Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


Votre recherche dans le corpus : 360 résultats dans 3296 notices du site.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L004/MF-G-L#004_00534.jpg
350. Londres, Vendredi 24 avril 1840
9 heures

Il y avait plus de monde hier à Holland house que je ne comptais et des ennuyeux. Lady Holland, en était très impatientée. Elle avait voulu m’avoir en petit comité. Elle me l’avait dit. Deux ou trois personnes lui ont fait demander à dîner. J’ai beaucoup causé avec Lord Holland. Il est bien occupé de nous et si je ne me trompe bien content de moi. Lord et Lady Tankerville étaient là. Lady Tankerville est en coquetterie, avec moi. Mais quelle coquetterie ! Je n’ai vu aucune femme supprimer aussi absolument sur ses épaules et sa poitrine, toute espèce de fichu, de linge, et n’avoir absolument que sa robe et sa personne. On rit trop des plaisanteries de M. Sidney Smith. On rit avant, pendant, après. Et il plaisante trop sur les évêques et les sermons. D’autant plus trop qu’il a aussi sa part de timidité envers sa robe. Il n’ose plus dîner hors de chez lui le dimanche, et il n’ose pas le dire à Lady Holland, qui l’invite le Dimanche pour le plaisir de l’embarrasser.
Je vous ai envoyé hier le fait général qui caractérise et domine la situation. Voici quelques faits de détail. Lord Palmerston est toujours obstiné, mais obstiné avec doute et inquiétude. Je ne crois point qu’il ait changé de résolution. Je le crois ébranlé dans sa certitude et encore plus dans sa confiance. Le doute et l’inquiétude ont fait, beaucoup de progrès autour de lui, dans le public, dans les chambres, dans le Cabinet. On s’aperçoit, on se dit qu’il y a bien des côtés de la question, bien des intérêts auxquels il n’avait pas pensé, et qui sont compromis par son plan de conduite. Il a le sentiment de ce qu’on pense et dit à cet égard autour de lui. Il s’en défend avec mal aise. Il se sent dans une impasse. Il serait bien aise qu’une bonne porte s’ouvrit pour en sortir. Evidemment bonne, car il tient beaucoup à ce qu’il a fait, à ce qu’il a dit et n’y renoncerait qu’à contre-cœur, même quand il croirait sage d’y renoncer. Aussi, bien qu’il fût content de trouver la porte, il ne la cherche pas. C’est moi qui la cherche. Et je ne suis pas seul à la chercher. Les meilleurs amis de Lord Palmerston et il en a beaucoup, seraient charmés de la trouver. Décidément M. de Brünnnow est un subalterne occupé de pousser sa fortune, en flattant les passions de son maître non de servir une politique. Bien des gens s’en apercoivent et quelques uns le disent. Il embarrasse beaucoup et pèse peu. Le déficit du revenu est une grande préoccupation. D’autant que le moment approche de le déclarer et de demander des taxes nouvelles. Le Chancelier de l’échiquier présentera son budget après Pâques. Toute nouvelle affaire, toute perspective de nouvelle dépense excite une vive inquiétude.
Ce Gouvernement-ci est bien loin de disposer du pays, de ses forces, de ses ressources comme il l’a fait 25 ans. Il gouverne à force de complaisance, et à charge de ne pas demander grand chose aux gouvernés. S’il l’engage un peu légèrement et sans nécessité évidente dans des affaires un peu chères et difficiles, il essuyera de grands mécomptes.

3 heures
Ma mère aura probablement oublié de parler à M. Andral. Elle oublie souvent. Et puis M. Andral est un homme très occupé considérable dans son état. Il ne va pas sur une parole en l’air. Je vous ai dit son adresse. Ecrivez-lui un mot. J’espère que sa visite n’a pas d’autre nécessité que de me tranquilliser. Mais je veux être tranquille comme on peut. Je répète toujours la même chose. J’en ai le cœur si plein. Je pense comme vous. Stafford House est beaucoup plus convenable qu’une auberge et dès le premier jour de Londres. Mais je saisis avidemment votre idée. Quelques jours à Hampstead ou à Norwood seraient charmants.
Je vais minformer s’il y a une bonne auberge, à Hampstead qui, en effet, est près d’ici. Norwood en tous cas. Est-ce dit? Et puis convenez qu’il peut y avoir des incidents, des motifs imprévus, qui dérangent les promesses les plus sincères. Ceci en passant pas du tout pour vous décharger de la vôtre, mais pour répondre à d’anciens reproches. Vous savez que j’accepte avec joie votre chagrin, vos reproches jamais. J’aime bien autant Bruxner pour la vente de la vaisselle. Votre frère y aurait apporte encore mille petites difficultés. Mieux vaut le retard que les entraves. Je viens de voir un de vos admirateurs très vif et très fidèle, Sir Henry Halford. J’ai gagné son cœur hier à Holland house, en le faisant causer. Il est arrivé ce matin, m’apportant ses ouvrages, des Essais sur je ne sais quoi. Un seul m’intéresse l’ouverture du cercueil de Charles 1er. J’ai passé une heure ce matin à discuter des arrangements intérieurs une illumination &. Je fais nettoyer tout le rez-de-chaussée. Vous n’avez pas d’idée de la malpropreté, de la noirceur. Les tapis n’avaient pas été levés depuis cinq ans. C’est une triste chose ici que les tapis. Il n’y en a pas un dans Londres qui vaille les vôtres.
Adieu. Je vous quitte pour écrire une dépêche, pas grand chose. Je jouis beaucoup de n’être plus inquiet pour ma petite fille. On devient facile en fait de jouissances. Sur un seul point. je suis chaque jour plus difficile. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L004/MF-G-L#004_00582.jpg
355. Londres, Jeudi 30 avril 1840
8 heures

Je vais déjeuner aujourd’hui à Battertea chez un des favoris de la Duchesse de Sutherland, le Dr. Khay. On veut me faire voir là et à Norwood, de grandes écoles populaires en attendant que j’aille à Eton et à Oxford voir les écoles aristocratiques. A Norwood, je m’enquerrais aussi d’autre chose. Le soleil est décidé à ne pas quitter Londres. Il y fait pourtant une pauvre figure, dans son plus grand éclat. Hier, à dîner, chez Lady Lovelace, l’évêque de  Norvich, bon homme un peu ridicule, un M. Villiers, frère de Lord Clarendon. Tous ses frères ont de l’esprit. Vous savez que Lady Lovelace est la fille de Lord Byron, cette petite Oda sur laquelle il a fait des vers charmants. Elle a de très jolis yeux et l’air spirituel naturel et affecté à la fois. Vous arrangerez cela, car cela est, et même, je trouve cela assez comme en Angleterre. Ils sont naturels et point à l’aise dans leur naturel ; d’où leur vient l’affectation. Je me suis ennuyé. J’ai été finir ma soirée chez Mad. Grote au milieu des radicaux. Mad. Grote, devient un personnage. Lady Palmerston l’a invitée à une soirée. J’ai entendu avant-hier Lady Holland faire un petit complot pour l’avoir à dîner la semaine prochaine à Holland, house, et bien recommander à Lord John Russell d’y venir et de plaire à Mad. Grote. Ils ne lui plairont pas, et elle ne leur plaira pas. Elle a de la hauteur et prend de la place. Ils ne lui en feront pas assez ; elle aimera mieux être reçue des radicaux chez elle qu’une étrangère poliment accueillie, à Holland house. Les complaisances aristocratiques ne peuvent plus se mettre au niveau des fiertés démocratiques. Il peut y avoir là des rapprochements sérieux et sincères, par nécessité, par bon sens, par esprit de justice. Tout ce qui est factice, superficiel, momentané ne signifie plus grand chose. On n’aura pas le vote de M. Grote comme Don Juan a eu l’argent de M. Dimanche.
J’ai été voir hier Lady Palmerston, fort contente de son petit séjour à Broadlands, pas rajeunie pourtant ; je lui trouve l’air fatigué. Elle a besoin de toilette. Le négligé du matin ne lui va plus. Elle est préoccupée des Affaires de Naples. A part l’intérêt du moment, cela lui  déplaît qu’on dise que les révolutions naissent sous la main de Lord Palmerston et de le craindre elle-même un peu. Nous attendons des nouvelles. Je pense que j’aurai un courrier ce matin. Voilà mon courrier. Il m’apporte : 1° de de longues dépêches sur Naples et l’Orient avec de curieuses conversations de Méhémet Ali ; mais point de réponse encore du Roi de Naples. Cela m’impatiente. 2°des lettres et des livres des Etats-Unis d’Amérique où l’on me reproche d’avoir dit trop de bien de Jefferson. 3° l’ouvrage de M. de Tocqueville sur la démocratie en Amerique. 4° Le grand cordon de la légion d’honneur, pour que je le porte demain.
Je vis bien à découvert avec vous. Je vous montre tout, même les petits mouvements de vanité que je méprise.
Je vous quitte pour ma toilette. Je vous dirai encore un mot avant de partir pour Batterrea. J’espère bien que la poste arrivera, auparavant. Mais c’est aujourd’hui mon mauvais jour. Je n’aurai probablement rien de vous.

10 heures et demie
Je monte en voiture, et vous êtes charmante. Mon mauvais jour est excellent. Je ne veux point de mauvais jour. Il n’y en aurait point pour vous si je pouvais écrire le dimanche. J’espère bièn être rentré avant le départ de la poste. Mais à tout hazard, je ferme ma lettre et je la donne à M. Herbet. Si je reviens assez tôt, je la rouvrirai et je vous dirai encore adieu. En attendant Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00027.jpg
358. Londres, Dimanche 3 mai 1840
10 heures

Eh bien, on ne fait jamais que la moitié de ce qu’on veut. J’ai parlé français ; mais je n’ai pas parlé très briévement. Un speech de sept ou huit minutes, pas un simple remerciement. Cela m’a si bien réussi que j’en suis bien aise. J’ai vu à l’air des gens, que j’étais attendu que, si je me bornais à quelques phrases bien polies, il y aurait beaucoup de désappointement. La curiosité était bienveillante ; le désappointement ne l’eût pas été. Je crois que je me suis rassis au milieu de la curiosité satisfaite et de la bienveillance redoublée. Je vous envoie le speech, que je viens d’écrire pour vous. J’ai trouvé cette réunion assez frappante. Toute l’aristocratie de toute espèce, de toute opinion y était. Et les savants, les lettrés, les artistes, le barreau la cité & deux absences ont été remarquées ; Lord Aberdeen qui n’est pas encore revenu de la campagne, et M. de Brünnow qui n’est pas venu. Le Duc de Wellington a remercié du toast to the navy and the army. Je répète ce que je vous ai dit : Un aveugle qui cherche son chemin. Je devrais dire un aveugle apoplectique. J’ai été très touché de ce spectacle, la grandeur d’un côté, le respect de l’autre, et entre deux la décadence l’impuissance. Il y avait bien de la force d’âme dans le vieillard balbutiant et chancelant. Mais je ne suis pas sûr qu’arrivé à cet état physique, il n’y ait pas plus de dignité à se retirer du milieu des hommes et à finir sa vie, en présence de Dieu seul et de ses enfants. L’exposition ne vaut pas grand chose. Trois ou quatre bons tableaux ; de jolis paysages et des chiens admirables. Souvent beaucoup d’esprit et de sensibilité dans l’intention ; mais une ignorance et un mépris du dessin, et de la peinture  qui sont étranges. Milton dictant le Paradis perdu à ses filles a beaucoup de succès. Le Milton est beau, bien grave, bien méditatif, bien inspiré. Les filles sont d’une gentillesse déplorable. On aime beaucoup la gentillesse ici. Un très bon portrait du Duc de Wellington expliquant ses dépêches au colonel Gurwood. Je ne sais pourquoi je vous dit tout cela qui ne vous fait rien.

4 heures
Ce que vous me mandez de Lord Aberdeen me plait beaucoup. J’espère et je crois qu’il dit vrai. Si je ne me trompe nous serons désormais fort à l’aise ensemble. Tout va bien avec les Anglais quand une fois la glace est enfoncée. J’ai dit hier à Lord Grey, que je desirais beaucoup avoir l’honneur d’être présenté à Lady Grey. Demain ou après-demain, j’irai lui faire une visite, à lui, et il me présentera lui-même. En général, je ne crains pas du tout de déroger. J’ai foi dans ma noblesse. Ma pente serait plutôt de ne pas me soucier des petites précautions de dignité convenue. J’y prends garde ici, à cause de l’officiel. Lord Grey, qui a été aimable pour moi, et a paru prendre plaisir à me voir, n’est pas venu chez moi, probablement par un peu de fierté timide et de mauvaise humeur. Mais vous avez raison. Pour Lady Grey ; il n’y a point de difficulté. L’avance est naturelle et Lord Grey y sera compris. M. de Brünnow sort de chez moi. Deux grandes heures. Eh bien, je ne retire rien de ce que j’ai dit mais je dis autre chose. C’est un esprit grossier et subalterne, dénué de ce tact qui tient à l’’élévation, à la finesse et à la
promptitude des impressions, c’est un commis qui sert son maître, et qui le flatte encore plus qu’il ne le sert voulant d’abord se servir lui-même. Mais, malgré et sous tout cela, il a de l’intelligence de la capacité assez d’étendue et de rectitude dans le jugement, je crois même de la bonne
intention, et de l’honnêteté. Nous nous sommes dit beaucoup de choses ; et le bien que je vous dis là, m’a apparu dans la conversation. Il ne sait pas s’y prendre pour servir la bonne  politique, et il ne se cassera pas le cou pour elle. Mais en gros, il la comprend, et si je ne me
trompe, au fond, il la préfère. M. de Nesselrode a raison de l’employer. Du reste, il professe presque autant d’admiration pour M. de Nesselrode que pour l’Empereur. Je conviens de l’impolitesse qui vous choque. Je l’ai vue souvent. Mais soyez sure qu’elle est bien générale. Je la rencontre ici comme ailleurs. Et j’ai le droit de le dire, car je suis encore ici à cet état de bête curieuse qui fait qu’elle ne tombe pas sur moi. L’esprit de cotérie domine dans le monde. Chacun reste avec ses familiers, dans ses habitudes, pour ne pas se gêner, par égoïsme et aussi par stérilité d’esprit. Cela est assez sot et fort ennuyeux. Il faut rompre hautainement avec ces mauvaises manières là, leur faire sentir qu’on les aperçoit et leur imposer plus d’égards et une autre conversation. Personne n’est plus propice que vous à leur donner une telle leçon. Mais probablement cela
aussi, vous ennuierait.

Lundi une heure
Ce que vous me dites de M. Andral me contrarie beaucoup. Il se sera piqué que vous ne l’ayez pas reçu quand il est venu. Quel ennui que d’être loin et de ne pouvoir rien faire soi-même ! Je traiterais avec les susceptibilités. Mon petit médecin me dira quelque chose là dessus. Parlez-lui en quand vous le verrez. Et s’il n’y a pas moyen d’avoir
M. Andral, voyez M. Chomel. Il est tout aussi habile. N’y mettez pas de fantaisie, je vous prie, ni de négligence. Demandez-lui son jour, son heure, et soyez là quand il viendra. Décidément, Norwood. Répondez-moi là dessus.
Avez-vous écrit aux Sutherland ? Dès que vous aurez
quelque chose de bien arrêté, dites-le moi. Je suppose que vous savez que Paul est parti Vendredi pour Pétersbourg. M. de Brünnnow m’a dit que sa conduite envers vous, lui avait fait le plus grand tort là. Et ici, Lady Palmerston me
dit la même chose. Elle en pense bien mal.

2heures 1/2
J’ai été interrompu par Nouri Effoudi qui voulait causer avec moi, dit-il. Je m’y suis prêté de mon mieux, mais avec peu de succès. Quelle pitié ! Il faut que je sorte. J’ai une multitude de visites à faire. Adieu. Adieu. Ce discours fait un gros paquet. Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00063.jpg
365. Paris, Mercredi le 6 mai 1840
10 heures

Dieu merci le mardi est passé. Je le déteste. J’ai eu hier une longue visite de Montrond. Toujours la même chanson, l’amour du Roi pour M. Thiers. Il ne lasse pas, quoique de mon côté je ne me lasse pas non plus de lui dire que je n’en crois pas un mot. J’ai été au bois de Boulogne, mais le froid m’a saisi je suis revenue. J’ai été faire ma cour à Madame. Elle m’a reçue. Le roi y est venu. Il a beaucoup parlé, avec beaucoup d’esprit comme de coutume. Il a parlé de toutes choses, mais il n’a pas promoncé un nom propre. Je lui ai fait compliment sur sa prodigieuse fécondité dans ses réponses le 1er de mai. J’ai pris la liberte d’applaudir à ce qu’il a dit, et à ce qu’il n’a pas dit. Il a paru très sensible à cette dernièrs observation.
"J’ai eu ma satisfaction sur messieurs les députés, je suis charmé que vous l’ayiez remarqué.’ En parlant de toutes choses le seul individu désigné, quoique pas nommé a éte M. Molé. " Ces messieurs après avoir mis tout en œuvre pour tuer la loi de dotation, afin de tuer mon ministère arrivent deux heures après me faire visite et se confondre en regrets de ce qui venait d’arriver." !!
Il s’est dit content pour le moment. Je n’ai vu percer aucune amertume marquée, je n’ai point remarqué en lui l’énorme changement que signalent les diplomates. Il était in spririts, parfois très drôle, content de l’affaire de Naples, très décidé pour la paix de tous côtés, parlant très bien sur l’affaire de l’Orient, relevant avec satisfaction le beau Débat à la Chambre des Pairs, du raisonnement sur la direction des esprits en France. Voilà à peu près comme la demi-heure a été remplie.
J’ai fait une courte visite à Lady Granville. Son mari est souffrant et couché. J’ai dîné seule. Le soir j’ai vu Appony, Brignoles, mon ambassadeur, Médem, Escham, Carreira, l’internonce, le duc de Noailles. Celui-ci raconte qu’il y a beaucoup d’intrigues ou du moins beaucoup de bavardages ; on fait de nouveaux ministères dont vous êtes, on clabaude. M. de Lamartine a des conciliabules chez lui. C’est le plus animé, et le moins compatible. M. Molé sent que lui, Molé, est hors de question mais il souffle pour qu’on renversa. Le parti conservateur est très raffermi. Le journal des Débats lui donne courage. Le journal des Débats ne serait pas si hostile au ministère, s’il n’avait de bonnes raisons de croire à sa chute prochaine. Voilà le rapport de M. de Noailles, qui finit toujours par "vive Thiers", car il a beaucoup de goût pour lui.
Appony venait de chez le roi. Il était de belle humeur. Le Roi va donner à dîner au corps diplomatique trois diners de suite. Mad. la duchesse d’Orléans tousse beaucoup ; elle est encore au lit. On prend beaucoup de précautions autour du roi qui n’a jamais eu la rougeole. Elle est très générale ici. J’attends votre lettre.

2 heures.
Je l’ai reçue pendant, ma toilette. Le dernier mot de votre speech à l’Académie est charmant. Je vous remercie de me l’avoir envoyé. Au fond vous avez raison d’avoir parlé avec un peu d’étendue surement on eut été désapointé du contraire. Le roi m’a fait des questions sur l’Angleterre, des questions générales sur la disposition des partis. J’ai écrit ce matin à Lady Palmerston, mais ma lettre ne partira que dans deux jours. Adieu. Adieu. Vous ne savez pas combien je pense à vous toujours. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00055.jpg
360. Londres, Mercredi 6 mai 1840
Midi

J’ai été dérangé depuis que je suis levé. Mon courrier de ce matin, m’a apporté je ne sais combien de petites affaires. J’ai beaucoup perdu en perdant Bourqueney. Il les faisait toutes, bien, promptement sans bruit. Il savait se décider seul.
La lettre de Matonchewitz me convient fort. On a raison quand on est de mon avis. Quel pays que celui dont tout homme d’esprit parle avec le sentiment qui éclate là ! Il est sûr que pour tout le monde, l’affaire d’Orient a été mal emmanchée. Je ne sais si je la finirai bien. Je borne ma présomption à croire que, si j’avais été ici, personne ne l’aurait commencée comme on l’a fait. Presque toutes les difficultés viennent aujourd’hui de l’embarras que chacun éprouve à changer de chemin.
Ma demi-heure au bal de Lady Falmouth, a été bien ennuyeuse. J’y suis arrivé après onze heures, le premier ! Tout le monde était encore à l’opéra où l’on s’était donné rendez-vous pour applaudir Tamburini. Lady Falmouth est devenue toute rouge et Lord Falmouth tout pâle en se voyant tête-à-tête avec moi, et obligé de m’amuser pendant je ne sais combien de minutes. Ils y ont très poliment fait de leur mieux. Enfin sont arrivés Lady Cowley, Lord Clare, Lord Haddington. C’était du bien pur Torysme. Je fais tant de nouvelles connaissances que j’oublie quelquefois les noms. Je cause très familiérement sans
savoir avec qui. J’étais dans mon lit à minuit et demi.
Lord Aberdeen a eu beaucoup de succès à la Chambre des Lords avec son bill sur l’Eglise d’Ecosse ; a very clever speech. J’en suis bien aise. Si nous vivions longtemps ensemble, vraiment de près nous finirions par de l’intimité. J’aime sa tristesse. Il se prépare à prendre le rôle du Duc de Wellington ; modérateur des Torys. Cela se voit. Il fait bien. Mais il n’empéchera pas une scission dans le parti. Là où elle est la déraison est bien profonde et bien hautaine. On entrevoit, contre Peel, une humeur immense, timide, mais courroucée de sa propre timidité. Le Duc seul contient.

3 heures et demie
Je viens s’apprendre qu’Alexandre a eu hier un accident, rien de grave, il est à merveille ; j’ai de ses nouvelles d’il y a deux heures. Il était en cabriolet; le cheval s’est emporté ; il est tombé. On l’a saigné ; il a parfaitement dormi cette
nuit ; il est fort bien aujourd’hui. Le chirurgien est pleinement rassurant. Dans deux ou trois jours, il n’y paraîtra plus. M. de Brünnow doit vous écrire aujourd’hui pour ne vous laisser aucune inquiétude.
Une horrible affaire s’est passée cetle nuit. Le vieux Lord Willian Russell a été assassiné dans sa maison, dans son lit, égorgé à la lettre, la tête presque tranchée. On a volé quelques bijoux, un peu d’argent. On suppose que ce sont des domestiques, des amants des house-maids. On ne sait encore rien de precis. Le débat sur le bill de Lord Stanley, qui devait avoir lieu ce soir est remis à causé de Lord John. La reine était charmante ce matin à son lever, parfaitement gracieuse et digne. Elle est un peu engraissée. Je lui ai présenté deux Français qui sont ravis de son air et de sa personne. Le lever n’était pas très nombreux. Le Prince de Casteleicala a la plus grossicre et la plus familière tournure provençale qui se puisse voir.
Je n’ai pas encore entendu parler d’Ellice. Je l’attends impatiemment. Que ne donnerais- je pas pour causer deux heures avec vous ! Eh bien en y pensant le plaisir de vous
voir surpasserait à tel point toute autre idée qu’il m’en distrairait absolument, & qu’il me faudrait plus de deux heures pour penser un peu à autre chose. Adieu. Je voudrais vous envoyer à propos de l’accident d’Alexandre, toute la sécurité qu’il y a lieu d’avoir. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00106.jpg
365. Londres, mardi 12 mai 1840,
10 heures

M. de Brünnow m’a confirmé, hier soir à la cour, ce que je vous ai écrit. Lui aussi est convaincu qu’Alexandre ne peut pas partir avant quinze jours au plus tôt. Au moment de l’accident, il a écrit à Paul, et Paul s’est arrété à Hambourg, attendant de nouvelles nouvelles de son fière. Il les aura reçues deux jours après, et aura continué son voyage. Alexandre va de mieux en mieux. Le bal était joli, 6 ou 700 personnes, et beaucoup de belles. Toujours Lady Seymour et Lady Douro en tête. Lady Withelmine, Stanhope charmante, plus animée que les deux autres. Lady Canning fort jolie. Lady Lovelace très agréable, d’un agrément qui ne ressemble à aucun autre, et où son esprit est pour autant que son visage. Elle a quelque chose de très naturel et de très imprévu à la fois. On ne sait ce qu’elle va dire, et ce qu’elle dit n’a rien de bizarre ni d’affecté. Je lui ai donné des danseurs. J’en ai trois à ma disposition et je m’en sers. Ils sont fort apprèciés ici. On en manque. Il y a ici, dans les relations entre hommes et femmes, dans ce qui paraît du
moins de la part des hommes, un peu d’insolence, de la part des femmes un peu d’empressement. Cela ne me plaît pas. La Reine a dansé trois contredanses avec  le Prince George de Cambridge, le duc de Bucclengh. J’oublie le troisième. Quelques personnes s’en désolaient ; elle n’est donc pas grosse. Elle a dansé en femme grosse rarement et doucement. Elle qui prend d’ordinaire un espace immense, elle contenait ses pas sous sa robe. Elle est très gracieuse pour moi. Et son mari aussi. Et la Duchesse de Cambridge extrêmement. Elle s’est plainte à moi de ne pas me voir assez souvent. On a dansé ce qu’ils appellent la danse écossaise ; une vraie danse, comme des gens qui s’amusent et qui ont envie de s’amuser davantage.
Le Duc de Bucclengh et Lord Ossuloton l’ont dansé à merveille. Et aussi la petite belle fille d’Ellice, qui ressemble parfaitement à une bruyère.
Beau souper médiocre. Louis vaut mieux que Francatelli. J’ai fait mon devoir en conscience. Je ne suis sorti qu’après la Reine, à 2 heures et demie. Bülow et les autres en prennent plus à l’aise. J’ai attendu ma voiture un temps énorme. Ce service-là n’est pas bien ordonné. Je n’étais dans mon lit qu’à 3 heures et demie Je fais mon devoir aussi, ce me semble. Je vous conte toutes les frivolités de Londres, qui sont les miennes. C’est long pour un spectateur. Sir Robert Peel était là, sa femme, sa fille ; venus de bonne heure, restés tard. Quelques uns des plus vifs et sévères conservateurs. Sir Robert Inglis. Mrs. Stanley m’a dit que son mari avait passé une matinée à examiner la liste des invitations.
Point de nouvelles d’ailleurs.

Une heure
Comment vous laissez-vous tomber ? Si vous pensiez à moi toujours, comme vous le dites, vous ne feriez pas cela. J’attendrai la lettre de demain avec un redoublement d’impatience. Je déteste les incidents. Ile sont toujours mauvais.
Je vois ce soir chez le Duc d’Argyle. Un nouveau duc d’Argyle,Tory ; le premier de son nom depuis longtemps. Il connait et voit peu de monde. Voilà une invitation à dîner chez Sir Robert Inglis pour le 10 juin. C’est s’y prendre à l’avance.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00112.jpg
366. Londres, Mercredi 13 mai 1840,
10 heures et demie

Je devrais vous dire que votre lettre me blesse car c’est vrai. Je n’en ai pas le courage. Vous aurez vu ce matin même que je n’avais pas attendu votre demande pour vous envoyer l’opinion exacte de Brodie. Passé le premier moment et après vous avoir très véridiquement informée et rassurée, j’ai eu deux raisons pour ne par vous donner chaque jour de plus long détails. Quoique j’aie passé moi-même à la porte d’Alexandre, quoique j’ai envoyé deux fois, par jour, savoir de ses nouvelles en ordonnant à mon valet de chambre de parler au sien, j’ai mis dans mes informations quelque réserve ; je ne suis pas allé moi-même voir votre fils, par égard pour les commérages qui s’adressent à vous dans ce moment et vous préoccupent ou vous impatientent plus que moi. Je n’ai pas voulu non plus agiter votre imagination en vous donnant des détails qui grossissent de poste en poste et arrivent faux bien que partis vrais. Je vous ai dit la vérité. Je vous l’ai dite tous les matins. Je me suis enquis avec autant de sollicitude pour mon propre enfant. Je vous ai écrit comme je demande qu’on m’écrive. Il me semble que cela n’était pas difficile à voir dans mes lettres. Et en l’y voyant, vous ne m’auriez pas écrit un jour : quelle providence que votre affection ! Et le lendemain: si cela ne vous donne pas trop d’embarras, ayez la bonté d’écrire ou de parler à Sir Benjamin Brodie. Au moment même où vous m’écriviez cela, Lundi à midi je menais moi-même, dans ma voiture, M. Herbot à la porte de Brodie, et j’attendais sa réponse.
Je ne puis pas ne pas croire qu’en y pensant un peu plus, en ne vous livrant pas tout entière à votre première impression, vous vous épargneriez, dans les plus mauvais moments, beaucoup de tristesse pour vous beaucoup d’injustice envers moi.
Je vous répète ce que je vous ai dit, dans l’opinion bien arrêtée de Brodie ; Alexandre ne peut songer à partir avant quinze jours au plutôt. Et vous savez que les médecins prennent toujours plus de temps qu’ils n’en ont demandé d’abord. Je suppose donc que vous vous mettrez en route. Samedi peut-être. J’espère qui vous le pourrez sans trop de fatigue.
Le temps est beau. Arrivez ; vous vous trouverez très pardonnée. Je vous pardonnerais quand même. Un pardon sincère, quoique triste. Encore une chose qui me vient à l’esprit. Cumming, Brünnow. Lady Palmerston, Lady Jersey Benkhausen, tout ce monde là écrit beaucoup plus légèrement que moi, se souciant beaucoup moins de l’impression que feront sur vous leurs paroles. Moi, je pense à ce que je vous dis ; d’abord pour vous dire la vérité ; ensuite pour ne pas vous donner une impression qui aille au-delà de la vérité.

Je relis votre lettre. J’aurais mieux fait de ne pas la relire. Personne, personne qui me montre un intérêt vraiment tendre, vraiment. Ma Providence a été bien vite détrônée.

3 heures

J’ai été hier soir au bal chez le duc d’Argyll. Un bal trop grand pour une si petite maison. Une magnificence d’emprunt, qui n’était pas celle de la veille et ne sera pas celle du lendemain.
Le Duc un tout petit homme maigre, et de plus petite mine. La Duchesse, une petite grosse femme ronde, rouge, empressée. Rien de bien qu’un boy de quinze ou seize ans, le marquis de Sorn, joli quoique roux, l’air sérieux et content, poli avec un peu trop de confiance. Il m’a dit avec une fierté enfantine qu’il m’avait rencontré à la Chambre des communes, ce qui était vrai. A sa vue, à ses paroles, le souvenir de mon orgueil et de mes joies paternelles m’a traversé le cœur. Que de plaies cachées au milieu d’un bal !
Adieu. Je vous écrirai demain à tout hasard ; et vendredi matin, je saurai décidément ce que vous faites. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00149.jpg
370. Londres, Samedi 16 mai 1840
Une heure

Les nouvelles sont toujours bonnes. Je crois qu’il n’y aura bientôt plus de nouvelles. Je vous ai toujours dit le vrai, seulement comme j’ai pensé en même temps à la vérité de ce que je vous disais et à l’impression que vous en recevriez, j’ai ménagé mes paroles pour vous calmer sans vous tromper. Vous avez des correspondants qui n’y ont pas pris tant de soin. C’est fort, simple.
J’ai souri en voyant que vous croyez que je m’amuse beaucoup au bal. Demandez à Lady Palmerston qui me parlait l’autre jour de mon air fatigué et ennuyé en me promenant dans cette longue galerie de Buckingham-Palace. Mais deux choses sont vraies; je me défends de mon mieux contre l’ennui, et quand il l’emporte, je me résigne. Je m’impatiente peu. L’impatience me déplait et m’humilie. J’ai besoin de croire que je fais ce que je veux. Et quand je suis forcé de faire ce qui ne me plaît pas, j’accepte la nécessité pour échapper au sentiment de la contrainte. Si je ne me résignais pas, je me révolterais.

Je comprends tout ce qu’on dit sur les suites des cendres de Napoléon. Il y a beaucoup à dire. Je ne suis pas inquiet au fond. Les pays libres sont des vaisseaux à trois ponts ; ils vivent au milieu des tempêtes ; ils montent, ils descendent, et les vagues qui les agitent sont aussi celles qui les portent et les font avancer. J’aime cette vie, et ce spectacle. J’y prends part en France ; j’y assiste en Angleterre. Cela vaut la peine d’être. Si peu de choses méritent qu’on en dise cela ?
J’ai dîné hier chez Ellice, en famille. Il est vraiment très bon, et très spirituel. Et il s’amuse de si bon cœur ! Ils étaient fort contents. Le Chancellier de l’échiquier a eu un grand succès aux Communes. Son augmentation de 2 500 000 livres de taxes passera presque sans difficulté. Son statement a été trouvé excellent, simple, vrai. De plus le Cabinet est charmé de l’appui que le Duc de Wellington lui a donné l’autre jour en Chine. Jamais le Duc n’a été plus populaire parmi les whigs. Il y met un peu de coquetterie.
Il approuve fort ce qu’on a fait pour Napoléon.
Dedel est de retour. Le Roi de Hollande à parfaitement pris son parti sur Mlle d’Outremont. Il n’y pense pas plus que s’il n’y avait jamais pensé. Mais tout n’est pas fini entre lui et ses Etats-généraux. Ils auront beaucoup de peine à s’entendre sur les changements à la Constitution, car ni lui, ni les Etats ne cèderont. Mais point de guerre à mort non plus. A des entêtés qui ne se veulent pas de mal, il ne faut que du temps.
J’ai reçu un charmant petit portrait de ma fille Pauline ; d’une ressemblance excellente. Et elle a bon visage dans son portrait. On m’assure que ce n’est pas un mensonge. Ils ne partiront pour la campagne que vers la fin du mois. M. Andral a désiré qu’ils attendissent jusque là, pour prolonger un peu le lait d’ânesse.

3 heures et demie
Je viens de voir Lady Palmerston, et par elle son mari. C’est une personne de beaucoup de good sens et très pratique. Savez-vous qu’il n’est pas commode d’avoir à régler ce qui se passera à 2000 lieues, dans une affaire toute d’égards et de convenances, et de donner une pacotille de bon esprit et de mesure à des hommes qui n’en ont pas trop chez eux?
Je vous quitte pour écrire à Thiers le résultat de ma conversation, car j’ai vu aussi Lord Palmerston aujourd’hui comme hier les journaux ministériels ou quasi ministeriels, gardent le silence sur mon nom à propos de Napoléon. Je vous disais hier que je ne m’en étonnais pas. Pas plus aujourd’hui. Mais je suis bien aise qu’on sache que je le remarque, sans m’en étonner.
Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00161.jpg
371. Londres, Dimanche 17 mai 1840
10 heures

Mon premier mouvement en lisant vos lettres est de croire que tout ce que vous me dîtes, c’est vous qui le dites et qui le pensez. Je suis toujours sur le point de discuter avec vous, contre vous, comme si c’était vous les opinions et les commérages que vous me transmettez. Si nous étions ensemble, je m’y laisserais aller ; ensemble, on a du temps pour tout. De loin, cela, n’en vaut pas la peine. Vos sentiments à vous sont les seuls qui méritent que je m’y arrête et que nous nous mettions d’accord. Avec vous seule, je ne puis souffrir le désaccord. C’est à propos de tout ce qu’on dit sur le retour de Ste Hélène que je vous dis cela. Je laisse donc sans reponse les prédictions et les confectures. Mais une chose me préoccupe, c’est
la crainte que les commissaires qu’on enverra là ne se laissent aller à des récriminations à quelques paroles amères, blessantes. On en est ici assez préoccupé. L’affaire a très bien commencé en haut, très noblement. Il fautqu’elle se passe bien aussi en bas dans l’exécution.
J’écris à Paris toutes les recommandations possibles en ce sens. Un bâtiment lèger anglais le Delphin, partira Mercredi de Portsmouth, pour aller porter à Ste Helène l’ordre de translation. La frégate francaise aura une copie authentique de l’ordre et des instructions. L’allée et le retour prendront quatre mois. Nous n’aurons rien qu’au mois de Novembre.
J’ai dîné hier chez Sir Gore Ouseley avec le duc de Cambridge, le duc et là duchesse de Buckingham, leur fille, lady Anna, Temple, Bülow, Brünnow &. C’était ennuyeux aujourd’hui chez Lord Minto.

2 heures
J’en suis fâché, à cause du plaisir que cela vous aurait fait. M. de Noailles vient trop tard. Il y a trois semaines, par une dépêche du 1er mai, j’ai demandé la place d’attaché payé à Londres pour M. de Vandeul, qui est depuis un an à l’Ambassade comme attaché libre et dont je suis fort content.
Au département, on regarde, je crois, la nomination de M. de Vandeul comme certaine. Je regrette tout-à-fait de ne pouvoir faire en cette occasion ce que désire M. le duc de  Poix, et je désire à mon tour que quelque autre occasion, me soit offerte. Serez vous assez bonne pour le lui dire de ma part ?
Voilà une petite boite qu’on mapporte avec un billet de Lady Williams qui dit ceci : " the box contains a few patterns of babies clothes which, Mad. Graham begged Lady Williams to send her from hence and trusting to the french Embassy for convoying them to Paris. All that Lady William can offer en externation for the liberty Madame Graham is taking, is the observation that it is not probable she will ever repeat the offence again."
Lundi, 9 heures

Lord et lady Lansdowne, lord et lady Palmerston, lord Moutaggle, M. Macaulay et deux petits inconnus. Voilà notre dîner. Nous avons causé jusqu’à 11 heures. Lord Monteagh et M. Macaulay sont de bons meubles de conversation. Les Anglais sont singuliers ; ils aiment beaucoup la conversation ; quand elle s’anime et se varie, ils ont l’air d’y prendre grand plaisir. Et d’eux-mêmes, ils n’ont pas de conversation ; ils restent ensemble immobiles et silencieux, et s’ennuyent quand ils pourraient s’amuser. Ils ne savent pas faire ce qui leur plait, ni jouir de l’esprit qu’ils ont. Le feu est là, mais couvert ; il faut que l’étincelle qui l’allumera vienne d’ailleurs. En sortant de chez Lady Minto, je voulais aller finir ma soirée chez Lady Jersey ; mais par réflexion, je n’y suis pas allé. Deux Dimanches de suite, c’est trop. Elle abuserait. C’est l’insignifience la plus envahissante que je connaisse. Je me moque de moi-même quand je m’aperçois de toutes les petites précautions que je prends, toutes les petites combinaisons que je fais. Je pense à toutes les petites choses du monde comme si je n’avais jamais fait que cela, et ne me souciais que de cela ! e suis le contraire des Anglais; ils ne savent pas faire ce qui leur plaît ; moi, je puis savoir faire ce qui ne me plaît pas et m’occupe et presque mintéresser à ce qui m’est parfaitement indifférent, pour ne pas dire plus. Au fait, j’ai raison ; quand on n’a pas le fond du cœur plein et satisfait, il faut mettre à la surface de la vie, tout ce qu’on trouve sous sa main. Qu’il y a loin de la surface au fond, et quel vide immense peut exister dans des journées dont tous les moments sont remplis !
La Reine me prend Lord Melbourne samedi prochain. Elle l’emmène dîner à la campagne. J’ai souri de l’embarras avec lequel il me l’a dit. Embarras point réel, car personne n’est au fond moins embarrassé que lui, et ne prend plus ses aises, en toutes choses, et avec tout le monde. En quoi il a raison. Mais les apparences sont embarrassées. Nous sommes toujours fort bien ensemble. C’est l’homme du Cabinet qui a le plus d’esprit, le plus juste et le plus original.

3 heures
Oui toujours tout dire, toujours votre funeste franchise qui ne vous sera jamais fumeste. Le grand, le vrai mal de loin, c’est qu’il n’y a pas moyen de tout dire, car on n’écrit jamais tout ; ce qu’on écrit est si peu ! et comme reproche et comme tendresse. Vous me grondez à moitié. Je vous ai grondée à moitié. J’avais bien autre chose à vous dire que ce que je vous ai dit. Mais j’ai eu un tort, un grand tort, j’en conviens. J’aurais du envoyer chez Brodie dès le premier moment , et y renvoyer tous les jours, et vous transmettre scrupuleusement ses paroles. J’y ai pensé. Je ne l’ai pas fait, sottement, par sot ménagement. Je ne connais pas Brodie. Il est peut-être bavard. J’ai craint qu’il ne s’étonnat d’un soin si assidu, qu’il ne racontât son étonnement, qu’on n’en prit occasion de bavarder comme lui. Crainte puérile absurde. J’ai eu tort. Mais j’en ai été trop puni. J’en ai été barbarement puni. Vous m’avez écrit ce que vous m’avez écrit. Vous avez dit à Génie tout ce que vous m’avez écrit, pis probablement car vous lui avez dit que vous étiez si fâchée que vous partiriez pour Londres, sans m’en avertir. Ma mère a appris en envoyant savoir de vos nouvelles, que vous partiez le surlendemain. Vous seriez partie sans le lui avoir dit, sans avoir vu mes enfants. Voilà ce que vous avez fait. Et sais-je ce que vous avez pensé ? Cela est insensé ; cela est injuste, inique, révoltant. Savez-vous ce que vous deviez penser et faire ? Vous deviez être fâchée, très fachée contre moi et me le dire aussi vivement que vous l’auriez voulu, que votre emportement vous l’aurait suggéré. Et vous deviez en même temps deviner mon motif, l’entrevoir du moins ; et voir aussi tout le reste, et me croire un peu, même quand les autres vous disaient le contraire. Les autres ne vous ont écrit que lorsqu’ils ont été eux-mêmes à peu près rassurés, et dans leur froide irréflexion, ils vous ont dit alors tout ce qu’ils avaient craint plus qu’ils n’avaient craint car on exagère toujours le mal qu’on a caché. Moi, j’envoyais deux fois par jour ; on parlait au valet de chambre de votre fils ; je passais moi-même à sa porte. Je recueillais indirectement des renseignements de qui je pouvais. J’ai envoyé au Time quand il a donné des nouvelles alarmantes de votre fils. Et je vous mandais chaque jour ce que je savais ce que je recueillais. Et je vous le mandais de la façon la moins alarmante pour vous. Vous deviez deviner, vous deviez croire tout cela. C’est bien la peine d’avoir pensé et senti tout ce que nous avons pensé et senti ensemble depuis trois ans, de nous être dit tout ce que nous nous sommes dit l’un à l’autre, et l’un sur l’autre pour qu’en un jour, en une heure, tout cela s’évanouisse, pour qu’un tort, un mécompte d’un jour efface toute confiance, pour qu’on pense et parle comme on penserait et parlerait d’une personne qu’on connaitrait beaucoup, et qui aurait manqué d’obligeance ou de soin ! Il est près de cinq heures. La poste me presse, et j’ai encore tant de choses à vous dire ! vous avez raison de loin, il vaudrait mieux se taire ; la vérité n’est pas possible. La vérité est pourtant le remède à tout, le seul remède. Vous vous croyez bien sérieuse, bien passionnée. Vous avez des légèretés, inimaginables, toutes sérieuses et passionnées qu’elles sont. Car c’est une légèreté inimaginable coupable que de s’abondonner à une idée, à une impression du moment, si complètement qu’on oublie tout le reste, tout ce qu’on a pensé, vu, cru, & qu’on croit toujours au fond de son âme ce qu’on croira, ce qu’on verra le tendemain. Moi, je n’oublie rien. Je pense à tout, toujours, et mon sentiment pour vous est toujours le même, et je suis juste envers vous, dans les plus mauvais moments. Vous comprenez bien que je n’accepte pas votre querelle sur les bals et les jeunes femmes. J’en aurais ri en récevant votre lettre si j’avais été en train de rire. Je crois vous avoir dit une phrase charmante de mon puritain John Newton :
" Since the Lord gave me the desire of my heart in my dearest Mary, the rest of the sex are no more to me than the tulips in the garden. "
Si cela ne vous plait pas, je ne vous parlerai plus jamais des tulipes que j’ai trouvées belles.
Il faut pourtant que je finisse. C’est grand dommage car je n’ai pas fini. Adieu pourtant. Adieu toujours. Je crois en effet que vous ne me connaissez pas. Adieu encore.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00231.jpg
376. Londres, Vendredi 22 mai 1840
Une heure

Voilà une bonne lettre. J’aime votre bonheur autant que le mien. Je ne peux pas dire plus. Quel ennui de parler à Londres et d’être quatre jours avant de savoir que vous m’avez entendu à Paris ! Vous voyez bien qu’il faut être juste et se comprendre sans avoir besoin de se parler. C’est vraiment odieux et ridicule de se donner à soi-même des chagrins, qui sont parfaitement absurdes, et qu’on découvrira absurdes en quatre jours. Mais il y a des chagrins qui aboutissent à des joies ravissantes. Je n’ose pas le dire ; je ne devrais pas le dire. En ce moment à aucun prix, le N° 379 ne me paraît trop payé.
Non, je n’ai point été consulté sur Ste Hélène. On m’a demandé, prié, conjuré de réussir dans une négociation dont on avait fait la première ouverture, à Lord Granville. On me l’a demandé, le 2 mai. On m’a parlé de "grande reconnaissance personnelle". On a fini en me disant : " Réussissez, et nous vous en laisserons tout l’honneur." J’ai réussi le 9 mai. Je l’ai annoncé le 10. On m’a répondu : " Je vous remercie mille fois : nous vous reportons la part qui vous est due. " Le Ministre de l’intérieur m'a écrit : " Votre affaire, des restes de Napoléon a fait un effet immense." J’ai souri de tant de reconnaissance ici, de tant de silence là. Et depuis je figure bien me tenir parfaitement tranquille. Je remets ici la phrase que je viens de rayer. C’est ici qu’elle doit être.
Savez-vous ce que j’ai fait hier soir? J’ai joué au whist, au coin de mon feu avec mon monde ; et je me suis couché à 10 heures et demie. J’étais excédé des routs. des bals, des Communes. J’avais besoin de silence et de sommeil. Je joue certainement au whist, aussi bien que vous. J’étais allé le matin, passer une heure à la Chambre des Lords où l’archevèque de Dublin devait faire une motion qu’il n’a pas faite. J’ai entendu Lord Lyndhurst à propos d’une pétition. Je trouve qu’il parle très bien, très bien avec une grâce forte et tranquille qui ne va pas à l’ensemble de sa vie. Mais il est bien changé. Il est devenu vieux depuis que je suis ici.

3 heures
J’ai été interrompu par le chargé d’affaires de Naples G. Capece Galeota dei Duchi di Regina, bien noir, bien crépu, pas si long que son nom, mais assez intelligent et sensé? beaucoup plus que le Prince de Castelcicala qui fait ici une figure bien ridicule et bien vulgaire. Il veut être venu pour quelque chose ; il a essayé de parler d’affaires à Lord Palmerston qui l’a renvoyé à Paris, et à Naples. Il a imaginé, de se lier avec les Torys, les plus violents Torys, et de leur parler de ce que Lord Palmerston ne voulait pas écouter. Il promène de côté et d’autre sa tête trépanée. Tout le monde prend pour de beaux coups de sabre les cicatrices de ce trépan qu’il a subi à Naples pour une chute de cheval. Il a porté sa carte à tout le corps diplomatique, moi compris, et ne s’est fait du reste présenter à personne, moi compris. En sorte que presque personne ne lui parle. Le Roi de Naples ferait bien de rappeler ce gros Pulcinella, au crane fendu, et de ne faire parler de ses affaires que par ceux qui peuvent les faire.
Je viens de recevoir un billet de Mad. de Chastenay qui est arrivée hier avec Mad. de St Priest ; elles viennent passer quinze jours à Londres, et un mois en Angleterre. Je vais tâcher de les amuser un peu. Dites-moi ce qu’il faut faire. Elles auront peut-être envie d’être présentées à la Reine, au drawing room. Est-ce Lady Palmerston ou la comtesse de Björstyerna, la doyenne du Corps diplomatique qui se charge de cela ? C’est pour lundi. Vous n’avez pas, le temps de me répondre. J’irai le demander à Lady Palmerston. Il faut aussi que je leur donne un petit dîner, pas trop ennuyeux ; quelques hommes, Lord Elliot, Lord Mahon, lord Leveson. Dites-moi quelques noms. Pas de femmes, n’est-ce pas ? Mon Dieu, que vous êtes loin ! Alava, Bülow, M. et Mad. Dedel ?
Ma galerie de portraits va être complète. Mad. Delessert vient de faire celui de Guillaume, et va faire celui d’Henriette. Je les aurai tous les deux dans quelques jours. Guillaume avec sa toque. On dit que le portrait est charmant. Je pense que je vais engager Mad. de Chastenay et Mad. de St Priest à venir dîner demain samedi avec tous mes Whigs. C’est, pour elles, une très bonne entrée dans le monde et qui préparera le reste. Adieu.
J’espère que vous me direz que vous vous portez bien. Voilà une espérance bien pleine de fatuité, n’est-ce pas ? Mais vous me la permettez ; vous voulez que je l’aie. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
23005_00221.jpg
381 Paris le 22 mai 1840,
Vendredi 10 heures

J’ai vu longtemps Lord Granville hier ; il est toujours couché. Nous avons un peu causé de tout. Le détail de l’entretien de Thiers avec Appony est assez piquant. Thiers a beaucoup parlé de la politique isolée que pourrait embrasser la France, et à la question d’Appony ce qu’elle ferait dans cette situation là ? Thiers l’a regardé avec étonnement et lui a dit : " Vous êtes trop curieux à propos d’Ancône, Thiers, lui a riposté par Cracovie. Enfin d’un bout à l’autre il y a eu de l’aigreur entremêlée d’un peu de flatterie. Granville est le plus pénétré du monde que la France ne fléchira jamais sur la question d’Egypte. Mais il m’a cité des paroles de l’Empereur dites à Lord Clauricarde selon les quelles l’Empereur croirait quevous êtes disposé à céder un peu. Ce serait venu à Pétersbourg par des correspondances de Londres. Cela m’etonne.
L’activité de Thiers est prodigieuse, son habileté aussi. Il gouverne la Chambre, les comissions. Il se mêle de tout, il répond de tout. Il est d’une audace et d’une satisfaction inouïes. Eh bien, à la bonne heure. Connaissez vous le " à la bonne heure " de M. de Talleyrand ?
J’ai été passer une demi-heure au déjeuner de la comtesse Appony. Ah mon Dieu, quelle foule, quelle horreur ! Un froid de loup dans le jardin, une chaleur à périr dans la maison. Dieu sait quelles gens ! Des gens décidés à faire là leur dîner. Nous avons regardé cela le duc de Noailles et moi, en nous demandant ce que nous étions venus faire là. Je m’en suis tirée avant 6 heures/ J’ai fait mon solitary meal et passé un solitary evening. Je pense que tout le monde sera resté là. Je me suis couchée ennuyée, mais plus triste.
Le gros Monsieur ma’ annoncé hier matin qu’il partait la semaine prochaine pour Londres, n’avez-vous pas quelque autre gros ou maigre monsieur qui aimerait à y être mené dans la première quinzaine de juin ?

1 heure
Je ne me suis rappelé le vendredi que lorsque j’avais écrit jusqu’ici. Je viens de vous écrire ma lettre officielle, parceque je ne veux pas que vous restiez un jour sans lettre. J’aime bien votre 374 vous prêchez sur le même texte que moi. " Pleine franchise entre nous ", et au fond c’est toujours parce que vous y manquez un peu de votre côté qu’arrivent les nuages. En y pensant un peu vous verez que les péchés viennent de vous. Point de réticence, pas la plus petite. Après le plaisir de n’avoir rien à reprocher, il n’y a pas de plaisir plus grand que le droit de gronder. C’’est si intime ! Est-ce que je dis une bétise ? Il me semble que nous voilà bien remis sur nos jambes. Pour moi au moins je me sens si leste, si confiante, si heureuse. Vous devez être comme moi, car dans ce qui nous regarde nous devons ressentir de même.
J’ai écrit ce matin à Ellice à M. de Barante ; vous allez-voir bientôt lady Clauricarde. Ah cela, je vous en félicite ; c’est tout-à-fait la prima dona en fait d’esprit. Elle en a beaucoup. Vous ai-je dit combien je trouvais votre définition de lady Jersey excellente ? Vos portraits sont toujours admirables. Je vous avais dit cela en mille mots. Vous le dites en deux " l’insignifiance la plsu envahissante."

Samedi le 23, 9 heures
Assez pauvre journée hier. D’abord toujours très froid et puis pas d’événements, pas de nouvelle. Montrond est venu le matin. il venait de chez le Roi ; il y retournait un langage nuageux, toujours drôle. Je crois qu’il vient chez moi parce qu’il me fait rire, cela lui plait, cela le flatte. Il est très frondeur sur le chapitre de St Hélène, il trouve cela absurde. Et puis il y voit mille inconvénients avant même d’abordar les dangers. Entre autres, ces quatre mois d’intimité entre le Prince de Joinville et messieurs les Bonapartistes, Bertrand & &, l’occasion de bien des propos provoquants peut- être. Au fait l’idée d’envoyer le fils du Roi est étrange. Il est cousin germain du duc d’Enghien !

Midi. Je vous remerce beaucoup du 375. Il me donne quelques lumières c’est-à-dire que je vois qu’en Orient on ne fait rien. C’est une étrange obstination de laisser sans solution, ce qui peut embarrasser le monde ! J’ai dîné seule. Le soir mon ambassadeur, Brignoles, le duc de Noailles, Carreira, d’autres insignifiants. M. de Pahlen. parle très bien sur l’affaire d’Orient vous en seriez content, mais il n’est pas poli pour l’Angleterre. Tout cela vous montre qu’il sert son maître sans l’approuver tout-à-fait Je vous enverrai les biographies que vous me demandez. Adieu. Adieu, je me réjouis de vous dire adieu par le gros Monsieur. A propos, il m’est venu une drôle d’idée ; c’est qu’en pensée vous me dites adieu au bout de la dépêche que vous envoyez par télégraphe pour que cela m’arrive vite. Vous voyez que je radotte. Adieu.

Vous vous trompez, vous ne dînez pas avec Lady Palmerston lundi. Les femmes n’en sont pas, à moins qu’on n’ait changé cela.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00236.jpg
377. Londres, Samedi 25 mai 1840
Une heure

Vous avez raison. Nous avons tous deux raison et tous deux tort. Je ne dis pas cela par façon de juste-milieu et pour en finir, mais sérieusement et bien convaincu. Notre vrai tort à tous deux, c’est de ne pas avoir assez foi l’un dans l’autre. "La foi, dit (je crois) St Paul, c’est la ferme, espérance des choses qu’on désire, et la certitude, des choses qu’on ne voit point." Ayons la foi ; nous nous la devons ; et quand elle nous manque, à part le chagrin, c’est une faiblesse ou une petitesse d’esprit dont nous devrions être honteux. N’est-ce pas ? J’ai passé hier à 5 heures, à la porte d’Alexandre. Il était à la promenade, de mieux en mieux m’a-t-on dit. On m’a parlé de mardi 26 pour son départ. Rassurez-moi contre ces retards. Je vous accorde jolie et alerte pour Engénie ; intelligente, j’ai peine à le croire. Enfin, elle vous plaisait. Je la regrette. Est-ce que vous n’amènerez pas même Bernard ?
J’ai été hier soir passer une demi-heure au bal chez Lady Elizabeth Fielding. J’admire ce qu’on entasse de monde, et du meilleur monde, dans des maisons qui sont de vraies boxes. Lady Lansdowne était enfoncée dans un coin d’où elle ne pouvait sortir. Lady Palmerston entrée au même moment que moi, n’avait pas encore réussi à s’asseoir quand je suis parti. Et elle venait là pour trois ou quatre heures, à cause de Fanny. Au moins il faudrait des chaises pour les mères. Faut-il accepter une invitation à dîner qu’on me remet à l’instant, chez Lady Kerrison ? J’en ai beaucoup refusé pour cette fin de mois de Mai. Je n’ai plus d’ici au bord de au 31 que trois dîners, deux chez Lady Palmerston, un chez Lady Kimoul. Et deux déjeuners d’hommes des lettres. On vient me voir d’Oxford et de Cambridge, en attendant que j’y aille.
Voici ce qu’on écrit des Etats-Unis sur mon Washington : « C’est un évènement ici que l’arrivée de l’ouvrage de M. Guizot, et l’agitation qu’il produit. La traduction anglaise n’est pas encore publiée et répandue. En attendant, on s’en fait traduire et on en colporte des morceaux de ville en ville. C’est un mouvement d’esprit tout-à-fait inaccoutumé, et qui étonne les gens éclairés parce qu’il s’étend aux masses. ses jugements sur notre gouvernement et nos partis frappent extrêmement. On y trouve bien des révélations et de bonnes leçons pour l’avenir. J’ai bien le droit, n’est-ce pas de vous dire mes plaisirs d’amour propre, comme toutes choses ? Mad. de Chastenay et Mad. de St. Priest n’iront pas lundi au Drawing room. Elles n’ont pas de queue. 3 heures et demie J’ai été me promener une heure à Regent’s Park, au bord de l’eau. J’avais besoin de respirer. Le temps est lourd; quand les nuages du ciel s’ajoutent aux brouillards de la ville, on étouffe. Vous vous promeniez probablement au Bois de Boulogne. N’est-ce pas ridicule cette double solitude ?
J’ai cru jusqu’ici que les conservateurs ne se souciaient pas, au fond, de renverser le cabinet, les gens d’esprit du moins. Je commence à en douter. Voici ce que m’a dit hier l’un d’entr’eux. « Nous dissoudrions. La dissolution nous donnerait trente voix de majorité. Le problème du moment, c’est d’obtenir de la Chambre des Lords les réformes nécessaires en Irlande et ailleurs. C’est la Chambre des Lords qui paralyse tout le Gouvernement. Peel seul peut manage la Chambre des Lords et lui faire faire des pas en avant ... "Peel is not a great man but he will do what great men could not do." Je pense toujours que le Cabinet l’emportera. Mais l’attaque est sérieuse et continuera, ce n’est plus un tournois ; c’est une bataille.

4 heures et demi
M. de Bacourt m’a interrompu. Arrivé ce matin. Nous avons beaucoup causé. Nous causerons beaucoup. Il a de l’esprit. Il passera ici huit jours. Il ne m’apprend rien mais il me développe et me prouve ce que je sais. Il y a bien de l’humeur dans le monde. Moi, je n’ai point d’humeur. J’ai le cœur content depuis hier. Il me semble que je ne vous l’ai pas assez dit. Je vous dis bien peu. Quand je commence à dire, je me sens tout d’un coup emporter à de telles paroles ! Dites-vous les ces paroles qui errent sur mes lèvres. Adieu Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00365.jpg
389. Londres, Samedi 6 juin 1840
Une heure

Moi aussi, j’ai le cœur plus libre. On vient de me remettre le 394. Savez-vous qui en a profité ? Toute mon ambassade qui passé une demi-heure avec moi après déjeuner. Je cause avec eux. J’étais tout à l’heure très animé, fécond, inventif, éloquent. Eux ils étaient visiblement charmés de moi. Ils ne savaient pas pourquoi. Soyez très éloquente aussi avec moi, quand vous serez ici. J’aime passionnément l’éloquence. Vous partez dans huit jours, samedi prochain. Que la semaine sera longue ! Je donnerais bien des choses pour qu’il fit aussi beau qu’au jourd’hui. Pas le moindre vent ; un soleil admirable. Vous viendriez agréablement et vous viendriez vite. J’ai passé hier ma journée chez moi, sauf ma visite à lady Palmerston. Le soir aussi Je me suis couché de bonne heure. Il faut que mon tempérament soit aussi complaisant pour moi que mon caractère l’est pour les autres. ai grand besoin de sommeil. Je n’en ai pas toujours autant que je voudrais. Pourtant cela s’arrange. Quand je peux avoir une longue nuit je la prends, et elle me vaut pour une semaine. Je suis bien aise qu’on écrive d’ici que mon établissement est bon. Je vous attends avec impatience pour les petites choses après les grandes. Je suis sûr, parfaitement sûr que tout n’est pouve pas bien, qu’il y a des manques, que je me trompe quelquefois. Personne ne me reproche rien. Depuis que je suis ici, ni sur ma conduite, ni sur ma maison, je n’ai pas entendu une critique. C’est impossible. C’est absurde. Venez, venez. Apportez-moi de la vérité avec du bonheur.

Voici jusqu’à présent mes dîners du mois. Je ne vous dis pas ceux que j’ai refusés aujourd’hui la Reine. Le 6, les Berry, à Richmond. Le 10, Sir Robert Inglis. Le 14, lady Williams, à Putney-heath. Le 14, lady Lovelace. Le 20, Sir John Hobhouse. Le 22. Rothschild à Gunnersbury. Le 24, lord Abinger. Le 27, lord Monteagle. Il me semble qu’il n’y a rien là que de convenable. A propos de convenable, Mad. Maberly ma envoyé son roman, Emily. Il faut bien que j’écrive un billet poli, n’est-ce pas ? Je n’ai pas lu le roman. On dit qu’il est parfaitement innocent et parfaitement ennuieux. Vous avez cent fois raison, et je suis de votre avis depuis longtemps. Il y a longtemps que je pense et dis que le sénat Romain et le parlement d’ Angleterre sont les deux plus grands gouvernement que le monde ait connus. J’appelle grands gouvernemens ceux qui font de grandes choses par de grands hommes. J’ai peine à croire que la mort du Roi de Prusse soit la révolution. D’après tout ce qui me revient, le successeur sera bien timide. Il a l’esprit plus actif que la volonté. Beaucoup de pojets et de paroles de grandes ardeurs de pensée et de conversation, puis les goûts d’une vie régulière et molle ; voilà notre temps surtout dans le haut de la société. Les gouvernemens sont aujourd’hui des cadres où les Rois viennent se placer et s’emprisonner successivement, comme des images. On a pris avant-hier mes chevaux; on les a mis chacun dans une boite ; sur cette boite on a jeté un filet. La machine a grondé ; le train est parti, et mes chevaux sont arrivés à Eton, sans avoir bougé, malgré qu’ils en eussent. Ce sera le sort de bien des Rois, et de bien des ministres. Voici quatre jours d’immobilité pour les affaires. On va à la campagne. On croit en général que la session finira de bonne heure. Je le voudrais pour nos campagnes.

3 heures
J’ai été interrompu par Lord Brougham changé, triste, fatigue, abattu, dégoûté. Fatigué matériellement ; il a imaginé de venir de Cannes à Calais dans ce que nous appelons, une voiture, un carosse de louage toujours avec les deux mêmes chevaux. Vingt-six jours pour traverser la France. Il a fait la route à pied. Je l’ai revu avec plaisir. J’aime sa conversation c’est-à-dire son monologue. Il est ici un homme très important sans influence, et très considérable sans considération. C’est curieux. Adieu. Je pense au 26 avec un plaisir infini. A ma gauche, n’est-ce pas ? Il me semble que c’est de droit. Il n’y a de femmes outre la duchesse de Cambridge, que lady Aylesbury, lady Jersey, lady Etizabeth Stuart et lady Peel. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
23005_00381.jpg
391. Londres, mardi 9 juin 1840
2 heures

A mon tour, j’ai une lettre bien courte ce matin. Mais je ne m’en plains pas. Je ne me plaindrai de rien cette semaine, ni la semaine prochaine, à moins que je ne me plaigne de vous ce qui ne sera pas. Je voudrais bien vous trouver quelqu’un pour vous accompagner. Pour calmer votre imagination sur du danger, il n’y en a point ; et la fatigue, un compagnon ne vous l’épargnerait pas. J’espère qu’elle ne sera pas grande. Le temps est beau. Quel dommage que je ne puisse pas aller vous prendre à Boulogne ? Ce serait si facile, si ce n’était pas impossible ? J’ai peine à voir d’où viennent vos pronostics de guerre. Je ne m’attends pas à ce qu’on fasse grand chose ici sur l’Orient. Et quand même on ferait quelque chose, je ne crois pas que la guerre en sortît. Je vous attends pour causer de cela, comme de tout. Quand nous pourrons causer que nous mépriserons ce qui s’écrit. Pendant qu’on hésite en Occident, Méhêmet Ali s’affermit et s’anime en Orient. Il agit partout où il y a des Musulmans ; il les rallie, il les échauffe. Il gagne chaque jour plus de crédit à Constantinople. Si on le pousse à bout nous aurons quelque étrange spectacle. C’est là du moins ce que promettent les apparences. Mais j’ai appris à me méfier des apparences et des promesses. Que la part de la charlatanerie est immense en ce monde ! Il y en a moins ici qu’ailleurs, et pourtant le humbug est grand ici !
Le Prince Esterhazy n’arrive pas. On dit qu’il ne se soucie pas de venir tant que l’affaire d’Orient durera. Et M. de Metternich non plus n’est pas pressé qu’il vienne. Il trouve que Neumann convient mieux à l’insignifiance, et à la tergiversation. Je n’ai point de nouvelles. On est encore aujourd’hui en vacances. Lord Palmerston ne revient que demain de Broadlands.
Le bruit court de nouveau que lady Palmerston est grosse ; bruit très général. On en parlait hier chez les Berry comme d’une chose que tout le monde savait. Il y avait hier chez les Berry, cette grande Miss Trotter qui a failli épouser M. de la Rochéfoucauld et qui ne l’a pas épousé parce qu’il n’a pas voulu lui permettre une femme de chambre protestante. Vrai type anglais grande, blonde, riche, belle avec de grands et gros traits, teint éclatant et sans finesse ; avide d’esprit, prompte à l’enthousiasme ; quelque chose de très sincère, et de très factice, l’air noble sans rien de distingué. En revenant de chez les Berry, j’ai passé un quart d’heure chez lady Jersey qui avait un petit rout. J’y ai vu vingt Miss Troller.
Dites-moi donc ce qui en est de Stafford house, et si on le met réellement à votre disposition. Je le voudrais bien pour que vous n’eussiez, point d’embarras. J’aime bien vos idées d’arrangement. Out pour tout le monde à des heures déterminées. Ne trouvez vous pas que, dans la jeunesse on aime l’imprévu et, quand on n’est plus jeune, le réglé ? Il y aura bien aussi de l’imprévu, et qui sera charmant. Mais le réglé fera le fond. de la vie. Je reçois ce matin une invitation du marquis de Hertford pour dîner à sa villa de Regent’s Park, qui paraît très jolie. Connaissez-vous beaucoup le marquis de Hertford ? Vous devriez dîner là. Adieu.
Je vous quitte pour écrire des dépêches. J’envoie un courrier ce soir. Il me semble que cette manie de voyage de la Reine d’Espagne fait assez de bruit. Le mouvement des journaux est vif pour envoyer M. de la Redorte à Madrid ! Ils montent à l’assaut. On me dit qu’il est bien trist’ le pauvre M. de la Redorte. Il ne se trouve pas tout le crèdit qu’il se croyait. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
06_00009.jpg
410. Stafford house samedi 8 août 1840
8 heure du matin

Je ne puis pas dormir, je me lève et j’ai été au jardin. Il y a un brouillard épais et froid un temps anglais bien triste, triste comme moi. J’ai vu hier lord Harry Vane longtemps. Homme sensé voyant les choses comme elles sont sans passion. Il regrette la querelle de personnes et trouve que les journaux français ont été maladroits sur ce rapport. Le discours de lord Palmerston avant-hier a eu du succès à la chambre du commerce. On l’a trouvé clair et satisfaisant. Lady Clauricarde prétend que M. de. Brünnow n’en est pas content quant à la partie qui nous regarde. J’ai vu Munchhausen, des bêtises. Lady Palmerston, très sereine, très contente. Les Russes ne disant et ne sachant rien. J’ai dîné trois avec lord & lady Clauricarde. Le soir la promenade en calèche avec elle, et je me suis couchée à 10 1/2. J’ai pu dormir. J’ai oublié hier, la duchesse de Bedford (régnante) et lady William Russell. La première était évidemment venue pour me sonder et apprendre si je connaissais la Reine des Belges. Ils arrivent ce matin, Il y a une soirée pour eux lundi, et mercredi la cour s’établit à Windsor. Lady William Russell dit qu’on est de bien mauvaise humeur à Holland house. Depuis que je sais Louis Bonaparte arrêté je suis plus tranquille.
Personne ici ne croit à votre retour. Moi je ne crois à rien dans le monde qu’à une seule chose.
Midi. Je me sens bien nervous aujourd’hui, plus que de coutume. Le brouillard est dissipé la chaleur est venue, elle ne me réchauffe pas.

1 heure
Je viens de recevoir votre petit mot de Calais. Je serais bien curieuse, bien anxieuse de celui que vous m’écrirez d’Eu. J’ai eu une longue visite de Benckhausen. Mes fils sont en règle. C’est la loi. Je suis charmée, Benckhausen affirme qu’à la cité personne ne croit à la guerre et qu’on pense que le Général français a fait toutes ces démonstrations pour pouvoir en jouir plus dignement. S’il en était autrement nous avons 28 vaisseaux de ligne à Cronstadt qui peuvent être ici dans 8 jours, et 14 à Sébastopol qui peuvent aller rejoindre la flotte anglaise dans le Levant, voilà les dires de la cité, et on est parfaitement tranquille. Je voudrais être calme et me bien porter, mais cela ne va pas M. de Bourqueney n’est pas venu me voir, je le regrette. Je suis assez seule et cela ne me vaut rien. Adieu. Adieu. J’ai une horreur d’écriture. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
06_00016.jpg
400. Trouville, Dimanche 9 août 1840
Une heure
Je suis arrivée ici, ce matin. La joie de mes enfants est charmante. Je voudrais vous en envoyer la moitié. Je ne jouis qu’avec remords de ce que je ne partage pas avec vous. Henriette m’a déjà demandé de vos nouvelles. Elle est comme vous dîtes ; elle a bien de l’esprit, dans le cœur. Je les ai trouvés à merveille tous les trois ; Henriette, forte et vivante ; les deux petits pas forts, mais très vivants et sans excès. Ma mère aussi est bien ; l’air de la mer lui a réussi. Elle vous aurait bien plu ce matin ; elle m’a reçu avec ce mélange de vivacité passionnée et de gravité pieuse qui n’appartient qu’aux natures méridionales. Ils retourneront tous au Val- Richer samedi 15. Moi, je les quitterai ici après demain mardi, à 4 heures. Je serai à Eu Mercredi matin. J’en répartirai, dans la nuit du Mercredi au jeudi, pour aller coucher à Calais, et vendredi, je dînerai à Londres. Il me semble que je vous ai déjà dit cela. Pourquoi ne vous le redirais-je pas ? Je me le suis déjà redit à moi-même plus de vingt fois. Je dois vous avoir écrit bien bêtement hier et avant-hier. Je vous ai écrit avec un ennui poignant. Vous m’avez grondé une fois de ce que je décriais les lettres quand il ne restait plus que cela. Il faut un peu de temps pour se faire à une telle décadence. J’aurai une lettre de vous demain. Vaudrait-elle mieux que les miennes ? A chaque nouvelle expérience de la séparation, je suis épouvanté du progrès. J’ai bien tort de dire épouvanté ; mais je ne veux pas parler vrai.
Ce qui est vrai, c’est qu’à tout prendre je suis content de ce que j’ai vu à Eu, des deux partis. J’ai vu, d’une part de la révolution, de l’autre, de la modération. Les penchants, les désirs au fond ne sont pas, les mêmes ; mais les conduites pourront fort bien s’accorder. On travaillera sincèrement à maintenir la paix ; on fera hardiment la guerre si l’occasion l’exige. Et on prévoit des occasions qui pourraient l’exiger. On ne provoquera point ; on ne commencera point. Mais on n’éludera point. Le pays est dans la même disposition ; nulle envie de la guerre, tant s’en faut ; mais un grand parti pris de ne pas accepter tel ou tel dégoût et d’accepter les sacrifices. C’est une démocratie fière sans exaltation et résigner à souffrir plutôt qu’ambitieuse et confiante. Vous verrez cette physionomie passer même dans la presse, malgré ses fanfaronnades, et ses colères. Je ne fais qu’entrevoir mon pays ; mais ce que j’en entrevois me convient. J’espère qu’il ne sera pas mis à de trop dures épreuves. Je crois qu’il s’y ferait honneur. Lord Palmerston m’a dit souvent : « Je ne comprends pas que vous ne soyiez pas de mon avis. On me dit ici la même chose à son égard. Il y a bien peu d’esprits qui se comprennent les uns les autres. Chacun s’enferme dans son avis comme dans une prison, et agit du fond de cette prison-là. Cette complète préoccupation de son propre sens joue dans les affaires un infiniment plus grand rôle qu’on ne croit. Voici ce que je n’ai pas entendu, mais ce qui m’a été répété bien authentiquement : - " Que deviendrais-je aujourd’hui si j’avais Molé pour ministre ? " Louis Bonaparte, et son monde vont être traduits à la cour des Pairs. J’ai peur que ceci ne vous arrive pas avant jeudi. Je suis hors des grandes routes. Vous accepter tel ou tel dégoût et d’accepter les sacrifices. C’est une démocratie fière sans exaltation et résigner à souffrir plutôt qu’ambitieuse et confiante. Vous verrez cette physionomie passer même dans la presse, malgré ses fanfaronnades, et ses colères. Je ne fais qu’entrevoir mon pays ; mais ce que j’en entrevois me convient. J’espère qu’il ne sera pas mis à de trop dures épreuves. Je crois qu’il s’y ferait honneur. Lord Palmerston m’a dit souvent : « Je ne comprends pas que vous ne soyez pas de mon avis. On me dit ici la même chose à son égard. Il y a bien peu d’esprits qui se comprennent les uns les autres. Chacun s’enferme dans son avis comme dans une prison, et agit du fond de cette prison-là. Cette complète préoccupation de son propre sens joue dans les affaires un infiniment plus grand rôle qu’on ne croit. Voici ce que je n’ai pas entendu, mais ce qui m’a été répété bien authentiquement : - " Que deviendrais-je aujourd’hui si j’avais Molé pour ministre ? " Louis Bonaparte, et son monde vont être traduits à la cour des Pairs.
J’ai peur que ceci ne vous arrive pas avant jeudi. Je suis hors des grandes routes. Vous serez déjà à la campagne. Je vous écrirai encore 400 demain, à tout hasard. Samedi, en revenant de West, vous trouverez une lettre et moi. Adieu. J’aspire à demain. Trois jours sans un signe de vie ! Cela m’est-il jamais arrivé ? Adieu Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
06_00117.jpg
412. Londres, mardi 15 septembre 1840
7 heures et demie

Demay est parti avant-hier et doit être à Paris aujourd’hui selon sa promesse. Vous me direz si vous êtes contente de Valentin et de votre nouvelle, femme de chambre. Elle n’est pas jolie. Eugénie, vous a-t-elle quittée ! Que devient Chartolle ? Je suis bien questionneur ce matin. J’ai besoin de tout savoir. Encore une question. Avez-vous vu Chermside ? Je suis charmé que votre nièce soit charmante. A-t-elle assez d’esprit pour se plaire un peu avec vous ? Je suis très disposé à la trouver bien, sauf toujours la loucherie. J’y suis impitoyable. Je ne le suis que pour cela, quoiqu’on en dise.
Encore un assez agréable petit dîné hier à Holland house. Clarendon et Luttrel. Pas mal de conversation. Lord Holland et moi. Il est vraiment très aimable. Presque bouffon. Il s’est mis hier à contrefaire les hommes célèbres de son temps Sheridan, Graltan, Curran. Ce gros corps goutteux qui ne peut pas se remuer, cette grosse figure, ces gros sourcils de geolier, tout cela devenait souple, gai avec un air de moquerie fine et bienveillante. Lady Holland est plus souffrante. Pas de Brighton aujourd’hui et probablement pas du tout. Je vous raconte tout mon Holland house. C’est mon Angleterre en ce moment. Savez-vous, comment Lady Holland appelle les quatre consuls d’Alerandrie ? Les Proconsuls.
J’ai reçu une longue lettre de lord Grey. Il me prie de faire obtenir à Lady Durham, qui va passer l’hiver à Pau avec ses enfants, l’autorisation d’introduire, en France sa vaisselle. Vous savez que ce n’est pas facile. Il faut pourtant que j’y réussisse. Dites à Thiers, la première fois que vous le verrez, d’en dire un mot au Ministre des finances, de lui dire qu’il le faut.
Politiquement, voici tout Lord Gey. I rend in the papers, my only sources of information, with great anxiety and concern, the continued account ot the dangers, which threaten, the good understanding between this country and France. I cannot bring myself to believe that a rupture can ultimately take place between live countries which have mutually so strong an interest in preserving the relations of peace and amity. But I can not also be without great fears that à state of things may be produced in which some accident or mischance may decide a question which some wisdom and moderation would settle amicably. I feel confident that your feelings are not different from those which I have expressed, and if any thing could induce me again to talk part in public affairs, it would be the hope of being able to assist, in preventing dangers which are much greater than the value of all Syria, past, présent and to come.
Je ne sais pourquoi je vous copie tout cela, qui me prend mon papier et qu’il vous a peut-être écrit aussi. C’est pour la dernière phrase. Et surtout pour vous parler de tout.

3 heures
J’attends bien impatiemment que vous ne soyez plus si fatiguée, si faible. Il me semble que la vie que vous menez doit finir par vous reposer. Je n’en imagine pas de plus tranquille. Continuez à vous coucher de bonne heure. Le bavardage menteur et hostile de Mad. de Flahaut ne métonne pas du tout. Il me devient bien des bavardages. J’écoute tout et ne me préoccupe pas de grand chose. Je me sens très fort, fort comme l’Angleterre avec sa ceinture d’océan comme sera Paris quand son enceinte continue sera faite. Je crois fermement, après y avoir bien regardé, que, depuis mon arrivée à Londres, j’ai bien jugé et bien agi. Rien ne me manque en fait de preuves. Je me tiens et me tiendrai fort tranquille si jamais j’étais attaqué, ouvertement ou sourdement, je me défendrais bien. Et très sérieusement, car ces affaires-ci sont sérieuses. Adieu. Extrêmement comme vous dîtes. J’aime cet adieu-là.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
06_00192.jpg
418. Londres, Mardi 22 septembre 1840
huit heures

Je ne puis souffrir de vous écrire à la hâte, comme ces jours-ci. A part même l’ennui d’une lettre courte, être avec vous et me presser de vous quitter, cela me choque. Je viens de me lever. Rien ne me presse. Je m’appartiens. Je vous appartiens. Je reviens à votre dernière phrase.
" Pourquoi suis- je si triste ? " Je vous connais comme à moi, une raison d’être triste qui suffit à beaucoup de tristesse. J’accepte celle-là, pour vous comme pour moi. Y en a-t-il quelque autre ? Répondez- moi à la question que vous me faites. Savez-vous ce que j’ai découvert samedi ? Qu’il m’était désagréable de quitter Londres. En roulant sur le chemin de fer, je ne comprenais pas, à la lettre, je ne comprenais pas pourquoi j’avais le cœur un peu serré. Je l’ai trouvé en y pensant, et cela m’a soulagé de le trouver. J’aime Londres. Londres ou Paris. Quand un sentiment possède le coeur, que de mouvement instinctifs, irréfléchis, obscurs, il y fait naître ! On est triste ou joyeux sans savoir pourquoi. Puis on comprend. N’y a-t-il pas bien des chansons qui ont dit ce que je dis-là ? Voi che sapete & & Les chansons ont raison.
Je suis très préoccupé des affaires. La phase où nous entrons et la manière dont nous y entrons ne me plaît pas. Je suis convainecu qu’en France, comme en Europe on désire la paix, et qu’en France comme en Europe, on n’accepterait franchement, on ne soutiendrait ardemment la guerre qu’autant qu’elle serait née d’elle- même, par un accident imprévu, par une nécessité soudaine inévitable. Il faut ne pas vouloir la guerre, même eût-on la prévoyance qu’elle viendra. Car si le monde, qui n’en veut pas, peut soupçonner qu’elle est venue par la volonté ou par la faute de quelqu’un, ce sera, pour celui-là un affaiblissement immense impossible à mésurer. Vous le savez ; j’ai toujours cru, je crois toujours la guerre évitable ; mais quand je croirais, le contraire, et tout en m’y préparant, je m’appliquerais sans relâche, sérieusement, sincèrement à l’éviter jusqu’au moment où elle viendrait tomber sur moi comme la foudre. Si l’incendie doit éclater, il faut que ce soit par le feu du ciel, non pas d’une main d’homme. Personne hier à Holland house. J’ai tort ; lord Jeffrey, qui arrive d’Edimbourg. Je persiste dans ma première impression ; l’homme le plus spirituel que j’aie vu ici. Un peu d’humeur, et de découragement dans l’esprit ce qui en ôte beaucoup, car cela donne l’air vieux, et la vieillesse ne va pas mieux à l’esprit qu’au corps. Je ne sais ce qui m’arrivera ; jusqu’à présent, l’âge, en m’apportant de l’expérience, m’a paru n’apporter que de la lumière et de la force. J’ai appris à mieux penser et à mieux agir, non à douter et à désespèrer. Un moment viendra, je le sais, où mon esprit conservât-il sa pleine santé, mon corps affaibli ne suffira plus à lui servir d’instrument. Je tâcherai de ne pas me faire illusion sur ce moment là.
Depuis quelques jours une singulière envie de dormir me prend tout de suite après dîner, presque à table. Beaucoup moins quand je dîne chez moi que chez les autres. Je soupçonne qu’on mange trop ici, même moi, et que la fatigue de mon estomac fait la lourdeur de ma tête. Une tempête affrense. La pluie bat mes vitres à les casser. Les arbres de mon square baissent la tête jusque sur la grille qui l’entoure. Je crains bien que ceci ne me coûte demain ma lettre. La poste ne passera pas aujourd’hui. Je vois par les journaux anglais qu’elle a passé hier. Ils ont leur exprès de Paris. Il faisait beau hier. La pluie a commencé le soir, quand je suis revenu de Holland house. une heure Cette irrégularité des lettres me désole autant pour vous que pour moi. Quand aurez-vous eu celle de Dimanche ? Quand c’est-à dire à quelle heure, car certainement vous l’aurez eue. Je regarde au vent ; je le trouve tombé. J’espère que ma lettre à moi, passera aujourd’hui et que je l’aurai demain. Pendant qu’on espère une transaction à Paris, j’y travaille ici de tout mon pouvoir. Travail difficile dans cette saison. Où saisir les gens pour les chauffer ? Et les rapports obscurs, contradictoires, embrouillent tout. On a dévié de cette grande idée qui présidait depuis dix ans à la conduite de l’Europe. Aucune question particulière ne vaut la guerre générale. Le mal est là. On n’a plus de boussole ! Et on a dévié pour la plus petite, la plus lointaine des questions, pour une question que bien peu d’années de patience devaient emporter. Je ramène sans relâche, devant tous les yeux, l’idée grande, l’idée simple qui a tout sauvé. C’est en son nom que je prêche la transaction. L’obstination est grande. Obstination d’aveugle, et d’aveugle piqué qu’on le soupçonne de ne pas voir. Je m’obstine aussi. Vous savez que je suis peu accessible, au découragement. Adieu. Je vous redemande, en finissant la réponse à votre question de samedi. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
06_00300.jpg
425. Londres, mardi 29 septembre 1840
8 heures

Je ne vous ai pas écrit hier à mon gré. Vous dîtes que vous ne vivez que pour mes lettres. Que ne puis-je tout mettre dans mes lettres, tout ! Je ne les ferme jamais sans un sentiment triste. J’aurais tant à vous donner et je vous envoie si peu ! Non seulement si peu de ma tendresse, mais de ce qui occupe mon esprit et remplit mon temps. Nous nous le sommes dit cent fois, nous avons bien mieux fait, nous l’avons éprouvé ; rien n’est si charmant que cette entière, continuelle, minutieuse communauté de tout ce qu’on pense, sent, sait, apprend ; cette complète abolition de toute solitude, de toute réticence de tout silence, de toute gêne ; la parfaite vérité, la parfaite liberté, la parfaite union. La vie alors n’a pas un incident, la journée n’a pas un moment qui ne soit précieux et doux. Les plus petites choses ont l’importance des grandes ; les plus grandes ont le charme des petites. Une espérance agréable se mêle à tout. Tout aboutit à un plaisir. Qu’est-ce qu’une lettre pour tenir la place d’un tel bonheur ?
Je vous ferai une confidence. Ma vue, je ne veux pas dire encore s’affaiblit, mais s’alonge. Je ne vois plus aussi également bien à toutes les distances. Par instinct, pour obtenir la même netteté, je place mon livre ou mon papier un peu plus loin de mes yeux. Vous voyez bien que nous sommes du même âge.

J’ai aujourd’hui Flahaut à dîner, avec quelques diplomates. Dedel et Neumann sont encore à Tamworth, c’est-à-dire à Drayton-castle, chez Peel. Mon c’est-à dire est fort déplacé ; vous savez cela très bien. Vous ai-je dit que Neumann était mauvais dans tout ceci, sottement mauvais, commère, vulgairement moqueur, pédantesquement léger ? C’est sa faute sans doute, car je ne comprendrais pas qu’il eût pour instruction de nuire à la transaction et à la paix. Le successeur de Hummelauer, le Baron de Keller, a assez bonne mine, l’air intelligent de la tenue. Pas très instruit par exemple ; voici de sa science, un échantillon qui m’a bien surpris. Il m’a dit l’autre jour que Frédéric le grand était mort l’année d’avant la naissance de Napoléon, vingt ans avant la révolution française, en 1768. Je n’ajoute rien. Je me suis un peu récrié. Il s’est troublé un peu, mais il a persisté, et je me suis tu. Ne racontez pas trop cela. Le bruit en reviendrait à ce pauvre homme, et il m’en voudrait. Il dîne aujourd’hui chez moi
Le conseil d’hier a été tenu mais la discussion ajournée à jeudi. Lord Lansddown, lord Morpeth et lord Duncannen n’étaint pas arrivés. On veut qu’ils y soient. Il pleut toujours. Je n’ai pas mis hier le nez hors de chez moi. J’ai joué au Whist, le soir. Je ne saurais vous dire combien cet emploi de mon temps me choque, je dirais presque m’humilie. Et quand je ne m’en ennuie pas, je n’en suis que plus humilié. 4 heures J’ai été à Holland house après-déjeuner. On a bien tort de ne pas aller se promener là plus souvent. C’est charmant. Voilà donc déjà l’amiral Stopford attaqué. C’est un modéré. Napier lui- même est sur le point de l’être. Il fera, tous les coup de tête qu’on voudra. Il aime les coups. Mais sa correspondance ne plaît point. Il parle trop bien du Pacha et trop des difficultés de l’entreprise. Il faudra faire lord Ponsonby amiral, général d’armée. Il n’y a que lui pour instrument comme pour autour à tout ceci Dedel est revenu. J’ai trouvé sa carte en revenant de Holland house. Je le verrai probablement ce soir. Lady Holland va mieux. Elle n’a pas voulu que je vous le dise, il y a deux jours. Cela porte malheurs dit-elle. Ils finiront par aller passer une semaine à Brighton. Elle se persuade que cela lui sera bon, à elle contre la bile, à lord Holland contre un rhume. J’admire cette disposition à croire selon sa fantaisie du moment.
Ne prenez pas cela pour une pierre dans votre iardin. Je n’ai point de pierre pour vous, et votre jardin est le mien. Mais il est vrai que je m’étonne souvent de votre extrême promptitude à prendre sur votre santé une idée une persuasion, une résolution. Et en m’en étonnant, je la deplore. Et certainement si j’étais toujours près de vous, je la combattrais. Pour la santé comme pour toute chose, il faut de l’observation, de l’esprit de suite, un peu de méfiance de soi-même, un peu de patience. Les complaisants, les flatteurs ne valent pas mieux au corps qu’à l’âme. Je vous prêche. Pas autant que je voudrais bien s’en faut. Il y a bien des choses que je ne vous dis pas parce que, pour les dire avec fruit, il faut les dire tout le jour, toujours ce qui est plus que tout le jour. Et je ne me résigne point à ne pas vous les dire, surtout quand elles touchent votre santé.
Adieu. Adieu devant ma gravure mais sans la regarder en lui toumant le dos. Adieu. Quel adieu !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L007_00080.jpg
10 Du Val Richer, Lundi 21 août 1843

Voici mon dernier numéro. Mercredi sera charmant. Il me semble que je viens de passer dix jours absolument seul sans voir personne, sans parler à personne et que je retrouverai Mercredi, ma société à moi, toute ma société.
J’ai pourtant beaucoup écouté et beaucoup parlé hier soir. Salvandy a passé deux heures dans mon cabinet. Il est toujours bien perplexe. Le Roi ne l’a pas décidé. Je crois avoir un peu plus avancé hier. Mais ce n'est pas sûr. Par malheur pour lui, plus je l’entends, plus ma conviction qu'il ne peut pas retourner en Espagne s'affermit. Soyez tranquille. Il n’y a point de chance de faiblesse. Et en même temps je dois le dire, je le trouve plus honnête, plus touché des bons motifs que je ne le croyais. Il me demande de marier sa fille. Si je marie sa fille, il ira où je voudrai, n’ira pas où je ne voudrai pas. Il sera parfaitement content. Elle a vingt ans, de l’esprit, pas jolie, fort peu d’argent, quelques espérances et elle lui dit : " Mon père, prenez garde ; se brouiller avec le Cabinet, c’est se brouiller avec le Roi, et le parti conservateur." Je crois qu’en définitive. il prendra Turin. Il me revient de Madrid qu'Aston laisse voir quelque envie d'y rester. Il a fait donner par le Chargé d'affaires du Danemark, M. d'Alborgo, un dîner au Duc de Baylen. Tout le corps diplomatique y était. Aston a été fort poli, et presque caressant avec tout le monde. En même temps pourtant il parle mal du nouveau gouvernement. A propos du départ de Prim comme gouverneur de Barcelone il disait : " Il va se faire fusiller, ou bien il bombardera Barcelone, ou bien il se mettra à la tête d’une nouvelle insurrection. " Prim répond bien qu’il ne fera rien de tout cela. Il est tout-à-fait dans la main du Général Serrano qui me parait de plus en plus, l'homme de tête et de cœur de l’évènement. Narvaez se conduit plus sagement et avec moins de prétentions que dans les premiers jours.
Il a plu hier au soir par torrents. Ce matin le soleil reparait. En tout ces dix jours ont été très beaux. J'en ai joui à St Germain autant qu’au Val-Richer. Avez-vous fini par vous arranger avec les gens d'écurie comme avec les coqs de Beauséjour ? Je sais bon gré à la jeune Comtesse de ses soins pour vous. Je chercherai quelque manière de lui faire plaisir.
Je commence à croire tout-à-fait que le général Oudinot n’a pas été à Pétersbourg. Il y serait depuis longtemps et d'André me l’aurait écrit. Nous aurons fait de la sévérité en l’air. Il n’y a pas de mal. Il en saura quelque chose, l'Empereur aussi, et l'effet en sera bon. J’espère que d'André aura eu l’esprit de ne pas tenir absolument caché ce qu’il était chargé de faire en cas. Je vous quitte, selon ma coutume, pour ma toilette.
Je vous reprendrai tout à l'heure. Adieu. Adieu.

10 heures Je ne vous reprends que pour deux minutes. Il m’arrive une foule de dépêches que je veux lire avant de les renvoyer. Elles me conviennent en général. Celles de St. Domingue sont très bonnes. Je ne vous ai jamais parlé de cette affaire-là. J'y mets de l’importance. Le Prince de Joinville et le Duc d’Aumale vont en se promenant en mer, faire une visite à Woolwich, et de là à Windsor. Je suis toujours bien aise qu’on les voie. Adieu Adieu. A après-demain.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00104.jpg
2. Beauséjour 5 heures jeudi 31 août 1843,

J’ai été en ville. J’ai remis à Génie ma lettre et une lettre de Lady Palmerston reçue après coup, et que vous me renverrez. J'ai fait visite aux Appony. Vraiment il est trop bête. "-Et bien, elle vient donc cette petite reine ? Caprice de petite-fille un Roi n’aurait par fait cela. - Pourquoi pas ? S'il en avait eu l’envie ? - Mais c’est que l’envie n’en serait pas venue. - C’est possible. Mais voilà toujours un grand événement et qui fera beaucoup d’effet partout. - Je ne crois pas. On dira que c’est une fantaisie de petite fille. - Fantaisie accepté par des Ministres qui ne sont pas des petites filles. - On sait qu'ils sont très plats et qu'ils tremblent devant elle. - En tous cas voilà parmi les souverains de l'Europe le plus considérable peut être, et celui qui ne se dérange jamais qui vient faire visite au Roi. C’est un grand précédent. (avec une mine et un geste très ricaneur) Il se trompe bien s'il croit pour cela que les autres feront autrement qu’ils n’ont fait jusqu'ici. Personne ne viendra. - Et bien on se passera mieux des autres visites depuis qu'on aura eu celle-ci. - Je suis bien sûr cependant que le roi eut été beaucoup plus flatté de la visite du roi de Prusse. - En vérité je ne sais pas pourquoi et certainement elle n’aurait pas fait autant d’effet que celle-ci. - à Vienne on n'y pensera pas. Je me mis à rire et je lui dis : - Savez-vous qu'il y a des rapportages en ville & que j'ai entendu moi-même dire à Molé que le corps diplomatique montrait beaucoup de dépit. Il est devenu rouge. Certainement pas moi. Nous sommes si bien avec l'Angleterre et si sûrs d’elle que nous serons même bien aises de cette visite. Je n’en avais pas assez et j'ai dit que Molé avait été assailli par des : " Avez-vous lu le National ? Décidément ceci l'a interdit. Il avait même l’air un peu colère, Armin est entré ; la conversation a fini. Il me semble que je vous envoie assez de commérages. Ce qui est bien sûr c’est que l'humeur de l’Europe sera grande et cela doit bien vous prouver que le continent sans exception est malveillant pour ici. Gardez l'Angleterre. C’est votre meilleure. pièce. Beauséjour vendredi 8 h dim. matin La journée a été bien mauvaise hier. Si vous n'aviez pas à recevoir une Reine je vous en conterais tous les incidents. Tout a été de travers, pas de fête, pas un coin et je me suis vu forcée de revenir coucher ici où j’ai failli ne pas retrouver mon lit. Je vous conterai tout cela à votre retour. Heureusement Pogenpohl était avec moi, ce qui a contenu ma colère, quoique pas trop. Il a un peu d'esprit et avant que j'eusse pris l’initiative il m’a parlé du voyage comme de quelque chose de très grand, très important et qui doit avoir un grand effet, ici et partout. Il a ajouté " à présent, les bouderies de l’Empereur n'ont plus la moindre portée. " Il ne fera peut-être pas autrement qu'il n'a fait mais cela ne veut plus rien dire. " Voilà qui est vrai. Le bon de ce voyage, c’est que tout le reste dévient égal. Ecrivez donc ou faites écrire à d’André de bien vous mander tout ce qu’il entendra dire. Vos autres après auront bien l'esprit de le faire sans attendre un ordre. J’ai fait prier Kisseleff de venir ce matin, je serai bien aise de lui parler. Fluhman viendra probablement aussi. 10 heures Que de choses utiles et bonnes à dire à Aberdeen. Vous n'oublierez surement pas de donner une bonne bais [?] à vos entretiens. Vous rappelez que le bon langage des Ministres anglais au parlement a bien puissamment contribué à calmer les folies françaises. Il me parait que vous devez, que vous pouvez vous établir sur un pied de si bonne amitié et franchise avec lui. Surement comme étranger vous lui cèderez le pas aux dîners, & & & Je vous dis des bêtises. Vous savez tout cela. Mais n’importe. Qu’est ce que l’affaire de votre consul et du drapeau français. à Jérusalem ? C’est mauvais. Sébastiani a eu je crois une affaire pareille à Vienne ou Constantinople. Ou bien n'était-ce pas Bernadotte ? Je reviens à Appony. Vraiment je suis un peu étonnée. Le meilleur !!! Metternich était bien tant qu’il croyait être seul à vous protéger car c’est bien là le sentiment. Sa vanité était en jeu et de là venait sa bonne conduite. Aujourd’hui il est débordé, son dépit sera grand, en attendant son ambassadeur est trop sot Voici votre N°1. Merci, merci. J’aime autant, et même mieux que la Reine ne vienne pas à Paris. On n’aura plus le droit de dire, petite-fille curieuse de s'amuser. Et puis. Vous serez libre plutôt. J'aurais aimé à causer avec Lord Aberdeen, mais vous n'oublierez rien, seulement j'aurais eu le contrôle. Je suis charmé que ce soit Andral j'espère qu'on choisira son meilleur rôle. Passé minuit est un peu trop leste pour la vue ; car il sort de son lit avec le stricte nécessaire. However I don't know. Les tapes sont une grande habitude en Angleterre ; peut-être par la chaleur aimera-t-elle la nouveauté d’un parquet. Si j’avais Lord Cowley sous la main je lui soufflerais la mauvaise humeur du corps diplomatique. Il se croyait si sûr de la probité autrichienne ! Nous en causions le dernier jour et il me disait : " pour ceux-là ils ne seront surement pas. jaloux. " Je regarde beaucoup le ciel. Quel bonheur s'il reste aussi beau ; ce sera superbe. Le danger qu’a couru le Roi et la famille fait faire d'étranges réflexions. Dans l’accident de l’an passé, il n’y avait pas de quoi se donner une entorse, et le Duc d'Orléans y a péri ! A présent ils devaient être tués tous, et il n'est rien arrivé qu'un bain à 3 chevaux ! Vraiment, vraiment la main du duc est bien visible. Elle protège toujours le Roi. jaloux. " Je regarde beaucoup le ciel. Quel bonheur s'il reste aussi beau ; ce sera superbe. Le danger qu’a couru le Roi et la famillie fait faire d'étranges réflexions. Dans l’accident de l’an passé, il n’y avait pas de quoi se donner une entorse, et le Duc d'Orléans y a péri ! A présent ils devaient être tués tous, et il n'est rien arrivé qu'un bain à 3 chevaux ! Vraiment, vraiment la main de duc est bien visible. Elle protège toujours le Roi. Je repense à ma conversation avec Molé. Certainement, il a retrouvé son esprit. C’est de très bon gout de dire son contentement du voyage, et il le fait avec un air très naturel, irréprochable. Le diable n’y perd rien peut-être, mais c’est égal.. Je vous écris des lettres énormes. Aurez-vous le temps de les lire ? On vient de me faire dire de Versailles qu'il y a un appartement. Je me décide donc à retourner. Si je puis entraîner Fluihman, je l’emmène si non j’irai seule. Adieu. Adieu mille fois adieu. l wish you success. Je serai bien contente d’apprendre que la Reine est actually arrived. Adieu. J'ai oublié encore à l’article Appony ceci : il me dit, j'espère que M. Guizot et ses collègues ne montreront pas trop d’orgueil de cette visite. Soyez tranquille. Ce sont des gens d’esprit. And now good bye for good. Mais encore adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L007_00118.jpg
2. Au château d’Eu Vendredi 1 sept 1843
9 heures

Je me lève. J’ai très bien dormi. J'étais fatigué hier soir. Je dors dans ma voiture comme il y a vingt ans et ma voiture est beaucoup meilleure qu’il y a vingt ans. Mais j’ai vingt ans de plus. Je suis très reposé ce matin. La Reine ira-t-elle à Paris ? That is the question. Personne n’en sait rien. Sebastiani qui est arrivé hier de Londres dit oui. La Reine des Belges persiste à dire non. En tout cas, le Roi le lui proposera et insistera. C'est mon avis comme le sien. Nous en tremblons pourtant. Des cris de polissons, un coup de scélérat, Tout est possible en ce monde et de notre temps. Nous avons fini hier le Roi et moi, par nous troubler beaucoup l'un l'autre en en parlant. Cependant la conclusion est restée la même. Il faut proposer et insister convenablement si elle ne veut pas, c’est bien. Si elle veut, nous ferons comme si nous ne craignions rien, et tout ira bien. Si elle veut, le Roi lui offrira deux logements, St Cloud ou les Tuileries à son choix. Aux Tuileries l’appartement de la Duchesse de Nemours en y joignant celui de la Reine des Belges, qui touche. Ce sera bien. St Cloud serait mieux, plus beau, plus gai et plus sûr. Comme elle voudra. Je suis ravi qu’elle vienne. Je serai très heureux quand elle sera partie. Elle est très aimable, car elle veut l'être beaucoup. Elle a dit aux Princes que depuis longtemps, elle était décidé à mettre le pied sur un bâtiment Français avant tout autre et à entrer dans le palais du Roi avant tout autre.
Les récits de Sebastiani sur son gouvernement sont aussi bons que ceux de l’intérieur de la famille sur elle-même. Peel, Aberdeen et le Duc de Wellington excellents, parlant de l’épreuve qu’ils viennent de faire de nous et de notre politique en Espagne comme d’un fait décisif. Peel parlant de moi, en termes qui font dire à Sebastiani : " C’est un ami que vous avez là. " Et puis autre chose encore que je vous dirai, et qui ne vient pas de Peel. L'opposition est bien et veut être bien sur le voyage de la Reine. Palmerston dit qu'elle a raison. J'ai deux longues lettres de Chabot. Il a encore un peu tort, mais moins que je ne pensais. Ce n’est pas du tout lui qui a demandé à venir ici ; c'est le Roi qui de lui-même, ou plutôt sur la provocation du Prince de Joinville, l’y a engagé, et l'a fait en me le disant.
Je tiens ceci du Roi à qui j'ai dit que je gronderais un peu Chabot ; et la lettre qui m’est venue hier de Chabot est parfaitement d'accord. Je suis bien aise d'avoir dit ce que j'ai dit. Ceci bien entre nous. Je ne sais pourquoi je vous dis cela. Mais on parle souvent vous le savez ; sans raison aucune, pour se satisfaire soi-même. Autre question qui nous préoccupe fort. Le Roi, ira-t-il en mer au devant de la Reine, pas loin, mais enfin en mer, en rade du Tréport ? Il le veut, et il a raison. On s'y oppose beaucoup autour de lui ; on me demande de m'y opposer. La Reine des Belges m'en a conjuré hier. On a l’esprit frappé des accidents. L’entrée du Tréport est difficile ; il y a peu d'heures dans la journée, où elle soit possible. Le Roi pourrait se trouver retenu dehors avec la Reine Victoria. Ses deux souverains hors de chez eux, et ne pouvant rentrer chez eux, ni l’un chez l'autre. Il y aurait à rire. Pourtant je suis de l'avis du Roi. La prudence est bonne, et aussi la crainte de faire rire. Mais on ne ferait rien, si on ne savait pas courir la chance de faire rire et pleurer. Et puis vraiment, il n’y aura lieu ni à l’un, ni à l'autre. En soi, la chose me parait simple et convenable. Le Prince de Joinville a un autre petit ennui. Ses deux steamers, le Pluton, et l'Archimède, ne marchent pas aussi bien que le steamer de la Reine qui est un bâtiment fort léger sur lequel on a mis une énorme machine de la force de 450 chevaux. Il craint de ne pouvoir la suivre de Cherbourg au Tréport.
La Princesse de Joinville est bien gentille ; grave comme un bonnet de nuit, en l’absence de son mari, elle ne peut par s’y accoutumer. Elle a quatre heures de leçons par jour, histoire géographie, littérature, français, dessin etc. Je vous quitte pourtant. Il faut que je fasse ma toilette. Le Roi déjeune à 10 heures et demie. J'aurai votre lettre dans une heure. Je ne sais pourquoi Versailles me semble plus loin que Beauséjour
10 heures Oui, Versailles est plus loin que Beauséjour. Vraiment, si cela ne vous contrariait pas trop je vous aimerais mieux à Beauséjour et à Paris pendant ce voyage. Vos idées, vos avis me sont nécessaires, et nécessaires à mon monde de Paris. Par Génie, tout ce que vous penserez ira à qui il faudra. Et la promptitude est tout en ce moment. J’ai bien envie de vous séduire. Je vous écrirai plus souvent si vous êtes à Beauséjour. Mes lettres vous arriveront plus vite et auront un effet s’il y a un effet à avoir. C’est abominable ce que je dis là. Je vous écrirai aussi souvent quoiqu’il en soit, pour mon plaisir et pour le vôtre. Mais il est sûr que Beauséjour est plus utile. J’écrivais ce matin à Duchâtel pour le télégraphe.
Molé a de l’esprit. Je le savais. Mais l'humeur le lui ôte quelque fois. L’humeur de tous les autres m'amuse infiniment. L'enfantillage m'étonne toujours un peu. Pourquoi avoir de l'humeur quand on ne peut et ne veut rien faire ? Soyez tranquille ; je ne serai pas trop orgueilleux. Mais je vois bien tout ce que ceci vaut. Je sais bon gré au duc de Noailles. Je vais déjeuner. Merci de ce N°1, bon et long. La longueur est ici la mesure de la bonté. Adieu. Adieu. A tantôt. La poste ne part qu'à 2 heures

Midi et demie. Je viens d'avoir un rare honneur. J’entre dans la salle à manger. La Reine prend la Princesse de Joinville à sa droite, et me fait signe de me mettre à côté d’elle. Mad. du Roure à qui je donne le bras, et qui n’a pas vu le signe, me dit : " à côté de la Princesse Clémentine. Je n’en tiens compte et je me mets à côté de la Princesse de Joinville. " Mais non, non. " me dit mad. du Roure. - Mais si, dit avec un peu d'impatience la Princesse de Joinville, la Reine l'a dit. " Je m'assieds donc. Mad du Roure se penche vers moi et me dit : " C’est qu'en général on ne met personne à côté d'elle ; elle ignore tant toutes choses ! Et en effet, je ne l’ai jamais vue qu'entre deux Princes ou Princesses. On a fait une exception pour moi, la Reine l'a voulu et la Princesse en avait envie. J’ai causé. Parfaitement naïve, ignorante, vive, se tenant bien droite, le ton un peu brusque. Elle attendait que je lui parlasse et se tournait vers moi un peu impatientée quand j'étais quelque temps sans lui parler. A tout prendre j'en ai reçu une impression agréable. On a trop peur de ses ignorances. Pour le coup, ceci pour vous seule. Décidément la Reine des Belges insiste pour qu'on ne presse pas la Reine de venir à Paris. Elle en aurait envie, mais elle ne peut guères. Elle a promis de ne pas s'éloigner des côtes. On se croirait obligé de nommer une espèce de Conseil de Régence si elle s’enfonçait bien loin. L’insistance l'embarras serait. Elle craindrait que le refus ne fût une maussaderie. Voilà le dernier état de la question. Adieu. Adieu. Adieu. G.
Voici la lettre de Lady Palmerston. Evidemment gracieuse à dessein, quoique de loin. Cela est fort d'accord avec le dire de Sebastiani. Dites, je vous prie à Génie ce qui est de nature à lui être dit dans ce que je vous écris, pour que je ne sois pas obligé de l'écrire deux fois. J’ai et surtout j'aurai bien peu de temps.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L007_00136.jpg
3 Château d’Eu, Samedi 2 sept 1843
6 heures et demie du matin.

Il fait toujours très beau, et bon vent d'ouest. La Reine, la nôtre, avait grand peur que l'autre Reine n’arrivait cette nuit. Le danger est passé. Les Cowley sont arrivés hier à 3 heures. J'ai été les voir sur le champ en revenant du Tréport où j'étais allé avec Mackan m’assurer de tous les préparatifs. Ils ont l'air bien contents. Mais Lord Cowley, qui avait d'abord cru le contraire, dit que la Reine n’ira pas à Paris, qu'elle ne le peut pas cette fois. Nous verrons bientôt. Je crois quelle n'ira pas.
Chabot est arrivé aussi. Je lui ai fait mon admonition. Le tort était petit, à part ma facilité naturelle et ma bonté particulière pour lui. Il m’a écrit que le Roi le mandait à Eu le lendemain du jour où il l’a su ; et ce n'est pas sa faute si je le savais déjà depuis plusieurs jours, le Roi me l'ayant mandé tout de suite. Il est d'ailleurs fort agréable à entendre sur notre et ma bonne situation à Londres. Il y a évidemment un parti pris de s’entendre avec nous sur toutes choses et de reprendre en même temps le fond et les dehors de l’intimité.
Lord Aberdeen a assez mal reçu Neumann sur les propositions de M. de Metternich en faveur du fils de D. Carlos. Il les aimerait assez en principe, mais il ne croit pas au succès et ne veut pas s'en mêler du tout. Neumann à écrit qu’il n’y avait rien à faire du foreign office sur cette question là. M. de Metternich avait écrit partout, à Berlin entr'autres, qu’il était sûr de l'Angleterre et n'attendait plus que la France. La vanterie n’est pas un défaut des seuls Français. Le gouvernement représentatif en corrige beaucoup. Le ridicule ne peut pas s’y cacher.
Le corps diplomatique de Londres ne voulait pas croire au voyage. Là aussi on pariait, Brünnow comme Kisseleff. Lord Aberdeen y a été très favorable quoi qu’il souffre beaucoup en mer. Je crois toujours que l’espoir Cobourg y est pour quelque chose. Le Prince Albert et le Roi Léopold ont évidemment beaucoup contribué à la résolution. Votre recommandation est donc bien placée, mais point nécessaire ; soyez sûre.
L’appartement de la Reine est bien arrangé. Un bon salon avec un meuble de beau Beauvais, fond rose et des fleurs d'un travail admirable. Un bon Cabinet pour le Prince Albert en velours cramoisi. La Chambre à coucher, (j'oublie la couleur) grande et très pleine de meubles. Un lit immense. (jaune, je me souviens) en face de la cheminée. Au fond du lit un grand portrait de la grande mademoiselle à plus de 50 ans, grosse, forte, le nez en l’air, quoique long, l’air hautain et étourdi, bien comme elle était. Des portraits dans toutes pièces, et dans tous les coins de toutes les pièces. En face du lit de la Reine à droite de la cheminée, le père de l'Empereur Napoléon, Napoléon et M. de Lafayette. A gauche, trois Princes de la maison de Bourbon anciens, je ne sais plus lesquels. Après la Chambre de la Reine, son cabinet, pas grand, fort joli. Beaucoup de petits comforts inspectés par le Roi avec un soin incroyable. Il était bien en colère hier parce que les serrures n'avaient pas bonne mine. Elles auront bonne mine.
J'ai vu hier Madame la Duchesse d'Orléans. bien triste. Je la trouve un peu engraissée, mais fatiguée et le teint échauffé. Bon et beau naturel. Soyez en sûre Elle viendra un peu le soir, dans le salon de la Reine. Ce sera sa rentrée dans le monde. Le Comte de Paris est à merveille, gras, gai, l'œil ferme et tranquille. Le duc de Chartres bien grêle et bien vif. Je l'ai vu hier au Tréport. Le comte d’Eu sur les bras de sa nourrice, un superbe enfant.
Le camp de Plélan va très bien. Parmi les légitimistes bretons, l'ébranlement est général ; et la masse de la population accourt au camp avec avidité. Les curés très puissants là, se rallient tous. Le Duc leur convient. La Duchesse plait. Et les soldats aussi plaisent au peuple. La Bretagne n'avait rien vu de pareil depuis on ne sait combien d'années. Les comédiens de Vannes sont venus s'établir au camp. On s'amuse utilement. A propos de comédiens nous aurons ici lundi, l'Opéra comique et le vaudeville. Jean de Paris et les deux voleurs ? Qu’est-ce que les deux voleurs ? Arnal y est-il ? Il faut pourtant que j'écrive à d'autres. Nous serons probablement convoqués, tout à coup, après le déjeuner, pour nous rendre au Tréport. Dès que la flottille de la Reine sera en vue, trois coup de canon l’annonceront. Nous endosserons notre uniforme, nous monterons dans les calèches; et Dieu sait quand nous reviendrons; à quelle heure je veux dire. Les approches, la marée, le débarquement, les cérémonies, rien ne finit. Cette lettre-ci partira donc sans que j’y puisse rien ajouter, par le courrier de 2 heures. Mais je vous écrirai ce soir par l'estafette. Il n’y avait rien à faire du télégraphe. On n'aurait pu aller le rejoindre qu'à Boulogne 28 lieues d’ici. Mad. Angelet (vous savez qui c’est, elle a élevé la Princesse Clémentine) m'a fait les plus agréables rapports sur ce qu’on disait de moi, à Windsor, la Reine et tout le monde autour de la Reine. Je me suis trompé, c’est miss Lisdle et non pas miss Leeds ; une sœur de Lady Normanby. Adieu. Adieu. Je vous dirai encore adieu après le déjeuner, avant de monter en voiture.

9 heures. Voilà du canon. Le Roi me fait demander. Je pars. Adieu. Adieu. G.

Onze heures Je reviens. Ce n’était pas la Reine, mais un petit steamer anglais envoyé devant pour annoncer qu'elle arrivera vers 2 heures. The Ariet, Captain Smith. Il a quitté la Reine à Portsmouth. Elle a dû partir de Falmouth hier au soir à 6 heures, pour passer dans la nuit devant Cherbourg. Le Prince de Joinville, averti aussi, a dû quitter hier soir la rade de Cherbourg pour aller rencontrer la Reine en mer. Tout cela est arrangé, calculé avec une précision admirable. Nous venons de déjeuner et nous rentrons chez nous jusqu'à l'heure.
Que le n° 2 est amusant ! Je répète avec vous : " C’est trop bête. " Ne trouvez-vous pas que quand on n'a pas naturellement beaucoup d'esprit il ne sert à rien, dès que la passion arrive, d'être bien élevé et de bonne condition ; on tombe au plus bas, on devient grossier et subalterne, comme si on avait passé sa vie dans l’antichambre.
Vous avez mis Andral pour Arnal. J'en ai ri. Mon pauvre Andral a failli perdre tout à l'heure sa femme d’une fluxion de poitrine, la fille de M. Royer-Collard. Elle est un peu mieux. Je déjeunais à côté de Lady Cowley. J’ai fait avec elle ce que vous auriez fait avec son mari. Je lui ai soufflé l'humeur d’Appony. Je ne savais pas que Georgina eût le cœur si français. Au point, me disait sa mère, qu’elle trouve à tous les Anglais en France, l’air vulgaire. C’était à propos du Capitaine Smith ; et pour lui, il y a du vrai. Mais pas du tout en général. Adieu. Adieu. Je dis comme tout-à-l'heure. Il faut pourtant que j'écrive à d'autres. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00126.jpg
3 Versailles, Samedi 2 Septembre 1843
6 heures du matin

Me voici bien véritablement à Versailles, mais cela ne me plait guère. L’appartement que j'occupe est au midi. J’étouffe. J’ai passé une nuit détestable. J’ai fait hier un mauvais dîner qui me dérange l’estomac. Enfin cela commence très mal. Je commence à me croire bête. Je ne sais pas les arranger. Kisseleff est venu hier à Beauséjour avant mon départ. Je voulais lui dire que le corps diplomatique se conduisait très sottement et lui insinuer par là la convenance de faire et dire autrement. Il s’est avoué coupable du pari, il les regrette extrêmement. Je l’ai rassuré, j’ai dit que quoiqu'on les sût on n’y ferait pas attention mais il faut qu'il règle son langage ou il a affirmé et je le crois qu’il dit à tout le monde en parlant du voyage " c’est un très grand événement ", & lorsqu'on lui jette à la face la petite fille. Il dit une petite fille qui est un roi, qui arrive flanquée de ses vaisseaux de ligne ; et accompagnée de son ministre, c'est le gouvernement, c'est l'Angleterre. Je l'ai loué et exhorté à continuer. Quand on a de l'esprit c’est comme cela, qu'il faut faire. Je voulais sérieusement rendre service à Kisseleff, et je suis sûre de mon fait en faisant ressortir que tous ses collègues sont des sots.
Ce pauvre Fluihman que j’attends qui est venu a été renvoyé brutalement par ce sot de Stryboss. Pauvre homme dans cette chaleur. Je lui ai écrit pour l’inviter ici aujourd’hui mais il ne me croira plus.
J’ai quitté Beauséjour à cinq heures, seule. J’ai dîné un peu tristement et mal. J'ai marché sur le pavé dans les ténèbres suivie d’Auguste. Comme c’est gai. Je suis entrée un moment chez Mad. Locke dont l'appartement touche au mien. Elle est très bête, sa fille a un ton de village, le mari ne dit plus un mot. Ce trio n’est pas soutenable si l'on ne vient pas me voir de Paris cette solitude sera intolérable.
J’attends votre lettre. Je voudrais bien savoir cette reine arrivée. Si elle tarde c’est autant de jours de pénitence de plus pour moi, et je les trouve déjà bien longs. Serra Capriela donne demain une soirée diplomatique au comte de Syracuse. Appony devait venir passer la journée chez moi, ceci l’en empêche.
Une heure. Voici votre lettre. Je vous en prie pas de galanterie en mer. Que le Roi n’aille pas au devant. La bonne grâce serait quand elle approchera et lorsque son bâtiment sera en rade. C'est-à-dire en parfaite sécurité, que le Roi monte en bateau ouvert pour la recevoir. Il est clair qu'il faut un bateau dans tous les cas. Je ne connais pas votre Tréport mais s’il est fait comme d'autres ports le bateau à vapeur n’arrivant pas jusqu’au bord il faut toujours se mettre en chaloupe pour aborder. C’est donc chaloupe que je voulais dire, et encore j'ai bien envie de m’en dédire. Je ne suis pas le moins du monde de votre avis sur ces sortes d’entreprises. " Là où il y a la plus petite chance d’un très grand malheur il faut s’abstenir ! " (traduction littérale d'un dicton Anglais.) Que le Roi reste chez lui. Et surtout pour Dieu que vous y restiez. Je n’aime pas toutes ces aventures. Ah que je voudrais qu’elle fut déjà là ! Votre lettre me fera trembler jusqu'à demain. Et puis je recommencerai. Vous me rendez très nervous par cette chance d’une promenade en mer si la Reine n’est pas arrivée demain quand vous lirez ceci, suivez-mon conseil. Je vous en conjure ; écoutez-moi.
Je vois que vous me voulez à Beauséjour. J’y retournerai puisque c’est votre volonté. Je coucherai encore ici aujourd’hui. Vous ne savez pas comme vous venez de m’inquiéter, et puis quand je me rappelle que nous nous sommes quittés si gais j'en reviens à un pressentiment triste. Je vous demande à genoux de ne pas vous embarquer, de ne pas embarquer le Roi. Adieu, adieu.
J'écris à Génie pour le prier de venir ici. Peut-être viendra t-il. Madame Narychkine revenue de Bade me rapporte la nouvelle que les trois filles du Grand Duc Michel se marient. L'ainée au Duc royal de Wurtemberg. La seconde au Duc régnant de Nassau. La troisième au Prince héréditaire de Bade. Tout cela d’excellents mariages. Et l’Empereur qui ne parvient pas à en faire de bons pour ses filles. Qu’est-ce que je vous dis là ! Je n’ai plus autre chose dans la tête que cette navigation du roi. Abominable idée jetez la par terre je vous en supplie. Adieu. Adieu. Adieu. Non pas gaiement du tout mais avec une horrible inquiétude. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L007_00169.jpg
7 Château d’Eu. Lundi 4 Sept. 1843,
8 heures

Je pense beaucoup à ce qui se passe ici, si je ne consultais que mon intérêt, l’intérêt de mon nom et de mon avenir, savez-vous ce que je ferais ? Je désirerais, je saisirais, s’il se présentait un prétexte pour me retirer des affaires et me tenir à l'écart. J’y suis entré, il y a trois ans, pour empêcher la guerre entre les deux premiers pays du monde. J’ai empêché la guerre. J’ai fait plus. Au bout de trois ans à travers des incidents, et des obstacles de tout genre, j’ai rétabli entre ces deux pays la bonne intelligence l'accord. La démonstration la plus brillante de mon succès est donnée en ce moment à l’Europe. Et elle est donnée au moment où je viens de réussir également sur un autre théâtre dans la question qui divisait le plus profondément la France et l'Angleterre, en Espagne. Je ne ressemble guères à Jeanne d’Arc ; mais vraiment ce jour-ci est pour moi ce que fut pour elle le sacre du Roi à Reims. Je devrais faire ce qu’elle avait envie de faire, me retirer. Je ne le ferai pas et on me brûlera quelque jour comme elle. Pas les Anglais pourtant, je pense.
Aberdeen a causé hier une heure avec le Roi. C'est-à-dire le Roi lui a parlé une heure Aberdeen a été très très frappé de lui, de son esprit, de l'abondance de ses idées, de la fermeté de son jugement de la facilité et de la vivacité de son langage. Nous sommes montés ensemble en calèche au moment où il sortait du Cabinet du Roi. Il était visiblement très préoccupé, très frappé, peut-être un peu troublé, comme un homme qui aurait été secoué et mené, très vite en tous sens, à travers champs, et qui bien que satisfait du point où il serait arrivé, aurait besoin de se remettre un peu de la route et du mouvement. The king spoke to me un very great earnestness, m’a-t-il dit. Et je le crois car, en revenant de la promenade, j’ai trouvé le Roi, très préoccupé à son tour, de l'effet qu’il avait produit sur Aberdeen. Il ma appelé en descendant de calèche pour me le demander. " Bon, Sire, lui ai-je dit ; bon, j’en suis sûr. Mais Lord Aberdeen ne m’a encore donné aucun détail. Il faut que je les attende. "
Il les attend très impatiemment. Singulier homme le plus patient de tous à la longue et dans l’ensemble des choses, le plus impatient le plus pressé, au moment et dans chaque circonstance. Il est dans une grande tendresse pour moi. Il me disait hier soir : " Vous et moi, nous sommes bien nécessaires l'un à l'autre ; sans vous, je puis empêcher du mal ; ce n’est qu’avec vous que je puis faire du bien. "
Il fait moins beau aujourd’hui. J'espère que le soleil se lèvera. Nous en avons besoin surtout aujourd’hui pour la promenade et le luncheon, dans la forêt. Le Roi a besoin de refaire la réputation de ses chemins. Il a vraiment mené hier la Reine victoria par monts et par vaux, sur les pierres, dans les ornières. Elle en riait, et s'amusait visiblement de voir six beaux chevaux gris pommelés, menés par deux charmants postillons et menant deux grands Princes dans cet étroit, tortueux et raboteux sentier. Au bout, on est arrivé à un très bel aspect du Tréport et de la mer. Aujourd’hui, il en sera autrement. Les routes de la forêt sont excellentes. Du reste il est impossible de paraître et d’être, je crois, plus contents qu'ils ne le sont les uns des autres. Tous ces anglais. s'amusent et trouvent l’hospitalité grande et bonne. J’ai causé hier soir assez longtemps, avec le Prince Albert. Aujourd’hui à midi et demie la Reine et lui me recevront privatily. Ce soir spectacle. Débat entre le Roi et la Reine (la nôtre) sur le spectacle. La salle est très petite. Jean de Paris n'irait pas. On a dit Jeannot et Colin, beaucoup d'objections. Le Roi a proposé Joconde. La Reine objecte aussi. Le Roi tient à Joconde. Il m'a appelé hier soir pour que j'eusse un avis devant la Reine. Je me suis récusé. On est resté dans l’indécision. Il faudra pourtant bien en être sorti ce soir. Adieu.
J'attends votre lettre. J'espère qu'elle me dira que vous savez l’arrivée de la Reine et que vous n'êtes plus inquiète. Je vais faire ma toilette en l’attendant. Adieu. Adieu.

Midi
Merci mille fois de m'avoir écrit une petite lettre, car la grande n’est pas encore venue et si je n'avais rien eu j'aurais été très désolé et très inquiet. A présent, j’attends la grande impatiemment. J'espère que je l’aurai ce soir. Ce qui me revient de l'état des esprits à Paris me plait beaucoup. Tout le monde m'écrit que la Reine y serait reçue à merveille. On aurait bien raison. Je regrette presque qu'elle n’y aille pas. Pourtant cela vaut mieux. Mad. de Ste Aulaire est arrivée ce matin. Voilà le soleil. Adieu Adieu. Je vais chez la Reine et de là chez Lord Aberdeen. Adieu Cent fois. J’aime mieux dire cent que mille. C'est plus vrai. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00164.jpg
6. Versailles Lundi 4 Septembre 1843
9 heures

Quel charmant récit ! Votre N°4 est une peinture vivante de cette magnifique rencontre. Je suis ravie. La Chaloupe est bien à la bonne heure. Et puis quand elle partira la Chaloupe encore s'il fait beau et pas plus et pas autre chose, je vous en prie.
J’ai eu votre lettre à 5 heures par un spécial que m’a envoyé Génie. Il s’offrait à venir lui même après son dîner, mais je lui ai mandé le principal de ce que vous me dites pour l’en dispenser.
Avant cela, à 3, est venu Fleichman. Bon homme et même pas sot mais trop peu au courant. Ainsi ébahi quand je lui dis qu’Aberdeen était du voyage. Il a ouvert ses plus grands yeux, c'est alors seulement qu'il a compris que ce voyage était quelque chose, au reste il parle bien, et il n'a jamais mal parlé car il n’était même pas à cette fameuse soirée de mardi chez Appony qui a fourni de si curieuses observations à Molé. Il trouve que c’est immense. Il croit que son Roi rira de ce que cela vexera les autres. C’est tout-à-fait dans le caractère du Roi de Wurtemberg.
La jeune comtesse est arrivée ici avec du monde russe, elle m’a amusée et m’amusera encore jusqu’à ce soir. Elle retourne à Paris. Mes voisins les Locke m'ennuient moins. Ils sont bonnes gens. Je les ai vus hier plusieurs fois. Je suis un god send pour eux avec mes nouvelles sur leur reine.
Je trouve les premières paroles d'Aberdeen excellentes, vous aurez soin que le remplissage ressemble au cadre. J'espère bien que vous lui parlez Français. Un Anglais s’offense quelque fois quand un étranger lui parle autrement. Pour le Roi c'est autre chose, c'est sa coquetterie et il fait bien. Fleichman nie fort et ferme le mariage de son prince royal avec une fille du grand duc Michel. Porte-t-on à dîner la santé de la reine d'Angleterre. Je crois que vous aviez oublié de mettre cela sur votre mémorandum. On dit que les deux voleurs sont très ennuyeux. C'est de l'opéra comique.

1 heure. Voici le N° 5. Merci toujours merci car au milieu de tant de distractions et d’affaires vous m'écrivez de bonnes lettres. Dites-moi quand vous revenez. Quel jour, quelle heure. Je ne m’ennuie pas ici, mais je ne me porte pas bien, je ne sais ce que c’est, peut-être la chaleur ne m’a-t-elle pas convenu. Aujourd'hui il fait frais. J’attends Appony et Armin. Comment trouvez-vous l’adresse de la fête à Espartero ? Adieu. Adieu, j’irai voir Trianon avec la jeune comtesse. Adieu tendrement, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00174.jpg
7. Versailles Mardi 5 Septembre 1843 8 heures du matin.

Merci de deux bonnes lettres hier. La seconde avec l'incluse de lady Cowley m'est arrivée tandis que j’étais à dîner avec Appony et Armin. Comme elle était fort innocente. Je leur ai donné le plaisir de la lire. C'était pour eux un treat. Ils sont venus de bonne heure, j’étais dans les bois en calèches avec Pogenpohl qui me tient fidèle compagnie pour la promenade et pour le dîner. Nous avons eu encore de la causerie avant le dîner à nous trois.
Vraiment Appony est impayable. Il me dit maintenant on ne pourra plus dire que c'est un caprice d'une petite fille curieuse puisqu’elle ne vient pas à Paris. On était tout juste lui il y a 3 jours. C'est de moi qu'ils ont su qu’elle n’y venait pas. car en ville on l’attend encore. Tous les deux m'ont dit avec bonne grâce " c’est plus flatteur puisque c’est personnel. " Enfin le ton était tout-à-fait changé. Mais j’arrive à l’essentiel. Tous deux m'ont parlé du mariage Espagnol. Vous ne serez pas sorti de votre voiture en arrivant à Paris qu’ils seront là pour vous presser au sujet du mariage Don Carlos. Armin en a reçu l’ordre formel de sa cour. Appony s’est longuement étendu sur le fait. Bon pour tout le monde. Bon pour l’Espagne puisque cela confond et réunit les droits et écarte les dangers d’une guerre civile que ferait naître un prétendant. Bon pour l'Angleterre pour la France (qui veut un Bourbon) pour toutes les puissances puisqu’elles sont d’accord sur la convenance et l’utilité de ce mariage. Bon encore pour l'Espagne puisque c’est la seule combinaison qui lui assure la reconnaissance immédiate de la reine par les 3 cours. Enfin rien de plus correct, de plus irréprochable, de plus désirable. J’ai dit amen. Mais deux choses, l’Espagne voudra-t-elle ? & Don Carlos voudra-t-il ? pour l'Espagne nous en sommes presque sûrs pour Don Carlos c’est difficile, mais si l'Angleterre & la France voulaient seulement concourir, l’Espagne serait sûre & on pourrait l’emporter à Bourges. Au reste ajoute Appony je vous dirai que Lord Aberdeen est excellent et qu'il a dit à Neumann qu’il était tout-à-fait pour le mariage Don Carlos, en êtes-vous bien sur ? Parfaitement sûr.
Nous sommes revenus à la visite de la Reine, à l’effet que cela ferait en Europe. Ils en sont tous deux curieux, au fond ils conviennent que cela ne plaira pas, que c’est comme une consécration de la diplomatie et que certainement pour ce pays-ci c’est un grand événement ; nous avons parlé de la Prusse, et moi j’ai parlé. du peu de courtoisie des puissances envers ceci. Appony s’est révolté ; comment ? Au fond la France nous doit bien de la reconnaissance si nous ne lui avons pas fait des visites au moins l’avons- nous toujours soutenue, toujours aidée. Le solide elle l’a trouvé en nous. C’est vrai mais les procédés n’ont pas été d’accord. Les princes français ont été à Berlin, à Vienne, d’ici on a toujours fait des politesses. On n’en a reçu aucun en retour, et depuis quelques temps vous devez vous apercevoir que le Roi est devenu un peu raide sur ce point. Alors Armin est parti. Le Roi a été très impoli pour nous. C'est une grande impolitesse de n’avoir envoyé personne complimenter mon roi quand il s’est trouvé l’année dernière sur la frontière. Nous avons trouvé cela fort grossier & M. de Bulow l’a même dit à M. Mortier (quelque part en Suisse) mais votre Roi n’avait pas été gracieux six mois auparavant. Il a passé deux fois à côté de la France sans venir ou sans accepter une entrevue. Oh cela, c'est Bresson qui a gâté l’affaire. Il a agi comme un sot. Il a voulu forcer la chose et l’a fait échouer par là. Je vous répète tout. Ensuite rabâchant encore sur Eu, Appony me dit au moins la Reine ne donnera certainement pas la jarretière au Roi. C’est cela qui ferait bien dresser l’oreille dans nos cours ! Pourquoi ne la donnerait-elle pas ? Vous verrez que non.
Ils ont ensuite parlé de la légion d’honneur au prince Albert comme d’un matter of course Je crois que j’ai expédié mes visiteurs dans ce qu’ils m’ont dit de plus immédiat. Faites donner la jarretière au Roi. Vous avez tous les moyens pour faire comprendre que cela ferait plaisir ici. Commencez par donner le cordon rouge au Prince. Mandez-moi que vous n'oubliez pas cette affaire. Car c’est une affaire.
Direz-vous quelque chose à Aberdeen de vos dernières relations avec ma cour ? Il ne faut pas vous montrer irrité, mais un peu dédaigneux ce qu'il faut pour qu'il sache que vous voulez votre droit partout. Cela ne peut faire qu'on bon effet sur un esprit droit et fier comme le sien. J'espère que vous êtes sur un bon pied d’intimité et de confiance et qu'il emportera l’idée qu'il peut compter en toutes choses sur votre parole. Faites quelque chose sur le droit de visite. N'oubliez pas de dire du bien de Bulwer. C'est bon pour lui en tout cas qu’Aberdeen sache que vous lui trouvez de l'esprit et que vous vous louez de son esprit conciliant.
Après le dîner que je fais toujours ici à cinq heures, j’ai été avec mes deux puissances faire une promenade charmante mais un peu fraîche en calèche. Ils m'ont quitté à 8 1/2 et comme je n’ai plus retrouvé Pogenpohl je suis allée finir ma soirée chez Madame Locke. J’ai passé une très mauvaise nuit. Mes attaques de bile. Décidément les dîners d'Auberge ne me vont pas et j’ai envie de m’en retourner aujourd'hui à Beauséjour.
10 heures. Génie, notre bon génie m’envoie dans ce moment votre n°4 excellent je vous en remercie extrêmement. Je suis bien contente de penser que tout va bien. Quelle bonne chose qu'Aberdeen ait vu le Roi, vous. Quel beau moment pour vous en effet. Je me presse, je remets ceci à ce messager, sauf à vous écrire plus tard par le mien. Adieu. Adieu. Adieu.
N’allez pas dire un mot à Aberdeen des vanteries d'Appony. C'est-à-dire ne dites pas que c'est moi qui vous le dis. Ne prononcez pas mon nom quand vous parlez affaires. Pardon vous savez tout cela, mais j’aime mieux tout vous dire, tout ce qui me traverse l'esprit. Adieu. Adieu à tantôt.
Pourquoi ne faites-vous pas donner la part du Diable ? C'est décidément charmant. Opéra comique.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L007_00186.jpg
8 Château d’Eu Mardi 5 Sept. 1843
6 heures et demie

Enfin j'en sais le terme. La Reine part jeudi par la marée du matin. Je ne vous ai peut-être pas conté, tout M. Salvandy. Je n’en ai pas eu et n’en ai pas le temps. Mais nous étions convenus qu’il reviendrait ici pendant mon séjour et que nous y viderions ce qui le regarde. Il n’est pas venu, quoiqu’il ait fait pour cela, la Reine étant à Eu. J’ai prié le Roi de l’inviter à dîner pour jeudi, la Reine partie. Et jeudi après le dîner et Salvandy réglé de 8 à 10 heures, je partirai pour être à Auteuil de 10 heures à midi vendredi. Quel long temps ! Pas perdu pourtant.
La Reine m'a reçu hier. Le Prince Albert d'abord ; la Reine s'habillait pour la promenade. Avec l’un et l'autre conversation parfaitement convenable et insignifiante. La Reine très gracieuse pour moi, je pourrais dire un peu affectueuse. Elle m’a beaucoup parlé de la famille Royale qui lui plaît et l’intéresse évidemment beaucoup.
Je venais de recevoir un billet de Duchâtel qui regrettait qu'elle n’allât pas à Paris où l'accueil serait excellent, brillant. Elle en a rougi de plaisir. Ceci m'a plu. Un seul mot de quelque valeur : " J'espère que de mon voyage, il résultera du bien. - Madame, c’est à vous qu'on le rapportera. "
Le soir, Lord Aberdeen s’est fait valoir à moi de n'avoir pas assisté à mon audience de la Reine. Elle l’en avait prévenu : " Notre règle voulait que je fusse là, mais j'ai dit à la Reine qu'avec un aussi honnête homme je pouvais bien la laisser seule. " Je lui ai garanti l’honnêteté de ma conversation. Sous son sombre aspect, Lord Aberdeen est, je crois, aussi content que la Reine de son voyage : " Il faudrait absolument se voir de temps en temps, me disait-il hier ; quel bien cela ferait ! " Nous avons causé hier de Tahiti et de la Grèce. Tahiti n’est pour lui qu’un embarras ; mais les embarras lui pèsent plus que les affaires. C’est un homme qui craint beaucoup ce qui le dérange, ou le gêne, ou l'oblige à parler, à discuter, à contredire et à être contredit. Il voudrait gouverner en repos. Evidemment la session n’a pas été bonne à Peel. Aberdeen m'a dit que sa santé en était ébranlée. " Pauvre Sir Robert Peel m'a dit le Prince Albert il est bien fatigué. " On en parle d’un ton d'estime un peu triste et d’intérêt un peu compatissant. Comme d'un homme qui n’est pas à la hauteur de son rôle et qui pourtant est seul en état de le remplir.
La promenade a été belle ; quelques belles portions de forêt, quoique très inférieure à Fontainebleau et à Compiègne. Mais les forêts sont nouvelles pour les Anglais. Un beau point de vue du Mont d'Orléans où le luncheon était dressé ; et là autour des tentes comme sur la route, beaucoup de population, accourue de toutes parts, très curieuse et très bienveillante.
De la musique le soir, Beethoven, Gluck, et Rossini, très peu de chants ; quelques beaux chœurs. On n’avait pas pu venir à bout de s'entendre sur l'opéra Comique. Au vrai, les acteurs voulaient jouer Jeannot et Colin, et n'avaient apporté que cela. Le Roi n’a pas voulu et il a eu raison. Mais il fallait qu'ils eussent apporté autre chose.
L’amiral Rowley à dîner. Son vaisseau, le St Vincent était venu saluer le château. Bonne figure de vieux marin Anglais ; bien ferme sur ses jambes et très indifférent. Le Duc de Montpensier a beaucoup de succès auprès de la Reine. Hier, pendant le dîner, il la faisait rire aux éclats. Il est le plus gai et le plus causant, de beaucoup. On voit que tout l'amuse. Mad. la Duchesse d'Orléans était de la promenade, et au luncheon, à la gauche du Roi. Avec M. le comte de Paris qui a infiniment gagné. Il a une physionomie sereine et réfléchie. Son précepteur m'en a bien parlé. La grande lettre n’est pas encore venue. Cela me déplait. Je n’aime pas à rien perdre.
Décidément Mad. la Princesse de Joinville est charmante. Tout le monde, vous le dira. Charmante de tournure et de physionomie. La mobilité d'un enfant avec la gravité passionnée d’un cœur très épris. Elle prend, quitte et reprend les regards de son mari, vingt fois dans une minute, sans jamais, s'inquiéter de savoir si on la regarde ou non, sans penser à quoi que ce soit d'ailleurs. Et cela avec un air très digne, ne paraissant pas du tout se soucier, si elle est Princesse et l'étant tout-à-fait.
Le Roi fait aujourd’hui présent à la Reine de deux grands et très beaux Gobelins (15 pieds de large sur 9 de haut) la chasse et la mort de Méléagre, d'après Mignard, e& d'un coffret de sèvres qui représente la toilette des femmes de tous les pays. C’est un présent très convenable. Une heure Le présent vient d'être fait et vu de très bon œil. Les deux tableaux sont vraiment beaux. Ils ont été commencés il y a trente ans encore sous l'Empire.
Le N°4 est enfin venu avec le 6. A ce soir ce que j’ai à vous répondre. Je vous quitte pour aller chez Lord Aberdeen. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L007_00520.jpg
N°7 Château de Windsor, Vendredi 11 Oct. 1844
4 heures

Votre pauvre frère est donc mort. Tristesse ou joie, toute chose m'est un motif de plus de regretter l'absence. Loin de vous ce qui vous afflige me pèse ; ce qui me plaît à moi, me pèse. Je ne puis souffrir cette rupture de notre douce et constante communauté. Je suis vraiment triste que votre frère n'ait pas eu la consolation de mourir chez lui, dans sa chambre au milieu des siens. Il semble qu’on ne meure en repos que là. Et cette pauvre Marie Tolstoy ! Je ne lui trouvais point d’esprit. Mais elle a un air noble et mélancolique qui m’intéressait. Non, vous n’êtes pas seule, car je vais revenir.
Nous partons toujours lundi 14, pour nous embarquer à Portsmouth vers 5 heures et arriver au château d'Eu mardi 15 à déjeuner. J’y passerai le reste de la journée du mardi et je serai à Paris mercredi soir. Bien profonde joie.
Le voyage est excellent et laissera ici de profondes traces. Mais cinq jours suffisent pleinement. Je sors de la cérémonie de la Jarretière. Vraiment magnifique et imposante, sauf toujours un peu de lenteur et de puérilité dans les détails, 14 chevaliers présents. Le Roi, très bonne mine, très bonne tenu ; point d'empressement et saluant bien. Lord Anglesey a failli tomber deux ou trois fois en se retirant. Je ne vous redis pas ce que vous diront les journaux.
Hier à dîner entre la Duchesse de Mecklembourg et la Duchesse de Norfolk. La première spirituelle, et gracieuse ; la seconde pompeusement complimenteuse. Après dîner, Lord Stanley. Longue et très bonne conversation. Il m'a dit en nous quittant : " Je vous promets que je me souviendrai de tout ce que vous m'avez dit. " Je crois avoir fait impression. Le Roi en croit autant pour son compte. Quel dommage de ne pas voir les hommes là tous les trois mois ! Qu'il y aurait peu d'affaires. Lord Stanley m’a fait à moi l'impression d'une grande franchise & straightforwardness. Le tort des Anglais, c'est de ne pas penser d’eux mêmes à une foule de choses, et de choses importantes. Il faut qu'on les leur montre.
Outre Stanley, un peu de conversation avec M. Goulburn. Je les ai soignés, tous. Voilà deux soirées où je vous jure que j’ai été très aimable. Hier trois heures avec Aberdeen. Parfait sur toutes choses. Nous sommes de vrais complices. Nous nous donnons des conseils mutuels. Il est bien préoccupé de Tahiti et bien embarrassé du droit de visite. Ce matin deux heures et demie avec Peel. Remarquablement amical pour moi. Les paroles de la plus haute estime, de la plus entière confiance. Il a fini par me tendre la main en me demandant mon amitié de cœur. A un point qui ma surpris. Du reste très bonne intention ; plus d'humeur. Le voyage en effacera toute trace : mais des doutes, des hésitations et des inquiétudes dans l’esprit qui est plus sain que grand. Il m'a répété deux fois, qu’il s’entendait parfaitement et sur toutes choses avec Lord Aberdeen. Se regardant comme brouillé avec une portion notable de l’aristocratie anglaise, & le regrettant peu.
L'Empereur et M. de Nesselrode ont pris plus d’une demi-heure de notre temps. Les choses sont parfaitement tirées au clair. Il a fort approuvé ma conduite de ce côté depuis trois ans. Que de choses j'aurais encore à vous dire. Mais il faut finir. Mon courrier part dans une demi-heure et j’ai à écrire à Duchâtel. Adieu. Adieu. Dearest ever dearest.

J'oublie toujours de vous dire que je vais bien. Un peu de fatigue le soir. Je suis toujours charmé de me coucher. Mais je suffis à chaque jour, et mieux chaque jour. Je mange, quoique je ne puisse pas avoir un bon poulet. Demain, la Cité de Londres envoie à Windsor son Lord Maire, ses douze Aldermen et 18 membres de son common council pour présenter au Roi une adresse excellente pour lui, excellente pour la France. N'ayant pu obtenir le banquet à Guildhall ils n'en ont pas moins voulu manifester leurs sentiments. Ici, cela fait un gros effet. J’espère que chez nous, il sera très bon. Je n'écris pas à Génie dites-lui je vous prie ceci et quelques autres détails pour sa satisfaction. Adieu adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L007_00526.jpg
Paris, vendredi le 11 octobre 1844,
à 9 heures

J’ai abandonné les N° parce que j’ai cru que vous me trouveriez pédante, il est si clair que je dois vous écrire tous les jours que les occasions sont si sûres et si directes. Cette précaution est donc inutile. Voilà votre lettre de 9 heures Mercredi, finie à Midi et demi.
Je devais me rappeler que les lits Anglais sont durs, & vous recommander de faire mettre le feather bed over the mattress instead ot under it. Mais je ne pense à rien, je suis une sotte aussi comme André. Et mon avertissement vient trop tard. Cependant si vous avez cette lettre demain faites faire encore ce changement. Car à tous les lits Anglais il y a ce feather bed, à moins que les mœurs n’aient changé depuis mon temps.
Le petit Nesselrode hier était en train de me parler quand on est venu nous interrompre. Il reviendra aujourd’hui. Il postulait de l’inquiétude de son père à la seule possibilité d’une vraie querelle entre la France et l'Angleterre, de son ardent désir de la paix. Il parle du voyage de son père en Angleterre comme de la promenade d'un indépendant désœuvré. Il donne sa parole d’honneur qu’il n’est pas question du mariage Cambridge, et ajoute cependant que ce serait le plus convenable de ceux qu'ont faits les filles de l'Empereur.
Lord Cowley est fort irrité à ce que le Boüet du Sénégal the real french boute feu, he says, se trouve sur l’escadrille qui a mené le roi, par conséquent à Portsmouth. Comment a-t-on pu permettre cela ? Il n’appartient pas ces navires. C’est Cowley qui parle. Il est aussi dans l'agonie pour cette nouvelle aventure à Tahiti. Il a de suite envoyé à Lord Aberdeen le Messager qui nie l'arrivée d’aucun rapport sur ce fait mais cela n’empêchera pas qu'on ne croie à Londres, qu'il a eu lieu. Il se félicite de n'avoir pas l’explication sur ses épaules, car il pense que vous allez vider cela à Windsor. J'en doute. Et votre Bruat faisant imprimer à Tahiti les rapporte dont vous niez l’existence ici. Ah mon Dieu, quels agents vous employez. Et celui-là vous l'avez choisi vous me l'avez vanté. Quel mauvaise affaire que ce Tahiti tout ensemble.
Je me suis promenée hier au bois de Boulogne, j’avais besoin d'air, une matinée est massacrée. Tout le monde vient, et puis j’ai beaucoup à écrire en Russie. Je m’occupe d’Annette bonne fille, bien triste. Après mon dîner, je vais tous les jours chez elle. J’y reste jusqu'à 10 heures.
Dieu merci vous me répétez que vous allez bien. Comme je vous regarderai à votre retour ! Votre retour ! Quelle charmante chose que cela. Comme j'y pense mais avant tout je veux savoir à quelle heure lundi vous quitterez Windsor à quelle heure vous vous embarquerez à Portsmouth. Ah, s’il fait du vent, que je serai malheureuse ! A quelque moment que vous partiez, mettez-vous sur votre lit, c’est toujours la meilleure précaution à prendre contre le mal de mer. Ne croyez pas les gens qui vous diront qu'il faut rester sur le pont. Et puis arrivé à Eu, reposez-vous bien, ne vous pressez pas, je saurai attendre une fois que je vous saurai en safety. Et puis je ne sais pourquoi j’ai des préventions contre Rouen. Pourquoi ne pas venir par la route naturelle. Coucher à Granvilliers ou à Beauvais en faisant faire une bon fin, bien bassiner votre lit ; et ayant soin d'avoir une voiture dont les roues tournent & les glaces se lèvent. Pensez à tout et racontez-moi ce que vous ferez.
Je reçois dans ce moment une longue lettre de Bulwer, je n’ai fait que la parcourir. Grande éloge de Bresson & de Glusbery. Beaucoup de goût pour le Prince de Joinville. " H. R. H. is clever agreable & what we English like off hand. He pleased me much. " Au bout de tout cela il me rappelle une petite demande qu'il m’a faite dans le temps. Vous savez bien, & me prie if I could manage that. & &
Je me suis mise à penser ce que seraient vos dernières paroles avec Lord Aberdeen et voici mon little speech. " Maintenant nous nous connaissons bien, nous nous sommes éprouvés, notre règle de conduite politique est la même, tant que nous serons ministres nous pratiquerons la paix, la bonne entente. Le jour où une difficulté bien grave se présentait, et où nous pourrions vraiment craindre de ne pas parvenir à nous entendre par voie diplomatique ordinaire promettons-nous, avant la dernière extrémité, de nous rencontrer ; un rendez-vous sur terre française. Les Anglais pas plus que les Français ne veulent la guerre. Ils sauront gré aux deux hommes qui la leur épargneront, qui auront épuisé toutes ses ressources en tout cas nous aurons fait votre devoir. " Est-ce que je radote ?

2 heures. Génie est venu me trouver. Nous rabâchons ensemble. Mais je n'en ai jamais assez. Herbet lui dit aussi que vous allez bien. Je vous en prie prenez bien du soin de vous. Génie m'ébranle sur la question du retour mais je veux savoir absolument quelle route vous prendrez ; mandez-le moi. Je laisse ceci ouvert pour le cas où j'apprendrais quelque chose.
Quels bons leading articles dans les journaux anglais. Comme je serais fixée de mon roi dont on dirait cela, et comme j’aurais de la bonne conduite pour une nation étrangère qui me parlerait de cette façon. Mais ces français n’ont aucun sens de la vraie délicatesse, du vrai honneur, du vrai mérite. Vraiment j’ai quelque chose comme un grandissime mépris pour les Français de ce moment. Adieu. Adieu.
Je vous envoie la lettre de Bulwer après l’avoir lue. Vous verrez qu'il parle mal de Nyon, mal de Hay, qu'il se loue beaucoup du consul napolitain Martino.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L007_00545.jpg
9 Château de Windsor. Dimanche 13 oct. 1844, onze heures

Oui, je pars demain à midi. Je vous ai dit hier si je ne me trompe comment tout est arrangé. N'ayez aucune crainte de Rouen. C’est beaucoup plus prompt moins fatigant et très sûr. Je partirai d'Eu Mercredi matin, entre 7 et 8 heures. Je serai à Rouen à 2 heures. J’en repartirai à 3 heures pour être à Paris à 9 heures.
Soyez bien sûre que vous n'aurez pas plus de plaisir à me voir entrer que moi à entrer. C’est une charmante idée qui me revient à chaque instant et m'illumine le cœur à tel point qu’il en doit paraître quelque chose sur mon visage. Mais personne ici n'y regarde. Vous n'aurez que quelques lignes. J'ai beaucoup à faire aujourd’hui. Jarnac vient de passer deux heures dans mon Cabinet. J’aurai une dernière conversation avec Aberdeen et avec Peel. Je dois voir aussi le Prince Albert. Puis une foule de petites affaires à régler avec le Roi.
Par une faveur que Lord Aberdeen a arrangée, Lord John Russell est invité à dîner pour aujourd’hui. Aberdeen m’a engagé à causer avec lui, assez à cœur ouvert ; et des rapports des deux pays et du droit de visite. Il lui croit bonne intention, et est lui-même avec lui, en termes très bienveillants.
Merci de la lettre de Bulwer. Je vous la renvoie. Il écrit ici sur le même ton parfaitement content de Bresson et de Glücksbierg. Je ne compte pas laisser M. de Nion à Tanger. Lui-même demande à aller ailleurs. J’ai dîné hier à côté de la Duchesse de Gloucester qui me demande de vos nouvelles et m’a parlé de vous avec un souvenir affectueux. Elle m'a dit que la société anglaise avait perdu sa vie en vous perdant. Après dîner de la conversation avec Aberdeen, un peu avec Peel. Un vrai plaisir à revoir les Granville qui étaient là. Lord Granville est réellement mieux ; toujours faible et chancelant, mais se tenant assez longtemps debout et parlant. Le Roi a été très aimable pour eux. Mad. de Flahaut aussi était là. Tout juste polie. Je l’ai été un peu plus, et voilà tout. Du reste d’une humeur visible et naturelle. Personne ne lui parlait, ne faisait attention à elle.
Votre discours final à Aberdeen est excellent, et je le tiendrai. Il faut que je vous quitte adieu, adieu, dearest. Je tâcherai de vous écrire un mot demain, je ne sais comment, et puis d'Eu, Mardi, en y arrivant. Et puis, ce sera fini. Je vais très bien. Vous me trouverez, moins maigre qu'à mon départ. Adieu. Adieu G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L008_0174.jpg
26 Val Richer Vendredi 22 août 1845

Temps charmant ce matin. Par un si beau soleil, dans un si joli pays, je ne me promène pas seul sans un vif regret. Je cherche à chaque instant ce je sais bien quoi qui me manque. Quand je dis seul, j’ai tort. Désages vient de m’arriver, et je me promenais, tout-à-l'heure avec lui. Mais ce n'est pas Désages qui me manque. Peut-on se promener à Boulogne ? Il ne m’a pas paru que le pays fût beau aux environs.
On m'écrit de Hambourg que décidément votre Impératrice, va passer l’hiver à Palerme, et que le Pince Wolkonski aux eaux de Pyrmont a reçu des instructions, pour prendre les informations, et faire les préparatifs nécessaires. J’ai peine à y croire. N'avez-vous point de nouvelles de Constantin ? Vous me l'auriez dit. Je suis impatient à cause de lui, que cette campagne finisse. Il me paraît que les difficultés sont toujours grandes. L'Empereur a fait un grand pas en acceptant. la publicité de ces bulletins. Il ne pourra plus cesser de parler. A la vérité, il n’est pas obligé de dire la vérité, personne n'étant là, pour le contredire.
Au moment où la Reine d’Angleterre est arrivée à Mayence, les Rothschild avaient été faire quelque chose de fort galant en envoyant pour elle, au débarcadère, trois superbes voitures. Le Prince Guillaume de Prusse s’est fâché, a renvoyé ces voitures de l’enceinte du port, et la Reine est montée dans la sienne. Elle a été, dit-on, beaucoup plus gaie et de meilleure humeur à Mayence qu'à Brühl. Pas d’autres détails intéressants. Je vous quitte pour faire ma toilette. Je vous reviendrai après déjeuner. De demain Samedi en huit jours, je ne vous quitterai que pour retrouver en une minute. Adieu. Adieu.

10 heures et demie
J'aurai des embarras en Gréce. Colettis et Métaxa se brouilleront. J’espère que Colettis et Mavrocordato se racommoderont. Si cela arrive, j’aurai gagné au change. Si au contraire Metaxás et Mavrocordato se coalisant Colettis seul sera-t-il assez fort et assez sage ? Je n'en sais rien. Piscatory a confiance. Et s’il ne s’agissait que d'Athènes, j'aurais bien confiance aussi. Mais Paris, Londres et Pétersbourg ! Nous verrons. En tous cas malgré ses défauts Piscatory est un très bon agent, et puissant là Que de choses moi aussi j'aurai à vous dire. Quand on est ensemble on ne sait pas tout ce qu’on se dit. En tout, nous ne sentons jamais, le bien assez vivement, assez complètement quand il est là. Qu’est allé faire Lord Cowley à Londres ? Rien que pour ses propres affaires à coup sûr. Lord Aberdeen prend-il plaisir à ses voyages ? S’il a le goût des questions religieuses, il trouvera en Allemagne de quoi le satisfaire. Ce sera sérieux d'ici à peu de temps. Adieu.
Le déjeuner sonne. J’espère que Page vous fera de bons déjeuners. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L008_0181.jpg
27. Val-Richer, Samedi 23 août 1845

Il me survient ce matin une nécessité absolue d'écrire une longue lettre au maréchal Bugeaud. Des difficultés, des tracasseries, des étourderies, sans intérêt pour vous, mais dont il faut que je m'occupe et qui me prennent le temps que je vous destinais. A Beauséjour, le mal n'est pas grand. Si quelque incident nous ôte un quart d’heure, nous le retrouvons bientôt. De loin, on ne répare rien. Je suis bien impatient du 30. Je voudrais qu’il fit aussi beau qu’aujourd’hui. Mais les soirées commencent à devenir longues, fraîches et longues. On ne peut plus guère sortir le soir. Comment vous arrangez-vous des lumières ? En tous cas, nous resterons, dans l’obscurité.
Je serai bien aise de causer avec Bulwer. J’en serais encore plus aise, si j’avais confiance. Mais enfin il a de l’esprit et point de mauvais vouloir. J'ai commencé à parcourir la Correspondance de Sir Stratford Canning sur les affaires de Syrie. Je la trouve bonne, sensée, nette, ferme. Je traiterais volontiers avec cet homme-là malgré son difficile caractère. Deux in folio de Parliamentary Papers sur la Syrie. Et j'ai beau chercher : je ne vois aucun moyen efficace d’arranger vraiment ces affaires-là. Il y faudrait la très bonne foi et le très actif concours de la Porte. Et la Porte est apathique, & nous trompe. Mes nouvelles d'Allemagne sont de plus en plus graves. Les populations très animées ; les gouvernements très inquiets et abattus. Le Roi de Prusse, toujours gai et confiant. M. de Metternich espérait un peu après Stolzenfel. Une visite de lui au Johannisberg. Le Roi retourne sans s'arrêter à Berlin. Le pauvre Roi de saxe est désolé. Il a dit, les larmes aux yeux, à la députation de Leipzig que c’était le jour le plus triste de sa vie. " Et comment les choses là m’arrivent-elles à moi qui n’ai jamais souhaité que le plus grand bonheur de mes sujets ? "
C'est singulier que dans les temps difficiles, il y ait toujours à côté des Rois, un frère compromettant. Adieu. Adieu.
Je vois qu’il n’y aura point de Mouchy. Si vous parlez demain Dimanche, vous serez donc à Beauséjour, après-demain lundi. Vous ai-je dit que Génie qui y est allé, l’a trouvé charmant plus fleuri que jamais ? Moi, j’ai du monde à déjeuner lundi. Salvandy mardi. Du monde à déjeuner Mercredi. Une visite à Lisieux Jeudi. Mes paquets vendredi. Samedi, à 5 heures du matin je serai en voiture. Je crois que vous me trouverez tres bonne mine. Adieu. Adieu. G.
Je pense en ce moment que cette lettre-ci n’ira plus vous chercher à Boulogne et vous sera portée Lundi à Beauséjour. Heureuse lettre !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L008_0198.jpg
29 Val Richer Mardi 26 août 1845

Je me brouille dans mes Numéros. Mais ce n'est plus la peine de compter sur mes doigts. Je n’ai plus que trois fois à vous écrire. Charmant plaisir samedi. Jarnac m'écrit : " Ma petite course à Southampton m’a fait perdre les deux derniers jours de Madame de Lieven à Londres ce que j’ai fort regretté. Je crois qu’elle s’est plu ici, et qu’elle est contente de ses consultations. Ce qui m'en revient indirectement est fort satisfaisant. " J'ai toujours préféré que vous passassiez le temps de mon absence, en Angleterre. Quand vous n'êtes pas avec moi, je vous aime mieux là qu'ailleurs. Je ne vous trouve bien que là.
J’ai eu hier mes 20 amis à déjeuner, bien contents de moi, je crois, et de Guillet. Après déjeuner, c’est-à-dire vers 4 heures comme j’allais me promener, le général de la Rue m'est arrivée du château d’Eu où il venait d'arriver d'Afrique après avoir échangé les tarifications du dernier traité avec le Maroc. C’est un homme d'assez d’esprit avec le plus beau coup de sabre imaginable sur la joue gauche. Il m’a intéressé sur l’Afrique, le maréchal Bugeaud, l’Empereur de Maroc, Sir Robert Wilson, Sidi Bousalam &. Sir Robert malgré la verte réprimande de Lord Stanley, continue toujours à se mêler beaucoup du Maroc et à y faire ce qu’il peut contre notre influence. Il agit par le consul Marocain à Gibraltar et par le Pacha de Sétuan, jeune grand seigneur marocain avec qui il est lié et qu’il va voir souvent. Notre campagne de l’année dernière contre le Maroc a fait là un effet immense et qui subsiste, à ce qu’il parait.
Le pauvre Consul Général d'Angleterre, M. Drummond Hay excellent et très loyal homme, est mort de chagrin de n'avoir pas réussi à prévenir l’évènement et d’avoir vu la prépondérance, à peu près exclusive de son pays périr là, entre ses mains. Le nom du Prince de Joinville reste là fort grand. Il a laissé chez les Marocains une vive impression de courage, de savoir-faire, de sagesse, et de politesse. Le Général de la Rue m'a quitté à 9 heures. Le Maréchal Bugeaud vient passer trois mois en France, chez lui, et va faire, en arrivant une visite de quelques jours au Maréchal Soult à Soultberg-(Le Maréchal ne dit et n'écrit jamais autrement. Par tendresse pour la Maréchale Allemande.) La conversation entre les deux Maréchaux sera fort tendue, fort diplomatique, & par moments fort orageuse. Je vais faire ma toilette. J’attends tout-à-l ’heure Salvandy et Broglie.

9 heures
Voici un courrier qui m’apporte de grosses nouvelles, la destitution de Riga Pacha à Constantinople la retraite de Métaxa à Athènes. Je m’attendais à celle-ci et elle me déplaît quoique tout ce qui me revient de Grèce me porte à croire que Colettis n’en sera pas ébranlé. Mais rien absolument n’annonçait la première, et elle a été imprévue pour tout le corps diplomatique européen. Bourqueney ne se l’explique pas bien encore. Cependant, au premier aspect, il la considère comme une victoire du parti réformateur en Turquie.
Je vais lire tout cela, attentivement. Raisonnablement, le moment vient de retourner à Paris. C’est bien heureux que la raison me fasse tant de plaisir. Je reçois une lettre du Duc de Noailles. Il a eu son fils malade, mais le rétablissement est complet. Il me demande beaucoup de vos nouvelles. et finit en me disant : " Madame de Lieven aurait bien mérité, par son aimable intérêt, d'être invitée à la cérémonie qui aura lieu ici. Dimanche prochain, la pose de la première pierre du viaduc à Maintenon du chemin de fer de Chartres. " Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L008_0203.jpg
29 Val Richer, Mercredi 27 août 1845
9 heures

Quand vos inquiétudes ne durent pas assez longtemps pour vous faire mal, je vous les pardonne aisément car je les aime. Donc la première page du N°28 est pardonnée. Je ne suis jamais étourdi pour vous, sachez bien cela. Vous partez aujourd’hui. Vous serez à Beauséjour demain. Moi le surlendemain. Plus j’y pense plus je trouve cela charmant.
Presque toute ma maison part vendredi, et sera arrivée samedi matin. Guillet en tête. Il m’aime de tout son cœur. Je lui avais permis d'amener ici sa femme qui était souffrante. Elle s’en retourne se portant à merveille. Je pense qu'en arrivant vous avez fait appeler Charles.
Vous n'aurez que quelques lignes ce matin. Je viens d’écrire une longue lettre à Piscatory. Je n’aime pas cet excès de triomphe de Colettis et du parti français. J’espère que les deux hommes. Colettis et Piscatory, auront assez d’esprit pour comprendre cela. Je le leur explique et le leur recommande très bien. La sédition de Madrid est réprimée. Cela recommence souvent. Pour cette fois, il y avait une cause sérieuse. Le nouveau système de finances de M. Mon augmente les impôts & fait user les abus. Les fripons et les contribuables se défendent. J’espère qu’ils seront battus. Le gouvernement Espagnol a besoin d’argent. Il en prend à ceux qui en ont et ne souffre plus qu’on le vole. M. Mon est un honnête homme et un homme de courage. Je viens de lui faire donner le grand cordon. Il faut soutenir les amis. Quoique tout soit bien précaire dans le pays, j'ai assez bon espoir. Bresson est à Bayonne, attendant M. le duc de Nemours qu’il accompagnera à Pampelune. Adieu. Adieu.
J’ai plusieurs ordres à donner à Génie, ma toilette à faire, 25 personnes à déjeuner. C'est le dernier. D'après vos lettres, je suis content de vos yeux. L’écriture est ferme. Et puis vous n'en parlez pas. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L008_0220.jpg
2 Château d’Eu Dimanche 7 sept. 1845,
Midi

Je reviens du déjeuner. A côte de la Princesse de Salerne qui a voulu causer beaucoup. J’espère que la conversation a été plus agréable pour elle que facile pour moi. Les sourds feraient bien d’être tous muets. Bonne personne du reste avec cette dignité timide, un peu embarrassée et pourtant assez haute que j’ai vue à tous ce que j’ai connu de la maison d’Autriche. La Reine dit que l'archiduchesse est le portrait de François 2. A ma droite, sa dame d’honneur, la marquise de Brancaccio, sicilienne, femme d’esprit, dit-on, et qui en a bien l’air. Elle m’a parlé de la Sicile avec une verve de colère et d'opposition qui m’a plu. " On néglige toujours la Sicile. On opprime toujours la Sicile. Les ministres changent, l'oppression reste. Nous avons des ministres siciliens mais ils sont en minorité. Prenez la majorité. Venez chez nous nous enseigner comment on s'y prend. " Souvent, chez les Italiens, le naturel et la vivacité des impressions commandent la franchise.
Le prince de Joinville est arrivé ce matin, à 6 heures. Toujours grande incertitude, sur le moment de l’arrivée de la Reine. Ou aujourd’hui, vers 6 heures ; ou demain, à 5 heures du matin, ou à 5 heures du soir. Je parie pour aujourd’hui. D’abord, parce que j'en ai envie, ensuite parce que la Reine des Belges a écrit que c'était fort possible. Ils (le Roi et la Reine des Belges) sont allés la recevoir à Anvers hier samedi entre 1 et 2 heures. Nous nous mettons en mesure ici pour toutes les hypothèses.
J’aurai bien peu de temps pour causer, avec Lord Aberdeen. Je veux pourtant lui dire tout l'essentiel. Je vous promets qu’il passera avant moi. Les peintres sont encore, à l'heure qu’il est, dans la Galerie Victoria. Si la Reine avait le temps de se promener, elle verrait réalisées, aux environs du château, toutes les idées qu’elle a suggérées, les désirs qu’elle a indiqués ; un parc fort agrandi, de belles routes au lieu des mauvais chemins & &. Mais je doute qu’on se promène une heure.
Le courrier Russe qui avait été expédié au Prince Wolkonski, l’a rencontré à Eisenach & le Prince est arrivé à Berlin où il attend l'Impératrice qui a dû y arriver avant-hier au soir et qu’il accompagnera à Palerme. Le Kamchatka après l'avoir déposée à Swinemünde, ira passer le détroit de Gibraltar et l'attendre à Gênes pour la porter en Sicile. On croit, on dit à Pétersbourg que l'Empereur s’embarquera à Sébastopol et ira voir sa femme à Palerme.
Pourquoi me cherchez vous un cache-nez brun ? Le blanc que vous m'avez donné est excellent et m’a très bien préservé. Il est parfaitement convenable.
Voilà M. Royer-Collard mort. Je pense avec plaisir que nous nous sommes séparés en vraie amitié. C’était un esprit rare, charmant et un caractère, très noble. Quatre personnes ont réellement influé sur moi, sur ce que je puis être, devenir et faire. Il est l’une de ces personnes là. Le seul homme. Il a tenu peu de place dans les événements, beaucoup dans la société et l’esprit des acteurs politiques. Il leur était un juge redouté et recherché. Adieu. Adieu. Le Roi me fait appeler en toute hâte. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L008_0235.jpg
5. Château d'Eu, Mercredi, 10 sept. 1845
7 heures du matin

Hier, à midi, nous roulions très agréablement, six chars à bancs, calèches &,& portant 40 ou 50 personnes dans les longues allées et sous les ombres profondes de la forêt d’Eu. Vers une heure, à un rendez-vous de chasse, nous avons quitté les grands chevaux et les jockeys du Roi pour prendre les petits chevaux de poste. Les postillons en veste couverte de rubans tricolores, poudrés avec d’énormes catogans pas toujours bien attachés et se disputant à qui ferait le plus de bruit avec leurs fouets. C’est un amusement qui n’est pas usé, pour la Reine. A une heure et demie, nous rolions sur la grande route sous un soleil très brillant, caché par d'épais nuages de poussière. Je ne crois pas que le plaisir du fouet des postillons ait suffi pour les dissiper. " Les Rois, dit quelque part St Simon, ont des amusements qui n’appartiennent qu'à eux. " Heureusement celui-ci a été court. Nous étions au château avant 2 heures.
Chacun est rentré chez soi pour se laver. A 4 heures tout le monde était réuni dans le salon de la Reine et la Reine d'Angleterre, en entrant, a trouvé là trois ébauches de tableaux, son débarquement au Tréport dans la petite maison trainée en charrette, sa promenade d’avant hier dans le nouveau grand parc, la salle de spectacle du soir. Trois peintres avaient fait cela dans la nuit. Le premier tableau vraiment joli. Elle l’a emporté. Le dîner a été gai. Tout le monde, était visiblement content. J’étais à côte de la Duchesse de Cobourg, la plus vraiment intelligente des Princesses (Chut!) Son mari l'adore. Il prend son lorgnon vingt fois pendant le dîner pour la regarder. Lady Canning, qui était à côté de lui ne l’en à pas distrait un moment. Reines, Princesses, tout le monde était habillé comme si le bal avait dû suivre le dîner.
A cinq heures et demie, on s'est précipité hors de la salle à manger, et avant 6 heures tout le monde était de retour en habit de voyage, dans le vestibule du château. La marée pressait beaucoup ; nous n'avions qu’un quart d'heure pour nous embarquer, sans charrette. Nous sommes arrivés juste à temps. La Reine d'Angleterre a pu à peine faire à la nôtre ses adieux. Nous sommes entrés, presque tombés dans le canot royal, la Reine, le Roi, le Prince de Joinville, le Duc de Cobourg, Lord Aberdeen, Lord Liverpool et moi. Deux autres canots suivaient. La Reine, Madame le Prince et la Princesse de Salerne restant sur le rivage, dans leur char à bancs, à nous attendre. Quelques minutes après sous l’éclat d'un soleil couchant presque chaud à force de lumière et sur une mer, si calme que le canot vacillait à peine comme une feuille, nous sommes montés à bord du Victoria-Albert. La Reine m’avait dit tout bas en partant : " Je vous en prie, empêchez que le Roi ne nous revienne trop tard. " Ce n'a pas été facile. Le Roi est rentré en conversation avec Lord Aberdeen. Le Prince de Joinville, est allé visiter the Fairy. M. de Salvandy et M. Vatont ont pris du thé. Au bout d'un quart d'heure, je me suis approché du Roi : " Je comprends, je comprends ; mais je veux voir établir, là haut la lune sous laquelle la Reine va voyager. La lune se levait en effet, un petit croissant aussi blanche que le soleil était rouge tout à l'heure, et presque aussi claire. La rade était couverte de bâtiments. Les nôtres saluaient et les batteries de la côte. Ce bruit ne dérangeait pas du tout le calme de la soirée. C’était charmant. J’ai laissé le Roi causer avec la Reine, et j ai recommencé moi-même avec Lord Aberdeen, qui m’a parlé du Prince de Joinville, avec un intérêt presque affectueux. Sa figure, ses manières nobles et un peu sauvages, son air tour à tour mélancolique comme un sourd et gai comme un enfant, tout cela lui plaît. Le Prince est revenu du Fairy. Les derniers adieux sont enfin venus.
Nous avons repris le canot du Roi, et avant 7 heures et demie nous étions remontés dans le char à bancs de la Reine et nous roulions vers le château. Le Roi m'a gardé jusqu’à 8 heures et demie nous promenant en long, point en large, dans sa galerie Victoria, et me faisant mille déclarations de bonne politique, et de tendresse. La Reine d'Angleterre a dû rester en panne dans la rade jusqu'à minuit et se mettre alors en mouvement pour l’ile de Wight où elle arrivera aujourd’hui vers 10 heures. Un de nos bateaux à vapeur l'accompagne, et reviendra annoncer ici son arrivée. J’ai encore eu hier une longue conversation avec Lord Aberdeen. Je suis sûr qu’il part très content et très ami. Mais l’amitié est nécessaire Il faut se voir. Avec cela, tout ira bien.
Je vais employer ma journée à causer avec le Roi, et à faire visite à Madame, Madame la Duchesse d'Orléans, le Prince et la Princesse de Salerne, le Duc et la Duchesse de Cobourg et la Duchesse d’Aumale. Je serai en voiture demain, à 7 heures. Que j’aime Beauséjour ! Salvandy est dans le ravissement. Adieu. Adieu. J’attends votre lettre. Adieu.

10 heures
Oui le N°4 qui m’arrive sera le dernier. Je viens de recevoir des nouvelles de Pampelune. Accueil fabuleux de nos Princes par tout le monde, sur toute la Route, les Reines comme les paysans, les paysans comme les Reines. Cela me plaît. Je tiens à l’Espagne. Je suis d'ailleurs très content de la position bien établie & bien acceptée, sur cette question dans la visite qui vient de finir. Adieu donc, Adieu. Je vais déjeuner. Que je suis bavard ! Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L008_0276.jpg
4. Paris Mardi 14 juillet 1846 onze heures.

La lettre d'Aberdeen est charmante. Tout ce qui vient de Peel est un peu tendu comme son jarret. Comme Aberdeen a raison de ne point vouloir venir à Paris. Ma journée a été mauvaise hier. Verity est parti. 2 heures après j’ai pris mal aux yeux. Je suis très nervous de cela. J'ai renoncé à Dieppe. Je m’en vais voir aujourd’hui ce que je puis trouver à St Germain. J’ai vu hier matin Harvey Fleischmann, Kisseleff, Pahlen, Decazes, Génie. Rien de tout cela qui vaille la peine de dire quelque chose. Hervey toujours préoccupé de l'Espagne, & voyant là de loin de gros orages. C’est très probable. Je parle toujours de Don Enrique comme votre candidat N°2 depuis l'origine. A diner chez les Cowley, il n’y avait qu’Adair. Trop vieux, trop sourd, et trop lent. Mon voisin est tout cela aussi de sorte que ce n'était pas drôle. Lady Cowley triste, pas un mot de nouvelle. J’ai fait un tour en calèche accompagnée jusqu'à 10 h. J’ai passé une mauvaise nuit. Il y a eu de l'orage mais sans rafraîchir l’air. Il fait étouffant. Suis-je tenue à une indemnité envers le courrier qui devait m’accompagner ? et dans ce cas là quoi ? Je lui avais toujours dit qu’il n’y avait rien de décider et que je l'informerais aussitôt que je le serai, ce que j'ai fait. 2 heures Génie est venu causer. Nous avons beaucoup causé de votre ménage ; nous sommes d’accord sur ce point qu'Henriette devrait s’accoutumer à le mener, tenir les comptes, & &. C'est des habitudes bonnes à prendre dans toutes les conditions de la vie. En Angleterre il n'y a pas de jeune fille des plus huppées qui n’entend fort bien & dans le plus menu détail les affaires de ménage. Cela fait partie d'une bonne éducation. Henriette me paraît avoir un peu de disposition aux idées trop grandes. Il arrive alors des mécomptes dans la vie. De l’ordre & de l'économie sont nécessaires également aux riches & à ceux qui ne le sont pas. Je fais là de la morale mais vous ferez bien de songer à cette partie-là. Je crois que Melle Wesly saurait y aider. Vous voyez que voilà une pauvre lettre. Je suis furieuse de ce qu'on vous réveille la nuit. C’est de la maladresse de votre part, car vous savez très bien que si le roi s’en doutait il en serait désolé. J’ai prie Génie de faire parvenir cette observation en haut lieu par Duchatel ou autrement. Que je m’ennuie sans vous ! Adieu. Adieu. 4 heures. W. Hervey est venu il m'a lu une petite lettre de Bulwer accompagnant une dépêche monstre sorte de tableau de la situation de l’Espagne depuis un an. Les partis, les personnes. C’est pour mettre Palmerston au fait de tout ce qui est survenu. Je n'ai pas lu cela naturellement. La petite lettre atteste un peu d'humeur entre Aberdeen sans qu'il le nomme, mais il dit qu’il aurait eu envie des ? de Naples, car Madrid lui déplait. iI est question dans cette lettre des mariages possibles ou impossibles. des mêmes ? De Bresson avec les Carlistes : il ne sait pas si tous les tripotages français n’auraient pas pour but de rendre tout impossible sauf Monpensier ! J'ai bien fait, je crois, de dire que c’était peut être le jeu qu'on jouait à Madrid chez la reine ? que pour ici cela ne réussirait pas du tout. à quoi Hervey a dit: mais c’est que Bulwer & beaucoup d’autres ne voient pas pourquoi pas. Et certainement Palmerston laissait le ? plus aisément qu'Aberdeen. Car il a plus de courage. J’ai dit tout cela, bêtises. Epousez franchement Cadix ou Séville, donnez-vous la main pour cela, & finissez l’affaire. Bulwer a lu la lettre de Christine au roi sur Tenerife. Est-ce que je dis bien ? Mais vous savez ce que c’est. Pas un mot de Palmerston encore comme affaires. On attend jeudi Adieu adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
MF-G-L008_0300.jpg
4 Val Richer, Mercredi 15 Juillet 1846,

Vos yeux malades me déplaisent beaucoup. Presque autant que vos yeux bien portants me plaisent. Vos yeux bien portants ont, par moment, un caractère de profondeur de regard recueilli et intérieur, admirable. Je les vois tels dans ce moment-ci. Qu'ils ne soient pas malades. Mad. Danicau vous lit-elle beaucoup ? Vous ne me dites rien d'elle. Je suis presque bien aise que vous renonciez à Dieppe. Je n’y avais pas goût. C’est bien loin pour ce que vous alliez y chercher. Et en cas de grand ennuis, il faut deux jours pour revenir à Paris. J’aime mieux St Germain ou Versailles. Je pense que vous allez samedi à Mouchy. Moi, j’irai ce jour-là établir Pauline à Trouville. Je devais y aller demain. Quelques arrangements me font retarder de deux jours. Fleischmann tient-il sa parole ? Le temps est resté un peu gâté de l'orage. Je me suis moins promené hier. Pourtant une course d’une heure dans les bois. On m’annonce pour aujourd’hui beaucoup de visites. Si je savais m’ennuyer, l’occasion serait bonne. L’état des esprits est excellent, ici et dans les environs. Je ne crains que le trop de confiance. Tous les nôtres se croient sûrs du succès trop sûrs.
Rien aujourd’hui d’aucun point. Si ce n’est de Bruxelles où l’Infant D. Enrique s’est rendu en deux jours, à charge à tout le monde, en particulier à sa sœur qui parle mal de lui et dit qu’il faut bien le veiller. Il ne s’est entouré que des émigrés progressistes. Il a dîné le 14 à la Cour, et il part aujourd’hui même pour la Hollande, d’où il ira sans nul doute à Londres. Vous avez toute raison de parler toujours de lui, comme de notre candidat N° 2. J’attends la première lettre de Jarnac pour lui écrire en détails à ce sujet. A tout prendre, je serais bien aise que Bulwer quittât Madrid pour Constantinople. C'est aussi l’avis de Bresson. Palmerston a été à Tiverton, bien réservé sur les affaires étrangères, et bien aigre sur Peel. Il me paraît impossible que l’hostilité ne recommence pas bientôt entre eux. Les Whigs feront ressortir les fautes de Peel, et il ne se laissera pas faire, je suppose. Je reçois un mot de Flahaut qui trouve sa retraite (la retraite de Peel) magnifique. Mais M. de Metternich a été très choqué de l’éloge de Cobden.
J’avais tort tout à l'heure de vous dire que je n’avais rien de nulle part. J’oubliais ce mot de Flahault qui me demande de la part de Metternich, des renseignements très détaillés sur l'organisation et le service de la Gendarmerie en France. On veut établir un service semblable en Galicie. On vient, d’Autriche, nous emprunter de la police. Pas un mot sur le discours de Montalembert et sur mon silence. Flahaut a tort. Que M de Metternich ne lui en ait rien dit, je le comprends ; mais il devrait avoir lui des informations, des conjectures, sur ce que Metternich en a pensé, et me les dire. Il fait comme bien d’autres, plus en pouvoir que lui ; dès qu’il y a quelque embarras, il s'efface. Vous ai-je dit qu’il avait écrit à Morny ? Il y a peu de temps qu’on lui disait que je n'étais pas content de lui, que j’avais envie de donner son poste à un autre, &. pour peu que cela fût vrai, disait-il, il voudrait le savoir, car pour rien au monde, il ne voudrait rester à son poste contre mon gré ou seulement contre mon goût. J’ai pleinement rassuré Morny. Adieu.
Je reviens à vos yeux. J'en attends de meilleures nouvelles. Merci de vos excellents conseils pour Henriette. J'en ai fait usage d’autant que je les avais devancés. Elle est à l’œuvre. Vous avez mille fois raison. Vous êtes vous-même, un modèle d’ordre. Adieu. Adieu. Je viens d’écrire longuement au Roi sur l’Espagne. Adieu G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
MF-G-L008_0431.jpg
22. St Germain Mardi 4 août 1846

Je suis revenue ici hier au soir avec un accroissement de 25 voix à votre majorité. Je suppose que vous en perdrez un peu aujourd’hui, mais en attendant ce début était bon. J’ai vu en ville lady Cowley W. Hervey, Fleichman. Rien de nouveau de Londres grande vraisemblance qu'on ne dissoudra pas le parlement, et qu’en le laissant faire son temps ou s'affermira dans l’intervalle car Peel n’est pas mur, & les protectionnistes impossibles. C’est bien ennuyeux d’avoir à s’accommoder ou s’incommoder. des Whigs pour longtemps peut-être. J’ai écrit hier à Lady Palmerston. La journée hier était fraîche charmante pour la course ; aujourd’hui la chaleur est revenue. Je suis triste, j’ai laissé en ville votre lettre, c’est la première fois qu’un accident pareil m’arrive. Aucune importance à cette lettre pour personne, Mais pour moi ! Pouvez-vous me dire si le roi ouvre les Chambres le 17 ? Ou si, comme plusieurs personnes me le répètent, il n’y aura de séance royale que pour les proroger. Lady Cowley est en bien mauvaise humeur. Le moi domine dans tout. Ce n’est pas une personne aimable. Je suis bien enracinée de ce que Jarnac vous rapportera de Londres par suite de votre lettre de jeudi.
Midi Voici votre N°20 charmant. Mais ne vous revenez pas tant, reposez-vous. Je m'agite et m'échauffe en pensant que vous n'êtes jamais tranquille. Je vous prie soignez-vous. Je suis bien fâchée de M. J. Lefebre non révélé. Et ces lois sur les patentes qui devaient faire un si bon changement dans les élections ? Vous voyez que je me souviens ce soir vous saurez sans doute à peu près tout, ou demain matin. En somme il me parait que vous aurez gagné. J’ai seulement peur comme vous que ce ne soit trop. Cependant il vaut mieux cet embarras que l’autre. Adieu dearest. Qu’est-ce que sont pour moi les élections ? et tout le reste ! Je veux seulement que vous vous portiez bien & vous revoir bientôt, bientôt. Je vois avec grande joie que les deux soirées vous restent bien dans le cœur. C'est juste. Adieu dearest.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L010_00012.jpg
Ketteringham Park Mercredi 2 août 1848
Midi

J’ai eu votre lettre à 10 heures en sortant de la prière. Je m'afflige, mais je [ne] me plains pas de sa tristesse. Ni Montaigne, ni Pascal, ni La Bruyère, ni personne n'a dit la moitié de ce qu’il y a à dire sur les contradictions et les incohérences dont notre cœur est plein. Les livres sont toujours, si au-dessous des personnes, et les paroles des réalités. J'en reviens à ce que je vous disais hier matin ; si nous nous étions toujours tout dit, si nous nous disions toujours tout, nous éviterions bien des chagrins, et nous supporterions bien mieux, ceux que nous n'éviterions pas. Voulez-vous que nous essayions une fois de nous dire tout ? Cela se peut-il ? J’ai fait mon voyage sans accident. Sauf un peu de pluie qui pénétrait dans les glaces mal jointes des voitures de seconde classe du railway. Car je me suis mis dans une voiture de seconde, classe très passable d'ailleurs. J’ai trouvé que plus d’une livre, pour cinq personnes était une économie à faire. M. Hallam et sa fille qui venaient par le même train se sont un peu étonnés. Mais c’est un étonnement qui ne me nuit pas. Je suis ici dans une bonne et grande maison de Country gentleman. Sir John est parfaitement content de deux choses, de sa maison et de me la montrer. Orgueilleux d'être anglais. Orgueilleux de descendre d’un Français. Des souvenirs de France étalés avec une complaisance affectueuse au milieu des conforts d'Angleterre. Et au bout de la pièce d’eau qui orne le parc, un pavillon portant mon nom. Whig, et whig plus vif que je ne croyais, il me pardonne tout puisque je lui fais le plaisir d'être son cousin. Mais il veut me réconcilier avec Lord Palmerston. Il m’en a dit hier tout le bien imaginable.
Vous avez raison ; l'Angleterre est heureuse. Tout lui tourne bien. Mais elle a droit d'être heureuse, car elle se conduit bien. Je ne connais pas de justice plus complète que celle de Dieu envers l’Angleterre à propos de l'Irlande en ce moment. L'Angleterre fait honnêtement sensément, courageusement depuis 30 ans, tout ce qu'elle peut pour soulager les maux de l'Irlande, les maux qu’elle lui a faits depuis 300 ans. Elle n'y réussit guères. L'Irlande reste pour elle, un fardeau énorme, une plaie hideuse. Et en même temps que l’ancien crime est puis le bon vouloir actuel est récompensé. L'Irlande ne vient pas à bout de devenir, pour l'Angleterre un danger. La bêtise irlandaise vient en aide à l'impuissance de la sagesse anglaise. Le volcan gronde toujours et n'éclate jamais. Il faudra un temps immense à l'Angleterre bien intentionnée pour guérir le mal et se guérir elle-même du mal de l'Irlande. Mais elle y réussira, si elle en a le temps, et j'espère que Dieu le lui donnera, car elle le mérite. Plus je regarde cette société-ci, plus je lui porte d'estime, et lui veux de bien. Il y a dans la maison., M. Hallam, son fils et sa fille, un dean d'Ely et sa femme. On attend demain l’évêque de Norwich, et je ne sais combien de Stanley. Nous étions déjà 21 ce matin à déjeuner. J’écris à lord Fritz-William pour décliner son invitation. J'attends impatiemment des nouvelles d'Italie. Il est clair qu'entre Autrichiens et Piémontais la mêlée est vive, et qu'aux dernières nouvelles il n’y avait point de vainqueur. Je ne connais rien de plus ridicule que cet immense bruit que font partout les Italiens, laissant d'ailleurs le Roi de Sardaigne à peu près seul aux prises avec l’Autriche. Et si le vieux gouvernement Autrichien avait eu la moitié de l’énergie de son vieux maréchal Radetzky, il aurait certainement réprimé un mouvement si superficiel quoique si général. Je doute beaucoup que Cavaignac ait inventé et suive, dans cette affaire italienne la bonne politique que vous faisiez si bien l'autre jour. Adieu. Adieu. La poste part d’ici à 3 heures, après le luncheon, on ira se promener. Il ne pleut pas. Le pays n’est pas joli. Mais au dessus de beaucoup de navets, il y a beaucoup d'arbres. C’est bien Wymondham. Adieu. Adieu. On n'a pas encore ici le Times de ce matin. Tenez moi bien au courant de votre santé. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L010_00016.jpg
Ketteringham Park. Jeudi 3 août 1848
Onze heures

Voilà votre lettre d’hier. Il y a du vrai dans votre premier reproche. Je crains trop les contradictions, les objections, les chagrins, du premier moment, ce qui m'empêche souvent de faire ou de dire ce qu’il faudrait pour éviter ceux du dernier moment. J’y veillerai pour m’en corriger quoique je sois vieux. C’est une faiblesse pleine d'inconvénients. Et quand les inconvénients arrivent, personne ne les sent plus vivement que moi. Juste mais triste punition de la faiblesse. Je n'accepte pas votre second reproche. Je traitais jusqu'ici l'affaire des papiers avec Génie par M. Palmerston. C'est pourquoi je ne lui avais pas écrit directement et spécialement quels étaient ceux que je tenais surtout à avoir ici. M. Palmerston n'ayant pas fait l'affaire, j’ai écrit à G. en lui donnant, à lui-même la résignation que j’avais donnée à M. P. G. avait fait remettre quelques papiers à P.. Mais ce ne sont pas ceux auxquels je tiens. Si vous étiez là, je vous expliquerais en détails. Mais soyez sûre que j’ai mis à cette affaire là tout le soin possible ! Soin difficile de si loin, et avec toutes les réserves qu’il faut garder.
On est bien craintif à Paris. On ne parle qu’à demi-mot. On ne remue qu'en hésitant. Pour tout ce qui se rapporte à certains moments et à certaines personnes. Mais j'en viendrai à bout. Et malgré, ma vive contrariété du retard, je ne puis avoir d'inquiétude réelle, et définitive. Ecrivez-moi, encore ici jusqu’à samedi après demain. Je n'’en partirai probablement que lundi matin. Moyennant que j'abnéguerai le séjour en Ecosse. J’irai seul chez Lord Aberdeen, pendant que mes enfants seront à St Andreas, Melle Chabaud y restera avec eux jusqu’au moment du départ. Viendrez-vous maintenant chez Lord Aberdeen ? Ce serait bien joli, j’emploierai ainsi le temps des bains St. Andrews. Il serait bien long et pas bien amusant de vous dire pourquoi ce nouvel arrangement se rattache à deux jours si plus passés ici. Mais c’est le fait, et le bon fait si vous venez à Haddo.
Voilà le Roi de Sardaigne bien évidemment en retraite. Retraite heureuse pour lui, si elle le force à traiter avec les Autrichiens c’est-à-dire si elle force les Italiens à le laisser traiter avec les Autrichiens au prix de Venise. Je vois ce matin dans le Globe qu’il a demandé à Paris l’armée française et qu’on lui a répondu par le médiation française. Ce serait un peu votre politique. Cependant M. Bastide vient de promettre encore l’intervention, si l'Italie insiste. Et j'ai peur qu'elle insiste. Charles Albert ne me paraît guère, en état de dire non à Mozzini. Les honnêtes gens en France regarderont comme une victoire l’ordre du jour de l'Assemblée nationale sur le discours de M. Proudhon. Et en effet, s'en est une, à quelles victoires sont tombés les honnêtes gens ! Cavaignac et Bastide ont eu toute raison de se refuser à Mauguin. Adieu. Adieu. Je vous quitte pour aller à Norwich voir une belle cathédrale. Je fais comme si j'étais curieux et on m’en sait gré. Le temps est passable. J’ai marché hier deux heures dans la campagne. Connaissez-vous Lord et Lady Woodhurst ? Non pas les personnes mais le nom. Les personnes sont deux jeunes gens de bon air et d'assez d’esprit qui sont venus dîner hier. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L010_00080.jpg
Ketteringham Park Vendredi 11 Août 1848,
Onze heures

Tallenay n'a pas réussi à se faire laisser l’honneur de la reconnaissance de la République. Gustave de Beaumont est un honnête homme et un gentleman. Plus de mouvement d’esprit que d’esprit, modéré d’intentions et emporté de tempérament. Point Thiers du tout. Opposé à Thiers, autrefois, quand ils étaient ensemble dans l'opposition. Rapproché de lui aujourd’hui par la nécessité, mais au fond méfiant et hostile. Un des plus actifs de la tribu Lafayette dont il a épousé la petite-fille.
On dit à Paris que Tallenay est rappelé pour m’avoir salué et dit bonjour dans la rue, ce qu'il n'a pas fait. Je serais étonné si Gustave de Beaumont, me rencontrant, ne le faisait pas. Puisque la médiation commune a lieu sérieusement, je penche à croire qu’elle réussira, au début du moins. Les embarras et peut-être les impossibilités viendront après. L'Italie ne sera pas réglée. Mais la République y aura gagné d'être reconnue, et l'Angleterre d'avoir engagé la République dans la politique pacifique au moment de la crise.
Je reviens à ce que je vous disais hier, je crois ; le Président Cavaignac sera une seconde édition du Roi Louis-Philippe. Résistance et paix. Avec bien moins de moyens, de se maintenir longtemps sur cette brèche, où il sera bientôt encore plus violemment attaqué. Ce qui est possible, ce qu'au fond de mon cœur je crois très probable, c’est que les trois grosses révolutions de 1848, France, Italie et Allemagne n'aboutissent qu'à trois immenses failures. Pour la France et l'Italie, c’est bien avancé. L'Allemagne trainera plus longtemps, mais pour finir de même. Grande leçon si cela tourne ainsi. Mais le monde n’en sera pas plus facile à gouverner. Excepté chez vous, l'absolutisme est partout aussi usé et aussi impuissant que la révolution. Et il n’y a encore que la société anglaise qui se soit montrée capable d’un juste milieu qui dure. Je suis dans une disposition singulière et pas bien agréable ; chaque jour plus convaincu que la politique que j’ai faite est la seule bonne, la seule qui puisse réussir et doutant chaque jour d'avantage qu’elle puisse réussir. La lettre que je vous renvoie est très sensée. Je vous prie de la garder. Je vous la redemanderai peut-être plus tard. Si c’est là une chimère, c’est une de celles qu'on peut poursuivre sans crainte car en les poursuivant on avance dans le bon chemin.
Savez-vous notre mal à tous ? C’est que nous sommes trop difficiles en fait de destinée. Nous voulons faire, et être trop bien. Nous nous décourageons et nous renonçons dès que tout n’est pas aussi bien que nous le voulons. J’ai relu depuis que je suis ici, la transition de la Reine Anne à la maison d’Hanovre, et le ministère de Walpole. En fait de justice, et de sagesse, et de bonheur, et de succès, les Anglais se sont contentés à bien meilleur marché que nous. Ils ont été moins exigeants, et plus persistants. Nous échouerons tant que nous ne ferons pas comme eux. Je vous envoie avec votre lettre un papier anonyme qui m’arrive ce matin de Paris, par la poste. Les Polonais sont aussi mécontents de la République que le seront demain les Italiens. Je suppose que l’un d’entre eux a voulu me donner le plaisir de voir que je n'étais pas le seul à qui ils disent des injures. La grosse affaire à Paris, c’est évidemment le rapport de la Commission d'enquête. De là naitra, entre les partis, la séparation profonde qui doit engager la lutte définitive qui doit tuer la République. Dumon m'écrit : « Si je trouve Londres trop triste, j'aurais assez envie d'aller attendre à Brighton le jour où nous pourrons rentrer en France, le jour me semble encore assez éloigné. C’est déjà bien assez pour Cavaignac d'avoir à mettre en jugement les fondateurs de la République sans qu’il se donne l’embarras de mettre en même temps hors de cause les ministres de la monarchie. » Tous les procès à vrai dire, n'en font qu’un et il n’est pas commode à juger. On l’ajournera, tant qu’on pourra. Adieu.
J’aurai demain votre lettre à Lowestoft. Je pars à 4 heure. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L010_00095.jpg
Lundi 14 août.
Midi

J’ai vu hier Lord Palmerston à Holland House. Il ne savait pas si l’armistice était ou non une conséquence de la médiation commune. Les courriers n’étant partis de Paris que Mardi dernier. Il me parait que ce n’est pas eux qui ont pu décider. On bavardait beaucoup là hier. La Lombardie à la Toscane. Voilà l’idée générale, dans tout cela voyons le dernier mot de l'Autriche. L’article du Moniteur est fort important. Évidemment chez vous on veut la paix, et on compte encore sur notre bon vouloir pour la république. L'Allemagne fait le plus gros, des embarras. Kielmannsegge me disait encore hier que les têtes y sont tout-à-fait renversées. Vous voyez que la France aussi se mêle d’arranger l'affaire des Duchés. L’entente entre Paris et Londres embrasse sans doute toutes les questions en litige. Le Manifeste du Prince de Linange serait bien plus critiqué s’il ne serait pas du frère de la Reine. Mais avec cela même, on en parle avec grande désapprobation. Je n’ai rien lu de plus fou & de plus bête. On dit que Strockmer la croit, c’est impossible. Il a plus d'esprit que cela.
Voilà de la pluie à verse. Quel climat, quelle tristesse. Comment iront les bains de mer avec cette pluie ? Et puis vous viendrez me dire qu'on n’a pas pu prendre les bains, qu'il faut donc prolonger. Je n’accepterai pas cela. Voilà votre lettre. Seul plaisir, seule ressource. Mais quand viendra le temps où nous ne songerons plus aux ressources ?
J'ai rencontré hier Dumon aussi à Holland house. Il songe beaucoup à s’établir à Brighton le mois prochain pour la mauvaise saison. Aggy va un peu mieux. Elle m’a écrit elle même. Je ne donne pas encore de rendez-vous à Pierre d’Aremberg car je n'ai rien décidé sur Tunbridge. J'attends toujours pour un appartement. Adieu, adieu. Comme c’est long.
Voici mes réponses de Tunbridge Wells. Pas d'appartement du tout. Tout est pris. Je reste donc ici. Cela va faire plaisir à Montebello, il est bien accoutumé à mon bavardage. 

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L010_00101.jpg
[?] and [?] La pauvre et chère reine m’est plus que jamais respectable & admirable à Claremont par la manière dont elle porte son malheur. Voilà la vraie chrétienne selon Dieu. De tous temps je me disais que si nous nous étions connues nous nous serions calmées et convenues ; envisageant la vie de famille et la vie sur cette terre de la même manière, nos cœurs, se seraient compris. La Duchesse d’Orléans est elle bien ou mal avec elle. Voilà par contre un caractère qui ne m’aurait jamais convenu." J'ai fait parvenir à Claremont par Montebello ce qu’elle me dit sur la Reine et que je trouve charmant.
Longue lettre de Constantin. Francfort défère à la Prusse, l’arrangement avec le Danemark mais il le fait avec des restrictions et des détails qui rendent l’œuvre difficile. Le Roi et l’archiduc se rencontrent aujourd’hui à Cologne. Le Roi étant chez lui cèdera le pas à l’archiduc. On ne se promet à Berlin rien de bon de l’entrevue. Le Comte Ernest Stakelberg que vous avez souvent vu chez moi est à Paris & a été chez Cavaignac. Très bien accueillie par lui. Qu’est-ce que cela veut dire je n'en sais rien. Mais évidemment nous nous rapprochons. Il est clair que si la France pense comme nous et l'Angleterre : sur le Danemark nous devons être être bien avec elle pour agir moralement avec elle. Que veut dire le paragraphe dans le National ou il est question du dernier ministre de la monarchie. Comment seriez-vous dans l’enquête ? Cette enquête va être une bien grosse affaire. Le parti de la rue de Poitiers semble bien déterminée à tout savoir. La Montagne se joint à ce parti là, car Louis Blanc & Caussidière aiment mieux avoir des camarades que rester seuls. Deux heures. Votre lettre d’hier m’arrive à l'instant ; Pas de réponse car elle ne me fournit rien. Votre rhume passe, j'en suis bien aise. N’allez pas imaginer de vous baigner dans la mer ; à nos âges cela est mauvais. Je vous prie ne faites rien de nouveau. Le Tolstoy de Paris est arrivé à Londres & me l’annonce. Je le verrai ici. Il sera assez mieux à entendre. Adieu. Adieu.
Voilà que le National m’est enlevé. Je découperai demain l’article dont je vous parle. Adieu. J’ai aussi une longue lettre de Hugel de Houzard vous l’aurez demain, je l'ai à peine lue. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L010_00140.jpg
Richmond Samedi le 19 août 1848
1 heure

Hélas, voilà mon fils parti ! J’en ai le cœur bien gros. Il l’a vu, et je crois qu'il en est touché. Il va à Bade, de là à Castelamane, & il veut revenir à Brighton à la fin de Novembre. Je n'ose y compter. Le temps est affeux. Tempête et pluie. Comme c’est triste quand on est triste et seule ! Pierre d’Aremberg m’est resté sur les bras hier pendant cinq heures, c’était long. Ce qu'il m’a dit de plus intéressant est la ferme croyance de son parti que dans trois mois Henri V sera en France, Roi. Nul doute dans son esprit et il est entré dans des détails qui m'ont assez frappée. Ce qui a donné de la valeur à ses propos, c'est que une heure après, j’ai vu Lady Palmerston à Kew, qui me dit avec étonnement qu'ils venaient de recevoir de Paris la confirmation de ce que leur disaient depuis quelques temps les lettres particulières que le parti légitimiste avait gagné énormément de terrain, et qu’il était presque hors de doute que le duc de Bordeaux serait roi, & sous peu. Après l’étonnement venait le plaisir. Evidemment le premier intérêt là est que la France redevienne une Monarchie. Enfin je vous redis Lady Palmerston, me donnant cela comme une nouvelle officielle du moins venant de source officielle. Son mari n’a pas paru du tout au dîner donné à G. de Beaumont. Il était retenu à la Chambre. Beaumont a été fort causant, cherchant à faire deviner qu’il n’était pas républicain du tout, et disant très haut qu'on l’était très peu en France. ça et là, quelques propos très monarchistes. On ne lui a pas trouvé la tournure d'un homme du grand monde. Mais convenable, l’air honnête. Tournure de littérateur. Il a bien mal parlé de Lamartine, Ledru Rollin & & D’Aremberg affirme positivement que la Duchesse d’Orléans a pris l’initiative à Frohedorff et qu’elle a écrit une lettre de sympathie, se référant à ce qu’elle avait toujours éprouvé pour eux, & demandant que dans une infortune commune ou confondue les douleurs, & les espérances, & la conduite. Il affirme.
Lady Palmerston très autrichienne disant que l’affaire est entre les mains de l’Autriche, qu'ils sont les maîtres. Espérant qu’ils se sépareront du milanais mais ne se reconnaissant aucun droit pour ce disposer contre le gré de l’Autriche. Impatiente de recevoir les réponses de Vienne. Inquiète de Naples. Mauvaise affaire pour Gouvernement anglais. Le Danemark, espoir, mais aucune certitude de l’arrangement. Toujours occupée du manifeste [?] qu'on trouve plus bête à [?] qu'on y pense. Voilà je crois tout. Je reçois ce matin une lettre de Lord Aberdeen pleure de chagrin de ce que vous ne venez plus. & puis beaucoup d’humeur des articles dans le Globe où Palmerston lui reproche son intimité avec vous. Comme je n’ai pas ce journal je n’ai pas lu.
J'oubliais que G. de Beaumont annonce une nouvelle bataille le dans les rues de Paris comme certaine. J'oublie aussi qu’il tient beaucoup au petit de avant son nom. Le prince Lichnovsky, (celui de Mad. de Talleyrand) est arrivé à Londres, on y arrive comme pendant à Lord Cowley à Francfort. Nothing more to tell you, excepté, que je trouve le temps bien long, bien triste, et qu’il me semble que vous devriez songer à me marquer le jour de votre retour. Depuis le 31 juillet déjà. C’est bien long ! Adieu. Adieu.
Formats de sortie

atom, dcmes-xml, json, omeka-xml, rss2