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8. Saint-Germain, Samedi 18 juillet 1846, Dorothée de Lieven à François Guizot
Voici donc huit jours de passés dieu merci. Quelle longueur que cette semaine ! Fleichman est venu hier dîner avec moi, très fidèle et très soigneux. Il avait été juré à Neuilly. Kisseleff y était. Le Roi lui a parlé de notre dernière dépêche avec des expressions succulentes, c’est le terme dont s’est servi Fleichmann, des protestations d’amitié, enfin on eût dit les deux monarques les plus unis, les plus intimes. Fleichmann c’est fort égayé sur ce sujet. Et puis sont venus des compliments personnels pour Kisseleff. Surabondance. Thom dit que l’élection du Pape n’a pas plu du tout à Vienne. La Bavière, le Wurtemberg, Bade et la Hess vont demander à la diette l'abolition des lois de censure, & un nouveau règlement très libéral. Armin est fort peu aimé ici dans la diplomatie. Voilà toute ma récolte d’hier. Je vais devenir bien inutile. Le temps est abominable, froid et de la pluie & du vent. C’est un peu ridicule d’être à St Germain pour cela. Et votre course à Trouville tombe mal aussi.
Bacourt me mande que notre nouveau gendre est un très mauvais sujet et que tout à l’heure avant de partir pour se marier, il a eu des senées[?] à ce sujet avec son père. Vous ai-je dit que le roi de Wellington se traîne à Bade avec une maîtresse. On ne le voit pas du tout. Je n’ai donc pas à le regretter.
Midi. Voici votre lettre. Je vous renvoie Reeve. La situation anglaise n'est pas du tout de mon goût, je n’aime pas voir Peel et Aberdeen ainsi de côté. Je voudrais bien la dissolution. Il me semble qu’elle sera mauvaise aux Whigs. Je pense certainement à Trouville. J’y resterais deux jours dont une demie journée au Val-Richer. Nous arrangerons cela pour après vos élections. Je trouverai le temps long aujourd’hui. Rodolphe qui devait venir dîner avec moi est malade. Personne, & du mauvais temps. J'ai fait venir un piano. Madame Danicau est utile à tout. A practical woman. Adieu, dites-moi toujours que vous vous portez bien. Comment se portent vos élections ? Adieu. Adieu, dearest. Adieu.
13. Val-Richer, Vendredi 24 juillet 1846, François Guizot à Dorothée de Lieven
Je n'ai point éternué, point pleuré cette nuit. J’ai bien dormi. Je suis beaucoup mieux ce matin. C’est vraiment curieux avec quelle vivacité ce mal-là me vient, avec quelle rapidité il s'en va. Hier, s'il avait fallu aller et parler à mon banquet, j’en aurais été incapable. J'en étais vraiment préoccupé, et attristé. Ce n’est qu'à vous que je dis mes satisfactions orgueilleuses, à vous seule aussi mes faiblesses. J'en ai bien plus qu’il n'en paraît. Les circonstances importantes, les nécessités absolues, prévues, annoncées, de paraître et d’agir, me mettent bien souvent, plusieurs jours à l'avance dans un état de malaise, de frémissement intérieur, de doute et d’inquiétude, que je ne laisse pas du tout percer, que je contiens et comprime fortement en moi, car j’ai beaucoup d'empire, sur moi-même mais qui n'en est pas moins, très réel et très désagréable. Tout le monde est convaincu que la tribune ne m'inquiète et ne me trouble jamais. Tout le monde se trompe. Je suis très souvent et très vivement troublé, pas quand une fois je suis à la tribune et dans l’action, mais auparavant, en pensant au succès nécessaire et toujours incertain.
8 heures Décidément les bains ne vous valent pas mieux que le serein à moi. Cela m'étonne. Nerveuse comme vous l’êtes il me semble que les bains devraient vous être bons, J’espère que votre estomac se remettra bientôt en ordre. Pour les petits soins contre les petits maux, j'ai assez de confiance dans Chermside. Il vous connait bien et me parait sensé. Pourvu qu’il n'abuse pas des blue pills. Je vais attendre tout le jour la lettre de demain. Que de temps dans la vie on passe à attendre ? Palmerston me fait demander, en effet ce que nous pensons des Affaires de Rome, [?] et autres, et ce qu’il doit dire et faire pour être comme il veut, d'accord avec nous. Cela sera facile à Rome où il n’est rien, et nous n'en tirerons pas grand profit. C’est à Madrid qu’il faudrait-se mettre d'accord, et j'en doute tous les jours d'avantage. J’ai fait ma démarche. Nous verrons le résultat. En tout cas elle est bonne, et si elle ne nous met pas d’accord ; elle me mettra, moi, à l'aise. Comme on peut être à l'aise dans une si grosse et si difficile affaire. Un grand point sera au moins obtenu. Il n’y aura, rien avant mes élections. Les nouvelles en sont toujours très bonnes. De plus en plus bonnes, si je m'en rapporte à ce qui m’arrive de tous côtés. Mais j’ai aussi ma méfiance. Le Roi d’Hanôvre a été assez malade pour qu’on ait été sérieusement inquiet pendant trois jours. C’est du moins ce que M. d’Houdetot m'écrit. Il est mieux. Il aura M. de Béarn le 4 août. L’ordonnance sera signée ce jour-là comme ministre définitif.
Les bains de mer réussissent parfaitement à ma fille Pauline. On lui jette sur les reins des seaux d’eau qui j’espère seront bons à sa taille. Le temps est charmant depuis trois jours. Revenu au chaud, trop peut-être à Paris, et pour vous. Pas ici. Adieu, dearest. Plus j'avance, moins l'adieu me suffit. Je pense sans cesse à vous. Je vous suis dans tous les détails, à toutes les heures de votre journée. Il me semble que si j'étais là, tout serait mieux. Adieu. Adieu. G.
14. Val-Richer, Samedi 25 juillet 1846, François Guizot à Dorothée de Lieven
Voilà une bonne lettre. Vous vous portez bien, vous me grondez et elle est longue. Mon éternuement est parti, et ma pauvre Henriette n’y est pour rien du tout. Ce n’est pas pour la mener promener, c'est pour mener promener M. Austin que je suis sorti le soir, et ma mère et Henriette s’en sont plaintes tout haut pour qu'il ne me fût pas possible de recommencer. Acquittez donc Henriette, dans votre esprit, et portez-vous bien. Je vous promets que je ne sortirai jamais le soleil couché. Lui et moi, nous ne serons jamais qu'ensemble sur l’horizon. Votre menace m’a fait trembler. Vous êtes charmante de vous mieux porter, charmante d'avoir si peur pour moi, mais bien... (je ne trouve pas de mot qui me convienne) de craindre le Val Richer et son influence. Je n'y apprends qu'à mieux sentir tout ce que vous êtes pour moi et le besoin que j’ai de vous. C’est un sentiment qui monte de jour en jour en moi comme la marée. Et jamais de reflux. Quelle comparaison ! Un reste de ma course de samedi dernier à Trouville. La vue de la mer me laisse toujours une impression profonde. Je ne connais rien de plus frappant que ce mouvement perpétuel dans cette monotone immensité.
Courrier très chargé ce matin deux dépêches et quatre lettres particulières de Flahault, M. de Metternich très blessé, très chagrin de Montalembert et Villemain. Ne se plaignant point de mon silence, disant qu’il le comprend et que j'ai bien fait. Je n’ai pas dû donner dans un piège qu'on me tendait la veille des élections. Metternich désavoue quelques uns des faits avancés par Montalembert. Henri Bogusez n’est pas mort. Il se porte bien a Cracovie. Quant aux faits indésavouables (sic) le gouvernement autrichien persiste à en repousser la responsabilité. Mais sinon la connivence, du moins l’apathie, la faiblesse l’imprévoyance, l'impuissance sont de plus en plus évidentes. Le Général Collin a évacué Cracovie parce qu’il n’avait, pour ses troupes, que 15 cartouches par homme et qu’il n’avait aucun moyen de s'en procurer dans toute l'étendue à son commandement. Aujourd’hui le corps d’armée qu’il faut entretenir dans la Galicie coûte un surcroit de dépense de 800 000 florins (plus de deux millions de francs) par mois. L’Autriche sera obligée de faire un gros emprunt. En outre grande fermentation dans toutes les parties de la Monarchie, même dans les états héréditaires. Les Etats de la Basse Autriche, réunis à Vienne, viennent de demander de prendre part à la confection des lois, l’abolition de la corvée & &. En Bohême, la noblesse prend l’initiative des réformes. Dans le gouvernement même dans les Affaires étrangères, beaucoup de choses arrivent dont M. de Metternich décline la responsabilité en disant qu’il ne les a pas sues qu’il n’en a pas entendu parler. Déclin palpable de l'état et de l'homme. Je n’aime pas les déclins, dussé- je en profiter. Je ne laisserai pas échapper le profit, s’il y en a mais le spectacle n’est pas de mon goût. Quant à Rome mes nouvelles sont d'accord avec les vôtres. Vienne s'en inquiète, combat l'armistice et fait, sur les réformes, du galimatias, sensé, mais si vague que ce n’est pas la peine de l'écrire. Il n’y a pas le plus petit conseil pratique à en tirer. Flahault va à Königswart, de là à Marienbad. Puis, il me demande un petit congé pour aller, soit à Venise, soit à Milan, voir sa femme et ses filles, y compris Lady Shelburne qui va aussi passer l’hiver à Rome. Vous le savez probablement déjà. Une lettre de Bulwer à moi tout-à-fait semblable à la vôtre. Aigre, inquiète déroutée souhaitant du mischief, comme vous dîtes, pour sortir d'embarras. Il n’en sortira pas. Ni personne. Bien mauvaise affaire que cette Reine à marier. Je ne vous en parlerai pas aujourd’hui. J’ai trop à y penser. Aujourd’hui je ne veux penser qu’à mon discours de demain. 600 personnes à table, et 10 000, non pas sous la table mais en dessous de la plateforme où est la table, se promenant là pour nous voir dîner et m’entendre parler, ce qu'elles n’entendront pas. Qu’il y a de choses, en ce monde qui seraient très ridicules si elles n'étaient pas très sérieuses ! Adieu. Adieu. Je vous remercie encore de tout. Adieu. G.
16. Saint-Germain, Dimanche 26 juillet 1846, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je serai charmée de vous savoir revenir de votre banquet, & content & reposé. Moi, je vais un peu mieux. Hier, j'ai eu la visite de Fagel, & Fleichman, plus tard, Pahlen à dîner. Nous avons beaucoup ri de mille vieilleries. Il est plein de bonne gaieté de souvenirs, avec un fond de mélancolie très triste, car cela frise l'homme prêt à se tuer. Les diplomates n’avaient rien de nouveau du tout à me conter. Toujours Sébastiani.
Génie est d'une étourderie bien ennuyeuse. Et c’est trop long à vous conter, mais enfin il m’a livré 1829 au lieu de 1827, et cela après des commentaires qui rendent sa distraction encore plus singulière. C’est cependant fort triste pour moi car je lui avais bien dit, ce qui est vrai, que 27 allait faire ma seule joie. St Germain l’autre jour, il vous a envoyé mes lettres et billets au lieu de les envoyer à la poste. C’est un drôle d'homme de Cabinet. Frenchman ! Je n’aime pas Lamoricière en face de Casimir Perrier. Pourquoi tout cela va t-il comme cela ? c.a.d. pourquoi le général est-il opposition ? Thiers a dû partir hier pour Le Havre, où sa belle mère l’a précédé.
Madame Danicau est une personne très utile très résolue, elle a pris une autorité étonnante sur tout mon monde. Elle me trouve parfaitement incapable de me faire obéir. Elle ne cesse de s’étonner de l'embarras que je me donne pour n’aboutir à rien. Elle ne trouve bien dans les gens qui me servent qu’auguste. Stryborn décoration. Mes femmes, des dames que je sers. Elle a peu d’esprit, ce n’est pas une ressource. Son maintien est excellent. Elle a du tact. Voilà. Et puis elle ne sait pas lire. Que ferons nous de tout cela ? Pauvre femme comme elle doit s'ennuyer avec moi. Je suis pour elle très affectueuse, elle est plein d'envie de me plaire et de me servir. Je m'ennuie beaucoup ici. S'il se passait un jour sans une visite à dîner je n’y tien drais pas. Il fait froid ici. Voici votre lettre, bonne charmante. Je vous en prie soignez-vous aujourd’hui. Que je suis bête ! J’ai peur du 10 milles personnes sous la table. Vous savez que j'ai peur de tout. Je n’aime pas ce dîner. Je vais rester inquiète jusqu’à mardi. C'est bien long ! Bacourt m'écrit une lettre intéressante que je vous envoie renvoyez la moi. Adieu. Adieu. J’ai peur du dix mille. Je ne suis pas raisonable. Adieu. L'armistice du Pape me fait un grand plaisir. Vous avez remarqué que lord Landsown a dit de bonnes paroles pour l’Autriche. Adieu encore dearest, adieu.
Rome, le 28 septembre 1847, A. Granier de Cassagnac à Alphonse Génie
Brompton, Vendredi 19 janvier 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Midi
Voici deux lettres venues hier ; l'une de mon libraire, l'autre de mon hôtesse. Lisez-les, je vous prie attentivement. J’espère que vous pourrez les lire vous-même sans trop de fatigue pour vos yeux deux grosses écritures. Je n'en persiste pas moins dans ma résolution. Plus j'y pense, plus je suis sûr que c’est la seule bonne. Mais il faut tout écouter. Evidemment le travail sera très actif contre moi. Quelles misères ! Si le bon sens et le courage de mes amis ne sont pas en état de les surmonter, ma présence pourrait bien me faire élire ; mais après l'élection, je serais affaibli de toute la peine que j'aurais prise moi-même pour mon succès. Je ne veux pas de cela ; il faut que j'arrive par une forte marée montante, ou que je me m'embarque pas. Je vais écrire dans ce sens à tout le monde. Renvoyez-moi tout de suite ces deux lettres. Je vous prie. Il doit être arrivé à Brighton encore des journaux pour moi. Le postman par excès de zèle, s'est obstiné à m'en envoyer là quelques uns, sans ordre. Cela cesse aujourd’hui.
Je suis frappé du silence de l'Assemblée et du peu de paroles des journaux sur l'expédition de Toulon. Je doute que l'affaire soit aussi avancée qu’on l'a dit d'abord. Cependant la nouvelle proclamation du Pape, que les Débats donnent ce matin est bien forte. C’est la guerre déclarée aux républicains romains, autant que le Pape peut faire la guerre. Il faut qu’il soit sûr d'être efficacement soutenu. Je n’ai encore vu personne ici. Je vous quitte pour écrire à Paris. J’ai trois ou quatre lettres à écrire. Et longues. Il ne me suffit pas de dire non. Il faut que je persuade ceux qui me demandent de dire oui. Si je ne les ramène pas à mon avis, ils n'auront pas de zèle, et il me faut leur joie. Adieu Adieu. Je n'ai pas encore, ma lettre de vous. J'espère bien qu’elle viendra dans la matinée. Adieu. G.
Brompton, Mercredi 24 janvier 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Il m’est venu ce matin une bonne occasion pour Paris et j'ai écrit quatorze lettres, grandes ou petites. C’est un grand ennui. Mais je réponds à tout le monde. Il y a telle lettre insignifiante qui, un jour, à son prix. Je crois aussi à de mauvais moments encore dans Paris, et je suis bien aise de n'y pas être. Toutes les nouvelles sont dans ce sens. On m'annonce pour ces jours-ci des lettres détaillées. J'en aurai quelqu'une avant samedi. Louis B. ne peut ni s'établir ni tomber sans bruit. Je persiste à croire qu’avant de tomber, il essaiera et de la République rouge et de l'Empire. Il faut qu’on ait essayé de tout. Pour la première fois, les journaux légitimistes commencent à attaquer. Thiers au nom de la question entre Henry V et la Régence. Lisez l’article ci-joint que je trouve dans l'opinion publique. C’est très grave. Et je crois que c’est absurde à eux. Ils n'ont nul intérêt à faire vider la question d'avance. Il pourraient, un jour, avoir la nécessité pour eux. Le débat préliminaire sera toujours contre eux. L’esprit de parti à tout à la fois des lumières et des aveuglements inconcevables. Je doute que cela finisse sans guerre civile. Et je ne sais pas comment la guerre civile finira. Je suis curieux de savoir si le Constitutionnel relèvera ce gant. L'expédition de Toulon, n'en sortira pas. Et le Pape a raison de rester à rade tant que les Puissances catholiques y compris l’Autriche, ne se seront pas accordées pour le ramener toutes ensemble à Civita Vecchia. Sa présence là, sous une telle escorte, ferait tomber la révolution de Rome. Je conviens que cela ne ferait pas les affaires de Lord Palmerston. Il lui vaudrait mieux que le Pape fût à Rome, impuissant et toujours menacé. Décidément Lord Palmerston est un vieillard. Il ne comprend rien à ce qui se passe et ne sait plus penser et faire que ce qu'il a pensé et fait jadis. Je suis frappé du retour de Lord Aberdeen chez Sir Robert Peel. Certainement il y a quelque chose. On commence à dire assez haut que la Reine se plaint tout haut de Lord Palmerston et s'en inquiète. Savez-vous ce que dit Barante du dîner de M. de Falloux ? " Nous avons eu le banquet du Châteaurouge ; ceci est le banquet du Châteaublanc." Et Dupin après le vote des 48 000 fr. ; pour M. Boulay de la Meurthe, vice président de la République : " 48 est donc le calibre de notre boulet. " J’ai reçu hier un billet pressant de Lady Holland, me priant, au nom de Lord Holland d’aller dîner aujourd'hui à Holland-House. J'y vais. Je serai charmé que Holland House reprît. Je vous dirai les physionomies. Adieu. Adieu. Je voudrais bien que nous fussions seuls quelques heures de Samedi à Lundi. Adieu. G.
Brighton, Mercredi 24 janvier 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Mercredi Vos lettres sont intéressantes Bugeaud est un peu cross. Votre hôtesse me rappelle Mad. de Sévigné trouvant si bon air à Louis 14 qui lui avait adressé la parole à un spectacle à Versailles. Rien ce matin. Je reverrai Lady Palmerston. Elle critique Thiers. Il veut la régence. Il devrait plutôt aider le Président. Lord Brougham doit être arrivé hier à Londres. Il viendra sans doute ici. N'avez-vous donc pas entendre parler de Thiers depuis votre livre et sur votre livre ?
8 h. Lady Palmerston m’est restée bien longtemps. Si longtemps que j'ai à peine, le temps d’ajouter deux mots. Rien de nouveau. Lord Palmerston terrassera des adversaires. Il fera taire toutes les trompettes de le Europe. C'est vrai que rien n’a été fait, que rien n’aboutit. Mais la Sicile est à la veille de l'arranger. Et quand à la Lombardie, ni les Autrichiens veulent la garder, cela ne regarde pas l'Angleterre. Lord Palmerston croit qu’ils ont tort, mais ce n’est qu’une opinion lord Aberdeen est très monté et parle beaucoup contre son mari. Brunow est à Drayton. Il est venu le dire à Lord Palmerston en riant. Peel est toujours seul, il n’a pas un homme. Les Peelistes ont bien envie d'entrer aux affaires, mais ils n'ont pu de chef. Au demeurant tout va très bien. Les Holland se sont raccommodés. Adieu. Adieu.
Brighton, Mardi 30 janvier 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Les yeux vont un peu mieux, mais ils sont toujours irrités et moi je le suis beaucoup contre mes médecins. Je suis bien curieuse. Tansky écrit qu'on va à l'Empire. Lui même n'a aucun doute. Le croyez-vous ? Du reste sa lettre ne dit rien que nous ne sachions. J'ai dicté une longue lettre à l'Impératrice.
8 h. du soir Lord Brougham est venu et m’est resté 3h. au moins. Il a vu Lady Holland revenant de Claremont. Elle croit la reine mourante. J'ai vu la 2nd édition du Times racontant la journée d'hier à Paris et la promenade à cheval du président. Il n'a qu’à faire tout juste le contraire de ce qu'a fait Louis Philippe : garder son ministère et exposer sa personne et sa cause est gagnée. Vous savez que je le protège. Je serai charmée de le voir se bien conduire. Voici ce que Schwarzenberg a dit à lord Ponsonby. " Je n'envoie pas un archiduc à Londres parce que je ne peux pas exposer un Prince de la maison impériale à rencontrer l'ennemi acharné de l’entente. Voici votre lettre. Et voici la copie de celle de M Armand, ami d' Odillon Barrot. Je vous pris de me renvoyer celle- ci tout de suite. L'intérêt commence à la 3ème page. Adieu. Adieu.
Vous voyez bien que Beyer était une pauvre raison de me quitter ! Adieu.
La mission de Neumann à [?] avait pour objet d’obtenir que la France fût toute seule une expédition pour rétablir le Pape à Rome. L'Autriche ne l'a pas voulu, mais elle demande à son tour à la France de laisser faire cela au Roi de Naples, et que la France et l'Autriche regardent et restent l'arme au bras. Le cabinet prussien a adressé une circulaire à tous les agents diplomatiques, pour déclarer son intime alliance avec l'Autriche et la résolution. de refuser l’Empire. Tout ce que je vous dis là vient de source.
Mots-clés : Bonaparte, Charles-Louis-Napoléon (1808-1873), Circulation épistolaire, Conditions matérielles de la correspondance, Conversation, Diplomatie, France (1848-1852, 2e République), Louis-Philippe 1er, Politique (Autriche), Politique (France), Politique (Vatican), Réseau social et politique, Santé (Dorothée)
Brompton, Mercredi 20 juin 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Midi.
Je vous écris quelques mots par précaution. Je suis obligé de sortir sur le champ pour une affaire qui m'arrive, et qui me prendra peut-être assez de tiens. Je vous dirai demain, car je ne compte guère vous voir, aujourd'hui. J'espère rentrer assez tôt pour vous écrire une vraie lettre avant la poste de 9 heures. Mais en tout cas ne soyez pas inquiète. Pas de lettre encore de Paris. Je pense que le courrier de 2 heures m'en apportera. Je ne tiens pas encore la prise de Rome pour certaine. Adieu. Adieu. G.
Brompton, Samedi 23 juin 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Est-ce que ce beau temps chaud vous fait mal ? J’en serais bien fâché. Je jouis du soleil et de la chaleur avec une vivacité d’enfant du midi. Il faisait pourtant trop chaud hier chez la marquise de Westminster, une vraie foule dans la galerie. La bande des Strauss, la Duchesse de Cambridge, God save the Queen. Les tableaux s'étonnaient qu’on les regardât si peu. Je n’ai pas entendu parlé là de la Duchesse de Sutherland ni de la mort de sa petite fille. On pense si peu aux morts et à la mort. C'est mon plus profond sujet de mépris contre les vivants. Personne là qui sût rien de nouveau. J’ai vu Bunsen le soir. Moins joyeux, et moins confiant. Comme Lady Palmerston plus anti- autrichien que jamais, et me faisant fort la cour pour que je sois Prussien. Très occupé de Rome. Il est établi que le Pape n’y viendra pas quand les Français y seront entrés. Quand et comment en sortiront-ils ? Le Duc de Nemours est venu me voir hier. Très amical et très sensé. On se demande évidemment un peu là pourquoi je n’y ai pas été depuis longtemps. J’irai dans les premiers jours de Juillet. Madame la Duchesse d'Orléans arrive jeudi 28. Le duc de Nemours va la chercher à Rotterdam. Elle passera à St. Léonard, tout le mois de Juillet. La Reine des Belges arrive à Londres lundi, et ira à St. Léonard quand Mad. la duchesse d'Orléans y sera arrivée. Ainsi pour un mois. Le Prince et la Princesse de Joinville ont été à Eisenach, et de là ils se promènent en Allemagne jusqu'à Munich, et ne seront de retour à St Léonard que du 8 au 12 Juillet.
2 heures
J’ai été interrompu par Vigier, et par Génie. Le dernier repart ce soir. Je suis bien aise qu’il soit venu. Il m’a remis bien au courant. Point de lettre de Paris ce matin. Vous verrez dans les Débats d’aujourd’hui la lettre financière de Dumon. Ou plutôt vous ne la verrez pas. Vous n'irez certainement pas jusqu'au bout. C’est très vrai et très bon financièrement, mais sans vigueur et sans effet politique. Je ne vous vois pas venir ce matin. J’irai dîner avec vous demain dimanche. Je suis pris toute la semaine prochaine. J'espère qu’aujourd’hui vous n'aurez pas été retenue à Richmond par votre malaise. Je dîne samedi chez Lord Aberdeen. Je crois que Duchâtel finira par aller prendre sa femme à Spa, et delà avec elle à Paris où ils ne passeront que trois ou quatre jours en traversant pour aller à Bordeaux. Il est dans tous les supplices de l'indécision. Avez-vous fait partir votre lettre à Rothschild ? Adieu. Adieu. Je ne fermerai ma lettre qu'à 3 heures alors je serai sûr que vous ne venez pas aujourd’hui. Adieu. Adieu. G.
Richmond, Lundi 30 juillet 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Duchâtel m’a tenu longtemps et mon essai de la poste de 4 heures ne peut pas se faire aujourd’hui. Il part le 4. Il s'embarque à Ostende, le lendemain il dîne à Spa chez sa belle-mère. Il ira ensuite à Paris pour peu de jours & de là chez lui dans le midi. Je crois qu'il préfère ne pas débarquer dans un port français. Son arrivée ne fait pas événement et il aura fait d'une pierre deux coups, la France & Paris. On lui écrit pour lui conseiller cela. Il sera à Paris encore avant la dispersion de l'Assemblée. On lui mande que Morny est un vrai personnage et que c’est lui qui pousse à l’Empire. Duchâtel n’y croit pas. Il ne voit d’où viendrait le courage. En même temps je pense, que si on le tentait cela serait accepté par tous, lui, Duchâtel le premier. Morny a écrit à Duchâtel une lettre très vive d'amitié, de vœux de le voir à Paris, à l’Assemblée, disant que des gens comme lui sont nécessaires & &
Il faut que je vous dise qu'ayant été très inquiétée par suite de ce qui s’est passé au Havre le 19. J’avais écrit au duc de Broglie pour lui demander s’il voyait du danger pour vous au Val-Richer, il me répond et me rassure pleinement, me disant que les quelques cris poussés au Havre n’avaient aucune signification aucune portée mais voici comme il finit sa lettre... " Votre bon souvenir m’est d’autant plus précieux que je n’espère point vous revoir ici. Vous avez vu les derniers beaux jours de la France, ni vous, ni nous ne les reverrons plus. " Il n’espère pas me revoir. Cela veut dire poliment que je ferai grand plaisir en ne [?] pas. C’est clair. Je [?] bien ne pas lui faire ce plaisir. Lettres de vendredi et Samedi très intéressantes. Je vois que vos journées sont bien garnies. J’en [suis] bien aise. J’aime qu’on vienne [vous] voir.
Mardi 31. Onze heures
[?] ce que m'écrit mon fils de [?] en date du 20. [Je] vous ai écrit dans le temps que les français mettaient le maintien [de] la constitution comme prix au [retour] du Pape, ils n’auraient rien [?], & que si le Pape avait la faiblesse d’accepter cette condition [?] serait recommencé. D’après tout ce que j'ai su, le [?] Pape retournerait à Rome les mains libres. Lui de sa personne ne retournera qu’après un an à Rome où il serait représenté par une commission, et toutes les commissions le [?] à une sécularisation partielle de l’administration. En attendant le Pape irait probablement résider dans quelque ville des légations. Rayneval qui c’est conduit dans toute cette affaire avec sagesse et habileté succéderait dit-on à Haverest. Si le pays est tranquille et gouvernement fort. "
Voilà un petit rapport très bien fait. Je lis avec plaisir que mon Empereur a écrit au Président pour lui annoncer, je crois la mort de sa petite-fille. Voilà les relations régulières rétablies. Cela ne fera pas à Claremont autant de plaisir qu'à moi.
Hier M. Fould s’est annoncé chez moi, je l'ai reçu. Quelle figure ! Che bruta facia ! Puisque nous sommes voisins, il a cru devoir venir. Il m’a rassurée sur le choléra de Richmond aussi bien que sur celui de Paris. Il arrivait de là. Il dit que c'est bien vide & bien triste. J'ai fait ma promenade en voiture avec lord Chelsea. Le soir j’ai [?] le piquet à Lord Beauvale. Cela ne lui a pas plu du tout. Je suis un mauvais maitre.
J’ai pris un nouveau médecin à Richmond. J'ai horreur de celui qui m’a tant effrayé l’autre jour. M. G. de Mussy reviendra me voir aussi. Adieu. Adieu. Aujourd’hui Mardi, Il y a quinze jours, je vous ai vu encore. Je ne veux pas me laisser aller à vous dire tout ce que je sens, tout ce que je souffre ! Trouvez un mari, je vous en prie. Travaillez- y. Adieu. Adieu dearest adieu.
Val-Richer, Dimanche 19 août 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Sept heures
Vous trouvez la conduite du Pape insensée. Peut-être. Mais tenez pour certain que, s’il suit les conseils de MM. Od. Barrot et de Tocqueville, il se tue infailliblement, lui et la Papauté. C'est là ce qu'on lui demande, car on lui demande de donner à Rome une Constitution, ou l’apparence d’une Constitution. Or en fait de Constitution, aujourd’hui, il n’y a plus de mensonge possible ; l’apparence, c’est bientôt la réalité, ou l’anarchie. Une constitution à Rome, c’est le Pape mort et Mazzini ressuscité. Les amis de Mazzini savaient très bien ce qu’ils faisaient quand ils ont assassiné Rossi. Je ne sais pas si Rossi serait devenu un grand homme, mais il était en train de le devenir. Lui aussi avant d’être à Rome Ambassadeur et Ministre, il avait cru et aspiré, là à une Constitution. Même pendant son Ambassade, j’ai souvent retrouvé dans ses lettres d'abord cette espérance, puis un désir sans espérance, puis un regret sans désir. Puis à la fin de son Ambassade, et surtout quand il est devenu Ministre du Pape, je suis convaincu qu'il ne croyait plus et qu’il ne tendait plus à une constitution romaine. Il voulait sérieusement avant tout, le maintien de la Papauté, la dernière grande chose de l'Italie comme il le disait à Grégoire XVI, et la chose nécessaire à l’Europe. Il avait compris que la Papauté et la constitution, le Pape coupé en deux, infaillible comme souverain spirituel, responsable et discuté tout le jour comme souverain temporel, cela était impossible. Rossi se détournait de cette chimère, et se mettait avec ardeur à une autre œuvre, à la reforme réelle, efficace, de la détestable administration romaine de ses abus de justice, de finances de police, de gouvernement intérieur subalterne, de petit et inintelligent népotisme. Il voulait donner, dans toutes ces affaires-là, satisfaction aux intérêts quotidiens de la population romaine, et une part de pouvoir, de pouvoir décisif à la portion, un peu riche et considérable, et laïque de cette population. Il y a deux choses impossibles aujourd’hui à Rome comme ailleurs ; l’une, qu’on prenne de l'argent à tort et à travers dans les poches du public qu’on dépense à tort et à travers l’argent pris dans les poches du public, qu'on juge à tort, et à travers les procès du public, qu’on ne paye pas ses dettes au public qu’il n’y ait point de sureté sur les routes, point de réverbères dans les rues, des imbéciles et des fainéants dans les fonctions publiques ; l'autre, que toutes ces affaires-là, qui sont les affaires des familles qui sont le peuple, toutes les affaires civiles de la population laïque, soient, en réalité et en définitive entre les mains et sous l'influence des ecclésiastiques ; je dirais des prêtres si je voulais reproduire le sentiment qui s’attache aujourd’hui à ce mot, à cause de ce fait. Le Prince de Metternich dit, et m'a dit que le fait n'existait plus, que depuis 1831 l'administration civile Romaine avait été sécularisée et était entre les mains des laïques. M. de Metternich se trompe ; certains changements, il est vrai avaient été faits dans ce sens ; changements vains, pures apparences nominales et dilatoires. Le pouvoir efficace, définitif, dans l'administration civile comme ailleurs était toujours entre les mains du Clergé ; et les abus choquants, l’inertie insurmontable, l'incapacité ridicule de cette administration subsistaient toujours. Ce sont là les deux choses que Rossi voulait changer. Il voulait que l'administration civile des Etats Romains devînt réellement bonne, et que pour devenir bonne ; elle devînt essentiellement laïque. C’est dans les limites et vers ce but que de mon temps, je l’ai constamment ramené, et qu’il avait fini lui-même par se diriger positivement. Il croyait, et je croyais aussi que cela se pouvait faire en laissant intacte, non seulement la souveraineté spirituelle du Pape, mais sa souveraineté temporelle et en n'enlevant point, non seulement l’autorité souveraine dans l’Eglise mais le gouvernement politique de l'Eglise et des Etats Romains, au Pape et au grand régiment ecclésiastique, Cardinaux et autres, dont il est et dont il doit être entouré. Avais-je raison de croire cela possible ? Rossi a -t-il eu raison de l’entreprendre ? Il y a de quoi douter et discuter. La manie des constitutions, c’est-à-dire la manie d'appliquer partout, à tort et à travers dans les plus petits pays comme dans les plus grands, les plus grosses, et plus fortes machines de gouvernement, cette manie stupide est devenue bien générale et bien intraitable. Ce n’est plus une question de bon gouvernement et de garantie pour les droits ou les intérêts réels des citoyens ; c'est une question de bruit et de vanité. Il faut que chaque état soit une salle de spectacle où tout le peuple soit tour à tour acteur ou spectateur et dont le plus souvent possible, le monde entier entende parler. Il se peut que la population Romaine, la population bruyante, et remuante qui entraine ou annule le reste, veuille cela absolument, et que la meilleure et la plus laïque administration civile ne suffise pas à la contenter. Cependant je ne le crois pas. Je crois qu'avec l'adhésion claire et l'appui concerté des grands gouvernements européens, le Pape pourrait faire prévaloir cette politique là. Je crois en tout cas que c’est la seule à tenter, car c’est la seule qui ait des chances de succès. Hors de là, on alternera entre Mazzini et les petits abbés, deux pouvoirs également impossibles aujourd'hui et qui, l'un et l'autre, mènent Rome à sa ruine, et l’Europe à un perpétuel embarras. au sujet de Rome.
En voilà bien long, si long que je n'ai pas le temps de vous parler d’autre chose. Soyez tranquille ; je vous répète que je ne serai point de Conseil général. J'ai fait ce qu’il fallait pour cela. L’élection se fait aujourd’hui. C’est un conservateur de mes voisins M. Thiron, qui sera nommé. Adieu, Adieu. Adieu. Je vais faire ma toilette
Onze heures
Votre lettre est très intéressante, ne vous occupez pas de le sœur de Chopin. Elle a eu un passeport et est arrivée à Paris, une permission de six semaines. Adieu, adieu, adieu. G.
Richmond, Mercredi 22 août 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
J’ai livré à lord Melbourne. Votre lettre sur le Pape. Il en raffole. Elle est admirable. (Il me l'a rendue cependant, mais lue tout à loisir.) C’est dommage que Metternich a tort une fois. dans cette lettre car du reste elle lui ferait un grand plaisir. Nous n’avons rien de nouveau par ici. Mais évidemment la guerre de Hongrie touche à sa fin. Dans huit jours j'espère apprendre le dénouement. Ce sera une grande affaire de terminée après cela cependant viendront pour le gouvernement autrichien les plus grosses difficultés. Vous savez qu'il a demandé à la Bavière 20 m. d'hommes pour venir garnisonner Vienne. Quelle situation pour ce grand empire ! Lord Palmerston est toujours et restera toujours bien hostile à l’Autriche. Il l'est un peu à nous maintenant. Ah comme Melbourne le déteste !
J'ai fait mon luncheon hier chez la duchesse de Glocester. Rien, qu'une excellente femme, et qui aurait bien envie que je passasse l’automne à Brighton avec elle. Mon fils est venu me voir hier. Il a pauvre mine, il est sans cesse malade à Londres et il est trop paresseux pour quitter sa vie de club. Brünnow est à Brighton, il n’y a vraiment personne à Londres. Lord Ponsonby écrit de Vienne à Lord Melbourne une excellente lettre. Toujours occupé à empêcher les personnalités entre Lord Palmerston & le Prince Schwarzemberg. Quand aux affaires de Hongrie, il n’a plus l'ombre du doute. Nous écrasons l’insurrection. L'Empereur sera bien content.
2 heures
Voici votre lettre. Curieux portrait de Lamoricière. Ce doit être vrai. Duchâtel vous mande exactement ce qu’il m’a mandé à moi. Il est clair que la durer de ceci n’est pas possible. Mais d’où partira l’explosion ? Que je voudrais qu'elle se fit vite ! Je n’ai plus aucun goût aux événements ; Je voudrais trouver les choses faites. Adieu. Adieu, vous voyez que je suis stérile aujourd’hui. Adieu.
Val-Richer, Mercredi 29 août 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures et demie
Je me lève tard. Je suis rentré tard hier. 37 personnes à dîner. On s'est mis à table à 6 heures et demie. Sorti de table à 8 et demie. En voiture à 9 heures un quart. 6 lieues à faire. Par le plus beau temps, et la plus belle lune du monde. J’étais un peu fatigué de m'être tenu trois heures sur mes jambes à me promener dans un assez joli parc montant et descendant, sur le flanc d’un côté. J’ai très bien dormi. Je ne pouvais refuser cette invitation-là. C'est le manufacturier le plus considérable de Lisieux, et qui m'a été le plus hautement fidèle. Je refuse toutes les invitations ordinaires. Il y avait là deux membres de l'Assemblée législative ; modérés parmi les modérés, mais à peu près convaincus que le Cabinet Dufaure ne tiendra pas quand l’Assemblée reviendra. Passy, Lacrosse et Tracy à peu près certainement. Dufaure et Tocqueville probablement. Pour mon compte, je n'y crois pas, et je les en ai plutôt détournés ; du moins pour Dufaure et Tocqueville. Si l’Assemblée avait de quoi les remplacer par un cabinet décidé, et capable qui eût vraiment envie de gouverner, et qui pût, en tenant toujours la majorité unie, la conduire fermement à son but, à la bonne heure. Mais cela n'est pas ; Molé et Thiers, les seuls plus capables veulent et ne veulent pas du pouvoir. Et s'ils le prenaient très probablement la majorité se diviserait au lieu d'avancer. Je suis pour qu’on redoute, et améliore par degrés le Cabinet actuel, sans toucher aux grosses pièces.
La fin de l'affaire de Hongrie tue la politique extérieure. On n'y pense plus. Rome seule embarrasse encore. On voudrait bien en sortir vite, et on n’ose pas trop si on n’y fait pas prévaloir, un peu de politique libérale. On finira par oser et par s’en aller quand même si le Pape ou son monde continue à résister. Le gouvernement actuel n’est pas, en état de pratiquer à Rome le bonne politique. Il ne la sait pas, et s’il la savait, il n’oserait pas l'avouer. Et pour la pratiquer avec succès, la première condition c’est de l'avouer très haut, et d’en faire une politique de l’Europe envers Rome ; politique adaptée, conseillée, soutenue et payée à Rome par les Puissances catholiques. Un Budget du Pape, comme chef de l'Eglise catholique, réglé et alimente de concert par les Puissances catholiques est le seul moyen d'assurer le succès de cette politique. Il faut que le Pape puisse vivre comme chef de l’église catholique, et en soutenir le grand état-major dont il est entouré sans être obligé de pressurer, par tous les abus imaginables, le petit pays dont il est le souverain temporel. Les Papes d’autrefois vivaient avec les revenus très gros qu’ils tiraient par toutes sortes de voies, les unes reconnues, les autres contestées, des états catholiques. Aujourd’hui, ils ne retirent plus rien, ou presque plus rien, du dehors ; et on veut qu’ils restent vraiment Papes, qu'ils gardent, et qu’ils soutiennent tous ces cardinaux, tout ce clergé, tout ce peuple d'ecclésiastiques qui est le cortège et l’armée de la Papauté ; et il faut que les petits états Romains suffisent à tout cela. C'est impossible. Cette fourmilière de prêtres ne peut pas vivre aux dépens de ce coin de terre sans un irrémédiable déluge d'abus. Que la Papauté soit épousée et soutenue par toute le catholicité ; et le Pape pourra laisser la population des états Romains faire elle-même ses affaires locales les discuter et les régler dans les communes dans les Provinces, sans que la souveraineté temporelle et spirituelle du Pape lui-même soit entamée, tant qu’on n’entrera pas ouvertement, et en disant pourquoi, dans cette voie, on s'embourbera de plus en plus dans les embarras et les complications dont on ne sait comment sortir.
Onze heures
J’ai été interrompu par la visite d’un ancien député conservateur, M. Leprevost. On m’arrive quelques fois à 9 heures du matin, quand on a couché la veille à Lisieux. Vous voyez que Rome est une de mes questions favorites. Je croyais avoir trouvé et commencé là quelque chose qui pouvait réussir, et qui valait la peine qu’on le fit réussir. Votre lettre de Dimanche et lundi arrive, et j’ai ma toilette à faire. Adieu. Adieu, adieu. G.
Richmond, Jeudi 13 Septembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Jai vu hier lord John ; il me paraît parfaitement convaincu que vous allez à l’Empire. " Très préoccupée de Rome. Je lui ai lu votre lettre à ce sujet, il est fort approbatif, cependant j’ai cru voir qu’il ne regarde pas comme impossible de faire vivre la papauté avec un Parlement. Ce parlement ne s’occuperait pas des finances par exemple. Lord Minto était présent. Il a retrouvé dans votre lettre tout ce que Rossi lui avait montré, dans ce temps de votre correspondance. Très peu d'espoir du côté du Pape. Excellent homme, sans esprit. Enorme indignation de [?] de publier certain livre de Gioberti. Gioberti reçu par le pape avec tant de bonté, il y a un an encore. Enfin on voit un parti pris de réaction violente et cela amène à toute extrémité. Les français ne peuvent pas. reculer. Enorme embarras. Normanby a été à Champlatreux il y a rencontré Odilon Barrot. Le général français va nommer une commission de gouvernement à Rome, pour s'opposer aux cardinaux. Voilà tout John Russell hier.
J'oublie évidemment de l’inquiétude de cette réunion des mauvais esprits de tous les coins de l'Europe à Londres. Liaison intime et patente entre eux & les Chartistes. Travail pour révolutionner partout. Céphalonie n'inquiète pas beaucoup. Je voudrais que les anglais passassent par l'épreuve d’une insurrection. Comme ils y iraient rondement ! J’ai dîné hier chez lady Allice avec lord Somerton. Aujourd’hui l'on dîne chez moi. J’ai vu Mad. de Metternich. Son mari ne dit aucune opinion il est perplexe. Il ne croit pas que le pape cède. Evidemment Vienne a les Russes en horreur. On ne nous pardonne pas notre secours. Avez-vous remarqué la sécheresse de nos pièces officielles ? Exécution très froide de l’Autriche, ou pas d'exécution du tout. Je n’ai plus vu les Collaredo depuis quinze jours. Auparavant ils venaient au moins une fois la semaine, Metternich ne sait où aller, je crois que ce sera Bruxelles. 1 heure. Ni lettre, ni journaux ce matin. La malle n’est pas arrivée, peut être gros temps sur mer. Je ferme donc sans avoir eu mon plaisir. On me dit que lady Holland est partie en toute hâte de Paris pour venir trouver son mari malade du choléra à Holland house. Je saurai dans la journée si c’est vrai. Adieu. Adieu.
Le temps est à la pluie, beaucoup de vent, cela ne va pas à mes yeux. Adieu. On me dit que le duc de Bedford est devenu très protectionniste. Lord Palmerston avait auprès de Kossuth un commissaire appelle Wight. Je demanderai à John Russell s'il savait cela.
Richmond, Mercredi 19 Septembre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Journée froide hier, & pas de visites. Je n’ai vu que les Metternich & Mad. de Caraman. Je ne devrais pas dire qu’elle m’ennuie par ce qu’enfin elle vient rompre ma solitude et qu’elle le fait avec ma nièce de dévouement et de plaisir. Mais à vrai dire si je n’étais pas rude ce ne serait guère endurable. Si peu naturelle, & si peu de fond ! Mais elle chante ; un peu faux c’est vrai mais très bien. Son talent pour le dessin est merveilleux & ses ressemblances frappantes. Seulement je n’ai Aucune patience, et je ne veux pas poser. Ah l'ennui mon ennemi !
Lord Aberdeen m'écrit souvent Il me dit : "The letter of the President, was an act of great imprudence, and a a piece of insolence offered to the whole word. His own ministere has also good cause to be offended." Quant aux conseils donnés au Pape dans cette même lettre il les trouve de nature à être parfaitement acceptés ; et dit d'eux comme Lord John qu’ils sont élastiques. Le Times de ce matin a un article admirable sur la conduite de la Russie, comparée à celle de l'Angleterre.
1 heures. Votre lettre, et Constantin, & Beauvale. Constantin décrit le désespoir de l'Empereur, énorme, déchirant. Il a dit à Constantin. "Allez chez mes sœurs, & ma fille. Dites leur mon malheur, je ne puis pas écrire." Constantin m'écrit de Weymar, et va de là à Stuftgard, & La Haye. Beauvale curieux. On a donné une constitution à Malte. Le conseil législatif composé de Jésuites intolérant. Refusant refuge même aux malades & blessés. Palmerston choqué, furieux. John Russell & Lord Grey soutenant le gouvernement que Palmerston veut faire chasser. Que va-t-il se passer Beauvale conclut. Garderons-nous Grey ou les colonies les deux ne peuvent pas exister. Le Cap & le Canada en pleine insurrection. Il me semble que je vous ai parlé hier de Malte. Vous aurez vu que John Russel approuve la conduite du gouverneur. Adieu. Adieu. Je n’ai pas lu mes lettres encore. Une longue de Berlin adressée à Beauvale & qu’il m’envoie. S'il y a quelque chose, je vous le manderai. Adieu.
Val-RIcher, Mardi 9 octobre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Pas un mot des affaires de Constantinople ; ce qui me prouve qu’à tort ou à raison, on n'en est guère préoccupé. Mercredi 10, Huit heures Je me lève tard et je me suis couché hier de bonne heure. J'avais un peu mal à la gorge. Je vais mieux ce matin. J’espère que la pluie va cesser et le froid sec commencer. Je l’aime beaucoup mieux. Ma maison ferme mieux que je n'espérais. J’ai de bon bois et je ferai de grands feux, presqu'au moment où j'irai me chauffer dans ma petite maison rue Ville-l'Evêque et votre bonne chambre rue Florentin. Vous ne m’avez pas dit si vous aviez quelqu'un en vue pour vous accompagner. Quel plaisir (petit mot) si nous pouvions passer tranquillement notre hiver dans nos anciennes habitudes ! Je me charme moi-même à me les rappeler. Hélas connaissez-vous ces trois vers de Pétrarque : Ah ! Nostra vita, ch'e si bella in vista, Com' perde agevolmente, in un matino, Quel che'n molti anni a gran pena s'acquista ! « Ah, notre vue, qui est si belle en perspective, comme elle perd aisément, en une matinée ce qui s’acquiert à grand peine, ou beaucoup d’année ! " Je crois que je vous fais injure et que vous savez bien l'Italien. Onze heures Voilà votre lettre. Nous causerons demain. Je persiste toujours à n'avoir pas peur. Adieu Adieu, adieu. G.
Mots-clés : Circulation épistolaire, Guerre, Inquiétude, Politique, Politique (France), Politique (Internationale), Politique (Italie), Politique (Russie), Politique (Turquie), Politique (Vatican), Relation François-Dorothée, Réseau social et politique, Révolution, Vie domestique (François), Vie quotidienne (François)
Richmond, Jeudi 11 octobre 1849, Dorothée de Lieven à François Guizot
Les paquets, les comptes, les adieux, voilà à quoi je suis occupée ici, & ce qui m'attend encore à Londres. Je suis fatiguée de ce présent et de ce futur, et je voudrais vous écrire longuement tout ce que je sais et je n’ai eu le temps ni les yeux. Lord Palmerston se vante que toutes ses dépêches à Pétersbourg, Constantinople, Vienne, & amiral Parker, sont des plus douces, & conciliantes pas un mot qui puisse nous blesser. Lord John m'a l’air tranquille. Il s’inquiète maintenant de Rome, du consulat français. La reine a été très fâchée de la résolution du Cabinet de soutenir la Turquie. Elle nous est très favorable, mais il a fallu céder. Collaredo m'a fait une longue visite hier. Très ouvert. Trés en blâme de la conduite ici mais parlant toujours de la querelle. avec la Russie sans y mêler l’Autriche, quoique Sturner ait agi comme Titoff. Nos diplomates ici blâment ces deux messieurs. Ils se seraient trop pressés. Au fond c’est seulement cela qui fait le bruit ici et l'embarras. Car le droit de l’Empereur est pleinement reconnu, il demande ce que les traités lui donnent le droit de demander. Et la porte ne veut pas répondre, elle envoie un extraordinaire pour expliquer l’opinion est générale que cela s’arrangera. Mon fils qui est venu hier a été très frappé de vos conjectures. On me presse bien d’aller à Brockett Hall. Les Palmerston y sont. Elle m'écrit que son mari fera tout pour me plaire. Beauvale est bien pressant aussi. Ce n’est pas possible. Le temps devient rude, il faut que je parte. Depuis lundi vous adresserez votre lettre à Boulogne. Je voudrais déjà avoir passé cette mer ! Adieu. Adieu. Adieu.
Un petit mot lundi à Londres aussi pour tous les cas. Il n’y a pas un mot de vrai au changement de Ministère à Vienne. Adieu. Adieu.
Val-Richer, Mardi 16 octobre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
8 heures
Je ne pense pas que même en essuyant aucun retard, vous puissiez être demain soir à Paris. Vous ne partirez certainement pas de Boulogne aussitôt après votre arrivée. Vous y coucherez. Mais je ne veux pas courir la moindre chance qu'en arrivant à Paris vous n'y trouviez rien de moi. C'est bien assez de n’y pas être moi-même. Boislecomte est ici jusqu’à demain soir. Nous avons déjà beaucoup causé. Très noir, mais point démoralisé. Croyant à un avenir possible, mais lointain. Vous en saurez bientôt plus que je ne puis vous en dire. Il me paraît que pour le moment. Rome n’est plus rien. Constantinople pas grand chose ; c’est l'adoption, ou le rejet, ou l'ajournement de la proposition sur les rois bannis qui est la grosse affaire. La réunion du conseil d'Etat en a été bouleversée. Je doute que la majorité reste longtemps intacte et immobile. Il faudra qu'elle avance. Et si elle avance, elle se divise. Etrange pays, où tout le monde parle sans cesse de progrès, et où personne n'en fait aucun ! Cependant j’ai une lettre de Piscatory qui croit l'affaire de Constantinople grosse. Il en est très occupé, ou plutôt préoccupé. La majorité ne paraît avoir aucun goût à s'embarquer, dans la barque de Lord Palmerston. C'est le président qui porte tout son poids de ce côté. Adieu, adieu. Quand vous m'écrirez de Paris, vous m'enverrez les faits, je vous renverrai mes réflexions. En attendant que faits et réflexions nous soient communs. Adieu, adieu, adieu.
P.S. Voici, en résumé, les deux faits. qui me sont signalés comme nouveaux et importants. 1° La France est à la remorque et à la merci de l’Angleterre dans l'affaire de Constantinople. C'est le président qui l’y a mise. Son cabinet était divisé. Molé et Thiers lui conseillaient de n'en rien faire. 2°. La majorité s’est séparée, ou est près de se séparer du Président, sur Rome, sur Constantinople et sur le rappel des bannis. Pronostics d'immense confusion. Armand Bertin était attaché à l'Ambassade de M. de Châteaubriand. Un soir en rentrant M. de Châteaubriand lui dit : " Madame de Lieven me traite bien mal. Elle ne sait pas à qui elle a affaire ni quels sont mes moyens de me venger. Certainement je me vengerai ? " Votre article d’Outretombe a été écrit alors de verve de vengeance. Il y a ajoute depuis ce qui me regarde. Je vous dis ce qu’on vient de me dire. Je ne l’ai pas lu.
Onze heures
Merci de votre second mot de Londres. Adieu, adieu. G.
Val-Richer, Dimanche 28 octobre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
7 heures
J’ai devant moi, sur mon jardin et ma vallée un brouillard énorme, pas anglais du tout, bien brouillard de campagne normande. Il fera beau à midi. Les bois, par ce beau soleil étaient charmants il y a quelques jours ; toutes les nuances possibles de vert, de rouge, de brun, de jaune. A présent, il y a trop peu de feuilles. Dans quinze jours, il n'y en aura plus. J’irai chercher à Paris autre chose, que des feuilles. Je vous y trouverai. Et puis, quoi ? J'ai beau faire ; je ne crois pas à l'Empire. Et pourtant, on ne sortira pas de ceci en se promenant dans une allée bien unie.
J’arriverai à Paris sans avoir fini mon travail. Il sera très près de sa fin, mais pas fini. Il me plaît, et je crois qu’il m'importe. Je ne veux le publier que bien et vraiment achevé. J'aurai besoin, chaque jour, pendant trois ou quatre semaines de quelques heures de solitude. Je les pendrai le matin, en me levant. C'est mon meilleur temps. Je ne recevrai personne avant 11 heures. On me dit que j'aurai bien de la peine à me défendre, qu’on viendra beaucoup me voir. Amis et curieux, tous oisifs. Je me défendrai pourtant. Je veux garder pleinement mon attitude tranquille et en dehors. Je n'ai rien à faire que de dire, quelquefois et sérieusement, mon avis.
Que signifie le retard prolongé de Pétersbourg ? C'est plutôt bon, ce me semble. Les partis pris d'avance sont prompts. Avez-vous fait attention aux lettres du correspondant du Journal des débats, de Rome, leading article. Je connais ce correspondant. On finira par s’en aller de Rome, purement et simplement. La question de Rome ne peut être résolue qu'Européennement. Il faut que Rome redevienne une institution européenne. Elle était cela au moyen âge. C'était les Empereurs et les rois d’Europe qui intervenaient sans cesse dans les rapports du Pape avec l’Italie, et qui les réglaient après les grands désordres. Il y avait des révolutionnaires dans ce temps-là comme aujourd’hui et ils chassaient aussi le Pape. La non-intervention dans les affaires du Pape est une bêtise que l’histoire dément à chaque page. Seulement l’intervention est obligée d'avoir du bon sens. On est intervenu pour le Pape, et maintenant on voudrait faire à Rome autre chose qu’un Pape. J’espère que le Général d’Hautpoul qu’on y envoie, sortira un peu de l'ornière où l'on est. C’est un homme sensé, et un honnête homme. En tout, les militaires se sont fait honneur là, généraux et soldats. Il faut qu’il s’en trouve un qui ait un peu d’esprit politique. J’ai oublié hier ceci ; matelas et non pas matelat.
Midi
M. Moulin (un des meilleurs de l’assemblée) m’arrive pour passer la journée avec moi. Votre lettre est bien curieuse et d'accord avec ce qu’il me dit. Adieu, Adieu. Adieu. G.
Val-Richer, Jeudi 1er novembre 1849, François Guizot à Dorothée de Lieven
Huit heures
Voici enfin, le mois où nous nous retrouverons. Je ne crains pas que les amertumes, dont avant-hier vous m'avez envoyé un trait résistent à la présence réelle. La vérité vous saisit et chasse de vous l’erreur. Mais elle ne l'empêche pas de revenir. J’ai bien envie de vous dire une fois tout ce que je pense de la source de cela. Quand on a vécu quelque temps séparés en pensant toujours, on s'étonne de tout ce qu’on ne s’est pas dit. Que de silences, de réticences, de voiles dans une bien grande intimité! C’est bien dommage. Il y a un point où l'on arrive bien rarement, mais où, quand on y est arrivé, ce qui est incomplet devient intolérable. Il faut pourtant s'y résigner. Je suis charmé que le Duc de Noailles soit à Paris. Je me promets que nous causerons beaucoup. Non seulement il est très sensé et très honnête, mais je me figure qu’il y a en lui quelque chose de plus qu’il ne montre. J’aime les gens dont je n‘ai pas vu le bout. J’ai eu hier ici un autre ancien député conservateur du midi. Il avait une lettre de son fils, jeune maréchal des logés dans un régiment de chasseurs à Rome. Voici les termes. « Nous nous ennuyons bien ici. Nous ne savons pas pour qui ni pourquoi nous y sommes. On nous fait changer tous les jours notre fusil d’épaule ; demi-tour à droite, demi-tour à gauche. Le Pape devrait bien revenir pour que nous nous en allions. Voilà le sentiment populaire dans l'armée. Je vois venir un bien autre embarras. Le Pape dira, ou donnera clairement à entendre qu'il ne reviendra à Rome que lorsque les Français n'y seront plus. Et alors comment s'en ira-t-on. S’en aller, ce sera être chassé par le Pape. J'admire ce que la bonne politique peut devenir, entre les mains des sots. Ici aussi le coup d'état est dans l’air ; c’est-à-dire qu'on en parle car je ne trouve pas qu’on y croie. Quel qu’il soit s’il se fait sans le concours de l'assemblée et du général Changarnier, ce sera un triste coup de cloche. Le Président a beaucoup perdu dans les campagnes mêmes. Il ne me paraît plus en état d’agir seul. Comme de raison, il me vient bien des messages empressés et obscurs. C'est l’état de tous les esprits. Il m'en vient d’Emile de Girardin toujours, en ébullition. Il me paraît que la présidence du Prince de Joinville est décidément son idée du jour, et qu’il se propose de la pousser chaude ment à travers le premier nouveau gâchis. Je ne sais plus quelle importance conserve encore son journal. Je le vois toujours assez rependu pour nuire. Et l'homme a, dans ce genre, une vraie puissance.
Midi
Voilà un nouveau cabinet qui m’arrive. Ce n'est évidemment qu’une préface. Quel déplorable et ridicule gâchis ! J’ai la conviction que tout cela ne sera que ridicule. Il faudrait que les honnêtes gens fussent plus sots que les sots pour se laisser déposséder et mâter avec les forces qu’ils ont entre les mains. Je suis charmé que vous vous inquiétiez moins. Quand serons-nous réunis ? Adieu, Adieu Adieu. G.
Val-Richer, Mercredi 24 juillet 1850, François Guizot à Dorothée de Lieven
7 heures
Partant dans quatre jours pour aller vous voir, il me semble déjà que ce n'est plus la peine de vous écrire. D’aujourd’hui en huit, nous causerons, s'il plaît à Dieu comme disent toujours mes amis anglais, qui ont raison. Certainement, nous avons beaucoup à nous dire ; il n’y a point de temps si stérile en événements qui le soit, entre nous, pour la conversation. Et puis, on appelle aujourd’hui stérile toute semaine qui n'amène pas quelque grosse chose. Je me défends de cette disposition qui est, au fond, celle qui fait faire, de nos jours, tant de sottises. Je tâche de ne pas m'ennuyer de ce qui dure et de contenter ma curiosité à meilleur marché que des révolutions.
J’ai des nouvelles de Rome. Le Gouvernement du Pape ne s’y rétablit guère ; mais l'ébranlement s’apaise. On oublie le passé et l'avenir. On vit au jour le jour, en rentrant dans les anciennes habitudes. C’est un repos qui reste à la merci d'une poignée de conspirateurs et d’une occasion. Le Pape est dans Rome, mais Mazzini n’est pas vaincu. Il faudra que l’armée française reste là longtemps. Et quand elle quittera Rome elle restera encore longtemps à Civita Vecchia. Personne n’y pense et ne s'en soucie. Lord Palmerston aurait bouleversé, l’Europe pour me chasser de là. Peu lui importe que la République y soit. Il a raison. La République, pour garder Rome, n'en est pas plus puissante en Italie ; pas plus que la sentinelle qui garde la Banque n'en possède les trésors. Quand les révolutions sont à la porte, les gouvernements ne sont plus que des sentinelles. La question italienne est insoluble. Autrefois, on se résignait aux questions insolubles ; on cessait d’y penser. Aujourd'hui, on ne se résigne à rien : on pense toujours à tout. Aussi la force matérielle doit être toujours partout. L’Etat de siège devient l'ordre Européen.
10 heures
La Commission permanente est nommée bien péniblement, et bien mêlée. L'opposition légitimiste et montagnarde a fait passer plusieurs des siens. Le gâchis augmente. La nouvelle querelle de Changarnier avec le Ministre de la guerre est encore replâtrée, mais cela ne peut guère aller loin. Le Président, ne pourra pas soutenir toujours d’Hautpoul.
Ce que vous me dites d'Angleterre me préoccupe. Si la Chambre des communes se met aussi à démolir son propre gouvernement, cela finira par mal tourner. Adieu, adieu. J’ai plusieurs petites lettres à écrire et mon facteur ne peut pas attendre longtemps aujourd’hui. Adieu G.
Paris, Vendredi 8 octobre 1852, Dorothée de Lieven à François Guizot
Je donnerai cette lettre à votre petit ami. Mais elle ne méritera pas une si bonne occasion. J’ai vu du monde. Je ne sais pourquoi l’idée s'établit, qu’il n’y aura pas d'empire de sitôt. [Kisseleff] s'en va persuadé de cela tout-à-fait. D’un autre côté hier soir Valdegamas affirmait que le Pape viendra sacrer l’Empereur. Le Nonce qui était là, a seulement répondu que dans son discours de Lyon le Prince a rappelé que l’Empereur Napoléon a été sacré par le Pape. J’ai trouvé cette réponse un peu compromettante.
Je ne sais rien d'Angleterre. Je ne crois pas que Cowley ait été dans le cas de reparler du lac. Le duc de Noailles est venu pour un moment. Il n’a plus qu'une idée fixe. La peur qu'on n'assassine le Président. Il ne pense pas à autre chose. Il voudrait lui donner 50 ans de vie & de pouvoir. Si l’Empire se fait, le chiffre sera une question. N. III effacerait les deux monarchies, cela n'est pas admissible. Louis Napoléon serait le plus naturel.
Midi 1/2 Dans ce moment je reçois une lettre d’Ellice père qui m’annonce la mort de Fanny. Je suis dans un grand trouble pour cette pauvre Aggy. Comment le lui dire ? Enfin je m'en tirerai. Le père me prie ou supplie de la garder chez moi c’est bien ce que j’entends, mais comme je crains son élan vers Marion écrivez lui un mot (à Aggy) Very impressive à votre façon pour lui dire que vous savez que son Père veut absolument qu’elle ne retourne pas, et que par dessus le marché ce serait cruel & inhumain de m'abandonner malade. Enfin regardez comme impossible qu'elle songe à me quitter même pour 8 jours. Tout à fait inutile. Je vous prie écrivez bien. Le Père veut que Marion vienne ici avec l'oncle en décembre, il m'a l'air d’avoir grande envie de se débarrasser de ses enfants. Adieu. Adieu vite.
6. Val Richer, Jeudi 2 juin 1853, François Guizot à Dorothée de Lieven
9 heures
Le journal des Débats m’a manqué hier, je ne sais pourquoi. C'est comme si toute la politique me manquait. Il devrait traiter votre question en pleine connaissance de cause et sensément. Je doute que votre politique expéditive soit pratiquée. On craint trop les conséquences de toutes choses pour rien commencer vite. Sauf ce que vous m'écrivez, et ce que je vous écris, il est impossible de penser moins que je ne le fais à ce qui se passe.
Je ne m'occupe que de ce qui se passait il y a deux cent ans. Il y a deux cent ans précisément, Cromwell chassait, en personne le Long Parlement et se faisait Protecteur. Je m'amuse parfaitement à le regarder faire et à le raconter. On m'écrit de Londres pour me presser instamment de publier, mon livre cette année même, au mois de décembre, pour l’anniversaire du protectorat. Partout on se plaît aux coïncidences de dates. Je crois que je leur donnerai cette satisfaction.
Vous ne vous souciez guère de la Chine. Cependant le Galignani me dit que les agents anglais et Français ont promis le secours de leurs vaisseaux pour empêcher cet Empire là de tomber. Soutenir deux Empires à la fois en Orient, c’est beaucoup. La coïncidence est singulière. Je suppose qu’elle ne vous plait pas davantage dans l'Orient asiatique que dans l'Orient européen. Mais vous n'êtes pas engagés à protéger les Chinois contre les Tartares comme les Grecs contre les Musulmans. Bizarre spectacle que celui du monde aujourd’hui ! Ce sont des hérétiques, et des schismatiques qui s'en partagent ou s'en disputent la domination. Le Pape ferait plus sagement de voir en eux des Chrétiens que de s'obstiner à les anathématiser, comme au temps où les catholiques dominaient partout. Je suis encore plus frappé de la décadence d’esprit de la cour de Rome que de celle de sa force. C'est dommage.
Onze heures
Le rappel de Brünnow serait drôle. J’ai point à y croire. Les Débats sont curieux en effet. Ils ont raison. Adieu, adieu. Vous avez raison de ne prendre personne à la place de votre Allemand. Marion vaut un homme et une femme. Adieu. G.
Val-Richer, le 1er septembre 1859, François Guizot à Louis Vitet
Mots-clés : Académie française, Amis et relations, Benckendorf, Dorothée (1785?-1857), Discours du for intérieur, Europe, France (1852-1870, Second Empire), Mémoires (Guizot), Napoléon III (1808-1873 ; empereur des Français), Politique (Autriche), Politique (Italie), Politique (Vatican), Réception (Guizot), Suffrage universel