Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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187 Samedi 2 mars 1839

Mercredi seulement. Que c’est long ! je m'afflige, mais je ne me plains pas. Je ne suis pas inquiète comme vous le dites. Mais cela me fait beaucoup de peine. Cela vous ne vous en plaindrez pas ? Oui le 4 ! C’est horrible, mais je ne puis ni en parler ni en écrire.
J’ai eu une lettre de Paul hier. L’Empereur a envoyé de suite à Londres le comte Strogonnoff pour remplacer mon fils pendant le voyage qu'il va faire en Russie. Il lui enjoint de venir de suite attendu qu’'il désire le voir. Paul ne veut pas aller dans ce moment, sa santé ne va pas à un voyage rapide dans la rude saison. Il ira dans quatre semaines on trouvera cela étrange, il fallait courir ventre à terre dès le lendemain ! Voilà comme on est chez nous. J’ai eu ma lettre de mon frère ce matin ; il avait reçu mes deux lettres. Celle de reproche et l’autre écrite après la mort de mon mari. La sienne contient que des hélas et des reproches sur ce que je ne veux pas vivre en Russie. Voici le lieu de lui dire une fois pour toutes pourquoi je n’y veux pas vivre et que je n’y retournerai jamais. Je vous montrerai cette lettre, je ne l’enverrai qu'après vous l’avoir lue.
J’ai vu hier matin chez moi la comtesse Appony. J’ai fait le plus agréable dîner possible chez Lady William Bentinck, elle, son mari et Lord Harry Vane, voilà tout. Très anglais, très confortable, j’ai eu presque de la gaieté. Le soir chez moi, mon ambassadeur, celui d’Autriche, Fagel, M. de Stackelberg & le Prince Waisensky. Don Carlos a retiré sa proclamation contre Maroto. Après l’avoir déclaré traître, il approuve tous ses actes, lui rend le commandement. Enfin, c’est une confusion plus grande que jamais, et mes ambassadeurs disent que ce qu'il y a de mieux à faire est d’abandonner complètement Don Carlos et le principe. Les princes gâtent le principe.
Lord Everington vient d'être nommé vice roi d’Irlande, c'est un très grand radical, un homme d’esprit, membre distingué de la chambre basse, et très grand seigneur quand son père Lord Forteseme mourra. Je vous conterai comment un jour il est resté caché pendant deux heures dans les rideaux de mon lit ! J’ajoute, puisque vous êtes si loin ; que c’est mon mari qui l'y avait caché. Vous feriez d’étranges spéculations si je ne vous disais pas cela. Et ce n’était pas cache cache.
Le petit copiste est venu. Il a commencé aujourd’hui. Cela va très bien. Les ambassadeurs avaient vu M. Molé hier. Les nouvelles sur les élections sont d’heure en heure meilleures pour les ministres. Vous avez bien fait de n'être pas allé à Rouen, mais vous faites très mal d'avoir du rhumatisme. Je vous le disais lorsque vous êtes parti, j’étais sure que vous alliez prendre froid. Faites-vous bien frotter au moins Adieu. Adieu, il faut donc encore écrire demain et lundi. What a bore ! Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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192 Saverne Mercredi 5 juin 7 heures du soir 1839

J'ai fait hier 20 postes 1/2 et je suis arrivée à Soul morte de fatigue. Madame de T. n'a rien fait pour la diminuer, au contraire, attendu que vous me croyiez en bien bonnes mains. Moi j’étais parfaitement la dupe de mes espérances. Au lieu de secours elle était un obstacle et elle a couronnée la journée en prenant un rez-de-chaussée bien commode, et m’envoyant moi 35 au second pour être bien mal. Secours moral de sa part tant que je voudrais, mais matériel non. C'est une leçon dont je profiterai. Il n’a pas été question qu’elle entre dans ma voiture, enfin rien rien que ce qui lui convenait. Vous voyez que j'ai de la rancune.
En voilà une page toute éclairée. Ici je suis seule heureusement, est bien, je vais manger et me reposer demain je serai à Baden vers les quatre heures, sauf accident. Il pleut des torrents, les routes sont gâtées. Aujourd’hui je me sens mieux et j'ai hâte de vous le dire, et de vous dire aussi que j’ai passé ma journée au Val-Richer et que j’y resterai certainement jusqu’à dimanche. Il me tarde bien d’avoir une lettre J'espère la trouver demain. Adieu, adieux et encore adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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202 Paris. Mercredi 26 Juin 1839 8 heures

Je sors d’une nuit détestable. Je ne sais si je dois m'en prendre à l'orage qui a été violent. Mais je viens de passer quelques heures dans un mal aise et des rêves affreux. J’avais mes trois enfants près de moi, au milieu d'un déluge. L'eau montait, les soulevait de terre. Elle m'en a emporté un, puis deux. Je retenais ma fille Henriette de toute ma force. Elle me conjurait de la lâcher et de me sauver à la nage. J’ai souffert le supplice d'Ugolin. Je me suis réveillé couvert de sueur, criant, pleurant. Je revois encore. Mes mains se sont jointes avec désespoir. J’ai prié, j’ai supplié les trois Anges que j’ai depuis longtemps au Ciel, ou de me rendre ceux qui venaient de les rejoindre, ou de me prendre avec eux. Il y a une des heure que je suis levé. Je suis dans mon cabinet. Je vous écris. Je souffre, je tremble encore. J’attends une lettre de mes enfants. Je l’aurai certainement. En attendant, je ne puis reprendre mon empire sur mon imagination sur mes nerfs. Quelle nuit ! Quelle horreur que la douleur dont le rêve est une telle torture ! Pardon de vous parler de la mienne. Mais vraiment, je souffre encore beaucoup. Je suis très ébranlé. J’attends mes lettres avec angoisse. Il me semble que je me rassure en vous parlant.

10 heures
Voilà une lettre de Pauline et de ma mère. Dieu soit loué ! Il n’y en a point de noyé. J’étais vraiment fou il y a deux heures, je ne voyais rien que ma pièce d'eau. Mes enfants tombés dans ma pièce d’eau. Il faut que je parle d'autre chose, car je retomberais. Que nous sommes de faibles créatures ! Et avec une telle faiblesse, toujours à la porte de tels dangers, de telles douleurs ! Une étourderie, un faux pas, une minute de négligence d’une bonne, rien, vraiment rien, entre nous et le supplice ! Et nous marchons, nous vivons nous dormons au bord de ces abymes ! Ah, nous sommes aussi légers que faibles. Nous oublions tout, les maux passés, les maux possibles, les maux qui sont là peut-être là tout près ! Que nous sommes dignes de pitié ! Et quelle pitié que ce que nous sommes ! Il faut que je vous quitte encore. Je ne puis m’arracher à mon impression de cette nuit. J’aime pourtant bien votre grand papier, car j'ai aussi votre N°201.

Jeudi 27 7 h et demie
Les débats de la Chambre s’animent un peu. Le Cabinet avait eu avant-hier sur l'affaire du Mexique, une pitoyable séance. Les hésitations et les contradictions du Maréchal et de son avocat le Garde de sceaux, avaient soulevé le cœur. Hier sur l’Espagne, M. Passy et M. Dufaure est assez bien parlé. Je doute que le Roi soit content de ce qu’ils ont dit surtout M. Dufaure ; mais ils ont réussi. Pour qui les deux séances ont été bien mauvaises, c’est M. Molé. Défendre dans l'une par M. de Salvandy, sans le moindre effet, et dans l'autre, attaquant le cabinet actuel par M. de Chasseloup qui est resté seul, absolument seul. Tout le monde en a été frappé ! Demain ou après-demain, le débat sur l'Orient. Vous voyez les nouvelles. Les gens qui connaissent le pays ne croient pas que le Pacha dirige son effort sur Constantinople ; ce qui mettrait ses amis d'Europe dans l’embarras et les empêcherait de lui donner l'appui dont il a besoin. La guerre une fois engagée et s’il bat les Turcs, il marchera plutôt de l'Ossoff à l'Elbe que du Sud au Nord et vers Bagdad que vers Constantinople. Conquérir l'hérédité, c’est son grand but. Il y subordonnera toute sa conduite. Nos instructions partent pour notre flotte en Orient, analogues à celles de l'Angleterre.
Le procès commence aujourd’hui. Pendant son cours, le gouvernement s'attend à quelque nouvelle attaque. Ces gens-là l’annoncent très haut. Ce sont des sectaires de plus en plus isolés, et qui redoublent de rage à mesure que leur nombre diminue. Dans leurs réunions du matin et du soir ils mettent en avant les projets les plus frénétiques, l'incendie, l'assassinat. On est fort sur ses gardes. On a fait venir deux régiments de plus. Je doute fort d’un nouveau coup. Les Chefs des accusés refusent absolument de parler. Avant-hier le Chancelier pressait Martin. Bernard de questions. Celui-ci a dit au greffier : " Ne pourriez-vous pas faire taire ce grand Monsieur qui m’ennuie ? " Il faut que je vous quitte. J'ai ma toilette à faire Je vais déjeuner au Luxembourg avec Lady Jersey. Nous ne nous quittons pas. Elle a voulu entendre la lecture du Chapitre des Mémoires de Mad. de Rémusat qui raconte la mort du Duc d'Enghien. M. de Rémusat l'a lu hier au soir chez Mad. Anisson. Elle part demain pour Londres. L'autre jour à dîner chez Madame Brignole, la Princesse de Ligne était là aussi. Madame Brignole ne savait trop à qui donner le pas. Elle a imaginé d'aller confier son embarras à Lady Jersey elle-même qui lui a répondu. " Il n'y a rien de plus simple. Je suis femme d’un lord d’Angleterre. Vous ne pouvez pas hésiter. " Je suis de son avis. L’aristocratie passe avant la noblesse. Adieu. Adieu. Votre grand papier a son mérite mais il est traitre comme le petit du reste. Vous n’écrivez pas sur le verso. On n'a que la moitié de ce qu’on attend. Adieu encore.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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209 Paris, samedi 6 Juillet 1839-8 heures Voilà enfin du vrai soleil. Je voudrais être sûr que vous l’avez aussi. Je n'en joui qu'avec doute comme si je n'étais pas sûr de l'avoir moi-même. Hier après dîner, j’ai fait une course immense. J’ai été à pied du haut de la rue de Breda au bout de la rue du Bac. Je ne sais pourquoi je vous dis les noms ; ils n'ont pas de sens pour vous. Mais c’est très long. J’ai traversé les Tuileries à 8 heures et demie. Le temps était charmant; le jardin plein, la musique militaire devant le chateau excellente. J’ai traversé en doublant le pas. Il m’était très désagréable de ne pouvoir vous chercher là. Je n’aurais pas voulu m’y plaire. J’allais faire une visite à M. Rossi dont j'aime la conversation. Je l’ai trouvé entre ses deux chiens, un beau chien de chasse anglais que lui a donné M. Scarlett et un joli lévrier blanc qui lui vient de Mad. de Boigne. Il les aime. Je n’ai jamais compris qu'on aimât des chiens. J'en ai un pourtant que je soigne comme si je l’aimais. Mon fils me l'a laissé. 10 heures Je viens de voir le Duc de Broglie, très frappé du discours du Procureur Général, hier à la cour des Pairs, M. Frank Carré. Il a parlé deux heures avec un grand talent et un grand effet en grand magistrat, refusant, enlevant aux accusés toute grandeur de parti ou de passion politique, et au nom du plus simple bon sens de la plus vulgaire morale les réduisant à n'être que des bandits ou des fous de bas étage. Ils en ont été eux-mêmes troublés consternés, atterés. Prévenus et avocats écoutaient silencieusement, les yeux baissés, l’air humilié et contrit. C'était une scène très imposante. Si l'on eût été aux voix sur le champ, les conclusiens du Procureur général auraient été adoptées à l’umanimité. On dit que son discours sera inséré, par ordre et aux termes des lois de septembre, dans tous les journaux sans exception, y compris les journaux républicains afin qu’il arrive à tous ceux qui ont besoin de l'entendre. Les avocats commencent aujourd’hui et finiront Lundi. L’arrêt sera rendu probablement Jeudi prochain. On croit à deux condamnations à mort, et à plusieurs condamnations aux travaux forcés. L’idée qui paraît dominante, c'est de les traiter comme des accusés ordinaires, abstraction faite de toute consi¬ dération politique, et de leur appliquer purement et simplement le code pénal. Un peu d’agitation recommence. Il y a eu hier, rue St Denis une légère ombre de rassemblement. Je vous le dis pour que vous sachiez tout, et parce que vous êtes encore plus curieuse que craintive. Mais ce n'est, et ne sera rien. Ils sont matériellement impuissants, et moralement très intimidés quoique furieux. Midi J’ai un mouvement d’impatience de revenir à vous deux ou trois fois par jour sans jamais vous voir en effet, et par pure fiction. Les fictions s’usent vite. Je vous reviens pourtant. J'ai là, dans la pièce à côté un peintre qui copie, mon portrait pour je ne sais quelle collection. C’est la quatrième ou cinquieme fois depuis deux ans. Je méprise beaucoup les petits plaisirs d'amour-propre, et pourtant je les sens. Bien passagèrement, il est vrai ; mais enfin, je les sens et si je ne les sentais pas, je ne vous dirais pas ce que je vous dis là. Je ne le dis qu'à vous. Ne le redites à personne. Au fait, j'ai droit qu’on ignore que ces plaisirs là me touchent. un peu, car je les méprise infiniment. Adieu. Je vous quitte pour écrire à ma mère. Tout le monde va bien au Val-Richer. Mais on s’y ennuie un peu sans moi. Les orages ont fait beaucoup de mal tout à l'entour. Vous ne savez pas ce que c’est que le mal des orages Vous ne savez rien. Vous avez vécu dans votre Ambassade comme un moine dans sa cellule. étrangère à tout excepté au sort des Etats. Adieu Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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212 Paris 8 Juillet 1839. Lundi soir 8 heures

J'ai dîné seul. Je viens de faire seul le tour des Tuileries. Contre la coutume, je n’ai pas rencontré une âme de ma connaissance. J’ai passé solitairement devant cette pauvre Terrasse aussi solitaire que moi. Toujours fermée. Je l’aime mieux. Il me déplairait de la voir en possession d'un autre. Quand vous serez dans Paris, à la bonne heure. Encore cela me déplaira. Ces maisons où tout le monde passe et ne fait que passer cela ressemble trop au monde et à la vie. Il faut quelqu'un qui reste et un lieu où l'on reste. Un Roi anglo-saxon donnait un grand festin à ses guerriers ; deux croisées ouvertes aux deux bouts de la salle bien décorée et bruyante. Un oiseau entra par une croisée et sortit par l'autre, à tire d'aile ; puis un second, puis un troisième. Le Roi les regardait, à peine avait-il le temps de les voir. Quelques uns voltigèrent un moment au dessus de la tête des convives, puis s’envolèrent comme les autres. Un seul vint se poser sur l’épaule du Roi. Le Roi fit fermer les croisées et le garda. Le lendemain, le Roi aimait l'aisance, et l'oiseau le Roi. On rouvrit les croisées. L'oiseau ne s’en alla point.
J’ai eu ce matin une visite qui ne m'a pas donné la moindre envie de la garder. Un prêtre entre dans mon Cabinet, une figure honnête et animée. Il me raconte qu’il est Espagnol, mais depuis quelque temps employé par M. l'archevêque de Paris. Il avait été placé auprès du curé de S. Nicolas des Champs. Le Curé lui a dit du mal du Roi Louis Philippe et a voulu qu’il prêchât contre les Protestants. Cela l’a choqué. Il me demande de le tirer d'embarras. Puis tout-à-coup il se lève me saisit par les deux bouts du collet de mon habit en me disant : " Je vais vous dire la messe ; il faut que je vous dise la messe. " Prenez garde, lui ai-je dit ; ce serait une profanation ; je suis Protestant." Il a été confondu, a pris son chapeau et s’en est allé. Je crois que j’ai de l’attrait pour les fous. J'ai reçu plusieurs visites pareilles depuis quelques années.
Notre séance a été parfaitement insignifiante : des colères contre le chemin de fer de Paris à Versailles par la rive gauche ; très légitimes. Les Pairs ont fini d’entendre les plaidoiries. Ils entreront demain en délibération pour l’arrêt. Ils avaient eu quelque envie d'entrer en séance à 8 heures du matin et de n’en sortir qu'après avoir fini, tout fini. Mais ce serait trop long ; probablement 10 ou onze heures du soir. Ils y mettront deux jours. Le premier jour, ils voteront sur la culpabilité de tous les accusés ; le second, sur la pénalité.

Mardi 10 h. et demie
Je ne sais pourquoi les bains de Houblon vous choquent. Je les ai vu employer avec succès. Ne vous en découragez pas. Je suis du parti de votre médecin. Je n'ai aucune confiance en vous pour le management de votre santé. Il faut écouter avec grand soin tout ce que vous en dîtes, car vous avez des impressions très vives et probable ment très justes, qui doivent fournir des indications précieuses. Mais il ne faut pas vous croire sur ce qu’il y a à faire ou à ne pas faire, car vous n'en croyez jamais, vous que votre impression du moment, moyen très trompeur de gouvernement. Il faut consulter sans cesse le baromètre pour comprendre le temps qu’il fera. Mais Dieu ne règle pas le temps selon les variations du baromètre.
Deux choses me préoccupent sans cesse, votre santé et votre cœur. Je ne demande pas mieux que de regarder dans celui-ci tout au fond. Mais aussi, je suis difficile très difficile. Je suis charmé que vous approuviez mon discours. Vous avez mille fois raison. On ne peut pas faire sur cette question là. Personne ne veut faire, Tant mieux. Le moment n’est pas venu. Adieu. Adieu. Il faut que je vous quitte. J’ai cinq ou six lettres à écrire ce matin. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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217 Paris, Dimanche 14 Juillet 1839 8 h. 3/4

Comme je fermais hier ma lettre on vint m'avertir qu'il y aurait peut-être un peu de mouvement à la Chambre, car une bande assez nombreuse se formait et voulait y porter une pétition pour l'abolition de la peine de mort. Je ne trouvai en arrivant ni mouvement, ni bande mais beaucoup de précautions prises, les grilles fermées, des troupes dans les cours &. Au dedans, de la part de la Chambre, une disposition très sensée et tranquille. S'il y a un progrès depuis quelque temps, c’est que les pouvoirs publics ne sont plus du tout à l'état révolutionnaire. Non qu’il n'y ait là aussi quelques hommes qui sont encore et qui resteront à cet état. Mais ils y sont pour leur propre compte n'oseraient le montrer, et la majorité serait telle qu’on ne lui donnera même pas l'occasion de se manifester. Vers deux heures, pendant qu’on délibérait sur le budget de l’instruction publique, le rassemblement est arrivé sur la place 7 à 800 hommes, la plupart en blouses, quelques étudiants bien vêtus ; de côté hors de la troupe, deux hommes en habit noir, la canne à la main, qui avaient l’air de diriger les mouvements. Au milieu un drapeau portant abolition de la peine de mort, et la pétition roulée autour du bâton. Le commissaire de police les a sommés de se retirer. Sur leur refus, un escadron de la garde municipale s’en avance au grand trot. La dispersion a été générale et soudaine. Un garde municipal a poussé son cheval sur l'homme qui portait le drapeau, l’a pris, l’a jeté sur la croupe de son cheval et l'a ramené au corps de garde de la Chambre, au milieu des hourras de la garde nationale qui voulait le jeter à la rivière. C’est un pauvre ouvrier tailleur, de mine très timide, et qui semblait se croire au moins mort en entrant dans le corps de garde. Nous avons continué notre budget, et je suis parti à 4 heures et demie pour aller dîner à Châtenay. En en revenant, à 10 heures et demie, j’ai traversé tout Paris parfaitement tranquille.
Je n’entends rien dire ce matin. Châtenay était charmant, l’air doux, les arbres, touffus, les gazons frais. Je me suis donné le triste plaisir, bien plaisir et bien triste de refaire seul notre promenade dans le jardin, mêmes alliés, même pas. Ah, que ne peut-on fixer sa vie à un moment de son choix !

Onze heures
Votre N°213 me désespère. Je vous répète, je me répète à moi-même ce que je vous écris tous les jours. Je ne puis pas décider pour vous. J’en suis, dans l’anxiété la plus douloureuse. Je voudrais avoir un avis, une volonté ; je voudrais vous décharger de tout ce qui vous agite et vous pèse, embarras, indécision, solitude. Je retrouve ce que je connais trop bien, cet horrible sentiment d’impuissance contre les choses, les faits tout le monde extérieur, au moment même où la tendresse la plus infinie, la plus souveraine, remplit l'âme et se croirait toute puissante si elle n'écoutait qu'elle-même. Pardon, pardon de vous parler de ma tristesse à moi. De quoi vous parlerais-je ? Ma tristesse, c’est votre mal, c’est votre faiblesse, votre maigreur, votre abattement, votre ennui. Vous m’avez reproché quelquefois de me trop arrêter avec vous sur ce que vous souffriez, et de m'y associer au lieu de vous en distraire. Dearest, je ne puis pas me distraire de vous, encore moins de loin que de près, encore moins de votre santé que de vos chagrins.
Comment, votre médecin vous engage à quitter Baden, ne fût-ce que pour quelques jours ? Je ne comprends pas cela. Je comprendrais qu'il vous en renvoyât. Après tout, je ne sais vous dire qu’une chose. Faites ce dont vous aurez envie. Ne consultez que votre envie et votre force. Allez où elles vous diront, où elles vous mèneront. Ici le beau temps revient, le chaud, le soleil. Est-ce qu'il ne revient pas aussi à Baden ? et ne vous fait-il aucun bien ? Vous avez eu des nouvelles de Pétersbourg puisque vous savez qu’on fera Paul conseiller d'Etat. N’y a-t-il rien sur vos affaires ? J’ai reçu hier une lettre de M. de Barante, sans intérêt. Que je voudrais mettre dans les miennes de quoi remplir votre journée ! Je vous écrirais volontiers des volumes.
J’ai passé auprès de vous tant d'heures de conversation charmante ; pleine des plus douces choses, des seules douces choses de ce monde, de tendresse et de liberté. Vous ne savez pas quelle vive, quelle inépuisable reconnaissance (quand ce ne serait que reconnaissance) me resterait éternellement dans le cœur envers vous pour de tels moments, pour un seul de ces moments. Le monde est si froid, et si faux ! et par dessus cela si médiocre si vulgaire ! L'âme y meurt de faim et de soif, et de dégoût. J’ai trouvé près de vous, en vous, ce que je n'attendais plus ce que je ne demandais plus. Je me suis senti si heureux près de vous, sans contrainte ni privation aucune, aucune, ni de cœur, ni d’esprit, ni de goût, ni de parole, satisfait, pleinement satisfait, plongé dans le sentiment le seul qui épanouisse toute l'âme point de désir parce qu’on a tout. Que de fois, en causant avec vous, au milieu des effusions de notre intimité, j’ai été tout à coup, et pour une seconde rappelé en moi-même par un de ces éclairs intérieurs qui illuminent tout notre bonheur tout notre plaisir ! Je ne vous ai jamais dit, je ne vous dirai jamais à quel point je vous trouve rare et charmante, ni combien je vis seul sans vous, ni ce que sera pour moi, le jour qui vous rendra à moi, fussiez-vous cent fois plus maigre et plus abattue que vous ne me le dites. Adieu. Adieu.
Je ne puis vous parler d'autre chose. Quand j'ai reçu, quand j'ai relu votre lettre, j'attends celle du lendemain. Ne vous fatiguez pas à m’écrire ; mais ne me laissez pas sans nouvelles. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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28... (je ne sais pas le dernier chiffre) Evreux, samedi soir 12 Oct.
7 heures

Je ne veux pas que vous soyez plus maltraitée que moi. J’ai le temps de vous dire adieu. Je viens de dîner seul comme vous, au coin de mon feu, pas comme vous. Comment nous arrangerions-nous pour le feu si nous passions notre vie ensemble ? Je crois pourtant que nous nous arrangerions. Il me semble que chaque fois que nous nous retrouvons nous nous trouvons mieux ensemble. Qu'en dites- vous ? Je ne suis point fatigué. Je tousse à peine.
J’ai trouvé dans la diligence un homme de mes amis, M. de Caumont homme d’esprit qui à la passion des vieilleries historiques et qui parcourt sans cesse la France pour voir, tous les endroits ou on s’est battu, où un homme est né ou bien mort. C’est une douce manie, qui l'amuse. J’ai cru en le rencontrant qu’il m'amuserait un peu en route. Pas du tout. Je pensais toujours à autre chose.
Je vous ai envoyé Génie ce matin, avec nos questions. Il me semble que je n’ai rien oublié d'important. Prenez garde seulement que je ne me laisse trop aller à traiter tout cela, en vrai procureur, qui croit tout possible & prend des précautions contre tout. Tous ces gens là sont à mes yeux de purs étrangers pour vous.
Adieu.
Je partirai demain entre sept et huit heures et je serai chez moi pour dîner. Adieu. Je vais lire un peu dans mon lit. Votre pensée interrompra ma lecture. Je m'endormirai. Elle reviendra, sans interrompre mon sommeil. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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300 Du val Richer, dimanche 27 oct. 1839
9 heures

Ma mère a été souffrante hier, assez souffrante. Si cela se prolongeait ou se renouvelait d’ici à quatre jours, je presserais mon départ. Son mal, s’il s'aggravait, aurait besoin de secours prompts et décisifs. Je lui en ai dit un mot hier. Cela la contrarie. Mais je n'hésiterai pas. Pauline est parfaitement bien. Mais quelle fièvre que d’aimer des créatures, quand on a tant perdu, quand on a tant éprouvé la fragilité de la vie ! Je ne puis voir malade quelqu'un que j’aime, sans une angoisse, une prévoyance horrible. Je ne vaux plus rien pour un tel fardeau ; mes épaules plient à la moindre apparence qu’il s’appesantisse encore sur moi.
Voici une conversation de Thiers avec un de mes amis ; plus directe que la vôtre mais très analogue, je pense. Thiers : Que pensez-vous du Ministère?
- Qu’il est faible et dans une position fausse.
- Que fera-t-il ?
- Peu de chose sans doute ; ce qu'on peut faire quand on est faible et dans une position fausse.
- Et comment tout cela finira-t-il ?
- Je vous le demanderai à vous- même. "
Ici une pause assez longue. Thiers reprend, et expose ce qu’il pense du Ministère de ses embarras, des difficultés de la session ; la gauche votera contre ; M. Barrot votera contre avec quelques ménagements. Le centre gauche se divisera ; une portion appuiera le Ministère, l'autre votera contre. Et les doctrinaires, que feront-ils ?
- Comme le centre gauche.
- Et M. Guizot, que fera-t-il ? L’avez-vous vu à son dernier passage à Paris ?
- Je l'ai vu ; il agira selon les circonstances sa situation, peut être embarrassante à cause de ceux de ses amis qui sont ministres.
- Autre chose sont ses amis, autre chose est le Ministère."
Thiers revient sur la situation en général, sur l'impossibilité qu’il n’arrive pas quelque chose. On répond que quoi qu’il arrive, il est désormais impossible de parler de coalition. On lui rappelle qu'à la même place, au moment des dernières élections en causant avec lui, en prévoyait la victoire et un grand succès si la conduite était sage et mesurée ; on ajoute que rien n'a été omis de ce qui pouvait et devait tout compromettre. Ceci a paru préoccuper vivement Thiers ; le rouge lui a monté au visage. Après un peu de temps, il a repris :
- Sans se coaliser, on peut tendre au même but. On le peut et on le doit, si en effet on se propose le même but, si on a les mêmes intentions."
Nouvelle pause. Thiers reprend encore pour dire qu’il a pris son parti, qu’il travaille, qu’il veut continuer, qu'il est heureux.
- Vous faites bien. "

10 heures
Lord Brougham n’a pas prolongé assez longtemps sa fantaisie. Il ne faut pas qu’un mort revienne sitôt. Avait-il fait prévenir Lady Clauricard. Vous avez raison de ne pas montrer votre appartement. Mais moi je regrette de ne pas assister à sa création. Vous me parleriez d'autre choses. Vous me permettez cette fatuité. M. Delessert m'écrit que Calamata vient de terminer la gravure de mon portrait. On m'en donnera quelques épreuves quelques unes à Paul Dela Roche ; puis 450 pour les souscripteurs et la planche sera brisée. Voilà des amis jaloux. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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803 Du Val-Richer, mardi soir 29 oct. 1839

J’ai écrit ce matin quelques pages qui m'ont amusé. La famille de Mad. de Rumford m’a demandé de parler d’elle dans quelque Biographie. J’ai recueilli quelques souvenirs. Les souvenirs sont un grand amusement. Mad. de Rumford avait été très bonne pour moi, il y a trente ans, quand j'étais un petit jeune homme bien inconnu. Elle a fait les deux choses qui touchent le plus en pareil cas ; elle m'a témoigné en tête-à-tête beaucoup de bienveillance dans le monde, beaucoup de considération. Je le lui ai bien rendu. Quand elle a mis à me voir souvent chez elle, plus d'importance pour elle-même que pour moi, j’y suis allé très souvent, je l’ai beaucoup soignée, et j’ai contribué à l'agrément de son vieux salon comme elle avait contribué à l'agrément de ma jeunesse. Elle en a été touchée. Elle m'a dit deux ou trois fois, en me serrant la main, avec son ton bref et rude : " Vous êtes bien aimable. "
Il y a trente ans, 25 ans, 20 ans son salon valait beaucoup ; tous les étrangers de quelque distinction y venaient. C’était une arche de Noé de bonne compagnie. Salon très peu politique, mais d’une conversation très animée, très variée. J’ai vu là les dernières lueurs de la sociabilité élégante, spirituelle, facile du dernier siècle. Il s'en fallait bien qu’elle en fût un modèle elle-même ; elle était brutale, despotique ; mais elle avait de bonnes traditions et qui attiraient tous les bons débris.
Vous me montrerez votre petite Ellice. La pauvre enfant me parait en train de déchoir. Je lui saurai toujours gré de vous avoir un peur soutenue à Baden. Savez-vous que vous m’avez vraiment inquiété pendant ce temps-là, physiquement et moralement ? Pour une personne d’un esprit aussi ferme et aussi précis que le vôtre, vous avez quelquefois, sur vous-même, la parole singulièrement exagérée ; sans le moindre dessein d’exagérer, mais parce que votre imagination et vos nerfs s’ébranlent outre mesure. De là me vient à votre sujet, un déplaisir quelque fois très pénible ; je ne sais jamais bien ce qu’il faut croire de vos impressions sur votre propre compte ; je crains de me trop rassurer en me disant que vous vous inquiétez trop. Donnez-moi un moyen de savoir exactement ce qui est ; je ne puis supporter l'idée de me tromper dans ce qui m’intéresse si vivement. Quand nous sommes ensemble, je m'en tire ; je vois. Mais de loin le doute est intolérable.

9 heures et demie
Vous avez raison sur mon préfet, et je ne pouvais pourtant pas passer le fait complètement sous silence. Je vous dirai pourquoi. Mais la chose va finir et j’espère qu’il n’en restera qu'une bonne impression. Je vous enverrai bientôt une date. Je ne veux pas vous la dire avant d'en être sûr. Je conviens de notre maladresse. Trois cents lettres en moins de deux ans et demi, c’est horrible. Adieu. Adieu. Il faut que j'écrive quelques lignes à Génie à propos de ce Préfet. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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318 Londres Samedi 29 février 1840
9 heures du matin

J’éprouve ici le matin une grande impression de calme. Personne ne vient. Personne ne me parle. Je n’entends point de bruit. C’est le repos de la nuit, sauf les ténèbres. Il me semble que je sors d’un guêpier bruyant, et que je contemple une ruche d’abeilles qui travaillent toutes sans bourdonner. Vous avez raison. Avec du bonheur  domestique, la vie peut être ici aussi douce que grande. Il y a en France trop de mouvement extérieur; ici, pas assez de mouvement intérieur. En tout, l’aspect de cette société me plaît; je m’y sens à l’aise et dans un air sain, bien que trop froid.

Voilà du bonheur, le 316. Décidément chaque fois, je vous dirai mille fois merci. Oui, c’est du bonheur, un bonheur charmant quoique triste. Que serait-ce s’il était gai ? Je ne comprends pas Mad. Sébastiani ; malgré tout ce que j’en savais, ceci est plus bête. Mais je comprends encore moins Génie. Je lui ai répété ma recommandation pour tous les jours, cinq minutes avant de monter en voiture. Je n’entrevois qu’un motif, les obsèques de ce pauvre M. Devaines. Elles ont dû avoir lieu avant-hier jeudi, et Génie aura eu toutes sortes de soin à prendre. C’est un travail de mourir, et ceux qui s’en vont lèguent à ceux qui restent l’embarras avec le chagrin. Il est impossible que Génie ne soit pas allé vous voir hier.

4 heures Je viens d’avoir des aventures. Je sors de chez la Reine. Imaginez que je reçois, à une heure dix minutes, un billet de Lord Palmerston qui me dit que la Reine me recevra à une heure. J’envoie sur le champ chez Lord Palmerston pour constater mon innocence. Je m’habille en toute hâte. Je demande mes chevaux. Je pars. J’arrive avant 2 heures, à Buckingham. Comme de raison, on m’attendait. Je monte et trouve Lord Palmerston qui arrivait aussi. Les ordres de la Reine lui étaient parvenus tard. On ne les lui avait pas remis tout de suite. Heureuse-ment la Reine avait d’autres audiences qu’elle avait données en atten-dant. [Point de maître des cérémonies. Sir Robert Chesler, prévenu en même temps que moi, n’avait pas été aussi preste que moi.]

Bref, la Reine m’a reçu avec beaucoup de bonne grâce; sa dignité la grandit; son regard est intelligent et animé. Je lui ai dit en entrant : « J’espère, Madame, que Votre Majesté sait mon excuse, car je serais inexcusable. » Elle m’a répondu en souriant, et j’ai vu que Lord Palmerston était excusé aussi. Mon audience a été courte. Le Roi, la famille Royale, les relations du Roi avec le Duc de Kent son père, la surprise que je ne fusse jamais venu en Angleterre etc, etc. [Je suis sorti. Lors Palmerston est resté un moment après moi. Je m’en allais ; il m’a rejoint en courant : « Vous n’avez pas fini ; je vais vous présenter sur le champs au Prince Albert et à la Duchesse de Kent ; sans cela, vous ne pourriez leur être présenté qu’au prochain lever, le 6 mars ; et il faut qu’au contraire que, ce jour-là, vous soyez de vieux amis. »]

Nous avons été chez le Prince Albert, très beau et agréable jeune homme d’une physionomie douce, ouverte, intelligente, simple et élégant de langage. Il m’a retenu un quart d’heure. Nous avons causé. Il m’a plu tout à fait...

[De là, chez la Duchesse de Kent, au rez de chaussée. Elle était un peu malade de la goutte. Au moment où je traversais le vestibule pour aller reprendre ma voiture, sir Robert Chester est entré descendant de la sienne. Je lui ai fait toutes mes excuses dont je n’avais pas besoin. Je suis rentré chez moi, j’ai quitté mon harnois. J’ai couru une heure et demie pour aller m’écrire chez les Ducs de Sussex & de Cambridge, la duchesse de Glocester, les Princesses Auguste et Sophie-Mathilde, et me voici de retour. Demain les visites du cabinet. Après demain celle du Corps diplomatique. Les cartes pleuvent chez moi ce matin. On me remet à l’instant celle de Lord Aberdeen, Lord Holland et Lord Howe. Je demanderai demain à être reçu par la Reine Douairière.

Je suis allé hier soir chez Lady Holland sans la trouver. Elle était à Covent Garden où la Reine a été fort bien reçue. Les loges en face ont été louées pour 20 £ pour la voir, et les loges à côté 10 liv., pour ne pas la voir.

Dimanche 9 heures.

J’ai été plongé hier en Angleterre ; jusqu’au fond. A dîner le duc de Sussex, le Duc de Norfolk, le Duc de Devonshire, Lord Carlisle, Lord & Lady Albermarle, Lord & Lady Minto, Lord & Lady Elisabeth Howard, Lady Seymour, &, &, tous Whigs sauf un petit Tory dont j’ai oublié le nom. Le soir un rout immense, tout ce qu’il y a de ministres, de corps diplomatique, de membres des deux chambres, Whigs, Torys, radicaux, depuis lors Aberdeen jusqu’à M. Grote ; mais les Whigs souverains, selon leur droit.

J’ai passé ma soirée à être présenté et à accueillir des présentés. On me dit que je dois être content, très content que j’ai été bien lion et bon lion. Il me semble que j’ai rencontré de la curiosité et de la bienveillance. Je suis décidé à y être difficile. Je ne fais nul cas des demi-succès et des succès de début. Il les faut, mais pour commencer, comme il faut un premier échelon à la plus haute échelle. Si je suis bon à quelque chose ici, pour mon pays & pour moi, ce ne peut être qu’en inspirant une estime & un intérêt soutenu & croissants.

Fanny Cowper est charmante ! Elle promène partout, modestement mais sans embarras, un regard si jeune et si indépendant ! Je serais surpris si elle n’avait pas des goûts très décidés, en attendant des volontés.

Lord Aberdeen est venu à moi avec un empressement marqué. Je l’ai trouvé plus vieux et l’air moins sombre que je ne m’y attendais.

Lord Melbourne m’a parlé français de très bonne grace et longtemps. Il n’y a qu’Ellice qui soit décidé à ne pas me dire un mot de français. Il a raison. Je lui ai promis d’aller diner chez lui mercredi, en famille, et vendredi, chez Lord Charendon, en petit comité. Lord Charendon a été très aimable.

Je n’ai pas vu, du Cabinet, Lord John Russel, et du corps diplomatique, le Baron de Brunnow.

Connaissez-vous une Mad. Stanley, jolie, vive, spirituelle, whig très décidée et très active, que Lord Palmerston appelle notre Chef d’Etat major ? Son mari est un whipper-in important.

J’ai trouvé là le Prince de Capoue et sa femme. Il y  a plus que l’océan entre les façons anglaises et les façons napolitaines.

Le Duc de Sussex a l’air d’un très bon homme. Il m’a beaucoup parlé de ses voyages sur le continent. Il a vu commencer toutes les révolutions, en France, en Espagne, en Portugal. Il prenait grand plaisir à me raconter Mirabeau. Vous savez que M. Croker m’a dressé à ces leçons-là.

J’étais à table entre Lady Cecilia Underwood (vous savez) et Lady Albermarle qui m’a mis très bonnement, au courant de tout le monde. Lady Palmerston avait à côté d’elle le Duc de Sussex et le duc de Norfolk. C’est la règle, n’est-ce pas ?

J’ai échangé en courant quelques paroles avec Lady Palmerstonn affectueuses pour vous. Elle a l’air très contente, et répand avec beaucoup de grace son contentement tout autour d’elle. Son fils, Lord Cooper m’a paru sprituel.

Si nous étions ensemble, je vous dirais mon compliment de Lady Palmerston à mon sujet, que j’ai entendu en passant. Mais cela ne se dit que tout bas quoique tout seuls.

Vous avez raison ; elle a l’air très fine et voyant tout sans y regarder.

5 heures

J’ai eu toute à l’heure un vrai plaisir. J’ai été à Stafford house. Le Duc et la Duchesse de Sutherland m’ont accueilli presque avec amitié. J’aime Stafford-house. C’est très beau, très beau. Et ce sera encore plus beau, car le premier étage n’est pas fini. J’ai vu ce qui est fait et ce qui se fait. Le Duc m’a promené partout. L’Escalier a vraiment de la grandeur, assez pour que la richesse y soit bien placée. Le comte de Montfort m’y a succédé.

J’apprends que j’ai eu tort de ne pas me mettre à côté de Lady Palmerston. C’est Lady Albermarle qui m’a trompé. Je lui donnais le bras. Je l’ai consultée ; elle m’a dit que je devais me placer  à côté de Lady Cécilia Underwood, quasi altesse royale. Je prendrais ma revanche.

J’ai fait ce matin toutes mes visites de cabinet, et Lord Charendon sort d’ici. Il a vraiment de l’esprit, et un esprit gracieux. Nous nous sommes entendus au-delà de mon attente. Je dine chez lui vendredi, samedi chez Lord Lyndhurst, Dimanche chez Lord Landsdown. Il y a aussi un dîner arrangé chez le duc de Devonshire, avec le duc et la duchesse de Cambridge. Je subis cette première bouffée , j’espère qu’elle ne soufflera pas toujours.

Je vous parle de tout, et pas un mot de ce qui se fait à Paris. Que serviraient mes paroles ? Vous en savez plus que moi. J’attends ce que me mandera le duc de Broglie. Il a mes pouvoirs, sauf ratification. Adieu pour Aujourd’hui. Il fait très froid. Mais je n’ai pas l’impression d’un changement de climat.

M. Dedel sort aussi de chez moi, très ouvert et très bienveillant. Je crois que je me trouverai bien de lui et avec lui Lundi.

Lundi 2 mars 9 heures

Je ne compte pas avoir de lettre de vous ce matin, par la poste. Vous aurez attendu le courrier des affaires étrangères. C’est horrible une poste qui arrive et qui ne m’apporte rien de vous. Le Val-Richer, Baden ne m’ont jamais coûté si cher. Je m’y accoutume tous les jours moins. C’est déjà si peu qu’une lettre ! Et pourtant c’est tout.

J’ai passé deux heures et demie hier soir chez Lady Holland, empressée, charmante. J’ai trouvé Lord Holland toujours le même, absolument le même, la seule personne qui ne m paraisse pas vieillie, d’esprit ni de corps. Lord John Russel et Ellice y avaient dîné. Lord & Lady Palmerston y sont venus le soir. J’ai un peu causé avec Lady Palmerston, et j’ai protesté contre l’erreur où m’avait attiré Lady Albermarle avant-hier. Voici mes dîners de la semaine. Mercredi Ellice. Vendredi, Lord Clarendon. Samedi, Sir Robert Peel. Dimanche, Lord Landsdown. Mardi 10, le Duc de Sutherland. Il me semble que je vous en ai dit la moitié plus haut.

10 heures ¼

J’avais tort de ne pas espérer. La poste est charmante. Que de choses à vous répondre ! En attendant vous gagnerez quelque chose à ma joie. Je ferai partir ce volume aujourd’hui. Un autre suivra promptement. Que ne donnerais-je pas en ce moment pour causer une heure avec vous ! Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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352. Londres, Dimanche 26 avril 1840 966
Une heure

J’espère que ma lettre vous sera arrivée hier d’assez bonne heure pour vous en servir. Il m’avait été absolument impossible de vous écrire la veille. Les Ministres ne sont pas venus au diner de la Cité parce qu’ils y avaient été très mal reçus la dernière fois, sifflés à la lettre. Lord Melbourne, s’en était très bien tiré, très dignement. Mais ils ne se sont pas souciés de recommencer. Lord Palmerston à qui le matin même, j’avais dit en passant que j’irais, me répondit qu’ils n’iraient pas, et pourquoi. Un motif accidentel de plus. Les Shériffs que la Chambre avait mis en prison, et qui venaient d’être mis en liberté devaient être au dîner, et y étaient en effet. Le Lord Maire a porté leur santé et protesté contre leur emprisonnement. Tout cela faisait bien des petits embarras. Du reste, la santé des ministres a été portée et acceptée avec une froideur décente. Leur absence a été remarquée, mais sans étonnement. Les représentants de la cité au Parlement radicaux n’y étaient pas non plus et n’auraient pas été mieux reçus. La Cité est partagée en Torys en haut, radicaux en bas.
Les Ministres prendront leur revanche, le 2 Mai, at the Royal academy. Encore un speech. J’y ai quelque regret. Pas pour moi ; peu m’importe un speech de plus au de moins. Mais cela fait bien des speech et bien rapproches. Il y a quelque inconvénient à occuper si fréquemment de soi, sous la même forme. Ceci n’est pas ma faute, et il n’y a pas moyen de l’éviter. Je vais aujourd’hui au sermon à St Paul. L’évêque de Landaff m’attend at the deanery. C’est un excellent homme d’une modestie touchante. Je suis très frappé de la vanité anglaise ; je le suis autant de la modestie anglaise. On la rencontre souvent et si simple si douce ! C’est un très agréable spectacle. Je me prends sur le champ d’amitié pour ces vertus qui s’ignorent et s’étonnent qu’on ne les ignore pas. Cette lettre-ci vous sera portée par mon petit médécin, M. Béhier. Il me servira quelquefois de commissionnaire. Recevez le avec bonté. Il vous demandera quel jour vous voulez voir, M. Andral, et se chargera d’arranger le rendez-vous de façon à ce qu’il ne manque pas. J’écris à ma mère sur le voyage. Je lui dis toutes mes raisons. Je lui donne l’espérance, dune course de huit jours au Val-Richer, par le Havre et Honfleur, dans le cours de l’été. J’espère qu’elle ne se troublera pas trop de la perspective d’une responsabilité solitaire, ainsi prolongée. Je sais qu’elle se troublait un peu de la perspective du voyage. Mais un trouble n’en exclut pas un autre.

Lundi, 9 heures
Pitoyable sermon de mon ami l’évêque de Landaff. Mais j’ai trouvé le grand office Anglican très beau, quoiqu’un peu bâtard, entre Rome et Genève. Beaucoup de musique et assez bonne. On avait quelque envie de me faire une réception officielle solennelle en hommage au premier successeur de Sully. L’évêque me l’avait insinué. Je m’y suis refusé. Je n’aime pas l’étalage des grandeurs Humaines dans ce lieu-là. Et puis il m’a semblé de meilleur goût d’entrer tout simplement avec l’Evêque et d’aller m’asseoir à côté de lui. Ma modestie n’a eu d’autre effet que de se faire remarquer elle même. A peine entrés, on nous a aperçus, reconnus ; la foule s’est rangée, et nous avons traversé l’Eglise entre deux haies de fideles curieux et respectueux. Convenez que je vous raconte tout.
Le soir à Holland house. Brünnow y est venu. Il était assis à côté de Lord Holland, moi à côté de Lady Holland, trois ou quatre personnes autour Bülow, Rogers M. Suttrel. Il s’adresse à moi : « J’ai une grande joie ; je suis bien bien heureux ; j’apprends que le Grand Duc a demandé lui-même en mariage la princesse de Hesse.
Lady Holland se penche vers moi : " Il y a trois mois que cela est dans les gazettes. " Sur quoi, Brünnnow nous explique comment l’Empereur a voulu que le mariage ne se fit que quand il serait un mariage d’inclination. Et il était aussi joyeux que s’il eût épousé lui-même. Vient le nom de M. de Pahlen dont tout le monde parle à merveille. Après son nom, sa maison. Lady Holland parle de celle des Champs- Elysées, du regret qu’il a dû avoir de la quitter : " M. le Baron, permettez moi de le dire, c’est une manie de l’Empereur qui la lui a fait quitter. Je ne sais pas quelle manie ; je ne devine pas ; mais une manie enfin." Grande explication de Brünnow, un peu décontenancé. Il y avait de grandes, d’immenses réparations, à faire à l’hôtel qu’occupait à Pétersbourg M. de Barante. L’Empereur a fait faire un devis. C’était fort cher. C’eut été fort long. Un an et demi de travaux. Que fût devenu M. de Barante dans est intervalle ? L’Empereur l’aime extrêmement. L’Empereur n’a pas voulu qu’il fût dans la rue pendant qu’on raccommoderait sa maison. Et puis, quoi donc ? L’ambassadeur de Russie aurait été logé à Paris un an et demi de suite, par la France, pendant que l’Ambassadeur de France à Pétersbourg se serait trouvé sans logement russe ! L’Emperereur ne pouvait souffrir cela. L’Empereur a deux manies; la manie de M. de Barante, et la manie de la probité. Tenez que ce sont les propres paroles.
Ceci n’est pas un bon commérage. Qu’il ne me revienne pas ici, je vous prie.
Lord Palmerston ne revient que demain. Ils paraissent charmés d’être à la campagne. Ils y sont seuls. Lady Palmerston écrit que son mari, la fait monter tous les jours à cheval sur un old hunter. Cela contredit ma nouvelle.

Une heure
Je n’ai pas de lettre aujourd’hui. Pourquoi donc ? Je n’y comprends rien. Elle peut arriver encore par mon banquier ; mais je n’y compte pas. J’en suis vivement contrarié, pour ne pas dire plus.
Il n’y a point de bonne auberge à Hampstead. De petites maisons à louer, furnished, des cottages propres mais très simples. On dit qu’il y a mieux à Clapham, près de Hampstead. Je le saurai ces jours-ci. Je ferai voir aussi à Norwood où on m’assure qu’il y a de bonnes auberges. C’est mon petit herbet seul que je charge de cela, et qui est le plus discret des hommes. Adieu, quand même.
P.S. Je ferme ma lettre à 4 heures et demie. Rien n’est venu par aucune voie.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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380. Londres, Mercredi 27 Mai 1840
9 heures

Je commence à sentir cette impatience, ce mépris des lettres qui s’éveillent quand on approche du terme. Plus je vous dirais, moins je vous écris. Il fait un temps admirable ce matin; le soleil brille, l’air du printemps souffle. Je voudrais me promener avec vous. On n’écrit pas la promenade. Nous avons dîné hier agréablement. La conversation, vous aurait plu. Vous y êtes venue. M. de Bacourt a raconté une course en calêche que vous aviez faite, vous, la duchesse de Dino Lady Clauricard, lui, Dedel, lord John Russell, je ne sais qui encore ; un orage, une pluie énorme. Les trois dames dans le fond de la calèche, lord John en travers, sous le tablier, sur vos pieds, et aussi trempé en arrivant à Richmond que s’il eût été sur le siège. Cela me plaisait d’entendre parler de vous. Pourtant tout ne me plaisait pas. J’ai gardé et je garderai jusqu’au bout les susceptibilités et les exigences du premier printemps. J’en souris moi-même. Et ce que je dis là est presque un mensonge, car je n’en souris pas vraiment, franchement. Ce qui est vrai, ce qui est franc, ce qui s’éveille, en moi naturellement et tout-à-coup, sans réflexion, ni volonté ce sont les impressions de la jeunesse. Elles ne me gouvernent plus, mais il faut que je les gouverne, car elles sont encore là. La vie est infiniment trop courte. Notre âme a à peine le temps de se montrer. Les choses lui échappent bien avant le goût et la force d’en jouir. Il faut que vos vers de l’autre jour aient raison.
Tout commence en ce monde et tout s’achève ailleurs.

Une heure
Je vous promets du calme ici. J’espère que vous arrangerez votre vie de manière à éviter la fatigue matérielle. Vous ne pouvez pas vous coucher tard. J’en ai repris l’habitude avec une singulière facilité. Non, certainement, je ne traite pas de bétises vos impressions sur votre santé. Je crois, je suis sûr qu’elles sont souvent très exagérées. Vous avez bien plus de vie, bien plus de force que vous ne croyez dans vos mauvais moments. Mais vos mauvais momens m’occupent beaucoup, me tourmentent. Ils seront rares ici. J’y compte. Ainsi, le 13 ; c’est bien convenu. Et vous serez ici le 15. Mais il faudra que vous partiez le 13 de bonne heure. Arriverez-vous à Boulogne, de manière à passer le dimanche 14 ? Ou bien ne passerez-vous que le lundi 15 ? Répondez moi sur tout cela. Je prétends que je suis plus exact que vous en fait de réponses. Ma mère et mes enfants partent pour la campagne, le 4 juin.
Notre affaire de médiation marche. Jai obtenu hier de Lord Palmerston la restitution des bâtiments napolitains détinus encore à Malle. Le Roi de Naples de son côté concède l’abolition du monopole et le principe de l’indemnité. Il ne reste plus que des détails d’exécution sur lesquels on s’entendra. Je suis fort occupé ce matin d’une affaire qui vous touche fort peu, le chemin de fer de Paris à Rouen. On ira alors de Londres à Paris, par Southampton en 20 ou 22 heures. Je serais bien aise que cela se fit sous mon règne. C’est en train. Et les Anglais en sont fort en train. Ils y mettent 20 millions. Croyez-vous comme on me l’écrit, que la session française finira du 20 au 25 juin ? Qu’en dit-on, autour de vous ? Il est vrai que Thiers déploye beaucoup d’activité et de dextérité. Il est fort content, me fait tous les compliments et toutes les tendresses du monde, me promet qu’il n’y aura point de dissolution, qu’il ne s’y laissera point pousser et finit par me dire : " J’espère que notre nouveau 11 octobre, à cheval sur la Manche réussira aussi bien que le premier. " Lord Brougham est arrivé avant-hier. Vous ne l’avez donc pas vu à son passage à Paris, ou bien il n’y a pas passé. Je ne l’ai pas encore vu. Lady Jersey, ma dit qu’il était horriblement triste. Pauvre homme ! Il ne trouvera pas dans le mouvement qu’il se donne de remède à son mal. Il faut que le remède s’adresse là où est le mal au cœur même. Le mouvement extérieur distrait tant qu’il dure, mais ne guérit point. Voilà la grossesse de la Reine déclarée. C’est une grande question de savoir si on proposera dans cette session, le bill de régence. Le Cabinet, voudrait bien y échapper et il l’espère. Si le bill était proposé, la session finirait je ne sais quand. Adieu. J’étais bien tenté de croire que, d’ici au 15 juin, tout me serait insipide. Je me trompais. Le 385 (384) venu ce matin, m’a été au cœur. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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388. Londres, Vendredi 5 juin 1840
9 heures

Eton est moins bruyant, et plus intéressant qu’Epsom. Avant-hier quatre chevaux m’ouvraient à grand peine un chemin à travers cent cinquante mille oisifs et fous, comme vous dîtes. Hier, je parcourais seul avec le principal, le Pr Hawtrey, les salles d’étude, les refectoires, la bibliothèque où s’élévent les six-cents membres du Parlement, géneraux, amiraux évêques futurs de l’Angleterre. Tout cela a bon et grand air, un air de force, de règle et de liberté. Debout, au milieu de la cour, la statue de Henri, 6, ce roi imbécile à peine Roi, et qui n’en préside pas moins depuis quatre siècles dans la maison qu’il a fondée à l’éducation de son pays. Autour les plus beaux champ et dans ces champs les plus beaux arbres qu’on puisse voir. En face, Windsor, le chateau Royal resté château fort et qui perpétue au soin de la pacifique civilisation moderne, l’image de la vieille royauté. La Tamise, rien que la Tamise entre Windsor et Eton, entre les Rois et les enfants. Et la Tamise couverte de jolis bateaux long et légers remplis de jeunes et beaux garçons, en vestes rayées bleu et blanc,, avec de petits chapeaux de matelots ramant à tour de bras pour gagner le prix de la course. Les deux rives couvertes de spectateurs à pied, à cheval, en voiture, assistant avec un intérêt qui quoique silencieux à la rivalité des bateaux. Et au milieu de ce mouvement, de cette foule, trois beaux cygnes étonnés effrayés, se réfugiant dans les grandes herbes du rivage pour échapper aux usurpateurs de leur empire. C’était un charmant spectacle, qui a fini par un immense dîner d’enfants. Sous une tente bien blanche, entourée, comme jadis les dîners royaux de la foule des spectateurs. Mon seul reproche est l’excès du vin de Champagne qui a fini par jeter ces enfants, dans une gaité plus bruyante qu’il ne leur est naturel. Je suis revenu comme j’étais allé par le Great. Western Railway qui nous a menés, moi, ma voiture et mes chevaux de Londres à Eton en moins de trois quarts d’heure. Grand dîner, de toutes les Puissances de la maison et de beaucoup de visiteurs de Londres.

Une heure
Nos chagrins sont alternatifs. Je suis désolé que vous n’eussiez pas reçu ma lettre à 2 heures et demie. Je l’avais pourtant adressée par la voie que je crois la plus prompte, en l’absence du gros Monsieur. Vous l’aurez eue dans la journée. C’est un immense ennui que les inexactitudes. Il y en a un plus grand, ce sont les doutes " Je suis bien triste d’être si loin. Serai-je bien heureuse quand je serai près ? " Oui à moins que vous ne vouliez pas. Il n’y a pas quinze jours, vous m’avez promis beaucoup de foi. Et vous ne savez pas si vous serez heureuse quand vous serez près ! Et vous me faites une quantité de petites questions, " peut-être toutes grandes " ! Voici ma réponse. Je n’irai à Salt hill avec personne, car je n’irai pas à Salt hill ; car je ne sais pas ce que c’est que Salt hill ; car je n’ai pas pu lire votre mot précédent. " Où allez-vous pour le.....? Vous voyez que je ne suis pas encore si enfoncé que vous le croyez dans ce qui est loin de vous et sans vous.

3 heures et demie
Je rentre et mes yeux tombent sur ce que je vous écrivais tout à l’heure. Je corrige une phrase : " serai-je bien heureuse de près ? " Oui, quand même vous ne sauriez pas. Voilà ma vraie idée et ma confiance. J’ai été interrompu par M. de Pallen et lord Clarendon. Puis, je suis sorti pour aller voir un moment lady Palmerston. Je l’ai trouvée près de monter en voiture pour Broadlands où elle va jusqu’à mardi. Lord Palmerston y va aussi. Mais il reviendra demain pour dîner chez la Reine où je dine aussi. Le rail-way de Southampton, les mêne à Broadlands en trois heures. Vous savez probablement que lord Beauvale a été fort, fort malade, d’une goutte remontée qui a failli l’étouffer. Il ne pouvait plus avaler et à peine respirer. Les nouvelles de ce matin sont meilleures. Voilà la Commission Rémilly qui a rejeté toutes les incompatibilités nouvelles, et qui fera un rapport insignifiant, lequel ne sera point discuté. C’est la session close sans bruit, autant qu’on peut prévoir. J’en suis bien aise. Que de choses, j’ai à vous dire ? J’en oublierai beaucoup. C’est mon dépit continuel. Mille idées me viennent dans l’esprit, mille paroles sur les lèvres qui voudraient aller à vous, qui vous plairaient, je croiset qui s’évanouissent perdus et tristes. Vous voyez bien qu’il faut que vous arriviez. Adieu. J’ai encore deux ou trois lettres à écrire. Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°1 Château d’Eu Jeudi 31 août 1843 - Midi.

Je quitte le Roi pour vous écrire. Il vient de me promener dans la Smahla dont il est épris comme si c'était celle d'Abdel-Kader et qu'il l'eut prise lui- même. Il est singulièrement jeune. Parfaitement heureux de ce qui arrive, par les grandes raisons, et par les raisons jeunes ; charmé de bien arranger et montrer son palais comme de veiller aux intérêts de son trône. Il aura de très bonnes conversations, très franches. Avec Lord Aberdeen s’entend. Avec la Reine, pas un mot de politique, à moins qu'elle ne le provoque. La Reine arrivera samedi, toujours wind and weather pemitting, qui sont excellents en ce moment. Galanterie du ciel bien nécessaire, car on n'entre pas au Tréport comme on veut. Le Prince de Joinville est parti hier pour Cherbourg, où il est allé attendre la Reine qui n’y sera que demain dans la journée, et seulement pour voir le port prendre un pilote. On est convaincu ici qu’elle n'ira pas à Paris. Rien de ce qui est venu d'elle ne donne lieu de le supposer. On s’attend à trois jours de séjour. Un grand déjeuner dans la forêt pour un jour. Magnifique promenade. Un spectacle pour un autre jour. Il y a eu bien des incertitudes, quant au spectacle. Duchâtel s’est plaint qu'on eût choisi le Gymnase, d’abord parce que c’est le seul théâtre qui n'ait pas voulu fermer aussi longtemps que les autres, à la mort de M. le Duc d'Orléans ; ensuite parce qu'il est devenu ennuyeux. Le Roi à trouvé qu’il avait raison et le Gymnase est congédié, à sa place l'Opera comique et le vaudeville votre ami Arnal. La grande calèche dans laquelle le Roi ramènera la Reine du Tréport est vraiment belle et de bon goût. Place pour les deux familles royales, au complet. La Reine sera au rez-de-chaussée dans l’appartement des Belges, convenable et tout plein de curieux portraits. On met dans sa Chambre un très grand lit, un lit anglais. Les tapis sont ôtés. Le Roi me demande, si je suis d'avis de les remettre. Je dis que non. Il fait chaud et les parquets sont très beaux, beaucoup plus beaux qu'aucun parquet anglais. La Smahla est vraiment un village de tentes en bois, qui seraient somptueuses en Afrique. Le Duc d’Aumale et le duc de Montpensier, qui arrive demain y logent. Le Duc de Nemours ne revient pas. On a pensé qu’il ne devait pas quitter son camp, laisser là dix mille soldats oisifs et dans l’attente, et toute la population, en mécompte. Je crois qu’on a raison.
C’est Lady Canning et miss Leeds qui accompagnent la Reine. Lord Aberdeen a mon appartement ordinaire. J'en ai un bien plus petit et plus simple, mais très suffisant, près du sien. La ville est pleine, archipleine, surtout d'anglais qui viennent de Dieppe, du Havre, de Boulogne, même de Southampton et de Brighton.
Un petit cabinet, place pour un lit et une chaise, se loue 25 fr. pour une soirée. Le Roi a été obligé de louer 40 chambres dans la ville. Je vous conte tout, pêle-mêle comme tout est et se fait sous mes yeux. Pourtant tout est à peu près prêt, et si la Reine arrivait demain, elle serait reçue convenablement.
Je suis arrivé à 9 heures, après une nuit très belle et très douce. J’ai assez dormi, dormi et pensé à vous tour à tour. Un peu à la Reine d'Angleterre. La Reine des Belges m'a dit à déjeuner qu’un des plaisirs qu’elle se promettait de son voyage était de me revoir. Je m'attends un peu à un siège en règle, dans l’intérêt Cobourg. Je ne trouve ici pas plus d'indécision que je n’y en apporte. La Reine est encore ébranlée de l'accident du pont. La chance était vraiment affreuse et sans la vigueur et la présence d’esprit du second postillon, on ne conçoit pas ce qui ait pu les sauver. La Reine se méfiait de ce pont, et ne se souciait pas d’y passer. " Je dirai mon mea culpa toute ma vie de ne l'avoir pas fait descendre.» m'a dit le Roi. Le petit Paris n’a pas eu peur du tout, ni du coup de canon qu’il venait de tirer. Cela a plu au Roi. Mad. la Duchesse d'Orléans y était , et aussi le duc de chartres, le Prince et la Princesse de Joinville, le duc et la duchesse de Cobourg, le duc d’Aumale, tous, excepté Madame de Nemours a bien failli être Roi m'a dit la Reine à déjeuner. Dieu se plaît à entrouvrir et à fermer l'abyme. Adieu.

Le Roi est allé se promener. Je lui ai demandé la permission de venir écrire. La poste part à 2 heures. Il me reprendra à son retour. Adieu. Adieu. Quel beau temps. J’ai voyagé jusqu'à 5 heures et demie dans un brouillard énorme. Le soleil a lui sur Eu au moment où j'approchais. En dix minutes, le brouillard a été balayé. Voilà la Musique qui annonce le départ du Roi pour la promenade. On a fait venir de Londres le God save the Queen et la musique du régiment l’apprend. On a aussi la marche saxonne du Prince Albert. Adieu, adieu. Adieu. J’espère qu’il fait aussi beau à Versailles. Je ne sais ; mais je ne trouve pas dans cette lettre assez de vous et pour vous. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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4. Château d’Eu Samedi 2 sept. 1843
Onze heures du soir

Je rentre dans ma chambre. Vous aurez, vous seule, mes premiers mots de récit. Il y a des choses auxquelles je sacrifierais de grand cœur le plaisir que je viens d'avoir. Il y en a mais pas beaucoup. Et 5 heures un quart, le canon, nous a avertis que la Reine était en vue. A 5 heures trois quarts nous nous sommes embarqués, le Roi, les Princes, Lord Cowley, l’amiral Mackau et moi dans le canot royal pour aller au devant d’elle. Nous avons fait en mer un demi mille. La plus belle mer, le plus beau ciel, la terre couverte de toute la population des environs. Nos six bâtiments sous voiles, bien pavoisés, pavillons français et anglais saluaient bruyamment, gaiment. Le canon couvrait à peine les cris des matelots. Nous avons abord, le yacht. Nous sommes montés. Le Roi ému, la Reine aussi. Il l’a embrassée. Elle m'a dit : " Je suis charmée de vous revoir ici. " Elle est descendue avec le Prince Albert, dans le canot du Roi. A mesure que nous approchions du rivage, les saluts de canon et de voix s'animaient, redoublaient. Ceux de la terre s’y sont joints. La Reine, en mettant le pied à terre avait la figure la plus épanouie que je lui ai jamais vue ; de l'émotion, un peu de surprise, surtout un vif plaisir à être reçue de la sorte. Beaucoup d'embrassades, et de Shake hands dans la tente royale. Puis les calèches et la route. Le God save the queen, autant de Vive la Reine ! Vive la Reine d'Angleterre ! que de Vive le Roi. Rien n’y a manqué si ce n'est une porte du parc par laquelle le Roi voulait qu'on entrât, et qui ne s'est pas trouvée commode pour huit chevaux. Il a fallu prendre la grande porte et raccourcir un peu la promenade. En arrivant, salut général des troupes dans la cour du château. Tout cet entourage anglais avait l’air très content, très, très.
Nous avons dîné à 8 heures un quart, et on vient de se séparer. J'ai commencé avec Lord Aberdeen. Il est presque amical. Voici ses premières paroles : " Je vous prie de prendre ceci comme un indice assuré de notre politique, et sur la question d’Espagne et sur toutes les questions. " Nous avons touché à toutes en nous disant que nous les coulerions toutes à fond. Je ferai pour mon compte, de la politique très ouverte, très franche, et je crois qu’il en fera autant. Brünnow et Neumann lui ont presque fait des remontrances officielles sur ce voyage. Il s’est un peu fâché et un peu moqué. Point de Paris. Elle restera ici jusqu'à jeudi. Il faut qu’elle soit à Brighton Jeudi 7 à 2 heures. Demain, jour tranquille ; Strict sabbath. Lundi, promenade et luncheon dans la forêt. Mardi musique. Mercredi spectacle ; Arnal est arrivé. Voilà les premières vues. Moi, je commencerai demain mes conversations. J’ai fait un memorandum superbe.
Adieu. Je vais me coucher. Je suis un peu las. Que vous me manquez ! Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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6 Château d’Eu Dimanche 3 sept. 1843,
10 heures et demie

Un mot puisque j'ai une lettre de Lady Cowley à vous envoyer ; un seul car je suis fatigué et je meurs de sommeil. Ce matin une promenade d’une heure et demie par un mauvais chemin, pour arriver à un joli point de vue. C’est notre Reine qui a le goût de ce point de vue, et n’a pas songé au mauvais chemin. L'autre Reine s'en est amusée.
Avant la promenade, une très bonne conversation avec Lord Aberdeen sur l'Espagne. L'affaire ira. Ce soir une bonne aussi sur toutes choses, dans le salon de la Reine : salon sévère, comme le Sabbath. On a regardé des images et fait des patiences. M. le duc de Montpensier y excelle. A dîner en revanche, la Reine V. s’était parfaitement amusée ; le Roi l’a fait rire tout le temps, je ne sais avec quoi. Moi, j’ai amusé Lady Cowley. Si j’avais le temps, elle m'aimerait. Adieu. Adieu. Dieu nous garde ce beau temps la semaine prochaine, pour notre dîner de St Germain. Quel plaisir ! Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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5. Château d’Eu Dimanche 3 sept.1843
8 heures et demie

Il faut croire à la puissance des idées justes et simples. Ce pays-ci n’aime pas les Anglais. Il est Normand et maritime. Le Tréport a été brulé deux ou trois fois, et pillé, je ne sais combien dans nos guerres. Rien ne serait plus facile que d'exciter ici une passion qui nous embarrasserait fort. On a dit, on a répété : " La Reine d’Angleterre fait une politesse à notre Roi ; il faut être bien poli avec elle. " Cette idée s'est emparée du peuple et a tout surmonté, souvenirs, passion, partis politiques. Ils ont crié et ils crieront Vive la Reine, et ils applaudissent le God save the Queen de tout leur cœur. Il ne faudrait seulement pas le leur demander, trop longtemps. Ce n'est pas qu'une autre idée simple et plus durable, la paix, le bien de la paix, ne soit devenue et ne devienne chaque jour très puissante. On la voit au dessus du peuple, parmi les petits bourgeois, et parmi les réfléchis, les honnêtes du peuple. Elle nous sert beaucoup on ce moment. " Quand on veut avoir la paix, il ne faut pas se dire des injures et se faire la grimace." Cela aussi était compris, hier de tout le monde sur cette rive de la Manche. Il y avait vraiment beaucoup de monde.
Voici le N°3 ! Qu'il me plaît malgré, votre peine, à cause de votre peine ! Je me le reproche. Pardonnez-moi ; mais aimez-moi comme vous m’aimez. C’est tout ce que j’aime au monde, tout ce à quoi je tiens vraiment au fond. Vous avez vraiment eu tort d'être si inquiète. Je n’aurais pas risqué César et sa fortune, et bien plus que la fortune de César. Nous n'avons fait d'ailleurs que ce que vous même jugez nécessaire : Un mille en rade, dans le canot royal ; c'était charmant, dix huit rameurs, tous beaux jeunes gens, en chemise blanche, pantalons blancs, l’air si gai sous la sueur qui ruisselait de leur front, la mer aussi sereine aussi bleue que le ciel. Et vous étiez inquiète à ce moment là ! Je pensais à vous ; je vous plaçais dans ce canot ; je vous faisais monter avec moi à bord du yacht de la Reine. Vous aviez un peu peur, peur pour vous. Moi, je n’avais pas peur je tenais votre bras, et j'étais heureux. Que tout ce qui se passe dans la vie extérieure est peu de chose à côté de ce qui traverse et remplit l'âme !
Vous ai-je dit hier soir que décidément il n’y aurait pas de Paris. Je le crois. Je vous répète peut-être souvent les mêmes choses. C’est bien long d’ici à jeudi ! Je vous aime réellement mieux à Beauséjour. A Versailles, vous êtes à la merci des autres. Ils vont ou ne vont pas vous chercher. A Beauséjour, vous pouvez aller chercher quelqu'un, faire vous-même quelque chose pour vous.
Midi . Je reviens du déjeuner. Hier, j'étais en uniforme, en grand uniforme. J'y avais fait mettre Mackan, Lord Cowley, Lord Aberdeen, Lord Liverpool. Le Roi et les Princes, et tous les autres sont venus dîner en frac. Et le Roi ma dit après dîner que la Reine l’aimait mieux. Pour la commodité du Prince Albert, je présume. Ils ont tort. Quand on ne peut plus se gêner en haut, il ne faut pas s'étonner qu'on ne se gène plus en bas. Hier, à dîner à côté de Lady Canning moins jolie qui je ne l’avais laissée ; des sourcils trop noirs et qui se rejoignent. Ce matin, à déjeuner, Lady Cowley. Elle m’a dit qu’elle allait vous écrire pour vous dire ce qu'on (moi) ne vous disait pas, les toilettes, les bêtises. Est-ce que je ne vous en ai pas dit ? Elle m’a parlé de vous avec un intérêt assez vrai et un vrai respect. La reine la traite bien. Elle me paraît très contente.
Les Anglais qui entourent la Reine se préoccupent, en ce moment même, à ce qu’on vient me dire, du lieu et de la manière dont se feront aujourd'hui, pour elle et pour eux, les prières. Le lieu, ils n'en manqueront pas, on arrangera une salle du château ; mais la manière, je ne sais ce qu’elle sera si la Reine n’a pas amené de chapelain. Je suis ici, je crois le seul Protestant, et point chapelain. Je vais causer avec Lord Aberdeen à une heure, et il ira chez le Roi, à 2.
Vos préceptes sont excellents et je les mettrai en pratique. Demain, pendant la grande promenade de la forêt, je m’arrangerai pour l'avoir près de moi et lui vider mon sac. Je le trouve fort enclin à comprendre que le Prince de Metternich ne veut plus avoir d'affaire et que tout le monde ne peut pas être aussi fatigué que lui. Adieu. Adieu.
Il faut que je ferme mes dépêches, quelques mots à Génie, et puis que j'aille chez Lord Aberdeen. Il y a deux mois que la Reine était décidée à ce voyage et en a parlé à Lord Aberdeen et à Sir Robert Peel qui l’ont fort approuvé, en lui demandant de n'en point parler jusqu’après la clôture du Parlement. Voilà leur dire. Il ajoutent que l’opposition, Palmerston surtout, y était contraire et eût travaillé à le faire échouer, si on en eût parlé. Adieu, encore. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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8 Château d’Eu Mardi 5 Sept. 1843
6 heures et demie

Enfin j'en sais le terme. La Reine part jeudi par la marée du matin. Je ne vous ai peut-être pas conté, tout M. Salvandy. Je n’en ai pas eu et n’en ai pas le temps. Mais nous étions convenus qu’il reviendrait ici pendant mon séjour et que nous y viderions ce qui le regarde. Il n’est pas venu, quoiqu’il ait fait pour cela, la Reine étant à Eu. J’ai prié le Roi de l’inviter à dîner pour jeudi, la Reine partie. Et jeudi après le dîner et Salvandy réglé de 8 à 10 heures, je partirai pour être à Auteuil de 10 heures à midi vendredi. Quel long temps ! Pas perdu pourtant.
La Reine m'a reçu hier. Le Prince Albert d'abord ; la Reine s'habillait pour la promenade. Avec l’un et l'autre conversation parfaitement convenable et insignifiante. La Reine très gracieuse pour moi, je pourrais dire un peu affectueuse. Elle m’a beaucoup parlé de la famille Royale qui lui plaît et l’intéresse évidemment beaucoup.
Je venais de recevoir un billet de Duchâtel qui regrettait qu'elle n’allât pas à Paris où l'accueil serait excellent, brillant. Elle en a rougi de plaisir. Ceci m'a plu. Un seul mot de quelque valeur : " J'espère que de mon voyage, il résultera du bien. - Madame, c’est à vous qu'on le rapportera. "
Le soir, Lord Aberdeen s’est fait valoir à moi de n'avoir pas assisté à mon audience de la Reine. Elle l’en avait prévenu : " Notre règle voulait que je fusse là, mais j'ai dit à la Reine qu'avec un aussi honnête homme je pouvais bien la laisser seule. " Je lui ai garanti l’honnêteté de ma conversation. Sous son sombre aspect, Lord Aberdeen est, je crois, aussi content que la Reine de son voyage : " Il faudrait absolument se voir de temps en temps, me disait-il hier ; quel bien cela ferait ! " Nous avons causé hier de Tahiti et de la Grèce. Tahiti n’est pour lui qu’un embarras ; mais les embarras lui pèsent plus que les affaires. C’est un homme qui craint beaucoup ce qui le dérange, ou le gêne, ou l'oblige à parler, à discuter, à contredire et à être contredit. Il voudrait gouverner en repos. Evidemment la session n’a pas été bonne à Peel. Aberdeen m'a dit que sa santé en était ébranlée. " Pauvre Sir Robert Peel m'a dit le Prince Albert il est bien fatigué. " On en parle d’un ton d'estime un peu triste et d’intérêt un peu compatissant. Comme d'un homme qui n’est pas à la hauteur de son rôle et qui pourtant est seul en état de le remplir.
La promenade a été belle ; quelques belles portions de forêt, quoique très inférieure à Fontainebleau et à Compiègne. Mais les forêts sont nouvelles pour les Anglais. Un beau point de vue du Mont d'Orléans où le luncheon était dressé ; et là autour des tentes comme sur la route, beaucoup de population, accourue de toutes parts, très curieuse et très bienveillante.
De la musique le soir, Beethoven, Gluck, et Rossini, très peu de chants ; quelques beaux chœurs. On n’avait pas pu venir à bout de s'entendre sur l'opéra Comique. Au vrai, les acteurs voulaient jouer Jeannot et Colin, et n'avaient apporté que cela. Le Roi n’a pas voulu et il a eu raison. Mais il fallait qu'ils eussent apporté autre chose.
L’amiral Rowley à dîner. Son vaisseau, le St Vincent était venu saluer le château. Bonne figure de vieux marin Anglais ; bien ferme sur ses jambes et très indifférent. Le Duc de Montpensier a beaucoup de succès auprès de la Reine. Hier, pendant le dîner, il la faisait rire aux éclats. Il est le plus gai et le plus causant, de beaucoup. On voit que tout l'amuse. Mad. la Duchesse d'Orléans était de la promenade, et au luncheon, à la gauche du Roi. Avec M. le comte de Paris qui a infiniment gagné. Il a une physionomie sereine et réfléchie. Son précepteur m'en a bien parlé. La grande lettre n’est pas encore venue. Cela me déplait. Je n’aime pas à rien perdre.
Décidément Mad. la Princesse de Joinville est charmante. Tout le monde, vous le dira. Charmante de tournure et de physionomie. La mobilité d'un enfant avec la gravité passionnée d’un cœur très épris. Elle prend, quitte et reprend les regards de son mari, vingt fois dans une minute, sans jamais, s'inquiéter de savoir si on la regarde ou non, sans penser à quoi que ce soit d'ailleurs. Et cela avec un air très digne, ne paraissant pas du tout se soucier, si elle est Princesse et l'étant tout-à-fait.
Le Roi fait aujourd’hui présent à la Reine de deux grands et très beaux Gobelins (15 pieds de large sur 9 de haut) la chasse et la mort de Méléagre, d'après Mignard, e& d'un coffret de sèvres qui représente la toilette des femmes de tous les pays. C’est un présent très convenable. Une heure Le présent vient d'être fait et vu de très bon œil. Les deux tableaux sont vraiment beaux. Ils ont été commencés il y a trente ans encore sous l'Empire.
Le N°4 est enfin venu avec le 6. A ce soir ce que j’ai à vous répondre. Je vous quitte pour aller chez Lord Aberdeen. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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9 Au château d'Eu. Mercredi 6 sept. 1843,
7 heures

Vous avez beau mépriser la musique instrumentale. Vous auriez été entrainée hier par un fragment d'une symphonie de Beethoven que les artistes du conservatoire ont exécutée, avec un ensemble, une précision, une vigueur et une finesse qui m'ont saisi, moi qui ne m’y connais pas et cette succession de si beaux accords, si nouveaux et si expressifs, étonne et remue profondément. Tout le monde, savants et ignorants, recevait la même impression que moi. Je craignais que ces deux soirées de musique n'ennuyassent la Reine. Il n’y a pas paru. Ce soir, le Vaudeville et Arnal. Nous avons trois pièces, mais nous n'en laisserons jouer que deux. Ce serait trop long. Avant le dîner, une petite promenade, au Tréport, toujours plein de monde, et toujours un excellent accueil. Avant la promenade, la visite de l’Eglise d’Eu qui est belle, et du caveau où sont les tombeaux des comtes d’Eu, les statues couchées sur le tombeau, les comtes d'un côté, leurs femmes de l'autre, et le caveau assez éclairé, par des bougies suspendues au plafond, pour qu’on vit bien tout, assez peu pour que l’aspect demeurât funèbre. Les Anglais sont très curieux de ces choses là. Ils s'arrêtaient à regarder les statues, à lire les inscriptions. Notre Reine et Mad. la Duchesse d'Orléans n'y ont pas tenu ; elles étaient là comme auprès du cercueil de Mrs. le Duc d'Orléans. Elles sont remontées précipitamment, seules, et la Protestante comme la Catholique sont tombées à genoux et en prières dans l’Eglise devant le premier Autel qu’elles ont rencontré. Nous les avons trouvées là, en remontant. Elles se sont levées, précipitamment aussi et la promenade, a continué.
J’ai eu hier encore une conversation d’une heure et demie avec Aberdeen. Excellente. Sur la Servie, sur l'Orient en Général et la Russie en Orient, sur Tahiti, sur le droit de visite, sur le traité de commerce. Nous reprendrons aujourd’hui l’Espagne pour nous bien résumer. Le droit de visite sera encore notre plus embarrassante affaire. " Il y a deux choses m’a-t-il dit, sur lesquelles notre pays n’est pas traitable, et moi pas aussi libre que je le souhaiterais, l'abolition de la traite et le Propagandisme protestant. Sur tout le reste, ne nous inquiétons, vous et moi, que de faire ce qui sera bon ; je me charge de faire approuver sur ces deux choses là, il y a de l’impossible en Angleterre, et bien des ménagements à garder. " Je lui demandais qu’elle était la force du parti des Saints dans les communes : " They are all Saints on these questions. " Je crois pourtant que nous parviendrons à nous entendre sur quelque chose. Il a aussi revu le Roi hier et ils sont tous deux très contents l’un de l'autre. La marée du matin sera demain à 10 heures. On pourra sortir du port de 10 h.
à midi.
Ce sera donc l'heure du départ, nous ramènerons la Reine à son bord comme nous avons été l’y chercher. Il fait toujours très beau. Je demande des chevaux pour demain soir, 9 heures. Je vous écrirai encore demain matin pour que vous sachiez tout jusqu’au dernier moment. Pas de santé de la Reine à dîner. Les toasts ne sont pas dans nos mœurs. Il faudrait porter aussi la santé du Roi, et celle de notre Reine, et peut-être pour compléter nos gracieusetés, celle du Prince Albert. Cela n'irait pas. Je ne me préoccupe point de ce qui se passe entre la Cité et Espartero. C'est ma nature, et ma volonté de faire peu d’attention aux incidents qui ne changeront pas le fond des choses. Lord Aberdeen, m'en a parlé le premier, pour me dire que ce n’était rien et blâmer positivement Peel d'avoir dit qu’Espartero était régent de jure. Il n’y a plus de régent de jure, m’a-t-il dit, quand il n’y a plus du tout de régent de facto. La régence n’est pas, comme la royauté, un caractère indélébile, un droit qu'on emporte partout avec soi. J’ai accepté son idée qui est juste son blâme de Peel sans le commenter, et son indifférence sur l'adresse de la Cité qui du reste est en effet bien peu de chose après la discussion et l’amendement qu’elle a subi.
Vous auriez ri de nous voir hier tous en revenant de la promenade, entrer dans le verger du Parc, le Roi et la Reine Victoria en tête, et nous arrêter devant des espaliers pour manger des pêches. On ne savait comment les peler. La Reine a mordue dedans, comme un enfant. Le Roi a tiré un couteau de sa poche : " Quand on a été, comme moi, un pauvre diable, on a un couteau dans sa poche. " Après les pêches, sont venues les poires et les noisettes. Les noisettes charmaient la Princesse de Joinville qui n’en avait jamais vu dans son pays. La Reine s'amuse parfaitement de tout cela. Lord Liverpool rit bruyamment. Lord Aberdeen sourit shyement. Et tout le monde est rentré au château de bonne humeur. Adieu. Adieu. J’oublie que j'ai des dépêches à annoter. Adieu pour ce moment.

Midi et demie
Nous venons de donner le grand cordon au Prince Albert, dans son cabinet. Le Roi. lui a fait un petit speech sur l’intimité de leurs familles, et des deux pays. Une fois le grand cordon passé : " Me voilà votre collègue, m'a-t-il dit en me prenant la main ; j’en suis charmé. " Je crois que la Jarretière ne tardera pas beaucoup. Je vous dirai pourquoi je le crois.
Le N° 7 est bien amusant. Pourquoi ne pas être un peu plus spirituel d'abord ? Cela dispenserait d'être si effronté après. Le pauvre Bresson a bon dos. Il n’a jamais voulu rien forcer, car il n’a jamais cru qu'on vînt. Je reçois à l’instant une lettre de lui. M. de Bunsen venait d’écrire à Berlin le voyage de la Reine comme certain. Bresson est ravi : " Il faut, me dit-il, avoir, comme moi, habité, respiré pendant longues années au milieu de tant d'étroites préventions de passions mesquines, et cependant ardentes, pour bien apprécier le service que vous avez rendu, et pour savoir combien vous déjouez de calculs, combien de triomphes vous changez en mécomptes. "
C'est le premier écho qui me revient. Je dirai aujourd’hui un mot de Bulwer. Soyez tranquille sur la mer. Nous ne ferons pas la moindre imprudence. Je me prévaudrais au besoin de la personne du Roi dont je réponds. Il n’y aura pas lieu. Le temps est très beau, l’air très calme. Le Prince Albert est allé nager ce matin avec nos Princes. Le Prince de Joinville reconduira la Reine jusqu'à Brighton et ne la quittera qu'après lui avoir vu mettre pied sur le sol anglais.
Voici ma plus impérieuse recommandation. Ne soyez pas souffrante. Que je vous trouve bon visage ; pas de jaune sous les yeux et aux coins de la bouche. Si vous saviez comme j'y regarde, et combien de fois en une heure ! Je n’arriverai Vendredi que bien après votre lever ; pas avant midi, si, comme je le présume, je ne pars qu'à 10 heures. Adieu. Adieu. Il faut pourtant vous quitter. Nous partons à deux heures pour une nouvelle et dernière promenade dans la forêt. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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3. Saverne Samedi 3 août 1844
6 h. du matin

Je veux encore vous dire adieu sur terre de France. Je serai triste en passant le Rhin ! Hier n’a pas été si bien que les autres journées. Un accident ; le postillon sous les chevaux... La voiture presque renversée. Mon Constantin a sauté dehors avec une prestesse de cosaque. Il a tout fait, coupé les traits, relevé le postillon. Enfin nous nous sommes remis de la frayeur et de l’accident. Cela a fait un délai d'une heure. Le pauvre postillon y perdra un doigt.
Je vais donc revoir mon frère aujourd’hui. Je commence à y penser. J’aurai un peu de plaisir, et quelques conversations curieuses. A propos, si l’envie de voir Strasbourg lui venait, s’il était curieux (ce qu'il sera) d’un exercice des chasseurs d’Orléans, Hennequin serait-il homme à l’orienter pour le jour où cela pourrait se rencontrer ? Ou bien pourriez-vous lui faire tenir quelque autorisation auprès du Chef militaire pour cela ? Cela serait de la bien bonne grâce. Je vous dis ceci en l'air, mais Constantin croit que son oncle serait le plus heureux du monde de voir pareille fête.
Les visiteurs de Bade arrivent à Strasbourg sans passeports. Au reste je vous reparlerai de cela encore quand je l’aurai vu. Je vais déjeuner et partir. Je soutiens bien le voyage. Constantin est tout étonné du peu d'embarras que je lui donne, mais cela vient de ce qu’il est là et que je ne m’inquiète pas de mille détails du voyage. Ma santé va assez bien. Adieu. Adieu. Ecrivez-moi, soignez-vous. God bless you dearest.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Château d'Eu. Lundi 7 oct.
3 heures

Je ne vous répète pas le récit de mes ennuis. Trois heures et demie dans une chaumière, sur la route, à attendre une voiture de Rouen. J'ai beaucoup pensé à vous, et à l'impatience que vous auriez, bien plus vive que la mienne. Cela m'a calmé. Au fait j'étais à couvert, devant un bon feu, et j'étais sûr qu'une voiture m’arriverait. Quand elle est arrivée la seule solide qu'on eût trouvé, les deux glaces des portières manquaient. On y a adapté des rideaux d’épaisse perkalin verte. Un vrai sarcophage, du reste il roulait bien.
Quand j’ai relayé à Tôtes, j’entends un groupe autour de ma voiture. Je ne voyais rien, & on ne voyait rien. J’entends dire : " C’est M. Guizot. Pourquoi s'enferme t-il comme çà ? Il n'en a pas besoin. Ici, tout le monde l’aime ; nous ne sommes pas des journalistes. " Je soulève mon rideau : " Messieurs, c’est que ma voiture s'est brisée et j’ai été obligé d'en prendre une autre qui n’a pas de glaces. - Prenez bien garde de vous enrhumer. M. le Ministre. On dit que vous avez été malade soignez vous. Le commerce a bien besoin que vous vous portiez bien. "
Je les ai remerciés, et j'ai refermé mon rideau. Il y avait cinq ou six gardes nationaux en uniforme, et une vingtaine de petits bourgeois ou paysans. Voilà les assassins qui m'attendent sur la route. Je suis arrivé à Dieppe à 9 heures. J’ai fait faire un bon feu. J’ai expédié une estafette à Eu et une à Paris. J'étais dans mon lit à 10 heures. J'ai assez bien dormi. Pas comme dans ma chambre pourtant. Ce matin à 7 heures et demie, comme j’allais partir, Herbet m'a rejoint. Je l’avais laissé en arrière pour prendre soin de ma voiture. Je suis arrivé ici à 10 h.. Le Dr Fouquier m'attendait à la porte de ma chambre. Il est allé rendre compte au Roi de moi.
J'ai déjeuné dans ma chambre, très bien déjeuné. Puis, j’ai fait ma toilette. Cette maison est très bien tenue. Tout y est commode et prévu. Et puis, je suis évidemment l'objet, des plus tendres soins. L’intérêt personnel habile et élégant fait ce qu’il peut pour ressembler à un peu d'affection. J'y réponds par de la bonne grâce. C’est assez.
Je viens de passer une heure avec le Roi. Content et préoccupé. J’ai des nouvelles, de Sainte Aulaire. Peel sera à Windsor, à l’arrivée du Roi, et est invité pour toute la durée du voyage. Il y aura beaucoup d'invitations pour un jour. Les Cambridge ne sont invités que pour le 10, le jour de la Jarretières. Les deux colliers vacants seront donnés à Lord Abercorn et à Lord Talbot, mais pas ce jour-là. Le Prince Albert viendra-t-il jusqu'à Portsmouth, ou seulement au point ou nous quitterons le chemin de fer ? That's the question. La Reine Louise a écrit qu’il irait à Portsmouth. Adieu.
Vraiment, je suis bien. Point fatigué. Nous verrons cette nuit. J'ai dit au Roi que je me coucherai en entrant sur le Gomer. Il m’a fort approuvé. Beau temps ; mais un peu de vent, et mauvais nord-ouest. Nous dinons à 4 heures et demie, & nous nous embarquons à 6 heures. Adieu. Adieu.
Merci de votre lettre à Lord Aberdeen. Je suis sûr qu'il en tiendra grand compte. Sainte-Aulaire m'écrit qu’il est très préoccupé de mon indisposition. Adieu. Adieu.
Le facteur demande mes lettres. Adieu dearest. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°4 (je crois) Château de Windsor, Mercredi 9 oct. 1844, 9 heures

Soyez tranquille. Je commence par là. Je suis très bien. J'ai bien dormi. Pas si bien que sur le Gomer où je me suis couché Lundi soir, à 7 heures et demie pour me lever mardi à 7 heures après deux ou trois réveils fort courts dans cette longue nuit. Je ne me suis pas douté de la traversée.
Hier soir la Reine pour nous laisser reposer, a quitté son salon à 10 heures. J'étais dans mon lit à 10 heures et demie. J’ai pris, mon bouillon, comme chez moi, en m'éveillant. Voilà le compte de ma santé fait. Je vous répète que le voyage me fait du bien. Mais les lits Anglais sont trop durs.
Soirée fort tranquille hier. Point d’invités, si ce n’est le Duc de Wellington, sir Robert Peel et Lord Aberdeen qui est arrivé tout juste pour dîner. Longue conversation entre lui et moi après le dîner. Je ne sais quel hasard nous a fait commencer par l'Empereur et M. de Nesselrode, et nous n'en sommes pas sortis. J’ai à peu près vidé mon sac sur ce point, écouté avec beaucoup de curiosité et pas mal de surprise. Avec Sir Robert Peel, un commencement de conversation sur ses propres affaires, ses succès financiers, l'état intérieur de la France, ce qui l’intéresse le plus. Le Duc de Wellington extrêmement poli & soigneux avec moi, comme un homme qui se souvient vaguement qu’il a quelque chose à réparer.
J’ai causé assez longtemps avec la Reine ; et longtemps avec le Prince Albert. Ils ont l’air très content. La soirée s’est passée à voir l’Album du voyage de la Reine au château d’Eu, que le Roi lui a apporté.
Ce matin, la Reine a fait proposer au Roi, pour 9 heures et demie une visite au potager et au verger. Il l'a priée de vouloir bien l'excuser. Il reçoit Lord Aberdeen à 9 heures, et sir Robert Peel à 11. Je le verrai entre deux. La Reine est prodigieusement matinale. Le déjeuner est commun, où elle ne va point, est à 9 heures. Je n’y vais pas non plus. Je ne sais quels seront les plaisirs officiels de la matinée. On m'avertit qu'ils commenceront à 2 heures. Adieu. J'espère bien avoir un courrier de Paris ce matin. J’expédierai le mien ce soir à 5 heures. Je vous redirai Adieu.
Le Duc de Wellington m’a demandé si Lord Cowley ne viendrait pas faire une course à Londres - Je sais qu’il se trouve parfaitement à Paris. Il a raison. On me dit qu'il se porte très bien.
Midi, et demie
Voilà votre numéro 2. Merci de votre anxiété. Vous aurez été rassurée le lendemain. Vraiment il n’y a pas de quoi vous inquiéter. Ma santé va bien. Ce qui me manque encore de force reviendra. C'est à mes affaires que je pense. Grand ennui d'y penser tout seul.
J’attends Lord Aberdeen à une heure. Il a vu le Roi qui en a été très content. Peel est chez le Roi en ce moment. Adieu. Adieu. Après vous, ce que j’aime le mieux, c'est vos lettres. Adieu. G.
Je vous renvoie celle de Lady Palmerston. Yes, no harm.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°6 Château de Windsor. Jeudi 10 oct. 1844,
11 heures

Mon courrier de Paris n'est pas encore arrivé, et j'apprends que celui que j'ai expédie hier a manqué, le train de Londres à Brighton et a été obligé de s’en aller par Douvres, ce qui aura retardé mes lettres de douze heures. Voilà des ennuis par dessus les ennuis de l'absence. Vous avez bien raison : l'absence est odieuse, et de plus absurde. Il vient un moment dans la vie ou les intérêts et les affections intimes devraient être seuls écoutés. Mais on est lancé, et on roule. Je roule fort dans ce moment-ci. Tout se passe à merveille. Pour le dehors et la population, je n'ai rien à ajouter aux journaux, sinon qu’ils disent vrai. Faites-vous donner par Génie, le Times et le standard.
Dans l’intérieur, l'accueil est vraiment éclatant et fraternel. On voit que la Reine prend plaisir à déployer sa magnificence et son amitié. Nous avons commencé hier les grands dîners de 100 couverts dans St George Hall et ensuite cercle & musique dans les state apartments. Nous aurons cela tous les jours jusqu'à lundi. Vous verrez la liste du dîner. J'étais à côté de Lady Peel, bien gracieuse et bien timide. J'ai bien employé ma soirée. J’ai beaucoup causé avec Peel, Aberdeen, Sir James Graham, Lord Wharncliff. J’ai été très content de Sir James Graham, et j’ai appris que, dans nos dernières difficultés, il avait été constamment l'un des meilleurs. Avec Peel, je n’ai encore abordé point de question spéciale, et je ne sais jusqu'à quel point je les aborderai. Je suivrai le conseil de Lord Aberdeen. Mais la politique générale la paix et la guerre, les relations avec les divers Etats. Il est très, très pacifique, convaincu que sa force tient à la prospérité des intérêts commerciaux qu’il a fort soignés et qui ne prospèrent que par la paix.
Il m’a fort bien parlé de M. de Nesselrode distinguant expressément son langage de celui de l'Empereur. J’irai chez lui ce matin à une heure. Ni lui, ni moi, ni Lord Aberdeen ne sommes de la course du Roi et de la Reine à Twickenham. Nous en profiterons pour causer à fond. Avec Aberdeen, j’ai entamé hier, et assez avant l'affaire du droit de visite. Je ne puis rien dire encore. Avec ses excellentes dispositions, Lord Aberdeen n’aime pas les changements, les discussions, les entreprises. Mais j’espère le rassurer, et le mettre en mouvement. Je ne puis m'empêcher de vous dire que je suis comblé, comblé par tout le monde. Evidemment l'estime et la confiance sont complètes. Peel a fait un vrai discours au Roi, à mon sujet et le Roi me l’a redit avec plaisir.
Hier avant le dîner, une assez froide promenade, moitié à pied, moitié en calèche. Visite minutieuse du château depuis la chapelle jusqu'à la vaisselle et aux cuisines. Visite de la basse cour et de la ferme. Enfin visite à la petite maison de la Duchesse de Kent. Il pleuvait de temps en temps. Aujourd’hui, il fait assez beau.
Votre paquet pour Paul est à Londres. Mon courrier de Paris n’arrive toujours pas. Cela m'ennuie bien. Voilà qu’on m’apporte quelques journaux de Paris, une lettre de Duchâtel pour le Roi, et rien de plus. redoublement demain. Adieu. Adieu. Mille fois, adieu. G.
Je vais bien.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°7 Château de Windsor, Vendredi 11 Oct. 1844
4 heures

Votre pauvre frère est donc mort. Tristesse ou joie, toute chose m'est un motif de plus de regretter l'absence. Loin de vous ce qui vous afflige me pèse ; ce qui me plaît à moi, me pèse. Je ne puis souffrir cette rupture de notre douce et constante communauté. Je suis vraiment triste que votre frère n'ait pas eu la consolation de mourir chez lui, dans sa chambre au milieu des siens. Il semble qu’on ne meure en repos que là. Et cette pauvre Marie Tolstoy ! Je ne lui trouvais point d’esprit. Mais elle a un air noble et mélancolique qui m’intéressait. Non, vous n’êtes pas seule, car je vais revenir.
Nous partons toujours lundi 14, pour nous embarquer à Portsmouth vers 5 heures et arriver au château d'Eu mardi 15 à déjeuner. J’y passerai le reste de la journée du mardi et je serai à Paris mercredi soir. Bien profonde joie.
Le voyage est excellent et laissera ici de profondes traces. Mais cinq jours suffisent pleinement. Je sors de la cérémonie de la Jarretière. Vraiment magnifique et imposante, sauf toujours un peu de lenteur et de puérilité dans les détails, 14 chevaliers présents. Le Roi, très bonne mine, très bonne tenu ; point d'empressement et saluant bien. Lord Anglesey a failli tomber deux ou trois fois en se retirant. Je ne vous redis pas ce que vous diront les journaux.
Hier à dîner entre la Duchesse de Mecklembourg et la Duchesse de Norfolk. La première spirituelle, et gracieuse ; la seconde pompeusement complimenteuse. Après dîner, Lord Stanley. Longue et très bonne conversation. Il m'a dit en nous quittant : " Je vous promets que je me souviendrai de tout ce que vous m'avez dit. " Je crois avoir fait impression. Le Roi en croit autant pour son compte. Quel dommage de ne pas voir les hommes là tous les trois mois ! Qu'il y aurait peu d'affaires. Lord Stanley m’a fait à moi l'impression d'une grande franchise & straightforwardness. Le tort des Anglais, c'est de ne pas penser d’eux mêmes à une foule de choses, et de choses importantes. Il faut qu'on les leur montre.
Outre Stanley, un peu de conversation avec M. Goulburn. Je les ai soignés, tous. Voilà deux soirées où je vous jure que j’ai été très aimable. Hier trois heures avec Aberdeen. Parfait sur toutes choses. Nous sommes de vrais complices. Nous nous donnons des conseils mutuels. Il est bien préoccupé de Tahiti et bien embarrassé du droit de visite. Ce matin deux heures et demie avec Peel. Remarquablement amical pour moi. Les paroles de la plus haute estime, de la plus entière confiance. Il a fini par me tendre la main en me demandant mon amitié de cœur. A un point qui ma surpris. Du reste très bonne intention ; plus d'humeur. Le voyage en effacera toute trace : mais des doutes, des hésitations et des inquiétudes dans l’esprit qui est plus sain que grand. Il m'a répété deux fois, qu’il s’entendait parfaitement et sur toutes choses avec Lord Aberdeen. Se regardant comme brouillé avec une portion notable de l’aristocratie anglaise, & le regrettant peu.
L'Empereur et M. de Nesselrode ont pris plus d’une demi-heure de notre temps. Les choses sont parfaitement tirées au clair. Il a fort approuvé ma conduite de ce côté depuis trois ans. Que de choses j'aurais encore à vous dire. Mais il faut finir. Mon courrier part dans une demi-heure et j’ai à écrire à Duchâtel. Adieu. Adieu. Dearest ever dearest.

J'oublie toujours de vous dire que je vais bien. Un peu de fatigue le soir. Je suis toujours charmé de me coucher. Mais je suffis à chaque jour, et mieux chaque jour. Je mange, quoique je ne puisse pas avoir un bon poulet. Demain, la Cité de Londres envoie à Windsor son Lord Maire, ses douze Aldermen et 18 membres de son common council pour présenter au Roi une adresse excellente pour lui, excellente pour la France. N'ayant pu obtenir le banquet à Guildhall ils n'en ont pas moins voulu manifester leurs sentiments. Ici, cela fait un gros effet. J’espère que chez nous, il sera très bon. Je n'écris pas à Génie dites-lui je vous prie ceci et quelques autres détails pour sa satisfaction. Adieu adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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9 Château de Windsor. Dimanche 13 oct. 1844, onze heures

Oui, je pars demain à midi. Je vous ai dit hier si je ne me trompe comment tout est arrangé. N'ayez aucune crainte de Rouen. C’est beaucoup plus prompt moins fatigant et très sûr. Je partirai d'Eu Mercredi matin, entre 7 et 8 heures. Je serai à Rouen à 2 heures. J’en repartirai à 3 heures pour être à Paris à 9 heures.
Soyez bien sûre que vous n'aurez pas plus de plaisir à me voir entrer que moi à entrer. C’est une charmante idée qui me revient à chaque instant et m'illumine le cœur à tel point qu’il en doit paraître quelque chose sur mon visage. Mais personne ici n'y regarde. Vous n'aurez que quelques lignes. J'ai beaucoup à faire aujourd’hui. Jarnac vient de passer deux heures dans mon Cabinet. J’aurai une dernière conversation avec Aberdeen et avec Peel. Je dois voir aussi le Prince Albert. Puis une foule de petites affaires à régler avec le Roi.
Par une faveur que Lord Aberdeen a arrangée, Lord John Russell est invité à dîner pour aujourd’hui. Aberdeen m’a engagé à causer avec lui, assez à cœur ouvert ; et des rapports des deux pays et du droit de visite. Il lui croit bonne intention, et est lui-même avec lui, en termes très bienveillants.
Merci de la lettre de Bulwer. Je vous la renvoie. Il écrit ici sur le même ton parfaitement content de Bresson et de Glücksbierg. Je ne compte pas laisser M. de Nion à Tanger. Lui-même demande à aller ailleurs. J’ai dîné hier à côté de la Duchesse de Gloucester qui me demande de vos nouvelles et m’a parlé de vous avec un souvenir affectueux. Elle m'a dit que la société anglaise avait perdu sa vie en vous perdant. Après dîner de la conversation avec Aberdeen, un peu avec Peel. Un vrai plaisir à revoir les Granville qui étaient là. Lord Granville est réellement mieux ; toujours faible et chancelant, mais se tenant assez longtemps debout et parlant. Le Roi a été très aimable pour eux. Mad. de Flahaut aussi était là. Tout juste polie. Je l’ai été un peu plus, et voilà tout. Du reste d’une humeur visible et naturelle. Personne ne lui parlait, ne faisait attention à elle.
Votre discours final à Aberdeen est excellent, et je le tiendrai. Il faut que je vous quitte adieu, adieu, dearest. Je tâcherai de vous écrire un mot demain, je ne sais comment, et puis d'Eu, Mardi, en y arrivant. Et puis, ce sera fini. Je vais très bien. Vous me trouverez, moins maigre qu'à mon départ. Adieu. Adieu G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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28 Val-Richer Lundi 25 août 1845

Vous me faites trembler avec votre : " Je serai à Beauséjour avant vous si Dieu le permet. " C’est bien vrai, toujours vrai ; et on a grand tort de n’y pas penser toujours. J'ai donc raison de trembler, pourtant samedi prochain, c’est bien près. Oui, vous y serez avant moi, et j’y serai samedi. Et nous ne nous quitterons plus. Mais, je n’aime pas que vous attendiez un compagnon de voyage, je ne sais lequel. Je n’aime pas que vous soyez à la merci de ces incertitudes. Pourquoi n'avoir pas écrit à Génie ? Ma recommandation est tardive. Vous ne l'aurez qu’après demain. Et j'espère bien qu’après demain, Mercredi, vous seriez à Beauséjour, ou tout près d’y être. Certainement vous ne rencontrerez pas une trombe en route. J’ai beaucoup pensé à celle de Monville. Je vous en ai peu parlé parce que je n'aime pas à arrêter votre imagination sur les choses tristes et effrayantes. Vous vous en laissez trop saisir.
Si vous aviez des yeux, je vous enverrais une lettre de Barante, assez intéressanite. Il a quitté la Suisse et m’écrit d'Auvergne où il est allé pour son Conseil général. Il me dit : " Mon inutilité me pèse moins ici qu'à Paris." Je le comprends. Sa position est vraiment désagréable. Et il n'y a pas moyen qu’elle change.
Je suis fort sensible à la bonne intention de lord Cowley sur Tahiti. Il a raison, & j'y comptais. Je l’ai toujours trouvé excellent, plein de sens et de bon vouloir. Et je compte aussi beaucoup sur Lady Cowley, à qui j’ai toujours trouvé bien de l’esprit, et qui en a, j’en suis sûr plus qu’elle n'en montre. Elle est très franche & ne cache jamais ses sentiments ; mais elle n’en fait nul étalage. J’aime bien cette manière là.
On dit que le Roi de Prusse a dépensé, pour recevoir la Reine 400 000 thalers. C'est le compte de Berlin. L’émeute de Leipzig l’a frappé. Il est rentré à Berlin, en veine d'humeur et de répression contre la liberté religieuse. Il a fait défendre à Uhlich, Ronge et Czerski, toute promenade prosélytique. Mais personne ne le craint huit jours de suite.
Je me suis promené hier pendant quatre heures dans un pays charmant, tout autour du Val Richer, avec tout ce qui se peut d’escortes à cheval et à pied, d'arcs de triomphe de fleurs, de discours, de coups de fusil. J’ai rendu beaucoup de services à cette population. Ses affaires vont bien. Elle me trouve bon et de facile accès. Il y avait hier un sentiment de bienveillance vrai et général, et un désir vif de le manifester, et de s'amuser en le manifestant. Mes enfants étaient charmés. Cela m’a plu. Ce qui est assez remarquable, c'est l’empressement du Clergé. Jamais tant de curés ne sont venus me voir, et avec autant de témoignages de déférence et de dévouement. Evidemment ce que j’ai fait quant aux Jésuites ne m’a fait aucun tort parmi les prêtres. Au contraire. Mais on a peur des Jésuites et ces prêtres, qui sont plus constants que fâchés de les voir un peu battus, se seraient bien gardés de s'en laisser soupçonner auparavant.
Le chancelier est malade. Il devait venir passer un jour chez moi, en allant à Trouville où Mad. de Boigne a acheté une petite maison. Il est resté à Paris avec la fièvre. Duchâtel le trouve frappé et m’en paraît lui-même assez inquiet. Adieu. Vous ne me dites pas si toute bile est passée. Vous me direz ce qui vous convient en attendant Page. Adieu. Adieu. Dans six jours, un meilleur adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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3 Château d’Eu Lundi 8 sept. 1845
7 heures du matin

La Reine est signalée. On entrevoit sa petite flottille. Je viens de faire, en toute hâte, une toilette un peu incomplète. J’ai été plus expéditif que le Roi. Je sors de chez lui. Il lui faut encore vingt-minutes. Nous partons immédiatement pour le Tréport. Le temps est superbe et la mer parfaitement calme. Nous serons de retour, ici, je pense vers 10 heures. Nous avons fait hier en mer, à la découverte, une charmante promenade de deux heures. Pas la moindre apparence d'indisposition.
Toute la famille royale était là, même le comte de Paris et le petit Philippe de Wurtemberg. Sauf les personnes indisponibles. Madame la Duchesse de Cobourg, qui vit encore chez elle et Madame la duchesse d’Aumale qui a l’air encore plus fatiguée d'attendre son mari que ses couches. Le soir pas grand chose ; un peu de dépenaillement général ; on allait et venait du salon, dans la galerie Victoria qu'on arrangeait, encore. Pas assez de candélabres. Les lampes pas encore arrivées de Paris. Des impatiences Royales. Des serviteurs empressés et embarrassés sans inquiétude. Il y a de la bonté et de la confiance dans la bonté. Je suis rentré chez moi, et me suis couché à 10 heures. J’ai très bien dormi. Je sors avec ma grosse redingote et mon cache-nez blanc. Il fait frais. Mon rhume va bien. C’est-à-dire moi non pas lui.

Une heure
Je cause avec Lord Aberdeen depuis onze heures un quart. Je suis content. Je crois qu'il l’est aussi. La principale question, l’Espagnole coulée à fond, à sa complète satisfaction. Le Roi l’a abordée sur le champ avec lui, à bord du Victoria-Albert. Plus l’ombre d’un nuage sur ce point. Tahiti et ce qu'on appelle les armements, restent nos deux embarras. Embarras des deux côtés, embarras très ennuyeux. Rien de plus. Il supporte moins bien les embarras que moi. J'ai établi très nettement ce que je pouvais et ce que je ne pouvais pas. Je vous répète que je suis content. Amical au dernier point. Et le Prince Albert beaucoup.
Charmante arrivée. Le temps encore plus beau qu’il y a deux ans. Arrivée au Tréport marée basse. Il a fallu monter dans de petites voitures, pour atteindre le canot royal à travers les sables et les galets. Une demi-heure en canot pour atteindre, le Victoria-Albert. Autant à bord, pour approcher du rivage. Nous sommes descendus dans le canot du Roi, le Roi, la Reine, le Prince Albert, le Prince de Joinville, le Prince de Cobourg et moi. Puis les petites voitures pour atteindre la terre ferme. La Reine gaie comme un entant. Excellent accueil de la population, moins nombreuse qu’il y a deux ans. Presque point de préparatifs : a friendly call between neighbours. Arrivée au château par le grand parc nouveau défilé des troupes dans la Cour. La Reine comme chez elle, reconnaissant les lieux, approuvant les changements. Grand, grand succès de la Galerie Victoria. Les tableaux de quatre jours sauvés par l’intention. On s’est promis qu’ils seraient beaux quand ils seraient faits.
A déjeuner le Prince Albert donnant le bras à la Reine. le Prince de Salerne de l'autre côté. La Princesse de Salerne à la gauche du Roi. Moi à côté de la Duchesse d’Aumale.
J’ai fait vos compliments à Lady Canning, pour elle et pour son mari. Après le déjeuner, établissement dans la galerie Victoria. On s’est écouté successivement. Nous sommes restés seuls, Lord Aberdeen et moi causant toujours. Je viens de l’installer chez lui. A 2 heures, promenade. Tout le monde y va. Ce soir, à 8 heures spectacle. La petite pièce est Le nouveau seigneur. On commence par là. Demain, grande promenade et luncheon dans la forêt, à la Ste Adelaïde. La Reine part entre 4 et 5 heures. Adieu. Adieu.
Il n’y a pas moyen de continuer. L’estafette part. Adieu. G. P.S. Soyez assez bonne pour donner à Génie quelque chose de ces détails.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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5. Château d'Eu, Mercredi, 10 sept. 1845
7 heures du matin

Hier, à midi, nous roulions très agréablement, six chars à bancs, calèches &,& portant 40 ou 50 personnes dans les longues allées et sous les ombres profondes de la forêt d’Eu. Vers une heure, à un rendez-vous de chasse, nous avons quitté les grands chevaux et les jockeys du Roi pour prendre les petits chevaux de poste. Les postillons en veste couverte de rubans tricolores, poudrés avec d’énormes catogans pas toujours bien attachés et se disputant à qui ferait le plus de bruit avec leurs fouets. C’est un amusement qui n’est pas usé, pour la Reine. A une heure et demie, nous rolions sur la grande route sous un soleil très brillant, caché par d'épais nuages de poussière. Je ne crois pas que le plaisir du fouet des postillons ait suffi pour les dissiper. " Les Rois, dit quelque part St Simon, ont des amusements qui n’appartiennent qu'à eux. " Heureusement celui-ci a été court. Nous étions au château avant 2 heures.
Chacun est rentré chez soi pour se laver. A 4 heures tout le monde était réuni dans le salon de la Reine et la Reine d'Angleterre, en entrant, a trouvé là trois ébauches de tableaux, son débarquement au Tréport dans la petite maison trainée en charrette, sa promenade d’avant hier dans le nouveau grand parc, la salle de spectacle du soir. Trois peintres avaient fait cela dans la nuit. Le premier tableau vraiment joli. Elle l’a emporté. Le dîner a été gai. Tout le monde, était visiblement content. J’étais à côte de la Duchesse de Cobourg, la plus vraiment intelligente des Princesses (Chut!) Son mari l'adore. Il prend son lorgnon vingt fois pendant le dîner pour la regarder. Lady Canning, qui était à côté de lui ne l’en à pas distrait un moment. Reines, Princesses, tout le monde était habillé comme si le bal avait dû suivre le dîner.
A cinq heures et demie, on s'est précipité hors de la salle à manger, et avant 6 heures tout le monde était de retour en habit de voyage, dans le vestibule du château. La marée pressait beaucoup ; nous n'avions qu’un quart d'heure pour nous embarquer, sans charrette. Nous sommes arrivés juste à temps. La Reine d'Angleterre a pu à peine faire à la nôtre ses adieux. Nous sommes entrés, presque tombés dans le canot royal, la Reine, le Roi, le Prince de Joinville, le Duc de Cobourg, Lord Aberdeen, Lord Liverpool et moi. Deux autres canots suivaient. La Reine, Madame le Prince et la Princesse de Salerne restant sur le rivage, dans leur char à bancs, à nous attendre. Quelques minutes après sous l’éclat d'un soleil couchant presque chaud à force de lumière et sur une mer, si calme que le canot vacillait à peine comme une feuille, nous sommes montés à bord du Victoria-Albert. La Reine m’avait dit tout bas en partant : " Je vous en prie, empêchez que le Roi ne nous revienne trop tard. " Ce n'a pas été facile. Le Roi est rentré en conversation avec Lord Aberdeen. Le Prince de Joinville, est allé visiter the Fairy. M. de Salvandy et M. Vatont ont pris du thé. Au bout d'un quart d'heure, je me suis approché du Roi : " Je comprends, je comprends ; mais je veux voir établir, là haut la lune sous laquelle la Reine va voyager. La lune se levait en effet, un petit croissant aussi blanche que le soleil était rouge tout à l'heure, et presque aussi claire. La rade était couverte de bâtiments. Les nôtres saluaient et les batteries de la côte. Ce bruit ne dérangeait pas du tout le calme de la soirée. C’était charmant. J’ai laissé le Roi causer avec la Reine, et j ai recommencé moi-même avec Lord Aberdeen, qui m’a parlé du Prince de Joinville, avec un intérêt presque affectueux. Sa figure, ses manières nobles et un peu sauvages, son air tour à tour mélancolique comme un sourd et gai comme un enfant, tout cela lui plaît. Le Prince est revenu du Fairy. Les derniers adieux sont enfin venus.
Nous avons repris le canot du Roi, et avant 7 heures et demie nous étions remontés dans le char à bancs de la Reine et nous roulions vers le château. Le Roi m'a gardé jusqu’à 8 heures et demie nous promenant en long, point en large, dans sa galerie Victoria, et me faisant mille déclarations de bonne politique, et de tendresse. La Reine d'Angleterre a dû rester en panne dans la rade jusqu'à minuit et se mettre alors en mouvement pour l’ile de Wight où elle arrivera aujourd’hui vers 10 heures. Un de nos bateaux à vapeur l'accompagne, et reviendra annoncer ici son arrivée. J’ai encore eu hier une longue conversation avec Lord Aberdeen. Je suis sûr qu’il part très content et très ami. Mais l’amitié est nécessaire Il faut se voir. Avec cela, tout ira bien.
Je vais employer ma journée à causer avec le Roi, et à faire visite à Madame, Madame la Duchesse d'Orléans, le Prince et la Princesse de Salerne, le Duc et la Duchesse de Cobourg et la Duchesse d’Aumale. Je serai en voiture demain, à 7 heures. Que j’aime Beauséjour ! Salvandy est dans le ravissement. Adieu. Adieu. J’attends votre lettre. Adieu.

10 heures
Oui le N°4 qui m’arrive sera le dernier. Je viens de recevoir des nouvelles de Pampelune. Accueil fabuleux de nos Princes par tout le monde, sur toute la Route, les Reines comme les paysans, les paysans comme les Reines. Cela me plaît. Je tiens à l’Espagne. Je suis d'ailleurs très content de la position bien établie & bien acceptée, sur cette question dans la visite qui vient de finir. Adieu donc, Adieu. Je vais déjeuner. Que je suis bavard ! Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 13 juillet 1850

Enfin lady Allice & Marion. La première entre dans beaucoup de détails. Elle était auprès de Sir [Peel] après son accident. On ne voyait pas de danger. La veuve dans le plus affreux désespoir, elle est à Marble Hill chez Lady Allice. Le mari est exécuteur testamentaire avec Goulbourne. Peel a laissé tous ses papiers, tous ceux qui doivent être publiées à Lord Mahon, & M. Cardwell. Le fils aîné est arrivé après la mort. Il se conduit à merveille et montre beaucoup de bons sentiments. La reine a beaucoup pleuré, et pendant les premiers jours, elle n'a pas dîné avec son service. Lady Allice dit que maintenant on renversera plus aisément le gouvernement. Mais elle ne dit pas qui le remplacerait. Le Roi & Palmerston a écrit de sa main une lettre très touchante à Lady Peel. Voilà à peu près tout ce qu'elle me dit. Marion dit, que si on se débarrassait de Palmerston. Graham & autres Peelistes pourraient se réunir au gouvernement actuel et le faire durer jusqu’à la fin du Parlement. Autrement le Ministre tombera et les Tories entreraient au pouvoir entraînant avec eux Gladstone & autres. C’est son oncle qui lui mande cela.
Il pleut toujours. Suis-je malheureuse ! La Princesse régnante est venue me voir. Impayable. Curieux, de tout & de moi surtout. Ne sachant absolument rien. C’est risible. Quel petit pays que l’Allemagne. Son mari s’est retiré de l’Union. Il n' a plus guère que les princes de la Thuringe qui y soient restés. On me dit que le Parlement va ériger un monument à Peel, à Westminster. Je ne crois pas que cela ne soit jamais fait ? Adieu. Adieu. Votre lettre hier ne me disait rien. Vous aviez l’air d’être à Ems ! Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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71 Paris, Vendredi 19 mai 1854

L’Académie a occupé hier ma journée. Nous avons fait ce que nous voulions. Je croyais à 20 voix pour l'évêque d'Orléans et à 22 pour M. de Sacy. Ils en ont eu chacun une de moins. Ce sont deux choix très dignes, à la place de MM. Tissot et Jay.
Je repartirais pour la Val Richer, si je n'avais encore Vendredi prochain une élection à l'Académie des Inscriptions. Celle-ci sera plus disputée. Le Ministre de l’instruction publique, M. Fortoul, se met sur les rangs. et il a des chances. Quoiqu’il ait contre lui, dit-on, la princesse Mathilde. M. de Nieuwkerke soutient vivement le concurrent de M. Fortoul, qui est son second dans l'administration du Musée.
Les fureurs du Times contre le Roi de Prusse sont de bien mauvais exemples. Les purs révolutionnaires ne diraient pas mieux. C'est aussi absurde que choquant la convention Austro Prussienne est bien plus occidentale que Russe, et ce n’est pas au moment où elle vient de la signer que la Prusse s'éloignerait de cette politique. Je trouve cette convention très sensée. Les deux puissances s'y engagent dans la mesure qui convient à chacune d'elles, et il y a là des moyens de négociation et des chances de paix. Pourvu que la vigueur de l’exécution réponde à la sagesse de l’intention. C'est par l’exécution surtout que la politique pêche aujourd’hui, on fait ce qu’on ne voulait pas faire ; on va où l’on ne voulait pas aller. Par imprévoyance et par faiblesse quotidienne, à chaque moment où il faut passer de l’intention, à l'action.
Ici, on se dit content de la Convention, et je crois qu’on l'est. Il y a de la confiance et du mouvement ascendant dans la situation plutôt que de l’inquiétude, et du déclin. Toujours quelque agitation autour de M. de Persigny ; il était en querelle dernièrement avec ses chefs de service, surtout avec le principal, M. Frémy. Il a, comme de raison, gagné cette petite bataille et congédié, M. Frémy. On répète aussi que M. Drouyn de Lhuys est fort ébranlé. Je ne crois à aucun de ces bruits. Lord Cowley n’est pas encore revenu de Londres. J’ai vu hier tout notre monde à l'Académie, Molé, Noailles, Montalembert, Barante & quand je suis arrivé, j’ai trouvé Thiers assis à côté de ma place : " On dit que je vous ai pris votre place, m'a-t-il dit. - Non, mais vous me l’avez fait prendre par M. de Barante à qui vous avez pris la sienne. " Il s'est reculé d’une chaise, et je me suis assis entre Barante et lui. Nous avons causé aussi amicalement qu'insignifiamment et nous avons voté ensemble.
Montalembert est tranquille et de bonne humeur. Tout le monde dit qu'après le départ du Corps législatif, son procès tombera dans l’eau. Noailles me demandait d'aller dîner dimanche chez lui, mais j’ai promis à Mad. Mollien. Hier chez Mad. Lenormant, aujourd’hui chez Mad. de Staël et lundi chez Duchâtel qui part mardi.

Une heure
Je n'ai pas de lettre aujourd’hui. Adieu, Adieu. G.
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