Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


Votre recherche dans le corpus : 177 résultats dans 3285 notices du site.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00027.jpg
4 Val Richer, Mardi 31 Mai 1853

Faut-il que je vous renvoie la lettre d'Ellice à Marion ? Elle est intéressante et j'en remercie Marion. Si on a conseillé à la Porte de déférer la question aux quatre puissances, ce n'est pas très prévoyant, et si après cela, on ne soutient pas la Porte, ce n’est pas très brave. Je regrette quelque fois de porter tant d’intérêt à la paix, car j'en prends très peu aux Turcs ; je voudrais voir ce beau pays rentrer dans le giron Chrétien. Mais St Marc Girardin a raison ; il en coûterait trop cher aujourd’hui, il en coûterait une nouvelle explosion de la révolution, en Europe. Il faut attendre, pour cela comme pour tout le reste. Je doute toujours du canon.
Voilà la session du Corps législatif close. Elle n’a pas été brillante pour le pouvoir, mais je trouve qu’il s'est conduit sagement, en ne s’entêtant pas et en transigeant sans bruit avec les velléités de résistance qu’il a rencontrées. De résistance, j’ai tort ; c’est d'indépendance, et d’indépendance très mesurée qu’il faut dire. Si le Gouvernement sait accepter peu à peu cet adoucissement à la réaction qui a marqué son origine, il s'en trouvera bien et le pays aussi. On a beau avoir réussi dans un coup d'Etat ; il n’y a pas moyen de rester aussi absolu que le jour où on l’a fait.
Je suis pressé de savoir comment vous aurez remplacé votre professeur Allemand. Quels mauvais renseignements vous sont donc venus sur son compte ? Il est vrai que la sagacité de ce bon Tolstoy n’est pas, une garantie suffisante.

Midi
Mon facteur arrive très tard. Mais il m’apporte une bonne lettre. Vous ne me dites pas encore quel jour vous partez. Je suis de l’avis de Hübner ; cela s’arrangera. Le trouble des spéculateurs de toute sorte m'amuse. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00025.jpg
5. Paris Mardi le 31 mai 1853

Votre petit ami a passé hier 3 heures chez [Kisseleff] et en est sorti bien content. Mon fils aîné est arrivé ; il m’accompagne à Ems de bonne grâce même. Je n’ai pas encore fixé le jour de mon départ, en tous cas pas avant samedi. Je ne sais pas de nouvelles. Menchikoff est arrivé le 24 à Odessa. Si nous n’agressons pas d'ici à demain. Que nos troupes avancent c'est qu’il n’a pas les pleins pouvoirs pour les mettre en mouvement. C’est très curieux comment nous nous tirerons de ce mauvais pas. Je ne conçois pas la bonne manière pour notre dignité. Il me semble qu'il faut aller battre les Turcs bien vite, lancer un manifeste rassurant à l’Europe, et puis laisser le sultan à Constantinople, avec de telles garanties pour nous, que la signature de la convention proposée devienne inutile. Quand nous aurons battu & fait grâce de la vie tout ce que nous céderons aura bon air. Je ne sais rien aujourd’hui et je ne saurai que plus tard. Le temps est détestable. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00034.jpg
7. Paris le 2 Juin 1853

J’ai vu hier matin 18 personnes une dizaine ce soir. La tête me tourne de tout le bavardage que j'entends. Je passe au gros fait. Hier à à Berlin 6 du soir on recevait de Pétersbourg le propos souvent de Nesselrode. " Nous aurons le protectorat des Grecs coute que coute. " M. de Budberg avait avec M. de Manteuffel le ton très haut. Tout cela arrive par télégraphe.
Cowley est venu le soir me conter cela. Greville dans une longue lettre finit par ces mots-ci. The flut will not sail until we give order et puis. “The emperor has promised that he will in no case have recourse to ulterior measures without giving us ample notice of his intention. " Il me mande que Brunnow est dans le dernier embarras. Les Allemands ici parlent de désavouer Menchikoff, (vous voyez que le télégraphe de Berlin dément cela) et disent que l’Emp. n’a pas bien compris la portée de ce qu’il exige de la porte. Tout ceci prouve seulement que nous n’avons l’appui de personne. "
Nous amusons L. Radcliffe de tout le mal. Cowley me le dit aussi à l’oreille. Mais Greville maintient qu'il s’est parfaitement conduit & son cabinet l’approuve. Je suis inquiète de cette situation. Nous ferons la guerre sans le moindre doute à moins que la porte ne cède.
Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23017_00045.jpg
9 Paris, Dimanche 5 mars 1854

Je suis pressé ce matin. Je trouve le ton de la réponse de votre Empereur très convenable, modéré, doux, même caressant. Quant au fond, j’y retrouve le même défaut que j’ai trouvé, dans le commencement de l'affaire, dans tout ce qu'a dit et fait votre Empereur ; il n’a jamais assez nettement, assez complètement, assez hautement avoué, sa situation particulière vis-à-vis de la Turquie, vos traditions, et la politique que lui imposaient les perspectives d’un avenir qu’il ne voulait point hâter, mais dont il ne pouvait oublier les nécessités et les chances. Il s’est toujours présenté comme aussi attaché que la France et l'Angleterre à l’intégrité et à l'indépendance de l'Empire Ottoman. Cela n'est pas ; cela ne se peut pas ; vous êtes voisins et grecs. Si vous aviez pris ouvertement, votre position, on vous aurait su gré de votre modération. Au lieu de cela, on s’est méfié de votre langage officiel que démentaient les tendances plus ou moins cachées, plus, ou moins lointaines de vos actes. Il y a, dans la lettre actuelle, le même défaut et vérité générale. Vous êtes trop de petits saints, vous en êtes affaiblis comme politiques. Je ne dis rien des questions de détail comme droit public, vous avez souvent raison.
Voilà l'Assemblée nationale suspendue, c’est-à-dire supprimée. Quoique inattendue en ce moment et pour l’article inculpé, la mesure ne m’a pas surpris. Je lui ferais volontiers le même reproche qu'à la lettre de votre Empereur ; il y a trop de réticence.
Dîner littéraire hier chez Mad. Mollien ; pas ennuyeux. Le soir, Mad. de Boigne malade. Mad. Rothschild ne recevait pas, par exception. Je suis rentré chez moi de bonne heure.
Il vaut mieux que le Ministre de France soit allé vous voir, et que vous soyez avec lui, en bons rapports. C’était autrefois un conservateur décrié. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00048.jpg
10 Paris le 5 juin 1853

Voici la lettre d’Ellice. Elle n’a pas l'importance que je croyais. J'en ai eu une de C. Greville plus sérieuse : l’ordre à la flotte a, ou va être donné, mais je crois vous avoir déjà dit cela hier. Lord Cowley est venu hier soir de plus en plus noir. Les explications de ce Nesselrode avec [Seymour] deviennent menaçantes. Les Anglais se disent dupés par nous. Je crois qu’ils ont envie de la guerre. Détruire une flotte est toujours une partie de plaisir pour eux. Il n’en est pas de même pour vous ou les autres. Vous n’avez pas intérêt à ce qu’il n’y ait que des puissants anglais dans le monde. Je ne vois plus comment la guerre sera évitée, mais le secours porté aux Turcs sera tout simplement cause de la chute de l’Empire Ottoman, car où ne nous empêchera pas de prendre Constantinople. Malgré toutes vos bonnes prédictions, je crains bien que je ne sache plus où aller. Ni Paris, ni Londres pour moi ! Le temps est toujours affreux. Je ne partirai pas avant la fin de la semaine.
1 h. Encore une lettre de Greville. Il se dit sûr de l’Autriche et de la Prusse, cela n’est pas possible. Adieu. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23017_00062.jpg
11 Bruxelles Dimanche le 12 mars 1854

Je vous en prie ne m'écrivez pas sur du petit papier. Cela m’attriste. Voilà l’émancipation des Chrétiens consentie par les Turcs, c.a.d. plus que nous n’avions demandé pour les Grecs. Comment mon Empereur laissera-t-il échapper cette occasion de se déclarer content & de finir cette misérable querelle ? Vous devriez bien m'écrire ce que vous pensez de cela. Greville est très animé si le congrès russe de Bruxelles pouvait venir à la paix l'Angleterre seule n’en voudrait pas. Elle veut l'humiliation, l'abaissement de la Russie. Il y a eu une vive scène entre Clarendon & Brusen (ce n’est pas de Gréville que je le tiens) le prussien annonçait la neutralité résolue de la Prusse. On en est venu aux gros mots, il voulait chasser Brusen d'[Angleterre]. Walewski a apaisé l'orage. L’Autriche sans être aussi explicite que la Prusse, ne sera pas non plus féroce. Elle ne nous fera pas la guerre. Je crois, mais je prends cela de ma seule tête que la première opération navale sera une attaque sur l'île d'Aland. Cette position commande Stockholm. Nous y avons fait de grands travaux. Dans huit jours la flotte Anglaise sera dans la Baltique.
Je me sers de mes yeux comme vous voyez, mais j’ai tort. L'ultimatum anglo-français a dû arriver à Pétersbourg hier. Adieu. Adieu. Tâchez de savoir comment Castel bajac a été reçu et s'il a été reçu ? Le premier venu diplomate vous dira cela. J'oublie qu'ils ne se trouvent plus sur votre chemin.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00054.jpg
11. Paris le 6 juin Lundi 1853

Rien de nouveau. Toute la diplomatie chez moi hier soir pas l'ombre de nouvelles nouvelles. On ne peut connaître qui jeudi le Pétersbourg décisif, la paix ou la guerre. L’attente & l’inquiétude sont énormes ce qui n’empêche pas qu'on n'aie bien ri chez moi hier, Heeckeren faisait les Frais.
2 heures
Grosses nouvelles. L’ordre est donné à la flotte de Malte d’aller aux Dardanelles. La vôtre la joindra. L'Empereur de Russie a dit aux [?] d'Angleterre qu'il insiste sur l’acceptation immédiate & sans condition de l’ultimatum de Menchikoff.. Voilà où nous en sommes venus. Croyez-vous encore à la paix ? Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00058.jpg
12. Paris le 7 juin 1853

Je reste certainement bien troublée des nouvelles que je vous ai données hier. On les tient très secrètes, la Russie s’entend.
Le bavardage est infini. Jamais l’occasion ne fut plus belle. Quelle confusion ! Les Allemands sont très montés aussi contre nous. Hubner surtout, mais il me le dit dans le tuyau de l'oreille. Ma tête s'en va de tout ce que j’entends je suis devenue le confesseur général. On cherche à me retenir, mais il faut que je parte. Que puis-je à tout ceci ? Le Times d’aujourd’hui est catégorique. L’Empereur persiste, la flotte anglaise. part. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00067.jpg
14. Paris le 9 juin 1853

L'Empereur donne encore à la porte huit jours de délais pour accepter les propositions du Prince M. Si elle refuse encore, nous entrons dans les principautés. Ceci est parti de Pétersbourg, il y a 6 jours. Tout compris il faut attendre trois semaines à Pétersbourg pour savoir la réponse de la porte. Voilà où j'en suis. Je suis mécontente de tout et tout le monde l'est.
Vous êtes sages ici. En Angleterre on ne l’est pas. Cela ira mal. Adieu je fais mes paquets, je m’agite. Je ne dors pas. Adressez encore à Paris. Je vous dirai demain le jour de mon départ. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00073.jpg
15 Paris Samedi le 11 juin 1853

Menchikoff est resté à Odessa il ne bouge pas de là. Nos troupes avancent. Notre flotte est prête. Nous entrerons dans les principautés, si l'Ultimatum est rejeté, et nous resterons. Pas de guerre pour cela à moins qu’on ne la veuille. Je doute que les flottes [anglaises] & [françaises] entrent dans les Dardanelles, mais si même elles y venaient. Quoi ? On se regardera et on rira. Il faudra que les Turcs fassent notre volonté.
Vous êtes parfaitement sages au-delà de ce que j’avais espéré. Long tête hier soir avec Fould. Je suis bien contente de lui. Pas trop d’amour de l'Angleterre. Point d'humeur contre nous. On veut modérer, concilier avoir l'honneur d'empêcher la guerre, bien plus grande gloire que le gain d'une bataille. Parfaitement convenable & bien, enfin je vous dis que je suis très contente, & que je pars rassurée. Je doute que l’Autriche se détache de nous, c’est impossible. Je suis abîmée de fatigue & de conversations. De tous côtés on est fâché de mon départ mais il faut partir je n’en puis plus. Adressez encore ici. On m'enverra votre lettre. Adieu. Adieu.
Voici Greville de hier.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00078.jpg
15 Val Richer, samedi 11 Juin 1853

Un nouveau délai, c’est quelque chose, pendant ce temps là, on négocie certainement à Vienne à Londres, à Paris. Si on sait s'y prendre, il doit venir de Constantinople quelque ouverture que l'Empereur ne puisse pas se dispenser au moins d'écouter, et qui engage une négociation nouvelle. Je suppose toujours que l'Empereur n’a pas son parti pris d’engager la question dernière, et de jeter bas, l'Empire Ottoman. Sauf cette hypothèse il est impossible que l'affaire ne s’arrange pas.
On m'écrit de Londres : " I see Lord Aberdeen very frequently happily rather a friend than patient. His healthy, since he took office, has been better than usual, though you will judge from what you see of tre current of affairs that he cannot he without various inquiétudes. The Turkish question, under ils present aspect the India Bill in its future course and the Education bill under the various perplexities which religious fond impose upon it, are all subject which may well afford to him thought and anxiety. " (Je vous supprime les questions intérieures) " On the Turkish questions I will not speak. A few days or weeks will decide them for good or ill, and the anticipation here is (or was yesterday, that all will end in compromise."
Est-il vrai que Lord Stratford ait proposé à ses collègues de faire une réponse collective aux questions de la Porte, et qu’on s’y soit refusé, en se bornant à des réponses identiques rédigées par M. Delacour ? Cela serait assez significatif et cette fois-ci encore comme en 1840 l’Angleterre aurait de la peine à se faire suivre de ses alliés.

Onze heures
Merci de ce que vous m'avez fait écrire. J’espère que votre fatigue n’est pas sérieuse. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00095.jpg
19. Ems le 20 Juin Lundi 1853

Mon fils m’a quitté avant hier soir. Me voilà vraiment sans une âme. Je n’ai pas voulu le retenir. Il a été bien & charmant. Plus longtemps j'aurais trop vu l'ennui, je n’ai pas voulu abuser. Je n’attends personne. Quelle jolie perspective ! Je commence à m'alarmer vraiment. Les chances de la guerre sont grandes, car rien ne peut satisfaire mon empereur qu’une satisfaction directe, écla tante ; et le firman pour tous les cultes n'est pas cela.
Je me suis un peu orientée sur ce qui s’est passé chez nous. Au fond Nesselrode n'était pas d'opinion d'envoyer le Prince Menchikoff. C'est l'Empereur qui l’a voulu. Cet ambassadeur a été cassant, hautain. Redcliffe est venu brochant sur la mauvaise humeur des Turcs. Des querelles de visites ont aigri l’un contre l’autre les deux ambassadeurs. Menchikoff a été maladroit en toutes choses et lorsque enfin la place n’a plu été tenable, il a mis sur le compte des faiblesses de Nesselrode la décadence de notre influence auprès de la porte, ce qui avait préparé sa défaite. L’[Empereur] a reproché à Nesselrode tout le passé des dernières années. Et la scène a été vive dit-on. M. Le ministre a voulu racheter cela par une rédaction très insolent de sa note à Rechid Pacha. Nous allons en apprendre le résultat après-demain. Sans doute la porte nous répondra par un refus, nous entrerons dans les principautés. Je crois savoir que ce ne sera pas cas de guerre aux yeux de l'[Angleterre]. & de la France, à moins que cela n’ait changé depuis mon départ de Paris.
Voici une lettre de Greville qui vous intéressera. Nous sommes dans une position très embarrassée. Dans tous les cas notre bonne situation en Europe restera bien endommagée ; mais je le répète je crains plus que cela.
La mort du Nonce m’a vraiment beaucoup affligé. Marion en pleurs. C'était un brave homme. si tolérant, si doux, si facile & fin. Il pleut à verse aujourd’hui. Pas de promenade, pas une visite. J'ai commencé les bains. Nous verrons dans quelques jours comment ceci me convient. Adieu. Adieu.
Nous sommes bien loin. Vos lettres m'arrivent en quatre jours. Comment vont les miennes ? Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23017_00072.jpg
19 Paris. Jeudi 16 Mars 1854

Si de part et d'autre, on ne voulait réellement que ce qu’on dit, l'occasion serait belle pour arrêter encore, les milliers de bouches à feu près de tirer, voilà les Turcs en train de faire pour les Chrétiens, Catholiques, Protestants ou Grecs, bien plus que vous n'avez jamais demandé, pour eux. Pourquoi votre Empereur ne déclare-t-il pas que cela étant, la guerre n'a plus le motif, qu’il ne veut pas la faire et qu’il demande pourquoi, on l’a lui fait ? On serait peut-être un peu étonné, mais très embarrassé. J’ai peur qu’il ne le fasse pas. Et pourtant, s'il ne le fait pas, ce sera plus que jamais à lui que l'Europe s'en prendra de la guerre, car, pour tout ce qu’il a fait depuis un an, il n’a allégué d’autre motif que le motif religieux, la nécessité, pour lui, de protéger l'Eglise grecque. Et en ce moment, c’est au sentiment religieux de son peuple qu’il fait appel pour populariser la guerre. Voici ce qui arrivera probablement. La Russie fera la guerre, à l'Europe pour garantir aux Chrétiens grecs, de Turquie des privilèges très inférieurs à ceux que la Turquie leur accorde. L’Europe fera la guerre aux Chrétiens grecs pour les forcer à accepter ce que la Turquie leur accorde. En soi, cela est absurde, et bientôt, aux yeux des hommes religieux, cela sera odieux. Et si, comme cela encore est probable, l’Europe est elle-même bouleversée, de nouveau par cette guerre, devenue révolution, un jour ne tardera pas à venir, où il n’y aura ni assez de malédictions, ni assez de sifflets pour les auteurs d’une telle situation.
On n'aura, pour échapper aux malédictions. et aux sifflets, d’autre ressource que de dire qu’on voulait autre chose que ce qu’on disait. Triste apologie quand le jour du jugement est arrivé.
On disait hier, de bonne source, que tout était arrangé avec l’Autriche, qu’elle ne vous déclarerait et ne vous ferait point la guerre, mais qu’elle déclarerait son adhésion morale à la politique qui maintient l’intégrité et l'indépendance de l'Empire Ottoman, et qu'elle se chargerait de maintenir l’ordre, dans la Servie, la Bosnie et le Monténégro. On paraissait espérer que la Prusse en gardant sa neutralité, donnerait, à cette quasi-neutralité de l’Autriche, une approbation explicite. " Si on était sage, disait avant hier Morny, on se contenterait de cela, on le dirait tout haut, et on resterait en intimité avec l’Autriche, à ces termes. " Il a raison ; mais il disait Si. Et si on n’est pas sage, qu’arrivera-t-il ?
Voilà votre numéro 13. Vous avez un peu troublé Molé il y a quelques jours, en lui écrivant, par la poste, que vous aviez chargé M. de Mirepoix de lui remettre une lettre. Cela n’est pas de votre prudence ordinaire, et je ne dirai pas à Hatzfeld que vous m'avez écrit, par la poste aussi, de me servir de son courrier. Je lui ferai demander ce matin si son courrier peut se charger aussi des deux volumes, de Cromwell. Je pense que oui. Sinon, je vous les enverrai par une autre voie. Adieu.
Je vous ai dit, je crois, que je vais au Val Richer lundi, pour trois jours. J'en reviendrai Vendredi matin. Mon projet. est ensuite de partir le 21 mars et d'aller passer cinq jours avec vous, jusqu’au 5 avril au soir, d’un jeudi à un jeudi. On vient assez me voir le jeudi soir, et je ne veux pas y manquer souvent. J'espère que rien ne dérangera mon projet, et qu’il vous conviendra comme à moi. Adieu, adieu. G.
P.S. On m'assure que les nouvelles de Constantinople disent que la négociation en faveur les Chrétiens est loin d’être aussi avancée qu’on le disait. Au bal qu'a donné ces jours derniers le Roi Jérôme, on affirme que son fils Napoléon n’a pas paru, déclarant à son père que dans ces fonctionnaires Impériaux, il y avait tant d'ennemis de leur droit héréditaire qu’il ne voulait pas se mêler à eux. Le Roi de Naples se prêtera à tout ce qu’on voudra de lui ; mais il a demandé à être débarrassé de M. de Maupas qui intriguait trop ouvertement pour les Murat. De là le remplacement de Maupas par de la cour.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00100.jpg
20. Ems Mercredi 22 juin 1853

Voici copie de qui vous savez. Si vous entrez, ce sera la guerre, si vous restez à la porte on négociera.
Je crois plus au bon sens français qu’au bon sens anglais dans cette circons tance. Mais à vrai dire je ne crois plus à rien. Je rumine toute seule dans ce désert. Vrai désert moral. Toujours et absolument personne. Si je n’avais pas l'incluse à vous envoyer je ne vous écrirais pas aujourd’hui car je n’ai pas un mot à vous dire. Le temps est pluvieux & froid.
Je suis à mon quatrième jour des bains & de l’eau. Mon médecin m'inspire assez de confiance. Marion est gaie, j'ai fait une bonne distribution de ma journée, elle ne m’a pas encore parue trop longue. Mon esprit s’engourdit un peu. Cela repose.
Dites-moi ce que vous pensez de la lettre. Evidemment bien de l’esprit, pas trop content de ce qui s’est passé et pas très confiant dans l’avenir je le soignerais ici surtout il me sera précieux. Donnez moi de quoi le nourrir.
Adieu. Adieu.
2 h. Je suis de lire notre circulaire du 11 juin. J'en suis contente. On ne peut pas se battre pour cela. Au fait il n’y aura de mot qu’une église. De tout ceci il restera une forte attente portée à notre réputation d'habileté diplomatique un rapprochement entre la France & l'Angleterre. Et un nouveau bail pour la Turquie est-ce que je me trompe ?

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L008_0132.jpg
20 Val Richer Samedi 16 août 1845
8 heures et demie

J’écris depuis six heures du matin, et je viens de recevoir, un courrier énorme qui me donnera à écrire toute la journée. La Syrie, la Grèce, l’Espagne, Rome la Prusse. A tout prendre tout va assez bien partout ! C’est à dire que partout, nous marchons à notre but, et nous grandissons en marchant. Les chemins sont difficiles. Nous bronchons quelques fois. Nous nous arrêtons de temps en temps, tantôt par nécessité, tantôt volontairement. C'est le cours ordinaire des choses. Il n’y a que les enfants qui s'en plaignent. Mais, je vous le répète tout va assez bien partout. Ce qui n'empêchera pas que l'avenir ne soit chargé d’embarras, d'ennemis, de combats, de périls. Je ne m'en plaindrai pas davantage, si, en dernière analyse, j’obtiens les mêmes résultats. Vous vous rappelez le mauvais début de la dernière session. Et bien aucune n’a aussi bien fini, ni laissé dans le pays une si profonde impression de succès et de progrès.
Je suis très content de Piscatory. Lyons travaille avec passion à faire ce qu’il lui reproche d'avoir fait, à allier M. Mavrocordato et M. Metaxa pour renverser. M. Colettis. L'alliance Anglo-Russe à la place de l'alliance Franco-Russe maintenant debout. Lyons a échoué. Et dans l'alliance Franco-Russe, Colettis a gagné beaucoup de terrain. Piscatory a vraiment beaucoup de savoir faire. Et je ne vois pas qu’il se soit écarté de l'épaisseur d'un cheveu, de la ligne que je lui ai tracée à Constantinople, on s'occupe sérieusement des affaires de Syrie. Le Ministre des Affaires étrangères, Chékib Etfendi, y est envoyé en mission pacificatrice, avec de grands pouvoirs. Nous verrons s'il en sortira quelque chose. Le public est exigeant. Il ne se contente pas d'être bien gouverné lui-même. Il veut que tous les gouvernements soient bons, même le Turc.
En Espagne, le duc de Séville a réellement, gagné un peu de terrain. Même ce me semble dans l’esprit de la Reine Christine. Vous savez que nous n'avons ni extérieurement ni au fond du cœur, pas la moindre objection à cette combinaison. J’ai averti à Naples qu’elle était en progrès. Le langage de M. le Duc de Nemours à Pampelune sera très bon. Il a été un peu indisposé à Bordeaux. Pure fatigue du voyage, qui est fatigant en effet, mais utile.
Thiers aussi va voyager en Espagne. Pour voir les champs de bataille. Et aussi en Portugal. Il y emploiera, le mois de septembre. Il va en compagnie. peut-être MM. de Rémusat, Mérimée (votre bon député), &... Bülow de plus en plus mal. D'après le langage, de ses amis mêmes, on croit sa situation désespérée. Les émeutes religieuses se multiplient en Prusse. Halberstadt a eu la sienne pour Ronge comme Posen pour Cgerski. Je ne crois pas au succès des nouvelles religions. Mais elles feront du mal aux anciennes, et j’en suis fâché. Adieu.
C'est mardi seulement que je vous saurai arrivée à Boulogne, car je compte que vous n'aurez quitté Londres qu'aujourd'hui. Ce que vous me dîtes de vos yeux me charme. Adieu. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L008_0137.jpg
21 Val Richer, Dimanche 17 août 1845
8 heures et demie

Je voudrais vous savoir positivement entre Douvres et Boulogne dans ce moment-ci. Il fait un temps superbe, point de vent, un beau soleil. Nous n'avons pas eu une telle journée depuis que nous nous sommes séparés. Cela me plaît que vous rentriez en France par un beau temps. Je veux aussi qu’il fasse beau le 30 août. Et puis dans le mois de septembre, j’espère que nous aurons encore de beaux jours, à Beauséjour. Mais il faudra rentrer en ville, au commencement d’octobre. L’humidité ne vaut rien ni à vous ni à moi, ni à mes enfants. Et la campagne est toujours plus humide que la ville.
Henriette est très bien, mais maigrie et pâle. Elle a été très fatiguée. Elle a besoin de se remplumer.
Je vais bien loin de Beauséjour. J'ai des nouvelles de Perse qui m’intéressent assez. Sartiger s'y conduit très bien. Il y a fait rentrer les Lazaristes que M. de Médem en avait fait chasser. M. de Médem a été très mauvais pour nous. Il vient d’être rappelé et remplacé par un Prince Dolgorouki qui était à votre Ambassade à Constantinople. On dit qu’il sera plus modéré que Médem. On m'en parle bien. Un petit incident à Constantinople dont je suis bien aise. Le duc de Montpensier doit y être arrivé ces jours-ci. Bourqueney a communiqué d'avance à Chekib Effendi la liste des officiers qui l'accompagnaient, & devaient être présentés au Sultan. Dans le nombre, se trouvait un Abd el-At, Algérien, Arabe, Musulman, sous lieuteuant de Spahir à notre service. Vive émotion parmi les Turcs ; Comment présenter un tel homme au Sultan ? Insinuations, supplications à Bourqueney d’épargner ce calice. Il a très bien senti la gravité du cas et répondu très convenablement mais très vertement. On s'est confondu en protestations ; Abd el-Al sera reçu comme les autres officiers du Prince. Tout le régiment des Spahir serait reçu s’il accompagnait le Prince. Et de bonnes paroles sur notre possession d’Alger qu’on sait bien irrévocable, ceci fera faire un pas à la reconnaissance par la Porte. Adieu. Adieu.

J’ai des hôtes ce matin. Puis, dans la semaine où nous entrons & les premiers jours de la suivante, trois grands déjeuners de 25 personnes chacun. Mes politesses électorales à la campagne, le déjeuner est plus commode que le dîner.
Je regrette Bulwer pour votre route. Comme agrément, car comme utilité, si vous aviez besoin de quelque chose, je doute qu’il fût bon à grand chose. Quand vous reviendrez de Boulogne vous savez que Génie a, si vous voulez, quelqu'un à votre disposition. Adieu. Adieu.
Je me porte très bien. J’ai le sentiment que marcher beaucoup me fait beaucoup de bien. Seulement il n’y a pas moyen de réunir les deux choses, le mouvement physique et l'activité intellectuelle. Il faut choisir. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00112.jpg
22 Ems le 25 juin 1853

Selon une nouvelle lettre de Vienne, nous n’entrerons pas dans les principautés avant le 2 ou le 3 juillet ; alors encore on pourra négocier, mais les chances de s’arranger deviennent plus faibles tous les jours. Et hélas vous perdrez votre pari. Et moi, je ne rentrerai pas en France. C’est affreux d'y penser. Je doute de l’efficacité de l’Autriche à Constantinople et c’est la dernière chance.
Tout ceci dérange grandement l'effet des haines. Je ne pense qu’à la guerre et à ce que sera mon sort. Je ne le conçois pas. comme je ne vois personne ; jugez quelle belle occasion de me faire tous les dragons du monde.
Et puis, il pleut sans cesse. Je ne puis pas sortir. Je suis très à plaindre. Les journaux, voilà pour m’assombrir l’esprit encore. Ah la maudite question d'Orient. Marion prétend que je me suis [?] à [?], c’est possible. Depuis hier je ne me sens pas bien. C’est peut-être l’agitation d’esprit qui dérange l’effet des eaux. J'attends ce soir ma nièce. Ce ne sera pas grand chose quoi que quelque chose. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00117.jpg
23. Ems le 28 juin 1853

Vos réponses sont longues à m’arriver. Je ne sais pas encore ce que vous dites de notre long facteur. Il est bien controversé. Il y a bien à dire. Il est évident que tout le monde cherche à éviter la guerre, moins Lord Redcliffe et peut-être ses patrons. Nous verrons. Toute cette incertitude me fait du mal. J’ai été obligée de suspendre mes bains. La pluie n’a pas discontinué depuis mon arrivée c’est une horreur au milieu de cette solitude. Ma nièce est très bon enfant, mais elle va bien s'ennuyer aussi. Je n'ai pas un mot à vous dire. Personne ne m'écrit de Paris. Mollé seul ! Je vous laisse à juger ce que sont ses lettres ! Il parait que Morny s'est donné du mouvement, vous m'en direz quelque chose.
Un mot de Constantin m’apprend que nous entrerons le 2 juillet dans les principautés. Les Bulgares Turcs nous demandent des armes contre les Turcs, les Grecs sont dans une grande effervescence, les Turcs sont agressifs. Ils envoient des émissaires pour soulever les Circassiens. Tout cela est très mauvais. Comment cela finira-t-il ?
Adieu. Adieu.
Nous faisons une pauvre correspondance ! Menchikoff reste à bord de son vaisseau à Odessa.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23017_00125.jpg
25. Bruxelles dimanche le 9 mars 1854

Le protocole signé à quatre a une grande valeur en ceci, qu'il témoigne l’accord avec les Allemands après là déclaration de guerre. Voilà l'importance de cet acte, car du reste je crois qu'il ne fait que confirmer les précédentes. Nous avons en effet proposé tout ce que vous savez et que disaient les journaux. " Si l'émancipation des Chrétiens est garantie par traité " & & Mais cela ne peut être qu’un acte de Sultan, ainsi pas de traité. Les affaires intérieures ne peuvent pas être réglées par des étrangers, il y aura des firmans, pas de traité. De cette façon notre proposition n’est pas acceptée. Repoussée à Londres, elle le sera à Paris. Reste l’idée d’un congrès tenu à Berlin. On en prend acte pour l’avenir, & c'est un progrès, car nous n’avions jamais voulu entendre parler de cela. Ce serait pour la question religieuse seulement. Voilà où en sont mes nouvelles.
Brunnow, Labensby, Kisseleff le matin. Celui-ci exactement embarrassé, et moi très froide, il n’est pas resté longtemps. Brunnow m’a vu dîner. Le soir Van [Praet], & [Brockhausen] ma promenade au bois, et toujours le beau temps. Il commence ainsi à m'ennuyer. Adieu. Adieu. Avez-vous entendu parler du Pce de Ligne. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00125.jpg
25 Ems samedi le 2 juillet 1853

Aujourd’hui 2 nous entrons dans les principautés. On nous interpellera sur nos intentions. Les négociations commenceront à Constantinople. Quand la Turquie voudra signer l'engagement que nous demandons nous sortirons des principautés, pas avant. C’est l'Autriche qui sera intermédiaire. Elle a intérêt à la conservation de l’[Empire] ottoman & point de la confiance des deux parties. Voilà ce que me mande mon correspondant de Vienne en date d’avant hier. Il ajoute quand la guerre éclatera j’irai à Gastine, je me soignerai et j'aurai désormais peu de foi dans la diplomatie. Si je n’étais retenu par les liens de la reconnaissance j'enverrai toute la boutique au Diable.
Vous voyez qu’il n'y a là rien pour me rassurer. Aussi suis-je bien noire.
2 h. Dans ce moment une lettre de Berlin d'un jour plus fraîche et donnant des nouvelles de Pétersbourg du 25. Beaucoup plus rassurantes, mais refusant de m’expliquer pourquoi, mais me priant de croire. Je ne demande pas mieux, mais j’ai peine à comprendre. Comme tout cela me tracasse, et la pluie par dessus le marché et une température très froide, et pas une âme. Les de Laigle sont ici c’est à peu près comme rien du tout.
Ma Nièce est gentille & bon enfant. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00129.jpg
26. Ems Lundi le 4 juillet 1853

Bien mauvaise lettre de Greville. La guerre inévitable. L’Empereur dit qu’on peut lui brûler sa flotte de la mer noire, cela lui est égal. Il veut avoir raison des Turcs. Greville parle de nous détruire aussi dans la Baltique. Enfin cela n’est plus arrangeable selon lui, & selon tout le monde. Ah mon Dieu. Et vos pressentiments ? Tiennent-ils encore ? Que vais-je devenir ? Tout ceci, & le mauvais temps et l'isolement complet, me fait du mal. Je ne suis pas mieux qu’à Paris et aujourd’hui après cette mauvaise lettre, pire.
En Russie on parle de guerre sainte. En Turquie c’est la guerre sainte aussi, & chez les Grecs ditto. Comment espérer qu'on recule quand on est allé si loin ? La mission de Giulay ne produira rien.
La guerre de la révolution apparaîtra bientôt. Nous en verrons de belles ! Vous pouvez concevoir ma tristesse, & cela au milieu d'un total isolement.
Adieu. Adieu.
Brunnow avait annoncé le 1er Juillet à Clarendon que l’ordre d'entrer dans les principautés était parti. L'Angleterre et la France nous déclareront la guerre si les négociations ne nous forcent pas à nous retirer. Et nous ne nous retirons pas. Je vous ai dit qu'on a ordonné chez nous une nouvelle levée de 10 h sur 1000. C’est énorme.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L008_0181.jpg
27. Val-Richer, Samedi 23 août 1845

Il me survient ce matin une nécessité absolue d'écrire une longue lettre au maréchal Bugeaud. Des difficultés, des tracasseries, des étourderies, sans intérêt pour vous, mais dont il faut que je m'occupe et qui me prennent le temps que je vous destinais. A Beauséjour, le mal n'est pas grand. Si quelque incident nous ôte un quart d’heure, nous le retrouvons bientôt. De loin, on ne répare rien. Je suis bien impatient du 30. Je voudrais qu’il fit aussi beau qu’aujourd’hui. Mais les soirées commencent à devenir longues, fraîches et longues. On ne peut plus guère sortir le soir. Comment vous arrangez-vous des lumières ? En tous cas, nous resterons, dans l’obscurité.
Je serai bien aise de causer avec Bulwer. J’en serais encore plus aise, si j’avais confiance. Mais enfin il a de l’esprit et point de mauvais vouloir. J'ai commencé à parcourir la Correspondance de Sir Stratford Canning sur les affaires de Syrie. Je la trouve bonne, sensée, nette, ferme. Je traiterais volontiers avec cet homme-là malgré son difficile caractère. Deux in folio de Parliamentary Papers sur la Syrie. Et j'ai beau chercher : je ne vois aucun moyen efficace d’arranger vraiment ces affaires-là. Il y faudrait la très bonne foi et le très actif concours de la Porte. Et la Porte est apathique, & nous trompe. Mes nouvelles d'Allemagne sont de plus en plus graves. Les populations très animées ; les gouvernements très inquiets et abattus. Le Roi de Prusse, toujours gai et confiant. M. de Metternich espérait un peu après Stolzenfel. Une visite de lui au Johannisberg. Le Roi retourne sans s'arrêter à Berlin. Le pauvre Roi de saxe est désolé. Il a dit, les larmes aux yeux, à la députation de Leipzig que c’était le jour le plus triste de sa vie. " Et comment les choses là m’arrivent-elles à moi qui n’ai jamais souhaité que le plus grand bonheur de mes sujets ? "
C'est singulier que dans les temps difficiles, il y ait toujours à côté des Rois, un frère compromettant. Adieu. Adieu.
Je vois qu’il n’y aura point de Mouchy. Si vous parlez demain Dimanche, vous serez donc à Beauséjour, après-demain lundi. Vous ai-je dit que Génie qui y est allé, l’a trouvé charmant plus fleuri que jamais ? Moi, j’ai du monde à déjeuner lundi. Salvandy mardi. Du monde à déjeuner Mercredi. Une visite à Lisieux Jeudi. Mes paquets vendredi. Samedi, à 5 heures du matin je serai en voiture. Je crois que vous me trouverez tres bonne mine. Adieu. Adieu. G.
Je pense en ce moment que cette lettre-ci n’ira plus vous chercher à Boulogne et vous sera portée Lundi à Beauséjour. Heureuse lettre !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00141.jpg
28. Ems le 8 juillet 1833

L'impératrice m'écrit en date du 2. " J’espère en Dieu qu'il bénira les intentions droites & simples de mon empereur, & que la guerre. sera évitée. " Bonnes paroles, les dernières.
Le manifeste va exalter le sentiment religieux, mais il laisse encore ouverture à la négociation. Nous allons savoir tout à l’heure si Constantinople regarde l’entrée dans les principautés comme cas de guerre.
Je suis inquiète de tous ces complots à Paris. Que Dieu nous préserve d'un malheur là. Le comte [?] est arrivé. De l’esprit, beaucoup de connaissances, pas trop versé dans la diplomatie. Fort disposé à causer. Cherchant à apprendre. Défendant notre cause très bien, mais ne me persuadant pas. Toujours en doute de l'Angleterre c.a.d. ne croyant pas qu’elle puisse en venir aux extrémités.
Quant à nous pas l'ombre d'un doute que nous aurons Constantinople, & que personne ne peut nous en empêcher. Des préparatifs sur la plus grande échelle et les Turcs impuissants & appauvris. Le temps est à la chaleur, mais excessive. Je suis fondue. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00143.jpg
29 Ems samedi le 9 juillet 1853

Une lettre extra pour vous dire que selon mes dernières nouvelles nous allons publier une dépêche explicative de Manifeste, où il sera dit : qu’aussitôt que la porte nous aura offert des garanties acceptables et que les escadres des puissances maritimes auront quitté les eaux de la Turquie, nos troupes de leur côté évacueront la Moldavie et la Valachie. Qu'en dites-vous ?
A propos M. de [Damis] est enfoncé dans les lectures que je lui fournis quoique nous nous voyons deux fois le jour il m'écrit à tout instant. Voici sur votre lettre. Il m’en a reparlé le soir, avec des admirations sans fin sur le style de votre lettre. Vous me querellez sur la distinction que j’ai l’air de faire de votre Génie pour les grandes & petites choses. Certainement vous valez mieux pour les premières, mais je vous prie de ne pas m’abandonner dans les autres.
Je suis d'une grande curiosité du débat de hier au Parlement. On commence à dire que Palmerston reprendra les affaires parce que si dans ce poste il ne nous fait pas la guerre, les Anglais verront qu’il n’y a pas de quoi la faire. Enfin ce serait drôle, mais tout est drôle, pourvu que cela ne reste que drôle. La chaleur est étouffante. Adieu. Adieu.
J'attends ce que vous me direz du Manifeste. [Damis] prétend que de même que l'[Empereur]. excite l’enthousiasme religieux, il saura le calmer. Il est le maître très puissant chez lui.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L008_0198.jpg
29 Val Richer Mardi 26 août 1845

Je me brouille dans mes Numéros. Mais ce n'est plus la peine de compter sur mes doigts. Je n’ai plus que trois fois à vous écrire. Charmant plaisir samedi. Jarnac m'écrit : " Ma petite course à Southampton m’a fait perdre les deux derniers jours de Madame de Lieven à Londres ce que j’ai fort regretté. Je crois qu’elle s’est plu ici, et qu’elle est contente de ses consultations. Ce qui m'en revient indirectement est fort satisfaisant. " J'ai toujours préféré que vous passassiez le temps de mon absence, en Angleterre. Quand vous n'êtes pas avec moi, je vous aime mieux là qu'ailleurs. Je ne vous trouve bien que là.
J’ai eu hier mes 20 amis à déjeuner, bien contents de moi, je crois, et de Guillet. Après déjeuner, c’est-à-dire vers 4 heures comme j’allais me promener, le général de la Rue m'est arrivée du château d’Eu où il venait d'arriver d'Afrique après avoir échangé les tarifications du dernier traité avec le Maroc. C’est un homme d'assez d’esprit avec le plus beau coup de sabre imaginable sur la joue gauche. Il m’a intéressé sur l’Afrique, le maréchal Bugeaud, l’Empereur de Maroc, Sir Robert Wilson, Sidi Bousalam &. Sir Robert malgré la verte réprimande de Lord Stanley, continue toujours à se mêler beaucoup du Maroc et à y faire ce qu’il peut contre notre influence. Il agit par le consul Marocain à Gibraltar et par le Pacha de Sétuan, jeune grand seigneur marocain avec qui il est lié et qu’il va voir souvent. Notre campagne de l’année dernière contre le Maroc a fait là un effet immense et qui subsiste, à ce qu’il parait.
Le pauvre Consul Général d'Angleterre, M. Drummond Hay excellent et très loyal homme, est mort de chagrin de n'avoir pas réussi à prévenir l’évènement et d’avoir vu la prépondérance, à peu près exclusive de son pays périr là, entre ses mains. Le nom du Prince de Joinville reste là fort grand. Il a laissé chez les Marocains une vive impression de courage, de savoir-faire, de sagesse, et de politesse. Le Général de la Rue m'a quitté à 9 heures. Le Maréchal Bugeaud vient passer trois mois en France, chez lui, et va faire, en arrivant une visite de quelques jours au Maréchal Soult à Soultberg-(Le Maréchal ne dit et n'écrit jamais autrement. Par tendresse pour la Maréchale Allemande.) La conversation entre les deux Maréchaux sera fort tendue, fort diplomatique, & par moments fort orageuse. Je vais faire ma toilette. J’attends tout-à-l ’heure Salvandy et Broglie.

9 heures
Voici un courrier qui m’apporte de grosses nouvelles, la destitution de Riga Pacha à Constantinople la retraite de Métaxa à Athènes. Je m’attendais à celle-ci et elle me déplaît quoique tout ce qui me revient de Grèce me porte à croire que Colettis n’en sera pas ébranlé. Mais rien absolument n’annonçait la première, et elle a été imprévue pour tout le corps diplomatique européen. Bourqueney ne se l’explique pas bien encore. Cependant, au premier aspect, il la considère comme une victoire du parti réformateur en Turquie.
Je vais lire tout cela, attentivement. Raisonnablement, le moment vient de retourner à Paris. C’est bien heureux que la raison me fasse tant de plaisir. Je reçois une lettre du Duc de Noailles. Il a eu son fils malade, mais le rétablissement est complet. Il me demande beaucoup de vos nouvelles. et finit en me disant : " Madame de Lieven aurait bien mérité, par son aimable intérêt, d'être invitée à la cérémonie qui aura lieu ici. Dimanche prochain, la pose de la première pierre du viaduc à Maintenon du chemin de fer de Chartres. " Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00149.jpg
30 Ems dimanche le 10 juillet 1853

J'ai eu vraiment un grand plaisir à apprendre le succès de votre fils. Je vous prie de lui en faire mon compliment très sincères. Je comprends la joie que cela vous aura donnée.
Voici la dernière proposition comme à Paris je crois, comme par nous et appuyé par l'Autriche à Constantinople. La Turquie nous enverrait un ambassadeur muni de la certaine note signée. Il nous la remettrait & recevrait en échange l’assurance écrite que nous ne ferons usage de notre protectorat du culte orthodoxe que dans un but religieux, & jamais politique On me demande le secret sur ce projet. Je vous prie donc de le garder. Il doit réussir à moins que Stratford rascal ne s’y oppose.
Je suis charmée de la remise du débat au Parlement. Tout cela à l’air pacifique. à juger par tout ce qui me revient votre gouvernement a une conduite très sage. Aberdeen. est plus gêné que lui, mais au total j’espère aussi que là on ira bien.
La chaleur a été étouffante ici. Aujourd’hui c’est mieux. Ma nièce est partie hier, elle me précède à Schlangenbad, J'y vais samedi le 16. C’est donc là toujours duché de Nassau que vous m’adresserez vos lettres. Je commence à avoir un peu de société ici. D'abord les deux princes de Prusse, le futur roi, & le Prince George, les [Panin], Platen, les de l'Aigle elle est insupportable, une princesse Carolath assez animée. On vient chez moi le soir, à 9 1/2 je chasse tout le monde. Avant 10 heures je suis dans mon lit. A 7 1/2 debout et à la promenade. Je dîne à 3 1/2. Vous avez ma journée avec le bain & les courses en voiture de plus. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00152.jpg
31 Ems le 13 juillet 1853
Voici une lettre qui devrait me rassurer, et je ne parviens pas à l’être. Je trouve notre dernière circulaire de 20 juin bien faite, mais elle engage la polémique avec l'Ang & la France. Voilà une complication. Et cependant le fond est pacifique. Je suis tourmentée, l'esprit s'épuise à examiner cette maudite question sous toutes ses faces.
Je n’ai pas été bien hier. Aujourd’hui encore un fort mouvement de bile. C’est la Turquie. Le comte [Pani] me plait tous les jours d'avantage. Un bien honnête homme, très instruit, très intéressant à écouter sur la Russie, et en pleine confiance avec moi. C’est un ami de Viel Castel ils se sont rencontrés en Espagne. Nous nous parlons de bien loin c’est vrai, c’est bien ennuyeux ; et quand il y aurait tant à se dire ! C’est pourquoi mes lettres sont bêtes. Je le sens. Je ne puis penser qu'à une seule chose, & je ne puis pas dire tout ce que j’en pense. Pour changer, que veut dire le voyage de la Reine Christine ? Je trouve que nous sommes devenus bien ignorants vous et moi. Adieu. Adieu.
La lettre dont parle M. et celle où vous me disiez votre opinion sur l'Angleterre.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00180.jpg
36. Schlangenbad samedi 23 juillet 1853

Je n’ai rien au monde à vous dire, mais je suis curieuse de savoir ce que vous avez dit de la circulaire de Drouyn de Lhuys. Moi je l’ai trouvé très bien faite simple, claire, et sans réplique. Très supérieur à Nesselrode. Est-ce de la rédaction de Thomanel ou du chef ?
Le roi de [Wurtemberg] a passé ici deux jours en courses pour faire visite à ses filles. Je ne l’ai pas vu. Mon fils Alexandre a été malade à Naples. Cela retarde son arrivée. Il ne sera à Paris que la semaine prochaine, & ici sans doute quand je voudrai. Ce sera alors que je déciderai où aller. Je n’ai pas grande envie de me remuer pour autre chose que pour rentrer dans mon home. Je ne crois pas qu’à tout prendre mon voyage n’aura fait beaucoup de bien ; il me donne avant tout le goût du repos. Adieu, voici une pauvre lettre. Du Val Richer il y a au moins les commentaires, mais que voulez vous qui vienne de Schlangenbad. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23017_00177.jpg
37 Bruxelles le 22 avril 1854
Dimanche 23

Voilà où j’en étais restée hier ; je n’avais absolument pas un mot à vous dire. Aujourd’hui rien non plus que des commérages. On dit que le gouvernement Canrobert n'a rien trouvé de préparé à Galipoli et qu'il est allé s’en plaindre à Constantinople. En Turquie hommes & choses sont épuisés. Tout serait fini si vous n’arriviez.
Le silence d’Andral me parait ominous. Je suis toujours sûre de ce qu'il y a de pire. Ceci serait affreux pour moi. Ni Hélène, ni mon fils, et personne ! Me concevez vous dans cette situation ? Je pense souvent à la cigale & la fourmis. Exacte ressemblance. Comment danser maintenant ? Hier il y a eu ici un orage épouvantable. Trois orages réunis aujourd’hui il fait froid. à quand donc la bataille ? Je sèche d'impatience. Je n’ai pas vu Barrot depuis longtemps. Lord Howardest à la campagne, invisible à tous. Brunnow court les Théâtres. Assis au balcon entre un marchand de toiles & un marchand de bière, causant avec eux de leur industrie, s’instruisant et se rendant très populaire. Si j'essayais cela m'amuserait peut-être. Je suis décidée. Votre lettre m’a décidée. Je ne veux pas que vous me méprisiez un peu plus. Voici des petits papiers. La cire m’a mangé un mot de votre lettre ce matin. Adieu. Adieu.
Savez-vous si Madame. Hatzfeldt est accouchée et de quoi ?

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00184.jpg
37. Schlangenbad le 26 juillet Mardi 1853

Votre lettre n’est pas arrivée hier. Cela m'ennuie. Je n’ai rien ici de nulle part, je n’ai que les journaux. Il me paraît que la négociation sera longue nous resterons quelques temps dans les principautés, les Turcs auront leurs embarras intérieurs. On voudra les secourir, nous comme les autres peut être, et cela peut devenir une drôle d’affaire et grosse au bout. Au fond le gouvernement Anglais est dans l'embarras.
Je ne parle politique qu’avec vous et le Roi de Wurtemberg, mais il n’est pas tout-à-fait sincère avec moi. Il a bien de l’esprit. Il vous plairait beaucoup Il me parle beaucoup de vous. Je ne sais si votre petit ami est dans les environs. Vous devriez lui faire savoir que je suis ici au cas qu'il se trouve sur le Rhin. Constantin m’a quittée hier. Je ne suis pas tout à fait abandonnée, il y a quelques causeurs le soir, et deux ou trois femmes, pas grand chose. Ma journée est assez remplie par la promenade, le bain, le repos qu'il faut prendre après. Je végète. Je ne remarque pas du tout. que cela me fasse du bien, je suis comme j’étais. Voilà une misérable lettre Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00198.jpg
40. Schlangenbad le 1 août Lundi 1853

J'ai enfin reçu une longue lettre de Meyendorff. Je la ferai copier par Marion pour vous l'envoyer. Le dernier mot du 29 est que les Turcs trainent en dépit des conseils de tout le monde et que cela peut durer encore par leur fait, car aujourd’hui tout le monde y va de bon cœur. Le sultan se grise.
Il y a ici la Princesse Charles de Prusse et sa fille. La mère & la fille belles, mais bêtes à un degré étonnant c' est à qui en évitera. Vous comprenez que j’en suis là aussi, et à faire des impertinences. Le roi de Wurtemberg est toujours aimable et assidu. Changarnier part demain je crois, car Mad. [Rotschild] part. Je répète qu'il est très convenable et que moi au moins, je n’ai pas entendu une parole aigre ou amère. Il se croit à Malines pour longtemps. Je vous avoue qu'il ne m’amuse pas. Il parle trop de lui, et il n’est pas naturel. Marion qui le voit beaucoup dit qu'il est beaucoup plus agréable hors de ma présence. Mais elle aussi n’a pas relevé un mot qui ne peut être dit à Paris sur la place publique. C’est un parti pris, ou bien vraie conviction.
Le temps est atroce, parfaitement froid, j’ai repris toute ma toilette d’hiver je me baigne malgré cela. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00207.jpg
42 Schlangenbad le 4 août 1853

Décidement mon voyage ne me profite pas. Je rapporterai à Paris tous mes maux avec & quelques nouveautés p. e. des crampes affreuses dans les jambes. Vous voyez bien que les médecins sont des imbéciles. Le temps est assez beau. Je prends de l’air tout ce que j’en puis prendre. Je ne m'ennuie pas, et quelques fois même je m’amuse. Marion a fait hier chez les vieux Rothschild un dîner impayable. La Princesse Louise de Prusse, Klingworth celui-ci bavardant & mentant, elle idiote. Des Allemands les Croy. Elle est revenue de là impayable de moquerie. Tous les Rotschild sont partis. Les vieux ce matin, Mad. James avant hier rappelée par son mari. Le Général est parti aussi. Tout cela sera rempli par des Biberes, ancien hospoder. C’est une lanterne magique. Nous rions souvent le roi et moi, il a vraiment bien de l’esprit. Le Prince Emile vient aussi me voir de Wisbade, tout autre genre, de la très bonne espèce. L'Empereur Napoléon vient de lui envoyer son grand cordon de la légion d’honneur en souvenir des grandes campagnes. Je ne sais rien de plus sur l'Orient. Cela finira pas la guerre après avoir fait éclater des révolutions à Constantinople le sultan est très menacé.
Je crois que mon fils Alexandre va venir bientôt ici. Je déciderai avec lui de mes mouvements ultérieurs. Je penche un peu pour Paris. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00209.jpg
42 Val Richer, Jeudi 4 Août 1853

J’ai devant moi le plus épais brouillard que j'ai vu depuis longtemps dans un pays où j'en vois beaucoup ; mais c’est un brouillard blanc du matin que le soleil élève et dissipe en une heure, et qui présage une belle journée. Nous en retrouvons quelques unes, mais sans suite et sans sécurité mêlées de mal et précaires, comme tous les biens de la vie.
Je ne suis pas inquiet comme vous ; je suis pourtant moins tranquille que je ne l’ai été jusqu'ici. La question primitive et turque me paraît arrangée ; vous demandez moins que vous ne vouliez d'abord ; la Porte dira ce que vous voulez ; vous lui répondrez comme elle vous le demande ; il n’y a là plus d’embarras. Mais il y en a maintenant entre l'Europe et vous ; un gros et un petit. Le gros tient à la position isolée que vous travaillez à reprendre envers la Porte ; le petit a été créé par les circulaires de M. de Nesselrode. Une question de vieille politique et une question d’amour propre récent. J'espère bien, ou plutôt je compte que ni l’une, ni l’autre n’amènera la guerre ; mais je ne vois pas encore comment on les arrangera l’une et l'autre, à la quasi satisfaction des partis intéressés, condition nécessaire de tout arrangement. Il faudra bien qu’on en vienne à bout. Quand ce sera fait, je me donnerai le plaisir de vous dire ce que, depuis longtemps, j’ai à vous dire, et je ne vous dis pas.
Je vois que vous aussi vous faites parader vos flottes dans la Baltique comme dans la mer noire. Est-ce bien utile et de bien bon goût ? Cela me fait un peu le même effet que le camp de Chobham en Angleterre, un joujou rare et fragile dont on s'amuse. En général, il ne faut pas se mettre beaucoup en avant par le côté où l’on n'est pas le premier. Il paraît que notre ami Aberdeen a couru un véritable danger. Les cabs font bien du bruit à Londres. Je ne leur aurais jamais pardonné s'ils lui avaient fait vraiment mal, car je l’aime toujours beaucoup malgré son silence que je comprends. Plus on aurait envie de causer à coeur ouvert, moins on parle quand on ne le peut pas.
Avez-vous fait quelque attention, dans le Galignani, aux articles tirés d’un nouveau journal Anglais, the Press, qui me paraît se consacrer à la cause de l'Aristocratie territoriale, intelligente et libérale, de l'Angleterre ? Je viens d'en lire un, sur l’Angleterre, la Russie et les Etats-Unis, qui est très spirituel et très politique. Je voudrais bien que cette cause-là, qui est la bonne, fût bien défendue ; elle l'est bien faiblement depuis longtemps.
Je vous quitte pour faire ma toilette. Je pars ce matin à 10 heures, pour une course de campagne qui me prendra la journée. Je fais plus de ces courses-là que je ne voudrais. Mon gendre Conrad cherche à acheter une petite terre dans ce pays-ci, et il me demande d'aller voir tout ce qu’on lui propose. J’espère que ce sera bientôt fini. Pauline est encore un peu souffrante, plus de fièvre, mais une névralgie douloureuse, et qui l'abat.

10 heures
Adieu, adieu. Je pars sans que mon facteur soit arrivé, ce qui est toujours un grand ennui. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00216.jpg
43 Val Richer, Samedi 6 Août 1853

Merci de la lettre de M. de [Meyendorff] qui m’a beaucoup intéressée. Je suis charmé que les miennes l’intéressent un peu. J’aimerais bien mieux causer avec lui. Je lui dirais que je n'ai jamais pensé à un protectorat collectif des Chrétiens en Turquie. J'en sais, comme lui, l'impossibilité pratique. Ce qui me paraissait praticable, c'était que votre Empereur, puisque on regardait un engagement de la Porte envers lui comme attentatoire à l’indépendance Ottomane, proposât lui-même que la Porte prit le même engagement, non plus envers lui seul, mais envers toutes les Puissances Chrétiennes, laissant chacune de ces Puissances protéger ensuite, pour son compte, ses propres dieux Chrétiens, l’une les Grecs, l'autre les Catholiques, l'autre les Protestants &
Mon idée n'était qu’un expédient pour sortir de la difficulté du moment par une porte qui ne fût plus seulement Grecque et Russe, mais Chrétienne et Européenne, qui fût par conséquent plus grande pour votre Empereur et unobjectionable pour les autres. Ce sont les situations prises qui décident. des affaires je voyais là une bonne situation à prendre, bonne pour la dignité et pour la solution. Voilà tout. Cela ne signifie plus rien aujourd’hui. Le sultan a beau se griser et traîner. L'affaire finira bientôt puisque tout le monde veut, qu'elle finisse. Les embarras ne sont des périls que lorsqu’il y a des puissants qui veulent en faire des périls.
Vous ne lisez probablement pas les récits de la révolution de Chine. S'ils sont vrais il y aura bientôt là, pour l'Europe, de nouveaux Chrétiens à protéger. Seront-ils Grecs, Catholiques ou Protestants ? Je crois que vous avez une mission religieuse à Pettiny. Du reste, ces Chrétiens chinois, orthodoxes ou non, me paraissent en train de se bien protéger eux-mêmes. Convaincu, comme je le suis, que le monde entier est destiné à devenir Chrétien, je serais bien aise de lui voir faire, de mon vivant, ce grand pas.
Avez-vous des nouvelles de la grande Duchesse Marie ? Le voyage de la grande Duchesse Olga en Angleterre est-il déterminé par la santé de sa sœur ? Dieu veuille épargner à votre Empereur cette affreuse épreuve ! Il m’arrive le contraire de ce qui arrive, dit-on, ordinairement ; je deviens en vieillissant, plus sympathique pour les douleurs des autres ; mes propres souvenirs me font trembler pour eux comme pour moi-même.
Je voudrais vous envoyer un peu du beau temps que nous avons depuis quelques jours ; très beau, mais pas chaud. C'est le vent du Nord avec le soleil. Nous n'aurons décidément point d'été. Vous ne me dites rien de l'effet de vos bains ; mais à en juger par l’air de votre silence, Schlangenbad vaut mieux qu'Ems.
Changarnier parle en effet trop de lui. Mais quand vous n'avez rien à faire des gens, vous ne savez pas assez les prendre par le bon côté, et mettre à profit ce qu’ils ont tout en voyant ce qui leur manque. Vous vous ennuyez trop de l'imperfection dès qu’elle ne vous est bonne à rien.
Adieu, adieu. Je ne fermerai ma lettre que quand mon facteur sera venu ; mais il ne m’apportera probablement rien à y ajouter. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00218.jpg
44 Schlangenbad le 7 août 1853

J'ai oublié de vous dire que j’ai donné à lire au roi de Wurtemberg trois de vos lettres qui traitent de la question d’Orient c.a.d. de nos circulaires. Il en a été ravi, il me les a renvoyées avec un billet que je vous montrerai. A propos ses plus intimes ici nient qu'ils aient jamais vu la face de Klingworth (belle face) Il vient ici sans cesse chez le roi.
2 heures. Le roi vient de recevoir une dépêche télégraphique en annonçant qu’à Pétersbourg le projet d'ultimatum à la Turquie a été agréé ; je ne pouvais en douter puisque cela s’est fait sous les yeux de Meyendorff. Reste à voir ce que dira Constantinople. Ce n’est plus aussi grave. Si les Turcs acceptent, l’affaire est terminée. S'ils refusent, ils n’auront plus l’appui des protecteurs qu'ils s’en tirent tout seuls. L’une on l’autre alternative est donc bonne pour nous.
Je suppose que cet ultimatum ne touche que l’affaire principale, la proposition Menchikoff. Les principautés seront une affaire séparée et secondaire ; mais je suis portée à croire que nous les évacuerons du moment que la Turquie se soumet à la note de Vienne.
Si la nouvelle que vient de me donner le roi est vraie et elle doit l’être, je vais me reposer de toutes mes agitations. J’attends aujourd’hui. mon fils Alexandre. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00222.jpg
44 Schlangenbad le 9 août 1853

Ma cour a consenti à l’Ultima tum que l’Autriche adresse à la Porte. Voilà une bonne affaire, très bonne pour Aberdeen. Il faut maintenant que la Porte accepte. Si elle le fait nous recevons son ambassadeur. Meyendorff qui me mande cela espère que la France & l'[Angleterre] soutiendront leur oeuvre et retireront tout appui à la Turquie si elle refuse cette dernière planche de salut. Comme démonstration de cette menace il faudrait rappeler les flottes et nous évacuerons les principautés ; il est en bonne espérance et content de lui même car ceci est son œuvre.
Pardonnez moi, mais votre critique des manoeuvres de notre flotte de la Baltique aussi bien que du camps de Chobane est singulière. Mais de tous temps on exerce des troupes. Et depuis que nous avons un vaisseau il fait des promenades. dans la saison d’été pour exercer les matelots à la manœuvre. Est-ce que vous n'envoyez pas les vôtres à droite et à gauche en été pour la même raison ? Nous restons dans notre coin la Baltique ; dans d’autres années ils viennent dans la mer du nord, voilà la différence pour cette année. Et les régimes Anglais ? Mais c’est un camps d’exercices comme Satory, comme St Omer, comme Krasno Selo où mon empereur. fait manoeuvrer tous les ans 100 m hommes. Le chiffre n’y fait rien.
Voilà qui est trop long pour la question militaire. Mon fils n’est pas arrivé encore, ce qui me surprend. Il y a depuis quelques jours un vent glacial, abominable. Mon rhume est plus fort que jamais. La duchesse de Nassau est venue me voir ; bien gentille et bonne. Mes impolitesses sont acceptées, je ne rends visite à personne. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00227.jpg
45 Schlangenbad le 11 août 1853

Mon fils Alexandre est arrivé hier, il est vieux de Paris. Je suis plus franchement informée par Meyendorff, mais il me rapporte l'impression des Russes de France, qu’après tout nous avons fort avancé nos affaires, quoique au prix de notre bonne réputation. Celle-là restera fort endommagée. Hier la porte a totalement manqué à Schlangenbad. C’est odieux, ni lettres, ni journaux. Constantinople n’est plus pour moi que question de curiosité.
Les Princes du voisinage se croient obligés quand ils viennent faire la cour au roi de Wurtemberg et à la Princesse Charles de Prusse de se présenter chez moi aussi. C’est ainsi que j’ai vu l’autre jour le Prince régnant de Waldek, beau garçon de 22 ans, timide, embarras sé, labourant le Français avec une peine infinie, à la torture pour trouver un mot. Une scène de comédie ; son premier. ministre était avec lui. important, empesé, grotesque J'ai bien ri après. Marion me fait une collection de portraits des personnes qui viennent chez moi. Elle a un talent rare. Elle se souvient le lendemain matin des visages de la veille, des ressemblances frappantes. Mon fils trouve ceci charmant et ne demande pas mieux que de prolonger notre séjour. Je me laisse aller sans arrêter de place. Le froid diminue voilà tout ce que je puis dire du temps. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00225.jpg
45 Val Richer, Mardi 9 Août 1853
3 heures
Il se peut fort bien que votre Empereur ait eu raison de penser à la Russie plus qu’à l'Europe. Je ne suis pas juge du cas particulier ; mais en thèse générale, on a toujours raison de se préoccuper du dedans plus que du dehors. Le pauvre roi Louis-Philippe se préoccupait infiniment du dedans ; à ce point qu’il en désespérait. Il a certainement en grand tort de faiblir le 22 février, et cette faiblesse a été la cause prochaine de sa chute ; mais il a été de tous, le moins surpris de ce qui lui est arrivé, tant, il en connaissait les causes générales et lointaines, et les regardait comme irrésistibles. Deux dispositions parfaitement contradictoires s'alliaient en lui ; dans l’ensemble, il était sans espérance, sans confiance, convaincu qu’il ne réussirait pas à fonder sa monarchie, que la France était vouée à l’anarchie et à la révolution dans chaque occasion particulière, quand le jour du péril venait, il était imprévoyant et sanguin, convaincu qu’avec un peu d'adresse, de souplesse et de patience. Il reviendrait sur l'eau et se relèverait après avoir plié, les deux dispositions ont également contribué à le perdre ; il a vu à la fois trop en noir et trop en beau ; il a trop désespèré du présent et trop espéré de l'avenir. On pouvait très bien résister en Février 1848, il ne l’a pas cru. Il a cru qu’il reviendrait du renvoi de son cabinet et même de son abdication ; et cela ne se pouvait pas. Il avait cela, et seulement cela, de commun avec Louis XI qu'il faisait beaucoup de fautes, et qu’il excellait. à s'en tirer, et qu’il espérait toujours avoir le temps de s’en tirer. Le temps lui a manqué pour se tirer de la dernière. Le chagrin a été pour plus de moitié dans sa mort. Le désespoir de votre N°43 est mal tombé, ce matin, après les quatre lignes du Moniteur d'hier. Vous aurez certainement eu directement l’avis de l'adhésion de votre Empereur à la proposition combinée à Vienne ? Je tiens pour impossible que le sultan n’y adhère pas aussi. Je suis donc de l’avis du Moniteur, et de la Bourse Je regarde l'affaire comme finie. Vous vous serez beaucoup tourmentée en pure perte. A part l’intérêt Européen, je suis charmé que vous voyez un terme de vos inquiétudes.

Mercredi 10 9 heures
Il me revient que Kisseleff est très content, et qu'on est très content de lui à Paris. Son attitude. et son langage, pendant toute cette crise, ont été très fermes et très tranquilles. C'est Morny qui a renversé M. de Maupas, et fait supprimer le ministre de la police. Il s'est allié pour cela avec Persigny. L'Empereur Napoléon est content de Drouyn de Lhuys et du mélange de pacifique et de guerrier qu’il a mis dans ses conversations et dans ses pièces. Bon pour tous les en cas. M. d’Hautpoul a obtenu la permission de recommencer à se promener, en mer avec son yacht de Trouville.
Mad. la Duchesse d'Orléans confie M. le comte de Paris à Paul de Ségur pour aller faire un tour en Irlande. Adieu, adieu. J'espère que demain le facteur m’apportera votre tranquillité au lieu de votre désespoir.
Par grand hasard, j’ai reçu hier une lettre de Massi ; on me dit : " La paix jusqu'ici n’est pas troublée par l'occupation ; les troupes russes observent la plus exacte discipline et payent tout ce qu'elles consomment.” Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00234.jpg
47 Schlangenbad le 15 août 1853

Constantin est arrivé hier ici très inopinément. Il y passera quelques jours. Je n'ai rien décidé encore pour mon départ, mais il est très probable que je serai à Paris avant la fin du mois. J’ai lu la pièce acceptée par mon gouvernement et sans doute aussi par la Turquie & qui termine cette maudite affaire. Il me semble que c’est même plus explicite et plus obligatoire que ce que nous demandions. Les Anglais et Français ont confectionné cette pièce et c'est Lord Radcliffe qui dans ce temps avait conseillé la résistance ! Le roi de Wurtemberg est parti ce matin. Il a passé hier la soirée chez moi. Très aimable ; je regrette qu’il n’y soit plus.
Voici votre lettre du 12. Et Votre explication de notre conduite. Je l'enverrai à [Meyendorff]. Elle est curieuse et juste. Je ne lui enverrai pas l'autre page qui traite du Prince de Joinville. Elle n’est pas digne de vous. Il n’a aucun mérite à sa dénonciation. Les plus simples lois d'honneur et d’humanité lui en faisaient un devoir.
Je crois sans en être bien sure que je quitterai ceci le 23. Si je ne fais pas de halte ou de détour je serai à Paris le 26 ou 27. Vous serez informé et dans ce cas vous me donneriez bien autant de jours qu'à l'Académie ? Lady Jersey est arrivée à Wisbade et me demande un rendez-vous. Cela m'ennuie. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00231.jpg
47 Val Richer, Dimanche 14 Août 1853

Vous avez raison ; mon impression sur les promenades de votre flotte dans la Batique et sur le camp de Chobham n'était pas fondée. Au fait, rien n’est plus naturel. Je ne doute pas que si la Porte se refusait à accepter la note de Vienne, la France et l'Angleterre ne lui retirassent leur appui. Il n’y aurait pas moyen de faire autrement. Mais je suis convaincu qu’on n'en viendra pas là. Il paraît que la vivacité du public anglais sur cette affaire était réelle et qu’elle avait gagné même les gros marchands de la Cité. Un de mes amis m’écrit en sortant de chez Samuel Gurney “ J’ai remarqué avec assez de surprise que le pacifique Duché partageait le sentiment d'impatience et d’irritation qu'inspire généralement ici la politique russe ; on est peut-être plus animé sur la question d'Orient à Manchester et à Birmingham qu'au camp de Chobham." On n'en sera pas moins fort aise de pouvoir se calmer.” Je viens de lire les détails de la Revue de Spithead. Ce devait être beau. Je vois que votre grande Duchesse Olga y était. C’est de bon goût. Tout le monde aime la paix aujourd’hui les rois comme les peuples ; la guerre dérangerait tout le monde.
Adieu.
Je n'ai vraiment rien à vous dire. M. Mallac me disait l'autre jour, à propos de l'Assemblée nationale : " Que deviendrons- nous maintenant et de quoi parlerons-nous, la question d'Orient terminée ? : " Nous n'aurions pas le même embarras si nous causions, mais de loin, le cercle est plus restreint. Barante va venir à Paris pour les couches de sa belle fille. Il viendra me voir ici. Duchâtel part demain pour le Médoc. Le Duc de Broglie est à Broglie. Molé au Marais. Je ne trouverai personne, à Paris la semaine prochaine. Quelques personnes y viendront pour la séance de l'Académie. J'en repartirai le lendemain. On dit qu’il faut lire les Mémoires de la baronne d'Oberkirch. Adieu. J'espère que vous avez votre fils. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00238.jpg
48 Schlangenbad le 17 août 1853

J’ai vu hier lady Jersey arrivant de Londres. Très opposition, mais disant que le Ministère se soutiendra. Prévoyant la chute de l'Angleterre. Elle ne reste debout que pas l’amour et le respect qu’on a pour la Reine.
La G. D. Olga fait furrore. C'est une admiration extraordinaire. Voilà tout Lady Jersey. Mme Rothschild me mande de Paris que Lord Cowley se plaint du gouvernement français qu'il trouve trop russe, ou plutôt trop pressé de la paix. Il me semble que l'Angleterre ne l’est pas moins. On ne sait rien encore de sûr de Constantinople, et il y a encore bien des difficultés à vaincre. Il pleut ici, j'en suis bien fâchée, cela gâte mes derniers moments. C’est mardi le 23 que je quitterai ceci. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00236.jpg
48 Val Richer, Mardi 16 Août 1853

Puisque votre fils trouve Schlangenbad charmant et que votre santé s'en trouve, sinon beaucoup mieux, du moins pas plus mal. Vous avez raison d'y rester encore. Le changement sans rien savoir pourquoi, est un grand ennui. Nous aurons, sans doute avant la clôture, un grand exposé de l'affaire Turque dans le Parlement ; Lord John l’a promis. Il n’y sera pas embarrassé ; le cabinet Anglais a bien conduit sa barque ; il a maintenu la paix, en se montrant prêt à faire la guerre ; il a protégé efficacement la Turquie et rallié à lui la France sans se mettre à leur disposition. C'est de la bonne politique de temporisation et d’ajournement des questions. Personne aujourd’hui n'est en état, ni en goût d'avoir une politique qui les décida. Vous me dites que les Russes de Paris trouvent qu'après tout, et au prix de votre bonne réputation en Europe, vous avez fort avancé vous affaires ; je ne connais pas assez bien les faits pour en bien juger ; mais si cela est, soyez contents aussi ; tout le monde le sera. La Turquie l'est certainement autant que peut l'être un mourant qui n’est n'est pas mort, et pour la France, on dit qu’elle l'est beaucoup. Le public l'est car il voulait la paix, et il sait gré au gouvernement de l'avoir maintenue. Le gouvernement a de quoi l'être, car il a sa part dans le succès pacifique, et il s'est mis fort bien avec l'Angleterre. L’est-il bien réellement, au fond de l'âme ? J'en doute un peu. Mon instinct est que l'Empereur Napoléon aurait préféré l’union belligérante avec l’Angleterre, le Ministère de Lord Palmerston et toutes les chances de cet avenir-là. Je penche à croire que c’est là le but que, de loin et sans bruit, il poursuivait. Mais il ne s'y est pas compromis ; et ce n’est pas un échec pour lui de ne l'avoir pas atteint. Il peut donc se féliciter aussi. J’ai rarement vu une affaire où tout le monde ait été si embarrassé pour être, à la fin, si satisfait.
Je ne pense pas que l'Empereur Napoléon, se soit fait, dans le public, le même bien par le Rapport qu’il s’est fait faire pour montrer en perspective huit ou dix millions à payer en vertu du testament de son oncle. C'est se donner un gros embarras pour une nécessité bien peu pressante. Il y a assez de questions vivantes ; pourquoi exhumer les mortes ?

10 heures
Voilà votre N°46. Je ne partage pas du tout les soupçons de lord Greville à l'endroit des Principautés. Vous êtes entrés nécessairement. pour couvrir vos concessions sur vos premières demandes à Constantinople ; vous vous en irez loyalement. Question d’honneur dans l’un et l'autre cas. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00242.jpg
50 Paris, Vendredi 19 Août 1853

La séance de l'Académie. Française a eu lieu huit jours plutôt que je ne pensais. Je suis arrivé hier matin pour y assister. Je repars demain. Il n’y a absolument personne ici. De mes amis ; Dumon seul.
Je trouve le public très rassuré ; et pourtant il court de mauvais bruits sur les Principautés ; on doute de la prompte évacuation. Je me soucie peu des bruits ; mais je suis frappé du débat du Parlement surtout, du discours de Palmerston. Il n’a jamais été si Turc, jamais si décidé à la guerre pour l'indépendance de la Turquie, jamais si confiant dans les moyens de résistance de la Porte et dans l'efficacité de l'alliance Anglo-française pour la soutenir. Ici, le langage et toutes les démonstrations du gouvernement sont archi pacifiques, et font regarder l'affaire comme terminée. Je sais qu’au ministère de la guerre, on n’a pas douté un moment de la paix et qu’on n’a fait aucun préparatif pour une autre chance. Mais je persiste à croire qu’on aurait accepté et qu’on accepterait volontiers cette autre chance, et que la sympathie est toujours grande pour Palmerston.
Mad. de Hatzfeld est la seule ressource du petit nombre d’âmes politiques en peine qui errent encore à Paris. Elle reçoit les jeudi et lundi. Je passerai à sa porte ce matin. Je ne la trouverai probablement pas. Il fait très beau. Tout le monde se promène. La fête du 15 a été très brillante. Paris était plein d'étrangers. Il se vide. J’ai vu Mad. de Boigne en passant à Trouville. La mort de sa belle-soeur a été pour elle un vrai chagrin, autant qu'elle peut avoir un chagrin. Mad. d'Osmond est morte tout à coup, par une pression du cœur sur les poumons ; elle a été asphyxiée. Sa fille, la Duchesse de Maillé, venait de la quitter ; on a couru après elle, sur le Boulevard. Elle est revenue en courant ; sa mère était morte. Mad. de Boigne attend ces jours-ci à Trouville toute sa famille.
On s'amuse beaucoup à la cour. La Reine Christine y est en grande faveur et fait ce qu’il faut pour être en faveur. On parle du mariage d’une de ses filles avec le Prince Napoléon. On reparle aussi du sacre et du Pape. En attendant l'Impératrice a de grands succès au jeu du ballon, en plein air. Adieu. Ce n’est pas la peine de venir à Paris pour n'y apprendre que cela. Aussi n’y suis-je pas venue pour rien apprendre. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00250.jpg
52 Schlangenbad le 24 août 1853

Me voilà encore. La chaleur a été si forte que je n’ai pas où me mettre en route. Elle se dissipe un peu, et samedi je pars. Je serai à Paris sauf nouvel incident ou accident. Mardi le 30. Meyendorff était très affir matif en me mandant que Constantinople avait accepté l’Ultimatum. Une lettre de Kisseleff reçue hier l’est moins, mais cela nous est bien égal. La faute serait aux autres.
Je ne vois plus une âme, il n’est resté personne à Schlangenbad. Ce repos me plait beaucoup, seulement il ennuie mon fils. Je n’ai pas l'ombre de nouvelle à vous dire. Mariage à droite, à gauche, voilà le seul aliment des journaux. Adieu. Adieu. On a bien des Bavaroises déjà en Autriche, cela ne plaira pas.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00252.jpg
52 Val Richer, Vendredi 26 Août 1853

Je vous écris à Paris où je suppose que vous arriverez demain. Je vous ai écrit à Francfort d’où l’on vous renverra ma lettre si vous y avez passé trop tôt pour l'avoir, ce qui me paraît probable. Je ne reviens pas sur ce que je vous disais. Il aurait fallu vous attendre trop longtemps. J’aime mieux refaire 95 lieues que perdre huit jours. J’irai vous voir du 10 au 15 septembre. J’attends deux visites dans les premiers jours de septembre. Certainement je causerai plus longtemps avec vous qu’avec l'Académie. J’ai grande envie de vous voir et de causer. La personne d'abord, puis la conversation. Ce serait charmant que nous fussions toujours du même avis ; la sympathie vaut mieux que la dispute ; mais là, où le premier plaisir n'est pas, le second à encore son prix. Je suis fort aise que vous soyiez content, à Pétersbourg de votre sortie de l'affaire Turque. Je ne pense pas qu’on soit mécontent à Londres et je crois que, s’il n’y avait point eu d'Angleterre, ou si elle ne s'en était pas mêlée, vous seriez encore plus contents. C'est elle qui vous a empêchés de faire toute votre volonté. Là est son succès, quelles qu'aient été ses fautes. La politique extérieure Anglaise fait beaucoup de fautes de détail, car elle ignore beaucoup, tant le continent lui est étranger, et elle est pleine de transformations brusques, et de soubresauts, comme il arrive dans les pays libres ; mais en gros et dans l’ensemble des choses, le bon sens et la vigueur y sont toujours et la mènent au but. Quant à l'affaire elle-même, comme je ne m'en suis jamais inquiété, j'en attends très patiemment à la dernière fin. J’ai reçu hier des nouvelles de Barante qui ne me paraît pas s'être inquiété non plus.
Le mariage de l'Empereur d’Autriche était très inattendu. En Normandie du moins. Je ne suppose pas qu’il y ait là aucun goût personnel. C’est un lien de plus avec la Bavière que l’Autriche tient toujours beaucoup à se bien assurer, comme son plus gros satellite en Allemagne. Les Belges me paraissent ravis de leur Duchesse de Brabant. L’Autriche aura toujours bien à faire avec les deux boulets rouges qu’elle traine ; mais elle se relève bien tout en les traînant. Je voudrais connaître un peu au juste son état intérieur. J’entends là dessus bien des choses contradictoires.
On m’a dit à Paris que le travail pour faire venir le Pape avait sérieusement recommencé. On vous le dira sans doute aussi. En France, dans les masses, certainement l'Impératrice est populaire ; on aime mieux la beauté, et le roman que la politique, on s'y connaît mieux. Je suis venu, samedi de Paris à Rouen par un train qui précédait d’un quart d'heure celui qui devait mener le ménage impérial à Dieppe. Toute, la population était en l’air pour les voir passer ; et ce n'était pas de la pure curiosité ; il s'y mêlait de l’intérêt.

Onze heures 1/2
Voilà mon facteur et n'en à ajouter. Adieu, adieu.G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00257.jpg
54 Bar le duc Mardi le 30 août 1853

Si je date de Mardi une lettre que je vous aurais écrit la veille (Lundi) est-ce antidater on postdater qu'il faut dire ? Répondez-moi je vous en prie et tout de suite. Détestable auberge, mais il a fallu m’arrêter.
Paris le 31. Me voilà et fatiguée. Je trouve une lettre de Meyendorff et une de Constantin. Je vous envoie copie des passages importants. Je n’ai encore vu personne ici et ma lettre partira avant toute visite, mais ces deux lettres me semblent renfermer ce qui est essentiel. Greville me mandait si les Turcs ne font pas what we prescribe nous ne pouvons plus les soutenir. Voyons comment tout cela ira, maintenant, notre partie est la belle. Heeckeren m’a dit que jamais les vaisseaux. Français ne reculeraient tant que nous resterons dans les principautés. Nous verrons. Comment pourraient-ils entrer dans les Dardanelles sans provoquer le guerre, et ils ne peuvent pas rester à Besika. Adieu. Adieu.

Je copie un autre passage de la lettre de Meyendorff. " je voudrais vous dire tout le plaisir avec un peu d'envie que j’ai éprouvé ici apprenant le beau sens du fils de M. Guizot. Comme j’admire le père d’avoir eu le temps de bien élever ses enfants ! "

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00259.jpg
54 Val Richer, Jeudi 1er septembre 1853

Merci de vos quelques lignes de Strasbourg. J’espère en avoir quelques unes ce matin de Paris. Vous devez y être arrivée avant hier soir. Vous n'y trouverez pas plus de soleil qu’à Schlangenbad je n’ai jamais vu un plus affreux été. Mais vous vous reposerez chez vous. A mon avis on n'est bien que là où on doit rester. Grand signe de vieillesse.
Je n’aime pas ces petites modifications demandées à Constantinople. J’espère qu’elle sont aussi insignifiantes qu’on le dit. Les reproches du Times à la Porte, m'en font un peu douter. Du reste, j'en reviens toujours à mon dire ; si vous ne désirez pas, en secret, que la question dure, elle finira. Bien des gens à Londres, et à Paris, croient que vous ne voulez pas qu'elle finisse, et que vous comptez sur les objections de la Porte. Si cela est, petites ou non, elles sont graves.
Faites-vous attention aux actes et au langage des agents des Etats-Unis, chez eux et en Europe, le Président Pierce, le ministre Soulé, le chargé d'affaires Brown ? Il y a là du nouveau. Tenez pour certain que le nouveau monde se mêlera bientôt, et bien activement, des affaires de l'ancien, et avec toute l’arrogance et l'hypocrisie démocratiques.

Onze heures
Je suis charmé de vous savoir arrivée et hors des auberges. Merci de deux copies. La vivacité de Constantin m'amuse. La paix ne s'en fera pas moins. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00262.jpg
55 Val Richer, samedi 2 Sept 1853

Postdater n’est pas français du tout ; il pourrait l'être, car le mot serait correctement formé ; mais il ne l'est pas. Antidater ne signifie, rigoureusement parlant, que changer une date en mettant celle d’un jour antérieur, et c’est la définition qu’en donne l'Académie ; mais l’usage a étendu ce sens, et on dit antidater toutes les fois qu’on met une fausse date à la place de la vraie, soit qu'on mette celle d’un jour antérieur ou postérieur. Quand nous en serons à ce mot dans la discussion de notre nouveau dictionnaire, je demanderai qu’on modifie la définition et qu’on adopte celle de l'usage étendu. Vous m’y aurez fait penser.
Je trouve que les cinq modifications demandées par la Porte à la note de Vienne ne valaient guère la peine d'être faites, et ne valent pas celle d'être refusées ; ce sont des susceptibilités de Duellistes ou des subtilités de théologiens. La première a seule quelque intérêt pour vous ; il peut convenir à votre Empereur, pour la Russie, que le Sultan lui-même reconnaisse la vive sollicitude que les Empereurs de Russie ont de tout temps témoigné pour l'Eglise grecque, et le Sultan à mon avis, peut très bien reconnaître ce fait sans déroger. J’aurais été plus difficile que le sultan pour la troisième modification, j’aurais demandé le changement de ces mots : restera fidèle à la lettre et à l’esprit &, car ils impliquent un peu qu’il ne l’a pas toujours été, et il peut moins convenir de cela que de votre vive sollicitude pour l'Eglise grecque. Mais en vérité, il n’y a pas là de quoi fournir à une demi heure de conversation sérieuse entre hommes sensés ; et que ces modifications soient acceptées ou refusées, la situation des parties, comme on dit, restera en droit et en fait, absolument la même. Acceptez-les donc et n’en parlons plus.
Je suis très touché de l’intérêt que M. de Meyendorff veut bien porter au succès de mon fils, et je l'en remercie. Ma part dans l’éducation de mes enfants a été de m’arranger pour les faire vivre avec moi et pour causer avec eux. Je les ai eus tous les jours, de très bonne heure, à déjeuner et à dîner avec moi, heure d’intimité et de conversation. L'affection et le développement intellectuel y ont également gagné. Mon fils, a du reste suivi les classes et mené la vie de collège ; mais sans se détacher de la famille. Je suis un grand partisan de la famille, en pratique quotidienne comme un principe politique. En fait d’arrangements de famille, je vois avec une vive contrariété qu’on se décide au prolongement du boulevard de la Madeleine et qu’on va se mettre à l'œuvre. On me prendra donc ma maison. Grand déplaisir, outre l'ennui d’un déménagement. J’avais bien compté mourir dans ce nid-là.

Onze heures
Votre lettre de Bar m'était arrivée tard, et je voulais faire une petite recherche sur postdater, avant de vous répondre. Voilà la cause de mon retard, volontaire et non étourdi. Adieu, Adieu. Je répondrai à Marion. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/23016_00278.jpg
57 Val Richer. Mercredi 7 sept. 1853

Voici une lettre de Lord Aberdeen qui a de l'intérêt. Je le crois plus confiant dans la conclusion qu’il ne le dit. C'est sa maxime qu’il ne faut jamais être ni surtout paraîtra sûr ; en quoi il a très habituellement raison. Moi qui ne suis qu’un spectateur sans responsabilité, je persiste à tenir l'affaire pour terminée. On disait, il y a six semaines, que les Turcs ne demandaient qu'à céder, que c’étaient les puissances, et Lord Stratford, ou non des puissances qui les en empêchaient. Apparement elles seront bien en état de les faire céder aujourd’hui.
Je trouve que votre Empereur a là une excellente occasion de reprendre en Europe le terrain qu’il y a perdu ; on lui sait déjà beaucoup de gré de la bonne grâce avec laquelle il a accepté la note de Vienne ; si maintenant, il est plus modéré que les Turcs et passe par dessus leurs petites exigences pour mettre fin à la crise au lieu de s'en servir pour la prolonger, on sera frappé de sa magnanimité russe, de sa sagesse Européenne ; on regardera presque la paix comme un don de lui, et la question sera close à son honneur comme à son profit.
Le Duc de Broglie et Mad. d’Haussonville, sont venus me voir avant hier. Nous avons causé tout le jour. Broglie triste et sensé, trouvant, comme vous le dites, et comme cela est évident, que l'Empereur Napoléon, a gagné que l'affaire d'Orient a bien tourné pour lui, qu’il s’y est conduit habilement & & Cela vaut mieux que la popularité au Dieppe. Un souverain est toujours populaire aux eaux où il amène du monde.
J’ai vu ce pauvre Molé quand j’ai été à Paris pour l'Académie. C'est fort triste, un peu moins pour lui que pour d’autres, parce qu’il a toujours plus vécu de la conversation que de la réflexion ou de l'étude. Il paraissait croire que c’était une cataracte, déjà formée, sur un oeil et en train de se former sur l'autre. On peut opérer cela. Triste ressource, mais ressource. On n’a pas besoin d'être un héros mutilé pour finir comme le maréchal de Rantzau ; Et Mars ne lui laissa rien d'entier que le coeur, heureux ceux à qui le coeur reste entier ! Après tout, c’est par là qu’on vit. Adieu, je vais faire ma toilette. J’aurai de vos nouvelles ce matin. Je vous écrirai encore vendredi. Puis, je vous verrai dimanche. Vrai jour de fête. Adieu.

Onze heures
Voilà votre lettre. Ce serait bien du bruit. Mais si Constantinople est sens dessus dessous, tout suivra. Adieu. Vous savez bien que je ne m'ennuierai pas.
Formats de sortie

atom, dcmes-xml, json, omeka-xml, rss2