Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 8 nov. 1849
8 heures

Je fais dire au Duc de Broglie, ce que pense Flahault. Je ne vous réponds pas qu’il le fasse. Il est dans une disposition à la fois, très amère et très réservée, de plus en plus dégouté de se mêler de ce qui se passe, en quelque façon que ce soit soit pour nuire, soit pour servir. Je suppose que Lord Lansdowne ne compte pas rester longtemps à Paris. Il serait bien bon en effet qu’il vît les choses telles qu’elles sont réellement. Je ne sais pourquoi je dis cela, car je ne pense pas qu’il résulte grand chose à Londres de son opinion sur Paris, quelle qu’elle soit. Il est de ceux dont le bon sens ne sert à rien quand il faut qu’ils fassent un effort pour que leur bon sens serve à quelque chose. Je suppose aussi que de Pétersbourg, on ne fait pas grand effort pour empêcher, en Hongrie, les exécutions qu'on déplore. C'est le rôle des sauveurs de déplorer et de ne pas empêcher, de nos jours, la Restauration a fait cela en Espagne, la République à Rome ; et vous en Hongrie. Cette affaire des réfugiés hongrois finit bien pour vous. Il était bon à l'Empereur d'avoir à se plaindre de l'action anglaise, et de le faire un peu haut. La République française, sans l'afficher ouvertement, en ayant même l'air de ne pas le vouloir, vous aidera beaucoup à faire de la Turquie votre Portugal. L'état de l'Europe vous est bien bon. L’Autriche sauvée par vous, la France annulée, vous n'êtes en face que de l’Angleterre. Si vous ne faites pas trop de boutades, vous gagnerez bien du terrain. Le refus de la présidence décennale et d’une bonne liste civile est une preuve sans réplique qu’il y a parti pris pour l'Empire. Quand ce jour-là viendra, la partie sera difficile à jouer pour tout le monde. Président, assemblée et chefs de l’assemblée, armée et chefs de l’armée, sans parler du public, pour qui rien n’est difficile, puisqu'il ne fait rien et laisse faire tout. Ce sera l'une de ces grandes eaux troubles, où les petites gens habiles font leurs propres affaires, et ceux-là seuls. Donnez-moi, je vous prie si vous pouvez quelques détails sur ce terrain que je trouverai pour mon propre compte, et qui vous indigne. Je le vois d’ici en gros ; mais il est bon de savoir avec précision, et d'avance. J'en serai plus instruit qu'indigné. J’ai une indignation générale, et préétablie qui me dispense des découvertes. Mad. Austin est à Paris. Elle a trouvé à Rouen, M. Barthélemy, Saint Hilaire qui l’a fort rassurée, et qui l’y a conduite. J'attends aujourd’hui des lettres qui me feront, je pense prendre un parti à peu près précis sur le moment où j'en ferai autant.

Onze heures
Les lettres que je reçois me disent à peu près toutes comme Sainte Aulaire, et le duc de Noailles. Je me tiens donc pour à peu près décidé pour la fin de la semaine prochaine. N'en dîtes rien. Ce sera un charmant jour. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 10 nov. 1849
Onze heures

Je n'ai que le temps de vous écrire deux mots. J’ai été dérangé et occupé ce matin d’une manière inattendue. Mais je ne veux pas que l’heure de la poste passe demain sans vous rien, apporter. Tout ce qui m’arrive me confirme dans mon projet. Nous causerons la semaine prochaine. Il y a de quoi. Germain est un maître d’hôtel très entendu, exact soigneux. La mine, vous la connaissez ; très bonne. Le caractère tranquille et doux. Je l’ai trouvé sûr, Dévoué serait trop dire ; mais fidèle, et assez attaché. Il était cher plus cher qu’il n'aurait fallu, même dans une grande maison. Je crois qu'en y regardant avec soin, avec plus de soin que je n'en mettais, on l’aurait aisément contenu dans des limites convenables. Il sait se faire obéir des autres gens. Il a souffert depuis qu’il m’a quitté. Je ne doute pas qu’il ne fût très heureux d'être bien placé, et qu’il n'y fit de son mieux. Et son mieux serait bien. Voilà votre lettre. Je n'ai que le temps de fermer celle-ci. Adieu. adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Mardi 10 Nov. 1849
8 heures

Je n'ai vraiment rien à vous dire. Il me semble que, pour toutes choses, j’aime mieux attendre. Ecrivez-moi encore un mot demain mercredi. Je le prendrai Jeudi en passant à Lisieux. Le décousu et les contradictions dont se plaint Kisseleff, ne m'étonnent pas. Je serais étonné qu’il en fût autrement. C'est le même mal pour l'extérieur et pour l’intérieur. On est et on sera tantôt Russe, tantôt anglais, comme tantôt coup d’Etat, tantôt constitution. Il n'y a, à parler sérieusement, point d’idée et point de volonté, Des velléités, tantôt lancés en avant, tantôt retirées à travers des tâtonnements continuels. Et on ne sort des tâtonnements que par des essais de coup de tête qui avortent. Avorteront-ils toujours ? Je ne sais. En tous cas, il n'y a pour les hommes sensés, qu’une conduite à tenir soutenir le pouvoir, quels que soient son nom et sa forme, tant qu’il voudra faire de l’ordre et du pouvoir. Toutes les susceptibilités, exigences, oppositions, dissidences, me paraissent aujourd'hui des puérilités. Je me crois sûr que la commission auprès de lord Lansdowne, sera faite, et bien faite. Est-ce que vous n’avez pas vu Salvandy ? Mad. Lenormant m’écrit qu’elle l’a rencontré chez Mad de Boignes, et qu’il s'est laissé croître une crinière qui lui donne l’air d’un bison. Il est toujours au courant et raconte tout. Je retrouverai à Paris tous les anciens ministres, à l’exception de Duchâtel qui ne reviendra qu’en Décembre. Je dois avoir conservé, ma bonne mine d’Angleterre, car je me porte bien J’ai eu pendant quelques jours des commencements désagréables de crampes d'estomac qui revenaient à la même heure. Cela est passé. Je vous quitte pour mettre des livres en ordre. Je laisserai ici ma maison bien rangée. J'aurai absolument besoin à Paris de me réserver les premières heures de la matinée. Je tiens à finir et à finir bientôt ce que j'ai commencé. Onze heures J’ai certainement un vif plaisir à faire mes arrangements. Malgré un beau soleil qui persiste. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Dimanche 2 Juin 1850

Quelle admirable morceau sur l'Emp. dans votre lettre, & comme cela roulera. J’ai vu hier votre visiteur de jeudi matin. A propos de bottes, il m’a parlé de son contentement, de son admiration, quelle force de raisonnement, quelle simplicité quelle frappante rédaction de ses idées. Enfin dans l’enthousiasme. J’ai dit que je vous avais vu un moment & que vous m'aviez l'air d’un égal contentement. Je suis inquiète La Redorte est noir, féroce. Féroce contre le gouvernement Changarnier. Il faut que le Président le brise. S'il ne le fait pas il se couvre de honte. Mais mon Dieu pourquoi, qu’est- ce que ce bruit. Il est resté dans les généralités. Il faut qu’il obéisse, le P[résident] est le maître & & &. Ce qui m’a frappée, c’est qu’ayant rencontré le soir le général. Il m’a dit. Je puis être paralysé, un nouveau [?] peut se produire tout est possible. Vous avez lu l’article du Moniteur d’hier Je vous ai dit hier je crois qu'Ellice regarde le vote de censure s'il avait lieu, comme d’une portée immense c'est le mot. The Whole cabinet would resign. Mais il ne croit pas que St[ratford] & Ab[erdeen] soient in earnest. Pardonnez-moi si je rabache. Chang[arnier] me disait hier qu'on ne conclurait pas avant le 7. Pal[merston] marchande.
1 heure. Grande consternation. Tout le monde s’attend à une explosion entre Ch[angarnier] & P[almerston] Je viens de voir K[isseleff]. Je n'ai qu’une minute. Adieu Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 2 Juin 1850
8 heures et demie

Voici votre lettre. Je suis bien aise que vous ayez vu beaucoup de monde. Je veux bien que vous soyez triste, mais non pas ennuyée, voilà la mesure de mon égoïsme ; le trouvez-vous bien dur ? Vous avez très bien fait de mettre mes amis au courant de ma dernière matinée. Si Lord Stanley et Lord Aberdeen ne sont pas in earnest, il faut qu’il y ait, pour eux, impossibilité absolue de former un cabinet qui dure car ils n'auront jamais une meilleure occasion de renverser celui qui existe ; une occasion qui ne les engage à rien sur les affaires intérieures, qui n'élève aucune question entre les free-traders et les protectionnistes, qui laisse possibles toutes les combinaisons & &.
J'ai peur que, là comme en France, il n’y ait, parmi les meilleurs, une grande horreur de la responsabilité et un goût immense du repos. Le monde périra par la mollesse des honnêtes gens. Je crois au motif qu'on vous a dit du retard de Mad la Duchesse d'Orléans à rejoindre le Roi à St Léonard. Il y a encore plus d'illusion que de toute autre chose dans son esprit. Je crois aussi à l’inimitié de votre nouveau visiteur pour le général Changarnier. Pensez-y quelque fois en causant. Au fond, le n°31 du faubourg St Honoré est bien avec et pour l'Elysée malgré les airs de salon et les apparences de langage quelques fois contraires. Le voyage de Fontainebleau m'a assez frappé. Que d’embarras toutes ces inimitiés frivoles jettent dans les affaires !

Midi.
Je vous reviens après déjeuner. Je me hâte. Je vais être assiégé de visites, le beau temps, le Dimanche et de nouveaux mariés à voir. Ils sont très contents l’un de l'autre, et je crois qu’ils ont raison. Voilà donc la loi électorale volée. Certainement elle a produit partout, un effet d'intimidation pour les rouges, d'encouragement pour les modérés. Je vois cet effet autour de moi. Il passera vite s’il n’est pas nourri ; mais il est réel. Bien moins grand pourtant ici qu’à Paris. Je trouve, à tout prendre, la situation peu changée. Il est vrai que je n’ai encore vu presque personne. Mais l’air qu’on respire est le même.
Que votre Empereur se garde bien des assassins. La perte serait immense. Il commence son grand rôle en Europe.
Je ne puis pas croire à un coup de main de Lord Palmerston sur Naples ; et s’il tentent j’espère que le Roi de Naples résistera. Pour le coup, ce serait le coup de grâce pour Palmerston, malgré tous les partis pris de l’opposition anglaise. Adieu, adieu. Mes journaux sont venus ce matin. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 3 juin 1850
Sept heures

Certainement il vaudrait mieux que l'affaire Anglaise ne fût pas arrangée avant le débat du 7 et qu'un peu d’incertitude planât encore sur la situation. Cependant, même arrangée, quelle mauvaise affaire pour Lord Palmerston et comme il serait aisé de le lapider avec les pierres qu’il a amassées lui-même sur son chemin. Tant de fourberie perdue ! Tant de présomption humiliée ! Sa rouerie arrogante vaincue par la bonne foi inexpérimentée de Lahitte !
Les Anglais, quelquefois si brutaux dans leurs personnalités, ne savent pas tourner et retourner poliment le poignard dans les blessures de leurs adversaires ; ils ont des ménagements et des réserves qui contrastent singulièrement avec leur goût pour la grosse ironie et l’injure. Que l’arrangement soit conclu ou non, que Palmerston ait cédé, ou persisté, il ne devrait sortir du débat que mis en pièces ; il a fait là une de les choses dans lesquelles il faut absolument réussir pour pouvoir en parler.
Si vous étiez ici, si nous nous promenions ensemble, le beau soleil la fraîche verdure, le calme gai de ma vallée nous feraient oublier Palmerston et les débats de Londres. Mais vous n’y êtes pas, et j'oublie ma vallée, la verdure et le soleil pour vous parler de Palmerston.

10 heures
Vos dernières lignes me désolent sans m'étonner. Je suis parti craignant cette explosion. Ce sera bien mauvais. Se rejeter dans tous les hasards pour de si pitoyables motifs ! Nous sommes dans des mains d'enfants. Je veux croire encore qu’on s’arrangera. Et je le crois presque. Il y a un point de déraison qui me semble toujours impossible. Je m’y suis trompé souvent. Avais-je tort dans ce que je vous disais hier en vous parlant de La Redorte Je reçois de Londres une lettre curieuse. On me dit que la question grecque est à peu près morte " Tant qu'elle a été ouverte, personne n'a osé y toucher ; depuis qu’elle est fermée, l’intérêt n’y est plus. Il faudrait encore plus de talent que n'en a Lord Stanley pour la faire revivre. Il y a huit jours, on parlait avec conviction d’un vote hostile dans la chambre des Lords ; aujourd’hui, on n'y a pas renoncé, mais il en est moins question. On le disait aussi, parmi les whigs, que ce serait la dernière fois qu’on s’exposerait à subir de pareilles ignominies, et les vives remontrances de la Cour, ont été un peu mieux écoutées qu’auparavant. Mais [wows] made in pain. Il ne s’agit pas le moins du monde de mettre Lord Clarendon au foreign office ; mais il ne serait pas de toute impossibilité que Lord John s’en chargeât provisoirement lui-même. Faible lueur d’une faible intention.
On est d'accord ici pour soumettre la question des conventions rivales au Roi Othon lui-même. Palmerston s'est borné à exposer à ses collègues les deux voies qu’il y avait à suivre ; ils se sont décidés aux concessions.» Je vous envoie ce qui me vient. Paris me préoccupe bien plus que Londres. Que dites-vous du langage du Prince de Prusse ? Il a voulu se lier avant de partir et annuler d'avance l'influence de l'Empereur. Adieu, Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Mardi 4 Juin 1850
Toute la journée. Je suis envahie. J’en ai trop, car je n’ai le temps d'écrire à personne pas même à vous comme je le voudrais. L’affaire de Changarnier peut être reportée elle n’est pas fini. Il sort de la fort amoindri. Il est évident que le Président a eu le dessus sur lui maintenant, car l'article du Moniteur était convenu. D'accord avec Chang[arnier] : d'un autre côté ses propensions orléanistes un peu trop dévoilées lui ont beaucoup nui auprès des Légitimistes. Supposez un éclat entre lui & l’Elysée, l’Assemblée ne soutiendrait pas Changarnier. Le voilà donc affaibli à droite et à gauche. C’est triste quand il était le seul homme. On dit que sur les bancs de l’Assemblée hier on faisait circuler le projet de demander de l’argent. Cela n’a pas pris, on le critiquait fort. On doutait du succès malgré beaucoup de bonne volonté de la part de beaucoup de monde. Ne croyez pas aux nouvelles de journaux. Nous ne nous engagerons pas du côté de la Prusse. Nous essaierons de tenir la balance, & peut-être dirons-nous à tous deux. " Celui qui sera l’agresseur nous aura pour ennemi."
On parle très diversement de l’état du Roi, du côté de Thiers on le croit plus mal que vous ne dites, & Thiers invoque le témoignage de Guéneau de Mussy. On croit le médecin dans l'intérêt régentiste. Lui et d’autres empêchent que les bons n’approchent du roi. Que pensez-vous de ceci ? Ces doutes se sont élevés dans l’esprit de Nesselrode. Il redoute le médecin. Delessert part pour Londres aujourd’hui. D’Haussonville est parti ce matin. Montebello qui avait voulu partir avant hier, reste pour la loi déportation qui sera reprise après demain. Demain réunion du 17 chez le duc de B[roglie] pour la conduite à suivre en général, les lois à porter & & Nous ne croyons pas ici que l'Empereur parle de Varsovie à la France. Il ne viendra rien aujourd’hui peut-être. Il arrive à Pétersbourg, c’est de là que son Chancelier vous dira le reste. Pourquoi vous parler ? C'est à vous à venir à nous, vous n'en donnez pas le moindre signe. Vous n'êtes pas un gouvernement. C'est pourquoi vous en prenez l'initiative de rien. Vous êtes isolé venez à nous, vous serez très bien accueillis, mais nous, nous n’avons pas besoin d'aller au devant. Voilà le résumé de réflexion de [Chroptovitch]. Il part dans peu de jours, pour un rendez-vous avec son beau-père. Certainement il est venu regarder ici. Il repart sans admiration. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 5 juin 1850
8 heures

Causez, je vous prie un peu à fond avec Duchâtel, Dumon et Montebello de la santé du Roi, et de la nécessité des voyages. La diversité des renseignements qui m’arrivent m'inquiète. Je crains que l’événement ne nous surprenne et que nous ne fassions là trop tard ce qui est convenable envers le Roi, et nécessaire pour influer sur l'avenir. Faute d'une résolution ferme et claire des conversations qui constateraient bien les derniers avis et les derniers voeux du Roi seraient fort utiles. Montebello comptait partir après le vote de la loi électorale ; où en est-il de son intention ? Lahitte a plus qu'un prétexte, il a une excellente raison pour ne pas en finir immédiatement. Après ce qui s’est passé et la discordance évidente entre la conduite anglaise à Londres et à Athènes, il ne doit accepter définitivement la concession de Lord Palmerston et se considérer lui-même comme satisfait que lorsque l’offre de l’alternative entre les deux conventions [Wyre], et Drouyn de Lhuys aura été faite à Athènes même, et faite sans équivoque, sans subterfuge sans rien qui puisse contraindre le choix du roi Othon et donner ensuite à Lord Palmerston le droit de dire : « C’est la Grèce elle-même qui a choisi la convention [Wyre] ; elle la préfère donc ; c'était bien la peine que la France fit tant de bruit. Cela ferait à le France et au général Lahitte une position un peu ridicule. Qu’il dise donc que pour lui, il sera satisfait dés que l’offre de Lord Palmerston aura reçu son accom plissement c'est-à-dire dès que la Grèce aura choisi ; mais qu’il attende, pour déclarer, sa satisfaction définitive, que la Grèce ait en effet choisi. C'est là une marche désagréable certainement à Lord Palmerston, mais la seule régulière et sure.

10 heures
Je suis charmé que la querelle, entre le général Changarnier et le Président soit replâtrée. Changarnier peut y avoir perdu quelque chose, mais il retrouvera et cela vaut infiniment mieux qu'une explosion.
Je trouve fort sensée, l'appréciation du gendre de son beau-père. Si vous aviez besoin de nous pour quelque dessein précis et prochain, vous ne vous arrêteriez pas à de telles objections ; vous nous feriez des avances. Mais vous n'avez en ce moment, rien à faire pour quoi vous ayez besoin de nous. A quoi bon des avances qui ne seraient qu’une marque de confiance dans une force et dans une durée auxquelles vous ne croyez pas ? Je doute beaucoup de ce qu'on vous à dit sur M. Gueneau de Mussy. J’ai quelque raison de croire le contraire. Je vais tâcher d'éclaircir le fait. Adieu, adieu.
Vous ne me parlez pas de départ. J'incline à croire que tant que Paris sera si intéressant vous n'en sortirez pas. N'avez-vous pas trop chaud ? Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, jeudi 6 juin 1850
7 heures

Deux choses me frappent dans les conversations et les journaux de province : le travail assez actif qui se poursuit pour rallier et échauffer le parti modéré au nom de sa récente victoire dans l'assemblée ; l'ardeur de la portion intrigante du parti légitimiste à accueillir et à propager les idées de la gazette de France et de M. de la Rochejacquelein. Le parti modéré a vraiment le sentiment de la victoire. La guerre légitimiste s'agite avec l’aveugle impatience d’enfants mal élevés qui se croient près de mettre la main sur l'objet de leurs désirs. Jamais peut-être le parti modéré n'a été plus disposé à s'organiser politiquement, et jamais le progrès qu’ont fait les théories et les habitudes anarchiques dans le parti légitimiste lui-même n’a été plus évident. Il faut absolument que cette queue là soit coupée et rejetée parmi ces débris de toutes nos révolutions qui feront longtemps encore une opposition absolue et absurde à tout gouvernement. Le vrai et complet parti modéré, ne s'organisera qu'à cette condition, et en luttant contre cette queue là comme contre toutes les autres.

9 heures
Voilà les journaux et votre lettre. Je comprends l'émotion ; mais convenez qu'elle est bien ridicule. Il faut choisir ; veut-on, avoir un président de la république comme on en a un aux Etats-Unis, ne voyant personne, ne donnant un verre d'eau à personne, faisant tout simplement les affaires du pays sans aucun lien ni rapport avec la société du pays ? Cela se peut ; cela ne va pas mal aux Etats- Unis. Mais si cela convient à la France et à l'Assemblée nationale, il faut le dire tout haut, et non seulement permettre, mais prescrire au Président cette façon de vivre. Je dis prescrire car il y a en France, sur ce point des habitudes, des traditions des siècles d’habitudes et de traditions à abolir. Ce n'est pas trop d’une loi formelle pour les abolir et introduire un régime nouveau. Si on ne veut pas de cette abolition, si on ne la croit pas possible, si le président. doit être un personnage non seulement politique, mais sociable, si la République française entend conserver un peu la physionomie de la France, France de l'ancien régime, France de l'Empire, France de la Restauration, France de la Monarchie de Juillet, il faut absolument donner au président ce qu’il lui faut absolument pour jouer ce rôle-là. Je ne connais rien de plus honteux et de plus odieux que cette double prétention d'avoir un Président qui dépense, et de ne pas payer ce qu’il dépense, ce double parti pris des fêtes, et de la banqueroute, des charités et de la banqueroute. Et quand cette situation éclate, on se récrie ou s'indigne : on dit : " Ne nous parlez pas de cela. ". Si j'étais le président, je n’en parlerais peut-être pas ; mais je publierais toutes les semaines, dans le Moniteur, les comptes de ma maison, de toutes les dépenses de ma maison, et je laisserais au public à juger, si c'est moi qui suis le banqueroutier. Sur cette misérable question domestique comme sur les grandes questions politiques le pays-ci ne sera pas gouvernable tant qu'on ne l'obligera pas à voir les choses comme elles sont, et à entendre toute la vérité.
Si l'affaire grecque n'est pas tout-à-fait arrangée et conclue, Normanby en familiarité publique avec le président est quelque chose de plus que du mauvais gout ; c'est de l’insolence. Adieu. Adieu.
Je suis bien impatient des réponses que j’attends sur le véritable état de St Léonard. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 7 juin Vendredi

J’ai trouvé M. Molé, fort malade. très mauvais visage au moins. Jaune, faible. Il a toujours la fièvre. Bonne conversation, rien à relever que vous ne sachiez ou que vous ne deviniez. Il n'était pas bien au courant de la négociation avec Londres. Il croyait toujours que Lahitte ne faiblirait pas. Mais moi je suis convaincue que Lord Palmerston se sera fâché hier de tout accorder, et avec la complicité du télégraphe français vous savez bien qu'en deux heures de temps on peut parler à Londres de sorte qu’en en terminant même qu’aujourd’hui. Cela arriverait encore à temps pour gâter la discussion de ce soir. Quoiqu’il en soit, nos amis de Londres sont des nigauds d'avoir tant attendu. Thiers était du dîner de Hubner. Il m’a dit qu'il a prévenu le Président de son voyage à Claremont et qu'il comptait y aller dans peu de jours croyant le roi assez mal pour craindre qu’il ne meure très incessamment. Je suis sûre qu’il ne sera de vos voyages respectifs comme de vos luttes parlementaires chacun veut garder son discours, pour répondre à celui de l’autre. (tout ce qu’il m’a dit hier m’a prouvé qu’il est entièrement orléaniste.) Pourvu que l’occasion de le faire en vienne à manquer à tous les deux. (Transportez les deux dernières sentences, ce sera plus concret.) On ne sait rien de Varsovie que ce que disent les journaux. Hubner & Hatzfeld sont également perplexes. Schwarzenberg avait quitté Varsovie, & voilà que son empereur s'y rend, c’est au moins ce que dit le télégraphe de Cologne. c’est drôle. Ce qu’il y a de sûr c'est que le Prince de Prusse est allé à Pétersbourg voir l’Impératrice. Lahitte a dit hier à Chreptovitz si Lord P[almerston] me cède tout je ne puis pas ne pas me reconnaitre satisfait. C’est juste.
Je suis de santé comme j’étais à votre départ. Le mien approche le 20 ou 25, mais je crois que Je verrai Chancel avant, parce que que tout le monde traite d’extravagante l'ordonnance d’aller à Aix-la Chapelle pour la poitrine.
1 heure. Ellice me mande que le Cabinet, très alarmé, et craignant une grande majorité contre lui ce soir, & envoyé une pétition à lord Stanley pour la conjurer au nom du bien public, de remettre la discussion à huitaine. Quand on donne des motifs pareils on n'ose pas refuser. Il donc été obligé de fléchir. La discussion est remisé à Lundi 17. Ellice dit qu'il y aura une grande majorité contre le gouvernement. D’un autre côté voici K[isselef] qui apprend, mais par voie détournée, que Brunnow a l'ordre de partir. Je saurai tantôt ce qu'il y a de vrai. Le vrai est que Brunnow avait demandé un congé, Il lui a été accordé pour l’été de 1851. Ceci serait donc un vrai rappel. Il y a une lettre du Prince Albert à l’université de Cambridge qui indique de la défaveur pour le gouvernement. Je n’ai pas lu encore. Vos réflexions sur les 3 millions sont excellentes. J'en ferai usage. Adieu. Adieu. J’attendrai pour ma lettre, mais je n’attends pas de nouvelle nouvelle à vous mandez.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris lundi le 10 Juin 1850

Montebello n’est point parti. L'affaire du tombeau de l'Empereur sera portée à l’assemblée après demain, Duchatel a désiré qui Mont[ebello] reste pour cette discussion. Thiers part aujourd’hui & avec toute ses femmes. Il sera demain à St Léonard. Il y restera deux ou trois jours, il ne touchera pas à Londres, & il veut être de retour ici samedi : je l'ai encore vu hier matin à Passy. très bien sur l’affaire anglaise. Delessert mande que le roi est très bien de tête, mais le corps s’en va. Il peut dîner un mois, il peut partir dans deux jours. Il n’y a pas de temps à perdre. Tous vos amis disent qu'il faut que vous vous pressiez et tout bien considéré nous croyons que vous devriez être ici samedi au plus tard pour aller en Angleterre lundi. Je suppose que d’autres que moi vous disent cela.
J'ai été bien contente du général de Lahitte hier. Bien ferme, bien décidé. Il ne faiblira pas, & il croit que P[almerston] se rendra. Dans ce moment votre lettre. Elle me frappe. Vos observations peuvent être justes. P[almerston] intrigant à Athènes. C’est possible. Mon espoir que nos agents à Athènes empêcheront cela. Brunnow a fait le 14 mai une prestation formelle à Londres contre le dénouement à Athènes. Le [cabinet] impérial vient de confirmer & ratifier cela, & de l’envoyer ici. On est content
Midi. Je viens de lire la protestation. Elle est très énergique, très forte. Brunnow ce jour là 14 mai demandait à Drouyn de Lhuys de la signer avec lui, il n’a pas voulu. Nesselrode l’a dit à Castelbajac en le plaignant un peu, à quoi Castel. Que venait de recevoir un courrier de Paris a répondu nous avons fait mieux que cela, nous avons rappelé notre Ambassadeur. Nesselrode s'est dit content. C. Greville me mande. Les puissances du continent renverseront P[almerston] si elles se décident à rester froidement polies, & à faire comprendre qu’elles ne feront aucune grande affaire avec l'Angleterre sous cette administration du Po. Ce sera une situation intolérable, & que nous ne voudrons pas endurer. Lady Allen me mande que Brunnow part le 20 après le Drawing room de la Reine, & que John Russell a dit à Disraeli que c’était un recall. J’en doute d’après l’approbation très méritée de sa protestation.
2 heures. Je suis chargée de vous dire qu'avant hier il y a eu un long entretien entre Molé, Thiers & Broglie. Les deux derniers parfaitement d’accord, tellement que Molé ne peut plus reprendre ce sujet avec votre ami. Il est bien important que vous veniez & que vous partiez. Je compte sur Samedi au plus tard. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
https://eman-archives.org/Guizot-Lieven/import/images/MF-G-L013_00061.jpg
Val Richer Lundi 10 juin 1850
6 heures

Duchâtel m'écrit comme vous que l’argent du Président passera, après bien du tirage. Il croit aussi que sa loi du tombeau Napoléon passera cette semaine, et il ira alors à St Léonard, deux ou trois jours plus tôt ou plus tard selon que les nouvelles seront plus ou moins inquiétantes. Je ne sais pourquoi je vous redis tout cela qu’il vous dit surement lui-même. Habitude de nous redire tout ; on a bien de la peine à croire à l'absence, même quand on la sent. J’ai bien de la peine aussi à admettre ce que vous dit Ellice que l'affaire grecque reste toujours sérieuse dans la Chambre des Lords, malgré l'ajournement, et que le Cabinet ne s’en tirera pas. Flatterie pour votre désir. Ce serait trop beau. Il serait vraiment très beau qu’une affaire point grave en elle-même, et complètement terminée devînt l'objet d’un débat sérieux, et que par pur respect de la bonne politique, pour le seul honneur du pays, le Cabinet fût sérieusement censuré, et tombât devant cette censure. Quelle que soit mon estime pour l'Angleterre, je n'en espère pas tant. Je vois de plus, d'après ce que vous me citez, qu’il ne s’agit pas de substituer simplement, selon le choix du roi Othon, la convention Drouyn de Lhuys à la Convention Wyse, et qu’on en fait une troisième, un amalgame des deux premières. Si on retranche de celle-ci l’article qui mettait l’Angleterre à l'abri des réclamations de la Grèce pour pertes et avaries et si la Grèce élève en effet des réclamations, ceci peut prolonger et envenimer l'affaire.
J’ai passé hier ma matinée à Lisieux. J'ai vu assez de monde. Pays étrangement tranquille. On parle sans la moindre inquiétude de l'insécurité universelle. On prévoit et on discute les révolutions futures ; et on s’établit dans cette prévoyance comme dans un mal dont on ne peut ni guérir, ni mourir. On semble assuré que quoi qu’il arrive, on ne sera pas beaucoup pire qu’on n'est, et on se résigne, assez aisément à n'avoir ni plus haute ambition, ni plus grave crainte. C’est un spectacle profondément humiliant.
Qu'est-ce que la princesse Léonida Galitzine qui va a Trouville, et dont il me semble que vous m'avez parlé ? On me dit qu'elle est soeur de Paul Tolstoy, et que c’est une bonne et aimable personne, un peu timide et sauvage, qui a perdu sa fille aînée il y a quelques années, et que le chagrin dévore. Est-ce vrai ?

9 heures
Mauvaises nouvelles du Roi, de Londres et de Paris. J’attendrai ce que Montebello m’écrira, et que Thiers soit revenu. Je ne veux pas, comme de raison, m'y trouver avec lui. Broglie ne sait pas quel jour il sera disponible. Je ne puis l'attendre indéfiniment. Je le verrai en passant par Paris, et s'il est prêt, je l'emmènerai sinon, j'irai sans lui. Car je passerai par Paris. Adieu, adieu. J’ai cinq ou six petites lettres à écrire. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville lundi 24 juin 1850

Je pars tout à l'heure ; mais je crains de trouver le facteur parti quand j’arriverai au Val-Richer. Deux lignes donc d’ici. Pour ne vous rien dire du tout, car je n’ai pas entendu depuis deux jours une parole à redire ; quoique j'aie vu deux fois hier Mad. de Boigne. Bien fusionniste, pourvu que la fusion ne soit pas une cause de secousses, car le repos avant tout. Je trouve dans le journal l'Opinion publique que mon gendre reçoit une lettre de Claremont. empruntée à l'Univers, qui est assez piquante sur Thiers. Faites vous lire cela. C'est curieux comme la vérité perce vite, confusément, mêlée de mensonge ; mais elle perce. Ce temps-ci est fait pour le malheur des finesses et des situations doubles. La finesse n'est plus possible qu'aux esprits assez grands pour savoir s’en passer. Adieu, Adieu. Je rentrerai aujourd’hui en possession de notre correspon dance. Quel dommage que vous n’ayez pas été à Trouville hier et aujourd’hui ! Ciel et temps et mer sont charmants. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 25 juin 1850
10 heures

Ce résultat me plaît fort. M. Moulin me le mande de l'assemblée même, pendant le dépouillement du scrutin. J’espère que les paroles ont été aussi, simples que l'acte a été décisif. J’aime les actions parfaites, fond et forme. Elles conviennent au général Changarnier, et je suis charmé de lui voir si bien saisir les occasions de grandir. J’ai la confiance qu’il ne se servira de sa propre grandeur que pour faire quelque chose de grand. Je regrette de ne pas l'avoir vu à mon passage. J'avais à lui dire deux ou trois choses qui valent la peine qu'il les sache.
Je ne sais ce que Mad. de Rothschild est allée faire en Angleterre. Quant au mari, il est venu au Havre pour assister au départ du Ferrière, grand bâtiment qu’il expédie en Californie. Il était avec son fils aîné. Ils ont trouvé Guillaume au chemin de fer, et l’ont emmené avec eux dans toute leur promenade nautique. Le Baron était charmé d’avoir découvert cette nouvelle manière de gagner de l'argent. Il paraît qu'il va faire plusieurs armements de ce genre et très profitables. C'est peut-être tout bonnement pour cela que la Baronne est allée à Londres.
Je trouve l'affaire grecque mal finie pour nous ; finie confusément, précipitament. Il fallait couler à fond, la dernière dépêche de M. Wyse et les deux dépêches de Normanby qui ne sont point bonnes pour Lahitte. Il s'est moqué de lui quand il lui a dit qu’il en exigeait de Lord Palmerston la publication. La nécessité d'éclairer ce nouveau subterfuge était plus qu'un prétexte ; c'était une raison pour tarder à conclure. Et il n'en pouvait résulter, aucun inconvénient. Le Mémorandum inséré au Moniteur d’hier devait être une dépêche très serrée et laissée en copie. Le général Lahitte aurait gardé jusqu'au bout le haut du pavé, qu’il a un peu perdu, et le débat de Londres s’en serait trouvé aussi bien que la situation de Paris. Je regrette cette petite issue d’un vrai succès. Et j’attends avec impatience les nouvelles de Londres, sans grande espérance. Je ne compte pas sur la fermeté de résolution et d'action de Sir Robert Peel. Pourtant il me paraît difficile qu’une bataille engagée si avant avorte, comme tant d'autres. Vous partez donc samedi ou lundi. Ce serait bien dommage si l'affaire de Londres, n'était pas terminée. Mais elle le sera, bien ou mal, et vous pourrez vous reposer.
Je suis bien aise de me retrouver ici, n’étant plus avec vous. J’ai beaucoup à faire. J’emploierai bien mon mois de Juillet. Si vous avez ce temps là à Aix-la Chapelle et à Ems, non seulement cela vous sera agréable ; mais vous vous en trouverez bien. J’ai toujours entendu dire que les eaux faisaient deux fois plus de bien par un temps chaud. Adieu. Adieu.
Certainement le discours de Lord John est très insolent pour le Continent et assez inquiétant pour l'Angleterre. Les précédents ne manquent point, dans le Parlement, à cette conduite, et à ce langage. Mais ils sont d’un temps où l’aristocratie anglaise était très forte, et pouvait supporter ces bouffées révolutionnaires. Aujourd’hui qu'elle est très affaiblie et que l’esprit révolutionnaire souffle constamment et partout, le danger est beaucoup plus grave ! Lord John se croit en droit de parler en 1850 comme Lord Chatham en 1750. Il se trompe, avec les mêmes paroles, il dit et fait tout autre chose. On ne sait ce qu’on dit ni ce qu'on fait. Adieu. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Jeudi 27 juin 1850

Voilà du bien petit papier. Je n'en ai pas d'autre sous la main. Vous partez donc samedi ou lundi. Paris vous manquera beaucoup. Vous venez d'avoir un mois très animé. Paris, et Londres à la fois. Et quelque chose de plus que la pure curiosité. Quoique les deux questions aient l’air réglées, au moment de votre départ, elles renaîtront bientôt. Et vous ne serez pas là pour voir et pour me dire, ni moi non plus pour vous tenir au courant. Nous nous enverrons quelques extraits, de lettres et nos réflexions.
A Paris, il va y avoir un temps d'arrêt. On votera les lois qui sont sur le tapis et le budget de 1851, puis on se prorogera. Et personne ne fera de coup d'état pendant la prorogation. Voilà ce que dit la prévoyance humaine. Londres devrait, ce semble, rester plus animé. Si le cabinet était vaincu la confusion serait grande; s'il est vainqueur, que deviendra le conflit entre les deux Chambres ? Mon pronostic est qu’il commencera par s’apaiser. Lord Stanley a été bien plus modéré que Lord John ; il n'a point jeté le gant aux Communes et à la révolution ; il a strictement limité son coup ; et peut s’arrêter sans se démentir. Mais quel effet aura produit sur la Chambre des Lord l’attaque révolutionnaire de Lord John ? Peut-elle ne pas la ressentir, et ne pas en marquer son déplaisir ? Les Anglais ont beaucoup de retenue ; ils savent faire un pas, et puis attendre. Pourtant la question d'honneur est bien engagée ; honneur de Chambre, honneur d'histoire ; le vieux parti Tory peut-il laisser ainsi traiter ses anciens triomphes ? Est-il assez transformé pour ne plus s'en soucier ? Je vous envoie mes questions et mes spéculations. Le facteur va m’apporter le résultat de Londres. Cela aura probablement duré plus d'un jour.

Dix heures
Ce sera long à Londres. Je vois que j’ai fait les frais du discours de Sir James Graham. Je consens volontiers à être de plus en plus déclaré l'adversaire et le but des coups de Lord Palmerston. Je n'y perdrai pas. Je vous voudrais cette chaleur là quand vous serez à Aix la Chapelle. Je suis convaincu que là, et quand vous prendrez des bains, elle vous serait bonne. Nous avons eu ici hier soir un violent orage. Adieu, adieu. G.
Je reçois ce matin une lettre avec l'adresse de la main de Marion. Je l'ouvre croyant qu'elle m'écrit pour me parler de vous et m'indiquer quelque chose à fair pour l'aider à aller avec vous. Pas du tout ; c’est son père qui m'écrit pour me parler du free trade, de Mad. de Staël, de Cicéron et de St Paul.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Samedi 29 Juin 1850

Ce n’est pas Aix-la-Chapelle. C'est à Ems que je vais en droiture. Je voulais partir ce soir. Je remets, car il ne fait plus si chaud, et une nuit gâtée peut me fatiguer beaucoup. Ce sera demain matin ou lundi. Adressez toujours ici jusqu’à nouvel avis. Je n'ai qu’un mot de Greville qui convient que le discours de Palmerston a été superbe et qu'il a produit un prodigieux effet. Cependant il ajoute, que le fond manque, & que ce n’est pas du tout une réponse à Graham. En somme Il regarde tout ceci comme d’un effet important & dangereux pour la politique de son pays. Voyons Peel ! Aurait-il parlé ? & qu’aura-t-il dit ?
Hier la journée prise par les adieux, que suis restée toute fatiguée. J'ai reçu Duchatel qui avait passé cinq jours à la campagne. Il ne savait rien. Montebello hier a voté aussi contre la loi des Maires. Il ne dit pourquoi, je l'ai oublié... Je crois que c’était pour ne pas diviser la majorité. Le président est de bonne humeur. Il a donné à dîner aux Normanby avant hier. Mardi Lahitte les fait dîner chez lui. Hubner est parti hier soir pour Vienne. Il est venu me dire adieu très abruptement. 2 heures Ellice d’hier soir. Situation de plus en plus tendue & périlleuse. Beau discours de Gladstone & autres. Les grands n'ont pas encore pris la parole. Peel. John, Disraeli, Cobden. Bright. Le débat ira jusqu'à lundi probable ment. Les chances de bonne majorité diminuent à moins de 37 les ministres se retirent. On dit que les Peelistes font des arrangements avec les protectionnistes, pour le cas où les princes seraient appelés au pouvoir. 1ère condition. Pas de dissolution. Mon opinion est qu’on ferait un ministère mixte. Peelistes & Whigs modérés. Ou bien Protectionnistes modérés, s'il y en a et toujours les amis de Peel ! Que Wellington s'en mêlera. Nous verrons. Toujours c’est bien gros, et peut devenir bien grand. Greville m'écrivait du 27. Ellice du 28.
En sortant de chez le duc de Cambridge jeudi la reine a été frappée au visage, par un officiel en retraite avec la canne de cet officier. Elle a paru à l'opéra le soir, grand enthousiasme pour elle.
Les radicaux veulent donner un grand dîner à Palmerston à un des grands théâtres. Tout cela c'est la révolution. Il faut l’arrêter à temps, & c'est ce qui me fait croire au changement de ministère. Viel-Castel et Kisseleff chez moi ce matin de bonne heure. Mareschalchi parle aussi de déconvenue possible pour le g[ouvernement] mais il n’est pas aussi explicite & détaillé qu’Ellice. Il finit en me disant souligné I think there must be change. Adieu. Adieu. N’est-ce pas triste de partir à la veille de mon triomphe ? Mais vous voyez bien que cela entraîne trop loin ce n’est que le télégraphe de Mardi qui annoncerait le vote. Je ne partirais donc que Mercredi. Trop long. Je suis emballée. Adieu. Ecrivez toujours ici.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Samedi le 6 Juillet 1850
Midi

Si je reviens jamais à Paris, je suis bien décidée à n'en plus sortir. Quelle histoire que celle de mon voyage, & quel début à Ems. Arrivée hier soir bien fatiguée J’ai passé deux heures allant de porte en porte demander un gite. Pas un. Nulle part, une chambre. Enfin dans une tabagie à côté de buveurs, une pièce avec deux lits moi & ma femme de chambre. Pas un domesti que dans la maison. Mon fils mon docteur, mes trois domestiques chacun éparpillé dans des granges. Je ne sais où. La perspective de m’en retourner aujourd’hui à Paris. Enfin depuis une heure on m’a trouvé quelque chose de bien mauvais, mais enfin je suis logée avec mon monde. Un immense rocher derrière moi et une jolie vue en face.
Je suis très abîmée du voyage et des agitations de tout genre. Ainsi hier l’université de Bonn avec moi sur le bateau. Chantant d'atroces chansons. Ah le vilain pays. J’avalerai Ems pendant 3 semaines ou 4. Et puis bon jour, on ne m’y rattrapera plus. Je verrai aujourd’hui le médecin du lieu pour régler mon régime. Je serai bien docile. J'essaierai de croire qu’Ems m’aura fait du bien.
J'ai bien à rattraper. Pas une âme de connaissance dans une énorme liste d'étrangers ainsi la solitude dans la foule. Je vois Londres & Paris comme dans un nuage, bien loin, bien loin. Pour tout ce qui n’est pas affection la distance est mortelle, l’intérêt s'en va. Si je reprends des forces je recommencerai à y penser. Mon fils me quittera dans très peu de jours. Je n'ose pas le retenir. Ceci est trop ennuyeux. Je vais bien vous ennuyer aussi. Qu'aurai-je à vous dire ? Les lettres partent d'ici à 8 h. du matin. Il faudra donc toujours qu’elles soient écrites de la veille. Je vais voir comment m’arriveront les vôtres. Je n'ai rien trouvé, la poste entre à 6 h. du soir. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Lundi 8 Juillet 1850

Enfin deux lettres de vous du 3 & du 4. Une d’Aberdeen du 5. Le plus vif chagrin. Perte nationale. Ressentie par la nation toute entière, depuis la Reine jusqu'au laboureurs. Jamais ou n’a vu un deuil un chagrin aussi général. Le plus grand homme qu’ait eu l'Angleterre, & pour Aberdeen un ami de 50 ans. Il n'a pas cœur à me parler d’autre chose, ni à spéculer "on the probable consequences of this calamity in our political combination. The session of Parliament will be brought to an early termination." Vous voyez par les journaux toutes les démonstrations. Certainement tout cela prouve que vous et moi nous le mettions un peu au dessous de son mérite. Il n’y a rien à dire devant une opinion aussi universelle. Toutes mes autres lettres d'Angleterre me manquent. J’ai vu hier la duchesse d’Istrie & les deux petites princesses de Beauvale, celle qui est fille du Duc de Mortemart est fort gentille. Mon fils me quitte demain. C’est un grand chagrin pour moi. Aujourd’hui j’ai commencé à boire, par un temps pluvieux, & froid. C’est du guignon. Ah qui je vais m'ennuyer !
Je trouve bien bonne la dernière partie de votre lettre au sujet de l’institut. Je crois que les mois prochains vont être bien fades. Si les vacances de l’Assemblée sont longues il y aura de quoi s’endormir. Ici c'est l’occupation obligée de tout ce qui marche sur deux pieds. Vous ne vous figurez pas l'ennui de ce lieu. C’est pire que ce que j’avais craint. Adieu de peur de trop. vous faire goûter les plaisirs d’Ems. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 9 Juillet 1850
5 heures

Je partirai demain de bonne heure pour Trouville. Pas avant la poste pourtant ; je veux avoir ma lettre. Mais je n'aurai guère le temps d’écrire. J'écris donc aujourd'hui. Je me suis beaucoup promené ce matin. Mon mal de tête est à peu près dissipé. Mais je n’ai pas plus de nouvelles à vous mander.
Avez-vous remarqué la lettre de Vienne dans le Journal des Débats d’hier lundi ? Je ne veux pas croire que l' ouvrage d’un port à l'embouchure du Danube puisse être entre vous et l’Autriche, une affaire sérieuse. Voulez-vous réellement que l’Allemagne se réorganise et se raffermisse ? Ou ne seriez-vous pas fâchés que son état d’anarchie et d'impuissance se prolongent ? Ce serait de là bien petite politique. Les plus grands s’y laissent quelquefois aller.
M. de Meyendorff va-t-il, ou non à Vienne ? Je le voudrais partout, tout son esprit me paraît bon. L'affaire danoise n'existe-t-elle vraiment plus qu'entre le Danemark et les Duchés ? Si la Prusse en est réellement sortie, il est impossible qu’elle ne finisse pas bientôt. Vous voyez qu'aux nouvelles je substitue les questions. Vous reviendrez d'Ems bien forte sur les affaires allemandes. Vous avez beau être Allemande et Russe ; ce ne sont pas ces affaires là qui vous intéressent le plus. Quand la France ou l’Angleterre ne sont pas en scène vous êtes bien tentée de vous endormir, soyez tranquille ; la France et l'Angleterre ne sont pas près de vous laisser dormir. Dalmatie, St Aignan et Mornay, qui reviennent de St. Léonard ont trouvé la Duchesse d'Orléans moins crispée, et plus abordable.

Mercredi 10, 8 heures
Pas de lettre encore aujourd’hui. C’est trop fort. Je m'en prends à la police allemande, nassauvienne, prussienne, n'importe laquelle. Je ne veux pas croire à quelque accident. Mais je suis très impatient, pour ne pas dire mieux. Adieu, Adieu. Je reviendrai ici ce soir attendre la poste de demain.
Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 10 Juillet 1850

Votre lettre hier est intéressante sur Paris. Elle confirme tout ce que je pense, c’est que bon gré malgré tout tournera au profit du Président. Il est là pour aussi longtemps qu'il lui plaira. Eh bien qu'il fasse de bonnes choses. Deux tiers des électeurs de Paris éliminés, quelle bonne affaire. Voyons la loi sur la presse. Elle passera j’espère, malgré l'humeur des journaux. Voici enfin Ellice, & je vous engage à l’étudier, cela en vaut la peine. Quelle journée hier ! De la pluie tout le long. Personne que le Prince Paul pendant une demi-heure. C’est à pleurer. Je suis au bout de la ville. Ainsi pas même la récréation des passants, d’un peu de bruit, rien, rien du tout. De hautes montagnes couvertes de nuages. Je m'attendais à bien de l’ennui. Ceci surpasse de beaucoup mon attente, comment arriverai-je au bout des quatre semaines ? Je bois, & aujourd’hui je commence les bains. Le temps y est très peu favorable. Jusqu’ici & me voilà au quatrième jour des verres d’eau, je ne sens d’autre effet qu’une grande lassitude. Un affaiblissement général. Si c’est là ce que je suis venue chercher, il ne valait pas la peine de faire ce long voyage. J’étais bien assez faible à Paris. C’est le Médecin du coin qui règle mon régime.
Marion m’a envoyé la correspondance dont parle Ellice. C’est en effet une lettre pleine de reproches, & de flatteries de la part lady Palmerston. Reproches des critiques d’Ellice sur Palmerston. La réponse d’Ellice est très franche, il déteste la politique révolutionnaire du [f. o.] et condamne tout à fait la marche suivie par le [gouvernement] tout entier dans cette discussion. C'était le 21, lendemain du jour où Lord Russel avait fait fi de la chambre des Pairs, & des grandes puissances. Enfin, sa lettre est parfaitement dans la vérité en même temps que convenable. Peel ayant disparu, je suis bien portée à croire que le seul homme considérable en Angleterre reste lord Palmerston. Au besoin l’autre l’aurait contenu, dominé. Aujourd’hui il reste sans frein, sans contrôle. Je crois que l'Angleterre ira mal. Qu’en pensez-vous ? Adieu, adieu. Quel ennui que l'absence, quel ennui que l'ennui. Adieu. Adieu. Quel bon article sur Peel dans les Débats de dimanche, par Lemoine !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Vendredi le 12 Juillet 1850

Le froid continue, les averses aussi. On me fait prendre les l'eau cependant, & boire de l'eau. Cela ne me fait ni bien ni mal. Je me lève à 6 heures. Je me couche à 9. Je voudrais bien me coucher plutôt, car je meure d'ennui. Rothschild. Ma seule ressource ! Une demie heure tous les jours.
J'ai eu une lettre de Beauvale. Il me dit que John Russell a beaucoup baissé & Palmerston grandi. Aujourd’hui le Roi des radicaux, fausse position, car à l’intérieur il est bien moins radical que John. Les choses ne resteront pas comme elles sont mais personne ne devine quelle tournure elles vont prendre. Londres se disperse, & le parlement va se proroger. Montebello me tient un peu au courant de l'Assemblée. Il m'écrit de son banc et me divertit beaucoup.
Vos extraits de Londres & de Paris sont curieux. Tout cela tend à devenir de la grande politique ou plutôt de grandes affaires sérieuses. Nous verrons.

3 heures. Il y a eu des petits Princillons que j'ai connus jadis. Mari & femme, Prince régnant de Lippe, de Hambourg, Bukebourg. C’est bien long. Plus long que leurs états. Ils sont venus me relancer et comme je suis polie j’ai été leur rendre leur visite. Un Chambellan au bas de l’escalier. Le Prince en haut, la Princesse devant le vestibule. Des questions sur Paris. le général Changarnier a dit-on fait un superbe discours. J’espère que la comtesse de Chambord n’est pas grosse. Charles X se porte mieux à ce qu’on dit. Voilà exactement ma Princesse régnante. Ah quel lieu que cet Ems ! S'il y avait ici seulement la moitié du plus insignifiant de mes visiteurs du Dimanche ! Voyons, la moitié de M. de Flamarens ou de M. de Mézy. Adieu, Adieu. La pluie a cessé depuis un instant. C'est une nouvelle. Adieu encore.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, samedi 13 Juillet 1850
9 heures

Que je suis heureux ! Trois lettres à la fois, des 6, 7 et 8 ! Mais c'est égal ; je ne veux pas de ce bonheur-là ; je le paye trop cher. Je suis au supplice depuis quatre jours. Tout possible, tout, quoique vous ne montiez pas à cheval. Enfin, c’est passé. Vous n'êtes que mal logée et ennuyée. Je n'ai, en ce moment, nulle pitié de vous. Elle me reviendra. Mais il faut absolument qu’Ems vous fasse du bien sans cela, la duperie serait vraiment trop grande.
Essayons de parler d'autre chose. J’avais tant de choses à vous dire ! Vous en perdrez beaucoup. Point par votre faute, j'en conviens. Je soupçonne la poste allemande d'être beaucoup moins exacte et beaucoup plus curieuse que la nôtre. Quand on fait un mauvais coup au moins faut-il le faire vite et sans trop déranger les gens.
L'assemblée se prorogera sur une pauvre impression. Brouillée du dehors avec le public qui parle, et quasi brouillée, au dedans, sur tous ses bancs. Je ne serais pas surpris qu'en fin de compte la loi sur la presse fût rejetée. Elle est devenue absurde. Tracassière et inefficace, c’est trop de moitié. Les légitimistes ont eu, dans ce débat, des inventions pitoyables. Ce qui me frappe de plus en plus c’est la pauvreté et la stérilité d’esprit. Partout, plus ou moins.
Palmerston a eu beau avoir du succès ; son discours est commun, très commun, infiniment au-dessous de la situation et des sujets. Mettez bout à bout huit ou dix articles du Siécle français et du Dayly news anglais sur les questions grecque, suisse, italienne, turque, française ; vous aurez ce discours là, et au moins aussi bien. Ce n’est pas la peine d'être Ministre de la Grande Bretagne et d'avoir le diable au corps pour parler comme les journalistes radicaux écrivent. Et il faut que le public de la Chambre des Communes soit lui-même bien descendu pour se contenter et se ravir à si bon marché. Je vous dirai que c'est là, à mon avis, un symptôme assez inquiétant sur l’Angleterre ; si le parti qui trouve tout cela beau et bon reste ou devient tout-à-fait le parti dominant, vous verrez là toutes les sottises du continent. Je compte un peu sur l’autre parti et beaucoup sur le bon sens et la droiture du public anglais qui ne parle ni n'écrit.
Je reviens à notre assemblée. Elle va donc se proroger, peut-être pas pour bien longtemps. On m'écrit : " Nous ne ferons rien demander par les Conseils généraux ; il y aurait trop de divergence, et cela ferait trop bien les affaires du Président. Diviser la majorité et donner la chasse aux légitimistes, voilà la tendance actuelle, à laquelle ces derniers ne se prêtent que trop. On craint que les votes des conseils généraux ne soient ou présidentiels ou légitimistes. Je crois pour ma part que l'on fait trop d’honneur à notre magnanimité, et qu'en lui donnant le plus grand essor possible, elle n'irait pas au delà d’une révision de la Constitution par voie régulière. Mais à quoi bon ? Et que peut-on faire de cette constitution là sinon de la jeter au feu ? " Vous voyez que les uns prétendent, et que les autres espèrent bien peu.
Autre lettre : " Les légitimistes de l'Assemblée commencent à se demander s’il ne vaudrait pas mieux ne pas voter le budget, avant la prorogation, et se borner à voter les contributions directes comme l'an dernier, pour donner aux conseils généraux leur travail mais réserver le vote du budget des dépenses pour le retour de l'assemblée afin de ne pas faire un lit trop commode au Président, s’il avait quelques velléités pour cet été."
J’ai tout le détail des conversations de Dalmatie, Mornay et St Aignan à St Léonard. Ils sont les derniers revenus. La Duchesse d'Orléans plus traitable, comme plus inquiète. N'évitant pas, provoquant au contraire la conversation : " Vous m'avez dit bien des choses qui m’ont donné à réfléchir. M'avez-vous tout dit ? Dites-moi tout. Vous m’avez parlé de quelque chose à faire ? Qu'entendez-vous par là ? Que faut-il faire ? " De l'humeur contre moi : " M. Guizot veut qu’on se rende à ses idées. Il est bien décidé, et bien pressé. " Même langage du Roi, plutôt moins net et moins explicite. Au fond, même situation.
Je commence à peine à causer avec vous. Pourtant il faut finir. A demain. Je compte bien sur une ou deux lettres. Adieu, adieu, adieu. Il fait beau, et bien plus beau au dedans qu’au dehors. Je me promènerai en respirant au lieu de me promener en étouffant. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 13 juillet 1850

Enfin lady Allice & Marion. La première entre dans beaucoup de détails. Elle était auprès de Sir [Peel] après son accident. On ne voyait pas de danger. La veuve dans le plus affreux désespoir, elle est à Marble Hill chez Lady Allice. Le mari est exécuteur testamentaire avec Goulbourne. Peel a laissé tous ses papiers, tous ceux qui doivent être publiées à Lord Mahon, & M. Cardwell. Le fils aîné est arrivé après la mort. Il se conduit à merveille et montre beaucoup de bons sentiments. La reine a beaucoup pleuré, et pendant les premiers jours, elle n'a pas dîné avec son service. Lady Allice dit que maintenant on renversera plus aisément le gouvernement. Mais elle ne dit pas qui le remplacerait. Le Roi & Palmerston a écrit de sa main une lettre très touchante à Lady Peel. Voilà à peu près tout ce qu'elle me dit. Marion dit, que si on se débarrassait de Palmerston. Graham & autres Peelistes pourraient se réunir au gouvernement actuel et le faire durer jusqu’à la fin du Parlement. Autrement le Ministre tombera et les Tories entreraient au pouvoir entraînant avec eux Gladstone & autres. C’est son oncle qui lui mande cela.
Il pleut toujours. Suis-je malheureuse ! La Princesse régnante est venue me voir. Impayable. Curieux, de tout & de moi surtout. Ne sachant absolument rien. C’est risible. Quel petit pays que l’Allemagne. Son mari s’est retiré de l’Union. Il n' a plus guère que les princes de la Thuringe qui y soient restés. On me dit que le Parlement va ériger un monument à Peel, à Westminster. Je ne crois pas que cela ne soit jamais fait ? Adieu. Adieu. Votre lettre hier ne me disait rien. Vous aviez l’air d’être à Ems ! Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 14 Juillet 1850
Sept heures

C’est un plaisir charmant de vous écrire le cœur content. Je puis enfouir bien des choses dans mon cœur sans qu’il y paraisse mais c'est un poids bien lourd.
Nous ne nous sommes pas trompés sur les défauts de Peel ; mais nous n'avons pas prisé assez haut ses qualités, ces deux-ci surtout, son indépendance de tout esprit de parti, et sa préoccupation de la justice envers le masses et de leur sort. C'est là ce que l’a fait grand en lui faisant faire à tout risque, de grandes choses, et ce qui lui vaut aujourd’hui le respect et la sympathie de tout un peuple. Il s'est dégagé des liens qui enchaînent en général les hommes politiques, et il s’en est dégagé pour donner satisfaction aux besoins du peuple, sans s'inquiéter des nécessité du gouvernement. Et il a fait cela en étant un conservateur, un homme d’ordre et de politique sensée et régulière Conduite grande et originale, quoi qu’il n’eût pas dans l’esprit beaucoup d'originalité ni de grandeur.

10 heures
Votre lettre du 9 m’a interrompu. Je ne m’en plains pas. J’ai beaucoup à vous dire encore sur Peel. J'y reviendrai. Je reçois une longue lettre de Lord Aberdeen revenant de Drayton. « It was a sad ceremony ; and to witness the change in that happy résidence, in which I had experienced so much friendship, and had seen so much wisdom, prudence, and integrity of character, required more philosophy than I possessed. " Des détails sur le sentiment public envers Peel. Puis ceci : " His last speech was most important. It was made reluctanly and he greatly dreaded the defeat of tre Govern. ment. From his previous silence, had it not been delivered, the government could have maintained and the public would have believed that he approved of their foreign, as well as of their domestic policy. His manifest reluctance and the moderation of hir manner rendered his censure most effective. " Discussion toujours profonde, quoiqu'avec moins d’aigreur, dans le parti conservateur ; pas de conciliation sur les questions de free trade. Conclusion : " Radicalism is here in the ascendant ; but I am inclined to think that there will be more prudence than we have lately witnessed, abroad. "
Autre lettre intéressante de Mistriss Austin " Lord John's speech was far worse than Lord Palmerston's, and calcutated to do great mischief. Every body speaks of Lord Palmerston's as the most wonderful effort of oratory, considering his age, the heat, and all there was to [?] his difficulties. During five hours, he never faultered, never recalled a word never drank a drop of water, and left off with the very same intonation of voice as he began with. How lamentable that such powers are se employed ! People seem to think that in spite of the " triumph " of tne government, the system of foreign policy has received a severe and salutary, check and that even he will not risk another such struggle. If there were any bounds to human credulity, one might be amazed at hearing sensible men (as I did) talk of " all this being the result of a conspiracy. " I asked in vain what means you, and M. de Metternich, and Princess Lieven, possessed of influencing the mind and opinion of the English - for I maintain that the public was against the government. Nobody can answer. Yet they continue to assert it. We are very much ashamed of the vulgar blustering tone of the speacher en that side." Elle est liée avec Cobden, Sir W. Molesworth, tous ces chefs radicaux qui ont parlé et voté contre Lord Palmerston, malgré leur peuple. Voilà l'Angleterre. Demain, je vous enverrai de la France.
J’ai, ce matin, de Paris, de bonnes nouvelles de vous, par Kisseleff. Votre fils Alexandre était arrivé. Adieu, Adieu, Adieu. Vos lettres arrivent affranchies. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Lundi 15 juillet 1850

Je me sens tout-à-fait malheureuse de votre inquiétude. Car je sais bien que dans un cas pareil j’aurais fait mille sottises comme de me jeter à l’eau par exemple, ce qui empêcherait les autres. J’ai pris tous les renseignements possibles. D'ici mes lettres sont certainement parties. Mais la poste Tour & Ta[?] a ses agents partout, & par curiosité comme par calcul, ils font quelques fois passer les lettres par Mayence & Francfort, et il se peut que des lettres d’ci mettent quatre jours pour aller à Paris. Cela expliquerait comment le 11 vous n'aviez pas encore ma lettre du 6. Cependant non, voilà plus de cinq jours. Enfin que faire. Moi je n'en sais rien. Un jour vous recevrez douze lettres à la fois. Je plaindrai les onze lettres. C’est assez parler de nos ennuis. Le beau temps est revenu. Je suis toujours bien ennuyée & bien docile. L'effet des eaux est une lassitude, & somnolence excessive, et puis des douleurs de jambes et d’estomac, on me dit que c’est très bon. Qu’en pensez-vous ? Moi je crois que je devrais cesser. Je crains un coup d’apoplexie. Vous me reconnaissez là.
Je ne sais que penser de la loi sur la Prusse. Je vois que le Journal des Débats prend le mors aux dents, je vois que la Prusse en prend son parti, qu’est-ce que ce revirement extraordinaire. Venez à mon aide. J’ai fort aimé ce que M. de Laboulis a dit dans la séance de jeudi. Mais je vous parle de choses qui seront bien vieilles & oubliées quand vous recevrez ceci. Je m’avise de proposer à lord Aberdeen de venir ici vous rencontrer pour le 1er ou 2 août. Quelle idée ! Pourquoi pas ? Viendrez-vous toujours et quand à peu près. Ma cure complète finit le 5 août, il faut deux jours de repos et puis je pars. Je ne sais pas du tout ce que je ferai du reste de l’été. Mon fils aîné passera le mois d'août à Paris. Mais quel vilain mois pour y rester. Je n'en serai pas capable. Hier je n’ai pas vu une âme mais le temps était superbe. J’ai bien fatigué mes chevaux. Adieu. Adieu. Adieu.

Comme je trouve inconvenant de n’avoir offert à lady Peel que ce qui a été fait pour Mme Canning ! Manque de tact. En tout cas elle eut refusé. La prévoyance de Peel ajoute encore à la popularité de sa mémoire. Grand homme, grand démocrate. Il restera désormais le héros de la démocratie. Au temps qui court l’effet ne sera pas bon pour la upper house.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems Mardi 16 juillet 1850

Je deviens décidément unitaire allemande. Si l’Allemagne était cela, mes lettres vous arriveraient. Tous les petits états se passent leur fantaisies, c-à-d. que l’administration va comme il lui plait. Les postes ne sont pas réglées. Que faut-il faire ? Je n'en sais rien. Mes lettres m’arrivent, les journaux aussi, mais ce qui part d'ici n’arrive pas. Je vous ai écrit un mot par Strybon sans l’affranchir, peut être cela ira-t-il mieux. Je m’en vais remettre ceci à Rothschild. J’essaye de tout. Quel ennui. Vous, inquiet. Moi sans nouvelle. Car vous ne voulez plus rien me dire. Voici quatre de vos lettres sur une demi page pour vous inquiéter et vous plaindre. Je n’ai pas de lettres d’ailleurs ainsi pas un mot à vous dire, puisque je n’ai pas même à vous répondre. Je vous répète que je vous ai écrit tous les jours, tous les jours. Voici ma douzième lettre d’Ems, car je vous ai déjà écrit ce matin. Si je vous avais là que de choses à nous dire que d'observations à nous communiquer sur ce qui se passe.
Je pense toujours beaucoup à Peel. Décidément un grand caractère. Sa volonté d’outre tombe vaut mieux que tous les volumes de M. de Chateaubriand. Il veut que sa postérité reste roturière. C'est bien de l'orgueil. Cela plaira à tous les démocrates dans le monde. Je vois d'ici les grimaces de la belle marquise. Les Canning n'ont pas su faire cela. Mais encore les fois quel manque de tact d’offrir à la famille Peel la même chose, pas plus, qu’on n’avait offert à la veuve Canning. Canning beau parleur rien de plus. Belle comparaison ! Adieu car il faut finir. Quand me direz-vous que vous avez reçu mes nombreuses lettres où même une seule ! Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Lundi 22 Juillet 1850
6 heures

Décidément, tout calcul fait, je dois recevoir aujourd’hui votre lettre délivrée de mon inquiétude. J’en suis presque aussi impatient que vous l’avez été vous-même.
J'ai reçu hier aussi le petit mot envoyé à Strybes. Je ne sais plus où j’en suis resté avec vous sur sir Robert Peel. J’ai été interrompu un jour où je vous parlais de lui. J’avais mille choses à vous en dire qui me reviendront. Sa grandeur actuelle est très grande. Un doute reste sur sa grandeur future. Si son pays et son gouvernement demeurent intacts, si cette belle organisation sociale se modifie, sans se briser. Peel grandira encore, car il aura eu raison dans ce qu’il a fait ; il aura bien jugé de la portée de ses réformes puisqu'elles n’auront pas ébranlé les fondements de l’édifice, si l’édifice tombe si l'Angleterre aussi entre en révolution, Peel descendra comme son pays car il aura fait ce qu’il ne voulait pas et ses réformes auront commencé les révolutions qu’il se promettait d'écarter. La question est là pour lui. Je ne la préjuge point. Je ne vois pas clair dans cet avenir. A vrai dire j'espère plus que je ne crains. Je crains pourtant. Reeve m'écrit : " Sir R. Peel a laissé des écrits considérables sur l'histoire de son temps et il a nommé Lord Mahon et Cardwell ses exécuteurs littéraires (vous le saviez). Ces écrits doivent être livrés à la publication puisqu'il a déclaré que les profits qu’on en retirerait seraient au bénéfice du Literary Found. Il paraît que, depuis trois ans c'était là sa principale occupation. On sent tous les jours davantage la place immense qu’il remplissait dans ce pays ; mais depuis sa mort les whigs sont devenus sinon plus forts, du moins plus inévitables. Lord Palmerston paraît très disposé à profiter de la dernière leçon qu’il a reçue ; il renonce the Devil and all his works, et jure qu'on ne l'y reprendra plus. Sa conduite dans l'affaire danoise est devenue tout à coup excellente et très ferme. Sans attacher à ces manifestations plus de prix qu'elles ne méritent, il est sage, je crois de les accepter comme si elles étaient les fruits d'une conviction. "
Mêmes nouvelles de Paris. On ne songe plus qu’à s'en aller. On s'en ira du 8 au 10 août. Je suis assez curieux de la commission permanente qui sera nommée aujourd’hui. Piscatory m'a écrit qu'il n’en voulait pas être. Il prévoit qu’elle pourra se trouver, dans une situation embarrassante. Peut-être eût-il eu quelque peine à en être nommé, si la liste que j'ai vue dans mes journaux d’hier, comme arrêtée par la réunion du Conseil d'Etat est authentique, elle est faite en méfiance du Président, et pour le surveiller en effet. Les républicains et les légitimistes y sont nombreux. L'assemblée a certainement perdu dans ces derniers temps. Mais peu importe elle est comme le Président ; ils peuvent perdre impunément l’un et l’autre ; ils sont, l'un et l'autre, le rempart contre l'anarchie, et il n'y a pas de rechange
L'article sur the Austrian révolution dans le Quarterly review est de Reeve. Il mérite que vous le lisiez. Rien de neuf ; mais un bon tableau des faits de Vienne ; clair et d’un bon effet. Je suppose que M. de Metternich en est content. Mais avez-vous à Ems le Quarterly ? [...]

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Ems le 23 Juillet 1850

Votre lettre ne me donne rien à répondre. Je n’ai pas de lettre d’ailleurs, les journaux sont stupides, & je le deviens. L'année va je crois finir paisiblement. certainement il y a progrès vers le bien partout. Et les rouges sont matés il faudrait bien des fautes pour qu’ils reprissent courage. Il y a beaucoup de nouveaux arrivés ici hier du Lobkowitz, des Windiesch-Graetz ; mais je ne les ai pas vus Je vous ai dit que je ne vais pas là où l'on se réunit, Maintenant voici la rage des parties. Cela ne me va pas non plus. J’aime ma routine.
La Princesse de Prusse cherche à attirer le monde. Aujourd’hui même elle vient tout près d'ici et on recrute pour elle des rencontres. Constantin a refusé net. Il ne veut pas la voir. Elle est trop ridicule et trop anti-russe. Si je pouvais la voir commodément cela m'amuserait assez mais Constantin me dit qu'à Pétersbourg on me saura plus de gré de ne pas la voir que de la rechercher. Ma nièce me plait davantage. D'abord elle est grande, ses yeux sont beaux, elle plait à tout le monde. Les petites princesses de Beauvais, qui sont toutes deux ses cousines en raffolent. Elle sait causer un peu de tout. Elle a de l'aplomb et de la modestie, de beaux cheveux, une jolie main, un teint magnifique. Elle tiendrait très bien ma table de thé. La Princesse [Crasalcovy] est ici avec deux perroquets. Elle a rencontré tout à l'heure chez moi le Prince Windischgraetz, celui qui a été blessé le jour même où on a tué sa mère. Joli jeune homme, mieux que les Viennois ordinairement. Thiers veut aller à Bruxelles chercher quelques renseignements historiques auprès du Prince Metternich. Voilà le temps chaud rêvé. Je me barricade.
Vous voyez que je ne vous dis que des bêtises. Un mot sur les Princes de l’union, le frère du Prince Albert à la tête. Quand la révolution a éclaté partout, ils ont renoncé volontairement à leurs douaires & les ont cédés à l’état contre une liste civile quelle conque. Mais le Saxe entre autre avait stipulé une clause, c’est que s'il venait à renoncer à la souveraineté les biens lui seraient rendus. Et bien aujourd’hui ils veulent tous être médiatisés, incorporés à la Prusse pour recouvrir leur argent. Voilà où en sont les princes de la Thuringe & ce qui les fait persister dans l’union. Vous voyez que je deviens savante peu à peu. Adieu. Adieu. Envoyez-moi mieux que je ne vous donne.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Mercredi 24 juillet 1850
7 heures

Partant dans quatre jours pour aller vous voir, il me semble déjà que ce n'est plus la peine de vous écrire. D’aujourd’hui en huit, nous causerons, s'il plaît à Dieu comme disent toujours mes amis anglais, qui ont raison. Certainement, nous avons beaucoup à nous dire ; il n’y a point de temps si stérile en événements qui le soit, entre nous, pour la conversation. Et puis, on appelle aujourd’hui stérile toute semaine qui n'amène pas quelque grosse chose. Je me défends de cette disposition qui est, au fond, celle qui fait faire, de nos jours, tant de sottises. Je tâche de ne pas m'ennuyer de ce qui dure et de contenter ma curiosité à meilleur marché que des révolutions.
J’ai des nouvelles de Rome. Le Gouvernement du Pape ne s’y rétablit guère ; mais l'ébranlement s’apaise. On oublie le passé et l'avenir. On vit au jour le jour, en rentrant dans les anciennes habitudes. C’est un repos qui reste à la merci d'une poignée de conspirateurs et d’une occasion. Le Pape est dans Rome, mais Mazzini n’est pas vaincu. Il faudra que l’armée française reste là longtemps. Et quand elle quittera Rome elle restera encore longtemps à Civita Vecchia. Personne n’y pense et ne s'en soucie. Lord Palmerston aurait bouleversé, l’Europe pour me chasser de là. Peu lui importe que la République y soit. Il a raison. La République, pour garder Rome, n'en est pas plus puissante en Italie ; pas plus que la sentinelle qui garde la Banque n'en possède les trésors. Quand les révolutions sont à la porte, les gouvernements ne sont plus que des sentinelles. La question italienne est insoluble. Autrefois, on se résignait aux questions insolubles ; on cessait d’y penser. Aujourd'hui, on ne se résigne à rien : on pense toujours à tout. Aussi la force matérielle doit être toujours partout. L’Etat de siège devient l'ordre Européen.

10 heures
La Commission permanente est nommée bien péniblement, et bien mêlée. L'opposition légitimiste et montagnarde a fait passer plusieurs des siens. Le gâchis augmente. La nouvelle querelle de Changarnier avec le Ministre de la guerre est encore replâtrée, mais cela ne peut guère aller loin. Le Président, ne pourra pas soutenir toujours d’Hautpoul.
Ce que vous me dites d'Angleterre me préoccupe. Si la Chambre des communes se met aussi à démolir son propre gouvernement, cela finira par mal tourner. Adieu, adieu. J’ai plusieurs petites lettres à écrire et mon facteur ne peut pas attendre longtemps aujourd’hui. Adieu G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris Samedi 10 août 1850

Il n’y a plus personne ici, et j’ai eu du monde hier tout le jour Dalmatie Mallac, Génie, Piscatory, des insignifiants. Rien de plus que ce que nous savons ; mais un sentiment général qu’il faudra absolument du nouveau l'hiver prochain, et que tout ce qui est est usé. Le banquet de l'Elysée fait encore assez de bruit. Changarnier et les officiers supérieurs étaient partis quand les sous officiers se sont promenés dans le jardin, en criant : " Vive l'Empereur ! Aux Tuileries ! Pas tous, à beaucoup près, dit-on, mais un certain nombre. Et on dit que ces banquets se renouvelleront au retour du Président que tous les sous-officiers de l’armée de Paris y seront successivement invités. Cela déplaît beaucoup aux Généraux. Changarnier pourrait bien interdire, aux sous-officiers d’y aller. Alors le conflit entre les deux. Evidemment la Camarilla du président se remue assez et voudrait se faire un parti dans l’armée. Si son voyage réussit, s'il est bien reçu par les populations, on s’attend à quelque chose. Je ne m'attends à rien. Et au fond, Piscatory, non plus, ne croit pas qu’il se fasse rien, quoiqu’il eût bien envie de croire qu’il se fera quelque chose. On dit qu'au retour de l’assemblée, les diverses réunions, Rivoli, Richelieu, & & se disloqueront que, dans toutes, les sensés et les fous sont las de vivre ensemble et veulent se séparer, que tous les partis sont en état de désorganisation. Je crois cela ; mais je crois que l'explosion et les conséquences de cet état se feront encore attendre longtemps. Un seul fait est certain c’est que pour le moment, les légitimistes sont en perte et les orléanistes en progrès. On fait toutes sortes de raisonnements fantastiques ; voyez l’Espagne pourquoi s’est-elle sauvée ? Parce qu'il n’y avait sur le trône que des femmes et des enfants. Plus les apparences, d’un gouvernement sont faibles, moins il y a de péril ; le peuple veut un gouvernement qu'il ne craigne pas, qu'il ne respecte pas, qui ait besoin de sa protection.
Savez-vous pourquoi vous êtes tombé sans être soutenu ? Parce que vous imposiez trop, parce que vous n'avez point de préjugés populaires. Si le Roi avait suivi, en 1840, la pente populaire, s’il s’était engagé n'importe dans quoi en harmonie avec les traditions de la révolution et de l'Empire, il serait arrivé on ne sait pas quoi, mais autre chose, quelque chose qui eût duré. J’écoute, je souris, j'objecte ; je finis par parler sérieusement, et on ne sait plus que dire. Les esprits sont bien grès de retomber dans les vieilles maladies ; mais les corps sont fatigués et impuissants.
J’ai passé près de deux heures à Bruxelles avec le Prince de Metternich. Grande satisfaction de me voir ; il voulait être plus que poli. Après lui, il a fallu entrer chez Madame de Metternich ; il m'y a conduit. Aussi gracieuse que lui, là, il a fallu m'asseoir. Des compliments et des questions sur mes filles, sur leur mariage ; on cherchait mes faibles pour entrer par là. Quand je m’en suis allé il m'a reconduit jusqu'au milieu de l'escalier. Il m'a même écouté en silence deux ou trois fois. Bonne conversation. Il m’a parlé de l’Autriche et de Thiers. Plein de confiance dans l’avenir de l'Autriche : " Les hommes qui gouvernent sont de braves gens, pleins de courage " sur quoi, il me raconte toutes leurs fautes, et les embarras qui résultent de leurs fautes. Mais tout va bien. Ce qu’il m'a dit de ses conversations avec Thiers m’a intéressé. Il a fini par : " Je ne suis pas Thiériste." Et alors une longue comparaison entre sa situation à lui Metternich, et la mienne, pourquoi, il ne retourne pas en Autriche, pourquoi je fais bien de rester en dehors de tout ; en quoi nous nous ressemblons et en quoi nous différons . Pour qu’il y ait vie, il faut qu’il y ait les conditions de la vie. Ce n'est pas la même chose d'être tout-à-fait vieux, et de ne l'être pas encore tout-à-fait & &. Il m'a amusé, et il s'est amusé. Adieu.
Mon fils vient de m’arriver. On dit qu’il y a ce matin, une séance publique de l'Académie française ; prix Monthyon, l'éloge de Mad. de Staël. J'irai peut-être, pour voir quelques personnes. Adieu, Adieu. J’espère bien avoir une lettre ce matin. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris, lundi 12 août 1850

Les Sainte-Aulaire ont été charmés hier de me voir. Ils m'attendaient au bord de la rivière que j'ai passée dans un petit bateau comme celui dont vous n'avez pas voulu sur le Rhin. Mais quand nous irons ensemble, nous n'userons point du petit bateau ; avec vingt minutes de plus on passe sur le pont de Corbeil. Rien que Mr et Mad. d’Harcourt, M. de Viel-Castel, M. Raulin, un M. de Kermarer, représentant et parent de Sainte-Aulaire, et moi. Amicale et agréable conversation. Il écrit ses mémoires avec passion. Elle a bien de l’esprit. Fusionniste, plus décidée que personne ; ne comprenant pas qu’on ne le soit pas si on est sensé et honnête. Ils sont bien établis. Ils resteront là jusqu'au 15 Janvier. Leurs enfants viennent alternativement leur tenir compagnie. Les d'Harcourt vont en Angleterre à la fin du mois, pour quelques jours le mari pour son héritage, la femme pour rendre ses devoirs à la Reine.
J’ai eu hier une longue lettre de la Reine, ancienne (25 Juillet) ; elle m'a été apportée par quelqu’un qui a fait de longs détours. A ce moment quoique après la fatigue de la première communion de M. le comte de Paris le Roi continuait d'aller mieux. Du moins la Reine le croyait et me le dit. Elle me remercie vivement de l’article de M. de Lavergne dans la Revue des deux mondes. Evidemment cela leur a fait un grand plaisir. Ils seront à Richmond samedi prochain 17.
J’ai oublié de vous dire qu’en passant à Bruxelles, j'ai redit au roi Léopold ma conversation chez vous avec le comte Chreptovitch. Vous vous la rappelez. Il en a été charmé. Van Praet m'a dit que le Général Skrinesky (est-ce le nom ?) n’était plus employé dans l’armée Belge. Il est en retraite. Ils n’ont plus dans l’armée que sept ou huit officiers Polonais dont il leur serait assez facile de se débarrasser. Il ne leur faut qu’une occasion naturelle, qui peut se présenter. Du reste, j’ai trouvé la Belgique, non pas agitée mais assez troublée de la retraite du Ministre de la guerre, retraite forcée par les susceptibilités et la mauvaise humeur de la garde civique de Bruxelles. Le 23 Février sans révolution. Il m’a paru que cela inquiétait les gens d'esprit. Là aussi, il y a de bien mauvaises idées et habitudes qui ne fermentent pas et n'éclatent pas tout de suite, comme en France, mais qui couvent et pourraient bien jouer quelque mauvais tour.
J’ai eu hier la visite de votre ministre des Finances, Achille Fould. Assez tranquille sur l'année 1851, sauf les trois derniers mois. C'est alors qu’il faudra prendre son parti. Le Président part ce matin. A tout prendre on croit que les manifestations favorables l'emporteront sur les manifestations hostiles. Je le crois aussi. Le second dîner militaire à l'Elysée (320 couverts, officiers et sous officiers, pêle-mêle, un choix dans deux régiments de ligne) a été plus tranquille que le premier à vrai dire assez froid. Je doute et on doute que cette pratique continue. Elle réunit médiocrement auprès des acteurs et déplait beaucoup au public spectateur. Je suis allé voir hier Kisseleff que j'ai trouvé sensé et content selon son usage. Il paraît croire d'après des nouvelles très récentes de Péterstourg que décidément l'Impératrice ira passer l'hiver à Venise. Il ne m'a rien dit de M. de Brünnow. Le Roi Othon a été très satisfait du résultat des débats de Londres. C’est à Athènes une reculade, avérée pour l'Angleterre et Lord Palmerston. M. Thouvenel a un congé de trois mois. Mais il reste Ministre à Athènes et en bonne position. M. Drouyn de Lhuys écrit que Lord Palmerston n’est pas reconnaissable, doux, patient, craignant les affaires. s'y prenant de loin pour les éviter et demandant qu'on l'aide à les éviter.
Adieu. Adieu. J’espère que vous êtes bien établi à Schlangenbad. Je pars demain soir pour Trouville. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, jeudi 15 août 1850 8 heures

J’ai passé hier au Val Richer où j’avais des papiers à prendre. Je suis ici jusqu’au 28 ou 30 août. Je serai bien aise d'être rétabli au Val Richer. Quand je ne suis pas avec vous, je ne me trouve bien que chez moi. Je ne suis pourtant pas mal accommodé à Trouville. J’ai un assez bon cabinet, et une petite chambre où presque rien, ne me manque du comfort devenu presque nécessaire. C’est beaucoup à Trouville, encombré de monde et dans une maison que mes enfants et leurs deux familles remplissent jusqu'au toit.
Bien peu de monde du reste qui vous convînt. Toujours le chancelier et Mad. de Boigne Dumon qui m'attendait et que j'ai vu hier mais qui va repartir Quelques Delessert que vous ne connaissez pas. Hors de là personne de notre société et même à ce que disent mes enfants, un peu de mauvaise compagnie. Dumon ne m’a rien appris. Il venait de lire une lettre de M. Molé, triste et découragé. Triste pour lui-même ; il s’aperçoit de son peu d'influence. Son été de la Saint Martin est passé. Personne ne fait plus guère attention à ce qu’il dit et à ce qu’il fait. Sans parler de ses peines de coeur dont il ne parme qu'à Mad. Kalerdgi et dont il ne lui parle même plus. Je doute de cela. Je parierais qu’il y est retourné. Il est en fait de fierté comme pour tout le reste, tout apparence, rien au fond. Le Duc de Broglie toujours aussi noir et sans avenir que jamais. Changarnier de mauvaise humeur et impatient. Un homme d’action qui ne fait rien, c’est une situation difficile à prolonger. Il est d’une commission de l'assemblée qui prépare une loi bonne, dit-on, sur le recrutement et l’organisation de l’armée. Lamoricière qui en est aussi y fait meilleure mine et y a plus d'influence que lui. Lamoricière a des idées à tort et à travers, et parle bien. Changarnier se déplait là. Ceci inquiète quelques personnes. Je vous ai redit tout Dumon. Je vous quitte pour aller faire ma toilette. La poste arrive ici à 10 heures et part à 2 heures. C'est mieux arrangé qu’à Ems.

Midi
Je reçois votre dernière lettre d’Ems et la première de Schlangenbad. Si Schlangenbad vous engraisse c'est bien ; mais je crains pour vous cette complète solitude. La Princesse de Prusse aurait mieux fait de rester. Si vous retournez à Ems comme vous en aviez le projet, pour voir la grande Duchesse, soyez assez bonne pour m'acheter deux garnitures de boutons de gilet, en pierres du Rhin, comme celle que vous m'avez choisie pour Guillaume. Huit boutons pour chaque garniture ; cela coûte 8 francs. C’est pour mes deux gendres. Les cailloux du Rhin ont été trouvés très jolis.
Le Journal des Débats donne bien des pièces de votre cour. Il les tient de la bonne source. Je suis bien aise que tous ces documents soient publiés. Il vous font honneur. Les pièces venues de Pétersbourg sont mieux rédigées que celles de Brünnow. Adieu. Adieu. Je regarde un peu à ces récits du voyage, du Président. Je vous en dirai mon impression. Adieu adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, Jeudi 22 août 1850

Vous rendez compte dans la perfection. Reste à mettre à sa juste valeur l'impression et le dire de vos deux interlocuteurs, vous feriez cela à merveille aussi. Si vous aviez vu vous-même. Pourvu que vous laissassiez aussi à votre propre impression le temps de s'apaiser et de le juger. En tout cas, ce que vous me redites est très curieux et très important. Et il y a au bout des paroles, un fait très significatif, l’attitude prise envers. M. de la Rochejaquelein. Le jour où les hommes sérieux et sensés dirigeront au lieu de suivre, le parti sera un parti politique. Cela lui a manqué jusqu'ici. Strasbourg et Wiesbaden, la rive gauche et la rive droite, étrange spectacle ! J'attends avec curiosité des détails sur le Président à Strasbourg. Je les aurai ce matin. Il ne me paraît pas que Besançon, ait été merveilleux. Je suis frappé de ce bal où le Président s’est vu obligé d'aller et dont il s’est hâté de sortir. M. de Montalembert devrait régner à Besançon.
J’ai fait hier ma course chez Mad. Denois par une tempête de pluie, en allant et une tempête de vent en revenant. Ce que c’est que d'avoir promis. Je ne puis souffrir de faire manquer ce que les gens ont pris peine à arranger. C’est un très joli cottage dans un joli pays un peu sauvage. De bons conforts et de beaux tableaux au au milieu des bois et au bord de la mer. J’ai assez conservé la faculté de prendre intérêt quand j'y suis, aux choses dont je ne me soucie pas du tout quand je n’y suis pas. Wiesbaden est très populaire dans cette maison-là. Ce qui n'empêche pas le Président d'y être populaire aussi. On voudrait bien l'avenir qui plaît mais à condition de ne rien risquer dans le présent.

Midi
Je ne m'étonne pas que Duchâtel n’eût rien à vous dire. Il paraît que Creuznach est un vrai trou. Thiers à Bade, Duchâtel à Creuznach pendant que le comte de Chambord est à Wiesbaden, et personne ne leur en demande raison. M. Royer Collard redirait bien encore : " pour M Guizot, on ne lui passe rien. " J’avais raison sur Besançon. Evidemment le Président n'y a pas été bien reçu, s’il ne l'est pas bien à Strasbourg, le voyage sera médiocre. On comptait beaucoup sur la Lorraine et la Champagne, Nancy, Metz, Châlon, Reims. Nous verrons. Ici c'est-à-dire à Cherbourg, il n’aura ni désagrément, ni grand agrément. On l’y attend le 4 ou le 6 septembre.
M. de Daunant m'écrit des Pyrénées où, il se promène depuis six semaines, qu’il n’y trouve pas l'ombre d'un rouge ou d’un socialiste. Rien d’ailleurs dans les journaux. Est-il vrai que Radowitz tombe tout-à-fait ? Adieu, Adieu.
Je voudrais, pour votre plaisir, que vous rencontrassiez votre grande Duchesse. Elle vous intéresserait quelques heures. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Schlangenbad vendredi le 23 août 1850

Le bon Fleichmann m'a quittée hier soir. Excellent homme, mais très [unitaire] beaucoup de détails curieux, très sensé et amusant. Le duc de Noailles me mande que Salvandy arrive Dimanche. Madame de La Ferté aujourd’hui. Tous les jours, foule nouvelle. Hier 60 nouveaux arrivés. Le duc de Noailles retourne à Paris Mardi. Il est très vraisemblable que nous ferons route ensemble. Mais je suis encore un peu flottante pour Bade. Aujourd’hui que j'ai bien dormi le courage me reprend. Mon incertitude me déplait pour vos lettres. Ce qui me paraît le plus sûr et que vous les adressiez à la rue St Florentin. Je donnerai là des directions pour le cas où je ne revienne. pas tout de suite. Voici ce qui est l'alternative. Je pars le 27 avec le duc septembre de Noailles, ou 7 septembre avec Paul Tolstoy dans ce dernier cas j'aurais fait ma [?] sur Bade.
Le temps est affreux toujours, j’ai eu bien du guignon pour ceci. La princesse Grasalcovitz va être ma seule ressource car je crois que le duc de Parme part aujourd’hui. Je suis curieuse de votre opinion sur le discours du Président. Je persiste à le trouver habile. On ne m'en dit rien de Wiesbade. Au reste je n’ai vu personne de là depuis et je n'ai eu qu’un mot insignifiant du duc de Noailles sur ces mouvements. Adieu. Adieu.
je n'ai rien du tout à vous mander de ces montagnes. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, Samedi 24 Août 1850

Je trouve les animosités des légitimistes entre eux bien vives. Ceux qui sont ici sont bien amers contre Berryer, tout en parlant fort légèrement de M. de La Rochejaquelein. J’ai peur que les défauts du caractère national, qui nous ont déjà coûté si cher ne soient encore plus dominants dans les légitimistes que partout ailleurs.
On me parle beaucoup d'un abbé Trébuquet (je crois que c’est bien le nom) qui a été dans l’éducation de M. le comte de Chambord, et qui est resté auprès de lui. C'est, me dit-on, l'influence la plus intime, et un homme de peu d’intelligence politique, plus étranger même que le gros du parti au monde réel et actuel. Pouvez-vous faire quelques questions à son sujet ?
Nous n'avons plus à voir que la fin du voyage du président. On dit qu’elle sera meilleure que le milieu. Je doute qu’elle change l'impression générale déjà produite, et qui n'est certainement pas très encourageante. Les choses ont paru telles qu'elles sont en effet ; la démagogie violemment ennemie ; les autres classes bienveillantes froidement et précairement sans confiance ou uniquement par un calcul momentané, si je ne me trompe le président et l’Assemblée se retrouveront au mois de novembre, l'un et l'autre plutôt refroidis qu’échauffés et sentant qu’ils ont besoin l’un de l'autre. Ni l'un ni l'autre ne feront d'évènement. Dieu leur en enverra peut-être.

Midi
Pas de lettre ce matin. C’est très déplaisant. Elle viendra peut-être plus tard dans la journée. Cela arrive quelques fois.
Je ne vois dans mes journaux que le voyage du président ; toujours très mêlé ; même des projets d’assassinat. A Strasbourg plus de mauvais que de bon. Que pense-t-il à présent de son étoile ? Adieu, Adieu.
J’écris en Angleterre par ma fille qui part aujourd’hui, à M. Gladstone, à Marion & Adieu. Je voudrais bien avoir ma lettre. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 11 Sept 1850,
8 heures

J’ai très bien dormi. J’ai besoin de me reposer. Je puis encore, quand je le veux, me fatiguer comme il y a douze ans ; mais j’en suis et j'en reste quelque temps fatigué. Plus j’y pense, plus ce que je viens de voir, et de faire, me paraît bon. Maintenant la bonne conduite doit conduire au succès avec un peu de bonheur pourtant, c’est à dire un peu d'aide de Dieu.
J'ai retrouvé à Paris, en rangeant mes papiers cinq lettres de moi à vous, le second voyage de la reine d'Angleterre au château d'Eu (septembre 1845). J'ai oublié de vous les rendre. Je les ai ici. Je viens de les relire. Quelle lanterne magique que le monde. Outre le malheur, il y a quelque chose qui me déplaît beaucoup dans ces brusques et continuels changements de scène ; c’est un certain défaut bien involontaire de dignité pour les acteurs. Si haut et si bas en un clin d'œil ! Tenir si peu et pouvoir si peu ! Des marionnettes, sans cesse remuées par des fils invisibles ; des plumes, dans l’air flottant en tous sens, sous des souffles inconnus. J'ai bien envie de finir comme Massillon commence son oraison funèbre devant le catafalque de Louis XIV : " Dieu seul est grand. "
M. de Witt est revenu de Cherbourg. Le Président mieux traité le second jour que le premier, et le troisième que le second. A tout prendre, accueil médiocre. La flotté très exacte, dans ses houras. (sept) au coup de sifflet, mais très froide. Les matelots Joinvillistes. Les officiers partagés, les uns Joinvillistes, les autres républicains. La population amusée, et indifférente beaucoup plus occupée du spectacle que de l'acteur principal. Petit, très petit complot des rouges pour crier sans relâche, sur ses pas, " vive la république sociale ! " Le peuple haussant les épaules et repoussant les gamins, avec mépris mais sans colère, Très bonne tenue de la troupe, faisant son devoir avec calme. Concours immense. Grande difficulté de trouver à manger. Quatre dîners de table d’hôte par jour dans toutes les auberges, et bien des gens ne parvenant pas à dîner. La flottille anglaise bien reçue et charmée de sa visite. quand le Président a passé devant elle en visitant la flotte, il a été accueilli par des houras très vifs.

10 heures
Je suis bien fâché de votre mal de gorge. Je ne peux pourtant pas me résoudre encore à vous envoyer à Madère. J'espère que ce ne sera pas long. Ne manquez pas, je vous prie de me dire aussi quand ce sera passé. C'est bien dommage que nous n'ayons pas rencontré Thiers sur la route, entre Esher et Claremont comme Salvandy.
Je doute un peu de la nouvelle de la Princesse Mathilde ; elle aura parlé d’un projet comme d'un fait. Je reçois un mot de Marion qui me dit que décidément ils quittent Brighton du 16 au 20, et qu’ils seront à Paris au commencement d'octobre. Vous le savez sûrement déjà. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 19 sept 1850

J’ai fait vingt lieues hier pour ne trouver qu'une seule des personnes que j’allais chercher. Peu m'importe ; ma visite est faite. C’était une visite, non seulement de convenance mais de conscience. Les Banneville ont été très bien pour moi dans les plus mauvais jours quand beaucoup d'autres étaient mal, ou tremblaient d'avoir l’air d'être bien. Je suis très fidèle à ces souvenirs. J’ai rencontré dans ma vie beaucoup d’ingrats et de lâches, mois toujours aussi quelques cœurs reconnaissants et courageux ; et quelques uns de ceux-là suffisent pour faire oublier beaucoup des autres et sauver l'honneur de l'humanité.
Je comprends qu’on s'inquiète à Berlin de Cassel et de Darmstadt ; mais j'ai quelque penchant à croire qu’on fait autre chose que de s'en inquiéter. Ces désordres des petits états Allemands, cette incurable impuissance ou sottise des petits Princes, servent au fond les vues de la Prusse et poussent vers elle les populations. L’ambition prussienne est craintive, mais obstinée. Le Gouvernement de Berlin a peur pour lui-même, mais sans cesser de convoiter le bien d'autrui. Je ne crois pas qu’il excite les insurrections badoises, hessoises ou autres, mais je doute qu'il s'en afflige à tout prendre, il en espère plus qu’il n’en craint.
Il m’est venu ces jours-ci assez du monde de mes environs ; mais je n'ai rien à vous en dire. Grande stagnation des esprits comme des faits. Grande prospérité de l’industrie et du commerce qui ne demandent que le statu quo. Grande détresse de l'agriculture qui voudrait bien un changement, mais qui n'ira point au devant. Les légitimistes voient cela ; ils ont le sentiment que eux seuls ils ne peuvent rien ; je ne dis pas seulement rien faire mais rien tenter ; quand on le leur dit, ils en conviennent sur le champ. Et pourtant ils parlent, ils s'agitent comme s'ils pouvaient et faisaient quelque chose. Cela leur fait grand mal dans le pays ; leur agitation incommode ; leurs paroles déplaisent. C’est un grand art que de savoir se tenir tranquille et se taire. Les partis n’ont jamais cet art là ; surtout les partis qui sont à la fois nobles et faibles. Ils se remuent et bavardent pour oublier un peu leur impuissance.
Soyez tranquille ; je n'oublierai point que c'est moi qui ai au la première idée de René de Fleischmann, et qui ai pris l'initiative. J’ai envie qu’en fin de compte la chose réussisse. Mais je ne puis ni ne veux forcer la main aux intéressés. Quant à la dot, je vous ai dit au premier moment, mais à vous seule, ce qu’il en pourrait être dans l'avenir avec quelques bonnes chances de famille ; mais quand il a été question d'en parler à d'autres, j'ai été très précis ; 10,000 liv. de rente en se mariant, et 5 ou 6000 de plus assurées. Cela est très exact.

10 heures
Merci de votre soin à recueillir pour moi toutes les nouvelles, grandes ou petites, tristes ou gaies. Je serais bien curieux de savoir si Thiers à réellement passé par Paris pour aller à Richmond. Je n’y crois pas. Ce serait, de la part de Richmond le symptôme d'une politique plus à part et plus hardie, que je ne le suppose. Je crois au travail constant, mais hésitant, embarrassé, timide et ménageant tous les avenirs. Adieu, adieu., adieu.
Ma fille Pauline ne sera à Paris qu'après-demain matin samedi. Elle en partira dimanche soir. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 21 sept. 1850

Vous avez cent fois raison, il vaut mieux, pour un pays avoir des Liverpool pour ministres que des Canning. Et les Liverpool ont une vraie supériorité, car ils ont un meilleur jugement ; ils voient mieux les choses comme elles sont en effet, et ils se conduisent selon l’intérêt du pays, non selon la fantaisie de leur esprit ou le besoin de leur vanité. C'est pourquoi l’instinct public les regarde, et avec raison comme des hommes plus sérieux. Reste en même temps cet autre instinct qui n'accorde les honneurs de l'admiration publique et historique qu'aux hommes en qui éclate quelque supériorité du premier ordre qui les met, par quelque grand côté de la nature humaine tout-à-fait hors de pair. Les deux instincts sont également fondés et également indestructibles ; ils répondent à deux faits tout différents. Votre sentiment politique n'est donc point bourgeois du tout ; il n’y a rien de plus noble que le bon sens ; mais il n'exclut pas mon observation. Quant à honorer plus au moins les Liverpool ou les Canning, c'est une autre affaire. Question d'estime individuelle, non plus d’intérêt public. Si les Liverpool, avec leur esprit moins haut et moins rare, sont exempts de cet égoïsme vaniteux qui est le tort ordinaire des Canning ils sont infiniment plus honorables. Mais cela n’arrive pas toujours ; j'ai connu des Liverpool tout aussi égoïstes, et tout aussi vains que les Canning. La médiocrité ne met pas toujours à l'abri de la vanité, et la supériorité peut s'élever jusqu'au désintéressement modeste.
Puis, laissez-moi vous dire une autre chose, que je ne dirais pas à d'autres, de peur de passer pour un mystique, ce que je ne suis guère. Je ne sais pas du tout quels sont les desseins de Dieu sur le genre humain, mais certainement il en a car il ne nous laisse jamais tranquilles. Notre bonne et heureuse condition ici bas ne suffit point à ce qu’il veut faire de nous ou par nous. Il ne permet pas que nous nous y établissions. Il jette un levain caché, il frappe un coup imprévu pour nous tenir en fermentation continuelle. Il faut que nous marchions, que nous nous transformions. Quelquefois, nous nous précipitons nous-mêmes à tort et à travers, et Dieu punit notre fougue aveugle. Puis, nous voudrions nous arrêter vivre en repos, jouir de nos biens. Dieu n'y consent pas. Pour son œuvre à lui, le Gouvernement des Liverpool ne suffit pas ; il place à côté d’eux des esprits plus exigeants, plus remuants qui veulent du nouveau, font du bruit, poussent et entraînent les hommes. Vers quel but ? Selon quel plan ? Dieu seul le sait. Mais je crois en Dieu ; j’entrevois quelque chose de ses desseins, et du rôle qu’y jouent les Liverpool et les Canning, les Villèle et les Châteaubriand ; et cela m’aide à me soumettre à ce que j’ignore profondément. Vous avez touché une corde sensible. Aussi vous voyez comme elle résonne.

Onze heures
Je crois que vous pouvez vous dispenser de vous r'abonner au National et à la Presse. Ils ont assez d'abonnés pour oublier de se venger de votre abandon. Girardin est pourtant capable d’être piqué. Je m'étonne que votre ennui l'ait emporté sur votre poltronnerie. Les articles de l'Indépendance belge ne m'étonnent pas. Il y a et il y aura à Claremont une lutte intérieure qui se manifestera par des hésitations, des contradictions et des intermittences. Du reste l'Indépendance belge peut fort bien faire de tels articles, sans Claremont. Le Ministère actuel, dont ce journal est l'organe, est très hostile à la fusion et à tout ce qui de près ou de loin, sent la légitimité. Ce sont les Odilon Barrot de la Belgique. Adieu, Adieu. Ma fille doit arriver à Paris ce matin. Guillaume ira vous demander vos commissions.
Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Lundi 23 Sept 1850
Huit heures

Mes enfants sont arrivés. Merci de votre lettre. J'ai bien envie que tout soit vrai. Je reçois d'ailleurs bien des détails sur la situation, point contraires à ce que vous me dîtes d’une personne, mais qui me prouvent que d’autres personnes travaillent bien ardemment en sens contraire. Et les anciennes rivalités sont pour beaucoup dans cette ardeur là. Ce serait bien puérile s’il n’y avait pas derrière les noms propres tout autre chose, que des passions ou des intérêts personnels. Les personnes sont la personnification de politiques profondément diverses, et dans les principes et dans les tendances. C'est là ce qui fait la ténacité, et en même temps l'excuse des rivalités. Je voudrais bien que vous puissiez me dire quand le Duc de Noailles viendra à Paris. Je serais bien aise de le savoir deux ou trois jours d'avance.

Dix heures
Vous me demandez ce que je pense de la circulaire Barthelemy. Je vous ai dit hier ma première impression avant d'avoir vu celle de personne. Un énorme blunder, une bonne intention déplorablement exécutée et produisant par conséquent un effet contraire à l’intention. Toujours la même inintelligence des sentiments du pays et de l’impression que font sur lui certains noms, certaines paroles. La même démarche pouvait être faite, la même idée pouvait être exprimée de façon à forcer l’approbation des hommes sensés, et sans blesser même les badauds. On eût fait ainsi un pas. Au lieu de cela on donne un succès aux hommes à qui on veut donner sur les doigts et à qui le public eût été charmé de voir donner sur les doigts, car au fond il les déteste ; il voit en eux les émigrés, et les Jacobins à la fois. Je répète le mot de Napoléon : " tout est dans l'exécution. "
Je m'étonne que Berryer n'ait pas pressenti l'effet. On l'exploitera immensément. Je ne vois à ce triste incident qu’un avantage, c’est que la glace est rompue contre la Gazette de France. En résultera-t-il autre chose, qu’une discorde de plus ? Ou bien ceux qu'on a voulu battre ne reprendront-ils pas avantage pour avoir été si mal habilement battus ? Je crains la pusillanimité après la maladresse.
Certainement Boislecomte à de l’esprit beaucoup de pénétration et d'invention. Il est de ceux qu’il ne faut pas toujours croire, mais toujours écouter. Adieu. Adieu.
L'écheveau s’embrouille de nouveau en Allemagne; mais il me semble que Vienne tient décidément le bon bout du fil. A présent il faut dévider. C'est ce que Catherine de Médicis disait : " C'est bien coupé ; maintenant il faut coudre. "
Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 29 Sept. 1850

Je vous vends Fleischmann. Je suis frappé de son hostilité contre l'ancienne diète de Francfort. Quand un homme aussi honnête et sensé pense cela, il y a bien à regarder. Car il n'est pas complaisant pour les radicaux ; témoin ce qu’il vous dit de la Reine des Pays-Bas. Evidemment, il faut à l'Allemagne, autre chose que ce qu'elle avait avant février ; elle n'y retournera pas et ne s'y tiendra pas tranquillement. De loin, la raison le dit ; voilà un homme intelligent et monarchique à qui l’observation le dit de près. Le bon chemin entre le bouleversement et l'immobilité n'est pas encore trouvé. L’Autriche devrait le trouver ; elle n’est plus vouée à l'immobilité ; de gré ou de force elle change tant de choses dans sa propre maison, elle y admet tant de nouveau; elle devrait trouver aussi et admettre le nouveau qui convient au grand corps allemand. C’est la seule manière de déjouer l'ambition de la Prusse. Tout ce qu’il faut à l’Autriche, c’est que la confédération germanique subsiste tran quille et point asservie à la Prusse. Il ne se peut pas que l'ancienne organisation soit la seule qui atteigne à ce but. " Cherchez et vous trouverez. “, dit l'évangile qui a toujours raison. Je suis convaincu que, si l’Autriche, cherche sérieusement et sincèrement, elle trouvera.
Le Roi de Wurtemberg me fait dire qu’il espère que je retournerai sur le Rhin l'été prochain et qu’il me priera alors de pousser jusqu'à Stuttgart. Avez-vous vraiment quelque idée d’y aller voir, votre grande Duchesse ?
Peel and his times m'amuse toujours beaucoup. Je viens de lire 1827, l'apparition et la disparition de Canning. Vous n'êtes pas nommée du tout ; mais les menées autour de George IV, pour la formation de ce Cabinet brillant et éphémère sont assez vivement racontées, par un libéral modéré et de peu d’esprit, qui déteste les cours et les femmes dans les cours. Il parle du travail caché que faisait ou laissait faire le Duc de Wellington pour remplacer lui-même, Lord Liverpool et il dit : " The king was disposed to favour this tortuous course ef proceeding ; he had et this time become a kind of English Sardana palus, and was anxious, to have a government sufficiently strong to relieve him from all anxieties about affairs of state, and to leave him free to enjoy the imitation of a Mohammedan Paradise which he had established at Windsor, perfect in all respects save the prohibition of wine." Il raconte assez bien l'effet que fit sur le Roi la démission, simultanée des six anciens collègues Tories de Canning : " This, which certainly looked like an attempt to intimidate, fired the pride of George IV ; he immediately confirmed the appointment of M. Canning, and gave him full power to supply the places which had been vocated. " Cela vous amuserait.

10 heures
Votre lettre est intéressante. J'y répondrai demain. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Le porteur de ce billet vous dira tout ce que je lui ai dit. Il y a plusieurs choses que je crois bon qu’il dise de ma part au duc de Noailles soyez assez bonne pour en prévenir le Duc et pour lui demander où il lui convient que M. ... aille le chercher. Merci de ce qu’il m'a apporté. C’est très important et très bon. Je ne sais s'il faut se fier absolument mais je suis sûr qu'il ne faut pas se méfier du reste, je ne vous écris rien. Tout vous sera redit.
Adieu. Adieu, adieu. G.
2 oct. 1850

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 12 octobre 1850 Samedi

Le dîner hier, animé. Après le dîner, curieux. M. Fould est venu plein de courtoisie et presque d’intimité pour le général Changarnier, conversation générale ou celui-ci racontait le passé avec vivacité intérêt, & appuyait forte- ment sur ceci. " L'armée m'estime, me respecte & me craint." Avant cela ils avaient passé tous deux dans le salon jaune et ont causé là un quart d’heure. Évidemment il y a quelque chose. La commission se rassemble de nouveau aujourd’hui. On dresse un procès verbal qui rappellera la séance de Lundi, le quasi engagement pris par le général d’Hautpoul d'interdire les cris. La déviation de cette promesse. On blâmera, ce blâme retombe sur l’Élysée. Et cette pièce sera soumise à l’assemblée à sa réunion. Changarnier m’a dit, que la séance avait été vive. M. Dupin très vif contre l'Élysée. J’ai retrouvé dans la Conversation la même impatience que par le passé. M. Molé a été parmi les blâmants.
Du reste Changarnier m'a dit que les nouvelles d’Allemagne étaient bien mauvaises. On s’attend à un éclat. Le Président est fort préoccupé de cela. Il penche pour la Prusse et pour s’en mêler si l’Italie venait à s'agiter en conséquence. Hier on a eu la nouvelle que l’Autriche avait mis à la disposition de l'électeur, un bataillon autrichien qui se trouve sur la frontière. La Reine des Belges est morte hier à 8 heures du matin. Votre pauvre reine !
Marion est venue ce matin la bombe a éclaté. Elle a été très ferme. Deux résolutions de sa part. Rester à Paris auprès de moi. Ou rester à Paris avec sa soeur Fanny malade, s’établir ensemble modestement. Ceci accepté par la mère. Marion est décidée à l’un ou à l’autre parti. C'est sans doute le dernier qui sera adopté. Adieu. Adieu. Il n’a pas été question hier des absents. Adieu. Pas de conversation a parte avec Fould.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 13 Oct. 1850
8 heures

Je me lève. J'ai bien dormi. J'en avais besoin. Le temps a été magnifique hier. J'espère que vous vous serez promenée, que vous aurez marché. Il faut profiter des derniers beaux jours. Vous serez assez longtemps réduite à ne vous promener qu'en voiture. Je suis assez curieux de ce que vous me direz ce matin de votre dîner d'avant-hier. J'espère que vous aurez trouvé l'occasion de dire à votre principal convive ce qui me concernait. Je crois utile que cela lui soit dit.
Les Holsteinois sont bien acharnés. Le roi de Danemark même vainqueur aura de la peine à redevenir vraiment le maître là. Tant d'opiniâtreté indique sur le lieu même, un sentiment populaire énergique et la passion de l’esprit germanique viendra toujours réchauffer ce sentiment là. L'Allemagne n'échappera pas à une grande transformation. Je ne sais laquelle ni comment ni au profit de qui ; mais l'Allemagne ne restera pas comme elle est. Je ne vois en Europe que l’Angleterre et la Russie qui aient chance de rester longtemps comme elles sont.

Midi
Pauvre Reine ! A moi, comme à vous, ce sont les seuls mots qui viennent. Avez-vous remarqué son petit dialogue avec le curé d'Ostende à l'entrée et à la sortie de l’église ? " Priez beaucoup pour mon enfant. " Je ne connais rien de plus touchant que ces simples mots.
Merci de vos détails, très intéressants sur votre dîner. Si vous trouvez quelque occasion naturelle de dire ce que je vous rappelais tout-à-l'heure, soyez assez bonne pour la saisir. Le petit article des Débats sur la séance de la commission permanente me frappe un peu. C’est certainement Dupin qui l’a dicté. Il prouve que si la commission ne veut pas pousser les choses à bout; elle veut les avoir prises au sérieux. Il faut que le Général d'Hautpoul soit congédié avant l’ouverture de l'Assemblée.
Je suis fort aise que Marion ait pris son parti. Faites lui en, je vous prie, mon compli ment en lui disant combien je regrette de ne l'avoir pas vue. Je lui aurais conseillé ce qu’elle fait. J’ajoute seulement que s'il est bien convenu qu’elle restera à Paris avec sa soeur Fanny, il faut qu’elle y reste en effet quand ses parents partiront. Si elle retourne en Angleterre avec eux, elle ne reviendra pas. Adieu, Adieu. G.

Le Duc de Broglie ira certainement à Claremont car la Reine et la famille Royale y retourneront, je pense, aussitôt après les obsèques. Je crois que j'irai à Broglie lundi 21, pour 48 heures. Adieu, encore.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mardi 15 oct. 1850

Voici une question que je ne trouve pas, dans ma bibliothèque d’ici, les moyens de résoudre et sur laquelle mon petit visiteur ira peut-être vous consulter. mon libraire veut mettre sur le titre de Washington, les armes des Etats-Unis d’Amérique, et sur le titre de Monk, les armes d'Angleterre. Mais ce sont les armes d’Angleterre sous les Stuart qu’il faut là et non pas les armes d'Angleterre sous la maison de Hanovre. Je ne me rappelle pas bien et je ne puis indiquer d’ici les différences. On fera la vérification, à la Bibliothèque du Roi, (nationale aujourd’hui) et je pense qu’on trouvera là tout ce qu’il faut pour la faire. Mais si quelque renseignement manquait aurait-on, à l'Ambassade d'Angleterre, et votre ami Edwards pourrait-il procurer de là un modèle des armes de Charles 2 en 1660 ? J'espère qu’il ne sera pas du tout nécessaire que vous preniez cette peine, mais je veux vous prévenir qu’il est possible qu’on vienne vous en parler.
Ce que vous a dit de Cazes ne m'étonne pas. Bien des gens le pensent. C'est peut-être le plus grand danger qu’il y ait à courir. J’ai très mauvaise idée de ce que serait le résultat. Probablement encore un abaissement de plus. Mais la tentation serait forte. Je dois dire que les dernières paroles qui m’ont été dites à ce sujet ont été très bonnes et très formelles.
Avez-vous revu Morny ? Je suis assez curieux de savoir, s'il vous dira quelque chose de mes quelques lignes, et de l’usage qu’il en a fait.
La corde est en effet bien tendue en Allemagne. Pourtant il me semble que Radowitz prend déjà son tournant pour la détendre un peu. Que vaut ce que disent les journaux de son travail pour amener l'union restreinte à n'être qu'une union militaire comme il y a une union douanière ? Ce serait encore un grand pas pour la Prusse et je ne comprendrais pas que les petits États se laissassent ainsi absorber par la Prusse sans avoir au moins le voile et le profit de la grande unité germanique. Mais il y aurait là un commencement de reculade. Je persiste en tout cas à ne point croire à la guerre. Personne n'en veut, excepté la révolution qui a peu prospéré en Allemagne. L'indécision même de votre Empereur entre Berlin et Vienne est un gage de paix. Y eût-il guerre, le Président ne serait pas en état, le voulût-il de faire prendre parti pour la Prusse. On ne prendrait point de parti de Paris comme de Pétersbourg et de Londres on remuerait ciel et terre pour empêcher la guerre, qui serait de nouveau la révolution. Je ne viens pas à bout d'être inquiet de ce côté, malgré le duo de bravoure de Radowitz et de Hübner.

10 heures
Je vois beaucoup de bruit dans les journaux et rien de plus. Pas plus de coup d’Etat en France que de guerre en Allemagne. Je n'ai qu'une raison de me méfier de mon impression ; c’est qu’il ne faut pas aujourd’hui trop croire au bon sens. Notre temps a trouvé le moyen d'être à la fois faible et fou. Adieu, adieu.

Je reçois de mauvaises nouvelles du midi de la France. On m’écrit que les rouges y redeviennent très actifs. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 16 0ct. 1850
9 heures

Je reçois votre lettre qui me préoccupe. Je m'étais arrangé pour être tranquille par la retraite du Ministre de la guerre. Au fond, je persiste. Il me faut des faits positifs pour troubler ma tranquillité. Avant les revues, et le vin de Champagne, et la commission permanente, j'étais bien plus inquiet pour le Général Changarnier. Depuis longtemps, il n’avait rien fait, rien ne lui était arrivé ; je le trouvais un peu affaibli. Le dernier incident l'a rajeuni. Le voilà de nouveau le représentant de la discipline, de la légalité, de l'Assemblée. Dès que la question se pose ainsi, je ne crois plus que personne y touche. Il n’y a personne aujourd’hui pour rien tenter de gros. Les revues et vive l'Empereur sont le thème du jour. Ce thème mettrait dans son tort quiconque toucherait à quelque chose. Le public est de l'avis de Beauvale. Le vin de champagne a effacé la circulaire. Le public veut le Président et le Général Changarnier. Pourvu qu’ils s’arrangent ensemble, peu importe le reste. Mais il faut qu’ils s’arrangent, et celui des deux qui dérangera l'autre sera le mal venu. Je serais bien surpris, si M. Fould n'était pas de cet avis.
Voyez le Constitutionnel lui-même ; c’est tout ce qu’il peut faire que d’excuser les Vive l'Empereur ! Et il les excuse assez gauchement. Je comprends qu'on fasse l'Empire si on peut ; mais le crier, sans le faire, est absurde.

Midi.
Je suis fort aise de ce que vous me dites de la résolution du général Lahitte quant à l'Allemagne. J’espère qu’elle ne sera pas mise à l'épreuve. Je trouve du reste cette politique déjà annoncée dans le Bulletin de Paris. Lahitte prend ses précautions, et il a raison.
Si vous écrivez un de ces jours à Lord Aberdeen, soyez assez bonne pour lui demander s'il a reçu une longue lettre de moi, celle que vous savez. Je voudrais être sûr qu'elle est arrivée. Ce serait charmant qu’il vînt nous voir à Noël. Pourquoi pas ? Rien ne le retient à Londres et il se plaît à Paris.
Je ne trouve pas que la réponse de M. de Montalivet à Napoléon Bonaparte, dans la Revue des deux mondes qui m’arrive, soit bonne. Elle est vague et timide. Il y avait bien plus à dire, et à dire plus sèchement.
Je vois que la Reine est encore à Lacken, et y restera peut-être plusieurs jours. Je lui ai écrit à Claremont, en envoyant ma lettre au Général Dumas. J'espère qu’il la lui aura envoyée. Madame la Duchesse d'Orléans, s’est hâtée de retourner, sans doute à cause de ses enfants. Adieu, Adieu.
Je vais me promener. Il fait un temps magnifique, doux et pur. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris le 23 octobre 1850

Je ne sais rien hors le fait du général [Schrans], ministre de la guerre raconté partout. Le monde hier & aujourd’hui. par le journal des Débats. Mad. de Contades qui venait de dîner chez le Président avec tous les ministres, n’en savait pas un mot hier soir et doutait ou faisait semblant de douter. Ce dîner était donné en l'honneur de la Toison d'or. Il y avait l’Espagnol & le Turc, je ne sais ce que le Turc avait à faire là-dedans.
[Stokhamm] est arrivé hier de Hanovre, il est venu chez moi de suite. Son roi accablé. Il ne trouve par un ministre qui se charge de ses affaires. Tous veulent aller plus loin même que M. Steeve. Le Hanovre est très exposé. Il serait envahi de suite par la Prusse ; il n'y a pas moyen. Ce qu’on peut faire de plus hardi est de rester neutre. Hubner hier soir inquiet. Si mon empereur ne se décide pas, dieu sait où l'on va. Et l’on craint les affections de famille. L'Autriche est tellement engagée que la guerre est inévitable si la Prusse ne recule pas, et si nous ne parlons pas très haut et très ferme, elle ne reculera pas. Il est impossible que tout cela ne soit pas tranché d’ici à 10 ou 12 jours au plus.
Il y avait un dîner hier chez Thiers pour Changarnier, Grasalcoviz & Kisseleff. Lady Jersey a été retenu à Hanovre elle n'arrive qu'à la fin de la semaine. Je crois qu'il y a quelque désaccord entre cette lettre et les précédentes où je vous disais que la Prusse reculait. Elle a reculé quant à l’Union. Erfert est fini. Mais il faut qu’elle reconnaisse la Diète, voilà l’ultimatum de l'Autriche, et la Prusse s'y refuse. Elle veut son indépendance. La Hesse est le symptôme. C’est la diète qui y entrera. Et c’est dans cette qualité que la Prusse conteste ce droit d’y entrer. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°3 Paris, Jeudi 3 Juin 1852
9 heures

Vous serez arrivée quand ceci vous arrivera, chère Princesse. Je regrette de ne pas connaître Schlangenbad. Pour ma satisfaction pendant votre absence, je vous aimerais mieux à Ems que je connais. Il faut voir ses amis en pensant à eux et on ne les voit qu’en voyant les lieux où ils vivent.
J’ai passé hier ma soirée chez Mad. de Stael. Rien de plus politique que Rumpff et Viel-Castel. Celui-ci triste quand il a donné sa démission, il ne croyait pas la donner pour si longtemps. Dieu a bien raison de cacher aux hommes l'avenir ; ils ne feraient pas la quart des bonnes actions qu’ils font s'ils savaient ce qu'elles leur coûteront. Il est vrai qu’ils feraient aussi moins de sottises. Conversation donc toute littéraire.
Vous n'avez probablement pas lu dans le Constitutionnel, M. de Ste Beuve racontant la passion rétrospective de M. Cousin pour Mad. de Longueville, et sa haine pour M. de La Rochefoucauld, son rival heureux, il y a 200 ans. M. Cousin est très irrité de cet article et en parle comme d’une publication malveillante qui lui aurait fait manquer une bonne fortune à laquelle il touchait. M. de Ste Beuve a proposé, pour son tombeau cette épitaphe : " Ci gît M. Cousin ; il voulait fonder une grande école de philosophie, et il aima Mad. de Longueville. " Vous voyez que les nouvelles manquent tout- à-fait.
On dit que le Président ira en Algérie. Ce serait hardi. J’ai vu hier deux personnes qui arrivent d’Algérie, émerveillés des progrès.
Voilà votre lettre de Bruxelles. Merci d'avoir écrit et dormi. J’espérais bien que le voyage vous reposerait.
On est très préoccupé ici de l’attitude des partis monarchiques. Je coupe pour vous, le petit leading article des feuilles d'Havas d’hier soir. Cela n’est pas écrit pour le public de Paris et la presse de Paris n'en dit rien, mais les journaux des départements le reproduisent et le répandent partout. C'est là le langage qu’on veut parler au public intérieur sur lequel on compte.

4 heures
Jules de Mornay est mort hier soir d’une congestion cérébrale. C'était une bien pauvre tête, et un assez noble coeur. Il m’a fait de l'opposition jusqu’au 24 février, mais depuis, nous étions bien ensemble. Trés fusionniste, et le disant très haut à Madame la Duchesse d'Orléans. C’est une famille bien frappée. En six mois Mad. de Mornay a perdu son père, sa mère, son mari et la fille aînée qui s’est faite religieuse malgré elle. Je vous quitte pour l'Académie. On ne remplit jamais mieux ses devoirs qu’au dernier moment. Adieu.
J’ai bien peur d'être un ou d'être un ou deux jours sans nouvelles de vous. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°24 Val Richer, Samedi 26 Juin 1852

J’ai lu hier soir ces débats du corps législatifs sur le budget. Ceux qui s’en promettent, et ceux qui en redoutent beaucoup me paraissent également enfants. Ni l’absolutisme impérial ni l'opposition parlementaire, ne sont près de ressusciter. On ne fera qu'évoquer deux fantômes. Voici l’incident sérieux du Débat. M. de Kerdrel, au milieu de son discours a demandé à l'huissier un verre d'eau sucrée ; l'huissier n’a pas osé prendre sur lui ce retour au régime parlementaire ; il a consulté le secrétaire de la Présidence, M. Valette qui a consulté, M. Billault. M. Billault a répondu qu’il valait, mieux s'abstenir. Alors, M. de Kerdrel a prié un de ses voisins d'aller lui chercher un verre d'eau et le voisin a rapporté le verre au milieu des rires et des applaudissements de l'assemblée. M. de Montalembert, en prenant la parole a demandé à son tour un verre d’eau sucrée à très haute voix. L'huissier troublé a regardé M. Billault, et M. Billault trouble a fait signe à l'huissier de l’apporter C'est la première liberté reconquise.
Vous savez que le Président assistait à la séance, dans sa tribune. On dit que, pendant le discours de M. de Montalembert, il a écrit un billet à l'autre président, pour lui demander de faire taire l'Orateur, et que M. Billault a traité cette demande de prétention inconstitutionnelle. Je doute de la demande et de la réponse. Le chapitre qui a été rejeté n’est point celui de la Police générale, mais celui de la dotation du Sénat. Le rejet a eu lieu, non pour le fond même de la dotation, mais pour une question de place et de forme. Les fonds seront votés ailleurs.
Il y a eu aussi des scènes au Sénat, mais des scènes privées, entre le Roi Jérôme et le maréchal Exelmans à propos d’un M. Laurent de l’Ardèche naguère très rouge, qui vient d'être nommé Bibliothécaire au Sénat. Le Maréchal s'est fâché tout rouge. Le Roi a répondu que M. Laurent n'était plus que bleu.
Après les commérages de l'Elysée ceux de Claremont. La fusion ne marche pas. Le départ de Mad. la Duchesse d'Orléans, qui devait la presser, l’a arrêtée. Les Princes troublés de la séparation disent qu’il ne faut pas brusquer la Princesse qu’avec de la douceur on l’amènera à la fusion que d'ailleurs, avant de faire la démarche décisive, ils ont besoin de savoir où en sont les vues politiques du comte de Chambord. Le Duc de Montpensier retourne directement en Espagne par Plymouth, et le Duc d’Aumale qui avait été très explicite sur son intention d’aller à Frohsdorf, ne parle plus que de patienter et d'attendre.
J’ai vidé mon sac. J'attends le vôtre. J'étais pressé hier en fermant ma lettre. Je vois que le Roi de Wurtemberg est venu vous chercher et que vous avez eu, avec lui, la conversation tant interrompue. J’en suis bien aise. C’est certainement un Prince fait pour la grande. politique.

10 heures et demie
Votre lettre ne m’apprend rien, mais elle me fait plaisir. Malgré la fatigue vous vous trouvez un peu mieux et votre vie vous plait. Et probablement vous aurez Aggy. Je l’espérais un peu. Moi aussi, j’ai bien envie de connaître M. de Meyendorff. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°25 Val Richer 27 Juin 1852

Stolzenfels m’a beaucoup plu, et j’ai peine à me figurer qu’on n'y retourne pas avec plaisir. Le Roi de Prusse sera charmant pour vous. Je vous envierai un peu son château et sa conversation. Je ne vous envierai rien, si vous vous portez bien. Vous n’avez pas d’idée combien je serai content et tranquille quand vous aurez Aggy avec vous, si vous l’avez comme je l'espère. Vous me direz quand il ne faudra plus vous écrire à Schlangenbad. Il me semble qu’en tout cas, la lettre de demain devrait être la dernière puisque le 2 Juillet sera là, au plus tard votre dernier jour.
Je n’ai pas la plus petite nouvelle à vous donner. Le corps législatif va finir dans deux jours très paisiblement. Le Président. a obtenu à peu près tout ce qu’il voulait. Dans le pays les grands manufacturiers les grands propriétaires auraient fort souhaité que la réduction de 31 000 hommes, sur l’armée fût adoptée, ils y auraient vu un gage de paix, de longue paix, et c'est là leur seul souci. Du reste les affaires commerciales vont bien à peu près partout. On me dit que les espérances ministérielles de Morny et de Fould sont de nouveau à vau l'eau. Ils avaient espéré, après l'acceptation du conflit par le Conseil d'Etat, obtenir du Président quelque adoucissement dans l’intérêt de la famille d'Orléans. Il s’y est absolument refusé.

Onze heures
Vous n'aurez aujourd’hui que cette misérable lettre ; le facteur m’apporte deux petites affaires auxquelles il faut répondre sur le champ. J'adresse, ce rien à Francfort. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°27 Val Richer Mardi 29 Juin 1852

Nous allons être encore bien plus sans nouvelles ; le corps législatif finit aujourd’hui. Il ne venait rien de là, mais on en attendait toujours quelque chose. Les feuilles d'havas disent que M. de Montalembert peut bien faire imprimer et distribuer, à ses frais, son discours, mais qu’il ne peut pas le faire vendre chez des libraires, car alors ce ne serait plus à ses frais. J’ai vu que votre pauvre favori Mérode avait perdu un enfant.
N'ayant point de nouvelles à recevoir ni à donner, je travaille ; je vis, avec Cromwell, et les républicains anglais, d’il y a deux siècles. Je les aime mieux que ceux d'aujourd’hui, quoique je ne les aime pas du tout. Si je ne suis pas dérangé, comme je l’espère, j'achèverai bien des choses cet été.
Je suis très aise de la douce impression que vous rapporterez de Schlangenbad sur votre impératrice ; mais je suis fâché de celle que je vois percer en vous sur ces deux pauvres petites Ellice. Vous n'êtes pas juste. Vous avez de l’amitié pour elles, mais ce n’est pas par amitié pour elles que vous les désirez près de vous ; c’est pour vous-même. Elles ont de l'amitié pour vous et elles se trouvent très bien près de vous ; mais leur soeur est plus malade que vous, et bien plus isolée que vous sans elles. Elles ont toujours vécu toutes les trois ensemble, et si elles doivent rester de vieilles filles ce sera en vivant ensemble qu'elles supporteront le mieux leur solitude, et leur vieillesse. Elles pensent probablement à tout cela, et elles sont perplexes. Comme agrément et amusement, elles sont infiniment mieux chez vous que chez elles. Pourquoi donc sont-elles perplexes ? Uniquement par sentiment des devoirs et des affections de famille, et par prévoyance de leur propre avenir. J’espère que l’une d'elles viendra vous retrouver ; vous en avez besoin, comme vous dites, et vous ne trouverez jamais aussi bien qu'elles ; mais soyez juste pour elles, et ne gâtez pas d'avance, par des amertumes de coeur que vous ne cacherez pas longtemps la douceur et le plaisir que vous trouvez dans leur société.
J’ai des nouvelles de Duchâtel, de Vitet, de Mallac, d'Arnaud Bertin, de Molé. Ils n'en savent pas plus que vous et moi. Molé est occupé de la querelle des Évêques, et de l’abbé Gaume sur les livres classiques Païens ou Chrétiens. Je viens de lui écrire quelques lignes de condoléance sur la mort de sa soeur. Je ne crois pas que ce soit pour lui un vif chagrin.
Je n'ai pas entendu parler du duc de Noailles, il est à Maintenon mettant en ordre les lettres de Mad. de Maintenon et cherchant à grand peine les dates qu’elle n’y a pas mises, car vous n'étiez pas là pour la corriger de ce défaut.
Albert de Broglie est revenu d’Angleterre, ramenant sa soeur, son père, qui était allé passer quelques jours en Alsace pour les affaires, est de retour à Broglie. Ils y vivent très paisiblement et très solitairement.
Il n’y a pas encore beaucoup de monde à Trouville ; mais on en attend beaucoup du beau monde ; toutes les maisons sont louées Mad. de Boigne et le chancelier y sont établis. Voilà les nouvelles de ma province, à défaut de Paris.

11 heures
Voilà votre N°21. Grâce à Dieu l'ordre est bien rétabli. Adieu, Adieu. G.
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