mais dimanche, je vous prie de m'écrire au Val Richer. J'y passerai toute la journée de lundi. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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76. Paris le 19 octobre 1853

Hübner est fort exalté & content. Son gouvernement reste neutre et le proclame, et fort de la promesse formelle que lui a donné l'Empereur Nicolas de respecter l’intégrité de l’Empire ottoman, l’Empereur d’Autriche réduit son armée du quart. Il fait sonner cela très haut. Ceci est la réponse aux soupçons qu’on avait conçus ici de la triple alliance à Varsovie. Cela me touche peu.
Je n’ai pas la moindre nouvelle de Londres, sauf une lettre spirituelle de la G. D. Marie où elle me dit qu’elle trouve nouveau et drôle d'habiter un pays ennemi.
Dumon m’a dit hier soir, que M. Bansky était très inquiet de la reine Amélie. C’est une pleurésie dont elle est atteinte. Marie Mensingue arrive avec la G. D. Stéphanie. Beaucoup de nouveaux diplomates sont priés à Compiègne, mais toujours Kisseleff & Hübner exclus. Est-ce à Broglie ou au Val Richer que je dois vous adresser ma lettre vendredi ? Il fait bien laid ici et froid. Viel Castel est parti pour 3 semaines. Grande perte pour moi. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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75. Paris le 17 octobre 1853

Merci de la lettre de M. Monod. Tout est fort détaillé, mais l’essentiel y manque. A-t-il ou n'a-t-il pas d’autres pensionnaires de l'âge ou à peu près de ce jeune enfant. Vous savez combien cela est essentiel pour une éducation anglaise. Des camarades, de la récréation en commun aussi bien que des leçons. Or, d'après la lettre je croirais qu'il serait isolé. Voilà le point à éclaircir. Je suis fâchée de vous donner le grand bore. J'ai eu hier une lettre de Meyendorff, très tranquille. Voici la dernière phrase après avoir dit que le manifeste turc à Paris, le 5 à Constantinople, la déclaration de guerre signifiée le 9 au Prince Gortchakoff s’il ne promet pas d’évacuer les provinces dans l'espace de 15 jours. & & " Ainsi guerre sur le papier, déclarée par la Porte, non acceptée par nous. Que faire dans cette singulière position ? Il est impossible qu'on ne négocie pas avec nous, sans nous, mais toujours pour nous, c-a-d pour la paix. "
J’ai vu hier Morny qui s’était échappée de Compiègne pour quelques heures. Le ton là est extrêmement pacifique. On ne songe pas à envoyer un seul soldat. Toute la diplomatie presque est priée à Compiègne pour plus ou moins de jours. Il n'y a que Kisseleff & Hübner d’exceptés. Je suis fâchée des nouvelles que vous me donnez sur Pauline. Vous faites très bien de commencer pour elle par là où l'on finit, et quelques fois trop tard. [?] la remettre. Je vois déjà beaucoup de monde. Je ne sais trop dire qui. Oiseaux de passage, et des étrangers de toute espèce. Dumon est revenu for good. Le ton public en Angleterre. [...]

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 16 oct. 1853

Je vous envoie la lettre que je viens de recevoir de M. Monod. Vous la trouverez détaillée sensée et très consciencieuse. Vous me direz ce que je dois répondre.
Savez-vous si la Princesse Koutschoubey a reçu ma lettre. Je l’ai adressée à l'hôtel Bristol.
Gladstone a supérieurement parlé à Manchester. Il me paraît que le mouvement belliqueux n’a pas grand retentissement en Angleterre. Je serais charmé que la mauvaise politique fût, là, percée à jour et repoussée, et la bonne comprise et soutenue par le bon sens public. Ce serait un grand triomphe. dans une grande épreuve. Si cela est vous aurez, entre vous Russes et Turcs, bien de la peine à vous battre, et si vous vous battez, on ne se battra pas pour vous et on trouvera quelque moyens d'empêcher que vous ne vous battiez longtemps. A travers toutes nos oscillations et vos agitations, cela me paraît le résultat le plus probable. Si ce n'était vous, je crois que je n'y penserais plus guère.. Je suis à la veille d’un assez grand dérangement, pour l'hiver prochain, dans mon intérieur. Ma fille Pauline, sans être malade, est toujours fatiguée et faible. Elle n’a pas repris ses forces depuis sa dernière couche. Son médecin, qui est venu ici, lui conseille positive ment d'aller passer l'hiver dans le midi, à Hières, ou à Nice. Son mari en est d’avis, et moi aussi. On prévient beaucoup de malheur en prenant tout de suite ces précautions- là. Elle partira donc bientôt, et mon ménage de l'hiver se réduira à Guillaume et moi, avec ma fille Henriette à côté. C’est une contrariété ; mais quand on a ressenti les grandes joies et les grandes peines de la vie, les contrariétés sont peu de chose. Je n'ai pas de vraie inquiétude sur ma fille mais je crois tout-à-fait bon pour elle. qu'elle aille passer l'hiver sous un ciel doux et dans un complet repos. Je remercie Marion de m'avoir tiré d’embarras sur Pianezza.

Onze heures
Voilà votre lettre qui ne m’apprend rien, comme je m’y attendais. Vous m'écriviez le 24 septembre : " Hélène est bien touchée de vous voir vous occuper d'elle. Elle prendra à genoux le précepteur que vous lui recommanderiez. Je vous prie donc d'essayer de trouver et de lui adresser directement votre trouvaille. " Je ne sais pas une autre manière d'adresser directement que d’écrire.
Je crois que là le Duc de Nemours a dû voir, M. le comte de Chambord. Mais je n'en sais rien de positif. Adieu, adieu. G.
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