Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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45 Val Richer, Mardi 9 Août 1853
3 heures
Il se peut fort bien que votre Empereur ait eu raison de penser à la Russie plus qu’à l'Europe. Je ne suis pas juge du cas particulier ; mais en thèse générale, on a toujours raison de se préoccuper du dedans plus que du dehors. Le pauvre roi Louis-Philippe se préoccupait infiniment du dedans ; à ce point qu’il en désespérait. Il a certainement en grand tort de faiblir le 22 février, et cette faiblesse a été la cause prochaine de sa chute ; mais il a été de tous, le moins surpris de ce qui lui est arrivé, tant, il en connaissait les causes générales et lointaines, et les regardait comme irrésistibles. Deux dispositions parfaitement contradictoires s'alliaient en lui ; dans l’ensemble, il était sans espérance, sans confiance, convaincu qu’il ne réussirait pas à fonder sa monarchie, que la France était vouée à l’anarchie et à la révolution dans chaque occasion particulière, quand le jour du péril venait, il était imprévoyant et sanguin, convaincu qu’avec un peu d'adresse, de souplesse et de patience. Il reviendrait sur l'eau et se relèverait après avoir plié, les deux dispositions ont également contribué à le perdre ; il a vu à la fois trop en noir et trop en beau ; il a trop désespèré du présent et trop espéré de l'avenir. On pouvait très bien résister en Février 1848, il ne l’a pas cru. Il a cru qu’il reviendrait du renvoi de son cabinet et même de son abdication ; et cela ne se pouvait pas. Il avait cela, et seulement cela, de commun avec Louis XI qu'il faisait beaucoup de fautes, et qu’il excellait. à s'en tirer, et qu’il espérait toujours avoir le temps de s’en tirer. Le temps lui a manqué pour se tirer de la dernière. Le chagrin a été pour plus de moitié dans sa mort. Le désespoir de votre N°43 est mal tombé, ce matin, après les quatre lignes du Moniteur d'hier. Vous aurez certainement eu directement l’avis de l'adhésion de votre Empereur à la proposition combinée à Vienne ? Je tiens pour impossible que le sultan n’y adhère pas aussi. Je suis donc de l’avis du Moniteur, et de la Bourse Je regarde l'affaire comme finie. Vous vous serez beaucoup tourmentée en pure perte. A part l’intérêt Européen, je suis charmé que vous voyez un terme de vos inquiétudes.

Mercredi 10 9 heures
Il me revient que Kisseleff est très content, et qu'on est très content de lui à Paris. Son attitude. et son langage, pendant toute cette crise, ont été très fermes et très tranquilles. C'est Morny qui a renversé M. de Maupas, et fait supprimer le ministre de la police. Il s'est allié pour cela avec Persigny. L'Empereur Napoléon est content de Drouyn de Lhuys et du mélange de pacifique et de guerrier qu’il a mis dans ses conversations et dans ses pièces. Bon pour tous les en cas. M. d’Hautpoul a obtenu la permission de recommencer à se promener, en mer avec son yacht de Trouville.
Mad. la Duchesse d'Orléans confie M. le comte de Paris à Paul de Ségur pour aller faire un tour en Irlande. Adieu, adieu. J'espère que demain le facteur m’apportera votre tranquillité au lieu de votre désespoir.
Par grand hasard, j’ai reçu hier une lettre de Massi ; on me dit : " La paix jusqu'ici n’est pas troublée par l'occupation ; les troupes russes observent la plus exacte discipline et payent tout ce qu'elles consomment.” Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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50 Paris. Mercredi 26 avril 1854

J’avais hier les Boileau à dîner. Je ne suis pas sorti le soir. Le matin, l'Académie et des pièces de vers à juger pour un concours de poésie. L’histoire de l'Acropole d'Athènes pour sujet. On a lu une pièce qui a eu du succès et qui contient vraiment des beautés. Les indiscrets disent qu’elle est d’une dame autrefois belle et toujours chère à M. Cousin, malgré Mad. de Longueville. Elle s’appelle Mad. Louise Colet. Vous n'en avez peut être jamais entendu parler. Je vous parle de ce qui m'occupe. Ne manquez pas de vous faire lire le dernier article de M. Cousin sur Mad. de Longueville et la marquise de Sablé dans la Revue des deux mondes, (du 1er avril, je crois). Il y a là quelques lettres de Mad. de Longueville à son frère, au sujet de ses fils, qui sont d’un grand et bon coeur, princières, Chrétiennes et Maternelles, au fond de son couvent et sincérement détachée dn monde, elle s'inquiétait des intérêts et du salut de ses fils avec une tendresse, vertueuse et une justice fière qui m'ont touché. Evidemment, la piété l'élevait au dessus de ce frère qu’elle avait tant aimé la religieuse n’avait plus peur du grand Condé et le grand Condé avait peur d'elle.
On ne se demande même plus des nouvelles ; on les attend, en silence et avec un air de fatigue ennuyée, comme si l'on avait déjà fait de grands efforts. Tous les Anglais qui sont ici sont frappés du peu de goût, et du peu d'activité de ce pays-ci pour la guerre. Ils cherchent comment on pourra en sortir l'hiver prochain. Jusqu'ici, ils ne le trouvent pas ; et alors ils tombent dans les crises révolutionnaires, l'Italie et la Hongrie soulevées, l'Europe remanié, les nationalités en lutte déclarée, comme moyen de se tirer d'embarras. Plus je vais, plus je me confirme dans ma vieille conviction ; il n’y a pas de milieu entre la politique conservatrice et pacifique et la politique révolutionnaire ; on ne sort pas de l’une sans tomber dans l'autre. Nous sommes encore trop près des grands bouleversements sociaux pour qu’on puisse toucher au monde sans l'ébranler. Soit dessein, soit légèreté, on a oublié cela depuis un an ; on l'a oublié partout, à Londres, à Paris, à Pétersbourg. On en est déjà puni par l'impuissance. Si on n'a pas le bon sens de reconnaître la faute, et de s'arrêter, on en sera puni par la révolution.
On m’apporte les journaux. Le Moniteur prend bien des précautions pour ne pas trop froisser les relations commerciales de la France avec la Russie. On n’a jamais plus doucement préparé, et atténué d'avance la guerre.
Le Moniteur me traite moins bien que les négociants Russes. Il ordonne décidément la prolongation du boulevard Malesherbes et la démolition des maisons situées sur sa route. C'est mon cas. Grand dérangement et vif déplaisir.
Adieu, Adieu. J’espère que Vendredi ou samedi, le Duc de Noailles m’apportera de vos nouvelles, un peu détaillées. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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69 Val Richer. Mardi 16 Mai 1854

Je doute qu’à Paris, on soit aussi certain du concours de l’Autriche qu'on le dit à Bruxelles. Il me revient qu'en définitive on y compte peu, et qu’on s'en explique vertement. Je reviens toujours à mon dire ; si la guerre se prolonge, elle deviendra révolutionnaire ; Italie, Hongrie, Pologne, tout ce qui est inflammable s'enflammera, et nous recommencerons 1848. Il fallait le concours de tous les grands gouvernements pour contenir la révolution. Votre Empereur a rompu le concours, en persistant à vouloir, faire en Orient bande à part. Il n’y a plus d'Orient ; et pour peu que ceci dure vous verrez que l'Occident et ses questions sont toujours tout.
Je trouve un peu puérile votre persistance à faire tant de distinction entre la France et l'Angleterre ; distinction toujours repoussée. Cela n'a pas beaucoup de dignité, et pas beaucoup plus d'habileté, surtout après la publicité de ces conversations où vous teniez si peu de compte de la France. Dans les pays où le silence règne, on se trompe toujours sur l'effet des actes et des paroles dans les pays où l'on dit tout.
Je suis bien aise que vous ayiez Montebello. Le garderez-vous quelques jours ? Andral a-t-il donné une nouvelle réponse sur Ems ou Spa ? Pure curiosité puisque la bonne résolution était prise. Il est bon que la princesse Kotschoubey soit encore quelques mois avec vous pendant que Mlle de Cerini s'y établira. Elle lui donnera le bon avis. Vous m’avez fait envie avec le bois de la Cambre et le beau soleil. Ici, je ne me promène guère que dans mon jardin. Je ne m’y promènerai pas d'ici au 27. Je pars ce soir pour Paris, par un très vilain temps ; il pleut et il fait froid. Ma fille Pauline va bien. Adieu, Adieu. Je vais faire ma toilette en attendant le facteur.
Midi
Adieu. Votre lettre est curieuse. Je vous écrirai après-demain de Paris. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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73 Paris, Lundi 22 mai 1854

Je commence aussi par l'affaire. Je vous renvoie la copie de votre lettre à [Rothschild] Je suis d’avis que Génie la remette et vide cette petite question. Je viens d'en causer avec lui, il sait très bien ce qu’il faut dire, et il la dira comme il faut le dire. Vous devez garder votre appartement, sans obligation ni charge de réparations, sauf celles que vous jugerez vous-même à propos de faire, et que vous paierez vous-même.
Je ne m'étonne pas que votre Empereur rappelle Brunnow et Kisseleff de Bruxelles. Il était difficile de comprendre pourquoi, ils y restaient. Brunnow n'en fera pas plus à Vienne que M. de Meyendorff. La question n'est plus aujourd’hui dans le savoir-faire des agents de l'Empereur, mais dans la disposition réelle, personnelle et intime de l'Empereur lui-même. S’il veut sérieusement la paix, la paix est encore possible, les intermédiaires et les agents ne manqueront pas. S'il ne la désire pas sincèrement et sérieusement, personne ne viendra pas à bout de la faire. Il arrivera alors de deux chose l’une, ou bien toutes les puissances européennes seront successivement amenées à s’engager contre vous, grandes et petites, ou bien l'Europe entière tombera, dans le chaos révolutionnaire. La première chance est bien mauvaise pour vous ; la seconde est mauvaise pour tout le monde, vous compris.
Comment pouvez-vous vous dire si sûrs de la Prusse après son traité d'alliance et de garantie mutuelle, avec l’Autriche ? Il se peut que les intentions et les paroles soient toujours de votre côté ; mais les engagements et les actions sont évidemment de l'autre. Et comme ici on pèsera de plus en plus sûr l’Autriche, les mêmes causes qui l’ont amenée et la Prusse avec elle, où elle est aujourd’hui, les mèneront toutes deux plus loin. Les puissances Allemandes peuvent vous être très utiles pour arriver à la paix ; mais si la paix ne se fait pas l’hiver prochain, ce n'est pas vers vous que le courant les pousse ; et vous ne réussirez pas plus à les désunir que vous n'avez réussi à désunir la France et l'Angleterre.
J’ai passé hier la journée à la campagne, chez Mad. Mollien. Je ne suis rentré chez moi qu'à minuit. C’était un peu long.
La reine a dû partir avant hier de Séville, par Cadix et l'océan. Cependant, au dernier moment encore, elle a pu se décider à revenir par la Méditerranée. Elle était mieux, mais toujours très faible. Il me revient de Claremont que le Duc de Nemours partait pour aller au devant d'elle jusqu'à Cadix et la ramener en Angleterre où le Prince de Joinville ne revenait pas encore. Adieu.
Je ferai aujourd’hui votre commission à Duchâtel. J’ai vu Montebello qui veut toujours aller vous voir, mais qui ne sait pas bien encore quel jour. Je repartirai Vendredi soir pour le Val Richer. C'est là qu’a partir de vendredi, je vous prie de m'écrire. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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112 Val Richer, Jeudi 6 Juillet 1854

Je trouve le Constitutionnel d’hier curieux et grave ; son leading article sur l’Autriche et le Prince de Metternich la nouvelle escadre Anglaise dans la Manche, la proscription de votre emprunt sur toutes les grandes places de l'Europe, l'adhésion pure et simple des confédérés de Bamberg au traité de Berlin, tout cela porte un caractère d'entente et de résolution européenne qui présage une guerre de vingt ans. Quel revirement de toutes les situations ! Quel renversement de toutes les prévisions ! Ceci est aussi inattendu pour les relations extérieures des états que les Révolutions de 1848 l'ont été pour leur intérieur. Tout ce mouvement militaire et diplomatique avortera-t-il, comme le mouvement libéral de 1848 a avorté ? J’en doute. Les gouvernements engagés dans cette affaire-ci ont plus d’esprit de suite et plus de force que n'en avaient les auteurs des insurrections. Duchâtel qui revient de Vichy, m'écrit qu’il y a trouvé deux récents ambassadeurs à Constantinople, Baraguey d’Hilliers et Lavalette, et qu’il y avait peu à tirer de l’un et de l'autre. Je suis sûr que vous en auriez tiré plus qu’il n’a fait.
" On craignait beaucoup ici, me dit-il, que l'Empereur Nicolas n'opposât pas un refus décidé aux ouvertures de l’Autriche. Il n'est jamais trop tard pour être raisonnable ; j’avoue cependant que, pour l'Empereur Nicolas, se soumettre maintenant au bon sens, ce serait ou trop tôt, ou trop tard. Les résultats militaires ont été trop déplorables pour les Russes pour qu’ils puissent. en rester sur une aussi, fâcheuse impression. Rien n'égale l'incapacité qui a présidé, à l'occupation de la Debrutscha et au siège de Silistrie. On assure que, dans la Dobrudscha plus de 50 000 hommes sont morts de maladie. Cela permet de juger de l'état physique et moral des troupes qui restent. Quant à Silistrie, lever un siège devant les Turcs après avoir fait mettre hors de combat presque tous ses généraux, c’est peu honorable pour le pouvoir absolu qui, jusqu’à présent. avait en au moins le mérite des succès. militaires."
Vous voyez que tout le monde a la même impression. Duchâtel passe le mois de Juillet à Paris ou en excursion aux environs et s'en va à Bordeaux au moins d'août.

Midi
Votre N°91 ne m’apporte que votre tristesse et je n'ai à vous envoyer que la mienne. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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190 je crois.
Du Val-Richer, lundi 3 Juin 1839 7 heures

Je me lève excédé. J’étais dans mon lit hier à 9 heures Je suis arrivé ici par une pluie noire, par une route point terminée, pleine de pierres et d'eau où ma calèche s’est brisée. Il a fallu mettre ma mère et mes enfants dans la cariole des gens. Personne n’a eu de mal. Cette nuit, j’ai été mahométan, muphti même, chargé de marier Thiers. Je me suis fait attendre à la mosquée. J'étais occupé à chercher quelqu’un je ne sais qui ; mais je ne trouvais pas, et je cherchais toujours. Ma nuit a été presque aussi fatigante que ma journée.
Je n’ai jamais été plus triste de vous quitter. Certainement nous nous reverrons. Mais nous n'avons jamais été trois mois sans nous voir. Je suis pourtant bien d'avis de ce voyage. Vous en avez besoin. Revenez fraîche et forte. Je ne vous aimerai pas mieux ; vous ne me plairez pas davantage ; mais je serai plus content.
Pour aujourd’hui, je n’ai point de nouvelles. Je ne pourrais vous en donner que de mes arbres, qui vont bien, sauf un oranger mort. C'est dommage que je n'aie pas beaucoup d’argent à dépenser ici. J’en ferais un lieu charmant, en dedans et en dehors de la maison. Mais décidément l'argent me manque. Ma consolation c'est de pouvoir me dire que je l’ai voulu. Cela ne consolait pas George Dandin. Je suis plus heureux que lui.
Le petit manuscrit de Sir Hudson Lowe est très intéressant. Si vous vous le rappelez, il va singulièrement à la situation de ce moment-ci, entre la Russie, la France et l'Angleterre en face de l'Empire Ottoman, seulement les conclusions, je dis les bonnes conclusions ne sont pas les mêmes.
Du reste, en général, dans les évènements comme dans les personnes, les ressemblances sont à la surface et les différences au fond. Il n'y a point de vraies ressemblances. Chaque chose a sa nature, et son moment, qui n’est la nature ni le moment d’aucune autre. Quel dommage que la question révolutionnaire complique et embarrasse toutes les politiques ?
Comme nous arrangerions bien les affaires d'Orient, vous et moi, si nous n'avions pas moi la manie et vous l’horreur des révolutions ! Essayons, madame, de nous corriger un peu, l'un et l'autre.

9 heures 1/4 Voilà votre lettre. Je l'espérais sans y compter Et je la trouve charmante, toute triste qu'elle est, ou mieux parce que triste. Décidément, je suis voué au parce que. Oui, soyez triste, mais triste d’une seule chose. Qu’il ne vous vienne plus de tristesse d'ailleurs. Que tout vous soit doux, sauf notre séparation. Portez-vous mieux, engraissez et nous nous reverrons. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
281 Du Val Richer. Lundi 30 sept. 1839 9 heures

Je me sens beaucoup mieux ce matin. C’est une singulière chose que la rapidité avec laquelle ce mal de gorge m’envahit s’établit, semble près de devenir une maladie et s'en va. Je suis persuadé qu’en y prenant un peu garde, dans trois ou quatre jours, il n’en sera plus question. Mais c’est bien décidément mon mal.
Je sais peut-être moins de détails que vous sur l'Orient. Quand les affaires ne vont pas à leur satisfaction, ils m'en instruisent plus laconiquement surtout quand l’événement confirme mes avis. J’ai reçu cependant ces jours-ci deux lettres qui sont d'accord avec ce que vous me dites. Mais vous aussi vous êtes trop loin. Deux heures de conversation toutes les semaines nous seraient bien nécessaires. A vous dire vrai, je ne me préoccupe pas beaucoup de cette affaire là quant à présent. Deux choses seules m'importent ; la paix pour le moment, le fond de la question pour l'avenir ; la paix ne sera pas troublée, ni la question au fond résolue. Je tiens l’un et l’autre pour certain. Il ne sortira de tout ceci qu’un ajournement pacifique. Que l’ajournement soit plus ou moins digne, plus ou moins habile, qu’il en résulte plus ou moins de gloire pour les manipulateurs, il m'importe assez peu. Je ne m'étonne pas que Mad. de Castellane vous choque. Elle n'a point de mesure dans la flatterie. Là est la limite de son esprit et le côté subalterne de sa nature. Du reste, rien n'est plus rare aujourd'hui parmi nous que le tact des limites. En toutes choses, nous sommes toujours en deçà ou au delà. C’est le défaut des sociétés renouvelées par les révolutions ; il reste longtemps dans leurs mœurs quelque chose d’informe et de gros, je ne veux pas dire grossier. Il n'y a de fini et d'achevé que ce qui a duré ; ou ce que Dieu lui-même a pris la peine de faire parfait. Mais il ne prend jamais cette peine là pour les peuples.
Voilà votre N°277 et en même temps des détails sur l’orient qui m’arrivent très circonstanciés trop pour la distance où nous sommes.
Vous menez bien votre barque. Vous travaillez à vendre le plus cher possible l'abandon, c’est-à-dire le non renouvellement du traite d'Unkiar-Skelessy. Vous avez tout un plan, dans lequel tout le monde, a son poste assigné contre Méhémet Je ne crois pas à l’exécution. C’est trop artistement arrangé. Je ne suis point invité à Fontainebleau. Je ne sais pas si je le serai. Je suis bien loin. On le sait officiellement. Pour peu qu’on trouve d'embarras à m'inviter moi, et non pas, tel autre, on a prétexte pour s’en dispenser. Adieu. Adieu. Moi aussi, j’attends l'hiver. Je vous en réponds. A propos, je ne sais de quoi, je ferai comme vous avez fait quand j’ai oublié votre commission auprès de Berryer. J’attendrai que je voie Bulwer pour lui demander moi-même des renseignements sur Lord Chatam.
Adieu, quand-même. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton lundi le 13 Novembre 1848

Rien de vous encore, ce qui est très naturel, mais très ennuyeux. Je prends patience, puisque demain est si près d’aujourd’hui.
Voilà donc Berlin tout près d'un grand dénouement. Metternich dit que la monarchie y périra, et il déduit cela assez bien. Je l'ai vu deux fois aujourd’hui chez lui et chez moi. La journée a été merveilleuse mais je ne me suis pas sentie très bien, et j’ai moins promené que de coutumes Je désire bien ce beau temps pour demain, mais je saurais fort bien me consoler du mauvais. Je suis charmée qu’il ait fait un si vilain temps hier à Paris. Voilà le journal du soir qui me l'annonce Adieu. Adieu.
A demain quel plaisir !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie Dimanche 21 Sept 1851

Duchâtel m'écrit : " J'ai déjà causé, avec assez de monde et dans la Charente inférieure et dans la Gironde. Dans le premier de ces départements, on est Bona partiste, dans le second, j'ai trouvé plus de fusionnistes que je ne croyais. Mais dans tous les deux, la candidature Joinville peut produire plus d’ébranlement que je n’avais pensé. Nous ne pouvons, il est vrai, apprécier que les sentiments de la bourgeoisie qui seule parle politique ; mais dans une portion considérable de la bourgeoisie, la première impression est favorable à la candidature du Prince. La réflexion amène une réaction et en montre les inconvénients ; jusque là, l'expédient paraît commode et acceptable. Ce qui est certain c’est que la candidature du Président ne pourrait pas résister à des lois pénales rendues par l'assemblée ; il n’y a pas sur ce point, deux avis ; le dévouement ne va pas jusqu'à vouloir se compromettre avec la police correctionnelle. "
" On m’a beaucoup parlé et ici, et en Saintonge, de candidature pour les prochaines élections. J'ai ajourné toute réponse définitive ; le parti à prendre dépendra des circonstances. Il se formera dans la Gironde un comité fusionniste qui servira de négociateur autre les conservateurs et les légitimistes. Chacun veut réussir et chacun sent que le succès dépend de l’union. Ce sera ici le levier des élections. La position électorale de M. Molé est très compromise dans la Gironde, pour ne pas dire perdue. Cela ne tient pas à la politique, mais au peu de soin qu'on lui reproche d'avoir pris de ses commettants. Les gens de ce pays sont pleins d'amour propre ; ils ont adopté M. Molé sous la Constituante ; ils auraient voulu au moins une visite en retour. " C'est là tout.
La lettre d’Ellice m’a attristé et point surpris. Si l'Angleterre reste entre les mains de ses amis, ils la placeront décidément sur la pente qui mène où nous sommes. Un ancien radical, qui ne l’est plus du tout, M. Austin me disait il y a trois semaines, à Weybridge : " S'il nous arrive une Chambre des Communes radicale, elle bouleversera de grand sang froid, mais de fond en comble, la société anglaise. " Et Lord John, si on le laisse faire, amènera une Chambre des communes radicale. Qui empêchera Lord John ? Je ne vois pas. Si je n’avais pas confiance dans le vieux bon sens, la vieille discipline et la vieille vertu de toute l'Angleterre, je serais très inquiet. Je le suis, malgré, ma confiance.
Quant à nos affaires à nous, Ellice répète Thiers, purement et simplement. Il est plus Thiers qu’Anglais, et il abandonne le Président. Thiers est un révolutionnaire encore en verve qui amuse un révolutionnaire blasé. Au fond de ces deux esprits-là, il y a toujours une grande aversion de toutes les supériorités et de tous les freins. Dès qu’il s’agit de rétablir vraiment l’ordre, ils rentrent dans le camp de la révolution et ils fomentent toutes les passions révolutionnaires, à tout risque. Leur situation est mauvaise car ils ne peuvent pas, quand ils ont fait une révolution rester longtemps les maîtres du gouvernement qu'elle a fait ; et ils sont obligés de recommencer. Mais notre situation à nous n'en est pas meilleure.
Je ne suis pas en disposition gaie. Je ne crains pourtant pas de grands bruits pour cet hiver. Je vous renverrai demain la lettre d'Ellice. Je suis bien aise que Marion vous revienne. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Mardi 3 oct. 1848
3 heures

Je reviens d'Albany où j'étais allé voir Macaulay. " Vous êtes, m’a-t-il dit la première personne que j’aie vue à Londres depuis huit jours." Il vit dans une complète solitude, imprimant son histoire de la Révolution de 1688 qu’il publiera en décembre. Il ne savait absolument rien.
La Rosière est venu ce matin. Amusant sur le passé, car il a quitté Paris il y a plus de six semaines. Des détails sur les premiers temps de la Révolution, Lamartine, Rémusat, Thiers. Croyant à Thiers une assez bonne position dans la Garde nationale de Paris. Attendant la fin prochaine, sans en savoir plus que nous. Il quitte Mad. la Duchesse d'Orléans dont il parle très bien. Situation matérielle déplorable, portée avec une parfaite simplicité et dignité. Plus disposée qu’on me dit à accueillir les combinaisons qui rendraient l'avenir de ses fils plus sûr. M. le comte de Paris avait le visage un peu meurtri d’une chute sans gravité. Très bien du reste, et le duc de Chartre très aimable. Décidé à rester en Allemagne, et à se conduire comme si elle était à Claremont. Point d’intelligence directe ni séparée avec Paris. La Rosière convaincu que la République rouge est plus forte en Allemagne qu'en France, et que, si elle prévalait un moment en France, l'explosion en Allemagne serait très forte. Je n'ai point d’autre nouvelle.
Vous me direz demain où je dois aller vous voir demain soir à quel numéro de Mivart, car il y en a quatre ou cinq. Passerez-vous là quelques jours ? Les jours passent si vite ! Adieu. Adieu.
Il fait bien beau. Le parc de Richmond est encore bon. Où vous promènerez-vous à Brighton ? Adieu. J’espère que vous ne vous êtes plus ressentie de votre estomac. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Mardi 26 sept 1848
Une heure

Je suis hors d'état de sortir. Je tousse pas mal, c’est-à-dire très mal. Il me faut un peu de confinement. J'ai bien dormi mais en me réveillant pour tousser. Je me coucherai ce soir de bonne heure. Et de tout le jour, je ne quitterai mon cabinet. Que je voudrais qu’il fit beau demain. J’espère que je pourrai aller vous voir. Peut-être le matin, à 1 heure, si je me suis encore trop pris pour me mettre en route le soir. Ceci est un grand ennui. Et j’ai bien peur que cela ne nous arrive plus d’une fois cet automne. Je me porte très bien au fond ; mais je m'enrhume aisément, et je suis aisément fatigué. Je me résignerais, très bien à n'être plus jeune si je n’avais jamais à sortir de chez moi. Ce qui vaut et ce qui sied le mieux quand on n’est plus jeune, c’est la tranquillité.
J'ai les mêmes nouvelles que vous de Paris. Si Louis Bonaparte se conduit passablement, et s’il n’est pas forcé d'attendre longtemps, il pourra bien avoir son moment. Agité et court car il ne peut pas plus supporter la liberté de la presse que Cavaignac, et il n'aura pas, comme lui, pris la dictature au bout de son épée. Son nom, qui le sert de loin, l’écrasera de près. Mais il vaudrait infiniment mieux éviter cette parenthèse de plus. Je crois encore qu’on l'évitera, que Louis Bonaparte se compromettra avant d'arriver au pouvoir et que l’armée comme l'Assemblée. soutiendront Cavaignac contre lui. Que la République et l'Impérialisme s’usent bien contre l’autre ; c'est notre meilleure chance, et à mon avis la plus probable.
Je ne comprends pas ce que votre correspondant demande à votre oncle. Il le sait prêt à la transaction. Ce n’est pas à lui à aller la chercher. Ce n’est pas à lui qu'on peut s'adresser pour qu'elle marche et se conclue. On désire quelque fait extérieur qui prouve qu'elle peut se conclure, qu'elle se conclura, le jour venu. Qu'on aille donc au-devant de ce fait ; qu'on lui fournisse l’occasion de paraître. L’occasion semblait trouvée ; on semblait même l’avoir cherchée. Tout le monde devait le croire. Non seulement on ne l'a pas saisie ; mais on s'est montré disposé à la fuir. Quand on est pressé, il faut se presser. Je n'ai jamais pensé que votre oncle pût ni dût prendre aucune initiative ; mais je suis encore bien plus de cet avis depuis le dernier incident. Je répète que lorsque la transaction ira à lui, elle le trouvera prêt ; mais il n’a rien à faire qu'à l'attendre dans l’intérêt du succès comme dans la convenance de son honneur. Il disait encore avant-hier à l’un de mes amis qu’il n’avait reçu de sa partie adverse, aucune avance, aucune insinuation qu’il pût sensément regarder comme un pas vers lui.
De Rome et de Florence, mauvaises nouvelles. Les républicains sont furieux de la petite réaction romaine et du peu de succès de l’insurrection de Livourne. La population ne veut pas les suivre, mais comme le gouvernement ne sait pas les chasser, ils sont toujours là, et et commencent, et recommenceront toujours. On dit que Charles Albert meurt de peur d'être assassiné par eux. Il mourait de peur autrefois d'être empoisonné par les Jésuites. Il ne sera probablement pas plus assassiné qu'empoisonné. Mais son succès n’ira pas plus loin. Adieu. Adieu.
Pour Dieu, ne soyez pas malade. Je veux bien être enrhumé, mais pas inquiet. Je vous renvoie votre lettre. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton, Mercredi 8 nov. 1848
9 heures

Voici une lettre très curieuse. Lisez-la, je vous prie, vous-même, malgré vos mauvais yeux et renvoyez-la moi tout de suite. G[énie] me fait dire qu'il importe infiniment que ses lettres restent entre lui et moi, et qu'il n'en revienne rien à Paris. Vous verrez combien tout cela confirme ma résolution. Je devrais dire notre résolution de me tenir parfaitement tranquille et en dehors de toutes les menées.
Le Roi me fait écrire hier par d'Houdetot " Le Roi me charge de vous dire que les accidents de santé de ses chers malades, sans être plus graves, ayant continué, les médecins avaient conseillé un changement d’air immédiat ; ce qui l’avait décidé à aller passer quelques jours à Richmond, à l’hôtel du Star and Garter. Nous partons aujourd’hui même à une heure. Le Roi désire que vous sachiez bien le pourquoi de ce mouvement afin de vous mettre en garde contre les bruits publics." D’Houdetot aurait dû me donner quelques détails sur la Reine. Mais enfin elle a pu évidemment être transportée, sans inconvénient. Je voudrais savoir qui occupera votre petit appartement. J'irai les y voir. Pourvu que mon travail m'en laisse le temps, car je veux absolument le finir sans retard et l'envoyer à Paris. Le moment de le publier peut se rencontrer tout à coup. Et dans l'état des affaires au milieu de tout ce mouvement d'intrigues croisées, je ne serais pas fâché de donner une marque publique de ma tranquillité et liberté d’esprit en parlant à mon pays sans lui dire un mot de tout cela. Cette course à Drayton va me faire perdre encore du temps. Je réponds aujourd’hui à Sir Robert Peel, mais je n’y resterai que jusqu'au mardi 21 et non jusqu'au jeudi 23 comme il me le demande. Ce serait charmant, s'il vous invitait aussi.
Je reçois à l’instant même un billet de Duchâtel qui était allé hier a Claremont au moment où le roi et toute la famille partaient pour Richmond. Il a trouvé le Duc de Nemours et le Prince de Joinville, très souffrant. Ils ont eu une rechute, c’est ce qui a déterminé la résolution, soudaine.
La dernière scène de Vienne est tragique. Le parti révolutionnaire, étudiants et autres est plus acharné que je ne le supposais. On m’apporte de Paris de bien sombres pronostics sur l'Allemagne. On s’attend que l'Assemblée de Francfort se transportera à Berlin, et finira par y proclamer la République. La Monarchie, et l’unité allemande paraissent de plus en plus incompatibles. Le rêve en progrès est celui d’une république allemande, laissant subsister dans son sein, par tolérance et jusqu’à nouvel ordre des monarchies locales. En France les esprits sont malades sans passions. En Allemagne, il y a la maladie, et la passion. Adieu, adieu. Merci de votre accueil, digne réponse à votre merci de ma visite. Adieu vaut mieux. M. Vitet arrive aujourd’hui de Paris. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Mercredi 13 Sept. 1848
Midi

Avec votre lettre ce matin, deux longues lettres de Brougham et d'Ellice. Brougham dans un accès de tendresse. Il voudrait m'envoyer son manuscrit, et que je le lusse pour y ôter, ajouter ou changer ce que je voudrais. Comme de raison, je ne refuserai. Enorme dissertation d’Ellice qui regarde la guerre et la banqueroute française comme infaillibles, et veut que l'Angleterre se retire tout-à-fait de l’Europe. Convaincu de la vertu et de l’impuissance de Cavaignac. Charmé d'avoir chez lui Duchâtel qui chasse et s’ennuie. " The patience of that ardent chasseur is beginning, to be sorely tired with our storms and torrents of rain. Amiable and interesting as he is from his knowledge of men and of affairs, how entirely he is homme d'affaires! If it was not for his engouement now for the chasse. I dearely know how I should employ his time for him in the Country. He will miss his old avocations and interests. much more than you will do."
Ellice me paraît avoir un plan pour le gouvernement de l'Irlande, et il espère que Lord John l'adoptera pendant sa visite à Dublin. J’ai ce matin quelques nouvelles d'Italie. Les chances en Sicile sont pour le Roi de Naples. Non pas pour soumettre l’intérieur de l'île, mais pour reprendre possession des villes et des points importants de la côte. Le Prince Gramatelli, qui est ici de la part des insurgés, est très abattu furieux, comme toute l'Italie contre l'Angleterre qui a laissé tout espérer, et ne tiendra rien. Dans l’intérieur de l'Italie dans les Apennins, de petits démembrements se font, de petites républiques indépendantes se proclament. Déjà crois ou quatre en Toscane et dans les légations. Anarchie complète impuissance, complète des gouvernants. Le Pape travaillant à temps, sans bruit, son épingle du jeu. De concert avec les cardinaux qui se concertent avec Vienne. Gènes à peu près perdu pour Charles-Albert. Conviction générale que l’Autriche ne veut que gagner du temps. Elle fait la police sous main en Italie comme elle la faisait ouvertement jadis. Le parti républicain, Mazzini et tous ses petits éclateront un de ces jours, et ce sera le coup de grâce de l'Italie. L’Autriche, se croira, en droit de tout faire contre eux et l'Angleterre de tout laisser faire. Et la République française dira qu’on a dérangé sa médiation qui allait réussir, et elle n'empêchera rien. Voilà les pronostics des Italiens gens d'esprit.
Je fais du feu. Il faisait froid hier chez Lady Cowley que j’ai trouvée. Elle cherche une maison. Georgine m’a paru de très bonne humeur. Il paraît que cette pauvre Aggy est mourante. Adieu. Adieu. Oui, jeudi n’est que demain. Hébert et Dumon viennent dîner avec moi aujourd’hui. Je serai demain au railway comme à l’ordinaire, avant 5 heures trois quarts. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton-Mercredi 22 Nov. 1848
Midi

Je suis toujours sans nouvelles de Paris à vous envoyer. Il est impossible que je n’en aie pas bientôt. Je sais que Duchâtel n'en a pas davantage. Je crois qu’il viendra dîner aujourd'hui avec moi. Je viens de recevoir un billet de Lady Lovelace qui me presse d’aller les voir dans le Surrey. Dumon y va. Comme de raison, je refuse. Je ne veux plus aller nulle part avant Noël, où j'irai passer quelques jours chez Sir John Boileau.
J’irai vous voir Mardi. J'aurai complétement terminé ce que j'écris. M. Lemoinne emportera, le manuscrit à Paris pour que le Duc de Broglie, le lise. Je l’apporterai mardi à Brighton. Je vous en lirai quelques fragments après l'élection du Président, quelle qu’elle soit, et à moins qu'on n'en vienne immédiatement aux mains, il y aura un moment opportun pour la publication. Les chances vont croissant pour Louis Bonaparte. C'est la conviction des Débats qui sont croyables sur ce point.
Je suis de plus en plus inquiet de Berlin mais pas étonné que de Francfort, on abandonne le Roi de Prusse après l'avoir poussé. C’est exactement ce qui arrivait en 1790 et 91 avec le pauvre Louis XVI. Du dedans et du dehors, on l'excitait, on le compromettait ; puis on ne le soutenait pas. Berlin ressemble extrêmement à notre première révolution. La Cour et la nation. Les idées et les façons d'agir. Et je crains que le Roi de Prusse, qui a plus d’esprit, n'ait encore moins de courage, et n'inspire encore moins de confiance que Louis XVI. Moralement, à coup sûr, il ne le vaut pas. Ni politiquement peut-être. Il y a là de plus l'ambition de la Prusse qui veut prendre l'Allemagne C’est vraiment là l’incendie. Le rétablissement même de l’ordre en France ne l'éteindrait pas. Mais il donnerait bien de la force pour le combattre.
Je suis vraiment triste du bruit qui est venu de Rome sur M. Rossi. Je cherche et ne trouve nulle part des détails. On dit que l'ordre n’a pas été troublé. Mais Rossi lui-même qu'est-il devenu sous ce coup de poignard pauvre homme? Quelle surprise pour lui et pour moi si, quand je l’ai envoyé à Rome, tout cet avenir s’était dévoilé devant nous ! J'espère que l’assassin a manqué son coup. Ce n'est peut-être pas vrai du tout. Il manque bien les choses à M. Rossi. Le cœur n'est ni tendre, ni grand. Mais l’esprit est supérieur ; si juste, si fin, si actif dans son indolence apparente, si prompt, si étendu ! Des vues générales et un savoir faire infini. Très inférieur à Colettis par le caractère et l’empire. J’ai pleuré Colettis. Il m’aimait et je l’aimais. Je regretterai M. Rossi, si le fait est vrai, comme un allié utile et un homme très distingué. L’un et l’autre est rare. Il ne m’a pas donné signe de vie depuis Février. On me disait, il y a quelque temps, qu’il disait qu'il ne retournerait jamais en France. S'il a été assassiné, c’est que le parti révolutionnaire de Rome, le considérait comme un obstacle, sérieux. Ce serait un honneur pour son nom.
J’ai vu hier Charles Greville à dîner, chez le Baron Parke. Il ne savait rien. Parlant toujours très mal des affaires de Sicile. Le Roi de Naples me paraît décidé à laisser trainer cette médiation anglo-française, comme on fait à Milan. On se rejoint ici de la nomination à peu près certaine, du Général Taylor comme président aux Etats-Unis. Cass est très anti- anglais.
Puisque vous prenez votre dame assez à cœur pour en être malade, vous ferez bien de vous en débarrasser, à Brighton, tel que Brighton est à présent, vous pouvez vous en passer. Il y aura tel lieu et tel moment où même cette maussade personne vous manquera. Mais après tout, vous en trouverez une autre. Nous aurons le temps de chercher. Marion vous a-t-elle reparlé ? Adieu. Adieu.
Mardi est bien loin. Je ne puis vraiment pas plutôt. Je suis très pressé. Par toutes sortes de motifs. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Mercredi 27 Juin 1849
2 heures

Voici la lettre du Duc de Noailles Sensée et au fond pas très découragée. Il reste dans son idée, en attendant qu’il puisse la poursuivre. Les articles qui devaient être publiés, sur son livre, dans le Quarterly et l'Edinburgh review, ont été retardés par de petites circonstances qu’il serait trop long de vous écrire, et que je vous dirai. Ces articles viendront. J’en reparlerai aux personnes qui s’en sont chargées. Beaucoup de monde hier chez Collaredo. Tous les diplomates. Kielmansegge et Lettp contents. Il y a de quoi l'être, mais ils le sont trop toujours. Brunow, à qui je demandais s'il avait des nouvelles, s’est penché vers mon oreille et m'a dit à voix basse : « On ne pourra pas entrer en campagne, tout de suite ; nous n'aurons probablement pas de nouvelles avant douze, ou quinze jours. Et si les Hongrois ne veulent pas livrer babaille, s’ils se retirent dans le pays, il faudra bien les y suivre, et ce sera long. " Je vous répète textuellement. Je vous répète aussi que Bunsen me fait toujours fort la cour, et veut décidément me rendre prussien. Il ne m’a parlé que des affaires de France. Je me trompe. Quelques mots de vive satisfaction sur la défaite de Microlawski à qui le Roi de Prusse avait déjà pardonné deux fois, et serait, pour cette fois, dispensé de pardonner, car, on a proclamé la loi martiale et il n’y aura qu'à laisser faire. En sortant, dans le cloak-room, j’ai rencontré Lady Palmerston. Moins de coquetterie avec moi que de coutume. Evidemment une nuance d'humeur. Le discours de Lord Aberdeen sur l'Espagne. Voici les frivolités du bal. La Princesse Augusta de Mecklembourg dansant avec passion, et venant s'asseoir ensuite dans l'embrasure d’une fenêtre pour me parler avec passion de la lâcheté des Princes. Elle me traite comme une ancienne connaissance qui lui a plu autrefois, et comme un compagnon de tristesse et de colère. Lady Alice Peel et Lady Aylesbury dansant, l’une près de l'antre, au même quadrille, et allant se reposer, l’une à côte de l'autre sur le même banc. Lady Jersey me disant très haut : " Venez donc causer. " En m'emmenant dans un petit salon où se tenaient trente ou quarante personnes uniquement occupées à regarder, celles qui causaient et à essayer de les entendre. Madame Duchâtel, moins jeune que Lady Alice et ne dansant pas, quoiqu’elle eût dansé la veille, à ce que m'a dit Guillaume, chez Mrs Jeniors. Une seule contredanse. Je le dis à l'honneur du bon sens français. Duchâtel n’était pas là. Il a été repris de sa fièvre tierce. Il en a eu trois accès. Dumon viendra de Dieppe, voir la Duchesse d'Orléans à St Leonard. Hébert aussi. Et d’Haussonville. Et Albert de Broglie. J’irai vers le milieu de la semaine prochaine. Je viens d'avoir une longue conversation avec Disraeli. Il fait lundi une grande attaque contre toute la politique intérieure et extérieure du ministère, une revue générale de l’état des affaires anglaises, au dedans, et au dehors. Où en était l'Angleterre, chez elle et en Europe, au printemps de 1846 ? Où en est-elle aujourd’hui ? Depuis trois ans vous êtes le gouvernement, un gouvernement sans opposition, qu'avez-vous fait du pays? Décadence de prospérité et décadence d'influence. Détresse et déconsidération. Vous dites que votre politique est libérale. Non ; révolutionnaire. Vous encouragez les révolutions avant qu'elles éclatent ; et quand elles ont éclaté vous ne savez ni leur inspirer la sagesse, ni leur prêter la force. Sans prévoyance avant, sans influence après. Que votre politique est pacifique. Non ; vous brouillez partout les cartes ; la paix ne sont pas des cartes brouillées. Qu'elle est vraiment nationale, Anglaise. Non ; elle est toute personnelle. La nationalité de l'Angleterre n'a que faire de servir d’instrument à la personnalité de Lord Palmerston & & Il dit que ce débat durera deux ou trois jours. Il ne pense qu'à planter son drapeau et à former, son armée pour la campagne prochaine. Adieu. Adieu.
J’aimais mieux ma matinée d'hier. J’ai été déjeuner cher Sir John Boileau, excellente famille, dont l'amitié me touche. Je resterai à lire et à écrire jusqu'à l’heure du dîner, chez Lady Galway. Je rentrerai de bonne heure et je me coucherai. Adieu. Adieu Je n'ai rien de Paris aujourd'hui. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton, Samedi 28 octobre 1848
Une heure

Vous êtes partie. Donc vous n’êtes pas plus enrhumée. C’est bon. Mais si vous aviez été plus enrhumée, vous ne seriez pas partie. Je viens de me promener. A peu près sans la pluie. Je vais bien. Je n’ai pas encore mes journaux. Je n’ai vu personne. Excepté un garde national de Paris qui était là tout à l'heure, me racontant comment, le 24 février, il avait sauvé M. de Rambuteau et toute la peine qu’il avait eue à le hisser dans un cabriolet. A quoi il a ajouté qu’il avait une passion effrénée, non pas pour Mad. de R. mais pour la politique ce qui l’avait fait destituer de sa place à l’hôtel de Ville. Voilà toutes mes nouvelles.
J’espère que les journaux vont arriver. Je serai à Cambridge de lundi à Vendredi, Ecrivez-moi donc là, chez le Dr Whewell, Trinity lodge. Jusqu'à jeudi. Votre lettre de Jeudi arrivera à Brompton quelques heures avant moi. Je ne serai jamais content de vous voir à Brighton. Mais je serai moins mécontent quand je vous y aurai vraiment vue. Je ne puis souffrir de ne pas connaître votre maison, votre appartement. C’est bien assez de l'absence, sans y ajouter l'ignorance.
Vous aurez peut-être à Brighton des nouvelles du spectateur de Londres. M. de Matternich est très fâché qu’il ne paraisse plus. Il a fait venir Melle K. pour lui dire de continuer. Une bonne somme était venue de St Pétersbourg. Mlle K. ne peut pas. Elle ne sait pas où est son père, et dit qu’il l'a abandonnée, elle et le journal.
On vient de m’apporter la Revue des deux mondes. Le second article de M. d’Haussonville sur notre politique étrangère n’y est pas encore. Il y a en revanche, un assez curieux article de M. de Langsdorff sur Kossuth et Gellachion, des détails qu’on n'a pas vus ailleurs. Vous devriez vous faire lire cela. La Revue des deux mondes se trouve probablement à Brighton. C'est le n° du 15 octobre.

2 heures
Le Journal des Débats seul m'est arrivé. Je viens de lire la séance. Je ne comprends pas bien. Mon instinct est que la prompte élection est donc l’intérêt de Louis Bonaparte. Mais alors pourquoi Cavaignac l’a-t-il voulue ? Pourquoi l'Assemblée l’a-t-elle votée ? Je parierais presque que l’arrangement est fait entre Louis Bonaparte et Thiers. Odilon Barrot a parlé comme un compère. C'est une mêlée bien confuse. L’Assemblée se montre inquiète de sa propre responsabilité, et pressée de s’en décharger en partie sur un Président définitif. Nous y verrons plus clair dans quelques jours. Je n'ai rien de Paris. Ce qui me frappe c’est à quel point toutes les opinions, tous les partis se divisent, se subdivisent, se fractionnent en petites coteries qui cachent leur jeu. Grand symptôme de pauvreté d’esprit et de personnalité mesquinement ambitieuse. Je suis triste de l'aspect de mon pays. Plus triste qu'inquiet. La décadence me déplait plus que le malheur. Le discours de M. Molé est bien petit. Adieu. Adieu.
Je compte bien avoir lundi matin de vos nouvelles. Je ne pars pour Cambridge qu'à une heure. Adieu, puisqu’il faut recommencer Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Vendredi 15 sept 1848
Une heure

Je rentre de ma promenade. Je la placerai tous les jours à cette heure-là, et je serai toujours chez moi à 2 heures. Brouillard général, mais léger et pas froid. Il faisait bon marcher.
Je viens de lire le discours de Thiers, en conscience. Comme toujours spirituel, naturel, utile, long et pas grand. L'appréciation des Débats est juste sans bienveillance. Ce qui me paraît d’une bien petite conduite, c'est de parler solennellement sur toutes ces spéculations insensées, et de se taire absolument dans tout débat qui serait un combat. C’est un évènement que la flotte sarde s'en allant de Venise, et laissant à la flotte autrichienne toute liberté de la bloquer. Venise tombera comme Milan, Toutes les révolutions ont eu fair play l'Italienne comme la française, comme l'allemande. Aucune ne gagnera la partie. Vous avez raison, quel spectacle à décrire pour un grand esprit qui saurait tout voir, et pourrait tout dire. Jamais Dieu n'a donné aux hommes une telle leçon de sagesse en laissant le champ libre à leurs folies.
Un homme que je ne connais pas vient de m’envoyer de Paris un volume de 1184 pages, intitulé. Recueil complet des actes du Gouvernement provisoire (Février, mars, avril et mai 1848). Complet en effet ; les petites comme les grandes sottises. Monument élevé à une Orgie. Ce volume vaut la peine d’être regardé, et gardé. Toutes ces sottises passent comme des ombres, et on les oublie. On ne sait ni s’en délivrer, ni s’en souvenir. Précisément ce qui arrive d’un cauchemar, dans un mauvais rêve.
On travaille à monter un coup pour que le Président de la République soit nommé par l'Assemblée nationale et pour que l'Assemblée nationale actuelle vive quatre ans comme le président qu’elle aura nommé. Si cela est tenté et échoué, l’échec sera décisif. Si la tentative réussit, elle amènera une explosion. On n'acceptera pas ce bail. Voilà, un ancien député conservateur M. Teisserenc qui vient me voir, et part le soir pour Paris. Je vais écrire pour affaires. Adieu. Adieu.
J’espère que vous n'aurez pas oublié d’écrire à M. Reboul. Vous n'oubliez guère, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Vendredi, 22 sept. 1848
Une heure

Je n'ai de nouvelles que de M. Hallam et de Mad. Austin. Je me trompe ; j'ai trouvé hier en rentrant une bonne lettre de Lord Aberdeen. Je ne vous l'envoie pas pour ménager vos yeux. Je vous la lirai dimanche. Rien de nouveau. Très autrichien. Regardant toujours l'Angleterre comme possible parce que l’Autriche ne cédera pas et ne doit pas céder. Il ne parle de revenir que dans le cours de Novembre. Les journaux modérés sont abasourdis du résultat des élections. L'Assemblée nationale soutient énergiquement son parti. Evidemment tout le monde est inquiet et tâtonne. Vous aurez vu à quel point l'élection de M. Molé a été contestée. Encore n’est-elle pas positive ? Le Communisme est en progrès effrayant. Aura-t-on assez peur et pas trop peur ? Je m’attends à quelque explosion rouge qui donnera aux modérés, un coup de fouet. M. Ledru Rollin se met à la tête des Montagnards croyant à leur victoire. Je parie que, dans son esprit, il dispute déjà à Cavaignac la présidence de la République. Nous sommes tellement hors de ce qui est sensé que tout est possible.
Lisez attentivement le récit de la prise de Messine qui est dans les Débats. Curieux exemple de l'absurde manie révolutionnaire qui est dans les esprits. Il est clair que les Messinois sont insensés, et ont été les plus féroces. On assiste à leurs atrocités. On tient leur défaite pour certaine. On rend justice à la modération du général Napolitain. N'importe c’est pour les Messinois [?] la sympathie. Uniquement parce que c’est une insurrection et une dislocation. Et le Roi de Naples, qui a offert aux Siciliens dix fois plus qu’ils n'espéraient d'abord est un despote abominable parce qu'il ne cède pas tout à des fous qui sont hors d'état de résister. La raison humaine est encore plus malade que la société humaine. Adieu.
Je vais me remettre à travailler. C’est bien dommage que je ne puisse pas dire tout ce que je voudrais. Je supprimerai de grandes vérités, et peut-être de belles choses. Adieu. Adieu. A demain.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Vendredi 24 nov. 1848
Midi

Je sais bien ce que je vous dirais si je répondais à votre reproche que je puis passer quinze jours sans vous voir. Mais je ne veux pas vous le dire. Je vous aime trop pour sentir le besoin d'avoir toujours le dernier avec vous surtout quand vous vous plaignez de ne pas me voir assez. Voici m’a proposition. Je m’arrangerai en allant vous voir mardi, pour passer avec vous le mercredi, et ne revenir à Brompton que jeudi matin. Cela vous convient-il ?
J’ai enfin terminé mon travail. M. Lemoinne que j'ai retenu, l'emportera dimanche à Paris. Je vous l'apporterai mardi.
Je crains bien que ce que vous me dites de ce pauvre Rossi ne soit pas vrai, et qu’il ne soit bien réellement mort. Le Morning Chronicle dit le savoir de son correspondant à Rome comme de Paris. M. Libri, qui sort de chez moi, me disait que le Comte Pepoli arrivé ces jours-ci de Rome, lui avait dit que Rossi réussissait et réussirait plus qu'on n'avait espéré. C'est pour cela qu’ils l’ont tué. Les révolutions de ce temps-ci sont stupides, et féroces. Elles tuent les hommes distingués, et n'en créent point. M. Libri a reçu ces jours-ci une lettre de sa mère qui lui écrit : « Il se prépare dans les états romains des choses abominables. » On s'attend à des massacres dans les Légations. Je veux encore espérer que Rossi n’est pas mort ; mais je n'y réussis pas. Sa mort m’attriste plus peut-être qu'au premier moment. Ce n'était pas vraiment un ami ; mais c'était un compagnon. Nous avons beaucoup causé dans notre vie. Il me trouvait quelquefois compromettant. Moi, je le trouvais timide. Il est mort au service de la bonne cause. Nous nous serions repris très naturellement, si nous nous étions retrouvés.
J’ai dîné hier chez Reeve, avec Lord Clarendon, que je n’avais pas encore vu. Bien vieilli sans cesser d'avoir l’air jeune. Un vieux jeune homme. Toujours aimable, et fort sensé sur la politique générale de l’Europe. Il était presque aussi content que moi du vote de l'Assemblée de Francfort contre l'Assemblée de Berlin. Il me semble que ce vote doit donner de la force au Roi de Prusse, s’il peut en prendre. Lord Clarendon, est très occupé de l'Irlande et la raconte beaucoup. Il y retourne sous peu de jours. Nous avons parlé de tout, même de l'Espagne. Il s'est presque félicité qu'elle fût restée calme et Narvaez debout. J’ai très bien parlé de Narvaez. Et même de la reine Christine. Il n'a pas trop dit non. Ils ont tous l'oreille basse du côté de l'Espagne. Clarendon est allé à Richmond et parle bien du Roi.
Je dîne Lundi chez Lady Granville. Partout Charles Greville, de plus en plus sourd. Et sans nouvelles. Voici vos deux lettres. L’une très sensée. L’autre assez amusante. Moi qui n’ai pas grande opinion de la tête de M. Molé, j’ai peine à croire à son radotage auprès de Mad. Kalorgis. Est-ce qu'elle est revenue à Paris du gré de l'Empereur, et pour le tenir au courant de grands hommes ? La séance de l'Assemblée nationale sera curieuse demain. Ils s’entretueront. Mais Cavaignac seul a quelque chose à perdre. Ce qui l'a provoqué à provoquer cette explication. La lettre de MM. Garnier-Pagès, Ducler & & est une intrigue pour remettre à flot M. de Lamartine et le porter à la Présidence à la place de Cavaignac décrié. Adieu. Adieu. Je suis bien aise que vous n’ayez plus miss Gibbons sur vos nerfs. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park. Mardi 8 août 1848
Onze heures

J’ai cinq minutes. Je vais rejoindre à Norwich le train du chemin de fer qui va à Yarmouth. C’est à Yarmouth que mes enfants prendront quelques bains de mer. Le médecin sort d’ici. Il trouve Pauline pas mal, c’est-à-dire point de vrai mal, mais encore assez ébranlée. Il veut encore deux ou trois jours de repos. Puis quelques bains à Yarmouth, près d’ici, à peine un voyage. Les habitants de Ketteringham viendront nous y voir. A part la raison de santé, je vous dirai mes raisons pour aller à Yarmouth, près d’ici. Vous les trouverez bonnes. Je vous quitte. L’heure du train me presse. Merci de votre longue et bonne lettre qui vient de m’arriver. Je vous écrirai demain à mon aise. Adieu. Adieu. G.

Une heure On m’a fait observer que tout bien calculé, je n’arriverai probablement pas à Norwich à temps pour le train d’Yarmouth. Je n’irai donc que demain matin. Je vais là choisir un logement. Je reviendrai ici, et nous irons à Portsmouth à la fin de la semaine. Toujours pour trop longtemps mais pas pour longtemps. Le médecin n'a point d’inquiétude pour Pauline, mais elle a été [shaked] in her whole frame. Je ne lui ai pas refusé une promenade à cheval par ce qu’il y a beaucoup monté. Soyez tranquille ; je n’y monterai point. Guillaume monte très bien.
Je ne crois plus à l’intervention en Italie. On n'en veut évidemment pas plus à Paris qu'à Londres. L’Autriche cédera sur la Lombardie. On forcera les Italiens de céder sur la Vénétie. Et le Roi Charles Albert battu aura son royaume comme, s'il l’avait conquis. Quoique peu en train de rire, je ne puis m'empêcher de rire de la république ; elle copie, timidement ce qui s’est passé après 1830. La Lombardie sera la contrepartie de la Belgique. On règlera cette question là, comme l'autre, de concert entre Paris et Londres. Mais sans mettre le pied au delà des Alpes. Il faut dire de la République ce qu’on a dit de je ne sais plus qui : " ce qu’elle fait de nouveau n’est pas bon, ce qu’elle fait de bon n'est pas nouveau. "
Je compatis fort au chagrin de l'Empereur sur sa fille Olga. Mais elle a raison. Quelle honte au Roi de Wurtemberg ! Pis que le Roi de Bavière. Je suis humilié de la conduite des Rois comme si j’étais un Roi. J’ai mon Journal des Débats. On est fort en trais de refaire un autre parti conservateur. Et celui-là enterrera un jour la République. Chaque crise révolutionnaire en France fait monter au gouvernement une nouvelle couche de la société, prise plus bas. Et celle-là est à son tour forcée de devenir conservatrice, tant bien que mal. Je ne vois pas comment on s'y prendrait pour descendre plus bas que le suffrage universel. J’ai écrit à Lord Aberdeen. J’aurai demain ou après-demain tout ce qui m'a été envoyé à St Andrews. Ecrivez-moi encore ici, Adieu, Adieu. Quel plaisir quand nous nous retrouverons. Mais que de choses nous nous serions dites que nous ne retrouverons pas ! Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park Vendredi 11 Août 1848,
Onze heures

Tallenay n'a pas réussi à se faire laisser l’honneur de la reconnaissance de la République. Gustave de Beaumont est un honnête homme et un gentleman. Plus de mouvement d’esprit que d’esprit, modéré d’intentions et emporté de tempérament. Point Thiers du tout. Opposé à Thiers, autrefois, quand ils étaient ensemble dans l'opposition. Rapproché de lui aujourd’hui par la nécessité, mais au fond méfiant et hostile. Un des plus actifs de la tribu Lafayette dont il a épousé la petite-fille.
On dit à Paris que Tallenay est rappelé pour m’avoir salué et dit bonjour dans la rue, ce qu'il n'a pas fait. Je serais étonné si Gustave de Beaumont, me rencontrant, ne le faisait pas. Puisque la médiation commune a lieu sérieusement, je penche à croire qu’elle réussira, au début du moins. Les embarras et peut-être les impossibilités viendront après. L'Italie ne sera pas réglée. Mais la République y aura gagné d'être reconnue, et l'Angleterre d'avoir engagé la République dans la politique pacifique au moment de la crise.
Je reviens à ce que je vous disais hier, je crois ; le Président Cavaignac sera une seconde édition du Roi Louis-Philippe. Résistance et paix. Avec bien moins de moyens, de se maintenir longtemps sur cette brèche, où il sera bientôt encore plus violemment attaqué. Ce qui est possible, ce qu'au fond de mon cœur je crois très probable, c’est que les trois grosses révolutions de 1848, France, Italie et Allemagne n'aboutissent qu'à trois immenses failures. Pour la France et l'Italie, c’est bien avancé. L'Allemagne trainera plus longtemps, mais pour finir de même. Grande leçon si cela tourne ainsi. Mais le monde n’en sera pas plus facile à gouverner. Excepté chez vous, l'absolutisme est partout aussi usé et aussi impuissant que la révolution. Et il n’y a encore que la société anglaise qui se soit montrée capable d’un juste milieu qui dure. Je suis dans une disposition singulière et pas bien agréable ; chaque jour plus convaincu que la politique que j’ai faite est la seule bonne, la seule qui puisse réussir et doutant chaque jour d'avantage qu’elle puisse réussir. La lettre que je vous renvoie est très sensée. Je vous prie de la garder. Je vous la redemanderai peut-être plus tard. Si c’est là une chimère, c’est une de celles qu'on peut poursuivre sans crainte car en les poursuivant on avance dans le bon chemin.
Savez-vous notre mal à tous ? C’est que nous sommes trop difficiles en fait de destinée. Nous voulons faire, et être trop bien. Nous nous décourageons et nous renonçons dès que tout n’est pas aussi bien que nous le voulons. J’ai relu depuis que je suis ici, la transition de la Reine Anne à la maison d’Hanovre, et le ministère de Walpole. En fait de justice, et de sagesse, et de bonheur, et de succès, les Anglais se sont contentés à bien meilleur marché que nous. Ils ont été moins exigeants, et plus persistants. Nous échouerons tant que nous ne ferons pas comme eux. Je vous envoie avec votre lettre un papier anonyme qui m’arrive ce matin de Paris, par la poste. Les Polonais sont aussi mécontents de la République que le seront demain les Italiens. Je suppose que l’un d’entre eux a voulu me donner le plaisir de voir que je n'étais pas le seul à qui ils disent des injures. La grosse affaire à Paris, c’est évidemment le rapport de la Commission d'enquête. De là naitra, entre les partis, la séparation profonde qui doit engager la lutte définitive qui doit tuer la République. Dumon m'écrit : « Si je trouve Londres trop triste, j'aurais assez envie d'aller attendre à Brighton le jour où nous pourrons rentrer en France, le jour me semble encore assez éloigné. C’est déjà bien assez pour Cavaignac d'avoir à mettre en jugement les fondateurs de la République sans qu’il se donne l’embarras de mettre en même temps hors de cause les ministres de la monarchie. » Tous les procès à vrai dire, n'en font qu’un et il n’est pas commode à juger. On l’ajournera, tant qu’on pourra. Adieu.
J’aurai demain votre lettre à Lowestoft. Je pars à 4 heure. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, Dimanche 13 août 1848
Une heure

Certainement, je suis triste. Je vous ai dit mille fois que, sans vous, j'étais seul. Et la solitude, c’est la tristesse. Je la supporte mais je n’en sors pas. Les Anglais n’y sont pour rien. Dans la belle Italie, je ne serais pas autrement. Peut-être l'Italie me dispenserait-elle d’un rhume de cerveau qui me prend, me quitte et me reprend sans cesse depuis quatre jours. Je me suis déjà interrompu deux fois en vous écrivant pour éternuer trente fois. J’espère que la mer, m'en guérira. La mer n’est pas humide. Décidément, en ceci, je ne suis pas comme vous. J’aime la mer devant moi. Elle ne m’attriste pas. Elle est très belle ici. Et cette petite ville est propre, comme un gentleman. Mes enfants commencent à se baigner demain. Aurez-vous quelqu’un à Tunbridge Wells ? Je ne vous veux pas la solitude, par dessus la tristesse. Il me semble qu’à Richmond lord John, Montebello et quelques visites de Londres ou à Londres sont des ressources que vous n'aurez pas ailleurs. Il est vrai que j’entends dire à tout le monde que Tunbridge est charmant. C’est quelque chose qu’un nouveau lieu charmant, pour quelques jours.
Il me revient de Paris qu'on n’y croit pas plus que vous au succès de la médiation. Ce n'est pas mon instinct. Si la situation actuelle pouvait se prolonger sans solution, je croirais volontiers que la médiation échouera. Elle vient, comme vous dîtes, plus qu'après dîner. Mais je ne me figure pas que l’Autriche se rétablisse purement et simplement en Lombardie et Charles Albert à Turin. Les Italiens conspireront, se soulèveront, la République sera proclamé quelque part. La République française sera forcée d’intervenir. C’est là surtout ce qu’on veut éviter par la médiation. Il faut donc que la médiation aboutisse à quelque chose, que la question paraisse résolue. Elle ne le sera pas. Mais à Paris et à Londres on a besoin de pouvoir dire qu'elle l’est. Pour sortir du mauvais pas où l'on s'est engagé. Tout cela tournera contre la République de Paris mais plus tard. On m'écrit que ces jours derniers le général Bedeau, dans des accès de délire criait sans cesse. "Je n’avais pas d’ordres! Je n'avais pas d’ordres." Vous vous rappelez que c’est lui qui devait protéger et qui n’a pas protégé la Chambre le 22 février.
Je suis bien aise que Pierre d'Aremberg soit allé à Claremont. Tout le travail en ce sens ne peut avoir que de vous effets soit qu'il réussisse ou ne réussisse pas. Quand on était à Paris, en avait assez d'humeur contre Pierre d’Aremberg qu'on ne voyait pas. Je suppose qu'on aura été bien aise de le voir à Claremont. A Claremont on est d’avis que la meilleure solution de la question Italienne, c'est de maintenir l’unité du royaume Lombardo-Vénitien en lui donnant pour roi indépendant un archiduc de Toscane. Idée simple et qui vient à tout le monde. Je la crois peu pratique. Un petit souverain de plus en Italie, et un petit souverain hors d’état de s'affranchir des Autrichiens, et de se défendre des Italiens. Ce serait un entracte, et non un dénouement. Je doute que personne veuille se contenter d’un entracte. Adieu. Adieu.
C’est bien vrai, les blank days sont détestables. Demain sera le mien. Votre lettre de Vendredi m'est arrivée hier, à 10 heures et demie du soir. Je venais de me coucher. Je m'endormais. On a eu l’esprit de me réveiller. Je me suis rendormi mieux. Je viens de recevoir celle d’hier samedi. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, jeudi 17 août 1848
10 heures

Le temps est superbe. Je viens de me promener au bord de la mer. Mais vous manquez au soleil et à la mer bien plus que la mer et le soleil ne me manqueraient si vous étiez là. D’Hausonville m’écrit très triste quoique point découragé : " A l'heure qu’il est, me dit-il, le pouvoir nouveau est, vis-à-vis de la portion saine de l'Assemblée nationale à peu près dans les mêmes dispositions que l’ancienne commission exécutive. Autant que M. de Lamartine, M. Cavaignac redoute l’ancienne gauche, et comme lui il est prêt à s'allier avec les Montagnards, pour ne pas tomber dans les mains de ce qu'il appelle les Royalistes. Ce dictateur improvisé paie de mine plus que de toute autre chose, et a plus le goût que l’aptitude du pouvoir. Vienne une crise financière trop probable ou la guerre moins impossible depuis les revers des Italiens, et la république rouge n’aura pas perdu toutes ses chances. " Il veut écrire sur la politique étrangère passée. Il me dit que c’est à son excitation que son beau frère a écrit dans la revue des Deux Mondes, sur la diplomatie du gouvernement provisoire, l’article dont vous m’avez parlé. " Les documents diplomatiques insérés, dans la Revue rétrospective me serviront dit-il de point de départ pour venger, pièces en mains, cette diplomatie du gouvernement de Juillet, si étrangement défigurée. Je voudrais finir par indiquer quelle doit être dans cette crise terrible, l’attitude de ceux qui ont pensé ce que nous avons pensé, et fait ce que nous avons fait, si vous croyez utile de m'esquisser ce plan, je recevrai vos conseils avec reconnaissance et j’en ferai profiter notre pauvre parti resté, sans chef et sans boussole dans ce temps, si gros et si obscur." Ceci m'explique un peu Barante.
Évidemment l’envie de rentrer en scène vient à mes amis. J'ai aussi des nouvelles de Duchâtel, d’Écosse où il se promène charmé du pays. Je vous supprime l’Écosse. Voici ce qu’il me dit de la France : " Il me semble que, dans le peu qu’elle fait de bon, la République copie platement et gauchement la politique des premières années de la révolution de 1830." Quel spectacle donne la France.
On m’écrit de chez moi que les élections municipales ont été excellentes. Les résultats sont beaucoup meilleurs que de notre temps. Le député actuel de mon arrondissement, qui faisait toujours partie du conseil municipal n'a pas pu être élu cette fois.

Une heure
Votre lettre est venue au moment où j’allais déjeuner. J'espère que celle de demain me dira que votre frisson n’a pas continué. La phrase du National ne me paraît indiquer rien de particulier pour moi. Il insiste seulement sur le danger pour la République d’un débat qui mettra en scène le dernier ministre de la Monarchie qui n’a fait, après tout, que combattre ces mêmes auteurs de la révolution qu'on demande aujourd’hui à la république de condamner. Je comprends que ce débat, leur pèse. S'il y a un peu d’énergie dans le parti modéré, il faudra bien que le National et ses amis le subissent. Mais je doute de l’énergie. Tout le mal vient en France de la pusillanimité des honnêtes gens. S'ils osaient, deux jours seulement, parler et agir comme ils pensent, ils se délivreraient du cauchemar qui les oppresse. Mais ce cauchemar les paralyse, comme dans les mauvais rêves.
La lettre de Hügel est bien sombre, et je crois bien vraie. Je vous la rapporterai avec celle de Bulwer à moins que vous ne le vouliez plutôt. Je vois que Koenigsberg le parti unitaire a pris le dessus. Parti incapable de réussir, mais très capable d'empêcher que la réaction ne réussisse. La folie ne peut rien pour elle-même ; mais elle peut beaucoup contre le bon sens. Pour longtemps du moins. Que dites-vous du Général Cavaignac parcourant les Palais de Paris le Luxembourg, l’Élysée & pour voir comment on en peut faire des casernes et des postes militaires. On voulait nous prendre pour les forts détachés, dont le canon n'atteint pas Paris. Aujourd’hui, on met les forts détachés dans les rues. Ce qui me frappe, c’est que Cavaignac et les siens ont l’air de régler cela comme un régime permanent. C'est de l'avenir qu’ils s’occupent. Ils sont convaincus que, si on ôte au malade sa camisole de force, il jettera son médecin par la fenêtre. Et le gouvernement ne consiste plus pour eux qu’à prendre des mesures pour n'être pas jetés par la fenêtre. Adieu.
J’attendrai la lettre de demain un peu plus impatiemment. Je travaille. Que de choses je voudrais faire ! Adieu. Adieu. G.
J’avais donc bien raison hier de croire que la chance du Roi de Naples en Sicile pourrait bien valoir mieux que celle du Duc de Gènes.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, mardi 22 août 1848
10 heures

Mon instinct me répète que la publication de ce Rapport de la Commission d'enquête ouvrira le tombeau de la République. Je dis la publication bien plus que le débat, dont je n’attends pas grand chose. La République n'en mourra peut-être pas beaucoup plutôt, mais, la voyant, telle qu'elle est, on la tiendra pour morte par impossibilité de vivre. Et elle mourra infailliblement de cette conviction générale. Les commencements de scènes, de démentis d’assertions aggravantes que je vois dans le Times d’hier confirment mon instinct. Je suis frappé aussi qu’on ait renoncé dans l'Assemblée à porter, comme on l’avait annoncé, M. de Lamartine à la Présidence, en envoyant M. Marrant au Ministère de l'Intérieur. En présence du rapport, on a senti que cette apothéose du Père de la République était impossible. J’attends impatiemment mes journaux français. Je serais étonné si cette semaine ne nous ferait pas faire un pas. Vous avez surement lu le spectateur de Londres de Samedi. Evidemment l’Autriche sortira de la Lombardie, et n'en sortira pas pour Charles-Albert. L’événement me donne plus complètement raison, dans la question Italienne que je ne l’avais espéré. J’ai soutenu que les peuples d'Italie, ne devaient faire que des réformes légales, de concert avec leurs gouvernements, que ni les gouvernements ni les peuples ne devaient songer à des remaniements de territoire ; que le Pape ne devait pas se brouiller avec l’Autriche ; que toute tentative, en dehors de ces limites, échouerait. C'est dommage que ce soit souvent un grand obstacle d'avoir eu raison.
Les nouvelles d’Espagne me plaisent. Les Carlistes de plus en plus nuls, et mon ministre des finances. C'est l'union rétablie dans les Moderados et leur concours assuré à Narvaez. Il n’est pas plus question à Madrid de Bulwer et de la rupture des Rapports avec l'Angleterre, que s'il n’y avait point d'Angleterre. Nous verrons comment lord Palmerston emploiera de ce côté ses vacances.

Une heure
Très intéressante lettre. Vous ne savez pas combien j’aime votre langage si naturel, si bref, si topique. Je m'inquiète peu de votre inquiétude sur ma lettre du 16. Je veux bien que vous me montriez, mais il me convient que vous me montriez tel que je suis, pensant librement et parlant comme je pense. Sans compter que, pour plaire beaucoup, il est bon de ne pas plaire toujours, et surtout de ne jamais chercher à plaire. II y a deux choses indispensables pour être pris au sérieux par les Rois, en leur agréant, beaucoup de respect et à peu près autant d'indépendance. Je vous écrirai demain ce que vous désirez. Demain seulement parce qu'il faut que, cette fois aussi, vous envoyez la lettre même. Elle vous arrivera jeudi matin. Je vous renverrai aussi demain la lettre de Paris. Je veux la relire, et je suis écrasé ce matin de correspondance. Plus une visite aux écoles de Lowestoft qu’on me fait faire à 2 heures.
Je crains beaucoup toute démonstration légitimiste. Non seulement elle échouerait ; mais elle gâterait l'avenir en compromettant, contre toute combinaison en ce sens, beaucoup de modérés. Le nom est peut-être dans ceci, ce qu’il y a de plus embarrassant. Il ne faut pas le prononcer. Que la réserve du langage soit en accord avec l'immobilité de l’attitude. N'oubliez jamais que les péchés originels du parti légitimiste sont d'être présomptueux et frivole, gouverné par les femmes et les jeunes gens. L'émigration. Voici les nouvelles que je reçois ce matin: « J'ai vu les Montesquiou qui reviennent d'Allemagne. Ce qu’ils disent est, à tout prendre, satisfaisant quant à la santé et au bonheur domestique. La résidence est très convenable et confortable, au milieu d’une jolie ville. Mais point de jardin. Seulement une terrasse au haut de la maison, où l'on prend le thé dans les belles soirées. Les environs et les promenades charmants. Beaucoup d'affection et de respect témoigné par tout le monde. Une existence paisible retirée et raisonnable. Mais les regrets de France bien vifs. Ils déjeunent à 11 heures, dinent à 4, le thé à 8, la conversation jusqu'à 10 : " Parlons de la France. " Elle se promène beaucoup et écrit beaucoup. Elle a reçu dernièrement beaucoup de visiteurs. La Maréchale de Lobau y est à présent, et les enfants de M. Reynier. Correspondance quotidienne avec Bruxelles." Ce ne sont que des détails sentimentaux. Vous voyez par votre lettre de Paris, que Pierre d’Aremberg se vantait, et qu'on est bien loin d'avoir pris là l'initiative. Je suis bien aise que vous ayez rencontré M. de Beaumont. Sa conversation avec vous est ce que j'aurais attendu. Et votre jugement de lui excellent. Je n'irai point au-devant de lui ; mais s'il vient au devant de moi, j'accepterai sa main. Il est du nombre des hommes envers qui je deviens chaque jour, au dedans plus sévère, au dehors plus tolérant. [...]

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°11 Paris, Vendredi 11 Juin 1852
J’ai été hier soir à Passy, chez les Delessert. Point de nouvelle là, si ce n'est que Cécile de Valon se remarie ; elle épouse M. de Nadaillac. Les connaisseurs le savaient il y a longtemps.
On nous inquiète ici sur l'état intérieur de l’Autriche ; on dit que l’esprit révolution naire y est toujours très fort, et que le gouvernement reste moralement faible depuis la mort du Prince de Schwartzenberg et disposé à se conduire comme les gouvernements faibles, des concessions et des ajournements partout. Que faut-il croire de cela ?
Je suis frappé de l'échec du Cabinet Anglais à propos de la motion de M. Horsman. Vous ne l’avez peut-être pas remarqué. C’est un symptôme positif de l'accès de ferveur protestante qui va présider aux élections. Il en résultera une nouvelle décomposition des anciens partis anglais. Les Torys étaient les Protestants par de excellence ; l’esprit protestant était dans le peuple leur point d’appui contre l’esprit révolutionnaire ; ils ne peuvent plus, ou ils ne savent plus, ou ils n'osent plus s'adosser fortement à ce point d’appui-là. Ils seront sans force, dans les masses, contre les radicaux politiques. Je crois qu’il y avait moyen, pour eux, de rester énergiquement Protestants sans persécuter les catholiques. M. Pitt trouverait, ce moyen là. Mais M. Pitt est mort, décidément mort. Toutes mes craintes anglaises viennent de là.
Votre N°5 qui m’arrive à l’instant m'inquiète un peu malgré vos résolutions d'impolitesse, vous serez plus polie que vous n'êtes forte, et vous vous fatiguerez. Vous aimez les Princes, Dieu s'amuse à vous en donner plus que vous n'en pouvez porter.
J’ai rendu à M. Fould sa visite, sans le trouver aussi. Il venait de partir pour Fontainebleau, avec le président, je suppose. Ils sont toujours très bien ensemble. On parle de quelques changements ministériels, partiels et politiquement insignifiants. Le ministre de l’instruction publique, M. Fortoul serait remplacé par l’un de ses prédécesseurs. M. de Parieu. On prononce le nom de M. Nisard, homme d’esprit et de mes amis, vous savez. Il est, je crois, en bons rapports avec M. de Maupas. Je ne sais rien de plus, et je ne crois pas qu’il y ait rien de plus à s'avoir.
Nous entrons décidément dans la saison morte. Tout le monde s'en va et se tait. Il n’y a plus que les évêques qui parlent, et qui se disputent. Voilà M. l'archevêque de Rheims et M. l’évêque d'Orléans aux prises sur le Christianime ou le Paganisme des livres classiques. Et l'Univers, chassé des séminaires du diocèse d'Orléans, régnera dans ceux du diocèse de Rheims. Est-ce que nous aussi, nous échangerons les querelles politiques contre les querelles religieuses ? Adieu. Je crains bien quelque trouble dans nos lettres à l'occasion de mon départ pour le Val Richer. Mais vous y aurez pensé. j’espère. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°29 Val Richer, Jeudi 1er Juillet 1852

Mon petit homme m’a dit que vous auriez certainement Aggy . Comment ne me l’avez vous pas dit hier ? Je voudrais bien être sûr qu’il dit vrai.
On a été frappé de la majorité qui s’est prononcé, dans le corps législatif, pour l'impression du discours de Montalembert. Tout le monde dit que la session qui vient de finir ne peut pas se recommencer et que la prochaine sera différente. C’est téméraire de le dire car personne ne sait où l'on en sera à l'époque de la session prochaine, dans neuf mois ! Cependant je trouve que le message du Président, indique qu’il a lui-même le sentiment que sa machine n’a pas bien fonctionné et que la session prochaine devra en effet être différente. Il l'a dit presque ouvertement, et très convenablement, sans fanfaronnade, et sans complaisance ; il a l’instinct du ton du pouvoir. Nous verrons s’il a réellement l’instinct du pouvoir. Ce serait bien le moment.
L’Europe est évidemment dans l’une de ces époques critiques où l'habileté des gouvernants peut décider, pour un assez long temps, de l'avenir. L’esprit révolutionnaire a beau être encore très fort ; il est bien malade, car il est décrié ; il a été naguères le maître, et il n’a rien su faire, rien de bon, ce qui est fort simple mais rien non plus de hardi et de grand, même mauvais ce qui lui arrive quelquefois. Evidemment la balle revient à l’esprit de gouvernement ; saura-t-il la saisir et la manier ? Démêlera-t-il bien ce qui se peut et ce qui ne se peut pas, ce qui suffit et ce qui ne suffit pas ? C'est là l'art et le secret.
J’ai des nouvelles d'Aberdeen décidément la question religieuse dominera dans les Élections anglaises. Popery or not Popery ! Voilà le résultat de ce qu’a fait la cour de Rome en Angleterre et du coup de tête du cardinal Wiseman. Je suis et je reste protestant ; mais je ne veux point de mal à l’Eglise catholique, tout au contraire. Je suis convaincu qu’elle peut seule reprendre l'influence religieuse et relever moralement la société dans les pays qui sont restés catholiques, et qui ne se feront certainement pas protestants. Mais je crains un peu que l’Eglise catholique, n'ait perdu les qualités qui l’ont jadis distinguée et qui ont tant fait pour la force, la connaissance, des temps et la mesure. Je trouve qu’elle n’a pas l’air de comprendre du tout ce temps ci. Elle se remue beaucoup partout ; elle tracasse ici les gouvernements, là les peuples, mais ce sont de vieilles tracasseries, toujours les mêmes, et qui indiquent, dans les chefs catholiques, une grande ignorance, non seulement du temps actuel et de l’esprit des nations, mais du temps passé et de leur propre histoire. Ils se souviennent de ce qu’ils ont été ; ils ne savent plus par quelles voies ni à quel prix ils étaient devenus ce qu’ils ont été. Je serais bien fâché que l’Eglise catholique fût déchue à ce point ; le monde à besoin d'elle car elle y tient encore une place qu'aucune autre église Chrétienne ne peut prendre. Et il faut que le monde reste, ou devienne, ou redevienne chrétien.
Soyez sûre que si ces affaires là ne vous intéressent pas, vous avez tort ; ce seront certainement de grandes, et peut être les plus grandes affaires des temps qui s'approchent.

10 heures et demie
Je reçois le N°23, et les extraits qu’il contient et qui sont intéressants. Adieu, adieu. Je ne sais où vous recevrez ceci. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris dimanche le 21 octobre 1849

Brignoles, [?Loringilen], [Dalabien], Holland, le Prince Paul, [Dyng] Sandwich, les Rothschild, j’oublie le reste. Durazzo & & et Montebello, voilà hier. Ce dernier est venu au sortir de la séance, pas très content de Barrot. Tout cela est bien petit, tout le monde se sent humilié, uneasy, triste, parce qu'on ne devine pas comment sortir d'une si pauvre situation. Mais enfin voilà le défilé de Rome passé. Tous inquiets, même sur la tranquillité de Paris, pas aujourd'hui, mais personne en répond d'une semaine. Comment habiter une ville où l’on est exposé sans cesse! Je regarde, je consulte, je ne me presserai pas, mais il est impossible de s’endormir, c’est trop grand. La Turquie est mon second souci. On n’a pas l'air ici de croire que cela puisse devenir sérieux. Moi je persiste à le craindre qu'il faudra d’habileté chez nous pour rester grand en évitant la guerre. On a tout fait à Londres & à Paris pour rendre cela très difficile. Et entre le grand et la guerre soyez certain, que nous voterons pour le premier. Voici votre lettre d’hier, j'accepte tous vos conseils. Mais je ne me presserai pour rien. Je ne vais au devant de personne. J'attends les vieux, à plus forte raison j’attendrai les nouveaux. Je n'en suis d’ailleurs pas curieuse. Il n’y a qu’un homme pour lequel je ferai même des bassesses, c’est M. de Montalembert. Je me suis proposé sa connaissance depuis son discours à la chambre des Pairs. Mais il s'agit bien de connaissance. Mes meubles restent couverts, empaquetés. Je déballe à peine ma personne. Il y a un air d'insécurité intolérable. En même temps, quel air charmant en France ! Doux, chaud, brillant. Quelle pitié d’avoir à la fois tant à aimer et tant à craindre ! Rien de nouveau, pas un fait, pas une nouvelle. Pétersbourg voilà la grande affaire. Paul de Wellington compte sur notre énorme habileté, et notre grand intérêt à combattre la révolution or, avec la guerre, on y souffle. Adieu. Adieu. Adieu. Je suis très fatiguée d'âme & de corps. Mais je ne suis pas malade.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 6 Septembre 1852

J'ai manqué Fould hier, ce que je regrette. Je ne le verrai que demain, il est à sa cam pagne, certainement le Moniteur est à lui. J’avais oublié de vous dire. Il n’y a de communiqué que ce qui passe par lui. J'ai vu longuement Cowley hier. Voici ce que je relève de plus frappant de son opinion personelle " jamais un Bourbon ne pourra tenir en France. " Il regarderait donc une restauration comme devant ramener une révolution. Il est très décidé dans cette opinion. Il paraît qu’avant la conclusion de l’arrangement avec la Belgique. Les propos ici ont été très vifs jusqu'à menacer d'une invasion, aujourd’hui on se dit très content des deux côtés.
C’est Londonderry qui a eu la jarretière. Il a menacé de retirer trois voix au ministère dans la Chambre basse. On a cédé. Cela aura fort déplu à la Reine. Je doute que cela plaise au Président. Le dîner à St Cloud a commencé par un mistake. On était prié pour 5 1/2. Le Prince n’y était pas. Il se promenait à Bagatelle, il n’est rentré qu'à 6 1/2. Banischi avait fait le mépris. Le Prince s’est confondu en excuses. Il n’y avait personne Granville que Hubner, les Drouin de Luys, et une dame Rouger un peu leste. On a joué après mais pour de l’argent. Le Prince toujours très aimable puisque Hubner y était pour la princesse, Cowley aurait pu y être, ou Granville. Il n’y était pas. Hubner a dîné 3 fois depuis 3 semaines, pas un autre diplomate n’y dine.
J’ai eu hier une lettre toute d’amour de l’Impératrice elle-même. Elle m’écrit malgré ses yeux, & si tendrement ! Je ne sais rien de mon fils. Madame Kalerdgi était ici hier soir, maigrie, bien empressée pour moi, plein d’un nouveau roman allemand. Elle va en Russie dans 15 jours. Elle lève le camp à Paris, & n’y viendra plus qu'en passant. Molé avait l'air triste. J’avais assez de femmes. Il y a une grande disette d’hommes. On me conte qu'à Bade la suite du Prince s’y est rendue. Odieuse par sa jactance. Là on ne croit pas au mariage la [grande duchesse] Stéphanie serait contre ; elle veut du plus assuré pour sa petite fille. Il est question de Luitpold de Bavière qui doit être roi de Grèce. C'est Mad. Kalerdgi qui me rapporte cela, elle en vient. Voilà je crois toutes mes nouvelles.
Kolb part demain pour Bade avec les Delmas. Oliff est toujours à Trouville. Aggy s'en va après demain pour 10 jours chez les Hainguerlot. Vous voyez qu'on me délaisse. Je ne puis pas m'opposer. Adieu. Adieu.
Persigny n'a fait aucune affaire à Londres, et n’y a vu personne. Il a fait une visite de politesse à Malmesbury voilà tout. Il y était allé simplement pour amuser sa femme. Il est très amoureux d’elle. Voici quelques extraits de la lettre de l’Impératrice. Vos lettres me sont encore plus chères qu’autre fois, puisque nous nous connaissons et nous aimons encore mieux. Se revoir nous a réchauffé le cœur l'une pour l’autre. Je sais que sous la [Princesse] Lieven politique il y en a une autre qui est à moi, et à Dieu. Midi. Aggy remet son voyage à Tours jusqu'à la semaine prochaine

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 7 Novembre 1849

C’est cela. Attendre un peu. Si cela ne se fait pas tout de suite ; vous venez. Sainte-Aulaire & le duc de Noailles ont dîné chez moi hier . Tous d'eux d’avis que vous veniez. Etonnés, que vos amis vous donnent un avis contraire ; cependant je dis ainsi attendez un peu. L’empire stationne. Il n’avance que lentement. Il faut s’assurer de bien des choses avant de le tenter. A la salle des conférences on ne s’entretient que de cela les rouges disent qu’ils reste ront armés de la Constitution et monteront sur les barricades pour la défendre. Les légitimistes préfèrent l'Em pire à la présidence décénale. Ils croient que l'Empire n'aura aucune durée. Ce que vous me dites aujourd’hui sur la situation et la conduite quoique sans conclusion est plein de raison et d'esprit. J’ai passé hier soir un moment chez Mad. de Rothschild qui part ce matin pour la Silèsie. J'y ai rencontré le gouvernement Changarnier. J'ai demandé à faire la connaissance. Je puis bien faire des avances à l'homme qui me fait dormir tranquille. Son extérieur est doux et peut être fin. Tout le monde. l'adore & l’accuse. Longue entrevue hier matin avec Kisselef 1 heure 1/2 entière confiance. Nous faisons une distinction marquée entre Paris & Londres, en pleine défiance de Londres. Très bienveillant pour ici. Content de Thiers, & le lui laissant savoir. Nous remarquons que la France s’est laissé un moment dupé par l'Angleterre, qui voyant poindre de l’intimité entre Pétersbourg & Paris a voulu la détruire en mettant en avant la flotte française. Je vous ai dit qu’elle est rappelée, mais ni Kisselef ni moi ne savons encore si c’est d'avoir avec l'Angleterre. J’espère que non. Il est très possible encore que Stratford Canning empêche à Constantinople ce que nous avons réglé à Pétersbourg nous avons explicitement dit à l'Angleterre comme ici que nous ne permettons à personne de se mêler de cette affaire. Je suis fort contente de tout ce que j’ai vu. L’Empereur est exaspéré des exécution en Hongrie. Ceci me revient par Londres. Aberdeen m'écrit que la presse anglaise revient à Palmerston, Morning Chronicle, même le Times. C'est bien dommage. Sainte-Aulaire m’a dit hier que les nouvelles d'Espagne étaient mauvaises. Narvaez succombera La petite reine joue son jeu, contre son mari, contre sa mère, contre son Ministre. Une perfidie sans exemple. Il me semble que je vous ai tout dit, les Normanby en grandes recherches pour moi. Mon quotidien est toujours Montebello. Excellent honneur et fort intelligent. J’ai vu Jaubert, qui est plein de dévouement, de respect pour vous. Et ce bon Thom à Paris pour quelques jours, qui veut que je vous dise son profond souvenir de vos bontés. Mad. de la Redorte me demande ainsi de vos nouvelles & Flavigny beau coup que j’ai rencontré chez Mad. Rothschild hier. Adieu. Adieu. Adieu.
Le duc de Noailles est pressé, pressant pour la fusion. sans elle on périt ; avec elle on est sauvé. Je vous redis. Il est fort éloquent sur ce point. M. de Saint Aignan est revenu de Clarmont porteur d'un blâme sévère du Roi de l’abstention. Il fallait voter pour la proposition. Le chagrin là est extrême. Ils voulaient tous revenir.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 3 Novembre 1849 Samedi

La situation est des plus tendues des plus extraordinaires. J’ai vu hier Berryer, après le dîner. Il se rendait à la réunion du soir où l’on devait décider de la conduite à tenir, il est sombre, il n’est pas désespéré, mais il n’entrevoit pas comment on pourra sortir de ce chaos au milieu de tant de prétentions vivantes. Voilà pour l’ensemble quant au moment actuel Dieu sait ce qu’on aura décidé hier. Les intrigues de la semaine ont été énormes. On se plaint beaucoup de Molé. Un très bon conservateur disait hier. " M. Molé est toujours, en toutes circonstances, avec tout le monde en trahison, on ne peut pas croire à lui un instant. " M. Molé est dans le dépit le plus grand contre le président qui l’a joué. Thiers n’est pas allé hier à la réunion des 10 chez Molé. Il y manquait aussi Berryer & Vatimeuil. Sur les 7, quatre ont voulu qu’on parle, et 3 qu'on se taise à la séance. On avait préparé quelque chose s'il y avait eu lieu. Mais le programme n’y a pas donné lieu. Accueilli avec le plus grand silence. Broglie est d’avis qu’on ne fasse aucune opposition, mais que personne en mette plus les Jeudi chez le président à ses réceptions. Marquer de la froideur & du mécontentement. Avant aucun accord même cela s’est déjà fait ainsi jeudi à la soirée. Il y avait la diplomatie, grand nombre de militaires, point de députés. Hier on a fait entrer de la troupe de plus à Paris. Tout le monde disait hier que dans le petit public, la masse, le message du président avait le plus grand succès. Je sais que hier devait se tenir une réunion des partisans personnels du président, Moskova, Victor Hugo & & qui cherchent à en attirer d’autres parmi les rangs des conservateurs. Le coup d’état est regardé comme infaillible. Les affidés disent : " Nous sommes en marche." Berryer en disait : dans les faubourgs il pourra se trouver 40 m. personnes. criant vive l’empereur. Alors il pourrait s’en trouver 60 m aussi qui crieraient vive la république socialiste. On verra alors. Il y aura lutte certainement. Que faire je parle de moi maintenant certainement à supposer même que l’armée reste très bonne. (Changarnier ne ferait pas comme au 13 juin. Il laisserait faire un peu pour pouvoir réprimer. Réprimer c'est batailler. Vous savez si j’aime les batailles. Tout le monde y compte & reste. On est aguerri ici. Mais moi qui n’ai aucun appui auprès de moi, comment me risquer dans la bagarre. Tout cela est bien triste. Je ne puis pas vous dire tout ce que je vois de monde. Depuis 3 1/2 jusqu'à 9 du soir jamais un moment seule, que l’intervalle très court des dîners. Kisselef vient sans cesse, impossible de causer. Je le ferai dîner avec moi. pour avoir enfin le tête-à tête. Il a reçu un courrier, il a des communications importantes à faire. Il ne sait à qui parler. Il est allé hier chez Hautpoul, pas reçu. Berryer est plein de sens. Au fond sa conversation est celle qui m’a le plus convenu d'entre toutes les autres, vous verrez, car vous le verrez. Il m’a parlé de vous, mais pas autrement que pour me dire que lui dans le temps, avait voté pour qu'on soutint votre élection. La princesse de Joinville est accouchée avant terme d'un enfant mort. Elle a été à la mort elle même. Selon les nouvelles d'hier elle allait mieux. Quelle tour de Babel que ce Paris. Je me trompe. Tout ce que je vois est d'un seul et même avis au fond, mais que faire, & quoi au bout ? Adieu. Adieu. Adieu.
Personne ne sait ce que veut Changarnier, au fond il est impénétrable. Flahaut est ahuri. Lui, approuve le message et s’étonne de la majorité Il dînera chez le Président mais il ne veut pas se montrer à ses soirées. Il repart jeudi pour Londres.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond dimanche le 19 août. 1849

J’ai dîné hier chez lord Beauvale avec les Palmerston. Nous faisons très bon ménage. Tout-à-fait de l’intimité sans beaucoup de sincérité, mais cela en a presque l'air.
Il n’avait pas de nouvelles hier seulement il croit savoir que le voyage de Schwarzenberg à Varsovie avait pour objet de se plaindre des lenteurs du Maréchal Paskowitz. Celui-ci se plaint à son tour que le gouvernement autrichien ne donne pas à manger à notre armée. Ce qu’il y a de vrai c’est que selon les lettres de Constantin on est mécontent chez nous du Maréchal, on dit que cela traîne, que nous laissons échapper l’ennemi quand tout ne va pas bien il y a toujours quelqu’un qu'on en amuse. En Transylvanie cela va mieux. [Bem] a été parfaite ment battu, c’est littéralement vrai, car outre que nous avons détruit un corps de 6000 hommes. Voici ce qui est arrivé. La calèche de [Bem] tombe en notre pouvoir on y trouve deux hommes. Le plus grand on le tue, l’autre était petit et si laid, qu'on se met à le fouetter, et lui, si agile qu'il parvient à s’évader au milieu des coups. C'était [Bem]. Constantin a lu avec Schwarzenberg les papiers trouvés dans cette calèche. C’était la correspondance de [Bem] avec Kossuth, très curieuse, & bonne à connaître. Constantin me dit que Lamoricière a été bien reçu mais il me dit cela froidement on l’a fait assister à un exercice de cavalerie, et il a dit qu’il n’avait jamais rêvé à une pareille merveille. Bon courtisan. Lord P. m’a dit que l’Autriche et la Russie seraient très empressées et très charmés de reconnaître l’Empire français. Il faut d'abord le faire.

4 heures
Longue visite de Lady Palmerston et curieuse conversation. Elle est venue pour me démontrer combien son mari avait raison en toutes choses, en dépit de ce que, public européen, public anglais, la presse toute entière, les collègues. même, la cour, étaient contre lui Curieux aveu. Alors sont venus les détails il est très autrichien & & très conservateur partout & & - C'est donc un homme bien calomnieux. - C’est cela. Horriblement calomnieux. Mais enfin après tout ce que je vous ai expliqué n’est-ce pas que j’ai fait quelque impression sur vous ? - Certainement vous m'avez convaincue que vous croyez très sincèrement à tout ce que vous me dites. - Mais ce que je vous dis est la vérité. - Je veux bien le croire, mais prenez de la peine pour détruire tout ce qu’on croit de contraire. Votre mari est puissant, puissant en actions, en paroles, en écriture. Et bien que tout ce qui vient de lui action, parole tout porte le cachet de ce que vous dites. On ne demande pas mieux que de voir lord Palmerston dans la bonne voie mais il faut le voir pour le croire, & aujourd’hui je vous déclare qu’on ne le croit pas & Voilà pour l'ensemble ; dans le détail ; - On accuse mon mari d'être personnel ? Personne n’est moins cela que lui. Il aime tout le monde, Il aimait beaucoup M. Guizot. (Comment voulez-vous ne pas rire ?) Enfin j’ai ri, j'ai écouté, je n’ai voulu ni disputer, ni discuter. Je me suis amusée, et je vous amuse. Au milieu de tous les bons principes, elle est convenue avec beaucoup de plaisir même que lord Palmerston était le roi des radicaux. Enfin c'était très drôle, et cela a duré une heure & demi.
Je rentre d'un luncheon chez la duchesse de Cambridge où j’ai trouvé Madame Rossy (?) La duchesse a rencontré avant hier la duchesse d’Orléans chez la reine douairière. Elle ne lui a pas plu du tout, Elle a surtout éte désappointée dans sa tournure. Elle ne lui trouve pas l’air grande dame, & elle lui a paru très laide. Elle a dit deux choses désobligeantes à sa fille la grande duchesse de Meklembourg. Manque de tout plutôt qu’intention, je suppose. Car alors ce serait grossier. La Reine douairière n’a pas longtemps à vivre.
Lundi 11 heures
Hier encore dîner chez Lord Beauvale avec les Palmerston point de nouvelle de la causerie rétrospective. Toujours énorme désir de voir en France une autre forme de gouvernement, et ferme conviction que cela doit arriver. J’ai vu hier matin lord John Russell un moment très occupé, il est parti ce matin pour rejoindre la reine en Ecosse. Mad de Caraman est [?] installée au Star & Garter. Elle veut absolument faire mon portrait, c’est bon s'il pleut, et une séance plus, pas possible. Van de Weyer est revenu hier de Bruxelles, il est mon voisin aussi à la porte du parc. Cela sera une ressource j'en ai beaucoup cet été. Encore interrompue par lady Palmerston. Mais c’est fini. Ils retournent à Londres aujourd’hui pour dîner chez C. Fox avec l’ambassadeur de France. Grande satisfaction de n'être mêlé en rien dans l’affaire de de Rome, en rien dans l’affaire de La Hongrie toutes les deux détestables et dont on ne peut pas comprendre le dénouement. Van de Weyer rapporte de Bruxelles la conviction que la France aura l’Empire Léopold, glorieux, heureux, fort aimé. On va lui offrir une couronne civique. Voici la poste. Votre lettre, une de Duchâtel, intéressante avec rien de nouveau cependant grande tranquillité. De la division et beaucoup dans le camps modéré. Thiers en grand discrédit. Molé un peu aussi. Il n'y a qu'un seul homme dont on attende quelque chose c'est Changarnier lui-même Duchâtel a été parfaitement traité à la douane. Du respect, de l’empressement Adieu, Adieu voici l'heure de fermer ma lettre et puis ma promenade. Vous avez là une grosse lettre. Adieu. Adieu. Je répondrai à la vôtre tantôt. God bless you dearest.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 17 août 1848

Une charmante lettre. Celle d'hier si charmante et élevée que je veux l'envoyer demain à l’Impératrice, telle quelle, par courrier. C'est le jeune Stakelberg qui est à Paris, & voici l’histoire. Il a été l’automne dernier à Alger. Il a fait un rapport qui a fort intéressé chez nous à la suite de cela on l’a nommé agent militaire à Paris, avant la révolution, ainsi auprès de vous. Quinze jours après, arrive la République, il n’a pas été révoqué, & réside maintenant à Paris dans cette capacité. Voici maintenant l’histoire de Kisseleff. Il a reçu l’ordre formel de quitter lui et toute l’ambassade. Il ne devait plus rester à Paris que Speis le consul général & Tolstoy qu’on attachait pour la forme au Consulat. Cet ordre de départ était signé par l’Empereur lui même il portait la date du 10 Mars. A l’époque où il parvient à Kisseleff, les révolutions de Vienne & de Berlin avaient eu lieu, & changeaient visiblement notre situation, puisqu'au lieu de nous tenir serrés avec nos alliés Autriche & Prusse comme nous le voulions & le désirions, nous restions absolument seuls. Kisseleff a représenté que, selon lui, cela modifiait tellement notre situation, qu'il regardait comme un devoir d’attendre, d’autant plus qu’entre les préparatifs de départ, les soucis à donner aux Russes, le bon effet que pourrait avoir encore sa première pour empêcher une trop vive explosion pour la Pologne. Il devait s’écouler peut- être 18 ou 20 jours. Que de nouveaux ordres pourraient lui arriver en conséquences de ces observations et qu’il attendrait jusqu'à une certaine date. Coup pour coup, il reçoit approbations de sa conduite & l’ordre de rester comme par le passé, mais en se dépouillant de son titre. Tout ceci m’a été conté hier par Tolstoy c’est fort bien expliqué et nous avons eu raison, & Kisseleff avait eu du courage. Tolstoy dit comme tout le monde qu'on veut la monarchie qu’on déteste la république. Mais voici la drôlerie, il y a une république et pas de républicains et on veut une monarchie seulement il manque un roi. Où le prendre ? Personne ne le dit.
Combien de choses nous aurions à nous dire ! J'ai un chagrin aujourd’hui. La Revue rétrospective nomme l’affaire de Mad. Danicau Philidor. Le nom y est. Evidemment on tient davantage car voici un renvoi.

Cette note si elle est étrangère à l’affaire, Petit ne l’est pas comme on le verra par son post-scriptum au trafic de places, et prouve que sous ce rapport il y avait résistance de la part de M. Lacave Laplagne à laisser faire de M. Guizot.

Adieu. Adieu.
Le temps ne s’arrange pas. Il est atroce, on a bien de la peine à ne pas être malade. Quand vous vous promenez prenez garde à la marée, ne vous laissez pas surprendre pas elle. J'ai peur de tout quand vous n'êtes pas sous mes yeux. Hier Lord Palmerston a donné à dîner à M. Beaumont. Les convives les Granville, les Shelburn, les Holland, les Janlyce, Henry Granville very well, mais dans tout cela le maitre de la maison aura manqué car à la longueur de la séance hier il est impossible qu'il ait dîné. Je n’ai pas lu encore la discussion. On la dit très curieuse. Je ne sais pas d’une manière positive si Naples a fait faire une déclaration. Mais ce que je sais pour sûr c’est qu’on a conseillé au roi de tenter l’expédition pour mettre la flotte Anglaise au défi de s'y opposer. A propos de Kisseleff, j'oubliais de vous dire que Normanby l'a mis en contact avec Cavaignac, & qu'il va quelques fois chez lui. Toujours très bien reçu ; mais privatly.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond jeudi 23 août 1849

Quelle grande nouvelle ! Et comme je suis contente & fière. Convenez que nous avons bon air. Tout Richmond était en l'air hier, et radieux. La duchesse de Cambridge est accourue chez moi des plus joyeuses. Lady John Russell l’était fort peu. Elle a même très sincèrement avoué son regret. Et puis elle m’a dit " au moins nous ne nous sommes pas mêlés de ceci. " C’est tout juste pourquoi cela si bien été, et fini si vite. Elle n’a pas répliqué, je ne finirais pas si je vous disais tout ce que je vois au bout de cela. Et pour comment je suis persuadée que cela fait plaisir à l’Elysée, et aux bien pensants dans votre gouvernement. Vous verrez les fonds se relever partout. Ce qui remet sur jambes, un grand gouvernement donne de bonnes jambes à tous les autres. Dans tous les coins de l’Europe on se ressentira des coups que nous avons porter à la révolution. Melbourne est fou de joie. Quel dommage que les Palmerston ne soient pas ici, qui John soit en Ecosse !
Ma journée s’est dépensée hier comme toutes les autres en promenades visites, reçues, rendues, & jaserie, mais quelle charmante jaserie. Le cœur si content, c’est-à- dire, l’esprit content, car pour le cœur, il faut autre chose. Voici votre lettre. Ma question sur la sécurité à Paris ne porte que sur la rue. Peu m’importe le reste. Vous dites que la rue sera tranquille cela me suffit. J'aurais mieux aimé Boileau aîné que cadet. Quelle idée de se promener en Amérique ? Adieu. Adieu. Adieu. Oui il y a bien longtemps que nous nous disons adieu de si loin. Quand, quand, viendra le bonjour. Adieu. Adieu.

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Richmond Mardi le 22 août 1848
Onze heures

Le temps est si mauvais que je veux, en fait de promenade, aller chercher des nouvelles en ville. J’y fermerai ma lettre. J’ai rencontré hier soir chez une dame du voisinage ici M. Koller le chargé d’affaires d’Autriche. (Vous savez que Dutrichstein est parti.) Il attend. M. d’Andriani délégué de Francfort. Ce devait être Lichnowsky, c’est changé. Ce d’Andriani a passé par Bruxelles où il avait une mission pour Léopold. L'Autriche conservera en tout cas un ambassadeur ici et aux autres cours. La réception de l’Empereur à Vienne a été admirable, touchante. Les victoires de Radski n’y ont pas été célébrées avec la même unanimité. La révolution craint qu’il ne vienne faire la police de Vienne. Rien sur la médiation, naturelle ment Koller n'en parle pas. Il me parait être un homme d’esprit. Beaumont a fait visite à Brünow sans le trouver, il a remis sa carte. Brünow lui a rendu visite de la même façon. Beaumont n’a pas fait visite à Koller. Koller parle bien mal de Palmerston surtout sur les affaires de Sicile. Il n’y a cependant rien de clair là encore.
Quant à la protestation du Gouvernement Sarde contre l’armistice, c’est du Humberg des grands airs, qui n’empêchent pas les conditions de l’armistice d’être observées. En général on parle assez mal de Charles-Albert. Trahison. Le National a inséré une longue lettre de la Princesse Belgiojoso expliquant que Milan a été trahie, abandonnée. Quelle est votre opinion des pièces sur l’enquête ? Cela me parait compromettre beaucoup ou un peu tout le monde. Quel gâchis ! Je vous dis adieu ici, pour le cas où je n'aie rien à ajouter en ville. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 25 septembre 1849

Lord John a été frappé de la lettre de l'Empereur au comte Nesselrode. C’est au Manifeste. Il y a de l’intention dans chaque ligne pas mal d'orgueil. L'avez-vous lu avec attention ? le 26. jeudi Le feuilleton des Débats de Samedi est très remarquable. Des choses très frappantes, seulement la dernière scène n’est pas exacte. Le roi ne gouvernait plus alors ; C'était la princesse de Montpensier Emile Girardin & &. Du reste vraiment c'est un article très curieux & très bien fait. Le roi & la Reine se promenaient hier à pied dans le parc ils viennent en [raiment], mais toujours à l’heure où je suis rentrée, de sorte que je ne les rencontre pas. J’ai vu hier matin Van de Weyer & Flahaut. Celui-ci arrive d'Ecosse. Il restera probablement une quinzaine de jours à Richmond. Sombre sur Paris, sur la France. Renvoyez-moi je vous prie la dernière lettre de Beauvale celle sur vos affaires. Elle m’a tant plus que je veux la garder, tant de good sens. Les Metternich sont décidés pour Bruxelles. Je ne sais si cela plait tout-à-fait au roi Léopold. Je suis bien contrarié de ne plus recevoir vos lettres que tard, je ne puis pas y répondre. J’appends que mon fidèle correspondant que lord Palmerston est bien aigre contre lord Grey & contre lord John à propos de l’affaire de Malte. J’apprends aussi que lord Palmerston est en grande espérance d'une révolution en Grèce, et qu'il s’en mêle. Voilà tous mes commérages pour aujourd’hui. Adieu. Adieu Pauvre lettre Adieu.

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Richmond le 3 octobre 1849

J'ai revu hier le Prince Metternich dans un grand moment sa vieille expérience est bonne à consulter, & dans ces cas-là aussi il dit les choses plus courtement décidément, il trouve la démarche de l’Empereur regrettable il s’étonne, et il croit que Nesselrode n'aura pas pu empêcher. Cependant remarquez que nous ne sommes pas divisés sur les termes même de la demande. Nous raisonnons sur les journaux, selon les autres nous aurions insisté sur l’extradition absolue. Après cela Strafford Canning au lieu d’adoucir & de concilier aura certainement attisé le feu. Sa vieille rancœur contre nous a rencontré sa satisfaction. Metternich doute encore que guerre s'en suive. Il doute : même il est sûr que nous n'irons pas à la destruction de l’Empire ottoman. Nous n’avons pas été chercher un prétexte. C'est la Révolution, les Révolutionnaires que nous poursuivons. Cependant l’Empereur ne reculera pas, ce qu’il a dit à Constantinople, il le fera. Reste à savoir exactement ce qu'il a dit. L’opinion en Angleterre est très vive contre nous. Le Cabinet s’est réuni hier sur cette affaire. Malheureusement Lord John ne revient ici que Lundi, mais j'espère avoir quelques petits avis d’ailleurs vous comprenez que cette affaire me préoccupe beaucoup, beaucoup quelle bombe ! Que pensez-vous que fera votre gouvernement fera-t-il tout ce que voudra l'Angleterre ? Le mauvais côté de ceci est, du triomphe pour Lors Palmerston, & un intérêt très grand qui va s'attacher à tous ses mauvais sujets meneurs de révolution. Sous ce double. rapport Metternich est bien fâché de l’incident. Flahaut est ici malade. Morny se prolonge aussi. Affaires, Affaires. Il ne songe pas à l'Assemblée. J’espère que mon portrait vous aura amusé ? Mon fils de Naples m'écrit que la lettre du Président a fait un effet fâcheux. Il est douteux que le Pape aille à Loretto. Rien n’est décidé sur ses mouvements futurs.

1. Voici des nouvelles de mon correspondant. Tout ce que disent les journaux est vrai. Notre langage péremptoire, absolu. Nous les redemanderons. L'Autriche demande seulement qu'on les retire de la frontière, mais la Turquie ayant consulté Canning, il a poussé à la résistance, il a envoyé chercher la flotte. Il a fort compromis son gouvernement. Å Paris on est very hot. Le Président de mande à l'Angleterre de soutenir la France pour appuyer la Turquie. Cavaignac tient le même langage. Enfin, tout cela est bien mauvais. Dites-moi ce que vous apprendrez. Adieu, adieu. La vraisemblance était qu'au conseil hier tout le monde aura été Turc.

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Richmond Mercredi 26 septembre 1849

Vous voilà donc écrivant toujours vous fatigant la tête. Pourquoi ? [Vain est] bien la peine de parler raison à des gens qui ne savent pas la comprendre. Dire des vérités mais de quoi cela sert il ? Si non à augmenter le paquet assez gros d’ennemi que vous avez déjà. Moi je vous voudrais tranquille, reprenant tranquillement une douce vie à Paris. Ceci ne vous la rendra pas plus facile qui sait si cela ne vous empêchera pas d'y venir ? Vous aurez fait de la belle. besogne. Dormez. Mangez, pas trop, menez une vie paisible, ne vous tracassez pas. Laissez aller le monde comme il lui plait d’aller. Vous ne le reformerez pas. Il y aurait trop de vanité à croire que vous le pouvez. Les Français sont incorrigibles, vous ne les corrigerez pas. Mais je veux que vous vous portiez bien, et que nous causions tranquillement des misères de ce monde, de ses drôleries aussi, car il est drôle. N'êtes-vous pas un peu philosophe aussi ? On le porte mieux à ce métier. ces deux pages sont le produit de votre lettre. Je parlerai [?] cela bien mieux que je ne puis vous écrire. I do my best.
Jeudi 27 septembre Voici une lettre. Assez curieuse, vous me la renverrez. Flahaut est venu jaser hier. Trois heures de séance, très bonne conversation. Beaucoup de good sense. Deux idées favorites absolues : l’Empire, et l'abolition de la liberté de la presse. Sans elle on ne sortira jamais des Révolutions. De quoi servent des lois restrictives ? On publie journellement des horreurs. Si cela continue, le monde croulera, la société s’entend pour cela je le crois. Flahaut a parlé à lord John un langage bien France sur lord Palmerston. Il est impossible de dire plus & plus fort. Il écoute, il sourit el va à Woburne pour 10 jours. Je le reverrai encore à son retour. Evidement les Metternich tout bien de quitter l'Angleterre. Elle ne se possède plus. Son langage est si violent qu'elle pourrait bien s’attirer des désagréments ici. On peut bien haïr & nuire mais avec plus de convenance M. Guenau de Mussy vient me voir quelques fois. Hélas il est prié par le roi. Il reste attaché à sa maison. 20 m. Francs par an, & les pratiques qu’il pourra se procurer à Londres. Je regrette fort qu’il ne vienne pas à Paris. J'aurais en lui pleine confiance. Imagines que lord John Russell & M. Drouyn de Lhuys ne se connaissaient pas. Ils se sont vus une fois à la chambre des communes. Voilà tout. John a porté sa carte, l’Ambassadeur l'a rendue, & c’est fini. C’est incroyable. Certainement le tort est à l’Ambassadeur. C'est à lui à rechercher le premier ministre. Adieu, car je n’espère pas votre lettre. Je vais me plaindre à lord Clauricarde. Adieu. Adieu.

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Richmond le 30 août 1848,

Reconnaissez-vous cette date ? Toujours nous sommes séparés ce jour-là, Et toujours par votre faute. Enfin vous revenez après demain, & cela me fait tout pardonner. Neumann m'a fait une longue visite hier. Italie & Autriche pas d'autre conversation sur la médiation. Il ne comprend aucune des trois alternatives. Si on fait de Milan un duché séparé, fut [?] un archiduc, c'est un second Cracovie. Un foyer d’insurrection où se donnent rendez-vous tous les révolutionnaires de l'Europe. Polonais & & Le donner à la Toscane ? Cela n'a pas de sens, il n’y a pas contiguïté. Modène et Parme sont là debout et veulent le rester. Et la Sardaigne ? C'est une monstruosité. Jamais l'Allemagne & l’Autriche n'y consentiront. En définitive Milan doit rester à l’Autriche. Neumann arrive d’Autriche et vient de causer avec Wessenberg à Francfort. A Vienne situation déplorable. L’Empereur est revenu trop tôt. Il devait rentrer avec Radsky et 30 mille hommes. Il n’y a que cela pour faire tout rentrer dans l’ordre. A Vienne comme à Paris, gouvernement militaire. Il faut y arriver! Le Ministère Autrichien pitoyable, tous des gens qu'on peut payer, il n'en excepte pas même Wessenberg. Cela me parait trop fort.
Lutterotte écrit à Montebello que toute l’affaire à Paris a été une comédie, tous les rôles étaient appris. Cela n’a pas grand air et cela fera du tort à la réputation & rigide droiture de Cavaignac. Le fait est qu’il est gouverné par la coterie du National, & il subira ce joug jusqu’au bout. J’attends votre lettre après quoi j’irai peut être à Londres for a change, et pour quelques emplettes. L'opéra italien rouvre à Paris le 3 octobre. J’ai bien envie de reprendre ma loge pour ne pas perdre mon droit. Je la sous-louerai. L'idée de renoncer là à ce que j'y ai eu m’est insupportable. Quant à mon appartement nous en causerons. Vous ai-je dit que Lutterotte croit qu'on le donnera pour 800 francs ?

Midi.
Voici votre lettre comme vous jugez bien ce qui s’est passé à Paris ! C’est merveilleux. Adieu. Adieu. Dernière lettre à Lowestoft. Vous trouverez la suivante à Brompton. Si vous pouviez encore me dire que vous irez surement par Putney, j’irais vous chercher moi-même au port de Putney samedi, c'est une promenade. Je serai là à 4 h. 1/2. Vous savez que je suis exacte.
Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 6 octobre 1849

Beauvale ne croit pas que les hostilités puissent commencer cet hiver. C’est vrai. La différence est grande. On négocierait donc mais qui serait le négociateur. L'habile, l'heureux, le modéré, le conciliant Palmerston ! Metternich est convaincu que tout ceci est ourdi par lui. Que prévoyant le cas, tout était combiné d'avance avec la poste. Metternich a déroulé cela longuement mais très plausiblement rappelez-vous aussi ce que je vous ai dit du travail récent de Palmerston pour renverser la monarchie en Grèce. Du plaisir avoué que cette idée lui causait. Voici votre lettre. Hier j’en ai eu deux. Voici aussi Aberdeen en grand regret de la démarche de l’Empereur, une grande inquiétude de la manière dont on va mener cela ici. Déplorant, curieux enfin tout le monde est troublé. Les fonds pas beaucoup. Morny est venu me prendre mon temps. Il est très sensé, il ne comprend pas pourquoi la France est si pressée de se mettre à la guerre de l'Angleterre. Il a écrit sur ce ton au Président il croit que l’intérêt de la France est de rester bien avec nous. Ah que cette affaire me trouble & m'inquiète, c’est plus gros que tout. Cela peut s'éclaircir, mais cela peut aussi devenir la fin du Monde. Car ce serait la guerre partout, plus la révolution partout. Adieu. Adieu. Voici une nouvelle lettre intéressante. Renvoyez-la moi.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond Samedi le 23 Septembre 1848
Onze heures

J’ai vu Koller hier soir. L’Autriche est bien décidé à garder Lombardie, Venise, enfin tout ce qui est à elle. On a accepté la médiation du bout des lèvres. On traitera peut-être du sort de Modène et Parme. On parlera d’institutions à donner aux Lombards voilà à quoi se bornera le congrès. Autriche, France Angleterre, Piémont. Palmerston reçoit tout les envoyés d’Istrie, de Venise de partout, il les écoute, il discute. Et puis il dit à Koller, qu'il pourrait voter à la main, prôner qu'on a le droit d’intervenir entre l’Autriche & tout ce monde-là. Blaguerie, car il ne songe pas à s’armer de votes pas plus que de canon.
Koller craint que nous verrons encore du pire en Allemagne. Francfort n’est pas fini. Quelle horreur que la mort de ce pauvre Lichnowsky ! à Berlin certainement il y aura une crise violente tout à l’heure. Et Paris, comment échapper à du très gros aussi. Je trouve que partout on est trop porté à dire et à laisser la révolution s'user. Si la troupe y passe, tout est perdu, et en temporisant ou s'expose à cette chance. à Berlin, à Paris le soldat commence à être ébranlé. Comment perdre du temps alors ? Voilà mes réflexions sagaces. Peel est délivré du plus ardent de ses ennemis. Adieu. Adieu, à demain, mais là, la causerie va mal. C’est égal, il faut y venir. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond vendredi 10 août 1849
Onze heure

Flahaut est venu passer quelques jours à Richmond, il est venu me voir hier matin triste aussi sur la France mais beaucoup plus noir qu’il ne faut. Il est ridicule de dire que c'est un pays perdu, une nation pourrie. Une grande nation, un grand pays savent toujours se relever. Il attend Morny en Écosse après la prorogation. Je le verrai sans doute ici puisque l'une des petites Flahaut y reste. Flahaut a fait visite à Claremont. La conversation s’est engagée sur la Hongrie. La Duchesse d’Orléans espérant bien qu’on ferait grâce à un Bathiany à un Caroby, Flahaut espérant bien qu’ils seraient pendus. La duchesse d’Orléans parlant de nationalité, de leurs droits ; Flahaut décidant que ce ne sont que des révolutionnaires et des rebelles. Enfin la conversation s'est échauffée au point que Flahaut a dit : " Pour moi, j'ai une telle horreur de tout ce qui sent une révolution que je demande pardon à Dieu tous les jours de m'être réjoui de la révolution de juillet. " Grand silence que le roi a rompu en disant : " vous savez bien que ce n’est pas moi qui l'ai faite. " La Duchesse d’Orléans parle de rester jusqu’à la fin du mois.
Grand orage hier qui a un peu rafraîchi l'air, ce qui était nécessaire. J’ai manqué John Russell qui était venu me voir. Beauvale comme de coutume, Lady Alice, les Delmas. Pas de nouvelles. Le cholera continue à Londres. Hier 110 morts. On ne me parle pas de celui de Richmond, & je n'interroge pas. Flahaut m’a interrompue ; il croit qu'il se passera quelque chose à Rouen ou au Havre. Va pour quelque chose. Voici votre lettre d’avant hier. Bonne. Restez comme vous êtes à l’écart, tranquille. Cela a très bon air. Profit tout clair. Soyez en sûr. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond vendredi 24 août 1849

Une longue lettre de Constantin du 20 de Berlin. Intéressante racontant Varsovie au moment où les bonnes nouvelles y sont arrivées. D’abord, rapport de Leeds, destruction & dispersion, du corps de Bem le 10. Une heure après courrier de Paskevitch annonçant la soumission de Georgy et la fin de la lutte L'Empereur était dans son cabinet avec quelques intimes il s’est jeté à genoux remerciant Dieu de sis faveurs. Et puis il envoie son fils aîné à l’Empereur d’Autriche pour le féliciter de la soumission de la Hongrie ne voulant confier cette mission délicate qu'à ce jeune prince qui certainement la remplira avec toute convenance ! Un autre Russe aurait laissé percer de la hauteur. Et puis courrier à Pétersbourg, à Moscou, annonçant la fin de la guerre. Constantin à Berlin mission de Convenance. Très bien reçu par le roi, grand dîner à la cour. Le roi portant au bruit des fanfares la santé des braves soldats russes leur souhaitant victoire toujours. Constantin ajoute mais modestement que le roi a porté sa santé à lui aussi. Il repartait le 22 pour Varsovie. Il restera auprès de l'Empereur jusqu’au départ de celui ci pour Pétersbourg. Dans 4 semaines toutes nos troupes seront sorties de Hongrie. J’espère que tout cela a bonne mine ! Les Hongrois se sont souciés absolument uniquement à mon Empereur. La nouvelle de ces grands événements est arrivée à Vienne le 18 anniversaire de la naissance du jeune Empereur et au moment du Te Deum à St Etienne pour cette solennité. Cela a fait une sensation immense. On y a vu un heureux augure pour son règne. Lui-même était allé à Ishel passer 8 jours auprès de sa mère. C'est là que mon grand duc sera allé le chercher. Van de Weyer est venu me voir hier. Tout-à-fait convaincu de l’Empire, ou du moins persuadé que le Président en est convaincu en grande gloire de son propre roi. Lady Palmerston a annoncé il y a quinze jours que tant qu’elle restera à Londres, elle recevra le corps diplomatique tous les Mercredi avant hier jour de l’arrivée de la grande nouvelle elle écrit à Koller pour le prier de prévenir l’ambassade d'Autriche que ce jour-là elle ne peut pas recevoir concevez-vous quelque chose de plus bête. Melbourne enrage Lord Westmorland est arrivé hier. Je le verrai. Ils viennent demain pour quelques jours au Star & Garter.

1 heure.
Pas de lettre ! Voici la première fois que cela m’arrive. J’en suis pétrifiée. Qu’est-ce que cela veut dire ? Je vous en prie, donnez-moi ma lettre aujourd'hui car je ne pourrai pas achever ma journée, si je ne l’ai pas reçue. Je ne puis rien vous dire de plus, car je ne pense qu’à votre lettre. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, Mardi 27 août 1850.

Est-ce que vous vous sentez plus fatiguée que de coutume ? Vous me parlez de votre besoin de repos en personne vraiment fatiguée. Vous renoncez à passer par Baden qui vous amuserait. Cela me préoccupe. Donnez moi quelques détails. Les eaux fatiguent quelque temps, même quand elles font du bien. Tout le monde le dit. Il me semble que Schlangenbad vous a moins réussi qu’Ems. Je sais gré à Fleischmann d'être venu vous y voir. Il aura un peu rompu votre solitude. Et je suis sûr qu’il ne vous aura pas rendue germaine unitaire. Cette question Allemande me déplait parce que je n'y vois pas clair. J’ai un instinct plutôt qu'un avis. Mais un instinct ne satisfait pas. Je ne veux pas de ce qu’on veut faire, et j’entrevois qu’il y a quelque chose à faire. Cette passion d’unité qui tient tant d'Allemands ne doit pas être uniquement l’ambition Prussienne ou la folie révolutionnaire. Il y a probablement là dessous quelque chose de sérieux et de nécessaire. Comment s'y prendre pour reconstituer la confédération germanique et la diète de Francfort d'une façon qui donne satisfaction à ce qui n’est ni révolution, ni bouleversement territorial ? Ou bien serait-ce là un but chimérique ? Et l'Allemagne, en serait-elle venue à l'une de ces époques où les gens sensés comme les fous, les honnêtes gens comme les coquins, sciemment ou aveuglément, veulent absolument refondre toutes choses et se lancent au hasard dans les nouveautés, n'importe à quel prix. La France en était là en 1789. J’ai peur que l'Allemagne n’y soit à son tour, si cela est, la guerre européenne est infaillible, et nos 34 ans de bon gouvernement et de paix n'auront été qu’une oasis dans le désert, une halte dans le chaos.
Je conjecture et je spécule comme si nous causions. J'ai peur aussi que M. de Nesselrode n'ait raison, et que Wiesbaden n'ait fait plus de fracas qu’il ne convient. Le fracas rouge sur le passage du Président est une compensation. Mais tenez pour certain qu’à son retour il y aura à Paris un effort en faveur d’un ministère tiers-parti.
Je suis bien aise de retourner au Val Richer. Le temps est superbe ce matin. J'ai droit à un beau mois de septembre. Août a été affreux excepté les jours d’Ems.
Je suis très occupé de mon Monk. J’y ai pas mal changé, ajouté. Je crois que c’est amusant et à propos. Une grande comédie politique remise en scène devant des spectateurs acteurs eux-mêmes. Et on veut réimprimer en même temps mon Washington. Comment on rétablit une Monarchie et comment on fonde une République. Choisissez. Pourvu qu'on ne me réponde pas : ni l’un ni l'autre ! Hélas je suis un peu, pour la décadence de mon pays comme Mad. Geoffrin pour les revenants " Je n’y crois pas, mais je les crains. "

Onze heures
Pas de lettre ici. Je suppose que vous m'avez écrit au Val Richer, et que j’y trouverai votre lettre en arrivant. J'ai de bien mauvaises nouvelles de Claremont d'avant-hier. Dumas mécrit : " Il est douteux que l'état du Roi permette que S. M. aille s’installer à Richmond où se trouvent déjà M. la Duchesse d'Orléans et Mad la Duchesse de Saxe Cobourg. Les forces déclinent, tous les organes s'affaiblissent, à l'exception des facultés intellectuelles qui restent entières. J'ai dû faire une absence de quatre jours pour aller porter à Dreux le Corps de l’enfant morte dont est accouchée Mad la Duchesse d’Aumale. J’ai trouvé à mon retour avant hier, les progrès de l'affaiblissement très notables. Le Roi a fait appeler les docteurs Chamel et Fouquier. Mad. la Duchesse d'Orléans est aussi bien que possible. La Reine se maintient en bonne santé. Le Duc de Nemours est très souffrant d’un Anthrax. M. le Prince de Joinville qui a été en Belgigue chercher sa soeur la Duchesse de Saxe Cobourg et qui a dû séjourner deux jours à Ostende, à cause du mauvais état de la mer, y a été l'objet d’un accueil remarquable de la part du grand nombre de Français qui y résident. Cela s’est passé sous les yeux du Roi des Belges. "
Adieu, Adieu. Je voudrais vous envoyer ce soleil. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 20 Juillet 1851

Pourquoi ne le dirais-je pas ? M. Victor Hugo me plaît. Il a remis tout le monde dans la vérité. La République du Gal Cavaignac, mensonge ; la République de M. Michel de Bourge, mensonge ; c’est la révolution qui est là, deux révolutions, une vieille et une future, celle des Montagnards et celle des Socialistes. C'est très bien de se mettre en colère contre le mauvais fou qui dit tout cela ; mais il faut savoir qu’il dit vrai, et que ces odieuses folies sont l'ennemi auquel on a réellement affaire. Hors de là, je ne vois que des badauds qui s’attrapent eux-mêmes en essayant d'en attraper d'autres qui se laissent volontiers attraper. Je trouve que ce débat, tout en restant parfaitement stérile est plus sérieux et plus significatif que je ne m’y attendais. Il y a de la vie dans ce pays-ci ; ce qui est, paraît, quelque envie qu'on ait de ne pas le voir. C'est une singulière impression que de recevoir l’écho de ce bruit dans le silence de ma solitude.
Mon gendre Conrad m’arrive demain pour passer ici quatre jours. Ils ne veulent pas me laisser plus longtemps seul. Pauline qui est à merveille ainsi que son enfant, vient s'établir avec son mari samedi prochain 26. Henriette est obligée de rester encore trois ou quatre semaines à Paris ; sa fille va mieux et on espère qu’elle ira décidément bien ; mais il n'y a pas moyen de la séparer en ce moment de son médecin. Le Val Richer aura revu un moine pendant huit jours. Vous savez que moine veut dire solitaire.
Je suis bien aise de ce que vous dit Lady Allice sur le ballot. Je ne me fie pourtant pas beaucoup à ces indifférences superbes des Ministres. Je compte plus sûr le bon sens anglais que sur la fermeté de Lord John. Croker, dans sa dernière lettre caractérise le genre et le degré d'habileté des Whigs, et le mal qu'ils laissent faire grâce à celui qu'ils ont l’air d'empêcher, avec beaucoup de vérité et de finesse. Je suis frappé de ce que vous me dites que la réaction va trop vite à Berlin. C'est mon impression aussi, sans bien savoir. Et j'ai peur que cette réaction, qui va si vite, ne soit, au fond, pas plus courageuse qu'habile. Avez-vous remarqué ces jours-ci un article Alexandre Thomas dans les Débats à ce sujet ? Il était plus précis et plus topique que ne l'est ordinairement cette signature.
Je trouve le Constitutionnel bien faible depuis quelque temps. Rabâcheur, sans confiance en lui-même. Est-ce que le Président serait déjà un vieux gouvernement ? Le plus grand des défauts dans ce pays-ci.

Onze heures
Le facteur ne m’apporte pas grand'chose. Petit effet de Dufaure. Pas plus grand de Barrot, M. Moulin m'écrit pendant que Barrot parle. Le discours de Berryer reste entier, et jusqu'ici seul, du bon côté du moins. Mon gendre Cornélis m’écrit : " Ce discours a fait dans Paris une grande sensation, plus grande qu'on ne pouvait l'espérer. Tout le monde en parle, et ce qui est singulier, tout le monde l'a lu. Les journaux anti légitimistes y ont beaucoup contribué ; ils ont cherché à entourer la fusion sous les couronnes décernées à M. Berryer, et pour éviter d'apprecier l'acte politique, ils ont adressé à l'orateur des louanges excessives, en affectant de ne voir là qu’un beau discours. Mais le public n'est pas de leur avis " Adieu. Adieu. Je suis charmé qu’il vous arrive du renfort. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 4 sept 1851

Vous êtes incomparable pour faire succéder, presque sans intervalle, la plus complète impartialité à la plus vive passion. Vous ne savez que dire à l'article des Débats sur la candidature du Prince de Joinville. Je vous assure qu’il ne détruit rien de ce que vous avez jusqu'ici pensé et dit contre cette candidature. Les Débats ne se sont pas le moins du monde inquiétés de la discuter, d'examiner si elle était bonne ou mauvaise ; ils ont saisi une occasion de faire un hymne, en l’honneur du Prince de Joinville pour couvrir leur embarras sur la question même. Ils repoussent une injure pour se dispenser d'avoir un avis. Que l'effet de leur article puisse être mauvais, je ne le conteste pas, et j’aimerais infiniment mieux qu’ils n'eussent rien dit ; mais je l'ai relu attentivement j’y avais à peine regardé hier matin, en fermant ma lettre ; c'est de la politique purement personnelle dans une situation équivoque, et pour se réserver la faculté de dire plus tard oui ou non selon le besoin de cette situation. Il y a des attaques contre les patrons de la candidature du président et des insinuations contre les patrons de celle du Prince de Joinville. On prépare et on élude. Et on finit par donner au Prince de Joinville des conseils pour son bonheur. Je ne sais ce que fera le Journal plus tard ; mais ceci n’est pas sérieux. Je n'ai encore vu que bien peu de personnes de ce pays-ci ; mais personne ne s'attend à un coup d'Etat ; et s’il arrive sans quelque fait nouveau qui le motive. On n'y comprendra rien.
La disposition des esprits est vraiment singulière et leur fait bien peu d’honneur comme esprit ; on n'a pas du tout le sentiment du danger de la situation ; on est sans confiance, mais aussi presque sans inquiétude. On semble se dire : " Nous nous en tirerons toujours ; après tout, cela ira toujours bien aussi bien que cela va à présent, et cela nous suffit. " Il n'y a point de milieu entre le désespoir de Jérémie et ce stupide aveuglement. Je suis fort triste et encore plus humilié.
Montebello m'écrit, fort triste aussi, mais je vais entrevoir de plus, dans sa tristesse un peu de perplexité. Je n'ai point de perplexité du tout ; nous avons bien plus raison que nous ne croyons. Et il faut nous établir chaque jour plus nettement dans notre avis. Je répondrai bientôt à Montebello. Je voudrais bien qu’il fût tranquille sur sa femme.
Je regarde, et je regarderai attentivement à ce qui se passe en Autriche. Ce sera curieux. Il n’arrivera, à la révolution et aux révolutionnaires, rien qu’ils n'aient mérité ; mais je voudrais bien que la réaction fût conduite habilement, et qu’il en résultât une vraie réorganisation. Je suis un peu pour les gouvernements, comme vous pour les diplomates ; je m’y intéresse, quelque soit leur nom comme à mon métier, et il me semble toujours que je suis pour quelque chose dans leurs revers ou dans ceurs succès.

10 heures
Votre lettre confirme, un peu mes conjectures instinctives. Je croirai au coup d'Etat quand je l’aurai vu. Mais ce qui me plaît le plus de votre lettre, c’est que vous vous sentez mieux. Paris vous reposera et le bon effet des eaux viendra peut-être. Adieu, Adieu. G.
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