Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Dimanche le 26 Septembre

M. Fould est venu hier me raconter la découverte de la machine infernale à Marseille. Très préoccupé de cela. On a pris tout le monde. Il croit à des ramifications à Londres. [Brignoles] il est très monté contre les [gouvernements] libres. On le fera sentir. Sentir aux uns, dire à un autre. Mais ceci peut même loin. Il faut voir l'influence que cet événement de Marseille aura sur le reste du voyage, il y a trois semaines encore. Dimanche le 16, il rentre à Paris. Entrée solennelle. Molé est venu hier très frappé de l’événement et triste, Dumon triste aussi. On croyait les fusillés oubliés. Les proportions de ceci étaient affreuses. De centaines de personnes y périssaient. Du reste Molé content de la pensée qu'on va être affranchi en même temps de la République et du suffrage universel ; Fould ne disait hier encore qu’il sera brisé après l’Empire. Celui ci est bien décidé, je ne sais si l'événement de Marseille le rapproche. (Voici votre lettre. Comment vous ne comprenez pas pourquoi la Reine ne fait pas seule. Mais ce serait son argent, elle aime mieux que ce soit celui de Parlement parenthèse) Vous voyez que c’est Hardinge qui commande l’armée. Choix très convenable. On s'occupe beaucoup à Londres de l’idée d'une descente. Le duc de [Wellington] la croyait très possible. et le Times peut la rendre vraisemblable autant que le complot de Marseille. Quoi ? Si l'on demandait à l'Angleterre l’éloignement des exilés ? It will end by war, voilà ce que répète Ellice depuis 4 ans 1/2.
J'ai montré à M. Fould ce que vous m'avez dit du discours du Prince à Lyon, cela lui a fait plaisir, mais quant à la remarque sur ce que le [gouvernement] de [Lord Palmerston] a rendu des respects à la mémoire de Napoléon, il dit qu'il courait après la popularité et que l’ayant reconnu là, la statue et les cendres ensuite ont eu cela pour à l'Angleterre l’éloignement des exilés ? It will end by war, voilà ce que répète Ellice depuis 4 ans 1/2. J'ai montré à M. Fould ce que vous m'avez dit du discours du Prince à Lyon, cela lui a fait plaisir, mais quant à la remarque sur ce que le [gouvernement] de [Lord Palmerston] a rendu des respects à la mémoire de Napoléon, il dit qu'il courait après la popularité et que l’ayant reconnu là, la statue et les cendres ensuite ont eu cela pour mobile. Il n'y a rien à répliquer c’est vrai quant à la légitimité elle n’y avait rien à faire. Pardon du petit bout de papier, je suis avare. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond lundi le 28 août 1848

Voici quelques nouvelles sans compter l’arrestation de Louis Blanc & Caussidière que vous apprennent les journaux. Montalivet a passé à Londres quelques jours, il repart ce soir. Le travail monarchiste est plus grand et plus avancé qu'on ne croit. L’union des partisans des deux branches se produit partout. Le parti est bien prié de marcher en semble. Berryer mène tout cela. Son langage excellent. Il a vu Montalivet. Sur la question de fortune, c'est Berryer qui s'opposera de toutes ses forces à la spoliation. Molé est là aussi, Thiers aussi, enfin tout ce qui n’est pas républicain. [Berryer s’oppose à toute démonstration prématurée. Elle allait éclater dans le midi, il l’a empêchée.] Montalivet a causé avec Cavaignac. Très républicain mais il croit de lui, que s’il était acculé à la nécessité de choisir entre la monarchie & la république rouge, il n’irait pas à celle-ci, il se retirerait de la scène. Montalivet ne pense pas qu'il y ait si prochainement une lutte dans la rue. Mais Il est persuadé qu'il faut encore quelques batailles avant d'arriver à la monarchie. Tout ceci m’a été dit par mon voisin de Petersham, qui a vu Montalivet hier matin.
J’ai rencontré hier M. de. Beaumont à Holland house. Je l’ai trouvé causant très intimement avec Dumon, et je les ai laissé comme cela aussi. On me dit que la reconnaissance a été une explosion de joie de la part de Beaumont. Celui-ci ravi de la séance de l'Assemblée et de son résultat. Cela va donner de la force au gouvernement. Il a parlé de Thiers, de son langage, qui est ceci : je ne suis plus un homme politique, je ne me mêle pas de cela. J’ai fait Cavaignac Colonel, je n’irai pas me faire son ministre. Je ne pense être que président de la république & probablement je ne le serai pas. Beaumont ajoute, certainement pas, car Thiers est l'homme le plus impopulaire de Paris . Beaumont blâme Molé de se faire porter à l’Assemblée. Il n'y jouera aucun rôle. C’est manquer à sa dignité. Il devait rester tout-à-fait à l’écart. J’ai vu Lord John hier matin. Il part jeudi prochain pour l’Irlande. De là il ira rejoindre la Reine en Ecosse. Elle s’y rendra le 6 après avoir prorogé le 5 le parlement en personne. C'est pour la première fois qu’un premier ministre manque à cette cérémonie. Il m’a fait lire la lettre qui accrédite M. d'Andréau ici comme ministre du Vicaire. Long, un peu diffus, ce que j’y ai relevé de plus remarquable est le respect aux traités. Du reste les attributions que vous connaissez du Vicaire. Diplomatie, commandement de toutes les armées, & & &. Le tout cependant qualifié de gouvernement provisoire. Lord John a rencontré M. d’Andréau. Samedi soir chez Lord Palmerston Il ne s’est pas soucié de faire sa connaissance. Normanby parle aussi du travail légitimiste sans y attribuer autant d'importance que nous. La France est pressée de la médiation italienne car elle craint des interpellations à l’Assemblée. De son côté l'Autriche n’a pas encore répondu à la proposition de la France & de l'Angleterre envoyée de Paris, le 9 août ! Les diplomates ici sont très convaincus que Palmerston travaille à faire donner Milan au Piémont & que la France le veut aussi. Tout le monde trouve le retour de l’Empereur à Vienne très intempestif. Il fallait y rentrer avec Radski à la tête de 30 m. Voilà tout mon bulletin de hier. Comme je le trouve un peu intéressant. Je n’ai pas des yeux pour recommencer, je vous prierai de l'envoyer tel quel à Lord Aberdeen. Mettez ceci simplement dans une enveloppe à son adresse.
Haddo House Aberdeen. N. B.

J’ajoute que les nouvelles de Naples sont bonnes. Personne n’y veut plus de la Constitution. Le Roi veut cependant maintenir ce qu'il a octroyé et promis, mais si la montagne demandait davantage, il retirerait tout. En Sicile la réaction est très prononcée partout, moins Palerme et là seulement les grands Seigneurs encore récalcitrants. Ludolf a fait beaucoup d’efforts pour tirer de Lord Palmerston ce qu’il fait là de sa flotte, & s’il compte s'opposer ou non à l’expédition napolitaine. Palmerston a constamment éludé, & dit qu'il n’avait aucune réponse à donner sur ce point. Disraeli fera après demain une revue générale de la session pour attaquer le ministère. Lord John reste pour y répondre. Il part le lendemain. Deux heures. Voici votre lettre pleine d’excellents raisonnements. Je reçois aussi les journaux et je vois que l'Assemblée n'a pas voulu poursuivre les deux membres accusés sur les événements de Juin. Quelle poltronnerie ! Pas évidemment Cavaignac allait jusque-là. Que pensez vous donc de ce dénouement ? Je trouve que c’est lâche. Le jury est capable de les absoudre. Je viens de lire le passage du discours de Ledru-Rollin qui s'adresse à Thiers, Odillon Barrot, & & C'est très bien, et cela pouvait une même être encore plus fort. Envoyez, je vous prie mes deux premières feuilles à Lord Aberdeen. Je trouve parfait ce que vous avez envoyé à d’Haussonville. Je le garde soigneusement.
Quel plaisir de penser à Samedi. Dites-moi à quelle heure vous viendrez. Sera-ce le matin ? Pour dîner ? Je veux savoir d'avance pour me réjouir d’avance Adieu. Adieu. J’ai écrit au duc de Noailles pour lui dire que vous seriez de retour le 1 ou le 2. Morney va aujourd’hui en Ecosse pour chasser. Flahaut reste à Londres. La femme part pour l'Ecosse aussi. J'essayerai d’apprendre quelque chose her [?]. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 27 septembre 1848

Il ne faut jamais m'écrire avant cinq heures, car les lettres ne me sont remises que le lendemain. J'espère que vous allez mieux. Je compte aller vous faire visite demain & y voir moi-même si je n’étais pas venue jusqu’à 4 heures. Ecrivez-moi, je vous en prie.
On me dit qu'il y a dans l’Assemblée nationale un article sur M. de. Beaumont et sur moi, des mensonges, mais qui pourraient lui faire du tout. L’avez vous lu & qu’est-ce que c’est ? Je vous envoyé ce que j’ai écrit aujourd’hui à mon correspondant. Albrecht m’écrit d’avant-hier 25. " Notre situation est plus grave que jamais, nous touchons à la crise il faut se prononcer pour la république ou pour autre chose. Cavaignac est fini, je crois, quand il dit que la France veut la république il sait bien qu'il ment. Les votes de confiance ne signifient rien. Nous pourrions goûter de l'Empire tellement les masses de la France tiennent du Fran[?] cela ferait planche pour arriver à autre chose." Il continue, il ne croit pas à la bataille dans la rue.
Je n’ai vu que Montebello & Jumilhac je ne sais donc rien. Lisez cet insolent & stupide article du National ! Adieu.
La semaine prochaine je quitte certainement Richmond. Les soirées y deviennent bien longues et les journée pas très gaies & l'air très humide. Votre rhume serait vite guéri auprès de la mer. Adieu, Adieu.

Savez-vous que je ne comprends pas ce que vous me dites sur le procès ? Vous savez bien que l'oncle est prêt à la transaction mais que voulez-vous donc qu'il fasse ? Personne ne vient à lui, & même la nouvelle venue qui était une occasion, le fait & le dit. Dans cette situation il n’a autre chose à faire qu'à attendre si mes affaires doivent avancer faites donc un pas. Quand on est pressé, il faut se presser ; je répète que je ne comprends pas & mon avocat pas plus que moi.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton Samedi 20 Janvier

Je vous renvoie les deux lettres. Je suis assez frappée de celle de votre hôtesse. Il faut d’abord savoir cependant si vous avez grande confiance dans son jugement, et puis quand même elle dirait vrai ; s’il ne vaudrait pas mieux risquer la non élection plutôt que d’aller se mettre dans cette mauvaise boutique. Voici Barante confirmant un peu les mauvaises dispositions à votre égard. Cavaigac a fait une longue visite à Mad. Rothschild. Elle s’est dit monarchiste ; il a dit que ce serait la reine infaillible de la France, qu’elle ne pouvait être sauvée que par la République qui était comme un malade de la fièvre auquel il faut du quinine pour le remettre. Le quinine est amer. On a administré à la France le remède dans toute son amertume mais ce remède la guérira. Il faut qu’elle soit république. Léon Faucher est entré un moment après, disant que la France ne se sent gouvernée qu’à présent. Duchatel n'y entendait rien. Maintenant les préfets sont contents parce qu'on leur donne des directions claires, précises. Bien glorieux bien satisfait. Avez-vous remarqué les convives chez Falloux ? Tous les partis entourant le président, ce que n'a jamais eu Louis Philippe. Adieu car c’est beaucoup pour [mes yeux] qui ne vont pas bien. Renvoyez-moi Barante, et envoyez lui ma lettre par la poste si elle n’est pas déjà partie par occasion. Ajoutez son N°. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Vendredi le 22 7bre 1848

Un de mes journaux le Corsaire donne le prochain ministère Dufaure, Vivien, Bedeau, [?] , Dupin, Maleville, Goudchaux Baudin, Tourret. En tout cas Cavaignac me parait malade & la république aussi. Serait-il possible que le Prince Lichnowsky ait été massacré ? Pauvre Mad. de Talleyrand ! Vous voyez je ne vous donne que les journaux. Je n’ai vu personne, je ne sais rien, sinon qu'il fait très chaud, très beau & que je rentre d’une longue course. Hier valait mieux. Adieu. Car je suis au bout. Si j'avais quelque chose d'ici à midi demain je vous écrirai, peut-être ma lettre vous serait elle remise le soir. Sinon à Holland house dimanche. Venez y à 4 1/2. Adieu. Adieu.
Lord George Bentinck est mort.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond dimanche 30 septembre 1849

Je sais le fait que Schwarzenberg a enfin répondu à la dépêche de Lord Palmerston sur la Hongrie & que cette réponse est excellente. Je ne l’ai pas lue, j'en saurai peut-être davantage. Lord Aberdeen est très curieux de cela. Il ne cesse de m'écrire à ce sujet. Peel va passer quelques jours chez lui, & il tient à l’endoctriner. Peine perdue je crois. Le Pce Metternich est fort occupé de son départ. Dans 10 jours il s'embarque pour Ostende. Il est en bonne santé. M. de Hübner est ou sera nommé ministre à Paris. C'est le président lui-même qui l’a désiré. Ce Hübner est, dit Metternich un homme très intelligent, et de la bonne école. Mais il n’est ni plus ni moins que le gendre de M. Pilat, rédacteur des Oestereihisher [?] et fils naturel d'un ami de ce même Pilat. Ce n'est pas très aristocratique. Thom passe ministre en Suisse. Je le regretterai beaucoup à Paris. Morny est très occupé d’affaires à Londres. Il ne retourne pas encore à Paris. Ces affaires c'est des affaires d’argent. Je vous ai dit que Lord John est allé à Woburn pour huit. jours. Il y a maintenant près de deux mois qu’il n’a vu lord Palmerston. J’ai lieu de croire qu’ils sont assez froidement ensemble. A propos vous saviez César & Auguste avant Lord John, car il n'en a eu connaissance qu'il y a trois jours. C’est drôle. Je vous envoie un billet de Metternich, spirituel & sévère sur le journal des Débats. Je crois qu'en vous rendant compte de la conversation de M. Achille Fould je n’ai pas assez appuyé sur ce qu'il m’a dit de vous. Personne n’approche de votre talent, & vous êtes le seul homme en France qui ayez du courage. Infailliblement vous vous retrouverez là où vous devez être. Moi je dis que je vous prêche & que je désire [ ?] l'abstention, le repos. Il dit c’est impossible. Il fait beaucoup plus de cas de Molé que de Thiers.
4 heures. Voici Morny qui est venu passer une heure avec moi. Ses nouvelles de Paris sont qu’il peut considérer M. de Falloux comme hors du cabinet. Il le regretterait du reste toujours le même dire. On ne peut rien faire parce qu'on ne peut pas s’entendre sur la chose à faire. Si l'Empire On perd les légitimistes. On les perdrait peut-être même si on demandait la présidence pour 10 ans. Son opinion est qu’on restera comme on est, et que c'est là l'avis de tout le monde. Il m’a parlé très mal de Lamoricière de Drouyn de Lhuys, de tout le paquet qui tient de près ou de loin au paquet Cavaignac, Dufaure. Il croit que l’assemblée fera renvoyer & les préfets objectionnables. Il n’est pas prévu de retourner à Paris. Deux choses : il se dit charmé du Manifeste du pape. Après tout. Il a fait des concessions & il est meilleur juge que la France de la mesure des concessions. Et puis plainte de ce qu'on, nous russes par exemple, nous sommes trop polis pour la république. Nous avons par non rudesses contribué à la chute de la monarchie de juillet. Nous pourrions bien par nos bons procédés contribuer à la durée de la république. On était plus poli même pour Cavaignac que pour Louis Philippe. Morny voudrait que tout le monde se mêlât de décréditer cette forme de gouvernement.
1er octobre lundi. Voici l’étonnante nouvelle de la rupture entre la Russie & la porte ! Si cela est vrai c'est une bien grosse affaire. J’ai peine à y croire. Mais je crois certainement que Palmerston y pousse. Ah quel homme ! Je suis très préoccupée de cette grande nouvelle. Brunnow n’a pas bougé de Brighton depuis 6 semaines. Il ne cesse d'écrire et d’envoyer des courriers, mais il est là tout seul, il n’a pas vu une seule fois Lord Palmerston qu'est-ce qu'il écrit ? J’attends votre dernière lettre du Chateau de Broglie. Voici vos deux lettres, merci merci. Curieuses. Intéressantes. Je n’ai pas le temps d’y répondre il faut que ceci parte. Adieu. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 3 Novembre 1849 Samedi

La situation est des plus tendues des plus extraordinaires. J’ai vu hier Berryer, après le dîner. Il se rendait à la réunion du soir où l’on devait décider de la conduite à tenir, il est sombre, il n’est pas désespéré, mais il n’entrevoit pas comment on pourra sortir de ce chaos au milieu de tant de prétentions vivantes. Voilà pour l’ensemble quant au moment actuel Dieu sait ce qu’on aura décidé hier. Les intrigues de la semaine ont été énormes. On se plaint beaucoup de Molé. Un très bon conservateur disait hier. " M. Molé est toujours, en toutes circonstances, avec tout le monde en trahison, on ne peut pas croire à lui un instant. " M. Molé est dans le dépit le plus grand contre le président qui l’a joué. Thiers n’est pas allé hier à la réunion des 10 chez Molé. Il y manquait aussi Berryer & Vatimeuil. Sur les 7, quatre ont voulu qu’on parle, et 3 qu'on se taise à la séance. On avait préparé quelque chose s'il y avait eu lieu. Mais le programme n’y a pas donné lieu. Accueilli avec le plus grand silence. Broglie est d’avis qu’on ne fasse aucune opposition, mais que personne en mette plus les Jeudi chez le président à ses réceptions. Marquer de la froideur & du mécontentement. Avant aucun accord même cela s’est déjà fait ainsi jeudi à la soirée. Il y avait la diplomatie, grand nombre de militaires, point de députés. Hier on a fait entrer de la troupe de plus à Paris. Tout le monde disait hier que dans le petit public, la masse, le message du président avait le plus grand succès. Je sais que hier devait se tenir une réunion des partisans personnels du président, Moskova, Victor Hugo & & qui cherchent à en attirer d’autres parmi les rangs des conservateurs. Le coup d’état est regardé comme infaillible. Les affidés disent : " Nous sommes en marche." Berryer en disait : dans les faubourgs il pourra se trouver 40 m. personnes. criant vive l’empereur. Alors il pourrait s’en trouver 60 m aussi qui crieraient vive la république socialiste. On verra alors. Il y aura lutte certainement. Que faire je parle de moi maintenant certainement à supposer même que l’armée reste très bonne. (Changarnier ne ferait pas comme au 13 juin. Il laisserait faire un peu pour pouvoir réprimer. Réprimer c'est batailler. Vous savez si j’aime les batailles. Tout le monde y compte & reste. On est aguerri ici. Mais moi qui n’ai aucun appui auprès de moi, comment me risquer dans la bagarre. Tout cela est bien triste. Je ne puis pas vous dire tout ce que je vois de monde. Depuis 3 1/2 jusqu'à 9 du soir jamais un moment seule, que l’intervalle très court des dîners. Kisselef vient sans cesse, impossible de causer. Je le ferai dîner avec moi. pour avoir enfin le tête-à tête. Il a reçu un courrier, il a des communications importantes à faire. Il ne sait à qui parler. Il est allé hier chez Hautpoul, pas reçu. Berryer est plein de sens. Au fond sa conversation est celle qui m’a le plus convenu d'entre toutes les autres, vous verrez, car vous le verrez. Il m’a parlé de vous, mais pas autrement que pour me dire que lui dans le temps, avait voté pour qu'on soutint votre élection. La princesse de Joinville est accouchée avant terme d'un enfant mort. Elle a été à la mort elle même. Selon les nouvelles d'hier elle allait mieux. Quelle tour de Babel que ce Paris. Je me trompe. Tout ce que je vois est d'un seul et même avis au fond, mais que faire, & quoi au bout ? Adieu. Adieu. Adieu.
Personne ne sait ce que veut Changarnier, au fond il est impénétrable. Flahaut est ahuri. Lui, approuve le message et s’étonne de la majorité Il dînera chez le Président mais il ne veut pas se montrer à ses soirées. Il repart jeudi pour Londres.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Dimanche 4 Novembre 1849
La situation s'est beaucoup modifiée. Le temps a été à l’avantage du président. La majorité est matée. C'est clair. Tout le monde dit aujourd’hui qu'on va à l’empire et que c’est inévitable dans peu de semaines. Broglie, (qui est enfin venu hier) m'a dit qu’on avait proposé au Prince la prolongation de la présidence, une bonne liste civile, que c'eut été difficile à faire, mais enfin que la majorité l’aurait entrepris. Il a refusé, cela ne lui suffit pas. Il lui faut l’empire. Comment cela se fera-t-il, Broglie ne sait pas. Sans doute on aura sous la main un certain nombre de représentants dévoués qui ratifieront le [?] de l’armée, si l'armée le pousse. Après cela, est- ce que la majorité de l’Assemblée qui déteste la République irait se battre pour elle ? C’est stupide d'y penser. Elle joue là un pauvre rôle. On fera sans elle, malgré elle, & il faudra. qu’elle se dise contente, ou au moins qu’elle se soumette. Après tout, le président aura habilement manœuvré. Mais au dire de Broglie, & d’autres, tout ceci pourrait bien être accompagné de gros mouvements dans la rue. Les rouges n’accepteront pas sans essayer autre chose. Les légitimistes pensent s'en mêler aussi. Enfin le bruit est probable. Dans cet état de choses à peu près inévitable, on me dit que vos amis poussent, qu’il vaudrait mieux que vous ne vinssiez pas tomber tout juste au milieu de la bagarre. Qu'il vaut mieux attendre la chose faite, sur tout comme cela ne peut par tarder. Je suis de cet avis aussi. Pour mon compte, selon que je serai avertie, je partirais ou j’irai passer ma journée chez Kisselef, si cela est fort menaçant le chemin de fer est le plus sûr. Mais pour vous songez à ce que je vous dis. Je crois qu’il vaut mieux s'abstenir. Ah, comme Broglie est noir et d'une amer ironie. Il déborde, il n’en peut plus. Au plus fort de sa harangue, Normanby est entré. Vous convenez quel éteignoir. Il venait de l'installation de la magistrature très frappé du spectacle. Le discours du président a été trouvé très bon, & suffisamment impérialiste. Kisselef a dîné avec moi. Il a eu deux courriers. L’un portant des paroles excellentes, sachant gré à la France de s’être conduit très différemment de l'Angleterre, car celle-ci avait eu une dépêche après l’audience de Fuat & Lamoricière point. L’autre un grand étonnement du départ de la flotte, accompagné de paroles. peu agréables. Si Kisseleff avait pu s’acquitter plutôt du premier message, & si on avait d’ici tout de suite rappelé la flotte désormais sans objet, il supprimait le second message. Mais aujourd’hui c’est trop tard. Point de Ministres, personne à qui parler, Molé & Thiers sans action directe pour le moment :et aujourd’hui Kisselef va faire sa petite déclaration à M. Hautpoul. Celui ci au reste est excellent pour nous. Sachez que tout le monde est russe ici. Et très peu anglais. La diplomatie toute entière, regarde l’Empire comme fait. Voilà. Quelle curieuse affaire. Adieu. Adieu. On ne parle on ne rêve qu’empire. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 7 Novembre 1849

C’est cela. Attendre un peu. Si cela ne se fait pas tout de suite ; vous venez. Sainte-Aulaire & le duc de Noailles ont dîné chez moi hier . Tous d'eux d’avis que vous veniez. Etonnés, que vos amis vous donnent un avis contraire ; cependant je dis ainsi attendez un peu. L’empire stationne. Il n’avance que lentement. Il faut s’assurer de bien des choses avant de le tenter. A la salle des conférences on ne s’entretient que de cela les rouges disent qu’ils reste ront armés de la Constitution et monteront sur les barricades pour la défendre. Les légitimistes préfèrent l'Em pire à la présidence décénale. Ils croient que l'Empire n'aura aucune durée. Ce que vous me dites aujourd’hui sur la situation et la conduite quoique sans conclusion est plein de raison et d'esprit. J’ai passé hier soir un moment chez Mad. de Rothschild qui part ce matin pour la Silèsie. J'y ai rencontré le gouvernement Changarnier. J'ai demandé à faire la connaissance. Je puis bien faire des avances à l'homme qui me fait dormir tranquille. Son extérieur est doux et peut être fin. Tout le monde. l'adore & l’accuse. Longue entrevue hier matin avec Kisselef 1 heure 1/2 entière confiance. Nous faisons une distinction marquée entre Paris & Londres, en pleine défiance de Londres. Très bienveillant pour ici. Content de Thiers, & le lui laissant savoir. Nous remarquons que la France s’est laissé un moment dupé par l'Angleterre, qui voyant poindre de l’intimité entre Pétersbourg & Paris a voulu la détruire en mettant en avant la flotte française. Je vous ai dit qu’elle est rappelée, mais ni Kisselef ni moi ne savons encore si c’est d'avoir avec l'Angleterre. J’espère que non. Il est très possible encore que Stratford Canning empêche à Constantinople ce que nous avons réglé à Pétersbourg nous avons explicitement dit à l'Angleterre comme ici que nous ne permettons à personne de se mêler de cette affaire. Je suis fort contente de tout ce que j’ai vu. L’Empereur est exaspéré des exécution en Hongrie. Ceci me revient par Londres. Aberdeen m'écrit que la presse anglaise revient à Palmerston, Morning Chronicle, même le Times. C'est bien dommage. Sainte-Aulaire m’a dit hier que les nouvelles d'Espagne étaient mauvaises. Narvaez succombera La petite reine joue son jeu, contre son mari, contre sa mère, contre son Ministre. Une perfidie sans exemple. Il me semble que je vous ai tout dit, les Normanby en grandes recherches pour moi. Mon quotidien est toujours Montebello. Excellent honneur et fort intelligent. J’ai vu Jaubert, qui est plein de dévouement, de respect pour vous. Et ce bon Thom à Paris pour quelques jours, qui veut que je vous dise son profond souvenir de vos bontés. Mad. de la Redorte me demande ainsi de vos nouvelles & Flavigny beau coup que j’ai rencontré chez Mad. Rothschild hier. Adieu. Adieu. Adieu.
Le duc de Noailles est pressé, pressant pour la fusion. sans elle on périt ; avec elle on est sauvé. Je vous redis. Il est fort éloquent sur ce point. M. de Saint Aignan est revenu de Clarmont porteur d'un blâme sévère du Roi de l’abstention. Il fallait voter pour la proposition. Le chagrin là est extrême. Ils voulaient tous revenir.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mercredi 6 septembre
6 heures

J’avais tout-à-fait oublié une promesse de dîner vendredi chez miss Mitchell. Elle est venue me le rappeler tout à l’heure en me disant que M. de Beaumont y dinait aussi et à 6 heures tout exprès pour moi. Voyez donc, je crois qu’il vaut mieux que j'y aille. Pourriez-vous dès lors venir me voir vendredi matin ? What do you think ? Voici les Holland, mauvais moment car je veux dîner.
6 1/2 Salvandy n’était pas attendu du tout dimanche. Cela l’a fort embarrassé, & par-dessus le marché il arrive avec son fils. Les Holland craignent que le speech ne plaise pas à Paris. Deux mots y manquent la reconnaissance & la république. Mais au fait quoi reconnaître ? & ceci ressemble-t-il à une république ? Ils me disent que le roi est tout à la guerre. Non sense. Adieu. Vous me direz si vous venez vendredi et à quelle heure pour que ma voiture soit là. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton Mercredi 8 Novembre 1848

J’ai eu votre petit mot ce matin. Merci. J’attendrai avec curiosité vos nouvelles nouvelles de Paris. Décidément je crois à une crise avant le 10 Xbre. Mais je crains, si Cavaignac y gagne un surcroit de pouvoir, que l’assemblée n’envoie promener l'élection par le suffrage universel. Cependant la France supporterait-elle cela ? C’est bien complexe. Il est bien difficile de se tirer de là.
Les Holland sont venus me voir hier soir. Très dégagés parce que mon accueil était cela. Je tacherai de les garder ici un peu. Ils ne savent encore s'ils iront à Paris ou à Londres. Je suis pour Londres. Ma vieille Duchesse est toujours heureuse de mes visites. Je la trouve toujours seule avec sa dame.

7 heures pas de nouvelles à vous dire. J’ai lu enfin tous les Débats retardés. Je suis très contente. Je suis fort contente aussi du discours de Thiers à là réunion Poitiers. Ne trouvez-vous pas qu'on se met assez à son aise pour dire qu'on n’aime pas beaucoup la république et qu'on n’y croit pas ? Les Holland sont revenus ce matin. Les Metternich aussi mais ceux-ci sans me trouver. Adieu, adieu.
Je suis fort d’avis que vous alliez à Drayton. Je crois de jeudi à lundi maximum. Mais avant ce temps, Brighton. Adieu encore.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 24 septembre 1850

Beaucoup de monde hier toute la journée. Le matin, les Holland, Richelieu, le Prince Paul, Mad. Rothschild, la princesse Sophie W. Le soir Lady Allice, Dunon. M. A. Fould très agréable. On ne parle que de la circulaire déplorable. Le parti est consterné. Une vraie banqueroute. Tout le monde s’étonne de la faute énorme, incroyable. Ce matin Rothschild disant : Voilà la république pour longtemps, pour toujours peut-être. M. Fould trouvant avec raison, que rien ne pouvait être plus favorable aux intérêts du Président. Il a beaucoup causé hier avec Dumon, un homme d’esprit. Tenez pour certain que ceci est une grande affaire qui ruine le parti légitimiste. Sont-ils bêtes aussi ! La duchesse d’Orléans va être bien contente. Mais elle se trompe, il n'y a rien pour elle-là.
J'ai reçu deux tristes lettres de mon fils Alexandre. Il est bien malade. La fièvre tous les jours, la tête rasée, on l’envoie à Naples, & il ne peut pas même habiter sa maison qu'on refait. On lui promet que deux mois de régime là le remettront entièrement. Dans ce cas, il vient ici. Si non il va au Caire. Je suis très affligé de cela & très inquiète. Aujourd’hui manoeuvre à Versailles. Le Président déjeunera chez Normanby. Il traitera les sous-officiers. Pendant 6 semaines, les manoeuvres se renouvellent une fois toutes les semaines. Je verrai le duc de Noailles aujourd’hui. Demain il va à Champlatreux, à son retour sans doute il s’arrêtera au moins une demi-journée à Paris. Voilà tout ce que je sais. Rothschild part ce soir pour Turin. Adieu, je verrai surement assez de monde aujourd’hui. Lady Allice repart pour Londres ce soir. Adieu Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Mardi le 29 août 1848

C'est charmant de penser que je ne vous écrirai plus que demain encore à Lowestoft, car n’est-ce pas que jeudi j’adresserai ma lettre à Brompton ? Le bruit s’est répandu hier à Londres que Louis Blanc et Caussidière y étaient arrivé. C’est très probable puisqu’on les a laissé s'évader. Quelle signe de faiblesse ! En général le dénouement de cette grosse affaire me parait pitoyable. J’ai eu quelques développements. de plus du dire de Montalivet. Cavaignac lui a dit qu’il était absolument décidé à main tenir la paix. Il lui a dit aussi. Je ne serai jamais un Monck, & je ne jeux pas le paraître. Montalivet tient qui à attendre. Très honnête homme, plein de bon sens. Que son bon sens lui montre qu'il faut une monarchie, mais que les habitudes, sa mine & ses amis le tiennent enchaîné à la République. Les membres de l'opposition sont très unis entre eux, mais ils cachent leur intimité. Je veux parler de Berryer, Thiers. Molé en est. Berryer est tout-à-fait le leader. Il a causé avec Monta livet. Excellent langage. Dans le faubourg St Antoine on dit : Ils nous ont trompé avec leur république, depuis que les riches ont disparu, nous en sommes plus pauvres. Cela ne peut pas aller. Il nous faut un Roi. Cavaignac est un brave, car il nous a bien battus. Pourquoi Cavaignac ne se ferait-il pas roi ? Montalivet trouve la fusion des deux branches très avancée à peu près complète parmi les partisans. Avec de la prudence il croit que cela doit aboutir. Il est pour le plus légitime. On me prie de tenir ceci très secret. Celui qui me le demande est pour aussi. Après tout, c’est raisonnable.
J’ai eu hier à dîner deux russes diplomates. Il est très vrai que Palmerston cherche à renoncer avec l'Espagne, mais il est très vrai aussi que, selon ces messieurs, et ils peuvent le savoir, jamais les chances de Montémolin n’ont été si bonnes. Je vous dis tous les commérages. 1 heure. On m’apporte votre lettre courte, mais c'est égal. J’abandonne toute prétention à présent que je me sens si proche du bon moment. J'ai une lettre de Barante. Elle ne mérite pas de vous être enroyée. Evidemment il vit dans la lune. Lumière douce, aimable, rien de plus. Il ne sait pas du tout ce que se passe. Le prince Albert a acheté le cottage qui appartenait à Sir B. Gordon, frère de Lord Aberdeen. C'est là qu'il va avec la Reine. Il est bien sûr qu’ils y verront votre ami. Adieu. Adieu. Le temps se relève enfin. Adieu.

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Richmond jeudi le 31 août 1848

Ceci va à Brompton, quelle victoire. Je viens de recevoir votre lettre. Combien nous aurons à nous dire ! Je persiste à me trouver Samedi sur le port de Putney à 4 1/2 ne le dépassez pas si par hasard vous étiez là avant moi, car il y a deux routes, je vous trouverai près de l’Eglise, ou bien c’est vous qui m'y trouverez. J’ai été voir Lady Palmerston hier. Elle est malade. Elle m’a dit : " M. de Beaumont est très agréable nous l’aimons bien, & puis il dit une chose bien vraie, c’est que la république peut être mille fois plus facile ou docile pour l'Angleterre que ne le serait jamais une monarchie. Ainsi pour le moment mon mari trouve aussi que c’est très bon. " Sur l’Italie. " Mon mari dit qu'après tout Charles Albert est très injustement accusé. Les Milanais se révoltent, chassent les Autrichiens et l’appellent lui à leur secours ! Pourquoi ne l'aurait il pas donné ? " Vous voyez l’indulgence & la disposition. Pas de réponse encore de l’Autriche le National a vu cela aujourd'hui un article très menaçant. Je viens de lire dans le Times votre discours à Yarmouth, extrêmement bien, & évidemment exact parce qu'il y a même quelques fautes de langue. Never mind. Il n’y en a qu’une positive. C'est le mot awfull. Vous voulez dire solennel ou imposant, et vous avez dit effrayant. Mais au total c'est un discours qui a dû faire beaucoup d’effet & de plaisir et qui est d'une grande connivence.

6 heures.
Je vous écris au milieu d’un orage effroyable. Voici deux heures qu'il dure. J’étais rentrée heureusement une minute avant d’une visite faite chez la Duchesse de Cambridge. J’y ai rencontré la prince Metternich. Quel ton ! C'est de plus fort en plus fort. Rien de nouveau. Elle annonce au nom de son mari que Septembre sera horrible, du massacres par tout. Enfin l’apogée de la révolution en Europe. Nous bavarderons bien sur tout cela. C'est bien long encore après demain. S’il pleuvait lorsque vous arriverez à Putney bridge vous savez que l’entrée des ponts est à couvert, & que vous pouvez vous abriter chez le turnpike keeper. Mais j'y serai avant vous. Je vous écrirai encore demain. Adieu. Adieu. Comme Samedi est loin. Adieu.

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Richmond le 25 août 1848
Dix heures

Nous rabâchons toujours Montebello et moi de 9 à 10 le soir. Il est plein de sens. Il ne croit pas à la République, mais la conduite de Cavaignac lui parait très bonne. Seulement il l’attend au moment où il faudra choisir entre le parti modéré qui est nécessairement monarchique, et la république rouge. C'est à ce moment là qu'il voit la fin de régime actuel, dans quelque camps que Cavaignac se jette, et il le croit plus disposé au rouge qu'au blanc. Comme cet homme pourrait jouer un grand & noble rôle s'il n’était pas un enragé républicain ! Je commence à croire tout à fait aux tendresses de l’Empereur pour lui. Je vous ai toujours dit que l’Empereur avait le plus profond mépris pour les monarchies constitutionnelles ces deux mots lui semblent pire. Une franche république lui parait tout à fait logique. Il n’a pas tort. L'Angleterre seule est capable de supporter le disparate. Et encore, c’est bien une république ceci, république aristocratique. Car vous conviendrez que le Roi n'y compte que comme décoration. Retournez à Louis 14, ou bien résignez-vous à la perpétuelle confusion.
Les Holland vont partir, pour, ils ne savent où, le fidged anglais. Elle en pleure. Lui s'ennuie. L’arrangement de Holland house l’a occupé, passionné ; c’est fini, il est déjà blasé de la jouissance, car ce n’est par la question d’argent qui les chasse. Je les regretterai c'est une ressource. Je voudrais bien n’avoir plus à spéculer sur les ressources en Angleterre. Le Times de ce matin est encore très curieux de toutes les façons. J'espère que vous ne croyez pas un mot de la révolution à Pétersbourg ?

2 heures.
Voici votre lettre si courte & vous la promettiez longue. Pour quoi ne pas écrire par provision, vous avez du loisir ? Merci des incluses. Il me faudra du temps et des intervalles pour les lire (attendu mes yeux) je ne vous les renverrai donc que demain. Je suis très curieuse de Paris, aujourd'hui. Les modérés diraient que c’est palpitant. Adieu. Adieu, nous aurons encore un très mauvais jour le Dimanche, et les bons faute de mieux au nombre de 7 et puis et puis. Adieu. Adieu.

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Richmond Samedi le 19 août 1848
1 heure

Hélas, voilà mon fils parti ! J’en ai le cœur bien gros. Il l’a vu, et je crois qu'il en est touché. Il va à Bade, de là à Castelamane, & il veut revenir à Brighton à la fin de Novembre. Je n'ose y compter. Le temps est affeux. Tempête et pluie. Comme c’est triste quand on est triste et seule ! Pierre d’Aremberg m’est resté sur les bras hier pendant cinq heures, c’était long. Ce qu'il m’a dit de plus intéressant est la ferme croyance de son parti que dans trois mois Henri V sera en France, Roi. Nul doute dans son esprit et il est entré dans des détails qui m'ont assez frappée. Ce qui a donné de la valeur à ses propos, c'est que une heure après, j’ai vu Lady Palmerston à Kew, qui me dit avec étonnement qu'ils venaient de recevoir de Paris la confirmation de ce que leur disaient depuis quelques temps les lettres particulières que le parti légitimiste avait gagné énormément de terrain, et qu’il était presque hors de doute que le duc de Bordeaux serait roi, & sous peu. Après l’étonnement venait le plaisir. Evidemment le premier intérêt là est que la France redevienne une Monarchie. Enfin je vous redis Lady Palmerston, me donnant cela comme une nouvelle officielle du moins venant de source officielle. Son mari n’a pas paru du tout au dîner donné à G. de Beaumont. Il était retenu à la Chambre. Beaumont a été fort causant, cherchant à faire deviner qu’il n’était pas républicain du tout, et disant très haut qu'on l’était très peu en France. ça et là, quelques propos très monarchistes. On ne lui a pas trouvé la tournure d'un homme du grand monde. Mais convenable, l’air honnête. Tournure de littérateur. Il a bien mal parlé de Lamartine, Ledru Rollin & & D’Aremberg affirme positivement que la Duchesse d’Orléans a pris l’initiative à Frohedorff et qu’elle a écrit une lettre de sympathie, se référant à ce qu’elle avait toujours éprouvé pour eux, & demandant que dans une infortune commune ou confondue les douleurs, & les espérances, & la conduite. Il affirme.
Lady Palmerston très autrichienne disant que l’affaire est entre les mains de l’Autriche, qu'ils sont les maîtres. Espérant qu’ils se sépareront du milanais mais ne se reconnaissant aucun droit pour ce disposer contre le gré de l’Autriche. Impatiente de recevoir les réponses de Vienne. Inquiète de Naples. Mauvaise affaire pour Gouvernement anglais. Le Danemark, espoir, mais aucune certitude de l’arrangement. Toujours occupée du manifeste [?] qu'on trouve plus bête à [?] qu'on y pense. Voilà je crois tout. Je reçois ce matin une lettre de Lord Aberdeen pleure de chagrin de ce que vous ne venez plus. & puis beaucoup d’humeur des articles dans le Globe où Palmerston lui reproche son intimité avec vous. Comme je n’ai pas ce journal je n’ai pas lu.
J'oubliais que G. de Beaumont annonce une nouvelle bataille le dans les rues de Paris comme certaine. J'oublie aussi qu’il tient beaucoup au petit de avant son nom. Le prince Lichnovsky, (celui de Mad. de Talleyrand) est arrivé à Londres, on y arrive comme pendant à Lord Cowley à Francfort. Nothing more to tell you, excepté, que je trouve le temps bien long, bien triste, et qu’il me semble que vous devriez songer à me marquer le jour de votre retour. Depuis le 31 juillet déjà. C’est bien long ! Adieu. Adieu.

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Richmond le 17 août 1848

Une charmante lettre. Celle d'hier si charmante et élevée que je veux l'envoyer demain à l’Impératrice, telle quelle, par courrier. C'est le jeune Stakelberg qui est à Paris, & voici l’histoire. Il a été l’automne dernier à Alger. Il a fait un rapport qui a fort intéressé chez nous à la suite de cela on l’a nommé agent militaire à Paris, avant la révolution, ainsi auprès de vous. Quinze jours après, arrive la République, il n’a pas été révoqué, & réside maintenant à Paris dans cette capacité. Voici maintenant l’histoire de Kisseleff. Il a reçu l’ordre formel de quitter lui et toute l’ambassade. Il ne devait plus rester à Paris que Speis le consul général & Tolstoy qu’on attachait pour la forme au Consulat. Cet ordre de départ était signé par l’Empereur lui même il portait la date du 10 Mars. A l’époque où il parvient à Kisseleff, les révolutions de Vienne & de Berlin avaient eu lieu, & changeaient visiblement notre situation, puisqu'au lieu de nous tenir serrés avec nos alliés Autriche & Prusse comme nous le voulions & le désirions, nous restions absolument seuls. Kisseleff a représenté que, selon lui, cela modifiait tellement notre situation, qu'il regardait comme un devoir d’attendre, d’autant plus qu’entre les préparatifs de départ, les soucis à donner aux Russes, le bon effet que pourrait avoir encore sa première pour empêcher une trop vive explosion pour la Pologne. Il devait s’écouler peut- être 18 ou 20 jours. Que de nouveaux ordres pourraient lui arriver en conséquences de ces observations et qu’il attendrait jusqu'à une certaine date. Coup pour coup, il reçoit approbations de sa conduite & l’ordre de rester comme par le passé, mais en se dépouillant de son titre. Tout ceci m’a été conté hier par Tolstoy c’est fort bien expliqué et nous avons eu raison, & Kisseleff avait eu du courage. Tolstoy dit comme tout le monde qu'on veut la monarchie qu’on déteste la république. Mais voici la drôlerie, il y a une république et pas de républicains et on veut une monarchie seulement il manque un roi. Où le prendre ? Personne ne le dit.
Combien de choses nous aurions à nous dire ! J'ai un chagrin aujourd’hui. La Revue rétrospective nomme l’affaire de Mad. Danicau Philidor. Le nom y est. Evidemment on tient davantage car voici un renvoi.

Cette note si elle est étrangère à l’affaire, Petit ne l’est pas comme on le verra par son post-scriptum au trafic de places, et prouve que sous ce rapport il y avait résistance de la part de M. Lacave Laplagne à laisser faire de M. Guizot.

Adieu. Adieu.
Le temps ne s’arrange pas. Il est atroce, on a bien de la peine à ne pas être malade. Quand vous vous promenez prenez garde à la marée, ne vous laissez pas surprendre pas elle. J'ai peur de tout quand vous n'êtes pas sous mes yeux. Hier Lord Palmerston a donné à dîner à M. Beaumont. Les convives les Granville, les Shelburn, les Holland, les Janlyce, Henry Granville very well, mais dans tout cela le maitre de la maison aura manqué car à la longueur de la séance hier il est impossible qu'il ait dîné. Je n’ai pas lu encore la discussion. On la dit très curieuse. Je ne sais pas d’une manière positive si Naples a fait faire une déclaration. Mais ce que je sais pour sûr c’est qu’on a conseillé au roi de tenter l’expédition pour mettre la flotte Anglaise au défi de s'y opposer. A propos de Kisseleff, j'oubliais de vous dire que Normanby l'a mis en contact avec Cavaignac, & qu'il va quelques fois chez lui. Toujours très bien reçu ; mais privatly.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond 8 août 1848, Mardi
Midi

Mon fils a longtemps causé hier avec Tallenay. Celui-ci lui a dit qu’il n'y avait un jusqu’ici que de la conversation avec Palmerston. Le désir de s’entendre, le désir comme d’éviter la guerre, & d’offrir la médiation commune que cependant les prétentions de l’Autriche étaient telles qu'il était fort douteux qu'on puisse les présenter, & que lui Tallenay ne croyait pas du tout à la réussite ni de l’entente ni de la médiation. Et il y croyait moins encore depuis l’article du National que je vous ai envoyé hier, & qu’il regarde comme officiel. Tallenay ayant appris que Marast devait le remplacer a fait comprendre à Paris qu'il ne le souffrirait pas. Que s'étant chargé de les représenter dans un moment où ils n’avaient rien d’honorable & de convenable à envoyer, ni il était en droit d’attendre des égards. Qu'il concevait que lorsque les relations seront établies régulièrement on tient à avoir ici une bonne politique considérable. Mais que c’était lui qui devait rester jusqu'à ce moment, c.a.d. lui faire reconnaître la république. Il a ajouté que d’après ses lettres de Paris, on se conformerait à cela. Montebello a vu des lettres de Paris. Flocon a dit que dans 6 mois personne ne voudrait plus de la République. Cause perdue. Vous voyez comme l’Assemblée nationale s'échauffe. Le rapport sur l’enquête a fait un grand effet. Beaucoup de lettres menaçantes anonymes. Enfin cela va devenir gros. La déclaration de Palmerston hier au Parlement est quelque chose. Cela prouve le travail commencé. Mais il me parait impossible qu’après de si éclatants succès l’Autriche se contente de ce qu’elle demandait lorsqu'elle était en mauvaise situation d’un autre côté comment la France pourrait-elle faire moins qu'assurer la Lombardie à l'union italienne. Ici l’opinion sera un peu combattu. Mais en toute justice peut-on imposer à l’Autriche des sacrifices quand c’est elle qui a été attaquée, chassée, & que c’est elle qui triomphe ! Quel dédale. Et puis Francfort ! Et puis Berlin. ¨Pas d’hommage le 6. Ainsi un commencement de résistance à la volonté de Francfort. Que de choses à nous dire, que de raisonnements à perte de vues ! Comme vous êtes loin ! J’attends votre lettre ; je n'ai rien à vous dire de nouveau que ce qui précède. Ma santé est comme vous l'avez laissée. Je crois que mon fils part demain. Adieu. Adieu. Voici le National. Curieuse.

3 heures. Voici votre lettre. Vous me paraissez être in a perplexing state cela m'inquiète aussi. Vous serez probablement très mal à Cromer sans aucune ressource. Pourquoi ne pas revenir ? La mer du nord est la moins bonne pour les bains de mer. S'il les faut absolument allez donc les chercher sur la côte méridionale. St Leonard, Hastings, Weymouth, si vous ne voulez pas de Brighton. Encore plus chaud. Mieux civilisés. Enfin je ne trouve pas qu’il y ait beaucoup de good sens dans tous vos projets. Pardonnez-moi de croire que si je m’en mêlais cela serait mieux. La presse a reparu hier, je l’ai reçu, pas lu encore. Les Débats se moquent très joliment d’un nouveau journal de l’Etat qu’on veut mettre au monde.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond vendredi le 4 août
2 heures

Ce n’est pas ma faute si ma lettre hier est allé à Glasgow. J'ai là tracé de votre écriture que je ne devais écrire que deux fois dans le Norfolk. C’est ce que j'ai fait. En me disant le contraire hier il était bien clair que cela devait m’arriver trop tard. J'ai bien quelque soupçon de votre laisser-aller et de vos faiblesses. Et je m'en étonne toujours un peu. Quand on vous demande une chose, vous dites oui, excepté à moi. Montebello était ici hier soir & s’étonne que vous vous soyez embarqué dans un voyage si lointain avec tant de monde. Cela coûte cher en Angleterre et quand vous ferez vos comptes vous trouverez que des bains de mer pouvaient être pris à meilleur marché plus près. Personne ne vous forçait à les aller chercher à St Andrews. Reste les visites. D'abord les voilà réduites à Aberdeen, & Lord Breadalham ; car les Argyle n'y seront pas. Elle vient d’annuler. Hier elle était assez mal, un shivering, Breadalham c'est peu intéressant. Aberdeen revient dans deux mois. Je retourne aux dépenses. Second class même qu’est-ce que cela va vous couter pour une si grande distance ? Calculez. Et voyez si le bon marché de 3 semaines à St Andrews forme équilibre. Je parie que non. Et qu’en mettant par dessus cela mon chagrin, la spéculation est de tout point mauvaise puisque vous restez encore trois jours là où vous êtes, méditez sur tout cela & revenez, that is the best thing you can do.
Je vous envoyais hier à Glasgow ma conversation avec Ellice. Intéressante, je ne pense pas recommencer ; & une lettre de L. Aberdeen, je ne puis plus courir après. Hier j’ai été à Claremont très polis et très en train. Le roi affirmatif que la France n’interviendra pas, qu’elle ne peut pas intervenir. Je le crois aussi tout-à-fait. Et qui irait on aider ? Un Roi ou la république ? Car il parait maintenant que c’est là ce que voudront les Italiens. Curieuse situation. On dit aujourd'hui que Turin a proclamé son Roi dictateur. La mode française qui va faire le tour du monde. Quel bon tour à jouer au monde. En vérité tout est drôle. il n'y a que moi qui ne le suis pas du tout Comment voulez-vous que j'aille seule courir jusqu’à Haddo pour quelques jours de Haddo ; ce serait ridicule, et par trop fatigant, & encore une fois seule impossible. Revenez, pensez y bien, moi je vais y croire, je crois si vite ce qui me plait ! Voici une lettre que je vous prie d'envoyer à Duchâtel. Vous savez sans doute où il se trouve. Adieu. Adieu. Quelle tristesse. Que Votre absence. Que de choses à nous dire. Ah que vous avez eu tort. Si vous le répariez. Adieu. Adieu.
Je m’en vais être vraie. Quand vous écrivez au crayon les adresses Je me suis dit, je parie qu’il restera plus de deux jours chez Boileau. J’ai eu tort de ne pas vous le dire ; vous avez tort de méditer cela & de me le cacher. & vous me cachez cela parce que vous craignez que je ne vous querelle sur les délais. Voilà que je suis mise au régime que vous recommandez la vérité. Et puis voyez ce qui en arrive, c'est qu'on perd du temps à se dire cela, c.a.d. à l'écrire. Pauvre lettre par conséquent & qui va vous ennuyer. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, Vendredi 25 août 1848

Dans huit jours, je serai en route pour Brompton. Gardez vos doigts. Je serais bien fâché de ne pas les retrouver. Voici ma journée d’hier à Yarmouth. En arrivant deux heures trois quarts à l'Eglise, service, et sermon du matin. Puis deux heures dans le hall de l’hôtel de ville ; luncheon toasts et speeches terminés par un toast pour moi et un speech de moi. Grandissime succès. Mérité. J'ai dit pourquoi j'étais venu à Yarmouth ayant refusé d'aller ailleurs. Pour finir une heure trois quarts à l’Eglise, service et sermon du soir.Très beau sermon de l’évêque d'Oxford. Lord Aberdeen a raison de l'appeler un grand prédicateur. Je suis revenu à Lowestoft par un orage effroyable, pluie, éclairs, tonnerre grêle. Je me porte très bien ce matin. Il fait très beau.
Je tiens qu’Aberdeen a choisi son moment pour la publication de sa lettre dans la Revue rétrospective et dans le Times, et j’en souris, mais je ne lui en veux pas. Je suis fort accoutumé, à ce que les hommes, même les meilleurs, même mes meilleurs amis s’inquiètent peu de me découvrir pour se couvrir et soient plus prudents pour leur compte que braves pour le mien. Dans cette occasion-ci d'ailleurs, je vous le répète cela m'importe peu, car cela ne me nuit point en France et guères ici. Le bien que l’article du Times, fait à Lord Aberdeen me convient plus que ne me contrarie mon petit déplaisir en le lisant.
Hier en lisant les Débats, je valais mieux que vous. J’ai pris plaisir aux explications du gouvernement Cavaignac sur l'Italie. Ma première impression est de me réjouir quand je rencontre un peu de bon goût et de dignité & dans le gouvernement de mon pays. Soyez tranquille ; il n’y en a pas assez pour les faire vivre. Je ne connais pas le Général Le Flô. Je ne me rappelais pas même son nom. Voici le secret des dispositions de l'Europe envers la République, chez vous comme ici. On ne se soucie pas qu’elle ait un accès de folie guerrière dût-elle en mourir. Ce serait un grand tracas, et quelque danger. On ne craint pas son influence en Europe tant qu’elle ne sera folle que chez elle. Elle penche assez dans ce sens, et on l’amadoue pour l'y maintenir. Cela lui donnera peut-être quelques jours de plus, et dans ces jours, quelques bons moments. Pas davantage je crois. Je crois que si Lord Palmerston pouvait être sûr que la République en vivant, restera ce qu'elle est, cela lui conviendrait assez. Il ne craindrait plus la rivalité de la France. Heureusement il ne dépend pas de lui d’arranger ainsi les choses. Je vous ai envoyé tout ce que j'ai de Paris.
Nous allons causer indéfiniment, n'est-ce pas ? J’ai découvert que je pouvais aller à Richmond plus vite, par Putney. L'omnibus de Londres à Putney passe devant ma porte, et à Putney je prendrai le chemin de fer. Je gagnerai certainement trois-quarts d'heure sur la route. Adieu. Adieu.
Je voudrais croire au mieux d'Aggy. Je suis aussi enclin à l'inquiétude dans la vie privée qu'à l’espérance dans la vie publique. J'ai devancé vos prescriptions quant aux promenades même sur la côte. On m’avait proposé une partie sur un beau life-boat qu'on lance aujourd’hui. J’ai refusé. Adieu. Adieu.
De demain en huit. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Samedi 16 sept. 1848
2 heures

Vos nouvelles sont de M. Tanski. Bruits de la salle des Pas Perdus qui valent toujours la peine d'être recueillis. J’étais convaincu que le Constitutionnel et les Débats n'avaient accepté M. Adam que pour se concilier avec le général Cavaignac et exclure de concert Louis- Bonaparte. Cavaignac, c’est-à-dire le National, n’aura pas voulu ou n’aura pas pu, à cause de son parti, accepter Roger et Fould, et le concert se sera rompu. Nous le saurons positivement après-demain. Cela pourrait donner des chances au Bonaparte. Et celui-là ne peut pas être élu sans avancer la crise. Il est trop tôt pour se tenir tranquille. J’ai peine à croire aux Légitimistes portant Bugeaud. Ils auraient bien raison. Mais j'ai peur que ce ne soit trop de raison pour eux. Si Paris finissait par nommer Bugeaud, B. Delessort et Fould, cela aussi serait un événement. Désormais, avec la situation qu'à prise Cavaignac, rien ne peut arriver, personne ne peut remuer que ce ne soit un événement. Tout mouvement est contre lui. Même les grandes séditions qui lui faisaient tirer du canon car elles le brouilleraient de plus en plus avec la République rouge, son camp de retraite à mesure que les deux camps monarchiques le presseront davantage. Je le crois acculé dans sa dernière position. C’est vite, et pourtant encore bien long peut-être. Ma raison me dit qu'il ne faut pas désirer que ce soit trop vite. On est toujours ramené à la morale, et contraint d’opter entre sa raison et son désir. Je n’ai vu personne hier. J’ai passé ma soirée à lire, et je me suis couché de bonne heure.
Mad. de Staël écrit à mes filles que le Duc de Broglie est arrivé à Coppet, encore couteux et trouvant Paris si triste, si désagréable à habiter qu’il ne ramènera pas son fils Paul au Collège au mois d'Octobre, et restera peut-être tout l’automne à Coppet. Il se lamente que nous ne nous écrivions pas plus souvent. Ce n’est pas la peine de se porter tout haut de Londres à Genève, à travers Paris. Comme je vous l'ai dit, le Rossi qui a été ministre de la justice du Pape n'est pas du tout le mien. Le Pape a de nouveau envoyé chercher le mien pour le prier de lui faire un Cabinet. Il a de nouveau refusé, quoique nommé député par Carrare sa ville natale. Député au Parlement de Florence, il est vrai. mais cela ne l'aurait pas du tout empêché d'être Ministre à Rome. Il n’y a plus de frontières en Italie ce qui ne fait pas qu’il y ait une Italie. Du reste, ce n’est pas du tout par Rossi lui-même que je sais cela. Il ne m’a pas donné signe de vie depuis le 24 février. C’est un des plus choquants exemples d’ingratitude de pusillanimité. Je m’y attendais à peu près. Si cela ne me regardait pas, je m’attristerais de tant d’esprit joint à si peu de caractère et de cœur. Mais j’ai décidé il y a longtemps que je ne mettrais pas ma tristesse ou ma joie, à la merci de ce qu’on appelle des amis, même des plus gens d'esprit.
Mad. de Broglie disait de M. Cousin : " C’est une grande intelligence perchée sur un bâton." M. Rossi vaut mieux ; mais il y a de cela. 4 heures J’ai été interrompu par un Allemand, homme d'esprit, un M. Erdmann, qui m’avait été recommandé à Paris, il y a deux ans, et qui est venu passer quelques jours à Londres. Prussien, très prussien et point allemand. Il dit que la réaction prussienne devint très vive et l'emportera. M. Beckerath que le Roi se charge de faire un cabinet, est plus anti-francfort, dans la question danoise, que ses prédécesseurs. Le général Schreckenstein (je crois), le ministre de la guerre qui s’en va, est un homme de caractère, en qui les prussiens de bon sens croient assez et de qui ils espèrent, à un jour donné. Pendant, son ministère, une députation d'étudiants est venue lui demander pourquoi il se faisait un rassemblement des troupes à Charlattenbourg. Il leur a répondu : " Messieurs, pourquoi faites vous vos études à Berlin ? Question pour question ; j’ai autant le droit de vous faire celle-là que vous la vôtre à moi. " M. Erdman m’a raconté assez de détails curieux. S'il y a en Allemagne beaucoup d'hommes de ce bon sens à tout n’est pas perdu.
Adieu. Adieu, à demain, Holland house. Je n’irai pas lundi à Claremont. Mais bien dîner à Richmond. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton, Mercredi 8 nov. 1848
9 heures

Voici une lettre très curieuse. Lisez-la, je vous prie, vous-même, malgré vos mauvais yeux et renvoyez-la moi tout de suite. G[énie] me fait dire qu'il importe infiniment que ses lettres restent entre lui et moi, et qu'il n'en revienne rien à Paris. Vous verrez combien tout cela confirme ma résolution. Je devrais dire notre résolution de me tenir parfaitement tranquille et en dehors de toutes les menées.
Le Roi me fait écrire hier par d'Houdetot " Le Roi me charge de vous dire que les accidents de santé de ses chers malades, sans être plus graves, ayant continué, les médecins avaient conseillé un changement d’air immédiat ; ce qui l’avait décidé à aller passer quelques jours à Richmond, à l’hôtel du Star and Garter. Nous partons aujourd’hui même à une heure. Le Roi désire que vous sachiez bien le pourquoi de ce mouvement afin de vous mettre en garde contre les bruits publics." D’Houdetot aurait dû me donner quelques détails sur la Reine. Mais enfin elle a pu évidemment être transportée, sans inconvénient. Je voudrais savoir qui occupera votre petit appartement. J'irai les y voir. Pourvu que mon travail m'en laisse le temps, car je veux absolument le finir sans retard et l'envoyer à Paris. Le moment de le publier peut se rencontrer tout à coup. Et dans l'état des affaires au milieu de tout ce mouvement d'intrigues croisées, je ne serais pas fâché de donner une marque publique de ma tranquillité et liberté d’esprit en parlant à mon pays sans lui dire un mot de tout cela. Cette course à Drayton va me faire perdre encore du temps. Je réponds aujourd’hui à Sir Robert Peel, mais je n’y resterai que jusqu'au mardi 21 et non jusqu'au jeudi 23 comme il me le demande. Ce serait charmant, s'il vous invitait aussi.
Je reçois à l’instant même un billet de Duchâtel qui était allé hier a Claremont au moment où le roi et toute la famille partaient pour Richmond. Il a trouvé le Duc de Nemours et le Prince de Joinville, très souffrant. Ils ont eu une rechute, c’est ce qui a déterminé la résolution, soudaine.
La dernière scène de Vienne est tragique. Le parti révolutionnaire, étudiants et autres est plus acharné que je ne le supposais. On m’apporte de Paris de bien sombres pronostics sur l'Allemagne. On s’attend que l'Assemblée de Francfort se transportera à Berlin, et finira par y proclamer la République. La Monarchie, et l’unité allemande paraissent de plus en plus incompatibles. Le rêve en progrès est celui d’une république allemande, laissant subsister dans son sein, par tolérance et jusqu’à nouvel ordre des monarchies locales. En France les esprits sont malades sans passions. En Allemagne, il y a la maladie, et la passion. Adieu, adieu. Merci de votre accueil, digne réponse à votre merci de ma visite. Adieu vaut mieux. M. Vitet arrive aujourd’hui de Paris. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Vendredi 29 Sept. 1848
10 heures

J’ai eu hier soir des nouvelles de Claremont. Détaillées. Toujours la même disposition. Très sensé, prêt à tout ; mais disant ce que nous disons. Expliquant bien la disposition de Mad. la Duchesse d'Orléans ; indiquant le langage qu’il convient de lui tenir. Du reste, plutôt en veine de confiance et regardant de plus en plus la durée de la baraque de Paris comme impossible. Montebello vous aura probablement donné les mêmes renseignements. Je viens de lire Lamartine et Odilon Barrot sur les deux Chambres. Les Débats ont raison. Les deux meilleurs discours qu’ils aient jamais faits l’un et l'autre. Mais empreints l'un et l'autre d’un vice mortel. Ni l'un ni l'autre ne croit à la durée de la République. L’un veut une assemblée unique, l'autre en voudrait deux pour la faire durer. Et tous les deux se répandent en compliments hyperboliques pour la République qui ne durera pas, et pour la démocratie qui ne sait pas faire ce qu’il faut pour la faire durer. Moins de fois que jamais et plus de flatterie que jamais pour la République et pour la Démocratie. Esprits très superficiels parlant du ton le plus sérieux, et une incurable faiblesse sous les apparences du courage. Toujours le même spectacle ; des médecins atteints de la maladie qu’ils veulent guérir, et ne la voyant pas, ou n’osant pas l'appeler par son nom parce qu'alors ils seraient obligés de la voir est eux-mêmes et de se traiter eux-mêmes comme malades. Encore une fois les évènements seront les seuls médecins de la France.
Brougham va pourtant tenter la cure. Je reçois ce matin de lui une lettre où il me dit : « Je commence [à] faire imprimer. Si mon ouvrage est différé, ceux qui, par amour pour la France, ont élu l'homme le plus stupide que je connaisse et qui ne fait jamais parler de lui que pour se faire moquer de lui Louis Napoléon, sont capables de renverser la République tricolore par la République rouge, et je ne ferais alors que l’éloge funèbre de leur République ! » Il ne s'attendrit pas aussi aisément que vous sur Louis Napoléon.

Une heure
La République badoise n’a pas fait longue vie. J'attends impatiemment des nouvelles de Berlin. Je commence à désespérer un peu moins de l'Allemagne. Il semble qu’un parti de résistance s'y prépare. Je doute que Paris et Londres acceptent le congrès, n'importe où, sur les Affaires d'Italie. Je le voudrais pour réhabiliter les congrès dans le monde républicain. Si le congrès à des questions territoriales à vider, Pétersbourg à Berlin y seront certainement, s’il ne s’occupe que de gouvernement intérieur de l'Italie, Londres et Paris suffisent. Dîtes, je vous prie à Montebello qu’il y a dans mon quartier, Pelham Crescent, Brompton Crescent, Onslow square, Thurloe square, plusieurs maisons à louer. Peut-être quelqu'une lui conviendrait. Je viendrai demain, samedi, dîner avec vous. J'aime mieux cela. C'est plus sûr et plus long. Mon rhume s'en va tout-à-fait. Adieu. Adieu. Je ne fermerai ma lettre qu’après 4 heures.

4 heures un quart
Je ne sais rien de nouveau sinon le billet qui m’arrive de Lady Holland. « Mon cher M. G., ne venez pas dîner dimanche et croyez au chagrin que j'éprouve de devoir vous faire cette prière. Je suis malade et Lord Holland est obligé d'aller visiter quelques parents. » Qu’est-ce que cela veut dire ? Vous avez sans doute reçu quelque chose de pareil. Adieu. Adieu. A demain. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Mercredi 27 Sept 1848 Brompton
Une heure

Je vais mieux. Mon rhume passé de la poitrine dans le cerveau. J'éternue plus et je tousse moins. C’est la marche contraire à l'ordinaire ; mais n'importe ; c’est la marche vers la fin. Je n’ai pas très bien dormi. Puisque vous avez le projet de venir demain faire une visite à Holland house, je me donnerai encore demain d'immobilité et je vous attendrai à Brompton. Après demain je reprendrai ma liberté, mon habitude et mon plaisir.
Rien de plus à Paris. Cavaignac se tient droit pour avoir l'air grand, et raide pour avoir l’air fort. Les Monarchiques se font plats pour qu'on les croie républicains. Louis Bonaparte se fait petit. Chacun croit avoir le temps pour soi et veut en gagner le plus qu’il pourra. Quel dommage de ne pouvoir jeter un peu de vérité au milieu de toutes les hypocrisies ! Je vous répète ce que je vous disais hier ; nous devons désirer que Louis Bonaparte s’use contre et sous Cavaignac, l'Impérialisme contre le Républicanisme. Ces oscillations, ces trainasseries, me déplaisent beaucoup mais ne m'inquiètent pas. Pascal dit quelque part : " Il y a plaisir à être dans un vaisseau battu de l'orage quand on est assuré qu'il ne périra point." Je ne suis pas si sublime. J’aimerais mieux que le vaisseau fût dans le port. Mais je suis assuré qu'il ne périra point.
Apparemment votre ancien favori, Etienne le susceptible, croit aussi à mon vaisseau, car il vient de m'écrire pour me demander un emploi en Angleterre. Un petit établissement qu’il avait formé, à la campagne est tombé avec le trône. Il ajoute : « Je présente mes respects à la Princesse, et je la prie d'avoir l'obligeance de me recommander à ses nombreuses connaissances.» Il était bien grognon, mais plus honnête, je crois que son prédécesseur dans votre faveur, le Félix de Henri de Castellane.
Où serait Henri de Castellane s'il n’était pas mort ? Dans l'Assemblée nationale : ni républicain, ni légitimiste, ni orléaniste, nageant, dans la confusion, l’intrigue, la conspiration, la malveillance et la médisance, comme le poisson dans l'eau. Adieu. Adieu. Je n’ai point de nouvelles de nulle part. Voilà le soleil qui perce. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Jeudi 9 nov. 1848
5 heures et demie

J’ai été mettre une carte chez Mad. de Lavalette à Regent Park. J’ai eu du monde toute la matinée. Je vous arrive trop tard pour aujourd’hui. Mes nouvelles de Paris sont un peu moins sombres. M. Vitet, qui a passé une heure et demie ici avec Duchâtel croit peu à une bataille avant le 10 décembre. Cavaignac, à tort selon lui, n'est pas sans espérance électorale. Dufaure l’y entretient. C’est une illusion. Louis Bonaparte a toujours les plus grandes chances. Pas telles cependant que Cavaignac se regarde, dès aujourd’hui comme battu. Il attend donc, et ne fera point de bruit en attendant. Comment en faire après tout de suite après, si Louis Napoléon est élu ? Ce sera difficile. On pourra bien essayer de susciter quelque tumulte impérial pour se donner un prétexte de sauver la République. Il est douteux qu’on y réussisse. Les Impériaux seront fort sur leurs gardes. Probablement donc une situation fort tendue, sans explosion. La misère publique et la détresse financière plus grandes, plus croissantes, le peuple de Paris plus désespéré qu’on ne peut dire, Louis Bonaparte prudent et silencieux, dans le présent, se promettant d'être très très conservateur dans l'avenir. Il parle à ses confidents de je ne sais quel plébiscite impérial d'il y a plus de 40 ans qui lui permettra de rétablir une Chambre des Pairs héréditaire formée de tout ce qui reste de Sénateurs de l'Empire, de Pairs de la Restauration et de Pairs de Juillet. La fusion ainsi accomplie en même temps que l’hérédité rétablie. Des intentions très bonnes et très ridicules, qui peuvent être utiles après lui. Le propos des légitimistes et des conservateurs, est ceci : " Les Bourbons ne peuvent pas succéder à la République. Il faut les Bonaparte entre deux comme la première fois. "
On m’écrit de Paris : " Le bruit se répand que votre candidature fait de tels progrès dans le Calvados que votre sélection y serait faite à l'unanimité. Le candidat légitimiste qui devait être porté M. Thomine, a écrit, dit-on à M. de Falloux qu’il se retirait et que lui se retirant, votre élection croit d'elle-même. " Je doute de ceci. Cependant il faut prévoir cette chance que je sois élu malgré ce que j'ai dit et fait dire. Ce sera un grave embarras.
J’ai oublié de vous dire que de bonne source, on attribue au Général Lamoricière ce propos : " Si on nous envoie Louis Napoléon pour Président. nous le recevrons à coups de fusil ; je mettrais le feu à Paris de mes propres mains plutôt que de le subir. " C’est bien violent. Pourtant cela indique le dessein de ne rien faire avant l'élection.
Voici une lettre du duc de Noailles qui m’est arrivée avec son livre. Renvoyez-la moi, je vous prie. J'ai vu ce matin le Médecin du Roi. Il arrivait de Richmond. On y va mieux. Il n'a d’inquiétude pour personne malgré les rechutes. La Reine était très souffrante. On a de nouveau analysé l'eau la veille du départ, en présence de plusieurs chimistes anglais, extraordinairement chargée de plomb. Ce sont des réparations faites il y a près de deux ans, à des conduits, et à une citerne. Claremont avait à peine été habité depuis. Rien de singulier donc. Deux maids aussi ont été malades. Duchâtel penchait à croire à quelque empoisonnement factice, à quelque coquin envoyé de Paris et gagnant un domestique. Je n'y crois pas. Le médecin non plus. Tout s’explique naturellement. Adieu. Adieu. A demain matin.

Vendredi 10. 9 heures
Je n’ai rien ce matin. Sinon Adieu, adieu, ce qui n’est pas nouveau et n'en vaut que mieux. Adieu donc. J’ai eu hier soir, à 8 heures, votre lettre du matin.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park Vendredi 4 août 1848,

Je n'ai pas de lettre. Je n'en dois pas avoir. Vous ne saurez qu’aujourd’hui que je reste ici deux jours de plus. J'en partirai lundi matin. Il n’y a pas moyen d'aller en un jour d’ici à Edimbourg. J’irai coucher Lundi à York et mardi à Édimbourg. J’y passerai le Mercredi. Je serai jeudi à St Andrews. J’y établirai mes enfants et j'écrirai à Lord Aberdeen pour lui demander quel jour il veut de moi à Haddo. Y viendrez-vous ? Si vous y venez dites-moi les projets pour que j'adapte mes mouvements aux vôtres. Nous pourrions passer là huit jours charmants. Je crains votre crainte de la fatigue. Ce qui est bien triste, c’est que demain encore peut-être, je n'aurai pas de lettres. Ce ne sera pas votre faute. Je ne me plains pas. Mais j’ai bien envie d'avoir une lettre.
Je reçois ce matin des nouvelles de Paris. Bien sombres pour le dedans et pour le dehors. Milan menace de la République, si on ne lui donne pas l’intervention. La République rouge menace Paris, si on ne donne pas à Milan l’intervention. Et si on donne l’intervention, Cavaignac ne pourra se passer pour la soutenir, de mesures qui ne peuvent se passer de l’appui de la république rouge. Bastide veut se retirer. Goudehaux veut se retirer, si en ne lui donne pas des nouveaux impôts. Il veut maintenir les anciens impôts, qui pèsent sur les pauvres comme sur les riches, et il ne le peut qu'en en établissant de nouveaux qui ne pèsent que sur les riches. Les riches se défendent. Les communistes se frottent les mains. M. Proudhon rit au nez de M. Goudehaux et de M. Thiers. Les journalistes relèvent la tête. Girardin épie le moment de prendre sa revanche sur Cavaignac. Sinon une nouvelle crise de guerre civile du moins un nouvel accès de chaos est près d'éclater, si on peut parler d'accès au milieu d’un chaos permanent. Ceux qui gouvernent la république sont très abattus. Leurs héritiers présomptifs sont très abattus. Le fardeau, chaque jour croissant, écrase ceux qui le portent, et épouvante ceux qui le regardent. Juste et universel châtiment qui ne fait que commencer. Je persiste de plus en plus à croire à la fin, et aux abymes du chemin qui mènera à la fin. Je n’ai jamais été moins désespérant et plus triste. On m'écrit : « J'ai vu chez lui M. de Girardin. Il est ferme, contenu, et passionnément irrité. Hier au soir, il est venu me voir : « La presse, m’a-t-il dit, paraîtra mardi. Je lui ai demandé si c'était sur une autorisation. « - Non - je ne sais comment cela se passera ; mais si par hasard il espérait qu’on se battra à son intention, il compterait sans son hôte. Je connais des gens qui, sous votre ministère, trouvaient que les tribunaux mutilaient la presse et que ce serait une occasion de chute. Je les ai entendus regretter qu’on n'eût pas fusillé de suite M. de Girardin. Les lâchetés qu'on entend font horreur. » Les lâchetés retardent les luttes, mais ne les empêchent pas. Tôt ou tard il faut y venir. Du reste je vois que la presse n’a pas paru mardi. On m'écrit encore : « Quelque doux que soit l'état de siège nous ne pouvons en faire une situation normale. Qui soit même si un jour on ne reprochera pas à la Constitution sa création au moment d’une dictature ? Il y a là un péché originel dont aucun baptême ne peut laver la souillure. » Vous voyez qu’on se prépare des arguments. Je suis très frappé des débats de l'Assemblée que mon Journal des débats m’apporte ce matin ; débat sur les journaux, débat sur les finances. L’attaque commence entre Cavaignac et son cabinet. Ils se défendront mal ailleurs que dans la rue, ce qui ramènera pour eux la nécessité de se défendre dans la rue. Toujours le même cercle, bien vicieux. Et que fera Francfort si Paris vient protéger Milan contre Vienne ? Vous ne me le diriez certainement pas si nous étions ensemble. Pourtant nos deux ignorances réunies valent presque une science. Adieu. On m'a mené hier à Norwich voir un Musée, une cathédrale et un château fort, et me faire voir à de vous bourgeois réunis devant la porte du château. Aujourd’hui il tonne et il pleut. Pourtant voilà un peu de soleil. Je me promènerai dans le parc. M. Hallam vient de partir. On attend d’autres voisins. Adieu. Adieu. Je vois presque de ma fenêtre les fils, du télégraphe électrique qui longe le chemin de fer. Quel dommage que nous ne puissions pas nous en servir vingt fois par jour ! Adieu. Je me porte bien. Et vous ? Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Mardi 26 sept 1848
Une heure

Je suis hors d'état de sortir. Je tousse pas mal, c’est-à-dire très mal. Il me faut un peu de confinement. J'ai bien dormi mais en me réveillant pour tousser. Je me coucherai ce soir de bonne heure. Et de tout le jour, je ne quitterai mon cabinet. Que je voudrais qu’il fit beau demain. J’espère que je pourrai aller vous voir. Peut-être le matin, à 1 heure, si je me suis encore trop pris pour me mettre en route le soir. Ceci est un grand ennui. Et j’ai bien peur que cela ne nous arrive plus d’une fois cet automne. Je me porte très bien au fond ; mais je m'enrhume aisément, et je suis aisément fatigué. Je me résignerais, très bien à n'être plus jeune si je n’avais jamais à sortir de chez moi. Ce qui vaut et ce qui sied le mieux quand on n’est plus jeune, c’est la tranquillité.
J'ai les mêmes nouvelles que vous de Paris. Si Louis Bonaparte se conduit passablement, et s’il n’est pas forcé d'attendre longtemps, il pourra bien avoir son moment. Agité et court car il ne peut pas plus supporter la liberté de la presse que Cavaignac, et il n'aura pas, comme lui, pris la dictature au bout de son épée. Son nom, qui le sert de loin, l’écrasera de près. Mais il vaudrait infiniment mieux éviter cette parenthèse de plus. Je crois encore qu’on l'évitera, que Louis Bonaparte se compromettra avant d'arriver au pouvoir et que l’armée comme l'Assemblée. soutiendront Cavaignac contre lui. Que la République et l'Impérialisme s’usent bien contre l’autre ; c'est notre meilleure chance, et à mon avis la plus probable.
Je ne comprends pas ce que votre correspondant demande à votre oncle. Il le sait prêt à la transaction. Ce n’est pas à lui à aller la chercher. Ce n’est pas à lui qu'on peut s'adresser pour qu'elle marche et se conclue. On désire quelque fait extérieur qui prouve qu'elle peut se conclure, qu'elle se conclura, le jour venu. Qu'on aille donc au-devant de ce fait ; qu'on lui fournisse l’occasion de paraître. L’occasion semblait trouvée ; on semblait même l’avoir cherchée. Tout le monde devait le croire. Non seulement on ne l'a pas saisie ; mais on s'est montré disposé à la fuir. Quand on est pressé, il faut se presser. Je n'ai jamais pensé que votre oncle pût ni dût prendre aucune initiative ; mais je suis encore bien plus de cet avis depuis le dernier incident. Je répète que lorsque la transaction ira à lui, elle le trouvera prêt ; mais il n’a rien à faire qu'à l'attendre dans l’intérêt du succès comme dans la convenance de son honneur. Il disait encore avant-hier à l’un de mes amis qu’il n’avait reçu de sa partie adverse, aucune avance, aucune insinuation qu’il pût sensément regarder comme un pas vers lui.
De Rome et de Florence, mauvaises nouvelles. Les républicains sont furieux de la petite réaction romaine et du peu de succès de l’insurrection de Livourne. La population ne veut pas les suivre, mais comme le gouvernement ne sait pas les chasser, ils sont toujours là, et et commencent, et recommenceront toujours. On dit que Charles Albert meurt de peur d'être assassiné par eux. Il mourait de peur autrefois d'être empoisonné par les Jésuites. Il ne sera probablement pas plus assassiné qu'empoisonné. Mais son succès n’ira pas plus loin. Adieu. Adieu.
Pour Dieu, ne soyez pas malade. Je veux bien être enrhumé, mais pas inquiet. Je vous renvoie votre lettre. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Samedi 23 Sept. 1848
Une heure

Je trouve l'état de Paris très grave. Si Cavaignac recrute son ministère à gauche, les communistes entrainent avec eux le gouvernement. S’il le recrute à droite, les Communistes attaqueront très vite le Gouverne ment. Et Louis Bonaparte à travers tout cela, principe de désorganisation dans la droite et dans la gauche. La crise, au mieux les crises, vont se précipiter. Beaucoup de légitimistes et de conservateurs ont voté pour Louis Bonaparte, par désir de brouiller, et d'en finir. Tout le monde est plein d'humeur, d’aigreur. Avant l'élection Benj. Delessert était allé voir Thiers pour se remettre bien avec lui, et lui demander son appui. Thiers l’a très mal vécu : " Que venez-vous me demander ? Vous êtes un ancien conservateur. Ce sont les anciens conservateurs qui ont tout perdu par leur entêtement. Ils n'ont pas voulu me laisser arriver. Je n’ai rien à faire pour eux. " Vraie colère d'enfant désappointé.
Si Delessert est sorti furieux. Les conservateurs à qui il le raconte sont furieux contre Thiers. Les amis de Bugeaud spécialement furieux. Ils disent que Thiers n'a jamais rien fait et ne fera jamais rien pour lui, sinon de l’appeler indéfiniment l'illustre Maréchal. Ledru Rollin se croit déjà président. Lamartine se rapproche de nouveau de Ledru Rollin pour lui disputer la Présidence. Raspail veut qu’on fasse sortir Barbès et Blanqui de Vincennes avec lui.
Tout le monde, négocie avec tout le monde. Tout le monde se brouille, avec tout le monde. Chaos d'aveugles ivres qui ne savent plus même se servir de leur bâton pour se conduire, et s’en frappent les uns les autres à tort et à travers. Je ne sais d'où viendra la lumière qui y mettra fin, mais le chaos ne peut pas durer.
Le décret sur les biens du Roi, et des Princes est prêt. On dit qu'on le présentera la semaine prochaine. La propriété est reconnue. L’Etat garde l'administration, et alloue aux propriétaires peut-être un tiers, peut-être la moitié du revers, les dettes. payées. Si le Ministère tombe à droite le décret sera présenté en effet, et adopté. S'il tombe à gauche, on fera tout autre, chose, ou l'on ne fera, rien du tout. C'est plus commode et moins compromettant. Avant-hier, après mon départ, il y a eu une longue conversation entre le Roi et le Prince de Joinville. Grand remord, grand attendrissement de celui-ci. Il a beaucoup pleuré. L’intérieur était un peu remis.
La répression de Francfort fera de l’effet partout. C'est le 23 juin allemand. Le Prince Lichnowski et l’archevêque de Paris de ce 23 juin là. Adieu. Je voulais aller ce matin à l'Atheneum. Il pleut à Seaux. Je dîne chez M. Luckhart, Regents Park avec Croker qui est venu passer deux jours à Londres. De quoi donc est mort Lord George Bentinck ? Cela ne rendra-t-il pas plus facile à Peel de rallier le Conservative Party et de s'y rallier. Je ne crois pas du reste que Peel, y soit bien empressé. Adieu. Adieu. A demain, Holland House. J’y serai avant 5 h. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton, Mercredi 20 sept. 1848
une heure

J’ai écrit hier au Roi que s’il ne faisait pas dire le contraire j’irais à Claremont demain, jeudi de midi à 3 heures. Si vous persistez dans votre projet de venir me prendre, soyez, entre 3 h. et 3 h. et demie, à Esher, aux environs de l’ours. Nous retournerons ensemble à Richmond. Nous aurons ainsi la promenade et le dîner. Cinq bonnes heures. Je vous rapporterai la lettre de Paris. Intéressante. Je ne m'étonne pas qu’il n'eût pas encore reçu l'autre de vous. Mon révérend à qui je l'ai remise, m’avait prévenu qu’il passerait quelques jours à Boulogne où était sa famille. Il ne devait aller à Paris que du 16 au 18, et la lettre que vous venez de recevoir est du 17.
Je regrette que vous n'ayez pas trouvé la Princesse de Parme. J’ai confiance dans votre observation. Ce que dit la lettre de Paris n'explique rien. Comment ne sait-elle pas l'état des Affaires et la conduite de son parti ? Comment va-t-elle à Londres sans le savoir ? Ou sans que son parti sache qu'elle va à Londres et la mette au courant ? Tout cela ne s'explique que par la légèreté mutuelle qui explique tout, et ne rassure sur rien.
Me voilà bien pédant. Il faut bien l'être en pareille affaire. Je trouve en effet que c’est un grand symptôme de fusion, de la part des légitimistes que de porter le Maréchal Bugeaud. Ils ont bien raison et je voudrais bien qu’il passât. Pas la moindre nouvelle électorale dans mes journaux de ce matin. Je ne me rends pas bien compte de l'effet de l'élection de Louis Bonaparte, s'il est élu. En tous cas, et pour tout le monde ce sera une grosse complication. Il tombera inévitablement entre les mains des républicains rouges conspirateurs de profession, et les seuls qui puissent vouloir de lui comme Empereur. Cela peut amener un rapprochement, plus ou moins long, plus ou moins sincère, entre les républicains modérés, et l'ancienne gauche. Par conséquent entraver et retarder la fusion des monarchiques. Je vous ai déjà dit que les Débats m'étonnaient un peu. Nous en saurons davantage dans quelques jours. Evidemment nous touchons à une crise.
Qu’il fait beau ! J'en jouis pour vous à Richmond. Je reviens de Kensington Gardens. Il me faut une demi-heure pour y aller. Je m'y promène une demi-heure. C’est une heure et demie de marche en bon air. J’ai eu hier Lady Cowley. Voulant être spécialement caressante, et étant généralement grognon. Cela fait un drôle d’assemblage. Elle va passer quelques jours chez la Duchesse de Glocester. Comme de raison, elle ne savait rien. Où êtes-vous à présent ? Probablement à votre luncheon. Il va être 2 heures. Adieu. Adieu.

Je ne pense pas que le Roi me fasse être qu’il ne sera pas à Claremont, demain. Cependant, s’il me le faisait dire, je n'irais pas. Et comme je n'aurais sa lettre que demain matin, je n'aurais pas le temps de vous l'écrire. Si vous ne me voyez pas paraître à Esher, à 4 heures, retournez à Richmond. Vous aurez fait votre promenade du côté d'Esher et moi j’irai toujours dîner avec vous. Mais je compte bien aller à Claremont. Adieu. G.

P.S. Le rapport de l’Amiral Baudin, inséré dans les Débats d’aujourd’hui, prouve que la défense de Messine n'a pas été aussi désespérée qu'on le disait.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Samedi 9 Sept. 1848
9 heures

Je vous ai quittée hier à 4 heures moins un quart. J'étais chez moi à 4 heures 35 minutes, ayant changé trois fois de voiture, le railway, mes pieds et l’omnibus. On ne peut guères surmonter mieux l'obstacle de la distance. Mais l’ennui de la séparation reste et il est grand. J'étais levé ce matin de bonne heure. Non seulement je travaille, mais j'y reprends plaisir. Je retrouve cette confiance de ma jeunesse où je croyais à l'efficacité de mes paroles autant qu'à la vérité de mes idées. A la réflexion, j’en rabats ; mais le fond reste. Grâce à Dieu, car pour être un peu puissant, il faut, non seulement vouloir l'être mais croire fermement qu’on le sera.
Je n'ai rien appris hier soir. Rumigny part aujourd’hui. Il est de ceux qui voudraient que de Claremont, on se montrât, en parlât, on fit sentir sa présence à ses amis. Il dit que les amis le demandent, se plaignent du silence. Il rappelle la proclamation que Zea Bermudes fit faire à la reine Christine chassée en 1840, et la bonne position d'attente que ce seul fait rendit à la Reine. Il se peut que le moment vienne, pour le Roi, de dire quelque chose ; mais, à coup sûr, il n’est pas venu. Je viens de vous renvoyer Jean. Je persiste dans mes deux avis. Il faut proposer ce que vous dit Lutteroth. Il faut sommer Lady Holland de se retirer. Rothschild vous donnerait en tous cas, la préférence. Les Holland ne sont que des oiseaux de passage. Merci du gibier.

Midi
Que dites-vous des derniers mots de la Lettre de Louis Bonaparte ; on ne détruit réellement que ce qu'on remplace ? C’est une candidature bien déclarée. J’ai toutes les peines du monde à prendre cet homme-là un peu au sérieux. Pourtant il a été quelques jours un prétendant sérieux. Il pourrait le redevenir. Il faut pas se donner une démolition de plus à faire. Bon avis aux partis monarchiques pour qu’ils s’entendent. Le Journal des Débats continue. Le Gouvernement de Cavaignac est bien isolé. Le National pour tout appui ! Et le National embarrassé, triste. Il est impossible que cette situation dure longtemps.
Je regrette ce pauvre général Baudrand. Il n’avait plus rien à faire en ce monde. Mais je n’aime pas que les honnêtes gens meurent. C'était un soldat vertueux et gentleman. Très noble type. Il sera mort tristement et tranquillement. Il y a certainement quelque chose de nouveau de la part de l’Autriche. Vous l'aurez peut-être su hier soir. Je regarde attentivement aux préparatifs de Marseille. Ce ne sont pas des préparatifs de guerre. Il ne peuvent avoir pour objet qu’une démonstration. Où ? Pourquoi ? Le Pape ne parait pas menacé en ce moment. Le discours de la Reine est bien confiant dans la pacification. Croker croit à la guerre. Il m’écrit. « I am more and more convinced that this republic must end speedily, in another convulsion whether thal will produce another republic, red or rose, or a monarchy,or a regency. I cannot guess ; but as soon as ever the dictatorial sword it theather, we shall have another Struggle, in Paris ; and then also, if not before, a continental war. Je ne crois pas. Adieu. Adieu.
A demain Holland house. n'oubliez pas la lettre dont je vous ai envoyé tout à l'heure un paragraphe. Adieu. G.

J'ai donné transmis à mon avocat les renseignements que vous avez bien voulu me transmettre sur mon procès, Il en a causé de nouveau avec mon oncle qu’il a trouvé mieux disposé pour une transaction et prenant lui-même quelque peine pour y disposer les autres parties intéressées. Mais il y a pour celles-ci surtout, et pour la situation où elles se trouveraient si la transaction avait lieu, certaines garanties qui paraissent indispensables. Je n'y vois, pour mon compte aucune difficulté. Quand mon avocat trouvera les choses assez avancées pour que j'aie à répondre, je vous prierai de me dire votre avis. Encore une fois, je ne vous demande plus pardon de vous ennuyer ainsi de mes affaires. Mais certainement il y a progrès vers la conciliation.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Vendredi 15 sept 1848
Une heure

Je rentre de ma promenade. Je la placerai tous les jours à cette heure-là, et je serai toujours chez moi à 2 heures. Brouillard général, mais léger et pas froid. Il faisait bon marcher.
Je viens de lire le discours de Thiers, en conscience. Comme toujours spirituel, naturel, utile, long et pas grand. L'appréciation des Débats est juste sans bienveillance. Ce qui me paraît d’une bien petite conduite, c'est de parler solennellement sur toutes ces spéculations insensées, et de se taire absolument dans tout débat qui serait un combat. C’est un évènement que la flotte sarde s'en allant de Venise, et laissant à la flotte autrichienne toute liberté de la bloquer. Venise tombera comme Milan, Toutes les révolutions ont eu fair play l'Italienne comme la française, comme l'allemande. Aucune ne gagnera la partie. Vous avez raison, quel spectacle à décrire pour un grand esprit qui saurait tout voir, et pourrait tout dire. Jamais Dieu n'a donné aux hommes une telle leçon de sagesse en laissant le champ libre à leurs folies.
Un homme que je ne connais pas vient de m’envoyer de Paris un volume de 1184 pages, intitulé. Recueil complet des actes du Gouvernement provisoire (Février, mars, avril et mai 1848). Complet en effet ; les petites comme les grandes sottises. Monument élevé à une Orgie. Ce volume vaut la peine d’être regardé, et gardé. Toutes ces sottises passent comme des ombres, et on les oublie. On ne sait ni s’en délivrer, ni s’en souvenir. Précisément ce qui arrive d’un cauchemar, dans un mauvais rêve.
On travaille à monter un coup pour que le Président de la République soit nommé par l'Assemblée nationale et pour que l'Assemblée nationale actuelle vive quatre ans comme le président qu’elle aura nommé. Si cela est tenté et échoué, l’échec sera décisif. Si la tentative réussit, elle amènera une explosion. On n'acceptera pas ce bail. Voilà, un ancien député conservateur M. Teisserenc qui vient me voir, et part le soir pour Paris. Je vais écrire pour affaires. Adieu. Adieu.
J’espère que vous n'aurez pas oublié d’écrire à M. Reboul. Vous n'oubliez guère, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Mercredi 13 Sept. 1848
Midi

Avec votre lettre ce matin, deux longues lettres de Brougham et d'Ellice. Brougham dans un accès de tendresse. Il voudrait m'envoyer son manuscrit, et que je le lusse pour y ôter, ajouter ou changer ce que je voudrais. Comme de raison, je ne refuserai. Enorme dissertation d’Ellice qui regarde la guerre et la banqueroute française comme infaillibles, et veut que l'Angleterre se retire tout-à-fait de l’Europe. Convaincu de la vertu et de l’impuissance de Cavaignac. Charmé d'avoir chez lui Duchâtel qui chasse et s’ennuie. " The patience of that ardent chasseur is beginning, to be sorely tired with our storms and torrents of rain. Amiable and interesting as he is from his knowledge of men and of affairs, how entirely he is homme d'affaires! If it was not for his engouement now for the chasse. I dearely know how I should employ his time for him in the Country. He will miss his old avocations and interests. much more than you will do."
Ellice me paraît avoir un plan pour le gouvernement de l'Irlande, et il espère que Lord John l'adoptera pendant sa visite à Dublin. J’ai ce matin quelques nouvelles d'Italie. Les chances en Sicile sont pour le Roi de Naples. Non pas pour soumettre l’intérieur de l'île, mais pour reprendre possession des villes et des points importants de la côte. Le Prince Gramatelli, qui est ici de la part des insurgés, est très abattu furieux, comme toute l'Italie contre l'Angleterre qui a laissé tout espérer, et ne tiendra rien. Dans l’intérieur de l'Italie dans les Apennins, de petits démembrements se font, de petites républiques indépendantes se proclament. Déjà crois ou quatre en Toscane et dans les légations. Anarchie complète impuissance, complète des gouvernants. Le Pape travaillant à temps, sans bruit, son épingle du jeu. De concert avec les cardinaux qui se concertent avec Vienne. Gènes à peu près perdu pour Charles-Albert. Conviction générale que l’Autriche ne veut que gagner du temps. Elle fait la police sous main en Italie comme elle la faisait ouvertement jadis. Le parti républicain, Mazzini et tous ses petits éclateront un de ces jours, et ce sera le coup de grâce de l'Italie. L’Autriche, se croira, en droit de tout faire contre eux et l'Angleterre de tout laisser faire. Et la République française dira qu’on a dérangé sa médiation qui allait réussir, et elle n'empêchera rien. Voilà les pronostics des Italiens gens d'esprit.
Je fais du feu. Il faisait froid hier chez Lady Cowley que j’ai trouvée. Elle cherche une maison. Georgine m’a paru de très bonne humeur. Il paraît que cette pauvre Aggy est mourante. Adieu. Adieu. Oui, jeudi n’est que demain. Hébert et Dumon viennent dîner avec moi aujourd’hui. Je serai demain au railway comme à l’ordinaire, avant 5 heures trois quarts. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft samedi 26 août 1848
4 heures

Je suis de l'avis de Montebello. Je crois que le gouvernement Cavaignac choisira pour le rouge s'il est absolument forcé de choisir. Et le jour viendra où il y sera forcé. Mais de part et d’autre on s'efforcera de reculer ce jour. Personne n'a assez d'envie de gagner la bataille pour l’engager volontairement. Je ne m'accoutume pas à la pusillanimité des honnêtes gens. Ce n’est pas faute d'expérience. Certainement je n'ai pas cru aux révolutions de Pétersbourg. Et je crois que si l'Empereur aime mieux la république que la Monarchie constitutionnelle, c’est qu’il la croit moins contagieuse. Il penserait autrement s’il était le voisin des Etats-Unis. Et s’il avait raison dans la préférence que vous dites, et que vous êtes tentée de partager Cavaignac et Marrast auraient raison. Car renoncez à Louis XIV. On refait encore bien moins Louis XIV que Napoléon. Si nous n'avions d'autre alternative que Louis XIV ou la confusion permanente, je me ferais moine. Il me faut de l'avenir, dans ce monde et dans l'autre.

Dimanche 27
8 heures

J’ai eu hier au soir quelques mots de Paris qui me prouvent qu’on y est de nouveau et sérieusement inquiet. Inquiet d’une nouvelle bataille dans les rues. La république rouge ne veut pas accepter sans mot dire la politique qui accepte la déroute Italienne, ni l'ordre du jour motivé, quel qu’il soit, qui terminera le débat de l’enquête. Elle veut protester et sa protestation, c'est l’insurrection. Cavaignac la battra, nul doute et la victoire l'affermira pour aujourd’hui, mais l’usera pour demain. Le voilà engagé dans le défilé où la Monarchie de Juillet a péri, entre deux feux et deux feux bien plus étendus, bien plus ardents qu’ils n'étaient contre elle. Et il n’a pas comme elle, de qui se défendre longtemps. La Monarchie de Juillet s’est défendu avec deux armes ; par la prospérité du pays, par l'opinion, généralement accréditée, qu’elle était réellement la fin des révolutions. La république n’a ni l’une ni l'autre. Je persiste dans mon avis. Ce sera plus long que ne croient les badauds et moins long que les gens d’esprit, comme vous et moi, ne sont quelques fois tentés de craindre. Je vous envoie les impressions qui m’arrivent de Paris et mes raisonnements sur les impressions en attendant samedi.
Tempête hier, mauvais temps aujourd’hui. Je vais faire ma toilette pour aller au sermon. Je suis correct ici. Je vais au sermon tous les dimanches. Une heure Je suis désolé que vous ayez eu deux mauvaises heures. Ce n'est pas ma faute. Il est impossible d'être, en fait d’exactitude, plus minutieusement soigneux que je ne suis. Comment ne le serais-je pas ? J'ai tant besoin de votre exactitude à vous ? Elle est parfaite aussi. Je trouve que nous ne nous remercions pas assez de nos vertus mutuelles. Nous souffririons tant de nos défauts ! Enfin samedi prochain, nous n'aurons, ni à nous remercier, ni à nous plaindre.
C'est le lundi qui est mon blank day à moi. On distribue ici les lettres le dimanche. La lettre de Sabine est drôle et aimable. Je commence à être assez frappé de ces rumeurs sur Henri V. Non pas que je croie à aucun résultat prochain. Si l'explosion est prochaine. Henri V y périra, comme Louis Bonaparte a péri. Le produire aujourd’hui, c’est le détruire. Mais si on continue à parler de lui sans le lancer dans l’arène, s’il apparait de plus en plus, mais dans le lointain, il prendra du corps et grandira. Et la fusion, aujourd’hui chimérique pourrait bien devenir possible. Elle sera possible le jour où tout ce qu’il y a de monarchique en France verra là, la seule chance de salut. Ce jour-là, tout le monde se réunira pour imposer la fusion à qui de droit et de bonne ou de mauvaise humeur, on l'acceptera sans grande résistance. On y verra aussi son salut.
Avez-vous écrit dernièrement au voyageur pour la fusion ? Je pense très bien de Montebello et je suis bien aise que vous en pensiez très bien, le connaissant comme vous le connaissez à présent. Faites-lui je vous prie, mes amitiés savez-vous pourquoi Morny est revenu à Londres ? Savez-vous aussi, ou pourriez-vous savoir, si Lord Palmerston connait un M. Rothery, dont vous m’avez peut-être entendu parler, et avec qui M. Dumon est très lié ? C’est un proctor que le foreign office a quelques fois employé, du temps de Lord Aberdeen. Il vient de m’écrire qu’il partait subitement pour Madrid, m’offrant de se charger de mes commissions pour Paris. Il me dit : you will doubtless be surprised et my suddon determination to start for so turbulous a country as Spain, et ne me dit pas du tout pourquoi. Je serais curieux de savoir si c’est Lord Palmerston qui l'envoie. Il fait faire assez souvent sa diplomatie incorrecte par des voyageurs, et celui-ci est intelligent. Vous avez vu que M. d’Haussonville m’avait demandé un programme de ce qu’il devait dire, voulant écrire sur notre politique extérieure. Voici ce que je lui ai répondu. Gardez-moi cette copie que j'ai gardée pour moi. Je crois qu'il est maintenant possible et utile de dire en France ces choses-là. Ne faites usage de ceci que pour vous, à cause de M. d’Haussonville. Adieu. Adieu.
Je suis bien aise que vous n’ayez pas eu besoin de m'envoyer votre homme pour savoir si j'étais vivant. Mais s’il était venu, je l’aurais embrassé. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park. Mardi 8 août 1848
Onze heures

J’ai cinq minutes. Je vais rejoindre à Norwich le train du chemin de fer qui va à Yarmouth. C’est à Yarmouth que mes enfants prendront quelques bains de mer. Le médecin sort d’ici. Il trouve Pauline pas mal, c’est-à-dire point de vrai mal, mais encore assez ébranlée. Il veut encore deux ou trois jours de repos. Puis quelques bains à Yarmouth, près d’ici, à peine un voyage. Les habitants de Ketteringham viendront nous y voir. A part la raison de santé, je vous dirai mes raisons pour aller à Yarmouth, près d’ici. Vous les trouverez bonnes. Je vous quitte. L’heure du train me presse. Merci de votre longue et bonne lettre qui vient de m’arriver. Je vous écrirai demain à mon aise. Adieu. Adieu. G.

Une heure On m’a fait observer que tout bien calculé, je n’arriverai probablement pas à Norwich à temps pour le train d’Yarmouth. Je n’irai donc que demain matin. Je vais là choisir un logement. Je reviendrai ici, et nous irons à Portsmouth à la fin de la semaine. Toujours pour trop longtemps mais pas pour longtemps. Le médecin n'a point d’inquiétude pour Pauline, mais elle a été [shaked] in her whole frame. Je ne lui ai pas refusé une promenade à cheval par ce qu’il y a beaucoup monté. Soyez tranquille ; je n’y monterai point. Guillaume monte très bien.
Je ne crois plus à l’intervention en Italie. On n'en veut évidemment pas plus à Paris qu'à Londres. L’Autriche cédera sur la Lombardie. On forcera les Italiens de céder sur la Vénétie. Et le Roi Charles Albert battu aura son royaume comme, s'il l’avait conquis. Quoique peu en train de rire, je ne puis m'empêcher de rire de la république ; elle copie, timidement ce qui s’est passé après 1830. La Lombardie sera la contrepartie de la Belgique. On règlera cette question là, comme l'autre, de concert entre Paris et Londres. Mais sans mettre le pied au delà des Alpes. Il faut dire de la République ce qu’on a dit de je ne sais plus qui : " ce qu’elle fait de nouveau n’est pas bon, ce qu’elle fait de bon n'est pas nouveau. "
Je compatis fort au chagrin de l'Empereur sur sa fille Olga. Mais elle a raison. Quelle honte au Roi de Wurtemberg ! Pis que le Roi de Bavière. Je suis humilié de la conduite des Rois comme si j’étais un Roi. J’ai mon Journal des Débats. On est fort en trais de refaire un autre parti conservateur. Et celui-là enterrera un jour la République. Chaque crise révolutionnaire en France fait monter au gouvernement une nouvelle couche de la société, prise plus bas. Et celle-là est à son tour forcée de devenir conservatrice, tant bien que mal. Je ne vois pas comment on s'y prendrait pour descendre plus bas que le suffrage universel. J’ai écrit à Lord Aberdeen. J’aurai demain ou après-demain tout ce qui m'a été envoyé à St Andrews. Ecrivez-moi encore ici, Adieu, Adieu. Quel plaisir quand nous nous retrouverons. Mais que de choses nous nous serions dites que nous ne retrouverons pas ! Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park Vendredi 11 Août 1848,
Onze heures

Tallenay n'a pas réussi à se faire laisser l’honneur de la reconnaissance de la République. Gustave de Beaumont est un honnête homme et un gentleman. Plus de mouvement d’esprit que d’esprit, modéré d’intentions et emporté de tempérament. Point Thiers du tout. Opposé à Thiers, autrefois, quand ils étaient ensemble dans l'opposition. Rapproché de lui aujourd’hui par la nécessité, mais au fond méfiant et hostile. Un des plus actifs de la tribu Lafayette dont il a épousé la petite-fille.
On dit à Paris que Tallenay est rappelé pour m’avoir salué et dit bonjour dans la rue, ce qu'il n'a pas fait. Je serais étonné si Gustave de Beaumont, me rencontrant, ne le faisait pas. Puisque la médiation commune a lieu sérieusement, je penche à croire qu’elle réussira, au début du moins. Les embarras et peut-être les impossibilités viendront après. L'Italie ne sera pas réglée. Mais la République y aura gagné d'être reconnue, et l'Angleterre d'avoir engagé la République dans la politique pacifique au moment de la crise.
Je reviens à ce que je vous disais hier, je crois ; le Président Cavaignac sera une seconde édition du Roi Louis-Philippe. Résistance et paix. Avec bien moins de moyens, de se maintenir longtemps sur cette brèche, où il sera bientôt encore plus violemment attaqué. Ce qui est possible, ce qu'au fond de mon cœur je crois très probable, c’est que les trois grosses révolutions de 1848, France, Italie et Allemagne n'aboutissent qu'à trois immenses failures. Pour la France et l'Italie, c’est bien avancé. L'Allemagne trainera plus longtemps, mais pour finir de même. Grande leçon si cela tourne ainsi. Mais le monde n’en sera pas plus facile à gouverner. Excepté chez vous, l'absolutisme est partout aussi usé et aussi impuissant que la révolution. Et il n’y a encore que la société anglaise qui se soit montrée capable d’un juste milieu qui dure. Je suis dans une disposition singulière et pas bien agréable ; chaque jour plus convaincu que la politique que j’ai faite est la seule bonne, la seule qui puisse réussir et doutant chaque jour d'avantage qu’elle puisse réussir. La lettre que je vous renvoie est très sensée. Je vous prie de la garder. Je vous la redemanderai peut-être plus tard. Si c’est là une chimère, c’est une de celles qu'on peut poursuivre sans crainte car en les poursuivant on avance dans le bon chemin.
Savez-vous notre mal à tous ? C’est que nous sommes trop difficiles en fait de destinée. Nous voulons faire, et être trop bien. Nous nous décourageons et nous renonçons dès que tout n’est pas aussi bien que nous le voulons. J’ai relu depuis que je suis ici, la transition de la Reine Anne à la maison d’Hanovre, et le ministère de Walpole. En fait de justice, et de sagesse, et de bonheur, et de succès, les Anglais se sont contentés à bien meilleur marché que nous. Ils ont été moins exigeants, et plus persistants. Nous échouerons tant que nous ne ferons pas comme eux. Je vous envoie avec votre lettre un papier anonyme qui m’arrive ce matin de Paris, par la poste. Les Polonais sont aussi mécontents de la République que le seront demain les Italiens. Je suppose que l’un d’entre eux a voulu me donner le plaisir de voir que je n'étais pas le seul à qui ils disent des injures. La grosse affaire à Paris, c’est évidemment le rapport de la Commission d'enquête. De là naitra, entre les partis, la séparation profonde qui doit engager la lutte définitive qui doit tuer la République. Dumon m'écrit : « Si je trouve Londres trop triste, j'aurais assez envie d'aller attendre à Brighton le jour où nous pourrons rentrer en France, le jour me semble encore assez éloigné. C’est déjà bien assez pour Cavaignac d'avoir à mettre en jugement les fondateurs de la République sans qu’il se donne l’embarras de mettre en même temps hors de cause les ministres de la monarchie. » Tous les procès à vrai dire, n'en font qu’un et il n’est pas commode à juger. On l’ajournera, tant qu’on pourra. Adieu.
J’aurai demain votre lettre à Lowestoft. Je pars à 4 heure. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, Dimanche 13 août 1848
Une heure

Certainement, je suis triste. Je vous ai dit mille fois que, sans vous, j'étais seul. Et la solitude, c’est la tristesse. Je la supporte mais je n’en sors pas. Les Anglais n’y sont pour rien. Dans la belle Italie, je ne serais pas autrement. Peut-être l'Italie me dispenserait-elle d’un rhume de cerveau qui me prend, me quitte et me reprend sans cesse depuis quatre jours. Je me suis déjà interrompu deux fois en vous écrivant pour éternuer trente fois. J’espère que la mer, m'en guérira. La mer n’est pas humide. Décidément, en ceci, je ne suis pas comme vous. J’aime la mer devant moi. Elle ne m’attriste pas. Elle est très belle ici. Et cette petite ville est propre, comme un gentleman. Mes enfants commencent à se baigner demain. Aurez-vous quelqu’un à Tunbridge Wells ? Je ne vous veux pas la solitude, par dessus la tristesse. Il me semble qu’à Richmond lord John, Montebello et quelques visites de Londres ou à Londres sont des ressources que vous n'aurez pas ailleurs. Il est vrai que j’entends dire à tout le monde que Tunbridge est charmant. C’est quelque chose qu’un nouveau lieu charmant, pour quelques jours.
Il me revient de Paris qu'on n’y croit pas plus que vous au succès de la médiation. Ce n'est pas mon instinct. Si la situation actuelle pouvait se prolonger sans solution, je croirais volontiers que la médiation échouera. Elle vient, comme vous dîtes, plus qu'après dîner. Mais je ne me figure pas que l’Autriche se rétablisse purement et simplement en Lombardie et Charles Albert à Turin. Les Italiens conspireront, se soulèveront, la République sera proclamé quelque part. La République française sera forcée d’intervenir. C’est là surtout ce qu’on veut éviter par la médiation. Il faut donc que la médiation aboutisse à quelque chose, que la question paraisse résolue. Elle ne le sera pas. Mais à Paris et à Londres on a besoin de pouvoir dire qu'elle l’est. Pour sortir du mauvais pas où l'on s'est engagé. Tout cela tournera contre la République de Paris mais plus tard. On m'écrit que ces jours derniers le général Bedeau, dans des accès de délire criait sans cesse. "Je n’avais pas d’ordres! Je n'avais pas d’ordres." Vous vous rappelez que c’est lui qui devait protéger et qui n’a pas protégé la Chambre le 22 février.
Je suis bien aise que Pierre d'Aremberg soit allé à Claremont. Tout le travail en ce sens ne peut avoir que de vous effets soit qu'il réussisse ou ne réussisse pas. Quand on était à Paris, en avait assez d'humeur contre Pierre d’Aremberg qu'on ne voyait pas. Je suppose qu'on aura été bien aise de le voir à Claremont. A Claremont on est d’avis que la meilleure solution de la question Italienne, c'est de maintenir l’unité du royaume Lombardo-Vénitien en lui donnant pour roi indépendant un archiduc de Toscane. Idée simple et qui vient à tout le monde. Je la crois peu pratique. Un petit souverain de plus en Italie, et un petit souverain hors d’état de s'affranchir des Autrichiens, et de se défendre des Italiens. Ce serait un entracte, et non un dénouement. Je doute que personne veuille se contenter d’un entracte. Adieu. Adieu.
C’est bien vrai, les blank days sont détestables. Demain sera le mien. Votre lettre de Vendredi m'est arrivée hier, à 10 heures et demie du soir. Je venais de me coucher. Je m'endormais. On a eu l’esprit de me réveiller. Je me suis rendormi mieux. Je viens de recevoir celle d’hier samedi. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Voilà vos deux lettres. Sans nul doute, il faut aller dîner chez Miss Mitchell. Je suis curieux de M. de Beaumont. J’irai vous voir demain matin, par le train qui arrivera à Richmond à une heure. Nous causerons du discours de la Reine, et de tout.
Oui l'absence du mot république déplaira à Paris. Pas à tout Paris tant s'en faut. Les Débats sont très bons en effet, surtout aujourd’hui. Une indifférence si tranquille sur la non durée de tout ceci ! Mais les possesseurs se défendront jusqu'au bout. Cavaignac révèle un peu plus chaque jour son fanatisme. Il pressent le combat et déclare à ses ennemis qu'il les tuera tant qu’il pourra. Lisez un peu le discours de M. Fresneau. Je dis un peu parce qu'il est bien métaphysique pour vous. C’est évidemment, un homme d’esprit. Légitimiste. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Jeudi 7 sept 1848 Onze heures

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, jeudi 17 août 1848
10 heures

Le temps est superbe. Je viens de me promener au bord de la mer. Mais vous manquez au soleil et à la mer bien plus que la mer et le soleil ne me manqueraient si vous étiez là. D’Hausonville m’écrit très triste quoique point découragé : " A l'heure qu’il est, me dit-il, le pouvoir nouveau est, vis-à-vis de la portion saine de l'Assemblée nationale à peu près dans les mêmes dispositions que l’ancienne commission exécutive. Autant que M. de Lamartine, M. Cavaignac redoute l’ancienne gauche, et comme lui il est prêt à s'allier avec les Montagnards, pour ne pas tomber dans les mains de ce qu'il appelle les Royalistes. Ce dictateur improvisé paie de mine plus que de toute autre chose, et a plus le goût que l’aptitude du pouvoir. Vienne une crise financière trop probable ou la guerre moins impossible depuis les revers des Italiens, et la république rouge n’aura pas perdu toutes ses chances. " Il veut écrire sur la politique étrangère passée. Il me dit que c’est à son excitation que son beau frère a écrit dans la revue des Deux Mondes, sur la diplomatie du gouvernement provisoire, l’article dont vous m’avez parlé. " Les documents diplomatiques insérés, dans la Revue rétrospective me serviront dit-il de point de départ pour venger, pièces en mains, cette diplomatie du gouvernement de Juillet, si étrangement défigurée. Je voudrais finir par indiquer quelle doit être dans cette crise terrible, l’attitude de ceux qui ont pensé ce que nous avons pensé, et fait ce que nous avons fait, si vous croyez utile de m'esquisser ce plan, je recevrai vos conseils avec reconnaissance et j’en ferai profiter notre pauvre parti resté, sans chef et sans boussole dans ce temps, si gros et si obscur." Ceci m'explique un peu Barante.
Évidemment l’envie de rentrer en scène vient à mes amis. J'ai aussi des nouvelles de Duchâtel, d’Écosse où il se promène charmé du pays. Je vous supprime l’Écosse. Voici ce qu’il me dit de la France : " Il me semble que, dans le peu qu’elle fait de bon, la République copie platement et gauchement la politique des premières années de la révolution de 1830." Quel spectacle donne la France.
On m’écrit de chez moi que les élections municipales ont été excellentes. Les résultats sont beaucoup meilleurs que de notre temps. Le député actuel de mon arrondissement, qui faisait toujours partie du conseil municipal n'a pas pu être élu cette fois.

Une heure
Votre lettre est venue au moment où j’allais déjeuner. J'espère que celle de demain me dira que votre frisson n’a pas continué. La phrase du National ne me paraît indiquer rien de particulier pour moi. Il insiste seulement sur le danger pour la République d’un débat qui mettra en scène le dernier ministre de la Monarchie qui n’a fait, après tout, que combattre ces mêmes auteurs de la révolution qu'on demande aujourd’hui à la république de condamner. Je comprends que ce débat, leur pèse. S'il y a un peu d’énergie dans le parti modéré, il faudra bien que le National et ses amis le subissent. Mais je doute de l’énergie. Tout le mal vient en France de la pusillanimité des honnêtes gens. S'ils osaient, deux jours seulement, parler et agir comme ils pensent, ils se délivreraient du cauchemar qui les oppresse. Mais ce cauchemar les paralyse, comme dans les mauvais rêves.
La lettre de Hügel est bien sombre, et je crois bien vraie. Je vous la rapporterai avec celle de Bulwer à moins que vous ne le vouliez plutôt. Je vois que Koenigsberg le parti unitaire a pris le dessus. Parti incapable de réussir, mais très capable d'empêcher que la réaction ne réussisse. La folie ne peut rien pour elle-même ; mais elle peut beaucoup contre le bon sens. Pour longtemps du moins. Que dites-vous du Général Cavaignac parcourant les Palais de Paris le Luxembourg, l’Élysée & pour voir comment on en peut faire des casernes et des postes militaires. On voulait nous prendre pour les forts détachés, dont le canon n'atteint pas Paris. Aujourd’hui, on met les forts détachés dans les rues. Ce qui me frappe, c’est que Cavaignac et les siens ont l’air de régler cela comme un régime permanent. C'est de l'avenir qu’ils s’occupent. Ils sont convaincus que, si on ôte au malade sa camisole de force, il jettera son médecin par la fenêtre. Et le gouvernement ne consiste plus pour eux qu’à prendre des mesures pour n'être pas jetés par la fenêtre. Adieu.
J’attendrai la lettre de demain un peu plus impatiemment. Je travaille. Que de choses je voudrais faire ! Adieu. Adieu. G.
J’avais donc bien raison hier de croire que la chance du Roi de Naples en Sicile pourrait bien valoir mieux que celle du Duc de Gènes.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, Mardi 29 août 1848

Il se peut que le résultat pratique de la séance de l'Assemblée soit bon. Mais l'effet est pitoyable. Mon impression est que de la part de tout le monde, c’est une comédie, et que gouvernement, commission, opposition, insurrection, modérés, rouges, tous se sont entendus ou mutuellement tolérés, pour se tirer tous ensemble d'embarras. Voici les trois faits qui me frappent. L’intervention soudaine et évidemment concertée du Gouvernement pour couper court au débat politique, en y substituant une poursuite judiciaire. Le silence absolu de la commission, et de tout le parti modéré dans le débat politique. La poursuite judiciaire elle-même réduite à rien par le vote qui met Caussidière hors de cause pour le 23 Juin. Personne n’a voulu d’un vrai combat. Les modérés ménagent Cavaignac. Cavaignac ménage les Républicains. Les Républicains se ménagent eux-mêmes. Ce n’est pas grand. Il n’y a que deux grandes choses en politique, le bon gouvernement ou la passion forte. Ni l'une, ni l’autre n'est là.
Le voyage de Montalivet me frappe beaucoup. Il est évidemment venu pour dire à Claremont ce que vous me dites des progrès de la fusion. Je suis curieux de ma première conversation avec le Roi. Si le mal dure et s’aggrave, si les légitimistes ne se perdent pas par une explosion prématurée, cette solution qui n'a d’autre défaut que d'être chimérique, pourrait bien devenir la suite possible et arriver un jour naturellement, comme une chance unique et nécessaire. Je ne me lasse pas d’y penser. Votre bulletin est très intéressant, et je vais l'envoyer à Lord Aberdeen. J’ai eu des ses nouvelles hier au soir. Infiniment amical. Pas un mot de sa lettre dans le Times.
Assez préoccupé des couches de Madame la duchesse de Montpensier et du débat qu'elles ramèneront à la prochaine session du Parlement. Je reviens à Paris. Je parie que Louis Blanc et Caussidière ne seront pas arrêtés et qu’il y aura, à la promulgation de la Constitution, une amnistie où ils seront compris, comme moi. Le débat, sur la constitution commence après-demain. C'est l'affaire de quelques semaines. On m'écrit de Paris que l’ordonnance de non lieu pour notre procès est rédigée et remise au gouvernement qui la garde. J’ai toujours cru et je crois de plus en plus à la conclusion par l’amnistie générale.
Les bravades Italiennes recommencent. Ils n'en seront pas plus braves si on en revient à la guerre. Mais ce sont des embarras de plus pour la médiation. J'admets les hypothèses les plus favorables, l’ordre rétabli en France, en Italie, en Allemagne, la banqueroute (je veux dire the failure) de toutes les révolutions ; il n'en restera, pas moins de tout ceci, un grand mouvement en Europe, et de grandes difficultés, de plus pour les gouvernements.
Que de choses à nous dire en attendant ! Et après ! J’aime mieux aller dîner avec vous samedi. Nous aurons plus de temps. J’arriverai à 2 heures si les heures du chemin de fer ne sont pas changées. Cela vous convient-il ? Il y a un temps d’arrêt et une attitude générale d’hésitation en Allemagne. Je rabâche. Les hommes sont toujours assez fous pour commencer toutes les folies. Plus assez pour les pousser jusqu'au bout. Je n’en entrevois pas mieux la solution de la question allemande. On n'ira pas où l’on dit. On ne reviendra pas où l'on était. Cet avenir-là est plus obscur que menaçant. Adieu. Adieu.
Demain je dirai après-demain pour partir. Après-demain je dirai après demain pour tout de bon. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, mardi 22 août 1848
10 heures

Mon instinct me répète que la publication de ce Rapport de la Commission d'enquête ouvrira le tombeau de la République. Je dis la publication bien plus que le débat, dont je n’attends pas grand chose. La République n'en mourra peut-être pas beaucoup plutôt, mais, la voyant, telle qu'elle est, on la tiendra pour morte par impossibilité de vivre. Et elle mourra infailliblement de cette conviction générale. Les commencements de scènes, de démentis d’assertions aggravantes que je vois dans le Times d’hier confirment mon instinct. Je suis frappé aussi qu’on ait renoncé dans l'Assemblée à porter, comme on l’avait annoncé, M. de Lamartine à la Présidence, en envoyant M. Marrant au Ministère de l'Intérieur. En présence du rapport, on a senti que cette apothéose du Père de la République était impossible. J’attends impatiemment mes journaux français. Je serais étonné si cette semaine ne nous ferait pas faire un pas. Vous avez surement lu le spectateur de Londres de Samedi. Evidemment l’Autriche sortira de la Lombardie, et n'en sortira pas pour Charles-Albert. L’événement me donne plus complètement raison, dans la question Italienne que je ne l’avais espéré. J’ai soutenu que les peuples d'Italie, ne devaient faire que des réformes légales, de concert avec leurs gouvernements, que ni les gouvernements ni les peuples ne devaient songer à des remaniements de territoire ; que le Pape ne devait pas se brouiller avec l’Autriche ; que toute tentative, en dehors de ces limites, échouerait. C'est dommage que ce soit souvent un grand obstacle d'avoir eu raison.
Les nouvelles d’Espagne me plaisent. Les Carlistes de plus en plus nuls, et mon ministre des finances. C'est l'union rétablie dans les Moderados et leur concours assuré à Narvaez. Il n’est pas plus question à Madrid de Bulwer et de la rupture des Rapports avec l'Angleterre, que s'il n’y avait point d'Angleterre. Nous verrons comment lord Palmerston emploiera de ce côté ses vacances.

Une heure
Très intéressante lettre. Vous ne savez pas combien j’aime votre langage si naturel, si bref, si topique. Je m'inquiète peu de votre inquiétude sur ma lettre du 16. Je veux bien que vous me montriez, mais il me convient que vous me montriez tel que je suis, pensant librement et parlant comme je pense. Sans compter que, pour plaire beaucoup, il est bon de ne pas plaire toujours, et surtout de ne jamais chercher à plaire. II y a deux choses indispensables pour être pris au sérieux par les Rois, en leur agréant, beaucoup de respect et à peu près autant d'indépendance. Je vous écrirai demain ce que vous désirez. Demain seulement parce qu'il faut que, cette fois aussi, vous envoyez la lettre même. Elle vous arrivera jeudi matin. Je vous renverrai aussi demain la lettre de Paris. Je veux la relire, et je suis écrasé ce matin de correspondance. Plus une visite aux écoles de Lowestoft qu’on me fait faire à 2 heures.
Je crains beaucoup toute démonstration légitimiste. Non seulement elle échouerait ; mais elle gâterait l'avenir en compromettant, contre toute combinaison en ce sens, beaucoup de modérés. Le nom est peut-être dans ceci, ce qu’il y a de plus embarrassant. Il ne faut pas le prononcer. Que la réserve du langage soit en accord avec l'immobilité de l’attitude. N'oubliez jamais que les péchés originels du parti légitimiste sont d'être présomptueux et frivole, gouverné par les femmes et les jeunes gens. L'émigration. Voici les nouvelles que je reçois ce matin: « J'ai vu les Montesquiou qui reviennent d'Allemagne. Ce qu’ils disent est, à tout prendre, satisfaisant quant à la santé et au bonheur domestique. La résidence est très convenable et confortable, au milieu d’une jolie ville. Mais point de jardin. Seulement une terrasse au haut de la maison, où l'on prend le thé dans les belles soirées. Les environs et les promenades charmants. Beaucoup d'affection et de respect témoigné par tout le monde. Une existence paisible retirée et raisonnable. Mais les regrets de France bien vifs. Ils déjeunent à 11 heures, dinent à 4, le thé à 8, la conversation jusqu'à 10 : " Parlons de la France. " Elle se promène beaucoup et écrit beaucoup. Elle a reçu dernièrement beaucoup de visiteurs. La Maréchale de Lobau y est à présent, et les enfants de M. Reynier. Correspondance quotidienne avec Bruxelles." Ce ne sont que des détails sentimentaux. Vous voyez par votre lettre de Paris, que Pierre d’Aremberg se vantait, et qu'on est bien loin d'avoir pris là l'initiative. Je suis bien aise que vous ayez rencontré M. de Beaumont. Sa conversation avec vous est ce que j'aurais attendu. Et votre jugement de lui excellent. Je n'irai point au-devant de lui ; mais s'il vient au devant de moi, j'accepterai sa main. Il est du nombre des hommes envers qui je deviens chaque jour, au dedans plus sévère, au dehors plus tolérant. [...]

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft. Lundi 28 août 1848
Une heure

Mes journaux mont manqué, Hier. Je n'en ai point aujourd'hui. Cela tombe mal. Je suis pressé de savoir ce qui s’est passé Vendredi et Samedi à Paris. Le Times de samedi ne me dit à peu près rien.
Je suis bien aise que les Princes aient fait bien parler d’eux à l'occasion de cette horrible aventure de l'Ocean monarch. Ils ne manqueront jamais à ces occasions-là. Ils ont du courage et de l’humanité. Evidemment la République veut avoir une Affaire avec les Légitimistes. Elle les poursuit et les provoque. Ce serait à eux une bêtise et une duperie impardonnables de s’y laisser prendre. Il faut qu’ils aient leur part dans les souffrances, et les griefs des toute la France, mais point de souffrances à eux particulières, sous leur propre nom. Ce qui les distingue les perd. L'abbé Genoude leur a déjà fait bien du mal. Je ne lis plus sa Gazette de France. Peut-être vaut-il mieux pour le parti qu’elle soit supprimée ?
Je vois que la Reine va en Ecosse, à Aberdeen. Je ne suppose pas qu'elle aille à Haddo. Ce serait plus hardi, envers ses ministres actuels, qu’elle ne se le permet d’ordinaire. Je n’ai pas de lettre de Lord Aberdeen depuis la publication de sa lettre. Il me doit une réponse. Il ne se pressera pas. Je ne suis pas fâché que vous lui ayez dit quelques mots de vérité. Que d'avantages il aurait sur Lord Palmerston s’il le prenait avec lui de plus haut et plus agressivement. Je n’ai pas la plus petite nouvelle. Et plus j'approche de la conversation, moins je me contente de la correspondance. Ce qui fait que je ne vous dirai rien aujourd'hui. Je pars Vendredi à 9 heures et demie Je dois être à Londres vers 5 heures, et à Brompton entre 6 et 7. Adieu. Adieu.
J’espère que je ne vous trouverai pas souffrante. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, Mardi 27 août 1850.

Est-ce que vous vous sentez plus fatiguée que de coutume ? Vous me parlez de votre besoin de repos en personne vraiment fatiguée. Vous renoncez à passer par Baden qui vous amuserait. Cela me préoccupe. Donnez moi quelques détails. Les eaux fatiguent quelque temps, même quand elles font du bien. Tout le monde le dit. Il me semble que Schlangenbad vous a moins réussi qu’Ems. Je sais gré à Fleischmann d'être venu vous y voir. Il aura un peu rompu votre solitude. Et je suis sûr qu’il ne vous aura pas rendue germaine unitaire. Cette question Allemande me déplait parce que je n'y vois pas clair. J’ai un instinct plutôt qu'un avis. Mais un instinct ne satisfait pas. Je ne veux pas de ce qu’on veut faire, et j’entrevois qu’il y a quelque chose à faire. Cette passion d’unité qui tient tant d'Allemands ne doit pas être uniquement l’ambition Prussienne ou la folie révolutionnaire. Il y a probablement là dessous quelque chose de sérieux et de nécessaire. Comment s'y prendre pour reconstituer la confédération germanique et la diète de Francfort d'une façon qui donne satisfaction à ce qui n’est ni révolution, ni bouleversement territorial ? Ou bien serait-ce là un but chimérique ? Et l'Allemagne, en serait-elle venue à l'une de ces époques où les gens sensés comme les fous, les honnêtes gens comme les coquins, sciemment ou aveuglément, veulent absolument refondre toutes choses et se lancent au hasard dans les nouveautés, n'importe à quel prix. La France en était là en 1789. J’ai peur que l'Allemagne n’y soit à son tour, si cela est, la guerre européenne est infaillible, et nos 34 ans de bon gouvernement et de paix n'auront été qu’une oasis dans le désert, une halte dans le chaos.
Je conjecture et je spécule comme si nous causions. J'ai peur aussi que M. de Nesselrode n'ait raison, et que Wiesbaden n'ait fait plus de fracas qu’il ne convient. Le fracas rouge sur le passage du Président est une compensation. Mais tenez pour certain qu’à son retour il y aura à Paris un effort en faveur d’un ministère tiers-parti.
Je suis bien aise de retourner au Val Richer. Le temps est superbe ce matin. J'ai droit à un beau mois de septembre. Août a été affreux excepté les jours d’Ems.
Je suis très occupé de mon Monk. J’y ai pas mal changé, ajouté. Je crois que c’est amusant et à propos. Une grande comédie politique remise en scène devant des spectateurs acteurs eux-mêmes. Et on veut réimprimer en même temps mon Washington. Comment on rétablit une Monarchie et comment on fonde une République. Choisissez. Pourvu qu'on ne me réponde pas : ni l’un ni l'autre ! Hélas je suis un peu, pour la décadence de mon pays comme Mad. Geoffrin pour les revenants " Je n’y crois pas, mais je les crains. "

Onze heures
Pas de lettre ici. Je suppose que vous m'avez écrit au Val Richer, et que j’y trouverai votre lettre en arrivant. J'ai de bien mauvaises nouvelles de Claremont d'avant-hier. Dumas mécrit : " Il est douteux que l'état du Roi permette que S. M. aille s’installer à Richmond où se trouvent déjà M. la Duchesse d'Orléans et Mad la Duchesse de Saxe Cobourg. Les forces déclinent, tous les organes s'affaiblissent, à l'exception des facultés intellectuelles qui restent entières. J'ai dû faire une absence de quatre jours pour aller porter à Dreux le Corps de l’enfant morte dont est accouchée Mad la Duchesse d’Aumale. J’ai trouvé à mon retour avant hier, les progrès de l'affaiblissement très notables. Le Roi a fait appeler les docteurs Chamel et Fouquier. Mad. la Duchesse d'Orléans est aussi bien que possible. La Reine se maintient en bonne santé. Le Duc de Nemours est très souffrant d’un Anthrax. M. le Prince de Joinville qui a été en Belgigue chercher sa soeur la Duchesse de Saxe Cobourg et qui a dû séjourner deux jours à Ostende, à cause du mauvais état de la mer, y a été l'objet d’un accueil remarquable de la part du grand nombre de Français qui y résident. Cela s’est passé sous les yeux du Roi des Belges. "
Adieu, Adieu. Je voudrais vous envoyer ce soleil. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Jeudi 16 nov. 1848
Onze heures

Je n'ai encore rien de vous. J'espère bien qu’il viendra quelque chose dans la journée. Vous avoir quitté hier à onze heures n’est pas du tout une raison pour que je n’ai rien aujourd’hui. Je vais à Richmond après déjeuner. Le train passe à Putney, à midi 3/4. J’espère être de retour assez tôt pour vous donner des nouvelles de ma visite. Cependant cela dépend un peu du Roi. La dernière poste part de Brompton un peu avant 5 heures.
Ce que je vous ai envoyé hier de Montebello, était un peu meilleur pour la Reine. J’ai eu le soir des nouvelles du médecin. Un peu meilleures aussi, mais pas tout à fait sans inquiétude. Dormez sur les Princes. Je voudrais qu’ils allassent à Holland-house. J'insisterai. Les premiers escomptes présentés par M. Ellis ont causé un vif émoi. Plus de 1000 fr. par jour. Le loyer n’est pas cher. Mais la table et tout le reste énormément cher.
Je ne comprends toujours pas bien les Débats d’hier. Ni M. Vitet non plus qui est venu hier dîner avec moi. Il suppose, comme moi, qu’on a eu à relever une impertinence, et à déjouer une rouerie de Th[iers]. Il est plus enclin que moi à croire à une faiblesse possible en faveur de Cavaignac. Mais le tout l’inquiète, et Duchâtel aussi. Et moi aussi. J’attends impatiemment quelque explication de G[énie]. Duchâtel a les mêmes nouvelles que moi sur notre procès. La cour, de concert avec le Cabinet, a décidé qu’elle en finirait avant l'élection du Président. Je soupçonne que les Républicains veulent avoir ce mérite-là envers nous, et ne pas le laisser à Louis Bonaparte. Je n'ai pas encore mes journaux de ce matin.
Je mettrai ceci à la poste en partant pour Richmond, de peur de retard. Si je reviens à temps vous aurez une autre lettre. Adieu. Adieu.
Midi Je viens de déjeuner et je pars pour Richmond. Il fait froid. Décidément Brighton est plus gai. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Mercredi 8 Nov. 1848
4 heures

Flahaut et Lavalette sortent de chez moi. Très troublés des nouvelles de Paris d'hier. Baisse énorme à la Bourse ; plus de 40 sous sur le 3 et sur le 5 pour 100. Anxiété générale comme la veille du 28 juin. Les républicains disant tout haut " Nous ne nous laisserons pas renverser. " Les modérés : " Nous ne nous laisserons pas déporter. " La garde mobile et la ligne tout près d'en venir aux mains non plus par des duels, mais en corps. La revue de l’armée ajournée, point à cause du temps mais parce que plusieurs régiments annonçaient qu’ils crieraient : " à bas Cavaignac ! Vive, Louis Bonaparte ! " Tous les symptômes de l'approche d’une lutte, d’une crise. Morny écrit : " J’ai de l’or ; j’aurai un passeport ; si nous sommes battus, je m’en servirai. " Duchâtel a trouvé hier le Roi sérieusement inquiet du Prince de Joinville. Et même un peu de la Reine. Leur arrivée à Richmond aura été triste.

Jeudi 9 Nov. 8 heures
J'ai dîné hier chez Lady Coltman, des magistrats et Macaulay. Moins abondant que de coutume. Préoccupé de son livre (Histoire de la révolution de 1688) qui paraîtra le 4 décembre. Lord Jeffrey, qui en a lu des fragments, dit que c'est excellent au-dessus de ce qu’il attendait. Cela vous est égal. Vous aimez assez les vieilles gens, point les vieux temps. Il faut que vous-même, de votre personne, vous ayez été de quelque chose dans les choses pour vous y intéresser. Vous êtes très personnelle. Point de nouvelles là. Ni Anglaises, ni Françaises. Presque tout le monde content du résultat de Vienne. En gros, le public anglais veut du bien à l’Autriche. Le libéralisme de Macaulay se satisferait en espérant l'affranchissement des Slaves et un affaiblissement pour la Russie.
Je mettrai moi-même cette lettre-ci à la poste tout-à-l’heure avant 9 heures. Je veux voir, si elle vous arrivera ce soir. Vous me le direz. Si j’apprends dans la journée quelque chose qui en vaille la peine, je vous écrirai un mot avant 5 heures. J'attends, M. Vitet qui a dû arriver hier de Paris. A moins que le mauvais temps ne l'ait arrêté à Boulogne.
On dit qu’hier il y avait tempête. L’avez-vous eue à Brighton ? Jai rapporté de Brighton une impression très agréable. Probablement plus agréable qu'il ne mérite. Je vois par ce qui me revient de Paris que là dans Paris, la perspective de la chute de Cavaignac déplait à pas mal de gens. Par terreur de la transition. Et aussi parce que, sans aimer la République pas mal de gens se disaient qu'après tout, peut- être, en entourant Cavaignac, en le soutenant la république modérée serait possible. On les jette dans un danger et on leur retire une chance. Ils en voudront beaucoup à Thiers d'avoir poussé à Louis Bonaparte. M. de Tocqueville est fort prononcé dans ce sens. On recrute ouvertement chez lui pour Cavaignac. Les Anglais qui vont à Paris vont beaucoup là. L’armée des Alpes est, pour Cavaignac et le républicain, un grand sujet d'inquiétude. Ils craignent qu’un beau jour, tout à coup, le maréchal Bugeaud n'aille se mettre à la tête et ne marche sur Paris. Je recherche tous les bruits, tous les petits propos pour vous les envoyer. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 20 Juillet 1851

Pourquoi ne le dirais-je pas ? M. Victor Hugo me plaît. Il a remis tout le monde dans la vérité. La République du Gal Cavaignac, mensonge ; la République de M. Michel de Bourge, mensonge ; c’est la révolution qui est là, deux révolutions, une vieille et une future, celle des Montagnards et celle des Socialistes. C'est très bien de se mettre en colère contre le mauvais fou qui dit tout cela ; mais il faut savoir qu’il dit vrai, et que ces odieuses folies sont l'ennemi auquel on a réellement affaire. Hors de là, je ne vois que des badauds qui s’attrapent eux-mêmes en essayant d'en attraper d'autres qui se laissent volontiers attraper. Je trouve que ce débat, tout en restant parfaitement stérile est plus sérieux et plus significatif que je ne m’y attendais. Il y a de la vie dans ce pays-ci ; ce qui est, paraît, quelque envie qu'on ait de ne pas le voir. C'est une singulière impression que de recevoir l’écho de ce bruit dans le silence de ma solitude.
Mon gendre Conrad m’arrive demain pour passer ici quatre jours. Ils ne veulent pas me laisser plus longtemps seul. Pauline qui est à merveille ainsi que son enfant, vient s'établir avec son mari samedi prochain 26. Henriette est obligée de rester encore trois ou quatre semaines à Paris ; sa fille va mieux et on espère qu’elle ira décidément bien ; mais il n'y a pas moyen de la séparer en ce moment de son médecin. Le Val Richer aura revu un moine pendant huit jours. Vous savez que moine veut dire solitaire.
Je suis bien aise de ce que vous dit Lady Allice sur le ballot. Je ne me fie pourtant pas beaucoup à ces indifférences superbes des Ministres. Je compte plus sûr le bon sens anglais que sur la fermeté de Lord John. Croker, dans sa dernière lettre caractérise le genre et le degré d'habileté des Whigs, et le mal qu'ils laissent faire grâce à celui qu'ils ont l’air d'empêcher, avec beaucoup de vérité et de finesse. Je suis frappé de ce que vous me dites que la réaction va trop vite à Berlin. C'est mon impression aussi, sans bien savoir. Et j'ai peur que cette réaction, qui va si vite, ne soit, au fond, pas plus courageuse qu'habile. Avez-vous remarqué ces jours-ci un article Alexandre Thomas dans les Débats à ce sujet ? Il était plus précis et plus topique que ne l'est ordinairement cette signature.
Je trouve le Constitutionnel bien faible depuis quelque temps. Rabâcheur, sans confiance en lui-même. Est-ce que le Président serait déjà un vieux gouvernement ? Le plus grand des défauts dans ce pays-ci.

Onze heures
Le facteur ne m’apporte pas grand'chose. Petit effet de Dufaure. Pas plus grand de Barrot, M. Moulin m'écrit pendant que Barrot parle. Le discours de Berryer reste entier, et jusqu'ici seul, du bon côté du moins. Mon gendre Cornélis m’écrit : " Ce discours a fait dans Paris une grande sensation, plus grande qu'on ne pouvait l'espérer. Tout le monde en parle, et ce qui est singulier, tout le monde l'a lu. Les journaux anti légitimistes y ont beaucoup contribué ; ils ont cherché à entourer la fusion sous les couronnes décernées à M. Berryer, et pour éviter d'apprecier l'acte politique, ils ont adressé à l'orateur des louanges excessives, en affectant de ne voir là qu’un beau discours. Mais le public n'est pas de leur avis " Adieu. Adieu. Je suis charmé qu’il vous arrive du renfort. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris, Dimanche 6 Juillet 1851
9 heures

J’ai vu hier au soir M. de Corcelles et M. de Rémusat. Le rapport de M. de Tocqueville est prêt et sera le demain à la Commission où il n'excitera point de vif débat. Il n'a rien d’irrévocablement républicain. Le droit divin de la république y est fortement nié et combattu. L’idée d’un vote qui limiterait les pouvoirs de l'Assemblée constituante, et la contraindrait de se renfermer dans le cercle des institutions républicaines, y est également repoussée. La nécessité actuelle de la République et de l'expérience républicaine légalement prolongée voilà le thème. On croit que le Rapport sera lu Mercredi à l’assemblée. Berryer, qui est encore à Londres, ne l’entendra probablement pas lire demain, dans la commission M. de Rémusat croit que la discussion pourra se compliquer et embarrasser assez les ministres. Il y a des gens qui la dirigeront surtout contre eux. On leur demandera ce qu'ils comptent faire tant que la Constitution ne sera pas révisée, si le président se portera candidat, s'ils donneront aux administrateurs ordre d’appuyer sa candidature s’ils feront exécuter envers et contre tous la loi du 31 mai & on tendra devant leurs pas tous les pièges de la légalité.
J’ai retrouvé, dans la conversation de M. de Rémusat, tout cet esprit d'opposition quand même que j'ai tant vu à l’œuvre. Cela pouvait aller sous l'ancien régime, quand l'opposition n'était qu'une causerie de salon, très longtemps vaine. Cela va en Angleterre où le Gouvernement est assez fort pour supporter tout ce que l'opposition peut dire. Ici et aujourd’hui. C'est autre chose ; le gouvernement n’est pas en état de vivre devant une opposition qui ne s’inquiète pas de le tuer.
La poste vient d’arriver, et ne m’a rien apporté de Cologne.

Onze heures
Je vous reviens après ma toilette. J'espère que le beau temps vous revient aussi, comme à nous. Vous n'aurez eu la pluie que pour abattre la poussière devant vos pas. C’est charmant.
Savez-vous que sans les sergents de ville que M. Cartier avait eu la précaution d'envoyer à Châtellerault, le Président y aurait personnellement reçu quelque grosse insulte ?
J’ai vu hier Mad. Mollien qui part aujourd’hui pour Claremont. J’y ai trouvé la maréchale Lobau toujours très bonne femme et ouvertement fusionniste, et en dépit de sa Princesse qui le lui pardonne, mais qui la laisse volontiers à Paris. Mad. Paul de Ségur a accompagné Mad la Duchesse d'Orléans à Portobello, et y restera auprès d'elle tout le temps du voyage. M. le duc de Nemours a donné rendez-vous à sa femme à Leipzig et ne va la prendre que là. Il ramène en Allemagne la Princesse Clémentine qui manquera seule (avec le duc de Montpensier) à la réunion de famille du 26 Août. Le Duc de Levis, qui est venu me voir hier ne m'a laissé aucun doute sur l'intention, pleine de regret, du comte de Chambord de ne pas aller à Londres. Il regrette le profit, mais ne veut à aucun prix, courir le risque.

1 heure
Adieu, adieu. Voilà le Général Changarnier qui entre et l’heure de la poste me presse Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris, Mardi 8 Juillet 1851

M. Vitet et M. Moulin sont venus hier à 5 heures. L’un quittait le Gal Changarnier ; l'autre sortait de le Commission de révision où le Rapport de M. de Tocqueville venait d'être lu. Rapport pas trop républicain. La république est encore le seul gouvernement possible ; il faut en prolonger l’expérience, mais ne pas prétendre y lier définitivement le pays. Il est le maître de choisir le gouvernement qui lui convient, et l'assemblée constituante sera la maîtresse d’exprimer comme elle l’entendra, le vœu du pays. On ne peut limiter, ni la souveraineté nationale, ni le pouvoir constituant. En attendant, il faut observer strictement la légalité, seul frein qui subsiste encore, et la faire observer, à tous ceux qui voudraient la violer.
Le ton du Rapport est triste, très triste, connu d’un homme sans confiance dans les gouvernements qu’il préfère et dans le pays qu’il invoque. Les Montagnards s’en sont montrés surpris, et mécontents. Le Gal Cavaignac a dit à M. de Tocqueville : " C'est le moins de mal que vous ayez pu dire de nous. " selon M. Charras, c’est de la métaphysique bien vague ; il faut du temps pour la comprendre. "
Ils ont demandé, l'impression immédiate du Rapport pour eux seuls et du temps. Ils le discuteront aujourd’hui et demain. On croit qu'il ne sera déposé que jeudi, et que le débat ne commencera que le jeudi suivant 17. Après la séance de la Commission les révisionnistes se sont réunis chez le duc de Broglie pour arrêter la liste des orateurs qui doivent parler et s'inscrire pour la révision. M. de Montalembert très ardent, poussant tout le monde à parler ; ce qu’il faudrait, dit-il, ce serait que les 233 membres, qui ont signé pour demander la révision, s’inscrivissent pour la soutenir. Il s'est plaint du rigorisme excessif du rapport quant à la légalité. " Il n'y a pas moyen de nous plaindre, lui a dit le duc de Broglie, ni de parler autrement ; nous pouvons subir l’illégalité ; nous ne pouvons pas l'autoriser et l'accepter d'avance. "
On a dressé la liste des Orateurs ; une douzaine environ, MM de Montalembert, Broglie, Daru, Beugnot, Goulard, O. Barrot, Berryer, Falloux, Kerdrel & &. O. Barrot prêchant avec passion, la prudence, la modération " On sera très violent contre le Président ; il faut être très doux, jeter de l’eau froide. " Il fait sur tout le monde l'effet d’une ambition impatiente et sénile, qui veut arriver, qui se croit près d’arriver, et qui meurt de peur qu’on ne la dérange, ou qu’on ne lui impose des efforts qu'elle ne pourrait pas faire. On ne sait pas encore si beaucoup de Montagnards parleront, et lesquels. On s’attend à un débat long, violent, confus et plein d’incidents.
Changarnier est triste et inquiet. Il y a évidemment recrudescence de mouvement Bonapartiste et de timidité parmi les anti bonapartistes. L’intérêt électoral gouvernera tout le monde. Dans les masses, Changarnier est un candidat inconnu. Pour lui donner quelques chances, il faudrait écarter d'avance, et absolument au nom de la légalité, les trois candidats connus Le Napoléon, le Prince de Joinville & Ledru Rollin, Est-ce faisable ? En allant à Beauvais, le Président a été harangué à Clermont-Oise, par le Président du tribunal qui lui a dit : " Vous avez été élu il y a trois ans ; vous serez réélu l'an prochain, quoiqu'on fasse, et quoi qu'on dise. " Cette boutade inconstitutionnelle de la part d'un magistrat, a fait quelque rumeur. Le Président n’a rien répondu. Thiers ne songe qu'au libre échange. Michel Chevalier voyage pour recueillir des faits contre son discours. Thiers en recueille pour le défendre. Duvergier de Hauranne revient de Claremont, et se loue de l'accueil qu’il y a reçu. Je n'ai encore point de nouvelles, des autres voyageurs. Il en viendra probablement aujourd’hui. Je pars toujours samedi. J’ai été un peu incommodé hier ; ce n'est rien. Les Hatzfeldt m’ont engagé à dîner pour Jeudi. Je n'irai pas. Je mettrai quelques cartes p.p.c. Adieu.
J’ai bien peur de ne pas avoir ce matin une lettre d'Ems. L'Allemagne ne me ressemble pas ; elle ne prend ni la ligne droite, ni le chemin le plus court. Adieu, Adieu.G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 15 Juillet 1851

A toutes les perfections que possède Auguste, je voudrais bien qu’il ajoutât celle de bon cuisinier. Je n’ose vous dire de faire comme moi, quand le mouvement de bile se prolonge ; une petite, très petite pilule de très peu d'opium. Il ne faut pas jouer avec l'opium ; n'en prenez jamais que sur l’ordre d’un bon médecin en qui vous ayez confiance. Mais pour moi, la diète et une ou deux pilules mettent fin sûrement à cet ennui
Vous avez toujours eu l’esprit que vous avez. Mais vous en faisiez un usage très exclusif, la vie du monde et votre diplomatie Russe. Hors de là, vous ne pensiez à rien. Depuis vous avez découvert de nouveaux mondes. Vous en découvrez encore ; témoin M. de Maistre. Vous êtes, en tout, très exclusive, ce qui est singulier, étant très impartiale. Et ce qui est encore plus singulier, c’est que vous êtes beaucoup plus impartiale pour les personnes que pour les choses. Vous rendez volontiers justice à toutes les personnes, n'importe lesquelles. Mais pour les choses vous dédaignez souverainement, ou vous ne voyez pas du tout celles qui ne rentrent pas dans vos habitudes et dans vos goûts de tous les jours.
J'ai reçu hier tous mes journaux, sauf les Débats qui, j'espère bien ne me manqueront pas aujourd’hui. Je n’y trouve rien d'important si ce n'est les trois élections qui viennent d'avoir lieu pour l'assemblée ; toutes trois Elyséennes, et deux en remplacement de deux rouges. C’est un symptôme remarquable. L’abstention systématique des légitimistes et des rouges est remarquable aussi. La loi du 31 mai en est bien atteinte. Dans une élection générale, l'abstention n'aurait certainement pas lieu ; mais de graves désordres la remplaceraient. Il faudrait un gouvernement bien fort pour faire pratiquer en paix un système électoral qui rencontre une si forte opposition. Un autre fait qui mérite d'être remarqué, c’est la guerre déclarée, dans le soin du parti légitimiste entre l'Union, et l'Opinion publique, le journal de Berryer, et celui de M. de St Priest. Le Duc de Lévis doit être désolé. Il employait tout ce qu’il a d'influence à prévenir l'explosion de la scission. La scission n’ira pas jusqu'à brouiller les individus ; mais elle troublera la marche du parti. Ni uni, ni divisé ; c'est le caractère du temps, et le symptôme d’une transformation.

10 heures
Sachez donc une fois pour toutes, je vous en prie, que toutes vos lettres sont intéressantes pour moi. Mon bulletin de l'Assemblée à la fin de la séance du 14, me dit. " M. de Falloux vient de parler avec un grand talent, beaucoup d'élévation et d'habilité. Il a franchement arboré le drapeau de la fusion. L'assemblée est restée froide. Nous ne sommes pas encore compris. M. de Falloux a répondu très heureusement au mot de M. Thiers : " la république est le gouvernement qui nous divise le moins. " - " C'est le gouvernement, a-t-il dit, qui nous tient divisés, puisqu'il, nous permet de rester divisés." - Le discours a été court sans être écouté. La force physique manquait. " Ceci vous arrive par un long détour. Je vous l'envoie pourtant. J'aurai un bulletin tous les jours ; les impressions intérieures de l'Assemblée. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 17 Juillet 1851
6 heures

Le temps est splendide. J'ouvre mes fenêtres sous le plus pur ciel, et le plus brillant soleil que j’aie jamais vus en Normandie. N'étaient les vapeurs qui roulent en fuyant à l’horizon, je croirais un col et un soleil du midi. Mais je n'y crois pas. L’impression chaude et transparente de l’air du midi est restée trop vive dans ma mémoire. Je viens d'allumer mon feu.
Après la nature, l'histoire. Celle-ci est bien ancienne. Pourquoi êtes-vous si loin ? Le discours de M. de Falloux est excellent, spirituel, sensé, honnête, élevé, élégant. Je comprends que l’assemblée soit restée froide. Ni l’éloquence n'est puissante, ni la politique pratique. Rien qui satisfasse les intérêts, ni qui remue les armes. C'est, pour moitié, la faute de la situation quand il n’y a rien à faire, il n’y a rien à dire. Pourtant on pouvait certainement exciter plus fortement l’inquiétude et faire entrevoir plus distinctement l'avenir. Le Général Cavaignac m'a intéressé et ennuyé. Tout ce qu’il dit est nouveau pour lui et vieux pour moi. Il découvre des théories usées. Mais on sent un homme sous les guenilles un homme fortement convaincu et qui se battra pour la République. Plus l'avenir s'éloigne, plus il m'inquiète. La République ne peut pas vivre, et ne se laissera pas mourir. Je suis dans un état d’esprit très désagréable. Je crois fermement à un certain avenir et je ne vois pas du tout comment il sortira du présent. Comme un homme sûr d'arriver, mais qui marcherait à travers des précipices sans voir du tout son chemin. C’est la foi absolument dénuée de science. M. de Maistre serait content de celle-là.
Je n'ai point oublié les Delmas. Je suis allé chez eux et, ne les trouvant pas j'ai laissé deux cartes p.p.c., pour qu’ils sussent bien que, s'ils ne me croyaient pas, c’est que je n'étais plus à Paris. Quand j'aurais un mauvais procédé, pour vous, vous ou moi, nous irons le dire à Rome. Je vous laisserai le choix. Je n’ai pas dîné le Jeudi 10, chez les Hatzfeldt parce que j’avais un engagement antérieur chez Mad. Lenormant, engagement auquel j'ai manqué parce que j'étais encore souffrant. J’ai passé moi-même et mis des cartes, la veille de mon départ, chez Hatzfeldt, Hübner, Kisseleff et Antonini. On m'a dit que ce dernier était malade.

10 heures
Voilà des visites qui m'arrivent avec la poste. Je n'ai que le temps de fermer mes lettres. Mon bulletin de l'assemblée porte : “ Berryer est depuis quelques minutes à la tribune. Il signale le double danger de l’anarchie, et du Bonapartisme. Il devient magnifique, admirable. Il n’a jamais été plus beau, aussi beau. Mais il faut que je ferme ma lettre. La nomination du Général Magnan est très mal accueillie.” Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 18 Juillet 1851
6 heures

Je suis curieux du discours de Berryer qui commençait si bien. Il aura voulu répondre sur le champ à Michel de Bourges, et mettre sa Monarchie en face de cette République. Aura-t-il poussé à fond son attaque et nié à Michel de Bourges, la République pour ne lui laisser que la Révolution ? C'est là le coup à porter aux Montagnards. Il ne faut pas leur permettre de se dire des républicains. Ils ne sont que des révolutionnaires, qui tueraient la république, s'ils y dominaient, tout aussi bien que la monarchie. Plaisante République que celle qui ne vit qu'à condition que le pouvoir soit aux mains des hommes monarchiques et que les hommes monarchiques gouvernent par la force armée et l'état de siège ! Et qui périrait demain s'il en était autrement ! C'est une stupidité, et une lâcheté de laisser les coquins et les fous se cacher sous de beaux mots ; il faut les appeler de leurs vrais noms et leur dire les choses telles qu'elles sont. Certainement on ment beaucoup parmi nous, et c’est un grand défaut ; mais nous en sommes bien punis car on nous paye de tout avec des mensonges. Et nous nous laissons faire. Sauf le ménage d’un bout à l'autre, il y a de l’esprit et du talent dans le discours de Michel de Bourges, et il mérite une bonne réponse. Jusqu’ici ce débat n'est ni violent, ni commun. Il n’est que vain.
J’oublie que je suis seul, et je cause comme si nous étions ensemble. Du reste, je supporte bien ma solitude. C'est une épreuve que je n’avais jamais faite. J’ai eu hier deux longues visites dont j’ai désiré la fin comme si j'étais constamment très entouré. L’air du pays est au profond repos. Point d’idée, point d'affection, point d’ambition, point de politique, rien, absolument rien que la préoccupation des intérêts privés, qui ne vont pas assez bien pour qu'on croie à ce qui est comme à un régime durable, ni assez mal pour qu'on désire, avec un peu de risque un changement. " Manger pour vivre et non pas vivre pour manger " était la devise d’Harpagon. " Vivre pour manger " est aujourd’hui celle de la France. Les vauriens ne désirent pas et les honnêtes gens n'espèrent pas autre chose.
Voilà mes nouvelles. Il faut que vous vous en contentiez. Je me rappelle le comte Beroldingen. Je doute qu’il soit pour vous une grande ressource.

Onze heures
Vous paraissez un peu moins ennuyée. Moi je suis charmé du succès de Berryer. M. Mollin, m'écrit : “ il a tué la discussion. Il a tenu à peu que la clôture ait été prononcée. On dit que Montalembert et Barrot vont renoncer à la parole. Victor Hugo est à la tribune et débite en comédien sa prose boursouflée. Ou le débat reprendra une vigueur nouvelle, ou nous finirons demain ! Ainsi, les républicains et les légitimistes auraient seuls parlé. Adieu. Adieu.
Ma petite fille va mieux. Pauline et son mari viendront me rejoindre dans huit jours. Adieu. G.
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