Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton Mercredi 8 Novembre 1848

J’ai eu votre petit mot ce matin. Merci. J’attendrai avec curiosité vos nouvelles nouvelles de Paris. Décidément je crois à une crise avant le 10 Xbre. Mais je crains, si Cavaignac y gagne un surcroit de pouvoir, que l’assemblée n’envoie promener l'élection par le suffrage universel. Cependant la France supporterait-elle cela ? C’est bien complexe. Il est bien difficile de se tirer de là.
Les Holland sont venus me voir hier soir. Très dégagés parce que mon accueil était cela. Je tacherai de les garder ici un peu. Ils ne savent encore s'ils iront à Paris ou à Londres. Je suis pour Londres. Ma vieille Duchesse est toujours heureuse de mes visites. Je la trouve toujours seule avec sa dame.

7 heures pas de nouvelles à vous dire. J’ai lu enfin tous les Débats retardés. Je suis très contente. Je suis fort contente aussi du discours de Thiers à là réunion Poitiers. Ne trouvez-vous pas qu'on se met assez à son aise pour dire qu'on n’aime pas beaucoup la république et qu'on n’y croit pas ? Les Holland sont revenus ce matin. Les Metternich aussi mais ceux-ci sans me trouver. Adieu, adieu.
Je suis fort d’avis que vous alliez à Drayton. Je crois de jeudi à lundi maximum. Mais avant ce temps, Brighton. Adieu encore.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Brighton Samedi 20 Janvier

Je vous renvoie les deux lettres. Je suis assez frappée de celle de votre hôtesse. Il faut d’abord savoir cependant si vous avez grande confiance dans son jugement, et puis quand même elle dirait vrai ; s’il ne vaudrait pas mieux risquer la non élection plutôt que d’aller se mettre dans cette mauvaise boutique. Voici Barante confirmant un peu les mauvaises dispositions à votre égard. Cavaigac a fait une longue visite à Mad. Rothschild. Elle s’est dit monarchiste ; il a dit que ce serait la reine infaillible de la France, qu’elle ne pouvait être sauvée que par la République qui était comme un malade de la fièvre auquel il faut du quinine pour le remettre. Le quinine est amer. On a administré à la France le remède dans toute son amertume mais ce remède la guérira. Il faut qu’elle soit république. Léon Faucher est entré un moment après, disant que la France ne se sent gouvernée qu’à présent. Duchatel n'y entendait rien. Maintenant les préfets sont contents parce qu'on leur donne des directions claires, précises. Bien glorieux bien satisfait. Avez-vous remarqué les convives chez Falloux ? Tous les partis entourant le président, ce que n'a jamais eu Louis Philippe. Adieu car c’est beaucoup pour [mes yeux] qui ne vont pas bien. Renvoyez-moi Barante, et envoyez lui ma lettre par la poste si elle n’est pas déjà partie par occasion. Ajoutez son N°. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie jeudi 20 Sept 1849 Sept heures

J’ai tout le jour sous les yeux une preuve frappante qu’il n’y a aujourd’hui pour la France, dans la pensée de tout le monde, point de politique extérieure. Personne n'en parle. Personne ne songe à en rien demander ni à en rien dire. Il vient ici assez de visites ; on ne parle que des affaires publiques ; point des Affaires étrangères ; un mot, en passant, sur Rome, qui tombe aussitôt et qui est dit plutôt pour parler du Président. qu'on est curieux de bien connaître, que de Rome dont on ne se soucie pas. La France n’est préoccupée que d'elle-même. Le Duc de Broglie me dit qu’il répète sans cesse aux Ministres : " La paix à tout prix, et point d'affaires ; la République ne peut pas avoir une autre politique. " Il a raison, et le public, est de son avis. Les journaux seuls sont en dehors de cette disposition du public, et raisonnent à perte de vue sur l'Europe. Et leurs lecteurs se plaisent assez à cela. Mais comment on se plaît à un moment de badauderie et d'oisiveté. Personne ne prend les journaux au sérieux. Ce qui n'empêche pas qu'à la longue ils n'agissent. Un jour viendra où le pays sortira de cette insouciance forcée sur sa politique et sa position au dehors, et s’en vengera sur le gouvernement qui lui en fait une nécessité. Etrange chaos que l'état des esprits et ce qu'ils ont à la fois d'activité et d’apathie de passion et d’indifférence de bon sens et d’inintelligence. Plus j'y regarde, plus je me persuade que c’est bien un état de transition, non une chute définitive. C'est ma seule consolation, et je crois que c’est la vérité.
Transition à quoi. Je n’en sais pas plus que je n’en savais quand nous avions le bonheur de causer ensemble de tout cela. Pourtant je suis plutôt confirmé qu’ébranlé dans l’idée à laquelle j'aboutissais en définitive quand nous voulions absolument voir à ceci une issue.

Onze heures
Je vous reviens après être allé entendre une homélie de l'évêque d'Evreux dans l’Eglise de Broglie. Hélas oui, il y a deux grands mois que nous nous sommes quittés ! Je n'essaie pas de vous dire combien vous me manquez. Vous me manquez non seulement pour les choses que je ne dis qu'à vous et que je n’entends que de vous, là où le vide est complet quand vous n’y êtes pas. Vous me manquez même dans les moments où il n’y a pas de vide, ou ce que j’entends et dis me plait et m'intéresse. Je suis toujours sur le point de me retourner pour voir si vous êtes là et pour vous mettre de part dans tout. Que de choses je ne dis pas que je vous dirais, et que de choses je vous dirais que je ne vous ai jamais dîtes ! Et la vie s’écoule dans cette impatience d’une affection qui ne donne et ne reçoit pas, tout ce qu'elle pourrait recevoir et donner dans le sentiment d’un grand bonheur possible et manqué.
Paris sera tranquille. Et si les rouges essayaient de le troubler la tranquillité serait pleinement rétablie en quelques heures comme au 13 Juin. La force et la volonté de faire cela y sont également. Certainement le choléra diminue. Pourtant il y en a encore, et presque toujours grave. Ne vous ai-je pas déjà dit hier qu'à cause du Choléra, on retardait de quinze jours la rentrée des écoliers aux collèges ?
La lettre de Marion est charmante et très originale, si cette aimable fille était heureuse, elle aurait tout le bon sens hors duquel elle se jette quelquefois pour répandre et animer son âme. Elle a naturellement beaucoup de bon sens. Mais il faut aux femmes même aux plus distinguées, du bonheur personnel, et de cœur, pour être dans cet équilibre intérieur qui met en état de voir les choses du dehors comme elles sont réellement, parce qu'on n'a rien à leur demander. Je parlais un jour à la Duchesse de Broglie d’une jeune femme de sa connaissance, et de la mienne qui avant son mariage avait un amour propre assez agité et exigeant, et qui depuis son mariage, était devenue parfaitement calme et modeste : " Je le crois bien, me dit-elle, elle a ce qui apaise et satisfait le plus grand amour propre possible d’une femme : elle est aimée et heureuse. " J'ai bien souvent reconnu la vérité de cela. J’ai peur que notre bonne Marion reste toujours républicaine, tantôt pour Cavaignac, tantôt pour Manin, faute d'avoir son roi à elle, un mari qu'elle adore, et qui l'adore. Adieu. Adieu.
Je ne vois rien dans mes journaux de ce matin. Je pars toujours le 28 pour retourner au Val Richer le Duc de Broglie, le 29 pour Paris. Il veut être au premier jour de l’assemblée aussi à la réunion du Conseil d'Etat qui aura probablement, lieu la veille. Adieu, Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie Lundi 24 sept 1849 5 heures

Je vais demain passer la journée à six lieues d’ici, chez M. Lenormant. Je partirai après l’arrivée de la poste, ce qui m'importe peu puisqu'elle ne m’apportera rien de vous. Je reviendrai dîner ici. J’ai promis cette visite depuis longtemps, et j’ai quelque chose à arranger avec Mad. Lenormant pour que les lettres de Mad. de Staël à Mad. Récamier ne courent pas le risque d'être publiées un de ces jours. Le Duc de Broglie y tient beaucoup.
On bat le rappel très vivement pour que tous les représentants soient à leur poste le 1er octobre. C’est un singulier état d’esprit de tout le monde, on s'attend à quelque chose et on ne s'attend à rien. On veut et on ne veut pas quelque chose de nouveau. On a fait une machine qui exige, et qui entraine le mouvement perpétuel ; elle l'impose a tout le pays malgré qu’il en ait. Les 99/100 du pays voudraient bien s’arrêter ; il n'y a pas moyen; ils sont dans le treadmill de la République. Voici comment on explique, la république et le suffrage universel à ceux qui demandent ce que ce régime là leur donnera à faire : " Vous aurez à travailler six jours pour faire toutes les élections, et on en vous laissera votre dimanche pour monter votre garde. " Mettant de côté tous les grands événements, le danger inévitable de la situation tranquille est celui-ci. Pour prévenir la banqueroute, il faut que l'assemblée actuelle rétablisse les impôts. Elle le fera, mais au grand mécontentement du peuple du suffrage universel qui s'en vengera le jour des élections. C’est la maintenant l’espérance des socialistes. Ils se promettent que le peuple aura plus de mauvaise humeur que de bon sens si on se laisse acculer au pied du mur, il y a bien à parier qu’ils auront raison. On dit qu'on ne se laissera pas acculer.

Mardi 25 sept. Sept heures J’ai devant moi un brouillard, tout semblable à ceux qui couvrent la vallée de Richmond. Précurseur assuré, ici, du beau temps pour la journée. La vallée de la Charentonne n’est pas si large, ni d'aussi riche aspect que celle de la Tamise, mais la forêt qui s'élève en amphithéâtre devant le château et les mouvements du terrain la rendent plus pittoresque. C'est bien dommage que nous ne nous y promenions pas aujourd'hui. Je n'ai rien de mieux à vous dire ceci pourtant. Quelques journaux de province qui reçoivent souvent des confidences de Paris disent depuis trois jours que si le pouvoir est offert à M. Molé il le prendra décidément. L'Impartial de Rouen, par ex. L'Emancipation de Bruxelles redit cela aujourd'hui. Ces bruits ont quelque valeur. Nous verrons bientôt. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie, Vendredi 14 Sept 1849 4 heures

Nous revenons d’une longue promenade, tous ensemble sauf Melle Chabaud qui ne peut marcher ni vite, ni longtemps. Nous causons beaucoup. Je crois que ma visite leur est très agréable. C’est du mouvement porté chez les gens qui l’aiment et qui ne savent pas s’en donner. Nous connaissons, vous et moi, ce genre de succès.

Samedi 15, 7 heures
J’ai été interrompu hier par des visites qui m'ont retenu jusqu'à l’heure du dîner. Je m’aperçois ce matin que c’est samedi et que j'ai mis hier ma lettre à la poste comme si vous pouviez l'avoir demain. Peu importe du reste. Le Duc de Broglie ne désespère pas au fond, autant qu’il le dit et qu’il le croit. Une idée le préoccupe constamment, et c’est une idée d'avenir. Comment faudrait-il reconstituer le Gouvernement si on avait à le reconstituer, mettant de côté la question du nom propre de ce gouvernement. Faire un bon lit, n'importe qui doive y coucher. Son avis est qu'on obtiendra beaucoup plus avant qu’on ne ferait après, en fait de garanties d’ordre, et de pouvoir. Parce que tant qu’il ne sera pas question de nom propre, tout le parti conservateur sera uni. Parce que, sous le manteau de la République on ira plus loin que sous aucun autre en fait de conservation. Parce qu'il faut que le gouvernement qui devra durer, trouve, quand il viendra, ses affaires essentielles toutes faites, faites par la France elle-même, sous sa responsabilité nationale, et ne soit pas obligé de les faire lui-même, et de répondre de la solution des questions. Le Duc de Broglie cherche donc la solution de toutes les questions constitutionnelles, la meilleure solution possible. Il ne croit pas qu'on révise la Constitution bientôt, ni par des coups d'Etat ; mais il ne croit pas non plus qu’on s’expose à une nouvelle épreuve de la constitution actuelle à la réélection d’une assemblée et d'un président par le suffrage universel, tel qu’il est établi aujourd’hui. Aux approches de cette épreuve-là, on prendra son parti de sauter le fossé plutôt que d’y tomber. 10 heures Je ne m'étonne pas que la malle ne soit pas arrivée en Angleterre. Nous avons vécu quatre jours au milieu des orages. Cela se calme.
Si les Holland sont en Angleterre, pourriez vous éclairer ceci ? Le Duc de Broglie était très lié avec eux et allait sans cesse à Holland House pendant son dernier séjour à Londres. Dés qu’il les a sus à Paris, il est allé les chercher et ne les a pas trouvés. Ils ont mis simplement une carte chez lui et il n’en a plus entendu parler du tout. Il ne comprend pas. Ils ne vivent, dit-il, que sur la frontière la plus rapprochée des rouges, et avec Jérôme Bonaparte. Il suppose que la froideur vient de là. La rigueur envers Gilberti est en effet un peu drôle. Pendant qu’Albert de Broglie, était encore à Rome, Gilberti y est venu. Le Pape l’a reçu, complimenté, embrassé, comblé. Et son livre avait paru. Les gouvernements oublient trop qu'aujourd’hui on n'oublie rien sur leur compte du moins. Ils sont condamnés à plus de prévoyance, et de conséquence que n’en comporte peut-être la faiblesse humaine.
A cela près du contraste trop choquant, je trouve fort simple que le Pape mette à l’Index, les livres, qu’il trouve mauvais et dangereux. C’est de sa part une simple déclaration de son jugement qui ne coûte pas un cheveu aux auteurs, et un avertisse ment à la conscience des Catholiques qu'il a charge de diriger. Quand on interdit au Pape l'index, et qu'on lui commande un gouvernement libéral, on lui interdit tout simplement d'être le Pape. Adieu. Adieu. Je suis préoccupé du Choléra de Londres. Celui de Paris est stationnaire. Adieu. G. Je n’ai pas su lire le nom de Lord .... avec qui vous avez dîné chez Lady Alice. Je trouve pourtant votre écriture meilleure que vos yeux ne se comportent.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Broglie. Vendredi 21 sept 1849 5 heures

Je vois ici bien du monde. Presque autant qu’au Val Richer. En gens du pays du moins. Tous les conservateurs des environs, anciens ou nouveaux viennent me voir. Je suis frappé de ce qu’il y a en même temps, de résolution et de timidité dans leur langage. Ils sont très réactionnaires ; ils demandent de l'ordre du pouvoir, tant qu’on voudra tant qu'on pourra leur en donner mais sous le régime actuel avec les noms actuels. Ils n'abordent pas l'idée, d'un changement au fond. La république peut devenir conservatrice, despotique, aristocratique même ; ou lui en saura gré. Mais la République, je ne vois presque personne qui pense, qui veuille dire du moins qu’il pense à autre chose. Les plus hardis disent que la République pourrait bien n'être qu'une expérience, et une expérience qui ne réussira pas. Mais ils admettent tous l'expérience, et ne la regardent que comme déjà faite. Ils attendent et blâmeraient ceux qui ne voudraient pas attendre. Pour trouver des gens qui maudissent tout haut la République, qui n’en attendent rien et qui demandent pourquoi on attend ; il faut descendre beaucoup plus bas que les gens qui viennent me voir. Il faut aller parmi le peuple chez les paysans. La point de gêne, point de retenue. Et très généralement. L'Empire serait très bien reçu. Le comte de Paris serait très bien reçu. Henri V, c’est plus douteux. La Monarchie est populaire, la légitimité non. Mais pas plus pour le comte de Paris ou pour l'Empereur que pour Henri V, aucun de ceux qui maudissent la République ne remuerait le doigt. Les paysans qui demandent pourquoi on attend attendant aussi tranquillement que les bourgeois. A dire vrai depuis que les rouges ont été bien battus et qu’on croit qu'ils le seraient encore, s'ils remuaient, l’ordre règne partout, l'administration marche, les affaires se font, les intérêts privés s'arrangent, à peu près comme en temps ordinaire. Il est facile ici de renverser les gouvernement très difficile de bouleverser la société ; elle reprend très vite, son aplomb. A très courte échéance, il est vrai ; personne ne fait ni projets, ni longues affaires ; personne ne bâtit une grande maison ; personne ne prête son argent pour plus de deux ans jusqu'aux approches de la prochaine élection du Président et de l'Assemblée. Combien de temps un grand pays peut-il se passer absolument d’avenir ? Pas toujours j’en suis sûr. Mais ce pays-ci assez longtemps, j'en ai peur. S'il est grand, les hommes qui l'habitent sont si petits qu’ils ont bien moins besoin d'avenir. Ce qui est petit se résigne bien plus aisément à être court. Il est vrai qu'on en devient plus Petit, et qu’on souffre de ce rapetissement forcé de toutes les Affaires, de toutes les transactions, de toutes les entreprises, de toutes les existences. Je crois même que cette souffrance ira croissant, et finira par devenir insupportable Mais, pour le moment elle est encore assez limité ; et on la supporte assez bien. Singulier état ! Très triste à voir, mais très nouveau et très curieux à observer. Jamais certainement pays si malade au fond n'a eu si peu l’air, d'être malade, pour quelqu'un qui me ferait que le voir en passant. M de Falloux, dit très malade. Sa mort serait presque un évènement. Les légitimistes comptent sur lui, non seulement pour l'avenir, Mais pour prendre une part chaque jour un peu plu grosse en attendant. Il n'ont personne pour le remplacer.

Samedi 22- sept heures
Pouvez-vous me dire que les portraits de Mad. de Caraman sont d’une ressemblance frappante, et que vous ne voulez pas poser parce que cela vous ennuie trop ? Vous ne savez pas quel plaisir me ferait un portrait de vous vraiment ressemblant, ou bien vous n’avez pas le courage de vous donner cet ennui pour me donner ce plaisir. Si j'étais là, je vous gronderais beaucoup. De loin, il faut être court. Depuis que vous n’avez plus d’yeux, je ne sais plus que m'affliger de votre ennui. Je ne peux plus vous dire : lisez, écrivez. Vous devriez trouver une lectrice qui pût vous lire du français. Cela doit se trouver, même à Richmond. Elle vous lirait une heure ou deux dans la journée, la Revue des deux mondes, Mad. de Krudener. Quoiqu'on ne publie plus grand chose de bon à Paris, il y aurait cependant de quoi vous désennuyer un peu. Vous n'aurez plus besoin de cela à Paris. Il y aura assez de conversation pour remplir votre temps. Barante, Ste Aulaire, Duchâtel y passeront l’hiver. Tout ce qui me revient me persuade de plus en plus qu’il n’y aura point de gros événement ; rien dans les rues. Il n’y aurait que la dislocation de la majorité dans l’Assemblée qui pût amener quelque chose de gros. Mais elle me paraît bien décidée à ne pas le disloquer. Il y a, dans la masse honnête des légitimistes, beaucoup d'humeur contre leurs journaux qui les poussent, et les compromettent.

9 heures
Merci de votre longue lettre, et de cette de Lord Beauvale. Très intéressantes. Je n'ai que le temps de vous dire adieu. J'ai là des épreuves de mon livre qu’il faut que je corrige et que je renvoie sur le champ à Paris. Je n'ai rien de là ce matin. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Dimanche 14 Janv. 1849

Je mettrai ceci à la poste à Londres en sortant de l’Athenaeum où j'irai à 4 heures. Vous l'aurez demain à 3 heures, je pense. Je ne veux pas que le Dimanche soit tout à fait stérile. J'ai pour le débat qui a dû finir hier plus de curiosité qu’il n’a d’importance. Il importe fort peu, en soi, que l'assemblée se dissolve le 4 ou le 30 mars. Or c'est entre ces deux temps qu’on hésite. Tout le monde est décidé ou résigné à la dissolution prochaine. Je ne me fais pas encore une idée claire de l'assemblée qui succédera. Je présume qu’elle sera encore très mêlée, et par conséquent, très orageuse. Orléanistes, légitimistes et républicains y seront forts. Et très acharnés en même temps que forts. La république rouge seule sera si je ne me trompe à peu près éliminée. Elle se remettra derrière la République tricolore, comme elle l’a fait de 1830 à 1848. Et la République tricolore acceptera de nouveau cette queue. On fera effort pour sortir du chaos. On n'en sortira pas d'un coup. Je vous assure qu’il y a bien à examiner s'il me convient de redescendre déjà dans la mêlée; car entrer dans l’Assemblée, c’est redescendre dans la mêlée. Peut-être vaudrait-il mieux, pour moi-même, et pour le moment décisif quand il viendra me tenir encore quelque temps à l'écart, sur la hauteur, disant mon avis aux combattants et sur les combattants. Nous en causerons. Je n'ai aucune lettre importante de Paris. Rien que des détails sur le succès de ma brochure. Je regarde la réconciliation et l’intimité active de Girardin et de Lamartine, comme un fait assez grave. Ce sont peut-être les deux hommes les plus mischievous parce que ce sont eux qui savent faire le plus de dupes parmi les honnêtes gens et les gens d'esprit badauds. J’ai une longue lettre de Brougham. En grands compliments sur ma brochure. Quelques observations, peu fondées, je crois. Evidemment décidé à être bien avec moi. Il compte quitter Cannes du 18 au 20. Il ne me dit pas s'il s’arrêtera à Paris en revenant. La tentative de conciliation du Roi Léopold entre l'Angleterre et l’Espagne a décidément échoué. Palmerston veut toujours un retour de Bulwer à Madrid. Narvaez ne veut pas. Et on ne veut pas à Madrid, renverser Narvaez. J’ai pourtant trouvé le Roi l’autre jour, peu en bienveillance et en confiance pour la Reine Christine. J’ai entrevu qu’elle insistait comme la Reine sa fille, pour que la Duchesse de Montpensier vint à Madrid, et qu'elle aussi ne serait peut-être pas fâchée que la Duchesse suivit les bons exemples. On est très susceptible à cet endroit. Vous n'avez pas d’idée du sentiment d'aversion et de dégoût que la corruption des cours de Madrid et de Naples a laissé dans le ménage qui y a assisté sans y prendre part. Adieu. Je ne vous écrirai pas demain. Mardi, à 2 heures J’espère qu’il fera aussi doux qu'aujourd’hui, et que je pourrai rester aussi frais qu’il vous conviendra. Adieu. Adieu G. Vous ne saurez qu’elles sont les quatre pages qui plaisent tant au Prince de Metternich. Si j'apprends quelque chose à l'Athenoeum je l’ajouterai à ma lettre.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Voilà vos deux lettres. Sans nul doute, il faut aller dîner chez Miss Mitchell. Je suis curieux de M. de Beaumont. J’irai vous voir demain matin, par le train qui arrivera à Richmond à une heure. Nous causerons du discours de la Reine, et de tout.
Oui l'absence du mot république déplaira à Paris. Pas à tout Paris tant s'en faut. Les Débats sont très bons en effet, surtout aujourd’hui. Une indifférence si tranquille sur la non durée de tout ceci ! Mais les possesseurs se défendront jusqu'au bout. Cavaignac révèle un peu plus chaque jour son fanatisme. Il pressent le combat et déclare à ses ennemis qu'il les tuera tant qu’il pourra. Lisez un peu le discours de M. Fresneau. Je dis un peu parce qu'il est bien métaphysique pour vous. C’est évidemment, un homme d’esprit. Légitimiste. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Jeudi 7 sept 1848 Onze heures

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Jeudi 9 nov. 1848
5 heures et demie

J’ai été mettre une carte chez Mad. de Lavalette à Regent Park. J’ai eu du monde toute la matinée. Je vous arrive trop tard pour aujourd’hui. Mes nouvelles de Paris sont un peu moins sombres. M. Vitet, qui a passé une heure et demie ici avec Duchâtel croit peu à une bataille avant le 10 décembre. Cavaignac, à tort selon lui, n'est pas sans espérance électorale. Dufaure l’y entretient. C’est une illusion. Louis Bonaparte a toujours les plus grandes chances. Pas telles cependant que Cavaignac se regarde, dès aujourd’hui comme battu. Il attend donc, et ne fera point de bruit en attendant. Comment en faire après tout de suite après, si Louis Napoléon est élu ? Ce sera difficile. On pourra bien essayer de susciter quelque tumulte impérial pour se donner un prétexte de sauver la République. Il est douteux qu’on y réussisse. Les Impériaux seront fort sur leurs gardes. Probablement donc une situation fort tendue, sans explosion. La misère publique et la détresse financière plus grandes, plus croissantes, le peuple de Paris plus désespéré qu’on ne peut dire, Louis Bonaparte prudent et silencieux, dans le présent, se promettant d'être très très conservateur dans l'avenir. Il parle à ses confidents de je ne sais quel plébiscite impérial d'il y a plus de 40 ans qui lui permettra de rétablir une Chambre des Pairs héréditaire formée de tout ce qui reste de Sénateurs de l'Empire, de Pairs de la Restauration et de Pairs de Juillet. La fusion ainsi accomplie en même temps que l’hérédité rétablie. Des intentions très bonnes et très ridicules, qui peuvent être utiles après lui. Le propos des légitimistes et des conservateurs, est ceci : " Les Bourbons ne peuvent pas succéder à la République. Il faut les Bonaparte entre deux comme la première fois. "
On m’écrit de Paris : " Le bruit se répand que votre candidature fait de tels progrès dans le Calvados que votre sélection y serait faite à l'unanimité. Le candidat légitimiste qui devait être porté M. Thomine, a écrit, dit-on à M. de Falloux qu’il se retirait et que lui se retirant, votre élection croit d'elle-même. " Je doute de ceci. Cependant il faut prévoir cette chance que je sois élu malgré ce que j'ai dit et fait dire. Ce sera un grave embarras.
J’ai oublié de vous dire que de bonne source, on attribue au Général Lamoricière ce propos : " Si on nous envoie Louis Napoléon pour Président. nous le recevrons à coups de fusil ; je mettrais le feu à Paris de mes propres mains plutôt que de le subir. " C’est bien violent. Pourtant cela indique le dessein de ne rien faire avant l'élection.
Voici une lettre du duc de Noailles qui m’est arrivée avec son livre. Renvoyez-la moi, je vous prie. J'ai vu ce matin le Médecin du Roi. Il arrivait de Richmond. On y va mieux. Il n'a d’inquiétude pour personne malgré les rechutes. La Reine était très souffrante. On a de nouveau analysé l'eau la veille du départ, en présence de plusieurs chimistes anglais, extraordinairement chargée de plomb. Ce sont des réparations faites il y a près de deux ans, à des conduits, et à une citerne. Claremont avait à peine été habité depuis. Rien de singulier donc. Deux maids aussi ont été malades. Duchâtel penchait à croire à quelque empoisonnement factice, à quelque coquin envoyé de Paris et gagnant un domestique. Je n'y crois pas. Le médecin non plus. Tout s’explique naturellement. Adieu. Adieu. A demain matin.

Vendredi 10. 9 heures
Je n’ai rien ce matin. Sinon Adieu, adieu, ce qui n’est pas nouveau et n'en vaut que mieux. Adieu donc. J’ai eu hier soir, à 8 heures, votre lettre du matin.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Jeudi 16 nov. 1848
Onze heures

Je n'ai encore rien de vous. J'espère bien qu’il viendra quelque chose dans la journée. Vous avoir quitté hier à onze heures n’est pas du tout une raison pour que je n’ai rien aujourd’hui. Je vais à Richmond après déjeuner. Le train passe à Putney, à midi 3/4. J’espère être de retour assez tôt pour vous donner des nouvelles de ma visite. Cependant cela dépend un peu du Roi. La dernière poste part de Brompton un peu avant 5 heures.
Ce que je vous ai envoyé hier de Montebello, était un peu meilleur pour la Reine. J’ai eu le soir des nouvelles du médecin. Un peu meilleures aussi, mais pas tout à fait sans inquiétude. Dormez sur les Princes. Je voudrais qu’ils allassent à Holland-house. J'insisterai. Les premiers escomptes présentés par M. Ellis ont causé un vif émoi. Plus de 1000 fr. par jour. Le loyer n’est pas cher. Mais la table et tout le reste énormément cher.
Je ne comprends toujours pas bien les Débats d’hier. Ni M. Vitet non plus qui est venu hier dîner avec moi. Il suppose, comme moi, qu’on a eu à relever une impertinence, et à déjouer une rouerie de Th[iers]. Il est plus enclin que moi à croire à une faiblesse possible en faveur de Cavaignac. Mais le tout l’inquiète, et Duchâtel aussi. Et moi aussi. J’attends impatiemment quelque explication de G[énie]. Duchâtel a les mêmes nouvelles que moi sur notre procès. La cour, de concert avec le Cabinet, a décidé qu’elle en finirait avant l'élection du Président. Je soupçonne que les Républicains veulent avoir ce mérite-là envers nous, et ne pas le laisser à Louis Bonaparte. Je n'ai pas encore mes journaux de ce matin.
Je mettrai ceci à la poste en partant pour Richmond, de peur de retard. Si je reviens à temps vous aurez une autre lettre. Adieu. Adieu.
Midi Je viens de déjeuner et je pars pour Richmond. Il fait froid. Décidément Brighton est plus gai. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L010_00352.jpg
Brompton. Lundi 2 oct. 1848
2 heures

J'espère bien que cette indisposition ne sera rien. Vous avez raison de vous tenir tranquille et de manger très peu. Le repos et la diète. Moi aussi, j’ai été un peu incommodé cette nuit. Mais ce n’est rien du tout. Je viens de me promener une heure par un joli temps. Le voilà qui se gâte. Quel déplaisir que la distance !
Je suis allé hier voir Dumon. Il y a dans ce quartier bien des maisons à louer. Même deux ou trois. Grosvenor Place qui me paraît un très bon emplacement. Dumon restera seul lundi prochain. Sa femme et sa fille retournent à Paris. Il quittera sa maison de Wilton-Street, et se rapprochera de l'Athenaeum, sa ressource contre la solitude. Mais il sera toujours fort à portée de ce quartier-là. Duchâtel revient à la fin d’octobre, et passera l’hiver à Londres. Si on ne peut pas le passer en France. Presque toutes les lettres de France croient à une crise prochaine qui nous y fera rentrer. Personne ne dit bien pourquoi ni comment. Mais tout le monde le dit, les simples comme les gens d’esprit, à mon profond regret, ce n’est pas mon impression. Voici la nouvelle qu’on m’apporte ce matin, tout bien examiné, tous calculs faits, Cavaignac et ses amis en sont venus à penser que si on tentait de le faire nommer Président maintenant il ne serait pas nommé, et que tout croulerait. Ils se sont rejetés alors dans l’expédient contraire qui serait d’ajourner la nomination du président de la République jusqu'au moment de la dissolution de l'Assemblée elle-même, c’est-à-dire après les lois organiques. Jusque-là, on resterait et exactement comme on est, sans toucher à cette machine qu'on ne peut pas toucher, sans la briser. On m'assure que c’est là ce qui sera proposé ces jours-ci. La réunion de la rue de Poitiers s'y opposera. Mais on croit qu’elle sera battue, toutes les autres portions de l'Assemblée, y compris les Montagnards, désirant éviter une crise dont elles ne se promettent rien de bon pour elles-mêmes. C’est un gouvernement de plus en plus convaincu qu'il ne peut pas vivre, et décidé à ne pas remuer pour ne pas mourir. En définitive, il n'en mourra pas moins. Mais cela peut durer encore quelque temps.
Les Italiens affluent ici, en colère croissante contre la France et la République. Cavaignac ne sait pas la valeur des moindres paroles en Affaires étrangères. Il a, lui-même tout récemment encore, donné aux gens de Milan, aux gens de Venise, aux gens de Sicile, des espérances qui sont tombées le lendemain après une séance du Conseil. On les renvoie à Londres, en disant : " Nous ferons comme Londres. " Et Londres ne dit rien du tout. Le Roi de Naples n'attaquera, pas Palerme. Il prendra, ou se conciliera successivement toutes les autres villes, laissant Palerme vivre comme elle pourra dans son anarchie. Le temps est pour lui. A Rome on augure très mal du Cabinet Rossi. On dit que le Pape l’usera et le laissera tomber comme les autres. Et s’il veut résister plus réellement que les autres, les Républicains demain le feront tomber. Les fantaisies républicaines sont en progrès dans tous les coins. L'avocat Guerazzi reste le maître à Livourne et se promet de devenir le président de la République Toscane. Le cabinet du grand Duc va se dissoudre. Son président, le marquis Capponi, capable et honnête, aveugle et impotent, déclare qu’il ne peut plus continuer, par impotence et par honnêteté. La fermentation républicaine gagne Gênes de plus en plus ; à ce point que l’idée y circule de s'annexer à la Lombardie autrichienne. Si l’Autriche doit consentir à accepter Gênes comme ville libre et port franc. L'Empereur d’Autriche protecteur du Hambourg de la Méditerranée. Vous voyez que tout n’est pas près de finir là. Adieu. Adieu.
J’ai trouvé l'adresse de Salvo. Il part cette semaine pour aller passer quinze jours à Paris. Adieu, j'espère que demain matin, je vous saurai bien. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Mardi 3 oct. 1848
3 heures

Je reviens d'Albany où j'étais allé voir Macaulay. " Vous êtes, m’a-t-il dit la première personne que j’aie vue à Londres depuis huit jours." Il vit dans une complète solitude, imprimant son histoire de la Révolution de 1688 qu’il publiera en décembre. Il ne savait absolument rien.
La Rosière est venu ce matin. Amusant sur le passé, car il a quitté Paris il y a plus de six semaines. Des détails sur les premiers temps de la Révolution, Lamartine, Rémusat, Thiers. Croyant à Thiers une assez bonne position dans la Garde nationale de Paris. Attendant la fin prochaine, sans en savoir plus que nous. Il quitte Mad. la Duchesse d'Orléans dont il parle très bien. Situation matérielle déplorable, portée avec une parfaite simplicité et dignité. Plus disposée qu’on me dit à accueillir les combinaisons qui rendraient l'avenir de ses fils plus sûr. M. le comte de Paris avait le visage un peu meurtri d’une chute sans gravité. Très bien du reste, et le duc de Chartre très aimable. Décidé à rester en Allemagne, et à se conduire comme si elle était à Claremont. Point d’intelligence directe ni séparée avec Paris. La Rosière convaincu que la République rouge est plus forte en Allemagne qu'en France, et que, si elle prévalait un moment en France, l'explosion en Allemagne serait très forte. Je n'ai point d’autre nouvelle.
Vous me direz demain où je dois aller vous voir demain soir à quel numéro de Mivart, car il y en a quatre ou cinq. Passerez-vous là quelques jours ? Les jours passent si vite ! Adieu. Adieu.
Il fait bien beau. Le parc de Richmond est encore bon. Où vous promènerez-vous à Brighton ? Adieu. J’espère que vous ne vous êtes plus ressentie de votre estomac. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Mardi 26 sept 1848
Une heure

Je suis hors d'état de sortir. Je tousse pas mal, c’est-à-dire très mal. Il me faut un peu de confinement. J'ai bien dormi mais en me réveillant pour tousser. Je me coucherai ce soir de bonne heure. Et de tout le jour, je ne quitterai mon cabinet. Que je voudrais qu’il fit beau demain. J’espère que je pourrai aller vous voir. Peut-être le matin, à 1 heure, si je me suis encore trop pris pour me mettre en route le soir. Ceci est un grand ennui. Et j’ai bien peur que cela ne nous arrive plus d’une fois cet automne. Je me porte très bien au fond ; mais je m'enrhume aisément, et je suis aisément fatigué. Je me résignerais, très bien à n'être plus jeune si je n’avais jamais à sortir de chez moi. Ce qui vaut et ce qui sied le mieux quand on n’est plus jeune, c’est la tranquillité.
J'ai les mêmes nouvelles que vous de Paris. Si Louis Bonaparte se conduit passablement, et s’il n’est pas forcé d'attendre longtemps, il pourra bien avoir son moment. Agité et court car il ne peut pas plus supporter la liberté de la presse que Cavaignac, et il n'aura pas, comme lui, pris la dictature au bout de son épée. Son nom, qui le sert de loin, l’écrasera de près. Mais il vaudrait infiniment mieux éviter cette parenthèse de plus. Je crois encore qu’on l'évitera, que Louis Bonaparte se compromettra avant d'arriver au pouvoir et que l’armée comme l'Assemblée. soutiendront Cavaignac contre lui. Que la République et l'Impérialisme s’usent bien contre l’autre ; c'est notre meilleure chance, et à mon avis la plus probable.
Je ne comprends pas ce que votre correspondant demande à votre oncle. Il le sait prêt à la transaction. Ce n’est pas à lui à aller la chercher. Ce n’est pas à lui qu'on peut s'adresser pour qu'elle marche et se conclue. On désire quelque fait extérieur qui prouve qu'elle peut se conclure, qu'elle se conclura, le jour venu. Qu'on aille donc au-devant de ce fait ; qu'on lui fournisse l’occasion de paraître. L’occasion semblait trouvée ; on semblait même l’avoir cherchée. Tout le monde devait le croire. Non seulement on ne l'a pas saisie ; mais on s'est montré disposé à la fuir. Quand on est pressé, il faut se presser. Je n'ai jamais pensé que votre oncle pût ni dût prendre aucune initiative ; mais je suis encore bien plus de cet avis depuis le dernier incident. Je répète que lorsque la transaction ira à lui, elle le trouvera prêt ; mais il n’a rien à faire qu'à l'attendre dans l’intérêt du succès comme dans la convenance de son honneur. Il disait encore avant-hier à l’un de mes amis qu’il n’avait reçu de sa partie adverse, aucune avance, aucune insinuation qu’il pût sensément regarder comme un pas vers lui.
De Rome et de Florence, mauvaises nouvelles. Les républicains sont furieux de la petite réaction romaine et du peu de succès de l’insurrection de Livourne. La population ne veut pas les suivre, mais comme le gouvernement ne sait pas les chasser, ils sont toujours là, et et commencent, et recommenceront toujours. On dit que Charles Albert meurt de peur d'être assassiné par eux. Il mourait de peur autrefois d'être empoisonné par les Jésuites. Il ne sera probablement pas plus assassiné qu'empoisonné. Mais son succès n’ira pas plus loin. Adieu. Adieu.
Pour Dieu, ne soyez pas malade. Je veux bien être enrhumé, mais pas inquiet. Je vous renvoie votre lettre. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton, Mercredi 8 nov. 1848
9 heures

Voici une lettre très curieuse. Lisez-la, je vous prie, vous-même, malgré vos mauvais yeux et renvoyez-la moi tout de suite. G[énie] me fait dire qu'il importe infiniment que ses lettres restent entre lui et moi, et qu'il n'en revienne rien à Paris. Vous verrez combien tout cela confirme ma résolution. Je devrais dire notre résolution de me tenir parfaitement tranquille et en dehors de toutes les menées.
Le Roi me fait écrire hier par d'Houdetot " Le Roi me charge de vous dire que les accidents de santé de ses chers malades, sans être plus graves, ayant continué, les médecins avaient conseillé un changement d’air immédiat ; ce qui l’avait décidé à aller passer quelques jours à Richmond, à l’hôtel du Star and Garter. Nous partons aujourd’hui même à une heure. Le Roi désire que vous sachiez bien le pourquoi de ce mouvement afin de vous mettre en garde contre les bruits publics." D’Houdetot aurait dû me donner quelques détails sur la Reine. Mais enfin elle a pu évidemment être transportée, sans inconvénient. Je voudrais savoir qui occupera votre petit appartement. J'irai les y voir. Pourvu que mon travail m'en laisse le temps, car je veux absolument le finir sans retard et l'envoyer à Paris. Le moment de le publier peut se rencontrer tout à coup. Et dans l'état des affaires au milieu de tout ce mouvement d'intrigues croisées, je ne serais pas fâché de donner une marque publique de ma tranquillité et liberté d’esprit en parlant à mon pays sans lui dire un mot de tout cela. Cette course à Drayton va me faire perdre encore du temps. Je réponds aujourd’hui à Sir Robert Peel, mais je n’y resterai que jusqu'au mardi 21 et non jusqu'au jeudi 23 comme il me le demande. Ce serait charmant, s'il vous invitait aussi.
Je reçois à l’instant même un billet de Duchâtel qui était allé hier a Claremont au moment où le roi et toute la famille partaient pour Richmond. Il a trouvé le Duc de Nemours et le Prince de Joinville, très souffrant. Ils ont eu une rechute, c’est ce qui a déterminé la résolution, soudaine.
La dernière scène de Vienne est tragique. Le parti révolutionnaire, étudiants et autres est plus acharné que je ne le supposais. On m’apporte de Paris de bien sombres pronostics sur l'Allemagne. On s’attend que l'Assemblée de Francfort se transportera à Berlin, et finira par y proclamer la République. La Monarchie, et l’unité allemande paraissent de plus en plus incompatibles. Le rêve en progrès est celui d’une république allemande, laissant subsister dans son sein, par tolérance et jusqu’à nouvel ordre des monarchies locales. En France les esprits sont malades sans passions. En Allemagne, il y a la maladie, et la passion. Adieu, adieu. Merci de votre accueil, digne réponse à votre merci de ma visite. Adieu vaut mieux. M. Vitet arrive aujourd’hui de Paris. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Mercredi 8 Nov. 1848
4 heures

Flahaut et Lavalette sortent de chez moi. Très troublés des nouvelles de Paris d'hier. Baisse énorme à la Bourse ; plus de 40 sous sur le 3 et sur le 5 pour 100. Anxiété générale comme la veille du 28 juin. Les républicains disant tout haut " Nous ne nous laisserons pas renverser. " Les modérés : " Nous ne nous laisserons pas déporter. " La garde mobile et la ligne tout près d'en venir aux mains non plus par des duels, mais en corps. La revue de l’armée ajournée, point à cause du temps mais parce que plusieurs régiments annonçaient qu’ils crieraient : " à bas Cavaignac ! Vive, Louis Bonaparte ! " Tous les symptômes de l'approche d’une lutte, d’une crise. Morny écrit : " J’ai de l’or ; j’aurai un passeport ; si nous sommes battus, je m’en servirai. " Duchâtel a trouvé hier le Roi sérieusement inquiet du Prince de Joinville. Et même un peu de la Reine. Leur arrivée à Richmond aura été triste.

Jeudi 9 Nov. 8 heures
J'ai dîné hier chez Lady Coltman, des magistrats et Macaulay. Moins abondant que de coutume. Préoccupé de son livre (Histoire de la révolution de 1688) qui paraîtra le 4 décembre. Lord Jeffrey, qui en a lu des fragments, dit que c'est excellent au-dessus de ce qu’il attendait. Cela vous est égal. Vous aimez assez les vieilles gens, point les vieux temps. Il faut que vous-même, de votre personne, vous ayez été de quelque chose dans les choses pour vous y intéresser. Vous êtes très personnelle. Point de nouvelles là. Ni Anglaises, ni Françaises. Presque tout le monde content du résultat de Vienne. En gros, le public anglais veut du bien à l’Autriche. Le libéralisme de Macaulay se satisferait en espérant l'affranchissement des Slaves et un affaiblissement pour la Russie.
Je mettrai moi-même cette lettre-ci à la poste tout-à-l’heure avant 9 heures. Je veux voir, si elle vous arrivera ce soir. Vous me le direz. Si j’apprends dans la journée quelque chose qui en vaille la peine, je vous écrirai un mot avant 5 heures. J'attends, M. Vitet qui a dû arriver hier de Paris. A moins que le mauvais temps ne l'ait arrêté à Boulogne.
On dit qu’hier il y avait tempête. L’avez-vous eue à Brighton ? Jai rapporté de Brighton une impression très agréable. Probablement plus agréable qu'il ne mérite. Je vois par ce qui me revient de Paris que là dans Paris, la perspective de la chute de Cavaignac déplait à pas mal de gens. Par terreur de la transition. Et aussi parce que, sans aimer la République pas mal de gens se disaient qu'après tout, peut- être, en entourant Cavaignac, en le soutenant la république modérée serait possible. On les jette dans un danger et on leur retire une chance. Ils en voudront beaucoup à Thiers d'avoir poussé à Louis Bonaparte. M. de Tocqueville est fort prononcé dans ce sens. On recrute ouvertement chez lui pour Cavaignac. Les Anglais qui vont à Paris vont beaucoup là. L’armée des Alpes est, pour Cavaignac et le républicain, un grand sujet d'inquiétude. Ils craignent qu’un beau jour, tout à coup, le maréchal Bugeaud n'aille se mettre à la tête et ne marche sur Paris. Je recherche tous les bruits, tous les petits propos pour vous les envoyer. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Mercredi 13 Sept. 1848
Midi

Avec votre lettre ce matin, deux longues lettres de Brougham et d'Ellice. Brougham dans un accès de tendresse. Il voudrait m'envoyer son manuscrit, et que je le lusse pour y ôter, ajouter ou changer ce que je voudrais. Comme de raison, je ne refuserai. Enorme dissertation d’Ellice qui regarde la guerre et la banqueroute française comme infaillibles, et veut que l'Angleterre se retire tout-à-fait de l’Europe. Convaincu de la vertu et de l’impuissance de Cavaignac. Charmé d'avoir chez lui Duchâtel qui chasse et s’ennuie. " The patience of that ardent chasseur is beginning, to be sorely tired with our storms and torrents of rain. Amiable and interesting as he is from his knowledge of men and of affairs, how entirely he is homme d'affaires! If it was not for his engouement now for the chasse. I dearely know how I should employ his time for him in the Country. He will miss his old avocations and interests. much more than you will do."
Ellice me paraît avoir un plan pour le gouvernement de l'Irlande, et il espère que Lord John l'adoptera pendant sa visite à Dublin. J’ai ce matin quelques nouvelles d'Italie. Les chances en Sicile sont pour le Roi de Naples. Non pas pour soumettre l’intérieur de l'île, mais pour reprendre possession des villes et des points importants de la côte. Le Prince Gramatelli, qui est ici de la part des insurgés, est très abattu furieux, comme toute l'Italie contre l'Angleterre qui a laissé tout espérer, et ne tiendra rien. Dans l’intérieur de l'Italie dans les Apennins, de petits démembrements se font, de petites républiques indépendantes se proclament. Déjà crois ou quatre en Toscane et dans les légations. Anarchie complète impuissance, complète des gouvernants. Le Pape travaillant à temps, sans bruit, son épingle du jeu. De concert avec les cardinaux qui se concertent avec Vienne. Gènes à peu près perdu pour Charles-Albert. Conviction générale que l’Autriche ne veut que gagner du temps. Elle fait la police sous main en Italie comme elle la faisait ouvertement jadis. Le parti républicain, Mazzini et tous ses petits éclateront un de ces jours, et ce sera le coup de grâce de l'Italie. L’Autriche, se croira, en droit de tout faire contre eux et l'Angleterre de tout laisser faire. Et la République française dira qu’on a dérangé sa médiation qui allait réussir, et elle n'empêchera rien. Voilà les pronostics des Italiens gens d'esprit.
Je fais du feu. Il faisait froid hier chez Lady Cowley que j’ai trouvée. Elle cherche une maison. Georgine m’a paru de très bonne humeur. Il paraît que cette pauvre Aggy est mourante. Adieu. Adieu. Oui, jeudi n’est que demain. Hébert et Dumon viennent dîner avec moi aujourd’hui. Je serai demain au railway comme à l’ordinaire, avant 5 heures trois quarts. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton, Mercredi 20 sept. 1848
une heure

J’ai écrit hier au Roi que s’il ne faisait pas dire le contraire j’irais à Claremont demain, jeudi de midi à 3 heures. Si vous persistez dans votre projet de venir me prendre, soyez, entre 3 h. et 3 h. et demie, à Esher, aux environs de l’ours. Nous retournerons ensemble à Richmond. Nous aurons ainsi la promenade et le dîner. Cinq bonnes heures. Je vous rapporterai la lettre de Paris. Intéressante. Je ne m'étonne pas qu’il n'eût pas encore reçu l'autre de vous. Mon révérend à qui je l'ai remise, m’avait prévenu qu’il passerait quelques jours à Boulogne où était sa famille. Il ne devait aller à Paris que du 16 au 18, et la lettre que vous venez de recevoir est du 17.
Je regrette que vous n'ayez pas trouvé la Princesse de Parme. J’ai confiance dans votre observation. Ce que dit la lettre de Paris n'explique rien. Comment ne sait-elle pas l'état des Affaires et la conduite de son parti ? Comment va-t-elle à Londres sans le savoir ? Ou sans que son parti sache qu'elle va à Londres et la mette au courant ? Tout cela ne s'explique que par la légèreté mutuelle qui explique tout, et ne rassure sur rien.
Me voilà bien pédant. Il faut bien l'être en pareille affaire. Je trouve en effet que c’est un grand symptôme de fusion, de la part des légitimistes que de porter le Maréchal Bugeaud. Ils ont bien raison et je voudrais bien qu’il passât. Pas la moindre nouvelle électorale dans mes journaux de ce matin. Je ne me rends pas bien compte de l'effet de l'élection de Louis Bonaparte, s'il est élu. En tous cas, et pour tout le monde ce sera une grosse complication. Il tombera inévitablement entre les mains des républicains rouges conspirateurs de profession, et les seuls qui puissent vouloir de lui comme Empereur. Cela peut amener un rapprochement, plus ou moins long, plus ou moins sincère, entre les républicains modérés, et l'ancienne gauche. Par conséquent entraver et retarder la fusion des monarchiques. Je vous ai déjà dit que les Débats m'étonnaient un peu. Nous en saurons davantage dans quelques jours. Evidemment nous touchons à une crise.
Qu’il fait beau ! J'en jouis pour vous à Richmond. Je reviens de Kensington Gardens. Il me faut une demi-heure pour y aller. Je m'y promène une demi-heure. C’est une heure et demie de marche en bon air. J’ai eu hier Lady Cowley. Voulant être spécialement caressante, et étant généralement grognon. Cela fait un drôle d’assemblage. Elle va passer quelques jours chez la Duchesse de Glocester. Comme de raison, elle ne savait rien. Où êtes-vous à présent ? Probablement à votre luncheon. Il va être 2 heures. Adieu. Adieu.

Je ne pense pas que le Roi me fasse être qu’il ne sera pas à Claremont, demain. Cependant, s’il me le faisait dire, je n'irais pas. Et comme je n'aurais sa lettre que demain matin, je n'aurais pas le temps de vous l'écrire. Si vous ne me voyez pas paraître à Esher, à 4 heures, retournez à Richmond. Vous aurez fait votre promenade du côté d'Esher et moi j’irai toujours dîner avec vous. Mais je compte bien aller à Claremont. Adieu. G.

P.S. Le rapport de l’Amiral Baudin, inséré dans les Débats d’aujourd’hui, prouve que la défense de Messine n'a pas été aussi désespérée qu'on le disait.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Mercredi 27 Sept 1848 Brompton
Une heure

Je vais mieux. Mon rhume passé de la poitrine dans le cerveau. J'éternue plus et je tousse moins. C’est la marche contraire à l'ordinaire ; mais n'importe ; c’est la marche vers la fin. Je n’ai pas très bien dormi. Puisque vous avez le projet de venir demain faire une visite à Holland house, je me donnerai encore demain d'immobilité et je vous attendrai à Brompton. Après demain je reprendrai ma liberté, mon habitude et mon plaisir.
Rien de plus à Paris. Cavaignac se tient droit pour avoir l'air grand, et raide pour avoir l’air fort. Les Monarchiques se font plats pour qu'on les croie républicains. Louis Bonaparte se fait petit. Chacun croit avoir le temps pour soi et veut en gagner le plus qu’il pourra. Quel dommage de ne pouvoir jeter un peu de vérité au milieu de toutes les hypocrisies ! Je vous répète ce que je vous disais hier ; nous devons désirer que Louis Bonaparte s’use contre et sous Cavaignac, l'Impérialisme contre le Républicanisme. Ces oscillations, ces trainasseries, me déplaisent beaucoup mais ne m'inquiètent pas. Pascal dit quelque part : " Il y a plaisir à être dans un vaisseau battu de l'orage quand on est assuré qu'il ne périra point." Je ne suis pas si sublime. J’aimerais mieux que le vaisseau fût dans le port. Mais je suis assuré qu'il ne périra point.
Apparemment votre ancien favori, Etienne le susceptible, croit aussi à mon vaisseau, car il vient de m'écrire pour me demander un emploi en Angleterre. Un petit établissement qu’il avait formé, à la campagne est tombé avec le trône. Il ajoute : « Je présente mes respects à la Princesse, et je la prie d'avoir l'obligeance de me recommander à ses nombreuses connaissances.» Il était bien grognon, mais plus honnête, je crois que son prédécesseur dans votre faveur, le Félix de Henri de Castellane.
Où serait Henri de Castellane s'il n’était pas mort ? Dans l'Assemblée nationale : ni républicain, ni légitimiste, ni orléaniste, nageant, dans la confusion, l’intrigue, la conspiration, la malveillance et la médisance, comme le poisson dans l'eau. Adieu. Adieu. Je n’ai point de nouvelles de nulle part. Voilà le soleil qui perce. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Samedi 9 Sept. 1848
9 heures

Je vous ai quittée hier à 4 heures moins un quart. J'étais chez moi à 4 heures 35 minutes, ayant changé trois fois de voiture, le railway, mes pieds et l’omnibus. On ne peut guères surmonter mieux l'obstacle de la distance. Mais l’ennui de la séparation reste et il est grand. J'étais levé ce matin de bonne heure. Non seulement je travaille, mais j'y reprends plaisir. Je retrouve cette confiance de ma jeunesse où je croyais à l'efficacité de mes paroles autant qu'à la vérité de mes idées. A la réflexion, j’en rabats ; mais le fond reste. Grâce à Dieu, car pour être un peu puissant, il faut, non seulement vouloir l'être mais croire fermement qu’on le sera.
Je n'ai rien appris hier soir. Rumigny part aujourd’hui. Il est de ceux qui voudraient que de Claremont, on se montrât, en parlât, on fit sentir sa présence à ses amis. Il dit que les amis le demandent, se plaignent du silence. Il rappelle la proclamation que Zea Bermudes fit faire à la reine Christine chassée en 1840, et la bonne position d'attente que ce seul fait rendit à la Reine. Il se peut que le moment vienne, pour le Roi, de dire quelque chose ; mais, à coup sûr, il n’est pas venu. Je viens de vous renvoyer Jean. Je persiste dans mes deux avis. Il faut proposer ce que vous dit Lutteroth. Il faut sommer Lady Holland de se retirer. Rothschild vous donnerait en tous cas, la préférence. Les Holland ne sont que des oiseaux de passage. Merci du gibier.

Midi
Que dites-vous des derniers mots de la Lettre de Louis Bonaparte ; on ne détruit réellement que ce qu'on remplace ? C’est une candidature bien déclarée. J’ai toutes les peines du monde à prendre cet homme-là un peu au sérieux. Pourtant il a été quelques jours un prétendant sérieux. Il pourrait le redevenir. Il faut pas se donner une démolition de plus à faire. Bon avis aux partis monarchiques pour qu’ils s’entendent. Le Journal des Débats continue. Le Gouvernement de Cavaignac est bien isolé. Le National pour tout appui ! Et le National embarrassé, triste. Il est impossible que cette situation dure longtemps.
Je regrette ce pauvre général Baudrand. Il n’avait plus rien à faire en ce monde. Mais je n’aime pas que les honnêtes gens meurent. C'était un soldat vertueux et gentleman. Très noble type. Il sera mort tristement et tranquillement. Il y a certainement quelque chose de nouveau de la part de l’Autriche. Vous l'aurez peut-être su hier soir. Je regarde attentivement aux préparatifs de Marseille. Ce ne sont pas des préparatifs de guerre. Il ne peuvent avoir pour objet qu’une démonstration. Où ? Pourquoi ? Le Pape ne parait pas menacé en ce moment. Le discours de la Reine est bien confiant dans la pacification. Croker croit à la guerre. Il m’écrit. « I am more and more convinced that this republic must end speedily, in another convulsion whether thal will produce another republic, red or rose, or a monarchy,or a regency. I cannot guess ; but as soon as ever the dictatorial sword it theather, we shall have another Struggle, in Paris ; and then also, if not before, a continental war. Je ne crois pas. Adieu. Adieu.
A demain Holland house. n'oubliez pas la lettre dont je vous ai envoyé tout à l'heure un paragraphe. Adieu. G.

J'ai donné transmis à mon avocat les renseignements que vous avez bien voulu me transmettre sur mon procès, Il en a causé de nouveau avec mon oncle qu’il a trouvé mieux disposé pour une transaction et prenant lui-même quelque peine pour y disposer les autres parties intéressées. Mais il y a pour celles-ci surtout, et pour la situation où elles se trouveraient si la transaction avait lieu, certaines garanties qui paraissent indispensables. Je n'y vois, pour mon compte aucune difficulté. Quand mon avocat trouvera les choses assez avancées pour que j'aie à répondre, je vous prierai de me dire votre avis. Encore une fois, je ne vous demande plus pardon de vous ennuyer ainsi de mes affaires. Mais certainement il y a progrès vers la conciliation.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Samedi 11 nov. 1848
7 heures

Je me lève. Le jour commence. Je viens d'allumer mon feu. Puis à vous. Je vais déjeuner ce matin chez Macaulay, avec Lord Mahon et quelques oiseaux de passage à Londres. Avez-vous froid à Brighton ? Il faisait froid hier ici, par un beau soleil. J'espère qu’il ne faisait pas froid à Brighton.
J’ai vu du monde hier chez moi, car je ne sors point. M. Vitet, très longtemps. Il était venu la première fois avec Duchâtel, son ami d’enfance, et son patron politique spécial. On ne cause librement que tête à tête. Je l'ai trouvé hier très intelligent et très sensé. Convaincu qu’il n’y a de bon et d'efficace que la fusion. Parce que cela seul peut être fort, et que cela seul est nouveau. Il n’y a pas moyen, de part ni d'autre, de ne faire autre chose que recommencer. Mais la fusion est horriblement difficile. Les nôtres y sont les plus récalcitrants. Ils croient plus que les autres qu'ils peuvent s’en passer. Quoiqu'on ne parle pas des Princes, ni des Orléanistes, au fond, c’est là ce qui est dans la pensée de la grande majorité. Il faut plus de temps et plus de mal pour leur faire accepter la raison. Elle n’a pas encore la figure de la nécessité.
Les derniers venus d'Eisenach rapportent un mauvais langage. Sémiramis ne veut pas partager ses grandes destinées. D'un autre côté, le duc de Noailles a parlé à Mad. Lenormant en homme assez découragé, qui rencontrait parmi les siens, bien peu d’intelligence et beaucoup d'obstacles. Vous avez vu que sa lettre est pourtant pressante. Evidemment tout est encore loin, par conséquent vague et obscur. L'avenir le plus prochain et le plus pratique est l’élection d’une nouvelle Assemblée. C'est à cela qu’il faut penser et travailler dès aujourd’hui. Elle videra la question. Pour ces élections-là, les deux partis monarchiques sont très décidés à agir de concert. Je vous envoie là pêle-mêle ce qu’on me dit et mes réflexions.
Hier soir, Lavalette et sa femme qui repartent aujourd'hui pour Paris, et de là pour une terre qu'ils ont près de Bordeaux. Et près de Bugeaud chez qui ils vont passer deux jours. Lavalette revenait de Richmond. Il avait trouvé le Roi bien, la Reine mieux, le Prince de Joinville, malade, le Duc d’Aumale repris et dans son lit. Il avait été content du dernier. Le Roi triste parce qu'on ne lui envoie pas d’argent de Paris. On ne veut lui donner de l'argent ni sa vaisselle, que lorsqu’il aura fait son emprunt pour payer ses dettes. Et l’emprunt n’est pas encore fait. Un brave amiral, que le Roi a connu jadis et dont Lavalette avait oublié le nom, était venu le matin à Richmond, offrir au Roi dix mille louis, avec toute la franchise et la shyness anglaises.
Je n'ai point eu de lettres. Merci de celle que vous avez pris la peine de copier pour moi. Amusantes. Quels subalternes ! Je ne les ai montrées à personne. Montebello m’a écrit hier matin. Il me donnera tous les jours des nouvelles du Roi, tant qu'ils seront là. Vous n'aurez peut-être pas remarqué dans les Débats d’hier un petit article sur les élections du Calvados, emprunté à un Journal de Caen. Ce que j’ai écrit a fait son effet. On ne me portera point. On portera un légitimiste que je connais un peu, honnête homme et assez distingué.
J’ai eu des nouvelles de Turin et de Florence. Charles Albert persiste à regarder un conflit entre lui et les Autrichiens comme inévitable. La république le talonne plus que jamais. Gênes est de plus en plus menaçant. Il est tout seul. On le laissera tout seul. Mais on le poussera sur le champ de bataille. Tout son désir, c’est que le premier boulet y soit pour lui. Il disait tout cela il y a huit jours. A Florence, le grand Duc a été sur le point de s'enfuir, et n'y a pas renoncé. L’anarchie est au comble. On a de la peine à écrire d’une ville à l'autre. Il faut des occasions. Adieu. Adieu.

C'est mardi que j'espère aller vous voir. Pour revenir mercredi matin. J'attends une lettre de Sir Robert Peel. Mais je compte toujours aller vendredi à Drayton. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Samedi 16 sept. 1848
2 heures

Vos nouvelles sont de M. Tanski. Bruits de la salle des Pas Perdus qui valent toujours la peine d'être recueillis. J’étais convaincu que le Constitutionnel et les Débats n'avaient accepté M. Adam que pour se concilier avec le général Cavaignac et exclure de concert Louis- Bonaparte. Cavaignac, c’est-à-dire le National, n’aura pas voulu ou n’aura pas pu, à cause de son parti, accepter Roger et Fould, et le concert se sera rompu. Nous le saurons positivement après-demain. Cela pourrait donner des chances au Bonaparte. Et celui-là ne peut pas être élu sans avancer la crise. Il est trop tôt pour se tenir tranquille. J’ai peine à croire aux Légitimistes portant Bugeaud. Ils auraient bien raison. Mais j'ai peur que ce ne soit trop de raison pour eux. Si Paris finissait par nommer Bugeaud, B. Delessort et Fould, cela aussi serait un événement. Désormais, avec la situation qu'à prise Cavaignac, rien ne peut arriver, personne ne peut remuer que ce ne soit un événement. Tout mouvement est contre lui. Même les grandes séditions qui lui faisaient tirer du canon car elles le brouilleraient de plus en plus avec la République rouge, son camp de retraite à mesure que les deux camps monarchiques le presseront davantage. Je le crois acculé dans sa dernière position. C’est vite, et pourtant encore bien long peut-être. Ma raison me dit qu'il ne faut pas désirer que ce soit trop vite. On est toujours ramené à la morale, et contraint d’opter entre sa raison et son désir. Je n’ai vu personne hier. J’ai passé ma soirée à lire, et je me suis couché de bonne heure.
Mad. de Staël écrit à mes filles que le Duc de Broglie est arrivé à Coppet, encore couteux et trouvant Paris si triste, si désagréable à habiter qu’il ne ramènera pas son fils Paul au Collège au mois d'Octobre, et restera peut-être tout l’automne à Coppet. Il se lamente que nous ne nous écrivions pas plus souvent. Ce n’est pas la peine de se porter tout haut de Londres à Genève, à travers Paris. Comme je vous l'ai dit, le Rossi qui a été ministre de la justice du Pape n'est pas du tout le mien. Le Pape a de nouveau envoyé chercher le mien pour le prier de lui faire un Cabinet. Il a de nouveau refusé, quoique nommé député par Carrare sa ville natale. Député au Parlement de Florence, il est vrai. mais cela ne l'aurait pas du tout empêché d'être Ministre à Rome. Il n’y a plus de frontières en Italie ce qui ne fait pas qu’il y ait une Italie. Du reste, ce n’est pas du tout par Rossi lui-même que je sais cela. Il ne m’a pas donné signe de vie depuis le 24 février. C’est un des plus choquants exemples d’ingratitude de pusillanimité. Je m’y attendais à peu près. Si cela ne me regardait pas, je m’attristerais de tant d’esprit joint à si peu de caractère et de cœur. Mais j’ai décidé il y a longtemps que je ne mettrais pas ma tristesse ou ma joie, à la merci de ce qu’on appelle des amis, même des plus gens d'esprit.
Mad. de Broglie disait de M. Cousin : " C’est une grande intelligence perchée sur un bâton." M. Rossi vaut mieux ; mais il y a de cela. 4 heures J’ai été interrompu par un Allemand, homme d'esprit, un M. Erdmann, qui m’avait été recommandé à Paris, il y a deux ans, et qui est venu passer quelques jours à Londres. Prussien, très prussien et point allemand. Il dit que la réaction prussienne devint très vive et l'emportera. M. Beckerath que le Roi se charge de faire un cabinet, est plus anti-francfort, dans la question danoise, que ses prédécesseurs. Le général Schreckenstein (je crois), le ministre de la guerre qui s’en va, est un homme de caractère, en qui les prussiens de bon sens croient assez et de qui ils espèrent, à un jour donné. Pendant, son ministère, une députation d'étudiants est venue lui demander pourquoi il se faisait un rassemblement des troupes à Charlattenbourg. Il leur a répondu : " Messieurs, pourquoi faites vous vos études à Berlin ? Question pour question ; j’ai autant le droit de vous faire celle-là que vous la vôtre à moi. " M. Erdman m’a raconté assez de détails curieux. S'il y a en Allemagne beaucoup d'hommes de ce bon sens à tout n’est pas perdu.
Adieu. Adieu, à demain, Holland house. Je n’irai pas lundi à Claremont. Mais bien dîner à Richmond. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Samedi 23 Sept. 1848
Une heure

Je trouve l'état de Paris très grave. Si Cavaignac recrute son ministère à gauche, les communistes entrainent avec eux le gouvernement. S’il le recrute à droite, les Communistes attaqueront très vite le Gouverne ment. Et Louis Bonaparte à travers tout cela, principe de désorganisation dans la droite et dans la gauche. La crise, au mieux les crises, vont se précipiter. Beaucoup de légitimistes et de conservateurs ont voté pour Louis Bonaparte, par désir de brouiller, et d'en finir. Tout le monde est plein d'humeur, d’aigreur. Avant l'élection Benj. Delessert était allé voir Thiers pour se remettre bien avec lui, et lui demander son appui. Thiers l’a très mal vécu : " Que venez-vous me demander ? Vous êtes un ancien conservateur. Ce sont les anciens conservateurs qui ont tout perdu par leur entêtement. Ils n'ont pas voulu me laisser arriver. Je n’ai rien à faire pour eux. " Vraie colère d'enfant désappointé.
Si Delessert est sorti furieux. Les conservateurs à qui il le raconte sont furieux contre Thiers. Les amis de Bugeaud spécialement furieux. Ils disent que Thiers n'a jamais rien fait et ne fera jamais rien pour lui, sinon de l’appeler indéfiniment l'illustre Maréchal. Ledru Rollin se croit déjà président. Lamartine se rapproche de nouveau de Ledru Rollin pour lui disputer la Présidence. Raspail veut qu’on fasse sortir Barbès et Blanqui de Vincennes avec lui.
Tout le monde, négocie avec tout le monde. Tout le monde se brouille, avec tout le monde. Chaos d'aveugles ivres qui ne savent plus même se servir de leur bâton pour se conduire, et s’en frappent les uns les autres à tort et à travers. Je ne sais d'où viendra la lumière qui y mettra fin, mais le chaos ne peut pas durer.
Le décret sur les biens du Roi, et des Princes est prêt. On dit qu'on le présentera la semaine prochaine. La propriété est reconnue. L’Etat garde l'administration, et alloue aux propriétaires peut-être un tiers, peut-être la moitié du revers, les dettes. payées. Si le Ministère tombe à droite le décret sera présenté en effet, et adopté. S'il tombe à gauche, on fera tout autre, chose, ou l'on ne fera, rien du tout. C'est plus commode et moins compromettant. Avant-hier, après mon départ, il y a eu une longue conversation entre le Roi et le Prince de Joinville. Grand remord, grand attendrissement de celui-ci. Il a beaucoup pleuré. L’intérieur était un peu remis.
La répression de Francfort fera de l’effet partout. C'est le 23 juin allemand. Le Prince Lichnowski et l’archevêque de Paris de ce 23 juin là. Adieu. Je voulais aller ce matin à l'Atheneum. Il pleut à Seaux. Je dîne chez M. Luckhart, Regents Park avec Croker qui est venu passer deux jours à Londres. De quoi donc est mort Lord George Bentinck ? Cela ne rendra-t-il pas plus facile à Peel de rallier le Conservative Party et de s'y rallier. Je ne crois pas du reste que Peel, y soit bien empressé. Adieu. Adieu. A demain, Holland House. J’y serai avant 5 h. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton Vendredi 15 sept 1848
Une heure

Je rentre de ma promenade. Je la placerai tous les jours à cette heure-là, et je serai toujours chez moi à 2 heures. Brouillard général, mais léger et pas froid. Il faisait bon marcher.
Je viens de lire le discours de Thiers, en conscience. Comme toujours spirituel, naturel, utile, long et pas grand. L'appréciation des Débats est juste sans bienveillance. Ce qui me paraît d’une bien petite conduite, c'est de parler solennellement sur toutes ces spéculations insensées, et de se taire absolument dans tout débat qui serait un combat. C’est un évènement que la flotte sarde s'en allant de Venise, et laissant à la flotte autrichienne toute liberté de la bloquer. Venise tombera comme Milan, Toutes les révolutions ont eu fair play l'Italienne comme la française, comme l'allemande. Aucune ne gagnera la partie. Vous avez raison, quel spectacle à décrire pour un grand esprit qui saurait tout voir, et pourrait tout dire. Jamais Dieu n'a donné aux hommes une telle leçon de sagesse en laissant le champ libre à leurs folies.
Un homme que je ne connais pas vient de m’envoyer de Paris un volume de 1184 pages, intitulé. Recueil complet des actes du Gouvernement provisoire (Février, mars, avril et mai 1848). Complet en effet ; les petites comme les grandes sottises. Monument élevé à une Orgie. Ce volume vaut la peine d’être regardé, et gardé. Toutes ces sottises passent comme des ombres, et on les oublie. On ne sait ni s’en délivrer, ni s’en souvenir. Précisément ce qui arrive d’un cauchemar, dans un mauvais rêve.
On travaille à monter un coup pour que le Président de la République soit nommé par l'Assemblée nationale et pour que l'Assemblée nationale actuelle vive quatre ans comme le président qu’elle aura nommé. Si cela est tenté et échoué, l’échec sera décisif. Si la tentative réussit, elle amènera une explosion. On n'acceptera pas ce bail. Voilà, un ancien député conservateur M. Teisserenc qui vient me voir, et part le soir pour Paris. Je vais écrire pour affaires. Adieu. Adieu.
J’espère que vous n'aurez pas oublié d’écrire à M. Reboul. Vous n'oubliez guère, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Vendredi 29 Sept. 1848
10 heures

J’ai eu hier soir des nouvelles de Claremont. Détaillées. Toujours la même disposition. Très sensé, prêt à tout ; mais disant ce que nous disons. Expliquant bien la disposition de Mad. la Duchesse d'Orléans ; indiquant le langage qu’il convient de lui tenir. Du reste, plutôt en veine de confiance et regardant de plus en plus la durée de la baraque de Paris comme impossible. Montebello vous aura probablement donné les mêmes renseignements. Je viens de lire Lamartine et Odilon Barrot sur les deux Chambres. Les Débats ont raison. Les deux meilleurs discours qu’ils aient jamais faits l’un et l'autre. Mais empreints l'un et l'autre d’un vice mortel. Ni l'un ni l'autre ne croit à la durée de la République. L’un veut une assemblée unique, l'autre en voudrait deux pour la faire durer. Et tous les deux se répandent en compliments hyperboliques pour la République qui ne durera pas, et pour la démocratie qui ne sait pas faire ce qu’il faut pour la faire durer. Moins de fois que jamais et plus de flatterie que jamais pour la République et pour la Démocratie. Esprits très superficiels parlant du ton le plus sérieux, et une incurable faiblesse sous les apparences du courage. Toujours le même spectacle ; des médecins atteints de la maladie qu’ils veulent guérir, et ne la voyant pas, ou n’osant pas l'appeler par son nom parce qu'alors ils seraient obligés de la voir est eux-mêmes et de se traiter eux-mêmes comme malades. Encore une fois les évènements seront les seuls médecins de la France.
Brougham va pourtant tenter la cure. Je reçois ce matin de lui une lettre où il me dit : « Je commence [à] faire imprimer. Si mon ouvrage est différé, ceux qui, par amour pour la France, ont élu l'homme le plus stupide que je connaisse et qui ne fait jamais parler de lui que pour se faire moquer de lui Louis Napoléon, sont capables de renverser la République tricolore par la République rouge, et je ne ferais alors que l’éloge funèbre de leur République ! » Il ne s'attendrit pas aussi aisément que vous sur Louis Napoléon.

Une heure
La République badoise n’a pas fait longue vie. J'attends impatiemment des nouvelles de Berlin. Je commence à désespérer un peu moins de l'Allemagne. Il semble qu’un parti de résistance s'y prépare. Je doute que Paris et Londres acceptent le congrès, n'importe où, sur les Affaires d'Italie. Je le voudrais pour réhabiliter les congrès dans le monde républicain. Si le congrès à des questions territoriales à vider, Pétersbourg à Berlin y seront certainement, s’il ne s’occupe que de gouvernement intérieur de l'Italie, Londres et Paris suffisent. Dîtes, je vous prie à Montebello qu’il y a dans mon quartier, Pelham Crescent, Brompton Crescent, Onslow square, Thurloe square, plusieurs maisons à louer. Peut-être quelqu'une lui conviendrait. Je viendrai demain, samedi, dîner avec vous. J'aime mieux cela. C'est plus sûr et plus long. Mon rhume s'en va tout-à-fait. Adieu. Adieu. Je ne fermerai ma lettre qu’après 4 heures.

4 heures un quart
Je ne sais rien de nouveau sinon le billet qui m’arrive de Lady Holland. « Mon cher M. G., ne venez pas dîner dimanche et croyez au chagrin que j'éprouve de devoir vous faire cette prière. Je suis malade et Lord Holland est obligé d'aller visiter quelques parents. » Qu’est-ce que cela veut dire ? Vous avez sans doute reçu quelque chose de pareil. Adieu. Adieu. A demain. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Mardi 17 oct. 1848
8 heures
Mon rhumatisme ne m’a pas tout-à-fait quitte. Cependant, il va mieux assez mieux pour que j'aille à Claremont. Il ne pleut pas, plutôt froid, ce que je préfère. Je me couvrirai bien. Je ne veux pas que le Roi m'attende pour rien, puisque je puis aller. Et vous comment êtes-vous ce matin ? Comment a été la nuit ? J'en veux à Emilie de ne vous avoir pas mieux soignée. Je lui en dirai un mot.
Le Lord Holland est venu me voir hier. Revenu samedi de Paris. Il l’a trouvé très gloumy. Dans les dix jours qu’il y a passés il n'a pas rencontré une seule personne, pas une qui ne maudit tout haut la République et ne prédit sa chute. Lord Ashburton et tous les Anglais qui sont à Paris lui ont dit qu'eux aussi n'en avaient pas rencontré une seule. Il a vu Arago qu’il connait, beaucoup abattu, noir mélancolique au-delà de toute expression. Arago lui a raconté le gouvernement provisoire avec une haine ardente, pour Lamartine, Ledru Rollin, Barrot, etc. Ils se haïssent ardemment les uns les autres et se racontent en conséquence. Arago lui a dit : " Il y aura encore des conflits sanglants dans Paris. J’irai au plus épais et je me ferai tuer. Je ne puis supporter le spectacle de cette misère et de cette dégradation de la France. Comment va M. Guizot ? Parlez-lui de moi, je vous prie. Je désire que vous lui parliez de moi. Je désire qu’il sache que je suis bien malheureux." Je vous répète le propre récit du Lord Holland.
Il a vu aussi Thiers. Uniquement occupé, à ce moment-là, de son discours contre le papier monnaie et de sa haine contre Lamartine dont les derniers succès oratoires l'ont blessé. Il en parlait avec passion à ceux qui l’entouraient, traitant les discours de Lamartine comme des assignats. Il a demandé au Lord Holland de mes nouvelles. Pour Emilie Holland, sa fille, qui n’avait jamais vu Paris, elle l’a trouvé charmant, gai, animé, quoique c'est une jolie, et intelligente personne. Dumon est venu dîner avec moi. Point d'autres nouvelles que les miennes. Pensant comme moi que Thiers accepte c’est-à-dire prend Louis Bonaparte se disant : "S’il réussit, je serai le maître, s’il ne réussit pas, je serai le Monk." Dumon est convaincu que Dufaure et Vivien vont se faire très républicains pour se faire pardonner l'ancienne Monarchie, et qu’ils n'en ont que pour très peu de semaines.
M. Gervais de Caen, que Dufaure vient de nommer préfet de Police à la place de M. Ducoux est un mauvais choix, un homme du National. La Réforme, en attaquant vivement les nouveaux ministres, ménage Cavaignac. J'essaye de remplacer la conversation que rien ne remplace. Adieu. J’attends Jean. J’irai donc dîner avec vous en revenant de Claremont.

10 h. et demie
Voilà Jean qui me dit que vous êtes encore souffrante et dans votre lit. Et je ne vous verrai qu'à 5 heures. Il faut que je sois au railway à midi 1/4. Au moins ce n’est rien de plus que ce que vous aviez hier. Adieu Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park. Mardi 8 août 1848
Onze heures

J’ai cinq minutes. Je vais rejoindre à Norwich le train du chemin de fer qui va à Yarmouth. C’est à Yarmouth que mes enfants prendront quelques bains de mer. Le médecin sort d’ici. Il trouve Pauline pas mal, c’est-à-dire point de vrai mal, mais encore assez ébranlée. Il veut encore deux ou trois jours de repos. Puis quelques bains à Yarmouth, près d’ici, à peine un voyage. Les habitants de Ketteringham viendront nous y voir. A part la raison de santé, je vous dirai mes raisons pour aller à Yarmouth, près d’ici. Vous les trouverez bonnes. Je vous quitte. L’heure du train me presse. Merci de votre longue et bonne lettre qui vient de m’arriver. Je vous écrirai demain à mon aise. Adieu. Adieu. G.

Une heure On m’a fait observer que tout bien calculé, je n’arriverai probablement pas à Norwich à temps pour le train d’Yarmouth. Je n’irai donc que demain matin. Je vais là choisir un logement. Je reviendrai ici, et nous irons à Portsmouth à la fin de la semaine. Toujours pour trop longtemps mais pas pour longtemps. Le médecin n'a point d’inquiétude pour Pauline, mais elle a été [shaked] in her whole frame. Je ne lui ai pas refusé une promenade à cheval par ce qu’il y a beaucoup monté. Soyez tranquille ; je n’y monterai point. Guillaume monte très bien.
Je ne crois plus à l’intervention en Italie. On n'en veut évidemment pas plus à Paris qu'à Londres. L’Autriche cédera sur la Lombardie. On forcera les Italiens de céder sur la Vénétie. Et le Roi Charles Albert battu aura son royaume comme, s'il l’avait conquis. Quoique peu en train de rire, je ne puis m'empêcher de rire de la république ; elle copie, timidement ce qui s’est passé après 1830. La Lombardie sera la contrepartie de la Belgique. On règlera cette question là, comme l'autre, de concert entre Paris et Londres. Mais sans mettre le pied au delà des Alpes. Il faut dire de la République ce qu’on a dit de je ne sais plus qui : " ce qu’elle fait de nouveau n’est pas bon, ce qu’elle fait de bon n'est pas nouveau. "
Je compatis fort au chagrin de l'Empereur sur sa fille Olga. Mais elle a raison. Quelle honte au Roi de Wurtemberg ! Pis que le Roi de Bavière. Je suis humilié de la conduite des Rois comme si j’étais un Roi. J’ai mon Journal des Débats. On est fort en trais de refaire un autre parti conservateur. Et celui-là enterrera un jour la République. Chaque crise révolutionnaire en France fait monter au gouvernement une nouvelle couche de la société, prise plus bas. Et celle-là est à son tour forcée de devenir conservatrice, tant bien que mal. Je ne vois pas comment on s'y prendrait pour descendre plus bas que le suffrage universel. J’ai écrit à Lord Aberdeen. J’aurai demain ou après-demain tout ce qui m'a été envoyé à St Andrews. Ecrivez-moi encore ici, Adieu, Adieu. Quel plaisir quand nous nous retrouverons. Mais que de choses nous nous serions dites que nous ne retrouverons pas ! Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park Vendredi 4 août 1848,

Je n'ai pas de lettre. Je n'en dois pas avoir. Vous ne saurez qu’aujourd’hui que je reste ici deux jours de plus. J'en partirai lundi matin. Il n’y a pas moyen d'aller en un jour d’ici à Edimbourg. J’irai coucher Lundi à York et mardi à Édimbourg. J’y passerai le Mercredi. Je serai jeudi à St Andrews. J’y établirai mes enfants et j'écrirai à Lord Aberdeen pour lui demander quel jour il veut de moi à Haddo. Y viendrez-vous ? Si vous y venez dites-moi les projets pour que j'adapte mes mouvements aux vôtres. Nous pourrions passer là huit jours charmants. Je crains votre crainte de la fatigue. Ce qui est bien triste, c’est que demain encore peut-être, je n'aurai pas de lettres. Ce ne sera pas votre faute. Je ne me plains pas. Mais j’ai bien envie d'avoir une lettre.
Je reçois ce matin des nouvelles de Paris. Bien sombres pour le dedans et pour le dehors. Milan menace de la République, si on ne lui donne pas l’intervention. La République rouge menace Paris, si on ne donne pas à Milan l’intervention. Et si on donne l’intervention, Cavaignac ne pourra se passer pour la soutenir, de mesures qui ne peuvent se passer de l’appui de la république rouge. Bastide veut se retirer. Goudehaux veut se retirer, si en ne lui donne pas des nouveaux impôts. Il veut maintenir les anciens impôts, qui pèsent sur les pauvres comme sur les riches, et il ne le peut qu'en en établissant de nouveaux qui ne pèsent que sur les riches. Les riches se défendent. Les communistes se frottent les mains. M. Proudhon rit au nez de M. Goudehaux et de M. Thiers. Les journalistes relèvent la tête. Girardin épie le moment de prendre sa revanche sur Cavaignac. Sinon une nouvelle crise de guerre civile du moins un nouvel accès de chaos est près d'éclater, si on peut parler d'accès au milieu d’un chaos permanent. Ceux qui gouvernent la république sont très abattus. Leurs héritiers présomptifs sont très abattus. Le fardeau, chaque jour croissant, écrase ceux qui le portent, et épouvante ceux qui le regardent. Juste et universel châtiment qui ne fait que commencer. Je persiste de plus en plus à croire à la fin, et aux abymes du chemin qui mènera à la fin. Je n’ai jamais été moins désespérant et plus triste. On m'écrit : « J'ai vu chez lui M. de Girardin. Il est ferme, contenu, et passionnément irrité. Hier au soir, il est venu me voir : « La presse, m’a-t-il dit, paraîtra mardi. Je lui ai demandé si c'était sur une autorisation. « - Non - je ne sais comment cela se passera ; mais si par hasard il espérait qu’on se battra à son intention, il compterait sans son hôte. Je connais des gens qui, sous votre ministère, trouvaient que les tribunaux mutilaient la presse et que ce serait une occasion de chute. Je les ai entendus regretter qu’on n'eût pas fusillé de suite M. de Girardin. Les lâchetés qu'on entend font horreur. » Les lâchetés retardent les luttes, mais ne les empêchent pas. Tôt ou tard il faut y venir. Du reste je vois que la presse n’a pas paru mardi. On m'écrit encore : « Quelque doux que soit l'état de siège nous ne pouvons en faire une situation normale. Qui soit même si un jour on ne reprochera pas à la Constitution sa création au moment d’une dictature ? Il y a là un péché originel dont aucun baptême ne peut laver la souillure. » Vous voyez qu’on se prépare des arguments. Je suis très frappé des débats de l'Assemblée que mon Journal des débats m’apporte ce matin ; débat sur les journaux, débat sur les finances. L’attaque commence entre Cavaignac et son cabinet. Ils se défendront mal ailleurs que dans la rue, ce qui ramènera pour eux la nécessité de se défendre dans la rue. Toujours le même cercle, bien vicieux. Et que fera Francfort si Paris vient protéger Milan contre Vienne ? Vous ne me le diriez certainement pas si nous étions ensemble. Pourtant nos deux ignorances réunies valent presque une science. Adieu. On m'a mené hier à Norwich voir un Musée, une cathédrale et un château fort, et me faire voir à de vous bourgeois réunis devant la porte du château. Aujourd’hui il tonne et il pleut. Pourtant voilà un peu de soleil. Je me promènerai dans le parc. M. Hallam vient de partir. On attend d’autres voisins. Adieu. Adieu. Je vois presque de ma fenêtre les fils, du télégraphe électrique qui longe le chemin de fer. Quel dommage que nous ne puissions pas nous en servir vingt fois par jour ! Adieu. Je me porte bien. Et vous ? Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park Vendredi 11 Août 1848,
Onze heures

Tallenay n'a pas réussi à se faire laisser l’honneur de la reconnaissance de la République. Gustave de Beaumont est un honnête homme et un gentleman. Plus de mouvement d’esprit que d’esprit, modéré d’intentions et emporté de tempérament. Point Thiers du tout. Opposé à Thiers, autrefois, quand ils étaient ensemble dans l'opposition. Rapproché de lui aujourd’hui par la nécessité, mais au fond méfiant et hostile. Un des plus actifs de la tribu Lafayette dont il a épousé la petite-fille.
On dit à Paris que Tallenay est rappelé pour m’avoir salué et dit bonjour dans la rue, ce qu'il n'a pas fait. Je serais étonné si Gustave de Beaumont, me rencontrant, ne le faisait pas. Puisque la médiation commune a lieu sérieusement, je penche à croire qu’elle réussira, au début du moins. Les embarras et peut-être les impossibilités viendront après. L'Italie ne sera pas réglée. Mais la République y aura gagné d'être reconnue, et l'Angleterre d'avoir engagé la République dans la politique pacifique au moment de la crise.
Je reviens à ce que je vous disais hier, je crois ; le Président Cavaignac sera une seconde édition du Roi Louis-Philippe. Résistance et paix. Avec bien moins de moyens, de se maintenir longtemps sur cette brèche, où il sera bientôt encore plus violemment attaqué. Ce qui est possible, ce qu'au fond de mon cœur je crois très probable, c’est que les trois grosses révolutions de 1848, France, Italie et Allemagne n'aboutissent qu'à trois immenses failures. Pour la France et l'Italie, c’est bien avancé. L'Allemagne trainera plus longtemps, mais pour finir de même. Grande leçon si cela tourne ainsi. Mais le monde n’en sera pas plus facile à gouverner. Excepté chez vous, l'absolutisme est partout aussi usé et aussi impuissant que la révolution. Et il n’y a encore que la société anglaise qui se soit montrée capable d’un juste milieu qui dure. Je suis dans une disposition singulière et pas bien agréable ; chaque jour plus convaincu que la politique que j’ai faite est la seule bonne, la seule qui puisse réussir et doutant chaque jour d'avantage qu’elle puisse réussir. La lettre que je vous renvoie est très sensée. Je vous prie de la garder. Je vous la redemanderai peut-être plus tard. Si c’est là une chimère, c’est une de celles qu'on peut poursuivre sans crainte car en les poursuivant on avance dans le bon chemin.
Savez-vous notre mal à tous ? C’est que nous sommes trop difficiles en fait de destinée. Nous voulons faire, et être trop bien. Nous nous décourageons et nous renonçons dès que tout n’est pas aussi bien que nous le voulons. J’ai relu depuis que je suis ici, la transition de la Reine Anne à la maison d’Hanovre, et le ministère de Walpole. En fait de justice, et de sagesse, et de bonheur, et de succès, les Anglais se sont contentés à bien meilleur marché que nous. Ils ont été moins exigeants, et plus persistants. Nous échouerons tant que nous ne ferons pas comme eux. Je vous envoie avec votre lettre un papier anonyme qui m’arrive ce matin de Paris, par la poste. Les Polonais sont aussi mécontents de la République que le seront demain les Italiens. Je suppose que l’un d’entre eux a voulu me donner le plaisir de voir que je n'étais pas le seul à qui ils disent des injures. La grosse affaire à Paris, c’est évidemment le rapport de la Commission d'enquête. De là naitra, entre les partis, la séparation profonde qui doit engager la lutte définitive qui doit tuer la République. Dumon m'écrit : « Si je trouve Londres trop triste, j'aurais assez envie d'aller attendre à Brighton le jour où nous pourrons rentrer en France, le jour me semble encore assez éloigné. C’est déjà bien assez pour Cavaignac d'avoir à mettre en jugement les fondateurs de la République sans qu’il se donne l’embarras de mettre en même temps hors de cause les ministres de la monarchie. » Tous les procès à vrai dire, n'en font qu’un et il n’est pas commode à juger. On l’ajournera, tant qu’on pourra. Adieu.
J’aurai demain votre lettre à Lowestoft. Je pars à 4 heure. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, Dimanche 13 août 1848
Une heure

Certainement, je suis triste. Je vous ai dit mille fois que, sans vous, j'étais seul. Et la solitude, c’est la tristesse. Je la supporte mais je n’en sors pas. Les Anglais n’y sont pour rien. Dans la belle Italie, je ne serais pas autrement. Peut-être l'Italie me dispenserait-elle d’un rhume de cerveau qui me prend, me quitte et me reprend sans cesse depuis quatre jours. Je me suis déjà interrompu deux fois en vous écrivant pour éternuer trente fois. J’espère que la mer, m'en guérira. La mer n’est pas humide. Décidément, en ceci, je ne suis pas comme vous. J’aime la mer devant moi. Elle ne m’attriste pas. Elle est très belle ici. Et cette petite ville est propre, comme un gentleman. Mes enfants commencent à se baigner demain. Aurez-vous quelqu’un à Tunbridge Wells ? Je ne vous veux pas la solitude, par dessus la tristesse. Il me semble qu’à Richmond lord John, Montebello et quelques visites de Londres ou à Londres sont des ressources que vous n'aurez pas ailleurs. Il est vrai que j’entends dire à tout le monde que Tunbridge est charmant. C’est quelque chose qu’un nouveau lieu charmant, pour quelques jours.
Il me revient de Paris qu'on n’y croit pas plus que vous au succès de la médiation. Ce n'est pas mon instinct. Si la situation actuelle pouvait se prolonger sans solution, je croirais volontiers que la médiation échouera. Elle vient, comme vous dîtes, plus qu'après dîner. Mais je ne me figure pas que l’Autriche se rétablisse purement et simplement en Lombardie et Charles Albert à Turin. Les Italiens conspireront, se soulèveront, la République sera proclamé quelque part. La République française sera forcée d’intervenir. C’est là surtout ce qu’on veut éviter par la médiation. Il faut donc que la médiation aboutisse à quelque chose, que la question paraisse résolue. Elle ne le sera pas. Mais à Paris et à Londres on a besoin de pouvoir dire qu'elle l’est. Pour sortir du mauvais pas où l'on s'est engagé. Tout cela tournera contre la République de Paris mais plus tard. On m'écrit que ces jours derniers le général Bedeau, dans des accès de délire criait sans cesse. "Je n’avais pas d’ordres! Je n'avais pas d’ordres." Vous vous rappelez que c’est lui qui devait protéger et qui n’a pas protégé la Chambre le 22 février.
Je suis bien aise que Pierre d'Aremberg soit allé à Claremont. Tout le travail en ce sens ne peut avoir que de vous effets soit qu'il réussisse ou ne réussisse pas. Quand on était à Paris, en avait assez d'humeur contre Pierre d’Aremberg qu'on ne voyait pas. Je suppose qu'on aura été bien aise de le voir à Claremont. A Claremont on est d’avis que la meilleure solution de la question Italienne, c'est de maintenir l’unité du royaume Lombardo-Vénitien en lui donnant pour roi indépendant un archiduc de Toscane. Idée simple et qui vient à tout le monde. Je la crois peu pratique. Un petit souverain de plus en Italie, et un petit souverain hors d’état de s'affranchir des Autrichiens, et de se défendre des Italiens. Ce serait un entracte, et non un dénouement. Je doute que personne veuille se contenter d’un entracte. Adieu. Adieu.
C’est bien vrai, les blank days sont détestables. Demain sera le mien. Votre lettre de Vendredi m'est arrivée hier, à 10 heures et demie du soir. Je venais de me coucher. Je m'endormais. On a eu l’esprit de me réveiller. Je me suis rendormi mieux. Je viens de recevoir celle d’hier samedi. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, jeudi 17 août 1848
10 heures

Le temps est superbe. Je viens de me promener au bord de la mer. Mais vous manquez au soleil et à la mer bien plus que la mer et le soleil ne me manqueraient si vous étiez là. D’Hausonville m’écrit très triste quoique point découragé : " A l'heure qu’il est, me dit-il, le pouvoir nouveau est, vis-à-vis de la portion saine de l'Assemblée nationale à peu près dans les mêmes dispositions que l’ancienne commission exécutive. Autant que M. de Lamartine, M. Cavaignac redoute l’ancienne gauche, et comme lui il est prêt à s'allier avec les Montagnards, pour ne pas tomber dans les mains de ce qu'il appelle les Royalistes. Ce dictateur improvisé paie de mine plus que de toute autre chose, et a plus le goût que l’aptitude du pouvoir. Vienne une crise financière trop probable ou la guerre moins impossible depuis les revers des Italiens, et la république rouge n’aura pas perdu toutes ses chances. " Il veut écrire sur la politique étrangère passée. Il me dit que c’est à son excitation que son beau frère a écrit dans la revue des Deux Mondes, sur la diplomatie du gouvernement provisoire, l’article dont vous m’avez parlé. " Les documents diplomatiques insérés, dans la Revue rétrospective me serviront dit-il de point de départ pour venger, pièces en mains, cette diplomatie du gouvernement de Juillet, si étrangement défigurée. Je voudrais finir par indiquer quelle doit être dans cette crise terrible, l’attitude de ceux qui ont pensé ce que nous avons pensé, et fait ce que nous avons fait, si vous croyez utile de m'esquisser ce plan, je recevrai vos conseils avec reconnaissance et j’en ferai profiter notre pauvre parti resté, sans chef et sans boussole dans ce temps, si gros et si obscur." Ceci m'explique un peu Barante.
Évidemment l’envie de rentrer en scène vient à mes amis. J'ai aussi des nouvelles de Duchâtel, d’Écosse où il se promène charmé du pays. Je vous supprime l’Écosse. Voici ce qu’il me dit de la France : " Il me semble que, dans le peu qu’elle fait de bon, la République copie platement et gauchement la politique des premières années de la révolution de 1830." Quel spectacle donne la France.
On m’écrit de chez moi que les élections municipales ont été excellentes. Les résultats sont beaucoup meilleurs que de notre temps. Le député actuel de mon arrondissement, qui faisait toujours partie du conseil municipal n'a pas pu être élu cette fois.

Une heure
Votre lettre est venue au moment où j’allais déjeuner. J'espère que celle de demain me dira que votre frisson n’a pas continué. La phrase du National ne me paraît indiquer rien de particulier pour moi. Il insiste seulement sur le danger pour la République d’un débat qui mettra en scène le dernier ministre de la Monarchie qui n’a fait, après tout, que combattre ces mêmes auteurs de la révolution qu'on demande aujourd’hui à la république de condamner. Je comprends que ce débat, leur pèse. S'il y a un peu d’énergie dans le parti modéré, il faudra bien que le National et ses amis le subissent. Mais je doute de l’énergie. Tout le mal vient en France de la pusillanimité des honnêtes gens. S'ils osaient, deux jours seulement, parler et agir comme ils pensent, ils se délivreraient du cauchemar qui les oppresse. Mais ce cauchemar les paralyse, comme dans les mauvais rêves.
La lettre de Hügel est bien sombre, et je crois bien vraie. Je vous la rapporterai avec celle de Bulwer à moins que vous ne le vouliez plutôt. Je vois que Koenigsberg le parti unitaire a pris le dessus. Parti incapable de réussir, mais très capable d'empêcher que la réaction ne réussisse. La folie ne peut rien pour elle-même ; mais elle peut beaucoup contre le bon sens. Pour longtemps du moins. Que dites-vous du Général Cavaignac parcourant les Palais de Paris le Luxembourg, l’Élysée & pour voir comment on en peut faire des casernes et des postes militaires. On voulait nous prendre pour les forts détachés, dont le canon n'atteint pas Paris. Aujourd’hui, on met les forts détachés dans les rues. Ce qui me frappe, c’est que Cavaignac et les siens ont l’air de régler cela comme un régime permanent. C'est de l'avenir qu’ils s’occupent. Ils sont convaincus que, si on ôte au malade sa camisole de force, il jettera son médecin par la fenêtre. Et le gouvernement ne consiste plus pour eux qu’à prendre des mesures pour n'être pas jetés par la fenêtre. Adieu.
J’attendrai la lettre de demain un peu plus impatiemment. Je travaille. Que de choses je voudrais faire ! Adieu. Adieu. G.
J’avais donc bien raison hier de croire que la chance du Roi de Naples en Sicile pourrait bien valoir mieux que celle du Duc de Gènes.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft. Lundi 28 août 1848
Une heure

Mes journaux mont manqué, Hier. Je n'en ai point aujourd'hui. Cela tombe mal. Je suis pressé de savoir ce qui s’est passé Vendredi et Samedi à Paris. Le Times de samedi ne me dit à peu près rien.
Je suis bien aise que les Princes aient fait bien parler d’eux à l'occasion de cette horrible aventure de l'Ocean monarch. Ils ne manqueront jamais à ces occasions-là. Ils ont du courage et de l’humanité. Evidemment la République veut avoir une Affaire avec les Légitimistes. Elle les poursuit et les provoque. Ce serait à eux une bêtise et une duperie impardonnables de s’y laisser prendre. Il faut qu’ils aient leur part dans les souffrances, et les griefs des toute la France, mais point de souffrances à eux particulières, sous leur propre nom. Ce qui les distingue les perd. L'abbé Genoude leur a déjà fait bien du mal. Je ne lis plus sa Gazette de France. Peut-être vaut-il mieux pour le parti qu’elle soit supprimée ?
Je vois que la Reine va en Ecosse, à Aberdeen. Je ne suppose pas qu'elle aille à Haddo. Ce serait plus hardi, envers ses ministres actuels, qu’elle ne se le permet d’ordinaire. Je n’ai pas de lettre de Lord Aberdeen depuis la publication de sa lettre. Il me doit une réponse. Il ne se pressera pas. Je ne suis pas fâché que vous lui ayez dit quelques mots de vérité. Que d'avantages il aurait sur Lord Palmerston s’il le prenait avec lui de plus haut et plus agressivement. Je n’ai pas la plus petite nouvelle. Et plus j'approche de la conversation, moins je me contente de la correspondance. Ce qui fait que je ne vous dirai rien aujourd'hui. Je pars Vendredi à 9 heures et demie Je dois être à Londres vers 5 heures, et à Brompton entre 6 et 7. Adieu. Adieu.
J’espère que je ne vous trouverai pas souffrante. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, mardi 22 août 1848
10 heures

Mon instinct me répète que la publication de ce Rapport de la Commission d'enquête ouvrira le tombeau de la République. Je dis la publication bien plus que le débat, dont je n’attends pas grand chose. La République n'en mourra peut-être pas beaucoup plutôt, mais, la voyant, telle qu'elle est, on la tiendra pour morte par impossibilité de vivre. Et elle mourra infailliblement de cette conviction générale. Les commencements de scènes, de démentis d’assertions aggravantes que je vois dans le Times d’hier confirment mon instinct. Je suis frappé aussi qu’on ait renoncé dans l'Assemblée à porter, comme on l’avait annoncé, M. de Lamartine à la Présidence, en envoyant M. Marrant au Ministère de l'Intérieur. En présence du rapport, on a senti que cette apothéose du Père de la République était impossible. J’attends impatiemment mes journaux français. Je serais étonné si cette semaine ne nous ferait pas faire un pas. Vous avez surement lu le spectateur de Londres de Samedi. Evidemment l’Autriche sortira de la Lombardie, et n'en sortira pas pour Charles-Albert. L’événement me donne plus complètement raison, dans la question Italienne que je ne l’avais espéré. J’ai soutenu que les peuples d'Italie, ne devaient faire que des réformes légales, de concert avec leurs gouvernements, que ni les gouvernements ni les peuples ne devaient songer à des remaniements de territoire ; que le Pape ne devait pas se brouiller avec l’Autriche ; que toute tentative, en dehors de ces limites, échouerait. C'est dommage que ce soit souvent un grand obstacle d'avoir eu raison.
Les nouvelles d’Espagne me plaisent. Les Carlistes de plus en plus nuls, et mon ministre des finances. C'est l'union rétablie dans les Moderados et leur concours assuré à Narvaez. Il n’est pas plus question à Madrid de Bulwer et de la rupture des Rapports avec l'Angleterre, que s'il n’y avait point d'Angleterre. Nous verrons comment lord Palmerston emploiera de ce côté ses vacances.

Une heure
Très intéressante lettre. Vous ne savez pas combien j’aime votre langage si naturel, si bref, si topique. Je m'inquiète peu de votre inquiétude sur ma lettre du 16. Je veux bien que vous me montriez, mais il me convient que vous me montriez tel que je suis, pensant librement et parlant comme je pense. Sans compter que, pour plaire beaucoup, il est bon de ne pas plaire toujours, et surtout de ne jamais chercher à plaire. II y a deux choses indispensables pour être pris au sérieux par les Rois, en leur agréant, beaucoup de respect et à peu près autant d'indépendance. Je vous écrirai demain ce que vous désirez. Demain seulement parce qu'il faut que, cette fois aussi, vous envoyez la lettre même. Elle vous arrivera jeudi matin. Je vous renverrai aussi demain la lettre de Paris. Je veux la relire, et je suis écrasé ce matin de correspondance. Plus une visite aux écoles de Lowestoft qu’on me fait faire à 2 heures.
Je crains beaucoup toute démonstration légitimiste. Non seulement elle échouerait ; mais elle gâterait l'avenir en compromettant, contre toute combinaison en ce sens, beaucoup de modérés. Le nom est peut-être dans ceci, ce qu’il y a de plus embarrassant. Il ne faut pas le prononcer. Que la réserve du langage soit en accord avec l'immobilité de l’attitude. N'oubliez jamais que les péchés originels du parti légitimiste sont d'être présomptueux et frivole, gouverné par les femmes et les jeunes gens. L'émigration. Voici les nouvelles que je reçois ce matin: « J'ai vu les Montesquiou qui reviennent d'Allemagne. Ce qu’ils disent est, à tout prendre, satisfaisant quant à la santé et au bonheur domestique. La résidence est très convenable et confortable, au milieu d’une jolie ville. Mais point de jardin. Seulement une terrasse au haut de la maison, où l'on prend le thé dans les belles soirées. Les environs et les promenades charmants. Beaucoup d'affection et de respect témoigné par tout le monde. Une existence paisible retirée et raisonnable. Mais les regrets de France bien vifs. Ils déjeunent à 11 heures, dinent à 4, le thé à 8, la conversation jusqu'à 10 : " Parlons de la France. " Elle se promène beaucoup et écrit beaucoup. Elle a reçu dernièrement beaucoup de visiteurs. La Maréchale de Lobau y est à présent, et les enfants de M. Reynier. Correspondance quotidienne avec Bruxelles." Ce ne sont que des détails sentimentaux. Vous voyez par votre lettre de Paris, que Pierre d’Aremberg se vantait, et qu'on est bien loin d'avoir pris là l'initiative. Je suis bien aise que vous ayez rencontré M. de Beaumont. Sa conversation avec vous est ce que j'aurais attendu. Et votre jugement de lui excellent. Je n'irai point au-devant de lui ; mais s'il vient au devant de moi, j'accepterai sa main. Il est du nombre des hommes envers qui je deviens chaque jour, au dedans plus sévère, au dehors plus tolérant. [...]

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, Mardi 29 août 1848

Il se peut que le résultat pratique de la séance de l'Assemblée soit bon. Mais l'effet est pitoyable. Mon impression est que de la part de tout le monde, c’est une comédie, et que gouvernement, commission, opposition, insurrection, modérés, rouges, tous se sont entendus ou mutuellement tolérés, pour se tirer tous ensemble d'embarras. Voici les trois faits qui me frappent. L’intervention soudaine et évidemment concertée du Gouvernement pour couper court au débat politique, en y substituant une poursuite judiciaire. Le silence absolu de la commission, et de tout le parti modéré dans le débat politique. La poursuite judiciaire elle-même réduite à rien par le vote qui met Caussidière hors de cause pour le 23 Juin. Personne n’a voulu d’un vrai combat. Les modérés ménagent Cavaignac. Cavaignac ménage les Républicains. Les Républicains se ménagent eux-mêmes. Ce n’est pas grand. Il n’y a que deux grandes choses en politique, le bon gouvernement ou la passion forte. Ni l'une, ni l’autre n'est là.
Le voyage de Montalivet me frappe beaucoup. Il est évidemment venu pour dire à Claremont ce que vous me dites des progrès de la fusion. Je suis curieux de ma première conversation avec le Roi. Si le mal dure et s’aggrave, si les légitimistes ne se perdent pas par une explosion prématurée, cette solution qui n'a d’autre défaut que d'être chimérique, pourrait bien devenir la suite possible et arriver un jour naturellement, comme une chance unique et nécessaire. Je ne me lasse pas d’y penser. Votre bulletin est très intéressant, et je vais l'envoyer à Lord Aberdeen. J’ai eu des ses nouvelles hier au soir. Infiniment amical. Pas un mot de sa lettre dans le Times.
Assez préoccupé des couches de Madame la duchesse de Montpensier et du débat qu'elles ramèneront à la prochaine session du Parlement. Je reviens à Paris. Je parie que Louis Blanc et Caussidière ne seront pas arrêtés et qu’il y aura, à la promulgation de la Constitution, une amnistie où ils seront compris, comme moi. Le débat, sur la constitution commence après-demain. C'est l'affaire de quelques semaines. On m'écrit de Paris que l’ordonnance de non lieu pour notre procès est rédigée et remise au gouvernement qui la garde. J’ai toujours cru et je crois de plus en plus à la conclusion par l’amnistie générale.
Les bravades Italiennes recommencent. Ils n'en seront pas plus braves si on en revient à la guerre. Mais ce sont des embarras de plus pour la médiation. J'admets les hypothèses les plus favorables, l’ordre rétabli en France, en Italie, en Allemagne, la banqueroute (je veux dire the failure) de toutes les révolutions ; il n'en restera, pas moins de tout ceci, un grand mouvement en Europe, et de grandes difficultés, de plus pour les gouvernements.
Que de choses à nous dire en attendant ! Et après ! J’aime mieux aller dîner avec vous samedi. Nous aurons plus de temps. J’arriverai à 2 heures si les heures du chemin de fer ne sont pas changées. Cela vous convient-il ? Il y a un temps d’arrêt et une attitude générale d’hésitation en Allemagne. Je rabâche. Les hommes sont toujours assez fous pour commencer toutes les folies. Plus assez pour les pousser jusqu'au bout. Je n’en entrevois pas mieux la solution de la question allemande. On n'ira pas où l’on dit. On ne reviendra pas où l'on était. Cet avenir-là est plus obscur que menaçant. Adieu. Adieu.
Demain je dirai après-demain pour partir. Après-demain je dirai après demain pour tout de bon. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft samedi 26 août 1848
4 heures

Je suis de l'avis de Montebello. Je crois que le gouvernement Cavaignac choisira pour le rouge s'il est absolument forcé de choisir. Et le jour viendra où il y sera forcé. Mais de part et d’autre on s'efforcera de reculer ce jour. Personne n'a assez d'envie de gagner la bataille pour l’engager volontairement. Je ne m'accoutume pas à la pusillanimité des honnêtes gens. Ce n’est pas faute d'expérience. Certainement je n'ai pas cru aux révolutions de Pétersbourg. Et je crois que si l'Empereur aime mieux la république que la Monarchie constitutionnelle, c’est qu’il la croit moins contagieuse. Il penserait autrement s’il était le voisin des Etats-Unis. Et s’il avait raison dans la préférence que vous dites, et que vous êtes tentée de partager Cavaignac et Marrast auraient raison. Car renoncez à Louis XIV. On refait encore bien moins Louis XIV que Napoléon. Si nous n'avions d'autre alternative que Louis XIV ou la confusion permanente, je me ferais moine. Il me faut de l'avenir, dans ce monde et dans l'autre.

Dimanche 27
8 heures

J’ai eu hier au soir quelques mots de Paris qui me prouvent qu’on y est de nouveau et sérieusement inquiet. Inquiet d’une nouvelle bataille dans les rues. La république rouge ne veut pas accepter sans mot dire la politique qui accepte la déroute Italienne, ni l'ordre du jour motivé, quel qu’il soit, qui terminera le débat de l’enquête. Elle veut protester et sa protestation, c'est l’insurrection. Cavaignac la battra, nul doute et la victoire l'affermira pour aujourd’hui, mais l’usera pour demain. Le voilà engagé dans le défilé où la Monarchie de Juillet a péri, entre deux feux et deux feux bien plus étendus, bien plus ardents qu’ils n'étaient contre elle. Et il n’a pas comme elle, de qui se défendre longtemps. La Monarchie de Juillet s’est défendu avec deux armes ; par la prospérité du pays, par l'opinion, généralement accréditée, qu’elle était réellement la fin des révolutions. La république n’a ni l’une ni l'autre. Je persiste dans mon avis. Ce sera plus long que ne croient les badauds et moins long que les gens d’esprit, comme vous et moi, ne sont quelques fois tentés de craindre. Je vous envoie les impressions qui m’arrivent de Paris et mes raisonnements sur les impressions en attendant samedi.
Tempête hier, mauvais temps aujourd’hui. Je vais faire ma toilette pour aller au sermon. Je suis correct ici. Je vais au sermon tous les dimanches. Une heure Je suis désolé que vous ayez eu deux mauvaises heures. Ce n'est pas ma faute. Il est impossible d'être, en fait d’exactitude, plus minutieusement soigneux que je ne suis. Comment ne le serais-je pas ? J'ai tant besoin de votre exactitude à vous ? Elle est parfaite aussi. Je trouve que nous ne nous remercions pas assez de nos vertus mutuelles. Nous souffririons tant de nos défauts ! Enfin samedi prochain, nous n'aurons, ni à nous remercier, ni à nous plaindre.
C'est le lundi qui est mon blank day à moi. On distribue ici les lettres le dimanche. La lettre de Sabine est drôle et aimable. Je commence à être assez frappé de ces rumeurs sur Henri V. Non pas que je croie à aucun résultat prochain. Si l'explosion est prochaine. Henri V y périra, comme Louis Bonaparte a péri. Le produire aujourd’hui, c’est le détruire. Mais si on continue à parler de lui sans le lancer dans l’arène, s’il apparait de plus en plus, mais dans le lointain, il prendra du corps et grandira. Et la fusion, aujourd’hui chimérique pourrait bien devenir possible. Elle sera possible le jour où tout ce qu’il y a de monarchique en France verra là, la seule chance de salut. Ce jour-là, tout le monde se réunira pour imposer la fusion à qui de droit et de bonne ou de mauvaise humeur, on l'acceptera sans grande résistance. On y verra aussi son salut.
Avez-vous écrit dernièrement au voyageur pour la fusion ? Je pense très bien de Montebello et je suis bien aise que vous en pensiez très bien, le connaissant comme vous le connaissez à présent. Faites-lui je vous prie, mes amitiés savez-vous pourquoi Morny est revenu à Londres ? Savez-vous aussi, ou pourriez-vous savoir, si Lord Palmerston connait un M. Rothery, dont vous m’avez peut-être entendu parler, et avec qui M. Dumon est très lié ? C’est un proctor que le foreign office a quelques fois employé, du temps de Lord Aberdeen. Il vient de m’écrire qu’il partait subitement pour Madrid, m’offrant de se charger de mes commissions pour Paris. Il me dit : you will doubtless be surprised et my suddon determination to start for so turbulous a country as Spain, et ne me dit pas du tout pourquoi. Je serais curieux de savoir si c’est Lord Palmerston qui l'envoie. Il fait faire assez souvent sa diplomatie incorrecte par des voyageurs, et celui-ci est intelligent. Vous avez vu que M. d’Haussonville m’avait demandé un programme de ce qu’il devait dire, voulant écrire sur notre politique extérieure. Voici ce que je lui ai répondu. Gardez-moi cette copie que j'ai gardée pour moi. Je crois qu'il est maintenant possible et utile de dire en France ces choses-là. Ne faites usage de ceci que pour vous, à cause de M. d’Haussonville. Adieu. Adieu.
Je suis bien aise que vous n’ayez pas eu besoin de m'envoyer votre homme pour savoir si j'étais vivant. Mais s’il était venu, je l’aurais embrassé. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, Vendredi 25 août 1848

Dans huit jours, je serai en route pour Brompton. Gardez vos doigts. Je serais bien fâché de ne pas les retrouver. Voici ma journée d’hier à Yarmouth. En arrivant deux heures trois quarts à l'Eglise, service, et sermon du matin. Puis deux heures dans le hall de l’hôtel de ville ; luncheon toasts et speeches terminés par un toast pour moi et un speech de moi. Grandissime succès. Mérité. J'ai dit pourquoi j'étais venu à Yarmouth ayant refusé d'aller ailleurs. Pour finir une heure trois quarts à l’Eglise, service et sermon du soir.Très beau sermon de l’évêque d'Oxford. Lord Aberdeen a raison de l'appeler un grand prédicateur. Je suis revenu à Lowestoft par un orage effroyable, pluie, éclairs, tonnerre grêle. Je me porte très bien ce matin. Il fait très beau.
Je tiens qu’Aberdeen a choisi son moment pour la publication de sa lettre dans la Revue rétrospective et dans le Times, et j’en souris, mais je ne lui en veux pas. Je suis fort accoutumé, à ce que les hommes, même les meilleurs, même mes meilleurs amis s’inquiètent peu de me découvrir pour se couvrir et soient plus prudents pour leur compte que braves pour le mien. Dans cette occasion-ci d'ailleurs, je vous le répète cela m'importe peu, car cela ne me nuit point en France et guères ici. Le bien que l’article du Times, fait à Lord Aberdeen me convient plus que ne me contrarie mon petit déplaisir en le lisant.
Hier en lisant les Débats, je valais mieux que vous. J’ai pris plaisir aux explications du gouvernement Cavaignac sur l'Italie. Ma première impression est de me réjouir quand je rencontre un peu de bon goût et de dignité & dans le gouvernement de mon pays. Soyez tranquille ; il n’y en a pas assez pour les faire vivre. Je ne connais pas le Général Le Flô. Je ne me rappelais pas même son nom. Voici le secret des dispositions de l'Europe envers la République, chez vous comme ici. On ne se soucie pas qu’elle ait un accès de folie guerrière dût-elle en mourir. Ce serait un grand tracas, et quelque danger. On ne craint pas son influence en Europe tant qu’elle ne sera folle que chez elle. Elle penche assez dans ce sens, et on l’amadoue pour l'y maintenir. Cela lui donnera peut-être quelques jours de plus, et dans ces jours, quelques bons moments. Pas davantage je crois. Je crois que si Lord Palmerston pouvait être sûr que la République en vivant, restera ce qu'elle est, cela lui conviendrait assez. Il ne craindrait plus la rivalité de la France. Heureusement il ne dépend pas de lui d’arranger ainsi les choses. Je vous ai envoyé tout ce que j'ai de Paris.
Nous allons causer indéfiniment, n'est-ce pas ? J’ai découvert que je pouvais aller à Richmond plus vite, par Putney. L'omnibus de Londres à Putney passe devant ma porte, et à Putney je prendrai le chemin de fer. Je gagnerai certainement trois-quarts d'heure sur la route. Adieu. Adieu.
Je voudrais croire au mieux d'Aggy. Je suis aussi enclin à l'inquiétude dans la vie privée qu'à l’espérance dans la vie publique. J'ai devancé vos prescriptions quant aux promenades même sur la côte. On m’avait proposé une partie sur un beau life-boat qu'on lance aujourd’hui. J’ai refusé. Adieu. Adieu.
De demain en huit. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Dimanche 4 Novembre 1849
La situation s'est beaucoup modifiée. Le temps a été à l’avantage du président. La majorité est matée. C'est clair. Tout le monde dit aujourd’hui qu'on va à l’empire et que c’est inévitable dans peu de semaines. Broglie, (qui est enfin venu hier) m'a dit qu’on avait proposé au Prince la prolongation de la présidence, une bonne liste civile, que c'eut été difficile à faire, mais enfin que la majorité l’aurait entrepris. Il a refusé, cela ne lui suffit pas. Il lui faut l’empire. Comment cela se fera-t-il, Broglie ne sait pas. Sans doute on aura sous la main un certain nombre de représentants dévoués qui ratifieront le [?] de l’armée, si l'armée le pousse. Après cela, est- ce que la majorité de l’Assemblée qui déteste la République irait se battre pour elle ? C’est stupide d'y penser. Elle joue là un pauvre rôle. On fera sans elle, malgré elle, & il faudra. qu’elle se dise contente, ou au moins qu’elle se soumette. Après tout, le président aura habilement manœuvré. Mais au dire de Broglie, & d’autres, tout ceci pourrait bien être accompagné de gros mouvements dans la rue. Les rouges n’accepteront pas sans essayer autre chose. Les légitimistes pensent s'en mêler aussi. Enfin le bruit est probable. Dans cet état de choses à peu près inévitable, on me dit que vos amis poussent, qu’il vaudrait mieux que vous ne vinssiez pas tomber tout juste au milieu de la bagarre. Qu'il vaut mieux attendre la chose faite, sur tout comme cela ne peut par tarder. Je suis de cet avis aussi. Pour mon compte, selon que je serai avertie, je partirais ou j’irai passer ma journée chez Kisselef, si cela est fort menaçant le chemin de fer est le plus sûr. Mais pour vous songez à ce que je vous dis. Je crois qu’il vaut mieux s'abstenir. Ah, comme Broglie est noir et d'une amer ironie. Il déborde, il n’en peut plus. Au plus fort de sa harangue, Normanby est entré. Vous convenez quel éteignoir. Il venait de l'installation de la magistrature très frappé du spectacle. Le discours du président a été trouvé très bon, & suffisamment impérialiste. Kisselef a dîné avec moi. Il a eu deux courriers. L’un portant des paroles excellentes, sachant gré à la France de s’être conduit très différemment de l'Angleterre, car celle-ci avait eu une dépêche après l’audience de Fuat & Lamoricière point. L’autre un grand étonnement du départ de la flotte, accompagné de paroles. peu agréables. Si Kisseleff avait pu s’acquitter plutôt du premier message, & si on avait d’ici tout de suite rappelé la flotte désormais sans objet, il supprimait le second message. Mais aujourd’hui c’est trop tard. Point de Ministres, personne à qui parler, Molé & Thiers sans action directe pour le moment :et aujourd’hui Kisselef va faire sa petite déclaration à M. Hautpoul. Celui ci au reste est excellent pour nous. Sachez que tout le monde est russe ici. Et très peu anglais. La diplomatie toute entière, regarde l’Empire comme fait. Voilà. Quelle curieuse affaire. Adieu. Adieu. On ne parle on ne rêve qu’empire. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris, Dimanche 6 Juillet 1851
9 heures

J’ai vu hier au soir M. de Corcelles et M. de Rémusat. Le rapport de M. de Tocqueville est prêt et sera le demain à la Commission où il n'excitera point de vif débat. Il n'a rien d’irrévocablement républicain. Le droit divin de la république y est fortement nié et combattu. L’idée d’un vote qui limiterait les pouvoirs de l'Assemblée constituante, et la contraindrait de se renfermer dans le cercle des institutions républicaines, y est également repoussée. La nécessité actuelle de la République et de l'expérience républicaine légalement prolongée voilà le thème. On croit que le Rapport sera lu Mercredi à l’assemblée. Berryer, qui est encore à Londres, ne l’entendra probablement pas lire demain, dans la commission M. de Rémusat croit que la discussion pourra se compliquer et embarrasser assez les ministres. Il y a des gens qui la dirigeront surtout contre eux. On leur demandera ce qu'ils comptent faire tant que la Constitution ne sera pas révisée, si le président se portera candidat, s'ils donneront aux administrateurs ordre d’appuyer sa candidature s’ils feront exécuter envers et contre tous la loi du 31 mai & on tendra devant leurs pas tous les pièges de la légalité.
J’ai retrouvé, dans la conversation de M. de Rémusat, tout cet esprit d'opposition quand même que j'ai tant vu à l’œuvre. Cela pouvait aller sous l'ancien régime, quand l'opposition n'était qu'une causerie de salon, très longtemps vaine. Cela va en Angleterre où le Gouvernement est assez fort pour supporter tout ce que l'opposition peut dire. Ici et aujourd’hui. C'est autre chose ; le gouvernement n’est pas en état de vivre devant une opposition qui ne s’inquiète pas de le tuer.
La poste vient d’arriver, et ne m’a rien apporté de Cologne.

Onze heures
Je vous reviens après ma toilette. J'espère que le beau temps vous revient aussi, comme à nous. Vous n'aurez eu la pluie que pour abattre la poussière devant vos pas. C’est charmant.
Savez-vous que sans les sergents de ville que M. Cartier avait eu la précaution d'envoyer à Châtellerault, le Président y aurait personnellement reçu quelque grosse insulte ?
J’ai vu hier Mad. Mollien qui part aujourd’hui pour Claremont. J’y ai trouvé la maréchale Lobau toujours très bonne femme et ouvertement fusionniste, et en dépit de sa Princesse qui le lui pardonne, mais qui la laisse volontiers à Paris. Mad. Paul de Ségur a accompagné Mad la Duchesse d'Orléans à Portobello, et y restera auprès d'elle tout le temps du voyage. M. le duc de Nemours a donné rendez-vous à sa femme à Leipzig et ne va la prendre que là. Il ramène en Allemagne la Princesse Clémentine qui manquera seule (avec le duc de Montpensier) à la réunion de famille du 26 Août. Le Duc de Levis, qui est venu me voir hier ne m'a laissé aucun doute sur l'intention, pleine de regret, du comte de Chambord de ne pas aller à Londres. Il regrette le profit, mais ne veut à aucun prix, courir le risque.

1 heure
Adieu, adieu. Voilà le Général Changarnier qui entre et l’heure de la poste me presse Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Dimanche le 26 Septembre

M. Fould est venu hier me raconter la découverte de la machine infernale à Marseille. Très préoccupé de cela. On a pris tout le monde. Il croit à des ramifications à Londres. [Brignoles] il est très monté contre les [gouvernements] libres. On le fera sentir. Sentir aux uns, dire à un autre. Mais ceci peut même loin. Il faut voir l'influence que cet événement de Marseille aura sur le reste du voyage, il y a trois semaines encore. Dimanche le 16, il rentre à Paris. Entrée solennelle. Molé est venu hier très frappé de l’événement et triste, Dumon triste aussi. On croyait les fusillés oubliés. Les proportions de ceci étaient affreuses. De centaines de personnes y périssaient. Du reste Molé content de la pensée qu'on va être affranchi en même temps de la République et du suffrage universel ; Fould ne disait hier encore qu’il sera brisé après l’Empire. Celui ci est bien décidé, je ne sais si l'événement de Marseille le rapproche. (Voici votre lettre. Comment vous ne comprenez pas pourquoi la Reine ne fait pas seule. Mais ce serait son argent, elle aime mieux que ce soit celui de Parlement parenthèse) Vous voyez que c’est Hardinge qui commande l’armée. Choix très convenable. On s'occupe beaucoup à Londres de l’idée d'une descente. Le duc de [Wellington] la croyait très possible. et le Times peut la rendre vraisemblable autant que le complot de Marseille. Quoi ? Si l'on demandait à l'Angleterre l’éloignement des exilés ? It will end by war, voilà ce que répète Ellice depuis 4 ans 1/2.
J'ai montré à M. Fould ce que vous m'avez dit du discours du Prince à Lyon, cela lui a fait plaisir, mais quant à la remarque sur ce que le [gouvernement] de [Lord Palmerston] a rendu des respects à la mémoire de Napoléon, il dit qu'il courait après la popularité et que l’ayant reconnu là, la statue et les cendres ensuite ont eu cela pour à l'Angleterre l’éloignement des exilés ? It will end by war, voilà ce que répète Ellice depuis 4 ans 1/2. J'ai montré à M. Fould ce que vous m'avez dit du discours du Prince à Lyon, cela lui a fait plaisir, mais quant à la remarque sur ce que le [gouvernement] de [Lord Palmerston] a rendu des respects à la mémoire de Napoléon, il dit qu'il courait après la popularité et que l’ayant reconnu là, la statue et les cendres ensuite ont eu cela pour mobile. Il n'y a rien à répliquer c’est vrai quant à la légitimité elle n’y avait rien à faire. Pardon du petit bout de papier, je suis avare. Adieu. Adieu.

Auteur : Royer-Collard, Hippolyte (1802-1850)
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Maintenant que votre voix vient de se faire entendre jusqu'au milieu de nous, et que vous nous avez parlé, non plus comme la première fois en philosophe et en publiciste, mais en citoyen actif, peut à venir combattre comme nous et avec nous, avec l'éloquence de votre parole et l'autorité de vos conseils pour la cause de la civilisation attaquée de toute part [...] Nous avons été heureux d'y retrouver cette élévation de vues, ce beau langage, qui nous semblaient perdus en France depuis plus d'un an. La netteté de votre position et votre courageuse franchise, ressortent avec éclat, à côté des ambages de M. Duchatel, de ses hésitations, de ses déclarations à double sens, & j'ajouterai, de son style inqualifiable. Si vous deviez rester à Londres, et du haut de votre exil volontaire, juger publiquement l'état présent de notre pays, lui expliquer les causes et les résultats de cette situation & enseigner au monde les moyens d'arriver à la solution d'un problème qui semble insoluble, je ne trouverai jamais assez d'approbation, assez d'éloges, assez d'admiration, pour ce noble rôle que vous vous feriez au milieu de cette tristesse des temps. [...]
Je crois, peut-être je me trompe, mais enfin je crois fermement que l'état de la France n'est pas précisément celui que vous supposez. Quelqu'un qui n'a pas vécu depuis un an au milieu de nous, et qui n'a pas vu de près et par lui-même ce qui s'est passé, ne saurait imaginer que le prodigieux changement se sont accomplis en si peu de temps dans ses esprits. Tout ce que vous dites de l'aversion générale pour la République et de l'impossibilité de s'établir en France et de prendre au sérieux ce mode de gouvernement a été vrai pendant les premiers mois qui ont suivi la Révolution de février ; mais il n'en est plsu de même aujourd'hui. Je n'ai, en ce qui me concerne, aucun goût pour la République mais en m'arrêtant avec une impartialité à l'observation sérieuse des faits, je me permettrai de dire que l'immense majorité de la France, (c'est Paris que j'appelle la France, parce que Paris est tout ; le reste se soumet) ne voudrait maintenant accepter aucune autre forme de gouvernement que la République. La Monarchie, il faut le reconnaître, est tombée dans le mépris ; quelle sécurité peut inspirer un gouvernement qui s'écroule devant un banquet qu'on ne peut pas même s'exécuter, qui ne peut compter ni sur la population, ni sur la Garde Nationale dont l'existence est peut-être incompatible avec la sienne, ni sur l'armée qui est travaillée par les fausses doctrines, qui vit nécessairement avec le peuple, & qui, chaque jour, devient de plus en plus, sinon ennemie du moins incertaine et hésitante ? 
Ce n'est point la République qu'on ne redoute maintenant, c'est les Républicains, c'est à dire les faubourgs et une centaine d'hommes.
[...]

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris, Mardi 8 Juillet 1851

M. Vitet et M. Moulin sont venus hier à 5 heures. L’un quittait le Gal Changarnier ; l'autre sortait de le Commission de révision où le Rapport de M. de Tocqueville venait d'être lu. Rapport pas trop républicain. La république est encore le seul gouvernement possible ; il faut en prolonger l’expérience, mais ne pas prétendre y lier définitivement le pays. Il est le maître de choisir le gouvernement qui lui convient, et l'assemblée constituante sera la maîtresse d’exprimer comme elle l’entendra, le vœu du pays. On ne peut limiter, ni la souveraineté nationale, ni le pouvoir constituant. En attendant, il faut observer strictement la légalité, seul frein qui subsiste encore, et la faire observer, à tous ceux qui voudraient la violer.
Le ton du Rapport est triste, très triste, connu d’un homme sans confiance dans les gouvernements qu’il préfère et dans le pays qu’il invoque. Les Montagnards s’en sont montrés surpris, et mécontents. Le Gal Cavaignac a dit à M. de Tocqueville : " C'est le moins de mal que vous ayez pu dire de nous. " selon M. Charras, c’est de la métaphysique bien vague ; il faut du temps pour la comprendre. "
Ils ont demandé, l'impression immédiate du Rapport pour eux seuls et du temps. Ils le discuteront aujourd’hui et demain. On croit qu'il ne sera déposé que jeudi, et que le débat ne commencera que le jeudi suivant 17. Après la séance de la Commission les révisionnistes se sont réunis chez le duc de Broglie pour arrêter la liste des orateurs qui doivent parler et s'inscrire pour la révision. M. de Montalembert très ardent, poussant tout le monde à parler ; ce qu’il faudrait, dit-il, ce serait que les 233 membres, qui ont signé pour demander la révision, s’inscrivissent pour la soutenir. Il s'est plaint du rigorisme excessif du rapport quant à la légalité. " Il n'y a pas moyen de nous plaindre, lui a dit le duc de Broglie, ni de parler autrement ; nous pouvons subir l’illégalité ; nous ne pouvons pas l'autoriser et l'accepter d'avance. "
On a dressé la liste des Orateurs ; une douzaine environ, MM de Montalembert, Broglie, Daru, Beugnot, Goulard, O. Barrot, Berryer, Falloux, Kerdrel & &. O. Barrot prêchant avec passion, la prudence, la modération " On sera très violent contre le Président ; il faut être très doux, jeter de l’eau froide. " Il fait sur tout le monde l'effet d’une ambition impatiente et sénile, qui veut arriver, qui se croit près d’arriver, et qui meurt de peur qu’on ne la dérange, ou qu’on ne lui impose des efforts qu'elle ne pourrait pas faire. On ne sait pas encore si beaucoup de Montagnards parleront, et lesquels. On s’attend à un débat long, violent, confus et plein d’incidents.
Changarnier est triste et inquiet. Il y a évidemment recrudescence de mouvement Bonapartiste et de timidité parmi les anti bonapartistes. L’intérêt électoral gouvernera tout le monde. Dans les masses, Changarnier est un candidat inconnu. Pour lui donner quelques chances, il faudrait écarter d'avance, et absolument au nom de la légalité, les trois candidats connus Le Napoléon, le Prince de Joinville & Ledru Rollin, Est-ce faisable ? En allant à Beauvais, le Président a été harangué à Clermont-Oise, par le Président du tribunal qui lui a dit : " Vous avez été élu il y a trois ans ; vous serez réélu l'an prochain, quoiqu'on fasse, et quoi qu'on dise. " Cette boutade inconstitutionnelle de la part d'un magistrat, a fait quelque rumeur. Le Président n’a rien répondu. Thiers ne songe qu'au libre échange. Michel Chevalier voyage pour recueillir des faits contre son discours. Thiers en recueille pour le défendre. Duvergier de Hauranne revient de Claremont, et se loue de l'accueil qu’il y a reçu. Je n'ai encore point de nouvelles, des autres voyageurs. Il en viendra probablement aujourd’hui. Je pars toujours samedi. J’ai été un peu incommodé hier ; ce n'est rien. Les Hatzfeldt m’ont engagé à dîner pour Jeudi. Je n'irai pas. Je mettrai quelques cartes p.p.c. Adieu.
J’ai bien peur de ne pas avoir ce matin une lettre d'Ems. L'Allemagne ne me ressemble pas ; elle ne prend ni la ligne droite, ni le chemin le plus court. Adieu, Adieu.G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 24 septembre 1850

Beaucoup de monde hier toute la journée. Le matin, les Holland, Richelieu, le Prince Paul, Mad. Rothschild, la princesse Sophie W. Le soir Lady Allice, Dunon. M. A. Fould très agréable. On ne parle que de la circulaire déplorable. Le parti est consterné. Une vraie banqueroute. Tout le monde s’étonne de la faute énorme, incroyable. Ce matin Rothschild disant : Voilà la république pour longtemps, pour toujours peut-être. M. Fould trouvant avec raison, que rien ne pouvait être plus favorable aux intérêts du Président. Il a beaucoup causé hier avec Dumon, un homme d’esprit. Tenez pour certain que ceci est une grande affaire qui ruine le parti légitimiste. Sont-ils bêtes aussi ! La duchesse d’Orléans va être bien contente. Mais elle se trompe, il n'y a rien pour elle-là.
J'ai reçu deux tristes lettres de mon fils Alexandre. Il est bien malade. La fièvre tous les jours, la tête rasée, on l’envoie à Naples, & il ne peut pas même habiter sa maison qu'on refait. On lui promet que deux mois de régime là le remettront entièrement. Dans ce cas, il vient ici. Si non il va au Caire. Je suis très affligé de cela & très inquiète. Aujourd’hui manoeuvre à Versailles. Le Président déjeunera chez Normanby. Il traitera les sous-officiers. Pendant 6 semaines, les manoeuvres se renouvellent une fois toutes les semaines. Je verrai le duc de Noailles aujourd’hui. Demain il va à Champlatreux, à son retour sans doute il s’arrêtera au moins une demi-journée à Paris. Voilà tout ce que je sais. Rothschild part ce soir pour Turin. Adieu, je verrai surement assez de monde aujourd’hui. Lady Allice repart pour Londres ce soir. Adieu Adieu

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 7 Novembre 1849

C’est cela. Attendre un peu. Si cela ne se fait pas tout de suite ; vous venez. Sainte-Aulaire & le duc de Noailles ont dîné chez moi hier . Tous d'eux d’avis que vous veniez. Etonnés, que vos amis vous donnent un avis contraire ; cependant je dis ainsi attendez un peu. L’empire stationne. Il n’avance que lentement. Il faut s’assurer de bien des choses avant de le tenter. A la salle des conférences on ne s’entretient que de cela les rouges disent qu’ils reste ront armés de la Constitution et monteront sur les barricades pour la défendre. Les légitimistes préfèrent l'Em pire à la présidence décénale. Ils croient que l'Empire n'aura aucune durée. Ce que vous me dites aujourd’hui sur la situation et la conduite quoique sans conclusion est plein de raison et d'esprit. J’ai passé hier soir un moment chez Mad. de Rothschild qui part ce matin pour la Silèsie. J'y ai rencontré le gouvernement Changarnier. J'ai demandé à faire la connaissance. Je puis bien faire des avances à l'homme qui me fait dormir tranquille. Son extérieur est doux et peut être fin. Tout le monde. l'adore & l’accuse. Longue entrevue hier matin avec Kisselef 1 heure 1/2 entière confiance. Nous faisons une distinction marquée entre Paris & Londres, en pleine défiance de Londres. Très bienveillant pour ici. Content de Thiers, & le lui laissant savoir. Nous remarquons que la France s’est laissé un moment dupé par l'Angleterre, qui voyant poindre de l’intimité entre Pétersbourg & Paris a voulu la détruire en mettant en avant la flotte française. Je vous ai dit qu’elle est rappelée, mais ni Kisselef ni moi ne savons encore si c’est d'avoir avec l'Angleterre. J’espère que non. Il est très possible encore que Stratford Canning empêche à Constantinople ce que nous avons réglé à Pétersbourg nous avons explicitement dit à l'Angleterre comme ici que nous ne permettons à personne de se mêler de cette affaire. Je suis fort contente de tout ce que j’ai vu. L’Empereur est exaspéré des exécution en Hongrie. Ceci me revient par Londres. Aberdeen m'écrit que la presse anglaise revient à Palmerston, Morning Chronicle, même le Times. C'est bien dommage. Sainte-Aulaire m’a dit hier que les nouvelles d'Espagne étaient mauvaises. Narvaez succombera La petite reine joue son jeu, contre son mari, contre sa mère, contre son Ministre. Une perfidie sans exemple. Il me semble que je vous ai tout dit, les Normanby en grandes recherches pour moi. Mon quotidien est toujours Montebello. Excellent honneur et fort intelligent. J’ai vu Jaubert, qui est plein de dévouement, de respect pour vous. Et ce bon Thom à Paris pour quelques jours, qui veut que je vous dise son profond souvenir de vos bontés. Mad. de la Redorte me demande ainsi de vos nouvelles & Flavigny beau coup que j’ai rencontré chez Mad. Rothschild hier. Adieu. Adieu. Adieu.
Le duc de Noailles est pressé, pressant pour la fusion. sans elle on périt ; avec elle on est sauvé. Je vous redis. Il est fort éloquent sur ce point. M. de Saint Aignan est revenu de Clarmont porteur d'un blâme sévère du Roi de l’abstention. Il fallait voter pour la proposition. Le chagrin là est extrême. Ils voulaient tous revenir.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 3 Novembre 1849 Samedi

La situation est des plus tendues des plus extraordinaires. J’ai vu hier Berryer, après le dîner. Il se rendait à la réunion du soir où l’on devait décider de la conduite à tenir, il est sombre, il n’est pas désespéré, mais il n’entrevoit pas comment on pourra sortir de ce chaos au milieu de tant de prétentions vivantes. Voilà pour l’ensemble quant au moment actuel Dieu sait ce qu’on aura décidé hier. Les intrigues de la semaine ont été énormes. On se plaint beaucoup de Molé. Un très bon conservateur disait hier. " M. Molé est toujours, en toutes circonstances, avec tout le monde en trahison, on ne peut pas croire à lui un instant. " M. Molé est dans le dépit le plus grand contre le président qui l’a joué. Thiers n’est pas allé hier à la réunion des 10 chez Molé. Il y manquait aussi Berryer & Vatimeuil. Sur les 7, quatre ont voulu qu’on parle, et 3 qu'on se taise à la séance. On avait préparé quelque chose s'il y avait eu lieu. Mais le programme n’y a pas donné lieu. Accueilli avec le plus grand silence. Broglie est d’avis qu’on ne fasse aucune opposition, mais que personne en mette plus les Jeudi chez le président à ses réceptions. Marquer de la froideur & du mécontentement. Avant aucun accord même cela s’est déjà fait ainsi jeudi à la soirée. Il y avait la diplomatie, grand nombre de militaires, point de députés. Hier on a fait entrer de la troupe de plus à Paris. Tout le monde disait hier que dans le petit public, la masse, le message du président avait le plus grand succès. Je sais que hier devait se tenir une réunion des partisans personnels du président, Moskova, Victor Hugo & & qui cherchent à en attirer d’autres parmi les rangs des conservateurs. Le coup d’état est regardé comme infaillible. Les affidés disent : " Nous sommes en marche." Berryer en disait : dans les faubourgs il pourra se trouver 40 m. personnes. criant vive l’empereur. Alors il pourrait s’en trouver 60 m aussi qui crieraient vive la république socialiste. On verra alors. Il y aura lutte certainement. Que faire je parle de moi maintenant certainement à supposer même que l’armée reste très bonne. (Changarnier ne ferait pas comme au 13 juin. Il laisserait faire un peu pour pouvoir réprimer. Réprimer c'est batailler. Vous savez si j’aime les batailles. Tout le monde y compte & reste. On est aguerri ici. Mais moi qui n’ai aucun appui auprès de moi, comment me risquer dans la bagarre. Tout cela est bien triste. Je ne puis pas vous dire tout ce que je vois de monde. Depuis 3 1/2 jusqu'à 9 du soir jamais un moment seule, que l’intervalle très court des dîners. Kisselef vient sans cesse, impossible de causer. Je le ferai dîner avec moi. pour avoir enfin le tête-à tête. Il a reçu un courrier, il a des communications importantes à faire. Il ne sait à qui parler. Il est allé hier chez Hautpoul, pas reçu. Berryer est plein de sens. Au fond sa conversation est celle qui m’a le plus convenu d'entre toutes les autres, vous verrez, car vous le verrez. Il m’a parlé de vous, mais pas autrement que pour me dire que lui dans le temps, avait voté pour qu'on soutint votre élection. La princesse de Joinville est accouchée avant terme d'un enfant mort. Elle a été à la mort elle même. Selon les nouvelles d'hier elle allait mieux. Quelle tour de Babel que ce Paris. Je me trompe. Tout ce que je vois est d'un seul et même avis au fond, mais que faire, & quoi au bout ? Adieu. Adieu. Adieu.
Personne ne sait ce que veut Changarnier, au fond il est impénétrable. Flahaut est ahuri. Lui, approuve le message et s’étonne de la majorité Il dînera chez le Président mais il ne veut pas se montrer à ses soirées. Il repart jeudi pour Londres.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond dimanche 30 septembre 1849

Je sais le fait que Schwarzenberg a enfin répondu à la dépêche de Lord Palmerston sur la Hongrie & que cette réponse est excellente. Je ne l’ai pas lue, j'en saurai peut-être davantage. Lord Aberdeen est très curieux de cela. Il ne cesse de m'écrire à ce sujet. Peel va passer quelques jours chez lui, & il tient à l’endoctriner. Peine perdue je crois. Le Pce Metternich est fort occupé de son départ. Dans 10 jours il s'embarque pour Ostende. Il est en bonne santé. M. de Hübner est ou sera nommé ministre à Paris. C'est le président lui-même qui l’a désiré. Ce Hübner est, dit Metternich un homme très intelligent, et de la bonne école. Mais il n’est ni plus ni moins que le gendre de M. Pilat, rédacteur des Oestereihisher [?] et fils naturel d'un ami de ce même Pilat. Ce n'est pas très aristocratique. Thom passe ministre en Suisse. Je le regretterai beaucoup à Paris. Morny est très occupé d’affaires à Londres. Il ne retourne pas encore à Paris. Ces affaires c'est des affaires d’argent. Je vous ai dit que Lord John est allé à Woburn pour huit. jours. Il y a maintenant près de deux mois qu’il n’a vu lord Palmerston. J’ai lieu de croire qu’ils sont assez froidement ensemble. A propos vous saviez César & Auguste avant Lord John, car il n'en a eu connaissance qu'il y a trois jours. C’est drôle. Je vous envoie un billet de Metternich, spirituel & sévère sur le journal des Débats. Je crois qu'en vous rendant compte de la conversation de M. Achille Fould je n’ai pas assez appuyé sur ce qu'il m’a dit de vous. Personne n’approche de votre talent, & vous êtes le seul homme en France qui ayez du courage. Infailliblement vous vous retrouverez là où vous devez être. Moi je dis que je vous prêche & que je désire [ ?] l'abstention, le repos. Il dit c’est impossible. Il fait beaucoup plus de cas de Molé que de Thiers.
4 heures. Voici Morny qui est venu passer une heure avec moi. Ses nouvelles de Paris sont qu’il peut considérer M. de Falloux comme hors du cabinet. Il le regretterait du reste toujours le même dire. On ne peut rien faire parce qu'on ne peut pas s’entendre sur la chose à faire. Si l'Empire On perd les légitimistes. On les perdrait peut-être même si on demandait la présidence pour 10 ans. Son opinion est qu’on restera comme on est, et que c'est là l'avis de tout le monde. Il m’a parlé très mal de Lamoricière de Drouyn de Lhuys, de tout le paquet qui tient de près ou de loin au paquet Cavaignac, Dufaure. Il croit que l’assemblée fera renvoyer & les préfets objectionnables. Il n’est pas prévu de retourner à Paris. Deux choses : il se dit charmé du Manifeste du pape. Après tout. Il a fait des concessions & il est meilleur juge que la France de la mesure des concessions. Et puis plainte de ce qu'on, nous russes par exemple, nous sommes trop polis pour la république. Nous avons par non rudesses contribué à la chute de la monarchie de juillet. Nous pourrions bien par nos bons procédés contribuer à la durée de la république. On était plus poli même pour Cavaignac que pour Louis Philippe. Morny voudrait que tout le monde se mêlât de décréditer cette forme de gouvernement.
1er octobre lundi. Voici l’étonnante nouvelle de la rupture entre la Russie & la porte ! Si cela est vrai c'est une bien grosse affaire. J’ai peine à y croire. Mais je crois certainement que Palmerston y pousse. Ah quel homme ! Je suis très préoccupée de cette grande nouvelle. Brunnow n’a pas bougé de Brighton depuis 6 semaines. Il ne cesse d'écrire et d’envoyer des courriers, mais il est là tout seul, il n’a pas vu une seule fois Lord Palmerston qu'est-ce qu'il écrit ? J’attends votre dernière lettre du Chateau de Broglie. Voici vos deux lettres, merci merci. Curieuses. Intéressantes. Je n’ai pas le temps d’y répondre il faut que ceci parte. Adieu. Adieu, adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 17 août 1848

Une charmante lettre. Celle d'hier si charmante et élevée que je veux l'envoyer demain à l’Impératrice, telle quelle, par courrier. C'est le jeune Stakelberg qui est à Paris, & voici l’histoire. Il a été l’automne dernier à Alger. Il a fait un rapport qui a fort intéressé chez nous à la suite de cela on l’a nommé agent militaire à Paris, avant la révolution, ainsi auprès de vous. Quinze jours après, arrive la République, il n’a pas été révoqué, & réside maintenant à Paris dans cette capacité. Voici maintenant l’histoire de Kisseleff. Il a reçu l’ordre formel de quitter lui et toute l’ambassade. Il ne devait plus rester à Paris que Speis le consul général & Tolstoy qu’on attachait pour la forme au Consulat. Cet ordre de départ était signé par l’Empereur lui même il portait la date du 10 Mars. A l’époque où il parvient à Kisseleff, les révolutions de Vienne & de Berlin avaient eu lieu, & changeaient visiblement notre situation, puisqu'au lieu de nous tenir serrés avec nos alliés Autriche & Prusse comme nous le voulions & le désirions, nous restions absolument seuls. Kisseleff a représenté que, selon lui, cela modifiait tellement notre situation, qu'il regardait comme un devoir d’attendre, d’autant plus qu’entre les préparatifs de départ, les soucis à donner aux Russes, le bon effet que pourrait avoir encore sa première pour empêcher une trop vive explosion pour la Pologne. Il devait s’écouler peut- être 18 ou 20 jours. Que de nouveaux ordres pourraient lui arriver en conséquences de ces observations et qu’il attendrait jusqu'à une certaine date. Coup pour coup, il reçoit approbations de sa conduite & l’ordre de rester comme par le passé, mais en se dépouillant de son titre. Tout ceci m’a été conté hier par Tolstoy c’est fort bien expliqué et nous avons eu raison, & Kisseleff avait eu du courage. Tolstoy dit comme tout le monde qu'on veut la monarchie qu’on déteste la république. Mais voici la drôlerie, il y a une république et pas de républicains et on veut une monarchie seulement il manque un roi. Où le prendre ? Personne ne le dit.
Combien de choses nous aurions à nous dire ! J'ai un chagrin aujourd’hui. La Revue rétrospective nomme l’affaire de Mad. Danicau Philidor. Le nom y est. Evidemment on tient davantage car voici un renvoi.

Cette note si elle est étrangère à l’affaire, Petit ne l’est pas comme on le verra par son post-scriptum au trafic de places, et prouve que sous ce rapport il y avait résistance de la part de M. Lacave Laplagne à laisser faire de M. Guizot.

Adieu. Adieu.
Le temps ne s’arrange pas. Il est atroce, on a bien de la peine à ne pas être malade. Quand vous vous promenez prenez garde à la marée, ne vous laissez pas surprendre pas elle. J'ai peur de tout quand vous n'êtes pas sous mes yeux. Hier Lord Palmerston a donné à dîner à M. Beaumont. Les convives les Granville, les Shelburn, les Holland, les Janlyce, Henry Granville very well, mais dans tout cela le maitre de la maison aura manqué car à la longueur de la séance hier il est impossible qu'il ait dîné. Je n’ai pas lu encore la discussion. On la dit très curieuse. Je ne sais pas d’une manière positive si Naples a fait faire une déclaration. Mais ce que je sais pour sûr c’est qu’on a conseillé au roi de tenter l’expédition pour mettre la flotte Anglaise au défi de s'y opposer. A propos de Kisseleff, j'oubliais de vous dire que Normanby l'a mis en contact avec Cavaignac, & qu'il va quelques fois chez lui. Toujours très bien reçu ; mais privatly.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond lundi le 28 août 1848

Voici quelques nouvelles sans compter l’arrestation de Louis Blanc & Caussidière que vous apprennent les journaux. Montalivet a passé à Londres quelques jours, il repart ce soir. Le travail monarchiste est plus grand et plus avancé qu'on ne croit. L’union des partisans des deux branches se produit partout. Le parti est bien prié de marcher en semble. Berryer mène tout cela. Son langage excellent. Il a vu Montalivet. Sur la question de fortune, c'est Berryer qui s'opposera de toutes ses forces à la spoliation. Molé est là aussi, Thiers aussi, enfin tout ce qui n’est pas républicain. [Berryer s’oppose à toute démonstration prématurée. Elle allait éclater dans le midi, il l’a empêchée.] Montalivet a causé avec Cavaignac. Très républicain mais il croit de lui, que s’il était acculé à la nécessité de choisir entre la monarchie & la république rouge, il n’irait pas à celle-ci, il se retirerait de la scène. Montalivet ne pense pas qu'il y ait si prochainement une lutte dans la rue. Mais Il est persuadé qu'il faut encore quelques batailles avant d'arriver à la monarchie. Tout ceci m’a été dit par mon voisin de Petersham, qui a vu Montalivet hier matin.
J’ai rencontré hier M. de. Beaumont à Holland house. Je l’ai trouvé causant très intimement avec Dumon, et je les ai laissé comme cela aussi. On me dit que la reconnaissance a été une explosion de joie de la part de Beaumont. Celui-ci ravi de la séance de l'Assemblée et de son résultat. Cela va donner de la force au gouvernement. Il a parlé de Thiers, de son langage, qui est ceci : je ne suis plus un homme politique, je ne me mêle pas de cela. J’ai fait Cavaignac Colonel, je n’irai pas me faire son ministre. Je ne pense être que président de la république & probablement je ne le serai pas. Beaumont ajoute, certainement pas, car Thiers est l'homme le plus impopulaire de Paris . Beaumont blâme Molé de se faire porter à l’Assemblée. Il n'y jouera aucun rôle. C’est manquer à sa dignité. Il devait rester tout-à-fait à l’écart. J’ai vu Lord John hier matin. Il part jeudi prochain pour l’Irlande. De là il ira rejoindre la Reine en Ecosse. Elle s’y rendra le 6 après avoir prorogé le 5 le parlement en personne. C'est pour la première fois qu’un premier ministre manque à cette cérémonie. Il m’a fait lire la lettre qui accrédite M. d'Andréau ici comme ministre du Vicaire. Long, un peu diffus, ce que j’y ai relevé de plus remarquable est le respect aux traités. Du reste les attributions que vous connaissez du Vicaire. Diplomatie, commandement de toutes les armées, & & &. Le tout cependant qualifié de gouvernement provisoire. Lord John a rencontré M. d’Andréau. Samedi soir chez Lord Palmerston Il ne s’est pas soucié de faire sa connaissance. Normanby parle aussi du travail légitimiste sans y attribuer autant d'importance que nous. La France est pressée de la médiation italienne car elle craint des interpellations à l’Assemblée. De son côté l'Autriche n’a pas encore répondu à la proposition de la France & de l'Angleterre envoyée de Paris, le 9 août ! Les diplomates ici sont très convaincus que Palmerston travaille à faire donner Milan au Piémont & que la France le veut aussi. Tout le monde trouve le retour de l’Empereur à Vienne très intempestif. Il fallait y rentrer avec Radski à la tête de 30 m. Voilà tout mon bulletin de hier. Comme je le trouve un peu intéressant. Je n’ai pas des yeux pour recommencer, je vous prierai de l'envoyer tel quel à Lord Aberdeen. Mettez ceci simplement dans une enveloppe à son adresse.
Haddo House Aberdeen. N. B.

J’ajoute que les nouvelles de Naples sont bonnes. Personne n’y veut plus de la Constitution. Le Roi veut cependant maintenir ce qu'il a octroyé et promis, mais si la montagne demandait davantage, il retirerait tout. En Sicile la réaction est très prononcée partout, moins Palerme et là seulement les grands Seigneurs encore récalcitrants. Ludolf a fait beaucoup d’efforts pour tirer de Lord Palmerston ce qu’il fait là de sa flotte, & s’il compte s'opposer ou non à l’expédition napolitaine. Palmerston a constamment éludé, & dit qu'il n’avait aucune réponse à donner sur ce point. Disraeli fera après demain une revue générale de la session pour attaquer le ministère. Lord John reste pour y répondre. Il part le lendemain. Deux heures. Voici votre lettre pleine d’excellents raisonnements. Je reçois aussi les journaux et je vois que l'Assemblée n'a pas voulu poursuivre les deux membres accusés sur les événements de Juin. Quelle poltronnerie ! Pas évidemment Cavaignac allait jusque-là. Que pensez vous donc de ce dénouement ? Je trouve que c’est lâche. Le jury est capable de les absoudre. Je viens de lire le passage du discours de Ledru-Rollin qui s'adresse à Thiers, Odillon Barrot, & & C'est très bien, et cela pouvait une même être encore plus fort. Envoyez, je vous prie mes deux premières feuilles à Lord Aberdeen. Je trouve parfait ce que vous avez envoyé à d’Haussonville. Je le garde soigneusement.
Quel plaisir de penser à Samedi. Dites-moi à quelle heure vous viendrez. Sera-ce le matin ? Pour dîner ? Je veux savoir d'avance pour me réjouir d’avance Adieu. Adieu. J’ai écrit au duc de Noailles pour lui dire que vous seriez de retour le 1 ou le 2. Morney va aujourd’hui en Ecosse pour chasser. Flahaut reste à Londres. La femme part pour l'Ecosse aussi. J'essayerai d’apprendre quelque chose her [?]. Adieu. Adieu.
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