Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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2 Val Richer. Lundi 13 Juillet 1846,
Charmant N° 2. Long et charmant. Sa longueur m'inquiète, un peu pour vos yeux. Sans regret, pourtant. Ménagez vos yeux. C'est, pour moi, une des préoccupations de l'absence. Je suis fort aise que Mad. Danicau sache lire. Trouvez-vous toujours de l'intérêt dans les gros volumes ? Cet été la petite session finie, quand je serai rétabli à Paris, nous reprendrons votre Grèce, pour la compléter et polir ensemble. J’ai des nouvelles ce matin de votre ouvrage, je veux dire de la Grèce en personne. Jamais agent étranger n'a conspiré plus scandaleusement que Lyons. Si Colettis le traitait comme Cellamare fut traité chez nous, il y a cent et je ne sais plus combien d'années, il ne ferait que justice. Mais il est trop petit pour user de son droit. Il se contente de déjouer les conspirations, et de faire condanmer, par les tribunaux, les petits conspirateurs. C'est ce qu’il vient de faire avec grand succès et bruit à l'occasion de quelques essais de brigandage, évidemment fomentés et soudoyés par les amis de Mavrocordato. C’est-à-dire par ses maîtres Colettis s'affermit par la lutte, au lieu de s’user. Le million que nous avançons pour les routes grecques, et la Pairie de Piscatory vont faire là un excellent effet. Je me suis donné le plaisir de le lui écrire samedi matin avant de monter en voiture. Il est de fait que je m'intéresse bien plus à ce petit pays depuis que je sais que vous avez eu la main dans son berceau. Je veux qu’il dure et qu’il prospère, et que votre nom et le mien se mêlent, là un jour dans les récits de sa première histoire. L’ambition et l'affection sont bien intimement unis et confondus dans mon cœur. Voici Aberdeen et Peel. Vous me les renverrez. Evidemment ma lettre a fait un très vif plaisir à Aberdeen. J’en suis charmé Brougham m'écrit aussi, pour me bien inculquer qu’il devient chef du parti conservateur qui se réorganise ardemment. Ce n’est pas la peine de vous l'envoyer. Je lui répondrai demain, sur mon invitation à dîner. Certificat confirmatif du vôtre. Point de lettre particulière de Rayneval.
Le Roi ne me laisse pas dormir. Une estafette chaque nuit la première à 4 heures, la seconde à Génie. Je me suis rendormi sur le champ. Je dors très bien après avoir beaucoup marché. Estafettes sans grande nécessité, si ce n'est d’avoir mon avis sur deux ou trois nominations de Pairs de plus, que le Roi et le Maréchal demandent. Je dis oui pour le candidat du Maréchal, non pour ceux du Roi. Je suis sûr que le Roi m’approuvera. Je lui ai expédié ce matin ma réponse à Dreux, pour qu’il l'ait dans la nuit et soit dérangé à son tour. Il est très préoccupé de D. Enrique. Il a raison. Je crois vraiment que la question va se poser entre les deux frères. Nous pouvons les accepter tous deux très convenablement, même celui qui, au fond, ne serait pas pour nous un succès. Je tâcherai de ne pas sortir de cette position. Narvaez est pressé de retourner à Madrid, et moi pressé qu’il y retourne. Recueillez bien, je vous prie, tout ce que vous pourrez sur D. Enrique à Londres. Je pense qu’il y sera bientôt. J’ai peur que le pied de Génie ne vous fasse un peu tort. J'en serais bien contrarié.. Vous ne me dîtes, rien de Mouchy, ni de Dieppe. Je voudrais tout s’avoir heure par heure. Adieu. Adieu. Le temps toujours charmant, et bien moins chaud ici qu'à Paris. Je me suis promené hier de midi à 5 heures et demie. Aujourd’hui j'écrirai un peu plus. Si je vous avais ici, ce serait parfait pour envoyer à nos agents une correspondance particulière excellente, car il y faut deux choses, notre conversation et le loisir. Je n'en ai qu’une. On n'a presque jamais qu’une chose et il en faut toujours deux. Vous avez bien là quelque chose de Montesquieu. Son grand ouvrage l’Esprit des lois a pour épigraphe quatre mots latins Prolem sine matre creatam, ce qui veut dire un enfant créé sans mère. On lui en demandait le sens. " C’est, dit-il, que le Génie est le père des grands ouvrages et la liberté en est la mère. " A Montesquieu aussi, il eût fallu deux choses. J’oublie que vous n’aimez guères les livres, même grands. Adieu. Je vais écrire à Duchâtel et à Génie et lire le courrier d'Orient qui vient de m'arriver. Il est une heure. A 3, j'irai me promener jusqu'au dîner. Adieu. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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2 Val Richer, Dimanche 29 mai 1853
8 heures

Je me lève après neuf heures de sommeil. Je sens la fatigue s'en aller. comme la soif quand on boit. Mais il ne fait pas beau ce matin. Vous ne connaissez pas le plaisir de voir pousser vos cerises, vos fraises, vos abricots et vos pêches. Marion vous dira si c’est un plaisir. Je reviens de mon verger à mes journaux à Paris, je les regarde ; ici, je les lis.
Le Moniteur met bien du soin à répéter le Morning Post qui dit que les Cabinets de Londres et de Paris, "ont agi, agissent et agiront à Constantinople avec l'accord le plus parfait et le plus cordial." On est très pressé de rentrer dans l’ornière. Il est vrai que cette fois, vous y avez poussé. Si votre Empereur avait, dés le premier moment, dit avec précision, à tout le monde, que pour se mettre à l'abri des firmants secrets et mobiles, il demanderait pour l'Eglise grecque, ce que la France possédait depuis deux siècles pour l'Eglise latine, c’est-à-dire des capitulations formelles, et que c’était là, pour lui, la question des Lieux Saints, il n’eût pas rencontré, j'en suis convaincu, les obstacles qu’il rencontre aujourd’hui ; car bien qu'énorme en fait et très différente par là de la prétention latine, la prétention grecque est, en soi et en droit, si naturelle et si raisonnable qu’on eût eu de la peine à la combattre. Mais elle ne s’est pas expliqué tout haut, toute entière et tout de suite ; elle a apparu au dernier moment comme une nouveauté par conséquent beaucoup plus grosse qu’elle n'eût paru au premier ; et vous avez créé, à la fin, une situation grave uniquement peut-être parce que vous avez voulu vous épargner, au commencement, quelques embarras de conversation. Je n'en persiste pas moins à penser que la situation grave sa dénouera sans événements graves.

Onze heures
Je persiste toujours, quand même la tentation de conciliation des quatre puissances n'aurait pas réussi. Le feu ne prendra pas à l'Europe pour cela. Vous avez raison, il fallait parler plutôt et plus haut pour vous. Vous voyez que je suis de votre avis, encore plus que vous, car je remonte plus haut. Adieu, Adieu.
Ne soyez pas trop fatigué en partant. Je remercie Marion. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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4. Château d’Eu Samedi 2 sept. 1843
Onze heures du soir

Je rentre dans ma chambre. Vous aurez, vous seule, mes premiers mots de récit. Il y a des choses auxquelles je sacrifierais de grand cœur le plaisir que je viens d'avoir. Il y en a mais pas beaucoup. Et 5 heures un quart, le canon, nous a avertis que la Reine était en vue. A 5 heures trois quarts nous nous sommes embarqués, le Roi, les Princes, Lord Cowley, l’amiral Mackau et moi dans le canot royal pour aller au devant d’elle. Nous avons fait en mer un demi mille. La plus belle mer, le plus beau ciel, la terre couverte de toute la population des environs. Nos six bâtiments sous voiles, bien pavoisés, pavillons français et anglais saluaient bruyamment, gaiment. Le canon couvrait à peine les cris des matelots. Nous avons abord, le yacht. Nous sommes montés. Le Roi ému, la Reine aussi. Il l’a embrassée. Elle m'a dit : " Je suis charmée de vous revoir ici. " Elle est descendue avec le Prince Albert, dans le canot du Roi. A mesure que nous approchions du rivage, les saluts de canon et de voix s'animaient, redoublaient. Ceux de la terre s’y sont joints. La Reine, en mettant le pied à terre avait la figure la plus épanouie que je lui ai jamais vue ; de l'émotion, un peu de surprise, surtout un vif plaisir à être reçue de la sorte. Beaucoup d'embrassades, et de Shake hands dans la tente royale. Puis les calèches et la route. Le God save the queen, autant de Vive la Reine ! Vive la Reine d'Angleterre ! que de Vive le Roi. Rien n’y a manqué si ce n'est une porte du parc par laquelle le Roi voulait qu'on entrât, et qui ne s'est pas trouvée commode pour huit chevaux. Il a fallu prendre la grande porte et raccourcir un peu la promenade. En arrivant, salut général des troupes dans la cour du château. Tout cet entourage anglais avait l’air très content, très, très.
Nous avons dîné à 8 heures un quart, et on vient de se séparer. J'ai commencé avec Lord Aberdeen. Il est presque amical. Voici ses premières paroles : " Je vous prie de prendre ceci comme un indice assuré de notre politique, et sur la question d’Espagne et sur toutes les questions. " Nous avons touché à toutes en nous disant que nous les coulerions toutes à fond. Je ferai pour mon compte, de la politique très ouverte, très franche, et je crois qu’il en fera autant. Brünnow et Neumann lui ont presque fait des remontrances officielles sur ce voyage. Il s’est un peu fâché et un peu moqué. Point de Paris. Elle restera ici jusqu'à jeudi. Il faut qu’elle soit à Brighton Jeudi 7 à 2 heures. Demain, jour tranquille ; Strict sabbath. Lundi, promenade et luncheon dans la forêt. Mardi musique. Mercredi spectacle ; Arnal est arrivé. Voilà les premières vues. Moi, je commencerai demain mes conversations. J’ai fait un memorandum superbe.
Adieu. Je vais me coucher. Je suis un peu las. Que vous me manquez ! Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°4 (je crois) Château de Windsor, Mercredi 9 oct. 1844, 9 heures

Soyez tranquille. Je commence par là. Je suis très bien. J'ai bien dormi. Pas si bien que sur le Gomer où je me suis couché Lundi soir, à 7 heures et demie pour me lever mardi à 7 heures après deux ou trois réveils fort courts dans cette longue nuit. Je ne me suis pas douté de la traversée.
Hier soir la Reine pour nous laisser reposer, a quitté son salon à 10 heures. J'étais dans mon lit à 10 heures et demie. J’ai pris, mon bouillon, comme chez moi, en m'éveillant. Voilà le compte de ma santé fait. Je vous répète que le voyage me fait du bien. Mais les lits Anglais sont trop durs.
Soirée fort tranquille hier. Point d’invités, si ce n’est le Duc de Wellington, sir Robert Peel et Lord Aberdeen qui est arrivé tout juste pour dîner. Longue conversation entre lui et moi après le dîner. Je ne sais quel hasard nous a fait commencer par l'Empereur et M. de Nesselrode, et nous n'en sommes pas sortis. J’ai à peu près vidé mon sac sur ce point, écouté avec beaucoup de curiosité et pas mal de surprise. Avec Sir Robert Peel, un commencement de conversation sur ses propres affaires, ses succès financiers, l'état intérieur de la France, ce qui l’intéresse le plus. Le Duc de Wellington extrêmement poli & soigneux avec moi, comme un homme qui se souvient vaguement qu’il a quelque chose à réparer.
J’ai causé assez longtemps avec la Reine ; et longtemps avec le Prince Albert. Ils ont l’air très content. La soirée s’est passée à voir l’Album du voyage de la Reine au château d’Eu, que le Roi lui a apporté.
Ce matin, la Reine a fait proposer au Roi, pour 9 heures et demie une visite au potager et au verger. Il l'a priée de vouloir bien l'excuser. Il reçoit Lord Aberdeen à 9 heures, et sir Robert Peel à 11. Je le verrai entre deux. La Reine est prodigieusement matinale. Le déjeuner est commun, où elle ne va point, est à 9 heures. Je n’y vais pas non plus. Je ne sais quels seront les plaisirs officiels de la matinée. On m'avertit qu'ils commenceront à 2 heures. Adieu. J'espère bien avoir un courrier de Paris ce matin. J’expédierai le mien ce soir à 5 heures. Je vous redirai Adieu.
Le Duc de Wellington m’a demandé si Lord Cowley ne viendrait pas faire une course à Londres - Je sais qu’il se trouve parfaitement à Paris. Il a raison. On me dit qu'il se porte très bien.
Midi, et demie
Voilà votre numéro 2. Merci de votre anxiété. Vous aurez été rassurée le lendemain. Vraiment il n’y a pas de quoi vous inquiéter. Ma santé va bien. Ce qui me manque encore de force reviendra. C'est à mes affaires que je pense. Grand ennui d'y penser tout seul.
J’attends Lord Aberdeen à une heure. Il a vu le Roi qui en a été très content. Peel est chez le Roi en ce moment. Adieu. Adieu. Après vous, ce que j’aime le mieux, c'est vos lettres. Adieu. G.
Je vous renvoie celle de Lady Palmerston. Yes, no harm.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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4. Paris lundi 30 mai 1853

Je suis votre exemple. Voici ma quatrième lettre. J’ai reçu à la fois ce matin le 1 & 2. L’article du Times du 28 fait beaucoup de bruit. Flahaut en est trés frappé. Tout le monde maintenant est contre nous. On dit que le moins épouffé et peut être seul même le réjoui de la situation, c’est votre Empereur. " il a eu raison, en ne se fiant pas à nous, et le voilà sorti de l'isolement. Il a pour allié l’Angleterre, il n’aura d’autres. " Il est bien plus occupé de Bruxelles que de Constantinople. Le mariage lui déplait beaucoup, ainsi que tous les succès de Léopold. J'ai eu beaucoup de monde hier, mon dernier dimanche. Du bavardage infini sur l’Orient. Toujours le duc de Noailles le plus enragé de tous. Molé bien fâché aussi. Le dernier paragraphe du Moniteur lui paraît très sensé. Au fond je le trouve un peu aussi. Castelbajac ne cesse de rapporter un langage très différent de celui du P. Menchikoff. Tout cela a besoin d'un éclaircissement. Kisseleff a l’air très dégagé et content. Hubner dit : cela s’arrangera. Je ne conçois pas comment ?
Quel dommage que vous ne m'aidiez pas à avoir une opinion. Tous les jours, toutes les heures, j’aurais des choses nouvelles et curieuses à vous conter. Donnez-moi toujours vos réflexions. Votre tableau de la campagne me donne bien envie de cette vie là. Comme elle me conviendrait avec mon salon de Paris le soir.
Cowley a une affaire avec Le duc de Gènes & Villamarina et on dit qu'à Londres on est mécontent de l’ambassadeur. comme je ne connais pas bien l'affaire je n’ai pas d’opinion mais je parierais pour quelque gaucheries de Cowley. On donne un grand bal au duc de Gènes à St Cloud ce soir, demain il part pour Londres. J’attends mon fils aîné aujour d’hui. La grande duchesse Marie ne va plus en Angleterre. La grande Duchesse Hélène ne vient plus à Vichy je crois vous avoir dit cela. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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5. Au Val Richer, Mercredi 16 août 1843,
8 heures

J’ai encore été réveillé cette nuit par une estafette du château d’Eu. Le Roi me consultait sur la conversation qu’il doit avoir un de ces jours avec Salvandy à propos de l’Ambassade de Turin. Mortier voudrait bien aller à Turin et le Roi est bien disposé pour lui. Mais je suis sûr que Salvandy ne voudra à aucun prix de la Suisse, la plus petite des Ambassades, petite pour sa vanité ; petite pour sa bourse. C’est déjà beaucoup de lui faire accepter Turin. J’ai prié le Roi de ne parler que de Turin. Pour ceci, le Val Richer n'a causé aucun retard. L’estafette vient aussi vite d'Eu ici que d’Eu à Paris. Mais en tout, cela ne peut pas aller. La situation est trop grave, trop délicate, trop pressante pour admettre des retards au moins de 24 heures souvent de 48. Je Je m’arrange pour partir d’ici lundi ou mardi, le 21 ou le 22.
Mon Conseil général, les électeurs qui voulaient me donner un banquet en auront de l'humeur. J’en suis fâché, car ils sont très bien, et je tiens à ce qu’ils soient très bien pour moi. Mais il n'y a pas moyen. J'ai vu beaucoup de monde hier et je les ai préparés tous à ce désappointement. Dearest, de quel mot je me sers là! Admirez l'empire des situations. C’est au désappointement de mes électeurs que je pense quand je dois vous revoir cinq jours plutôt. Vous me le pardonnez n’est-ce pas ? Croyez-moi ; vous pouvez me tout pardonner, chaque nouvelle séparation, chaque jour de séparation me fait mieux sentir tout ce que vous êtes pour moi. Que de choses à nous dire ce jour charmant où nous nous reverrons et tous les charmants jours suivants Je vous crois parfaitement quand vous me dîtes que ce n’est pas à vous que vous pensez quand vous me parlez de la nécessité de mon retour. Vous ne m’avez pas envoyé la lettre d'Emilie. Je la plains de se marier sans goût. L’intimité de la vie quand celle du cœur n’y est pas me paraît odieuse à 55 ans comme à 20. Emilie s’y accoutumera comme presque tout le monde s’y accoutume. Mais il en résulte une certaine décadence intérieure qui me déplait infiniment. Il pleut ce matin. Je vais faire ma toilette. Je vous reviendrai dans une heure Adieu jusque là.
10 heures Voilà bien une autre raison de revenir plutôt. Mon courrier de Paris me manque ce matin, tout entier, journaux comme dépêches, et vous par dessus tout. Je n'y comprends rien. Mais quelle que soit la cause, l'effet me déplait horriblement. Quelque négligence, un quart d’heure de retard du commis expéditeur au Ministère. C'est odieux. Je vais me plaindre amèrement à Génie. Adieu. Adieu. Ma journée sera bien longue. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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6. Bruxelles samedi 4 mars 1854

Votre lettre d’hier reçu à mon réveil m’a fait du bien. Un coeur ami pense à moi aujourd’hui. Triste, triste jour, et lorsque tout est si triste ! Le vide autour de moi. Ce que vous me dites sur mon compte est bien vrai. Je suis surprise que vous m’aimiez puisque vous me connaissez si bien. Ah que je me sens malheureuse et aujourd’hui avec redoublement.
Je ne sais aucune nouvelle de l’extérieur, Van Praet n'en avait pas hier soir. Il est très soigneux de moi, et voudrait me distraire. Il m’a amené hier le général Charal. Belle figure, bonne tenue & bonne conversation. Je vous ai dit que Brokham le prussien est mon favori. Tous les autres le mien inclus sont bien peu de chose. Je suis prés de Paris voilà tout le mérite de Bruxelles.

4 heures. On m'annonce. une occasion Prussienne. Je voudrais avoir quelque chose à vous mander, mais il n’y a rien. Je ne sais si vos journaux donneront la lettre de mon empereur ; dans le doute je vous l'envoie. Elle me semble bien modérée, et attestant encore le dîner de la paix ; c'est beaucoup après le ton provocateur de la lettre de l'Emp. Napoléon.
M. Barrot est venu chez moi aussi, c’est le dernier diplomate qui me manquait. Il me plait parce que c’est un français. Ah que j'aime les Français ! mes yeux ne vont pas bien. Le roi Léopold voulait me voir chez lui au Palais. J’ai refusé, ce n’est pas dans nos mœurs. J’irai à Laken un matin. Dans ce moment il est dans son château des Ardennes. Il ne peut pas de son côté venir dans une auberge. Pourrez-vous me dire ce que vous pensez de la lettre de mon empereur ? Je la trouvé vraiment bien faite, mais j’en serai plus sûre si vous me le dites. Hélène vous dit mille souvenirs. Adieu. Voici aussi le manifeste.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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6. Paris, Mercredi 1er mars 1854

J’ai bien fait hier soir ce qui vous convient. Soirée très éparpillée. D'abord chez Mad. d’Haussonville la mère, puis chez Molé, puis et l’ambassade d’Angleterre. A ma première station, rien que les Broglie et les Ste Aulaire, Mad. d’Haussonville et Mad. d'Harcourt en grande toilette de bal, pour Mad. de Chastenay. Drôle de bal, donné seulement pour les femmes mariées. Mad. Piscatory a demandé la permission d'y amener sa fille Rachel, et elle a reçu une réponse si peu gracieuse, faisant sonner si haut l'exception qu’elle n’y est pas allée, non plus que sa fille. Chez M. Molé, peu de monde ; le Mardi gras absorbe tout. Toujours plus de femmes que d'hommes. Duchâtel, le Duc de Noailles, Rémusat, M. de Vogué, Pageot, & Molé triste, et vide, cherchant ce qu’on peut faire pour vous remplacer et ne trouvant pas. " Je ferai tout ce qu’on voudra pour cela. " Je n'ai pas répondu.
Le Duc de Lévis avait des nouvelles très récentes de M. le comte de Chambord qui reste à Prague indéfiniment. Il s'y trouve bien ; l'ex. Impératrice aime beaucoup la comtesse de Chambord. Vous ai-je dit que la Reine Marie-Amélie, en allant en Espagne, avait promis à sa fille la Princesse Clémentine d'aller, en revenant, passer quelques jours chez elle à Cobourg ? Si elle exécute son projet, en revenant plutôt, comme on le dit, à cause des troubles d’Espagne, le comte de Chambord ira probablement la voir à Cobourg. Le Prince et la Princesse de Joinville y seront avec leur mère, et le Duc d'Aumale ira peut-être jusques là au devant d’elle. Double visite donc ; le grand Duc de Gotha et Cobourg (car ce n'est plus qu’un, n'est-ce pas ?) à Paris, et toute la maison de Bourbon à Cobourg. Est-ce que le grand Duc de Gotha est destiné à remplacer ici le duc de Brabant ?
Assez de monde à l’ambassade d'Angleterre ; pas beaucoup pourtant ; les salons ressemblent à un habit trop large. Plus de Français que la dernière fois ; Flahaut, Fould, l’amiral Lasusse, his de Batenval, Michel trouve bien ; l'ex. Impératrice aime beaucoup Chevalier, et quelques autres. Lord Raglan, en conversation intime avec le petit général Chranowski (est-ce bien son nom ?), celui qui commandait l’armée Piémontaise à la bataille de Novare. On dit que c’est un homme capable, quoique battu. J’ai causé un moment avec Fould qui ne recherchait pas la conversation, plus longtemps, avec Flahaut qui était triste et inquiet de l'avenir, pour tout le monde. Peu cependant pour l’Angleterre ; on lui écrit que Lord John commence à mollir un peu sur son bill de réforme, et qu'il pourrait bien être amené à consentir à le laisser tomber. Quelque membre libéral et ami du cabinet proposera de déclarer qu’en ce moment la mesure est inopportune et demandera l’ajournement, qui passera. On dit que si Lady John ne s'en mêlait pas, son mari serait assez traitable ; mais elle ne l'est pas du tout.
Je vous retire, les sages mesures financières que je vous avais annoncées, le rétablissement de l'impôt du sel et des 17 centimes dégrevés sur la contribution foncière. Des gens compétents m'ont dit hier soir qu’il en avait en effet été question, mais que le bon sens avait été battu et que le budget présenté au Conseil d'Etat n'en disait rien. On a craint l'impopularité. Cela vous sera bien égal.
Lady Cowley m'a trouvé bien aimable d'être revenu. Je n'étais dans mon lit, qu'à onze heures et demie.

Jeudi 9 heures
Je reprends ma lettre que j’ai gardée pour une bonne occasion qui part aujourd’hui. La journée d’hier n’a pas été aussi paisible, dans les rues de Paris, que le disent les journaux. Pendant qu'à mon extrémité du Boulevard, on célébrait les obsèques de l'amiral Roussin avec toute la pompe due à un maréchal, canon, garnison sur pied, infanterie, cavalerie, artillerie, église magnifiquement décorée, grande foule de spectateurs curieux et froids, à l'autre extrémité sur la place de la Bastille, huit à dix mille ouvriers avec quelques douzaines de bourgeois se réunissaient pour attendre le convoi de l'abbé de Lamennais, c’est-à-dire une bière suivie par huit personnes, et escortée par un fort détachement de gardes municipaux. L'abbé de Lamennais avait, par son testament, formellement interdit qu’on portât son corps à l'Église, désigné les huit amis qui devaient seuls l'accompagner au cimetière, et ordonné qu’on descendît son cercueil dans la fosse commune, sans aucune cérémonie, pierre, inscription & &
A l’arrivée sur la place de la Bastille, les huit ou dix mille ouvriers ont voulu suivre le corps ; les gardes municipaux s'y sont opposés, ont dissipé la foule, barré une rue et fait cheminer le petit convoi solitaire vers le Père Lachaise. Mais devant la porte du cimetière, ils ont retrouvé, et bien plus nombreuse, la foule qui s’y était rendue par toutes sortes de voies détournées plus de 20 000 personnes, dit-on. Là, nouvel effort du peuple pour entrer dans le cimetière à la suite du cercueil de l'abbé ; nouvelle résistance des gardes municipaux, qui avaient reçu les renforts. On a repoussé, chargé, dispersé la foule, sans coup de feu ; le petit convoi est entré tout seul, la porte du cimetière a été fermée, et l’enter rement s’est fait avec autant de solitude et d'impiété que l’avait voulu le mort. Des agents de police se sont rendus immédiatement aux bureaux des journaux pour les inviter à ne rien dire de tout cela. J'étais, à cette heure-même, chez Mad. Lenormant, avec 25 personnes, Noailles, Voqué, Vitet, Kergorlay &, entendant une lecture de M. Villemain sur les efforts des conquêtes d'Alexandre pour l'influence des Juifs dans le monde et l’aplanissement des voies au Christianisme. M. de Riancey, le rédacteur en chef de l’Union est venu nous raconter ce qui se passait, et les récits de la soirée ont confirmé le sien. Le père Ventura, l’archevêque de Paris, tout le clergé, ont fait leurs efforts pour obtenir de l'abbé de Lamennais quelque parole de repentir, quelque apparence de mort régulière.
On se serait contenté du plus transparent mensonge. On n’a rien obtenu. Le chansonnier Béranger, et cinq ou six autres gardaient la porte du mourant et renvoyaient tout le monde, polis, mais péremptoires. L'orgueil enragé et désespéré du renégat a eu pleine satisfaction. Il ne vivait pourtant plus, depuis trois ou quatre ans que du produit de sa traduction de l'Imitation de J.C. !
La politique de police et de compression continue, sans violence mais non sans astuce et malice. Le 22 février, quand on a été décidé à interdire toute manifestation le 24, le préfet de police a mandé chez lui, un certain nombre de chefs et d’ouvriers des principaux ateliers de Paris. Il leur a notifié l’interdiction en leur déclarant qu'elle serait fermement maintenue. Puis, il a ajouté : " à quoi bon tout cela pour vous ? Vous ne faites que servir les légitimistes et M. Guizot. Lisez la presse ; vous y verrez ce qu’ils veulent et ce qu’ils font."
Il avait devant lui, sur son bureau, un moment de la presse. Il a répété mon nom trois fois, avec l’intention évidente de réveiller dans ce monde là l’irritation contre les légitimistes et contre moi. Je tiens les faits de deux assistants intelligents. Ceci bien pour vous seule, comme de raison. Mais il est clair que la police et la presse, au service du Palais Royal, m'en veulent à mort de la fusion, et voudraient bien trouver à mordre sur moi. Ils ne trouveront pas. Je suis et resterai aussi immobile que décidé. Seulement, ne vous étonnez pas, si ma correspondance est très réservée. Quel volume ! Je me figure que nous causons. Adieu, Adieu.
Dites-moi que vous avez le N°6.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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6 Du Val Richer Jeudi 17 août 1843
8 heures

Mon paquet retardé m’est arrivé hier soir, à 10 heures et demie. J'étais déjà couché. Par je ne sais qu’elle méprise du courrier, ce paquet était allé me chercher à Bayeux d'où on me l’a renvoyé. Je vais demander des explications et faire reprimander sévèrement le courrier. Mais j’ai le cœur content depuis que j’ai mes lettres, c’est-à-dire ma lettre. Il n’y avait rien de grave dans le paquet des dépêches, et le retard n’a point nui. Je n'en viens pas moins de régler notre départ pour lundi 21. Nous irons coucher, à Evreux ; et je serai à Auteuil mardi dans la matinée. Il serait possible que je fusse obligé de ne partir d’ici que mardi et de n’arriver à Auteuil que Mercredi. Mais j’espère lundi.
Vous ne croyez pas au 26. Vous aurez, nous aurons mieux. Je suis bien aise que Bulwer aille à Londres. Vous lui avez très bien parlé très véridiquement et très utilement. On fera une faute énorme si on fait du bruit contre le mariage Aumale. Au fond, si nous voulions ce mariage, si les raisons françaises et Espagnoles étaient en sa faveur, je n'aurais pas grand peur de ce bruit Européen. Je le crains parce qu'il est inutile et deviendrait fort dangereux s’il faisait de ceci, pour la France et pour l'Espagne, une question d’indépendance et de dignité nationale. Du reste, je ne sais pourquoi je vous répète là ce que vous avez dit à Bulwer. M. de Metternich, sous des apparences réservées et douces, me paraît bien préoccupé du comte d'Aquila, préoccupé surtout de la crainte que le Roi de Naples ne reconnaisse, avant l’Autriche, la Reine Isabelle, et ne s'échappe ainsi du bercail, comme fit, il y a quatre ans le Roi Guillaume. Il y aurait là, en Italie un acte et un germe d'indépendance qui lui déplairait fort. C’est évidemment une affaire qu’il faut conduire sans en parler beaucoup, et sans admettre une discussion préalable. En tout, je ne m’engagerai dans aucune discussion de noms propres. Je resterai établi dans mon principe, les descendants de Philippe V. C'est à l'Espagne à prononcer et à débattre les noms propres. Votre Empereur a déclaré aux Arméniens Schismatiques, dont le Patriarche est mort dermièrement qu’il ne consentirait à une élection nouvelle qu'autant que la nation entière reconnaitrait la suprématie spirituelle du Synode de Pétersbourg. La nation a refusé. L'Empereur a interdit toute élection et confisqué en attendant les biens du Patriarche, qui sont considérables, dit-on. Cela fait du bruit à Rome. Le Pape protégera les Schismatiques contre l'Empereur.
La lettre d'Emilie est bien triste. Et celle de Brougham bien vaniteuse.
10 heures
Voilà les numéros 7 et 8. Vous avez très bien fait. Je crois comme vous, à la vertu de la vue de ce qui a été écrit sans intention. Je ne réponds plus sur le 20. Il est devenu le 22. Je vous quitte. J’ai à écrire à Génie et à Désages. Je ne crois pas à Espartero sur un bateau à vapeur entre à Bayonne. Ce serait trop drôle. Adieu. Adieu. Je suis charmé que l’air de Versailles vous plaise. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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7. Paris Mardi, 1 heure le 15 août 1843

Je trouve ici votre bonne lettre 3. et l’incluse, excellente. Si je l'avais reçue à Beauséjour il y a une heure. Je n’aurais peut-être pas résisté à la tentation de la montrer, tellement elle est bonne, et to the point. Mais c’est trop tard. Où rattraper man chevalier errant ?

A 3 heures Beauséjour, je l'ai reçu c'est-à-dire que je l'ai fait venir. La préface a été bonne et courte. " Je vous crois un gentleman, je vous crois de l’amitié pour moi, jamais vous ne direz. Voici une occasion unique de porter la conviction dans votre esprit, et de faire par là du bien dans un moment important. Je ne veux pas balancer. "
L’étonnement et le contentement étaient visibles. Je crois, je suis sûre que j'ai bien fait. Il y a des occasions où le noir sur blanc, fait une impression bien autre que la parole. C'était comme mon K. il y a quelques semaines. Je vous renvoie, ce sera remis dans les mains de Génie. Il ne se doute pas comme de raison. Je l’ai vu ce matin, nous sommes convenus qu’Etienne ira tous les matins à onze heures prendre ses ordres c. à. d. ma lettre et qu'il viendra me l’apporter et reprendre ma réponse, demain à Versailles, après demain à St Germain. Adieu. Adieu. Je vais partir. Dites moi que vous recevez exactement mes N° celui-ci surtout. Adieu. Que j'aime votre N°3 !

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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8 Versailles Mardi le 5 Septembre 1843
Midi

Voici ma seconde lettre aujourd’hui en vous expédiant vite la première pour ne pas faire attendre l’homme de Génie. Je n’avais pas lu encore ce que vous m'avez envoyée. Je viens de le lire avec attention, c’est excellent et vous êtes vraiment très vertueux. La pièce jointe est parfaite à lire et même à donner. Il y a dans le compte-rendu des choses qu'il faudrait soustraire ce qui fait que je me bornerai au récit. Je ne sais pas encore, si je m'en chargerai moi-même où si le dirai à mon petit homme. Je vous rendrai votre papier " Si j'avais le temps, elle m'aimerait " vous me disiez cela hier en me parlant de Lady Cowley. C'est charmant et cela a fait éclater de rire l'Autriche et la Prusse.

Une heure.
Vraiment je me sens très souffrante, et je partirai. J’attendrai 5 heures parce que je crois que le duc de Noailles doit venir me voir. Adieu Je n'ai rien à ajouter. Je trouve tous les journaux aujourd’hui fort bons. Les fonds ont beaucoup haussé. Enfin ce voyage est ce qu’il devait être un grand et bon événement. God bless you et revenez. Je vous conjure de ne point vous embarquer du tout jeudi si le temps était gros ou seulement pas bon. C'est des bétises. Il ne faut rien rien risquer. Que je serai heureuse de vous revoir ! Vous ne me dites pas quand ? Je doute que vous reveniez avant jeudi minuit ainsi vendredi de bonne heure. Mais vous me ferez dire que vous êtes arrivé vendredi à mon reveil n’est-ce pas ? Ayez bien soin de vous je vous en conjure. Adieu. Adieu. Vous concevez que si vendredi à 8 h. du matin, je n’ai pas un billet de vous qui me dise que vous êtes à Auteuil j'irai me jeter dans la Seine. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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8. Versailles Mercredi onze heures
Le 16 août 1843

J’ai quitté Beauséjour à 4 heures. Je suis venue dîner seule ici, à 8 la jeune contesse est arrivée. Elle ne m’a pas ennuyée. Mais voici de son côté. Elle me dit tout à coup - Il doit être bien tard chère Princesse. - Quelle heure pensez-vous qu'il soit ? Près de onze heures. Il était huit heures 3/4. Vraiment j’ai peur qu’elle ne supporte pas longtemps le tête-à-tête.
Je me suis couchée à 10 h. J'ai très bien dormi. A 8 h, j'étais sur la Terrasse. Il faisait frais et beau. J’ai déjeuné, j’ai fait une toilette et me voici. La jeune comtesse est allée se promener dans les galeries, déjeuner chez Mad. de la Tour du Pin. J’y étais conviée aussi, mais je reste. Je vous écris et j’attends votre lettre.
Bulwer parle très sérieusement. Au fond il trouve le Cadiz ce qu’il y a de mieux et de plus pratique surtout. Le fils de Don Carlos impossible. Naples peu vraisemblable comme disposition espagnole. Dieu garde dit-il que qui que ce soit mette en avant un prince étranger quel qu'il soit. Car aussitôt la France serait forcée de lui opposer un Prince d’Orléans. Il ne faut pas à tout prix que la lutte de candidats s'engage. Il ne faut se mêler de rien. Il dit cependant que l'Angleterre doit agir pour empêcher que les Cortès ne nomment le duc d’Aumale, car malgré la résolution du Roi le cas pourrait devenir embarrassant. Si l'Angleterre veut en finir, je crois bien qu’elle arriverait au résultat contraire, mais enfin ce n’est que le dire de Bulwer. Il a beaucoup répété que son gouvernement était dans les meilleures dispositions d’entente avec la France. Il a insisté sur le bon effet qu’aurait la présence de Sébastiani, fort respecté à Londres. Cependant ne sera-t-il pas un peu trop Whig pour les gouvernements actuels ?
Tout ce que vous me dites dans votre N°3 me plaît. Vous avez pris si doucement mes reproches. De la manière dont vous me répondez, je trouve bon toutes vos faiblesses. Mais voici ce que je ne pourrais jamais trouver bon c’est que je fusse renvoyée au delà du 26. Vous pouvez être faible pour votre mère, mais vous ne serez pas injuste et dur pour moi. Je reste donc ferme dans ma foi pour le 26.
Midi et demie. Voici le N°4. Je comprends fort bien la première page, car Génie m’avait confié ce qui était venu de Londres. J’espère que vous aurez consenti à rétrancher le petit mot déplaisant. Il ne faut pas que vous ayez à vous reprocher un seul fait ou geste qui empêche de s’entrendre. Mais quel dommage que vous ne soyez pas ici. Je le répète : un jour de retard dans des affaires comme celle-ci c’est beaucoup risquer et vous dites mieux que moi. Je vous copie. " tout cela a besoin d'être conduit avec un grande précision et heure par heure." Et vous êtes à 46 lieues ! Mais au moins vous reconnaissez l’inconvénient, tout le monde le pensait, et moi aussi, par dessus toutes les autres choses. Revenez, revenez. Ceci est votre grand moment vous n'avez rien eu de si grave, de si important, et de si directement posé sur vos épaules depuis 3 ans bientôt que vous êtes ministre. Et c’est là le moment que vous avez choisi pour vos vacances. Pardonnez-moi si je reviens. Mais vraiment je voudrais impress upon your mind combien cela est sérieux pour vous. Je comprends toutes vos jouissances au Val-Richer, & j’essaie même de n'être pas jalouse ; mais je suis désolée de ce que votre sommeil soit toujours troublé. Enfin votre mère en vous voyant comme cela accablé de travail, vous laisserait bien partir, car elle reconnaîtrait que la politique est sa vraie rivale Adieu. Adieu.
Je renvoie Etienne avec ceci. Je regrette que mon N°7 soit arrivé à Génie trop tard pour vous être envoyé par la poste. Je l’avais donné à [?], à 4 pour le poster de suite. Il ne s’est présenté qu’après 6. Nouveau grief. Par dessus la glace & & Adieu. Adieu. Aujourd’hui variante avant le 26. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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9. Beauséjour Mercredi le 6 septembre 1843

Me revoilà dans mon home et j'en suis bien aise. J’ai encore dîné hier à Versailles et j’étais ici à 8 heures, & dans mon lit à 9. J'ai bien dormi jusqu'à 6 heures. à 7 heures j’étais sur les fortifications, je viens de faire ma toilette et me voici à vous. J’attends votre lettre. Le Galignani et les journaux ont devancé votre récit. Je sais que Lundi s’est bien passé. Belle promenade & concert. Je voudrais que tout fut fini. Dieu merci c'est le dernier jour.
Kisseleff est venu me trouver à Versailles hier sur les 3 heures, nous ne nous sommes vus seuls que dix minutes. Le Duc de Noailles est arrivé. Dans les 10 minutes il m’a dit qu'il avait écrit à Brünnow ceci : " On dit que le corps diplomatique (de Paris) montre quelque dépit de l’entrevue royale, quant à moi je me tiens dans un juste milieu. Je dis que c'est un événement très favorable au Roi et à son gouvernement et voilà tout. Si les autres disent plus ou autrement je trouve que c’est de la gaucherie. " Je l'ai encore loué. Il me dit qu'Appony avait changé de langage. Je le savais moi-même de la veille. Il est évident que c’est le rapportage de Molé et La confidence que je lui en ai faite qui ont amené ce changement. C'est donc un service que je lui ai rendu. Mais il n'en sort pas sans quelque petits blessure.
J’ai régalé le duc de Noailles de tout ce récit qui l’a fort diverti. Il a jugé l'homme comme vous et moi. Je lui ai dit qu’on savait que son langage à lui était très convenable. Cela lui a fait un petit plaisir de vanité. Il est évident que tous les jours ajoutent à son éducation politique, et qu’il meurt d’envie de la compléter. Je lui ai lu ainsi qu'à Kisseleff les parties descriptives de vos lettres. Cela les a enchantés surtout le duc de Noailles. Il trouve tout cela charmant, curieux, historique, important. Non seulement il n’y avait en lui nul dépit mais un plaisir visible comme s’il y prenait part. Je lui ai lu aussi un petit paragraphe, où vous me parlez du bon effet du camp de Plélan. Il m’a prié de le lui relire deux fois. Il est évident qu'il voudrait bien qu'on se ralliât. Il suivrait, il ne sait pas devancer. Il m’a parlé avec de grandes éloges du Roi, et de vous, de votre fermeté de votre courage, de votre habileté, de votre patience sur l’affaire d’Espagne. Il est très Don Carlos il a raison, c’est la meilleure combinaison parce qu'elle finit tout et convient à tous. Mais se peut-elle ? Il regrette que la Reine ne soit pas venue à Paris. " Un jour pour Paris, un jour pour Versailles. Elle aurait été reçue parfaitement. Le mouvement du public est pour elle aujourd’hui tout à fait. Une seconde visite sera du réchauffé. Aujourd’hui tout y était, la surprise, l’éclat. " C’est égal j’aime mieux qu’elle n'y soit pas venue. Kisselef m’avait quittée à 4 1/2 pour s’en retourner par la rive droite. Comme le Duc de Noailles partait par la gauche nous avons eu notre tête-à-tête jusqu'à cinq. Kisseleff partait triste, il avait peu recueilli. Tous les deux avaient dû dîner en ville et n'ont pas pu rester. J’ai dîné ave Pogenpohl que j’ai ramené jusqu’ici. J’ai remarqué qu'il en avait assez de Versailles. Un peu le rôle de Chambellan. La promenade et le dîner, et encore par la promenade quand j'en avais un autre. Mais c’est juste sa place.

Onze heures. Voici le N°8 merci, merci. Que vous avez été charmant de m'écrire autant ! Enfin vendredi je vous verrai c’est bien sûr n’est-ce pas ? Passez-vous devant Beauséjour ou bien y viendrez-vous après avoir été à Auteuil ? Vous me direz tout cela. Que de choses à me dire ; nous en avons pour longtemps. Et puis, l’Europe a-t-elle donc dormi pendant Eu ? Comme nous allons nous divertir tous les jours des rapports de partout sur l'effet de la visite ! J’irai ce matin en ville mais tard. Je passerai à la porte de Génie pour causer avec lui. Et puis commander ma robe de noce pour lundi. Ensuite en Appony pour voir le trousseau. J’y resterai pour dîner. Voici donc ma dernière lettre. Adieu. Adieu. Adieu. Apportez-moi moi la jarretière, je m’inquiète que vous ne m'en parlez pas. Ce que vous dites de la princesse de Joinville est charmant ! Adieu encore je ne sais pas finir. Adieu. Prenez soin de vous demain. J’ai si peur de la mer. Et puis j’ai peur de tout. Revenez bien portant, revenez. Adieu. Je me sens mieux aujourd'hui.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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9. Val Richer, Dimanche 20 août 1843
10 heures

Je serai bien court aujourd’hui. C’est un jour d'audience universelle. J’avais déjà trois visites ce matin, à 8 heures. On sait mon départ mardi. Tout le monde viendra. Et j’attends Salvandy dans la journée. Mes nouvelles d’Espagne sont bonnes. L’union des coalisés persiste et s'affermit au lieu de s’ébranler. Prim est chargé de pacifier Barcelone. Nous verrons bientôt une autre coalition, la Carlo-républicaine. Déjà on m'avertit que les Coalisés se remuent beaucoup. Coalition contre coalition. Olozaga viendra à Paris comme Ambassadeur vers la fin de septembre. On nous demandera d'en envoyer un à Madrid après le serment de la Reine aux Cortes. Jusqu'ici ce sont des affaires conduites sensément, sans presse et sans peur.
Espartero, en arrivant à Lisbonne a fait demander les honneurs de Régent. Le Ministre d’Espagne lui a fait dire qu’il avait reconnu, il y a deux jours, le gouvernement de Madrid, et le Cabinet Portugais qu’il allait le reconnaître. Espartero a déjà les illusions d'un émigré. Comme le monde va vite !
Ecrivez-moi encore demain. J’aurai votre lettre mardi matin, avant de partir. Le Roi de Prusse s’est personnellement. rejoui de la chute d’Espartero. Et Bülow aussi. Mais le travail anti-français est toujours bien actif en Allemagne. Il n’y aura pas de divorce légal entre le Prince et la Princesse Albert ; mais séparation de fait. Quand nous sommes ensemble à défaut de grandes nouvelles, il y a nous. Mais de loin, rien que des petites nouvelles, c’est pitoyable. Que Mercredi sera bon !
Piscatory fait très bien en Grèce. La conférence de Londres a adopté toutes ses vues. Adieu. Adieu. J’ai mon paquet à fermer et des gens qui attendent. Adieu, encore. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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10 Paris, Lundi 6 mars 1854

Ste Aulaire vient de me prendre deux heures. Il m’avait donné à lire toute l'affaire d'Orient de 1840 dans son ambassade de Vienne. Lecture parfaitement amusante aujourd’hui. On voit naître 1854. J’avais quelques observations à lui faire quelques additions à lui indiquer. Longue conversation. Il m’a beaucoup remercié, et moi lui. Cela vous amuserait beaucoup. Comme vous étiez au bout de tout, vous me manquez partout.
On trouve en général la lettre de votre Empereur plus habile que fière à la fois pacifique et entêtée ; des désirs pacifiques avec des résolutions. qui rendent la guerre inévitable.
Je ne sais rien quoique j'ai vu hier assez de monde, Dumon, Molé Duchâtel, Vitet, Noailles, Broglie. L’Assemblée nationale, était pour beaucoup dans la conversation ; elle reparaîtra le 6 Mai, après ses deux mois de pénitence.
Je remarque ce matin que, de tous les journaux, le plus impérialiste, l'Univers, est le seul qui, en publiant l’arrêté de sus pension de l'Assemblée nationale, publie aussi l’apologie qu’elle y a jointe hier, en paraissant pour la dernière fois.
On disait beaucoup hier que deux régimes anglais traverseraient, la France ; on affirmait même que le chemin de fer du Nord avait reçu ordre de se mettre en mesure pour les transporter. Je n'y crois pas. Ici aussi, il fait froid, mais avec un soleil superbe. J’espère que vos yeux vont mieux. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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10 Val Richer, Mardi 21 Juillet 1846 4 heures

J’ai expédié mon courrier et mes visites. Je me suis promené une heure. Je vous reviens. Vous vous promenez probablement aussi dans la forêt. Mes bois ne sont pas si bien percés, ni si grands. A quelle heure placez-vous vos deux promenades ? Vous ne devez plus souffrir de la chaleur. Il fait frais ici ; un peu de pluie tous les jours. En tout, une température agréable. Pas assez chaude pour mon goût. Surtout pas assez lumineuse. J'aime le ciel brillant et pur, qu’il n’y ait que de la lumière, de l’espace éclairé entre nous et les régions inconnues. Les nuages me déplaisent. C’est de la boue en l’air. Ce n'est pas là sa place. De mon origine méridionale, je n'ai conservé que certaines dispositions, certaines préférences matérielles celle-là surtout. Le caractère, le naturel moral des populations du midi ne me plaît guère. J’aime mieux les populations du Nord, du semi, nord s’entend. Elles ont plus de good sens, de mastliness, de consistency et de délicatesse. L'inconséquence toujours imprévue et la familiarité grossière des méridionaux me déplaisent souverainement bien que spirituelles et amusantes. Mais le ciel, le ciel ! Il n’y a de ciel que dans le midi.
Je repense à la lettre de Lady Palmerston. J’en suis frappé comme vous. Point de confiance ni d’en train. Que dites-vous de la quasi-nouvelle de Brougham. Palmerston leader des Protectionistes dans les Communes ? Je n'y crois pas. Brougham n’y croit pas. Surtout, il n'en veut pas. Mais il ne repousse pas cela absolument. Avec la confusion des Partis et l’inconsistency hardie de Lord Palmerston, tout est possible. Vous avez raison. Le prochain Parlement ramènera Peel. Et par conséquent Aberdeen, quoiqu’il en dise aujourd’hui. Pourquoi, ce humboy inutile ? Je lis nos journaux ici bien plus attentivement qu'à Paris. En avez-vous plusieurs à St Germain, et lesquels de l’opposition ? Je les trouve bien froids, et décolorés, et déroutés au fond, malgré la violence et la grossièreté de leurs injures. Evidemment le parti n'espère pas grand chose des élections. Je ne me fie point à son propre découragement, même sincère, au découragement du parti de Paris, des meneurs et des journalistes. Je suis convaincu que sur les lieux, dans chaque arrondissement parmi les hommes qui ont réellement la main à la pâte électorale, il y a beaucoup plus d’ardeur, et que rien ne manque à leur travail, et qu’ils trouvent dans les préjugés, dans les habitudes, dans les penchants critiques, et radicaux des masses beaucoup plus de moyens d'action et de chances de succès qu’on ne le croirait d'après les journaux du centre. Je n’ai donc pas une pleine confiance bien s'en faut. Cependant j’en ai. Ce sera un grand succès s’il arrive. Aussi grand que nouveau. Et la question bien personnelle, bien posée sur mon nom. Il n'y a que vous au monde avec qui je me laisse aller aux satisfactions orgueilleuses. Plus je vais plus mon orgueil devient intérieur et a moins besoin de paraître. Il est ridicule de le montrer avant, subalterne de le montrer après. Mais à vous, je montre tout.
Mercredi 22, 8 heures
Je me suis levé tard. J’ai éternué. L’humidité est, l’inconvénient de ce pays-ci. Pour peu que je me promène après dîner, mon cerveau s'en ressent. Ce n’est rien du tout, comme vous savez ; seulement un peu d'ennui. J’attends mon courrier. Adieu, en attendant. 9 heures Voilà votre lettre. Courte, mais tendre ; et pas de mal d'yeux et pas d’abattement ; les deux maux que je crains le plus. De quoi s'avise Mad. Danicau d'être malade ? Le courrier ne m’apporte rien d'ailleurs. Sinon beaucoup de signatures à donner. Toujours bonnes nouvelles électorales. Adieu. Adieu. Adieu G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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12. Bruxelles mardi le 14 mars 1854

Vous avez bien de l’esprit, et j'en ai aussi. Votre critique de nos deux dernières pièces est précisément ce que j'en ai pensé et dit. J’aime bien ces rencontres. J’enverrai votre lettre plus loin, il est bon qu’on entende chez nous la vérité. Ah que tout cela a été mal conçu et mal conduit.
Mes yeux vont un peu mieux, mais ma tête, mon cœur, et toute ma santé générale ! Avec quelle tristesse je me réveille et je m’endors. Dans une vie si avancée retrancher tant de mois de jouissance, de bonheur ! Meyendorff a dit à Vienne : " Si la porte accorde l'émanci pation des Chrétiens, il n'y a plus de question d’Orient. " That is sensible. Qu'ils accordent donc il paraît trop qu'on s’était pressé ici de croire que c'était fait, ils n'ont obtenu encore que l'égalité devant les tribunaux et encore cela n'est pas tout à fait complet. Morny me mande que St Arnaud va à Vienne. Le sait-on ? On prend à Paris très bien la nouvelle attitude de la Prusse. Elle nous est favorable en tant que tout-à-fait neutre. Le temps ici est magnifique, mais je ne jouis de rien. Comment jouir quand on pleure. Adieu, des lettres, des lettres. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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12 Val Richer, Jeudi 23 Juillet 1846 7 heures

Décidément je ne puis pas me promener dans ce pays-ci passé huit heures du soir. Je l’ai fait un peu hier, par la plus belle soirée du monde. J’ai été pris, cette nuit d’un éternuement ridicule, qui dure encore. Si j’étais dans cet état-là dimanche prochain, je serais parfaitement incapable de dire quatre paroles devant tout ce monde qui en attendra plus de quatre. C’est un sentiment très désagréable que d'être indispensable, à heure fixe, pour quelque chose d'important. Je n'ai point d’inquiétude. Mon éternuement sera passé ce soir. Je me tiendrai strictement dans la maison, à partir du dîner et j'aurai dimanche en ma possession mon cerveau et ma gorge. Il me les faut absolument. Si mes filles m’entendaient, elles me diraient avec un peu d’embarras et beaucoup de foi, qu’il n’y a point d'absolument devant Dieu, et que c’est à lui qu’il faut demander ce dont j’ai besoin. Elles auraient raison. J’ai ici M. et Mad. Austin qui me sont arrivés hier à l’heure du dîner. J’attends ce matin, M. Libri. Ils me resteront, je crois, deux ou trois jours. Ce sont vraiment des gens d’esprit. Mais il n'y a plus dans le monde qu’un esprit qui me plaise toujours et que je n'épuise jamais.
J’ai écrit au Roi les faveurs envoyées de Pétersbourg à l'Ambassade russe, et toute cette coquetterie envers la France, sauf le Roi des Français après un petit mouvement d’impatience, cela le fera rire. Il est enchanté de ses promenades, aux fortifications. Il m’écrit : " Vous n'imaginez pas le succès de celle d’aujourd’hui. Il était évident que les foules d'ouvriers, de gens de la campagne, étaient enchantées que le Roi visitât les forts et voulaient le lui témoigner. C'est magnifique, très important et pour moi délicieux à contempler. On peut à présent répondre de la sureté de la France et dire, comme Léonidas à Xerxès : " Viens les prendre. " Il ajoute à la fin de ses lettre : " Le Duc d’Aumale a eu, au col, un dépôt assez gros qu’il a fallu ouvrir. Il a de la fièvre. Cela ne donne pas d'inquiétude, et on m'assure quelle diminue et ne durera pas. Nous n'en faisons pas de bruit et la Reine ne décommande nullement ses invitations. N'en parlez donc pas si vous n'en entendez pas parler. 9 Heures J’ai des nouvelles de Londres. Very gloomy, comme les vôtres. On croit très probable que le Sugar bill, sera rejeté et alors la dissolution immédiate. Et proba-blement une majorité protectionniste. Avenir plus obscur que jamais. Peel, a favourite to the nation autant que perdu dans le Parlement. A Madrid Bulwer mal pour les fils de D. François de Paule ; cherchant à les décrier, y compris De Enrique. Remettant sur le tapis un archiduc, un brouillon dépité. Je lui croyais plus d’esprit. Et j’ai encore peine à croire qu’il fût impossible d’en tirer meilleur parti. Mais les deux hommes se sont heurtés, dés le premier moment au lieu de s'accrocher. J’ai toujours pensé que Thom avait de l’esprit. J’ai essayé plusieurs fois d’aller au devant de cet esprit, de le faire sortir à l’air. J’ai causé. J’ai été bon enfant. Il n'y a pas eu moyen. La peur le paralyse. Ses informations et ses idées espagnoles lui viennent évidemment de Bourges. Adieu. Adieu. J'ai à écrire à Génie pour je ne sais combien d'affaires. Votre estomac et vos jambes me déplaisent. Il faisait froid ici aussi ces jours derniers., Aujourd'hui le chaud revient. La promenade serait charmante. Adieu. Mon éternuement m'irrite. J’ai pris cinquante fois mon mouchoir en vous écrivant. Adieu de loin. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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13. Paris le 8 juin 1853

La situation est bien vive je crois que les Allemands vont se joindre à l'Angleterre. La France est dans l’alliance ou avec elle au moins l’entente tout-à-fait. Fould a l’air content. Des nouvelles particulières disent qu'Aberdeen rompra le Cabinet, ne voulant pas faire la guerre. Nous verrons cela après demain jour des interpellations.
Les Russes sont très montés. Je ne vois pas comment on peut s'arranger sans guerre ; si elle commence, où elle finira.
Je pars bien triste, mais je pars. Je dis Samedi. Constantin sera à Ems pour me voir un moment le 16.
Vos commentaires me sont toujours précieux. Il y en a long à faire !
Heeckeren est chez moi tous les soirs, tout le monde y est & désolé de mon départ. Il n'y aura plus où se rencontrer. La ville était pleine hier de la retraite de Fould, il n’y a pas un mot de vrai.
Adieu. Adieu. Je suis malade de tout ceci. J’ai besoin de m'en aller, sauf à crever d'ennui. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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14. Bruxelles Vendredi le 14 Mars 185

Il se fait un grand travail pour disposer mon empereur à se reconnaître satisfait, le cas échéant de l'émancipation religieuse et civile des Chrétiens à laquelle la France & l'Angleterre travaillent activement à Constan tinople. Il serait fort utile que vous m'en disiez un mot dans votre prochaine lettre. De ces paroles qui frappent et comme vous seul savez les dire. Beau rôle à jouer que de rendre la paix au monde, et d’attester par là que ce n’est ni son ambition ni son amour propre dont il recherchait la satisfaction. S’il dit " Je suis content & je le prouve en sortant des principautés", tout est fini, tout le monde est heureux, & si l'Angleterre osait ne pas être satisfaite c'est contre elle qu'on se retournerait. Voilà l’opinion de mon long tête-à-tête l’autre jour. Le Roi a reçu une excellente lettre de mon empereur. Elle atteste son désir à présent, toujours de faire la paix. J'y vois ainsi une grande confiance dans les opinions du roi.
Je vous prie causez avec moi familièrement sur le texte que vous dis. Grand à propos. Voici votre lettre et vous me dites tout juste ce que je vous demande. Cependant je veux encore ; même familiarité de style, et puis du stimulant sans rien de blessant. J’ai envoyé votre N°16 qui était bon et utile, la critique de nos prières. Il faut que nous écoutions la vérité. S’il n’y avait pas des sifflets j'enverrai celle-ci aussi. Les autographes font toujours meilleur effet que les copies quand il n'y a rien de préparé, ainsi pas de princesse.
Votre projet de visite m'enchante ! Barrot vient me voir souvent, & me prie de vous offrir ses hommages. Vous le confondez avec son frère. Il n’a jamais été député. Il s'appelle Adolphe et a longtemps servi sous vos ordres, il parle de vous avec beaucoup de respect et de reconnaissance. Lord Howard vient beaucoup aussi, je suis très bien avec tous les deux. Ils ne voient plus du tout Chreptovitch & Kisseleff. Celui-ci a fini avec moi complètement ; c’est incroyable. Vely Pacha est ici logé sous le même toit que moi et toute la Russie car il y a K. Hélène, mon fils & deux autres familles Russes. Lady Palmerston m'écrit de bonnes lettres affectueuses. Ah que je vais me réjouir de vous recevoir. Comme je me sens triste du présent, de cet avenir si incertain si sombre, car je n'ose rien espérer, les proportions de cette guerre peuvent devenir énormes. Cela fait frissonner. Brunnow n’est pas arrivé encore. Dépêches et lettres s’attendent. Adieu. Adieu. Merci mille fois de Cromwell.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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17 Bruxelles le 22 mars 1854

Quel ennui que ce N°15 égaré ou retardé ! Je crois que j’y répondais à votre charmant projet de me me voir. J’accepte la date avec bonheur. Dites-moi quand vous aurez reçu cette lettre chanceuse. On est très vif ici à propos de la nouvelle de Constantinople. Certainement l'envoi des troupes dépendait des consentements de la porte à la demande d'émancipation des Chrétiens. Si cette émancipation est vraiment obtenue et on y croit, et si mon empereur à la bonne foi & le bon esprit de s'en tenir pour satisfait voilà la guerre évitée, mais c’est trop beau pour croire à ce facile dévouement.
Lord Holland & M. Barrot se sont rencontrés chez moi hier, bien contents & tous deux bien pacifiques. J’ai été très contente du langage de l'Anglais, un grand changement depuis huit jours. Le français avait toujours été convenable et bien. On annonce Brunnow pour aujourd’hui. Quelle curieuse correspondance que celle qu’on vient de produire au parlement. Pauvre dépêche que celle de lord John, mais quel entrain de mon empereur. Dites-moi je vous prie votre avis de tout cela. La publi cation ne me paraît pas une chose bien inventée, pourquoi avons-nous provoqué cela ? à tout instant je me sens le besoin de vous interroger, de vous entendre. Je n’ai pas encore lu cette correspondance jusqu'au bout. Mes yeux sont très capricieux. Je les croyais mieux, ils sont repris. Le temps est froid. Je serai charmée de vous savoir revenu à Paris.
Adieu. Adieu, je suis restée deux jours sans vous écrire à cause de votre absence. J'ai eu peut être tort, mais je croyais que mes lettres reposeraient à Paris. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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19 Londres, vendredi le 15 août 1845 dix heures.

Mauvaise journée hier. Mes yeux allaient mal. J’ai eu bien peur le matin je suis mieux. Je serai curieuse de me faire lire votre discours du dîner. J’aurai cela à Douvres sans doute. Je pars demain matin à 9 heures avec Bulwer. J’irai à Folkston peut être, mais toujours par terre et non par fer. Si le temps n’est pas mauvais je passerai dimanche. Dietrichstein est revenu hier. Décidément il me fait sa cour pour arriver à Paris ! Pas d’autres news. Londres est [?] on avait bien envie de m’entraîner à la campagne. Le genre de vie et la lumière ne me vont pas.
Que de choses à vous raconter ! Tâchez que ce soit bientôt. Adieu. Adieu. J'ai mes paquets à faire & les bills à payer. Adieu beaucoup de fois adieu. Je viens de lire votre discours. Excellent. Parfait. Adieu. excellent.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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21 Boulogne lundi 18 août 1845
10 heures

Bulwer m’a parlé très sérieusement et très intimement de la question du mariage du duc de Montpensier avec l’infante. J’ai dit que j’ignorais tout à fait, et puis j’ai dit Pourquoi pas ? " Parce que ce serait mille foi pire que d'épouser la Reine elle-même. Il deviendrait plus puissant que le mari. Des tiraillements à l’intérieur, immense jalousie au dehors. D’ailleurs il est certain que la Reine n'aura jamais d'enfant. " En résumé Bulwer s'opposera de tout son pouvoir à ce mariage. Il en a l’ordre & d'Aberdeen & de Peel. l don't care. Et puis, il a répris. " La seule manière pour que cela puisse se faire serait que Cobourg épousât la Reine. " " Mais alors que Cobourg épouse l'infante et M. la Reine. " " Oui c’est égal." Savez-vous qu'il y a de quoi méditer sur cela. Je vous l'envoie tout cru. J'aurai à ajouter verbalement. Aberdeen ne m’a pas dit un mot d'Espagne, seulement en termes généraux s’attendant toujours à quelque événement là.

Midi. Voici votre lettre de Samedi. Nous sommes rapprochés d'un jour, Dieu merci. Vous ne me parlerez pas de votre santé ! Dites-moi que vous vous portez très bien. Merci mille fois des nouvelles, grandes & petites. Tout m'intéresse. J'ai dîné & passé ma soirée hier avec les Cowley. [Geor?] est fort bonne pour moi. Mon temps pourra se passer passablement pendant quelques jours. Je ne décide rien encore. L'Ambassadeur va pour quelques jours en Angleterre. On en fait peu de cas là. J’ai fort bien parlé de lui. Il me semble qu'il sera bien temps que vous reveniez à Paris, c-a-d. à Beauséjour pour toutes vos affaires et qu'il sera surtout fort bon que vous vous rencontriez avec Aberdeen. Il y a à parler sur tout. Mais ce que lui regarde toujours comme la plus grosse difficulté avec la France, la plus grande, c’est ce petit misérable Tahiti. Il me parait que l'entrevue avec Metternich aura été très courte si celui ce n’est allé qu'à Stolzenfels. Adieu. Adieu.
Imaginez que je n’apprends qu'aujourd’hui que le feu était à bord du bateau pendant que je passais dessus ! Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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22. St Germain Mardi 4 août 1846

Je suis revenue ici hier au soir avec un accroissement de 25 voix à votre majorité. Je suppose que vous en perdrez un peu aujourd’hui, mais en attendant ce début était bon. J’ai vu en ville lady Cowley W. Hervey, Fleichman. Rien de nouveau de Londres grande vraisemblance qu'on ne dissoudra pas le parlement, et qu’en le laissant faire son temps ou s'affermira dans l’intervalle car Peel n’est pas mur, & les protectionnistes impossibles. C’est bien ennuyeux d’avoir à s’accommoder ou s’incommoder. des Whigs pour longtemps peut-être. J’ai écrit hier à Lady Palmerston. La journée hier était fraîche charmante pour la course ; aujourd’hui la chaleur est revenue. Je suis triste, j’ai laissé en ville votre lettre, c’est la première fois qu’un accident pareil m’arrive. Aucune importance à cette lettre pour personne, Mais pour moi ! Pouvez-vous me dire si le roi ouvre les Chambres le 17 ? Ou si, comme plusieurs personnes me le répètent, il n’y aura de séance royale que pour les proroger. Lady Cowley est en bien mauvaise humeur. Le moi domine dans tout. Ce n’est pas une personne aimable. Je suis bien enracinée de ce que Jarnac vous rapportera de Londres par suite de votre lettre de jeudi.
Midi Voici votre N°20 charmant. Mais ne vous revenez pas tant, reposez-vous. Je m'agite et m'échauffe en pensant que vous n'êtes jamais tranquille. Je vous prie soignez-vous. Je suis bien fâchée de M. J. Lefebre non révélé. Et ces lois sur les patentes qui devaient faire un si bon changement dans les élections ? Vous voyez que je me souviens ce soir vous saurez sans doute à peu près tout, ou demain matin. En somme il me parait que vous aurez gagné. J’ai seulement peur comme vous que ce ne soit trop. Cependant il vaut mieux cet embarras que l’autre. Adieu dearest. Qu’est-ce que sont pour moi les élections ? et tout le reste ! Je veux seulement que vous vous portiez bien & vous revoir bientôt, bientôt. Je vois avec grande joie que les deux soirées vous restent bien dans le cœur. C'est juste. Adieu dearest.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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24 Boulogne jeudi le 21 août 1845 onze heures.

Merci de votre bonne lettre me promettant une bonne soirée pour samedi 30. Quelle joie ! Je ne me sens pas bien près de la mer. Très billieuse. Cependant je reste jusqu'à dimanche je crois. Le temps se passe assez bien ici, & je ne trouverai rien, jusqu'au 30. En fait de société comme comme celle des Cowley je n’ai rien à espérer. Lord Cowley m’a parlé hier dans le même sens qu’avait fait Bulwer au sujet du mariage Montpensier c.a.d. absolue opposition. Il est convaincu que ce sujet aura été abordé entre Metternich, et Aberdeen, et qu’ils aurait été parfaitement d’accord. L’infante, c’est comme la reine. On ne peut pas admettre un mariage français. Il n’est pas allé plus loin et ne m'a rien dit de ce que m’a dit Bulwer. Mais comme lui, il a ajouté " cela peut être après tout une idée très exagérée et même très fausse. Le pacte de famille a été pour la France un fardeau, un embarras, plutôt qu’un bénéfice ; mais enfin le principe est posé nous ne pouvons pas voir renouveller cela. "
Je pense beaucoup à ce que m'a dit Bulwer & que je vous ai mandé. je crois qu'il sera ici demain en tous cas je crois que vous le trouverez encore à Paris. Je l'engage à vous y attendre. La tempête continue. Qu'avez vous dit des troubles de Leipzig ? Adieu, adieu. Mille fois adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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24 Ems Jeudi 30 Juin 1853

Dans les grandes choses, votre esprit & votre jugement sont merveilleux. Vous voyez que je parle de la lettre où vous appréciez la dépêche Nesselrode. Je l’ai envoyée au correspondant que vous savez. Il en sera très frappé. Elle était trop grosse pour le quartier général, je crois cependant qu’elle y fera son chemin par ce détour. Évidemment on fait les derniers efforts pour négocier un arrangement, mais je ne comprends pas que mon Empereur puisse céder, car ce qu’il demande est après tout bien peu de chose. Je n’ai pas de lettre ici de Londres, ni de Vienne qui sont mes deux bonnes sources.
La pluie a cessé Dieu merci. J'ai pu recommencer les bains. Je vois chez moi le soir quelque fois le prince de Prusse, roi un jour. Il a 22 ans, agréable, et bon enfant. Voilà tout ce que j’ai pu attraper, il n'y a absolument personne. C'est à périr.
2 h. Une longue lettre de Greville, très noire pour nous. Il croit qu’on négociera entre Londres & Pétersbourg plutôt qu’à Constantinople. Mais là le sultan ne veut entendre à rien, c.a.d. que Redcliffe veut cela. Greville reconnaît que l’[Empereur] ne peut pas reculer. Quelle mauvaise affaire ! Je crois que si vous & mon correspondant de Vienne vous vous rencontrez, vous trouverez moyen de nous en faire sortir. Vous comprenez comme tout ici me tracasse.
M. de Budberg me mande de Berlin, que selon les lettres de Brunnow le Cabinet anglais a abdiqué ses pouvoirs entre les mains de Lord Redcliffe.
Adieu. Adieu, je ne pense et ne rêve qu'à ce maudit Orient, et à vous. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°24 Val Richer, Samedi 26 Juin 1852

J’ai lu hier soir ces débats du corps législatifs sur le budget. Ceux qui s’en promettent, et ceux qui en redoutent beaucoup me paraissent également enfants. Ni l’absolutisme impérial ni l'opposition parlementaire, ne sont près de ressusciter. On ne fera qu'évoquer deux fantômes. Voici l’incident sérieux du Débat. M. de Kerdrel, au milieu de son discours a demandé à l'huissier un verre d'eau sucrée ; l'huissier n’a pas osé prendre sur lui ce retour au régime parlementaire ; il a consulté le secrétaire de la Présidence, M. Valette qui a consulté, M. Billault. M. Billault a répondu qu’il valait, mieux s'abstenir. Alors, M. de Kerdrel a prié un de ses voisins d'aller lui chercher un verre d'eau et le voisin a rapporté le verre au milieu des rires et des applaudissements de l'assemblée. M. de Montalembert, en prenant la parole a demandé à son tour un verre d’eau sucrée à très haute voix. L'huissier troublé a regardé M. Billault, et M. Billault trouble a fait signe à l'huissier de l’apporter C'est la première liberté reconquise.
Vous savez que le Président assistait à la séance, dans sa tribune. On dit que, pendant le discours de M. de Montalembert, il a écrit un billet à l'autre président, pour lui demander de faire taire l'Orateur, et que M. Billault a traité cette demande de prétention inconstitutionnelle. Je doute de la demande et de la réponse. Le chapitre qui a été rejeté n’est point celui de la Police générale, mais celui de la dotation du Sénat. Le rejet a eu lieu, non pour le fond même de la dotation, mais pour une question de place et de forme. Les fonds seront votés ailleurs.
Il y a eu aussi des scènes au Sénat, mais des scènes privées, entre le Roi Jérôme et le maréchal Exelmans à propos d’un M. Laurent de l’Ardèche naguère très rouge, qui vient d'être nommé Bibliothécaire au Sénat. Le Maréchal s'est fâché tout rouge. Le Roi a répondu que M. Laurent n'était plus que bleu.
Après les commérages de l'Elysée ceux de Claremont. La fusion ne marche pas. Le départ de Mad. la Duchesse d'Orléans, qui devait la presser, l’a arrêtée. Les Princes troublés de la séparation disent qu’il ne faut pas brusquer la Princesse qu’avec de la douceur on l’amènera à la fusion que d'ailleurs, avant de faire la démarche décisive, ils ont besoin de savoir où en sont les vues politiques du comte de Chambord. Le Duc de Montpensier retourne directement en Espagne par Plymouth, et le Duc d’Aumale qui avait été très explicite sur son intention d’aller à Frohsdorf, ne parle plus que de patienter et d'attendre.
J’ai vidé mon sac. J'attends le vôtre. J'étais pressé hier en fermant ma lettre. Je vois que le Roi de Wurtemberg est venu vous chercher et que vous avez eu, avec lui, la conversation tant interrompue. J’en suis bien aise. C’est certainement un Prince fait pour la grande. politique.

10 heures et demie
Votre lettre ne m’apprend rien, mais elle me fait plaisir. Malgré la fatigue vous vous trouvez un peu mieux et votre vie vous plait. Et probablement vous aurez Aggy. Je l’espérais un peu. Moi aussi, j’ai bien envie de connaître M. de Meyendorff. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°25 Val Richer 27 Juin 1852

Stolzenfels m’a beaucoup plu, et j’ai peine à me figurer qu’on n'y retourne pas avec plaisir. Le Roi de Prusse sera charmant pour vous. Je vous envierai un peu son château et sa conversation. Je ne vous envierai rien, si vous vous portez bien. Vous n’avez pas d’idée combien je serai content et tranquille quand vous aurez Aggy avec vous, si vous l’avez comme je l'espère. Vous me direz quand il ne faudra plus vous écrire à Schlangenbad. Il me semble qu’en tout cas, la lettre de demain devrait être la dernière puisque le 2 Juillet sera là, au plus tard votre dernier jour.
Je n’ai pas la plus petite nouvelle à vous donner. Le corps législatif va finir dans deux jours très paisiblement. Le Président. a obtenu à peu près tout ce qu’il voulait. Dans le pays les grands manufacturiers les grands propriétaires auraient fort souhaité que la réduction de 31 000 hommes, sur l’armée fût adoptée, ils y auraient vu un gage de paix, de longue paix, et c'est là leur seul souci. Du reste les affaires commerciales vont bien à peu près partout. On me dit que les espérances ministérielles de Morny et de Fould sont de nouveau à vau l'eau. Ils avaient espéré, après l'acceptation du conflit par le Conseil d'Etat, obtenir du Président quelque adoucissement dans l’intérêt de la famille d'Orléans. Il s’y est absolument refusé.

Onze heures
Vous n'aurez aujourd’hui que cette misérable lettre ; le facteur m’apporte deux petites affaires auxquelles il faut répondre sur le champ. J'adresse, ce rien à Francfort. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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29 Ems samedi le 9 juillet 1853

Une lettre extra pour vous dire que selon mes dernières nouvelles nous allons publier une dépêche explicative de Manifeste, où il sera dit : qu’aussitôt que la porte nous aura offert des garanties acceptables et que les escadres des puissances maritimes auront quitté les eaux de la Turquie, nos troupes de leur côté évacueront la Moldavie et la Valachie. Qu'en dites-vous ?
A propos M. de [Damis] est enfoncé dans les lectures que je lui fournis quoique nous nous voyons deux fois le jour il m'écrit à tout instant. Voici sur votre lettre. Il m’en a reparlé le soir, avec des admirations sans fin sur le style de votre lettre. Vous me querellez sur la distinction que j’ai l’air de faire de votre Génie pour les grandes & petites choses. Certainement vous valez mieux pour les premières, mais je vous prie de ne pas m’abandonner dans les autres.
Je suis d'une grande curiosité du débat de hier au Parlement. On commence à dire que Palmerston reprendra les affaires parce que si dans ce poste il ne nous fait pas la guerre, les Anglais verront qu’il n’y a pas de quoi la faire. Enfin ce serait drôle, mais tout est drôle, pourvu que cela ne reste que drôle. La chaleur est étouffante. Adieu. Adieu.
J'attends ce que vous me direz du Manifeste. [Damis] prétend que de même que l'[Empereur]. excite l’enthousiasme religieux, il saura le calmer. Il est le maître très puissant chez lui.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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33. Paris le 9 juillet 1852 jeudi

Je n’ai pris à Schlangenbad qu’un seul bain. Je n’avais pas le temps. Voilà la vie de cour. Ils ont fait du bien à l’Impératrice. Je les aurais pris avec grand bénéfice après son départ pendant 15 jours, si Aggy était venue. Voici qu’elle s'annonce pour le 14 c’est encore bien long.
Paris est étouffant. Je vois tout le monde. Fould, Caumont, voilà pour la Cour. Toute la diplomatie. Duchatel, Dumon, Noailles les indépendants. L’Empire ne se fait pas encore, on n’en parle pas ; pas du tout. Il faut une femme, elle n'y est pas encore. Le Prince se porte à merveille & se repose à St Cloud. Il ira à Strasbourg le 17. 3 jours d'absence.
Je vous répète que j’ai beaucoup à vous raconter et rien à écrire. Je cause avec vos amis, je les écoute & je leur apprends. Je suis trop paresseuse pour aller à Champlatreux. Je n’ai pas eu une minute de solitude de puis mon arrivée. Je me lève à 7. Je me promène jusqu'à 8 1/2 alors je me renferme. Je dîne à 3, à 6 h. je sors pour rentrer à 8 1/2 & je me couche voilà ma journée.
De 10 à 6 on vient me voir. Kisseleff part demain pour Vichy. Hatzfeld est bon d’affaires. Hubner n'est pas revenu. L’Impératrice s’est bien trouvée de Schlangenbad, mais il eut fallu quinze jours encore & l’Empereur ne lui a pas accordé. Je n’ai pas encore eu le temps d'écrire un seul mot à l’Impératrice. Adieu. Adieu.
On me dit que je ne trouverai rien à Dieppe. C'est là que je veux aller, mais j’ignore si je réussirai. Je le saurai demain Adieu.
Drouin de Lhuys va avoir les aff. étrangères. On changera aussi M. Duruflé. Lord Mahon & Cardwell ont perdu leur élection.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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36 Bruxelles le 21 avril 1854
Vendredi

Je vous envoie l’article du journal de St Pétersbourg pour le cas où il ne paraîtrait pas à Paris. Vous m'en direz votre avis. à moi il me parait très bien, mais je suis sujette à me tromper. C’est la déclaration dont je suis contente. Je n’aime pas autant l’autre article sur les publications secrètes je n’ai lu celui-ci au reste que très en courant. Mais vraiment l’autre me plait et beaucoup. J’attendrai avec impatience ce que vous m'en direz Adieu.
Pas de réponse d’Andral encore. Je m’inquiète.

J'aurai une grande joie à revoir le duc de Noailles Lundi. Mais quelle différence avec l’autre joie ! On me dit qu'il y a eu une entrevue entre Bual & Meyendorff dans laquelle celui-ci aurait demandé quelles seraient les conditions auxquelles on voudrait traiter de la paix. Bual aurait répondu : " très dures, la mer noire & les bouche du Danube. "
Tout ceci prouve que nous sommes disposés à la paix mais également qu’elle est impossible encore. Si j'étais de l’Empereur je n'essaierai plus rien. Il me paraît que le fils de Montebello, ne courra guère de danger. Je ne vois pas comment on parviendra à se battre. Votre mot : les deux géants avec des épées trop courtes. On dit que la convention entre les deux Allemands est conclue. On dit aussi que Bunsen est rentré en grâces.
Avant de me décider à déménager il m’a semblé que je pouvais faire une tentative directe. Elle a deux buts, avoir l’[appartement] qui me convient & finir la tracasserie. Si cela échoue je n’en serai pas plus mal avec [Kisseleff] car nous ne nous voyons plus du tout. La question est de savoir si cela est digne, car il me semble qui c’est suffisamment marquer le dire de rapprochement est-ce que je l'embarrasse, ou le tire d'embarras ? Je ne ferai rien sans votre avis. Vous corrigerez, ou vous direz non, comme fait mon fils. Voyez comme je suis helpless je ne sais pas me mouvoir sans vous.
Je ne vous envoie que le premier article, le bon. Je n’ai pas l’autre sous la main. Adieu.

Je vous ai cru Monsieur quand vous m'avez dit que vous cherchiez un appartement dans le but de rendre possible, de me céder celui que vous occupez et que vous m'avez offert dans le premier moment avec beau coup de bonne grâce, je me semble qui c’est suffisamment trouve donc autorisée à vous prévenir qu'il y a à l'hôtel Bellevue même un apparte ment complet contenant plus même que le nombre de pièces que vous occupez et où la salle à manger à la quelle vous sembliez tenir surtout est plus grande et meilleure. Le seul motif qui me fait hésiter à le prendre moi même est l'obligation de monter l’escalier je ne puis pas douter qu'il ne vous convienne, et je ne veux pas douter qu’il ne vous soit agréable de me rendre un léger service. Ni vous ni moi ne pouvons renier le passé et j'aurai pour mon compte beaucoup de plaisir à reprendre des relations que je regrette d’avoir vue interrompue depuis notre exil commun.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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36 Dieppe le 13 juillet 1852

Me voilà et tout seule, et logée loin du peu de personnes qui sont ici parmi mes connaissances. Et un orage épouvantable, des éclairs, la foudre qui tombe à côté. Je suis dans le désespoir la terreur. Toute seule c’est affreux. Triste sort. Aggy pouvait arriver aujourd’hui. Elle l’avait promis. Je suis venue la prendre ici. J’ai envoyé la chercher à Boulogne, toutes les précautions prises. Je vais pleurer, je n'ai que cela à faire.
Hier j'ai vu Fould encore très longtemps. Il a été très intéressant mais vous êtes trop loin. Votre petit ami me dit que d'ici vous n'êtes pas loin. C'est bien dommage que je ne vous vois pas. J’ai une bonne chambre à vous donner. Mais je n’aime pas faire des invitations qui seraient refusées.
Mercredi matin ma lettre n'a pas pu être finie pour la poste. Je l'achève ce matin. Je viens de recevoir la vôtre d’avant hier. Avant de me coucher j’ai encore vu venir tous les Delessert très aimables pour moi. Ils seront ma meilleure ressource. Aggy m'écrit qu’elle sera ici demain. Je le croirai quand je la verrai. Ah que je suis devenue soupçonneuse !
Fould n'était pas encore sûr de partir avec le Président. L’entourage n'aime pas je crois sa faveur. Il attendait qu'on lui répète l’invitation. Il a bien du tact, de la réserve, de la finesse, et de l’esprit. Le changement de [Ministère] qui va se faire en Belgique plaira au Président. On veut de là lui envoyer Ligne comme ministre, j’avais cru que ce serait très bien accueilli. Pas du tout. Des préventions. Il a tort. Mais on peut être un très excellent Président & n'avoir pas toujours raison.
L'air de la mer est excellent. Je suis heureuse d’être sortie de Paris cette fournaise. Adieu. Adieu.
Il y a ici les Cowley, les Mouchy, les Delessert, le duc de Richelieu, les Delmas. Mais on est éparpillé. Adieu.

2 heures. Votre lettre de hier 13 m’arrive à l’instant, c’est bien vite, nous sommes donc bien près ! Inutile.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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36. Schlangenbad samedi 23 juillet 1853

Je n’ai rien au monde à vous dire, mais je suis curieuse de savoir ce que vous avez dit de la circulaire de Drouyn de Lhuys. Moi je l’ai trouvé très bien faite simple, claire, et sans réplique. Très supérieur à Nesselrode. Est-ce de la rédaction de Thomanel ou du chef ?
Le roi de [Wurtemberg] a passé ici deux jours en courses pour faire visite à ses filles. Je ne l’ai pas vu. Mon fils Alexandre a été malade à Naples. Cela retarde son arrivée. Il ne sera à Paris que la semaine prochaine, & ici sans doute quand je voudrai. Ce sera alors que je déciderai où aller. Je n’ai pas grande envie de me remuer pour autre chose que pour rentrer dans mon home. Je ne crois pas qu’à tout prendre mon voyage n’aura fait beaucoup de bien ; il me donne avant tout le goût du repos. Adieu, voici une pauvre lettre. Du Val Richer il y a au moins les commentaires, mais que voulez vous qui vienne de Schlangenbad. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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37 Val Richer. Lundi 25 Juillet 1853

Je ne m'étonne pas que vous vous soyiez un peu étonné de ne pas trouver dans mon premier langage sur la seconde circulaire de M. de Nesselrode, tout ce que vous y attendiez. C'est ma disposition de voir d’abord, dans les choses l’intention réelle et générale qui est au fond ; la critique des déviations et des fautes vient ensuite. J’ai vu d’abord la paix, puis l'humeur. D'ailleurs, quoique je ne vous dise jamais que ce que je pense, je ne vous dis pas, même de près, tout ce que je pense ; à plus forte raison de loin.
Je ne vous ai pas encore dit d’où est venu, à mon avis, tout l’embarras de votre Empereur dans cette affaire, et ce que je crois qu’il a voulu, au fond. Je vous le dirai quand l'affaire sera finie.
On m'écrit que Kisseleff et Hübner ne doutent pas que l'affaire ne s’arrange d'après les bases convenues en commun à Constantinople. Ils se louent beaucoup de la conduite de l'Empereur Napoléon et de celle de Lord Aberdeen. Autre bruit de Paris, l'Empereur doit aller, vers la fin d'Août, faire une visite à la Reine Victoria à Osborne. On croit très généralement que l'Impératrice est grosse, et que cela l'empêchera d’aller dans les Pyrénées.
Je n'ai vu à Trouville, en fait de gens de ma connaissance, que le chancelier et Mad. de Boigne, M. de Tracy et M. de Neuville. Mad. Roger vient d’y arriver, et elle a loué une maison pour Thiers qui doit y venir, en effet dans les premiers jours d'Août. On avait dit que la Princesse Mathilde avait loué le château de Trouville, et allait y arriver. Il n'en est rien. Le chancelier et Mad. de Boigne sont vraiment très bien, et toujours contents de leur maison sur la plage. Ils sont parvenus à y avoir un jardin vraiment très joli, couvert de fleurs.
Avez-vous connu Sheridan ? Je lis, dans le Galignani d’hier dimanche, un extrait d’un article du Quarterly review, de notre ami Croker, sur le roi George IV et Sheridan, qui m’a intéressé. Je voudrais savoir si ces détails sont vrais. Croker est très favorable à la mémoire de George IV, et toujours prêt à le défendre.

Midi
Votre lettre est bonne. J'en jouis moins vivement que d'autres, y ayant toujours compté. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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38. Bruxelles le 24 avril 1854

Votre opinion est la bonne sur nos pièces. Brunnow en pense de même. Faible, confus. Il est assez en blâme de tout. Je doute qu'il reste ici longtemps d’ailleurs, il n'y a rien à faire. Je ne pense pas que nous soyons mécontents du traité entre l’Autriche et la Prusse. On ne nous attaquera pas du côté de la Pologne. Constantin croit que l’automne amènera forcément la paix. De part et d’autre on verra qu'on ne peut rien se faire. Je ne suis pas aussi optimiste que lui on dit que les Turcs commencent à en vouloir beaucoup à Lord Redcliffe. On fait courir le bruit d’une visite de la reine d'Angleterre à Paris. J’ai peine à y croire.
Andral n’a pas répondu encore et la jeune fille a grande foi dans Ems et désire ardemment qu'il persiste dans sa première ordonnance qui était d'y aller. Il fait très froid depuis l'orage. Hier Brunnow a vu chez moi Barrot, ils ont fait connaissance, mutuellement très polis. Barrot m'a priée encore de vous dire son respect. Adieu. Adieu.
Je trouve notre circulaire sur les troubles en Grèce, assez vive. Qu’en pensez-vous ? Adieu encore. Nous envoyons à Vienne Le gouvernement Greenwald, pas grand chose pour assister aux noces. Voilà le duc de Noailles et votre bonne & longue lettre. Que je n’ai pas lu encore. Ah ! Si c'était vous !

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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41 Paris, lundi 17 Avril 1854

Deux jours sans lettres, ni hier, ni avant hier. Je ne comprends pas. J’ai la confiance que si vous étiez malade et hors d'Etat de m'écrire deux lignes, Hélène me donnerait de vos nouvelles. J'espère donc que vous n'êtes pas malade. Mais le déplaisir est grand.

10 heures et demie
En voilà deux 30 et 31. J’aurais dû avoir le 30 hier. Mon plaisir de ce moment me fait oublier mon ennui de deux jours.
Votre commission pour Andrial sera faite avant 2 heures. Elle est un peu délicate ; mais je m’arrangerai pour la bien faire, et j'espère qu’il pourra persister en conscience dans son propre avis. J'y mets presque autant d'importance que vous-même. La Princesse Kotschoubey auprès de vous m'est une grande sécurité. Au moins faut-il que vous l'ayez tout l'été.
Je vous ai dit mon impuissance auprès de Marion. Soyez sûre de deux choses, que j’ai dit tout ce que je pouvais, tout ce qui se pouvait dire, et qu’il n’y a pas moyen. Toute la famille a un parti pris. Et puis, au fond du cœur, sans me le dire, on vous craint.
Laissez lui prendre un pied chez vous ; elle en aura bientôt pris quatre. Vous avez abusé ; il y a un degré d’exigence qui tue la puissance. Aggy n'était pas en état de se défendre ; mais il lui est resté une grande peur de succomber. Marion sait se défendre ; mais elle n’a pas envie d'y être obligée. Elles se sont jadis très étourdiment engagées ; elles ne veulent plus s’engager du tout. Je vous ai dit, la chance que Marion m’avait laissé entrevoir ; si j’avais voulu amener cette chance à devenir une promesse, j’aurais eu un non positif. Vous connaissez la brutalité des Anglais quand ils sont décidés. Je n’ai pas encore vu Ellice. Je causerai Jeudi avec lui.
Brougham aussi est arrivé. Ils parlent beaucoup l’un et l'autre, des difficultés de la guerre ; ils ne se promettent point de succès prompts et décisifs ; mais ils se montrent et ils disent que leur pays est très résolu à continuer, tant qu’il faudra ; ils indiquent trois ans comme le minimum de la durée. C'est presque aussi ridicule que trois jours ou trois siècles. Personne ne peut rien entrevoir dans l'avenir de cet apathique chaos.
Le Duc de Cambridge s'amuse beaucoup ici. Il a retardé son départ pour un grand bal qu’on lui donne aujourd’hui aux Tuileries.
Le maréchal St Arnaud ne commandera point Lord Raglan. Il y aura concert entre les deux armées, mais non unité. Ainsi ont opéré, le Duc de Marlborough et le Prince Eugène, Wellington, et Blücher. Cela a des inconvénients, mais des inconvénients qui n'empêchent pas les victoires.
Je n’avais pas oublié, le courrier de Brock. Mais je n’avais rien à vous dire qui en valût la peine. Hier matin, Duchâtel longtemps et Molé. Hier soir Broglie et Ste Aulaire. Personne ne sait rien, et tout le monde attend sans grande curiosité. L'indifférence politique a remplacé l'indifférence religieuse, ce qui ne veut pas dire qu’il y ait beaucoup de chaleur religieuse. Adieu, Adieu.
Je vous quitte pour faire ma toilette et m'occuper ensuite d'Andral. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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43. Schlangenbad le 6 août 1853
Je vous envoie copie de deux lettres. Tout cela a très mauvais air, & la réponse de Clarendon à la chambre haute complète et compliquée. Je ne vois plus le moyen d'éviter la guerre et je reste plus triste que jamais. Le roi de Wurtemberg vient sans cesse causer avec moi, il s’étonne et s’afflige car on ne voit pas le bout. Ce serait une grande surprise, aujourd’hui de voir l’affaire s’arranger. Je crains que nous ne voyions pas cela.
Ma santé me tracasse, rien de mieux et presque du pire. Je suis cependant si docile. Tous les Croy sont partis ce matin, c’est une petite très petite diminution pour mon salon, car ils n'ont point d’esprit. Je garde deux hommes de la suite de roi de [Wurtemberg]. Et le comte de Brie Belge qui a cloué les princes & qui est très agréable. Jeune et de bonne mine. Ma nièce reste toujours avec moi. Madame Oudinoff est ici. La Princesse Charles de Prusse est la plus ennuyeuse des femmes, Dieu merci elle ne vient pas. Elle avait voulu le faire mais elle a compris que le deuil de son père devait la retenir chez elle. Je n'ai rien à vous dire du tout qu’adieu.
Les lettres de Meyendorff sont pour vous seul.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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44 Schlangenbad le 9 août 1853

Ma cour a consenti à l’Ultima tum que l’Autriche adresse à la Porte. Voilà une bonne affaire, très bonne pour Aberdeen. Il faut maintenant que la Porte accepte. Si elle le fait nous recevons son ambassadeur. Meyendorff qui me mande cela espère que la France & l'[Angleterre] soutiendront leur oeuvre et retireront tout appui à la Turquie si elle refuse cette dernière planche de salut. Comme démonstration de cette menace il faudrait rappeler les flottes et nous évacuerons les principautés ; il est en bonne espérance et content de lui même car ceci est son œuvre.
Pardonnez moi, mais votre critique des manoeuvres de notre flotte de la Baltique aussi bien que du camps de Chobane est singulière. Mais de tous temps on exerce des troupes. Et depuis que nous avons un vaisseau il fait des promenades. dans la saison d’été pour exercer les matelots à la manœuvre. Est-ce que vous n'envoyez pas les vôtres à droite et à gauche en été pour la même raison ? Nous restons dans notre coin la Baltique ; dans d’autres années ils viennent dans la mer du nord, voilà la différence pour cette année. Et les régimes Anglais ? Mais c’est un camps d’exercices comme Satory, comme St Omer, comme Krasno Selo où mon empereur. fait manoeuvrer tous les ans 100 m hommes. Le chiffre n’y fait rien.
Voilà qui est trop long pour la question militaire. Mon fils n’est pas arrivé encore, ce qui me surprend. Il y a depuis quelques jours un vent glacial, abominable. Mon rhume est plus fort que jamais. La duchesse de Nassau est venue me voir ; bien gentille et bonne. Mes impolitesses sont acceptées, je ne rends visite à personne. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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45 Val Richer, Mardi 9 Août 1853
3 heures
Il se peut fort bien que votre Empereur ait eu raison de penser à la Russie plus qu’à l'Europe. Je ne suis pas juge du cas particulier ; mais en thèse générale, on a toujours raison de se préoccuper du dedans plus que du dehors. Le pauvre roi Louis-Philippe se préoccupait infiniment du dedans ; à ce point qu’il en désespérait. Il a certainement en grand tort de faiblir le 22 février, et cette faiblesse a été la cause prochaine de sa chute ; mais il a été de tous, le moins surpris de ce qui lui est arrivé, tant, il en connaissait les causes générales et lointaines, et les regardait comme irrésistibles. Deux dispositions parfaitement contradictoires s'alliaient en lui ; dans l’ensemble, il était sans espérance, sans confiance, convaincu qu’il ne réussirait pas à fonder sa monarchie, que la France était vouée à l’anarchie et à la révolution dans chaque occasion particulière, quand le jour du péril venait, il était imprévoyant et sanguin, convaincu qu’avec un peu d'adresse, de souplesse et de patience. Il reviendrait sur l'eau et se relèverait après avoir plié, les deux dispositions ont également contribué à le perdre ; il a vu à la fois trop en noir et trop en beau ; il a trop désespèré du présent et trop espéré de l'avenir. On pouvait très bien résister en Février 1848, il ne l’a pas cru. Il a cru qu’il reviendrait du renvoi de son cabinet et même de son abdication ; et cela ne se pouvait pas. Il avait cela, et seulement cela, de commun avec Louis XI qu'il faisait beaucoup de fautes, et qu’il excellait. à s'en tirer, et qu’il espérait toujours avoir le temps de s’en tirer. Le temps lui a manqué pour se tirer de la dernière. Le chagrin a été pour plus de moitié dans sa mort. Le désespoir de votre N°43 est mal tombé, ce matin, après les quatre lignes du Moniteur d'hier. Vous aurez certainement eu directement l’avis de l'adhésion de votre Empereur à la proposition combinée à Vienne ? Je tiens pour impossible que le sultan n’y adhère pas aussi. Je suis donc de l’avis du Moniteur, et de la Bourse Je regarde l'affaire comme finie. Vous vous serez beaucoup tourmentée en pure perte. A part l’intérêt Européen, je suis charmé que vous voyez un terme de vos inquiétudes.

Mercredi 10 9 heures
Il me revient que Kisseleff est très content, et qu'on est très content de lui à Paris. Son attitude. et son langage, pendant toute cette crise, ont été très fermes et très tranquilles. C'est Morny qui a renversé M. de Maupas, et fait supprimer le ministre de la police. Il s'est allié pour cela avec Persigny. L'Empereur Napoléon est content de Drouyn de Lhuys et du mélange de pacifique et de guerrier qu’il a mis dans ses conversations et dans ses pièces. Bon pour tous les en cas. M. d’Hautpoul a obtenu la permission de recommencer à se promener, en mer avec son yacht de Trouville.
Mad. la Duchesse d'Orléans confie M. le comte de Paris à Paul de Ségur pour aller faire un tour en Irlande. Adieu, adieu. J'espère que demain le facteur m’apportera votre tranquillité au lieu de votre désespoir.
Par grand hasard, j’ai reçu hier une lettre de Massi ; on me dit : " La paix jusqu'ici n’est pas troublée par l'occupation ; les troupes russes observent la plus exacte discipline et payent tout ce qu'elles consomment.” Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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46 Paris, samedi 22 avril 1854
9 heures

Je viens de lire les deux pièces de votre Empereur. La première la réponse à la déclaration de guerre, est bien faite, modérée, simple, digne et plausible, quoique toujours entachée, à mon avis, du défaut que j’ai toujours trouvé, vous le savez dans le langage de Pétersbourg depuis un an, ne pas avouer assez franchement la politique géographique, naturelle et traditionnelle de la Russie dans ses rapports avec la Turquie. Vous auriez inspiré moins de méfiances si vous aviez accepté hautement votre situation permanente et obligée, et l'on vous aurait su plus de gré de votre modération depuis 1830. La seconde pièce sur les publications Anglaises ne me plaît pas ; elle est embarrassée et évasive sans efficacité ; elle n'affaiblira point l'impression que les rapports de Seymour ont partout produite. En tout, ne vous fâchez pas, c’est la netteté qui manque surtout à votre diplomatie. Elle s'enveloppe de sa modération comme d’un manteau, autant pour se cacher que pour se faire valoir. Parce que vous n'êtes pas, des ambitieux agressifs, vous voulez qu'on vous croie des Saints désintéressés. Et comme vous ne voulez cependant renoncer réellement, ni à votre passé, ni à votre avenir russe, cela jette, dans votre conduite et dans votre langage, des embarras, des obscurités, des inconséquences qui vous rendent suspects, et vous affaiblissent, même quand vous n’avez aucun secret dessein.
Voilà votre N° 36. Vous voyez que mon impression sur les deux pièces. ressemble à la vôtre.
Je passe à la politique privée. La question est de savoir si vous avez plus d'envie de l'appartement de Kiss. que de fierté blessée par son mauvais procédé. Je ne trouve dans votre démarche ni dans votre lettre, rien d'inconvenant pour vous, et contrairement c'est lui qui sera dans l'embarras s’il vous cède tant mieux, s'il ne vous cède pas, vous ne serez pas plus mal avec lui que vous n'êtes, et il sera encore plus dans son tort. Ne me demandez pas ce que je ferais à votre place, vous savez que mes envies sont moins vives que les vôtres et ma susceptibilité plus raide.
Je vous quitte pour recevoir l'évêque d'Orléans qui vient me parler de sa candidature à l'Académie. Il sera élu le 18 mai, ainsi que M. de Sacy. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
Cette lettre ne figure pas dans les dossiers de la correspondance Guizot-Lieven. On passe du n°45 au 47. Mais Dorothée fait bien référence à une lettre du 12 août 1853, dans sa lettre 47 de Schlangenbad, du 15 août 1853.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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48. Bruxelles le 4 mai 1854

J’ai retrouvé quatre de vos lettres commencement de l'année dernière, de juillet. Admirable de jugement, de prévision, et d’actualité comme on dit. Tout ce que vous annoncez s’est fait et se fait. C’est vraiment bien curieux. J'en ai régalé Brunnow qui entre pétrifié. Vous connaissiez l'Angleterre mieux que lui. [?] auquel j’ai donné aussi la joie de lire cela, dit, qu’il vaut bien la peine de rester en exil quand on reçoit de pareilles lettres. Elles sont vraiment frappantes.
Mlle de Cérini est arrivée hier, elle est tout ce que vous me dites et la première vue lui a été toute favorable. Nous verrons. J’apprends de bonne source de Londres qu’on est inquiet de se voir si dégarni de troupes. Il ne reste plus rien. Tout cela s'est fait bien à la légère ; on accuse Palmerston d’avoir poussé à la guerre. La cour lui en veut. On appelle la milice pour avoir une force armée quelconque. En Prusse, haine énorme contre l'Angleterre, le roi, enragé. Il voulait mettre Bunsen sous jugement, des fureurs. Il est très ferme dans son amitié pour nous. Le parti opposé est cependant bien fort.
Manteuffel donne la nouvelle que dans l’attaque sur Odessa, on a démonté deux de nos pièces, brûlé 4 vaisseaux anglais, 3 Français un prussien, après quoi et avec quelques dommages à ses propres navires la flotte alliée a pris le large. Si tout cela est vrai voilà une expédition peu glorieuse. J’attends avec curiosité ce Moniteur. Et les nouvelles étrangères. Adieu. Adieu.
Demain je vous écrirai au Val Richer. C’est ennuyeux de vous voir vous éloigner. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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49. Bruxelles Vendredi 5 mai 1854

Point de lettre ce matin. Pourquoi ? Je m’étonne, je m'inquiète, je m'effraye. Voilà les degrés. Ma journée va être gâtée. C'est si charmant d’être sûr de son plaisir tous les matins.
Une longue lettre de Londres. Mais rien de nouveau. Le duc de Cambridge a rendu compte à Clarendon d'une longue audience auprès de l’Empereur d’Autriche, très satisfaisante pour la politique anglaise. On augmente les forces de terre et de mer, cela est encore populaire. On ne se dégraisse qu’à la fin de l’été si la campagne est stérile. Il parait que vos canons ont fait des dégâts dans la ville d’Odessa. Le palais Woonsore vraiment brûlé. Lui le plus anglomane des hommes. Et boudé par le fait de son propre neveu Sidney Herbert Ministre de la guerre. Seymour retourne à Londres aujourd’hui ; il n’est pas venu me voir quoi qu'il se soit fait annoncer. Je vous ai dit qu’il parle de l’Empereur très bien, de ses serviteurs très mal.
Brunnow a appris qu’on tracasse, et qu'on s’inquiète à Londres de son séjour ici. Il a dit : " si cela continue je prendrai une maison, & si cela continue encore après, je prendrai une maîtresse."
Je vous ai dit que tous les consuls sont rappelés respectivement de partout. Nous avons renvoyé assez rudement les Anglais, très grande politesse pour les Français.
Les vraies nouvelles d'Odessa manquent encore. Le silence du Moniteur est curieux.
Melle Cérini réussit. Cela sera réglé dans la journée. Mais où est ma lettre ? Je ne pense qu’à cela, et en voilà jusqu’à demain matin. C'est bien long. Ah que vous m'êtes nécessaire et cher. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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50. Schlangenbad le 21 août 1853

Je ne partage point du tout votre opinion sur la conduite des Anglais dans l’affaire d'Orient et je suis bien plus de l’avis de Duchatel qui m'écrivait ceci : " le gouvernement Français sort de l’épreuve à son honneur, pour lui c’est du côté de la sagesse et de la modération qu’il gagne. Je ne ferai pas le même compliment à l'Angleterre, aveuglément confiante au début. Absurdement colère dans la crise, devient la paix et ne recevant le dénouement qu’en grognant tout cela me parait une triste politique. "
La séance de 16 à la Chambre basse n’est pas brillante pour le ministère, et le Times même l'abandonne & se moque de lui. Hier est venu la nouvelle que l'Empereur d'Autriche est fiancé à une princesse de Bavière. Son père est duc en Bavière. Elles sont six soeurs pas jolies. J'ai été enfin rendre visite hier à la D. de Nassau à Wiesbade. Je lui devais cela pour l’année dernière et celle-ci. Un établissement ravissant. Palais Moresque dans le meilleur goût. Le temps est superbe. Je crains que l’été n’arrive tout juste lorsque je rentre dans un quartier d’hiver. Je pars après demain, mais je ne sais pas quelle route ni combien de temps je me trainerai en chemin. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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51 Val Richer, lundi 22 Août 1853
Onze heures

Je vous écris sur le champ à Francfort, comme vous le désirez, mais sans espérer que ma lettre y arrive à temps, si vous quittez Schlangenbad le 23, c’est-à-dire demain. Je suis revenu ici hier matin. Certainement, si je n'étais allé à Paris que le 25, je vous y aurais attendue, le 26, le 27, et même plus tard ; j’aurais mieux aimé attendre trois ou quatre jours que refaire 95 lieues. Mais huit ou dix jours d'attente sans certitude, c'était trop ; j’ai mieux aimé revenir. Je retournerai vous voir du 10 au 15 septembre, et je vous donnerai plus de temps qu'à l’Académie car je ne lui ai donné que deux jours. Qu'il y a de temps que nous n'avons causé ! Si je croyais que ma lettre vous trouvât encore à Francfort, je vous raconterai mes conversations de Vendredi à Paris ; J’ai vu Molé, Hatzfeld, Hübner. Mais ceci ne vous rejoindra qu’à Paris ; ce n’est pas la peine, ce serait du trop vieux.
J’ai passé chez Kisseleff sans le trouver. Adieu, adieu.
Je me promets de vous trouver, non pas engraissée, mais rassurée. En dépit de tous les embarras, la mauvaise affaire tire à sa fin.
Je raisonne toujours dans l'hypothèse que vous avez, comme tout le monde, envie qu’elle finisse. Car si vous n'en aviez pas envie, les prétextes ne vous manqueraient pas pour la faire durer. Mais il serait bien clair alors qu'elle ne durerait que parce que vous le voudriez. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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53 Val-Richer, Mardi 3 Août 1852

Je ne trouve pas que le Constitutionnel soit aussi aimable pour M. Fould que je m’y attendais à travers les félicitations et les compliments, on sent percer un peu de froideur, et quelques réserves. Est-ce que Fould serait rentré dans les affaires sans concert avec Morny et contre son gré ?
Autre remarque. La rentrée de Fould coïncide avec l’épuration du Conseil d'Etat en raison des votes dans le procès des biens d'Orléans trois des Conseillers d'Etat qui ont voté contre les décrets du 22 Janvier sont, l'un révoqué, l'autre mis à la retraite, le troisième placé autrement, et plus mal. Cela cadre peu avec l'avènement au pouvoir d’un opposant aux décrets. Il est vrai que M. Persil ancien garde des sceaux du Roi Louis-Philippe, est nommé Conseiller d'Etat en remplacement de M. Cornudet, révoqué. Est-ce que cela serait donné aux Orléanistes, à titre de dédommagement ? M. Persil est un homme capable, qui aurait mieux fait de rentrer aux affaires un autre jour et par une autre porte, puisqu’il y voulait rentrer.
Le Moniteur s’est empressé de démentir indirectement le bruit répandu que l’entrée à l’Ecole normale avait été interdite aux élevés protestants, à cause de leur religion. Il a bien fait. La liberté des cultes est un des droits auxquels, ce pays-ci tient le plus et que l'Empereur Napoléon, a le plus soigneusement respecté. Il paraît bien que M. Fortoul ministre de l’instruction publique avait fait ou dit quelque chose dans le sens dont on parlait. Il se sera ravisé. C’est un homme d’esprit, un peu léger.
Donnez-vous bien du mal pour être un grand homme ; votre statue, en bronze sera vendue aux enchères, au bout de deux siècles, à la porte de votre propre pays, pour 7.270 francs pas un quart de la valeur du bronze. C'est ce qui vient d’arriver à ce pauvre Gustave Adolphe dans l'île d'Héligoland. La statue avait fait naufrage l’un dernier, en venant de Rome à Gothenburg, et la municipalité de Gothenburg, qui l’avait commandé n'a pas voulu la racheter des mains des pauvres marins d'Héligoland qui l’avaient repêchée. Il est vrai que Gustave Adolphe n'en reste pas moins Gustave Adolphe. Sa statue a pu se noyer, mais non pas son nom. Du sein de leur séjour inconnu, les grands hommes doivent à la fois jouir de la longue trace qu’ils ont laissé ici bas, et prendre en pitié les accidents d’ingratitude et d’oubli qui leur arrivent. Je me figure que l'impression causée par le spectacle de ce monde, quand on est est hors, et complètement détaché, doit être celle d’un dédain bienveillant, et doux.
Adieu, en attendant votre lettre. Je vous quitte pour faire ma toilette. Je voudrais bien apprendre qu'avant hier Dimanche, vous avez posé le pied par terre sans trop de douleur.
// si vous écrivez à M. Fould, ce qui me paraît probable, seriez-vous assez bonne pour lui dire que du fond de ma retraite, je suis charmé de le voir rentrer sur la scène ? Il s'y conduira certainement en homme d’esprit, et de sens et tout le monde aura à y gagner. //
11 heures
Merci de votre petite page. C'est bien long ce que dit Velpeau. Je regrette de n'avoir pas été là quand il est venu. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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55 Val Richer, 6 Août 1852

Vous ne m’avez pas dit si Velpeau, en vous condamnant à quinze jours d'immobilité, vous avait prescrit quelque chose de particulier, ou s’il s'était simplement borné à approuver les prescriptions de M. Brantel.
Mon fils arrive ce matin, et m’apporte, non pas des nouvelles, mais quelques détails, sur les faits connus.
On trouve en général que M. Fould a payé un peu cher sa rentrée au pouvoir en contresignant, les décrets de révocation des Conseillers d'Etat renvoyés à cause des décrets d'Orléans. Le Président, dit-on, l’a formellement exigé et il exigera aussi de M. Magne, quelque acte d’adhésion analogue. Il veut que tous ceux qui le servent, adhérent. Morny se donne comme ayant beaucoup contribué à la rentrée de Fould, et on annonce que MM. de Persigny et de Maupas ne sont pas bien fermes sur leurs étriers. Je n'en crois rien, et je crois que Fould s’arrangera avec eux.
L'avènement de Drouyn de Lhuys trouble Brenier qui n’a jamais été bien avec lui, et qui ne se promet pas d'être mieux. Waleski aussi est trouble ; Drouyn de Lhuys parle légèrement de lui, et le Président. n’a pas été content de ses pronostics sur les élections Anglaises.
On croit que les difficultés pour le mariage du Président avec la Princesse Wasa ne sont pas toutes levés, et que le père et la mère, pour la première fois du même avis, s'accordent à s'y opposer. Ce sera le Cabinet de Vienne qui lèvera, s’il veut, les difficultés là. Voudra-t-il ? Je vous répète les commérages tels quels.
On dit que les révocations dans le Conseil d'Etat, ne sont pas finies, on en voulait faire plusieurs autres, pour la même cause. Il reste cinq conseillers d'Etat qui ont voté contre les décrets. C'est Fould qui a obtenu l'abandon, ou l’ajournement de la rigueur complète.
C'est bien dommage que la bonne occasion manque à Stockhausen. Faites moi la grâce, je vous prie, si vous lui écrivez de lui dire combien je regrette son départ ; il était très bien informé de très bonne conversation, et aussi agréable que sûr.
Comptez-vous toujours retourner à Paris le 14 ? Vos fenêtres seront bien recherchées pour les fêtes. Adieu. Adieu.
Je ne serai content que quand vous me direz : " Je marche. " G.
P.S. Je m'impatiente aussi que vous n'en finissez pas. Mais j’ai vu plusieurs fois de tels accidents, pas graves et supportables. Ecrivez-moi toujours que vous ayez quelque chose à me dire, ou non. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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61 Val Richer. Lundi 8 Mai 1854

Je ne comprends pas pourquoi ma lettre du Jeudi 4 a été en retard. Je vous ai écrit tous les jours, sauf samedi, jour de mon arrivée ici. Je sais ce que vaut ce déplaisir, et je le ressens pour vous comme pour moi. Vous aurez en deux lettres samedi
Voilà enfin des nouvelles officielles d'Odessa. Courtes encore et incomplètes. J'ai peine à comprendre qu'un amiral ne dise pas lesquels de ses bâtiments ont été engagés, ni combien d'hommes, il a perdu, car il on a perdu. Evidemment le combat a été vif puisque les quatre premières frégates n'ayant pas suffi il a fallu que quatre autres vinssent les soutenir. Nous aurons surement plus de détails, les Rapports des amiraux Hamelin et Dandas à leur Ministères. C'est vraiment le commencement de la guerre. J’aime le ton des quelques lignes de l'amiral Hamelin, simple et modéré. S'ils ont épargné autant qu’ils le disent les particuliers. Et le commerce, c'est bien. Quand les hommes mettront leur amour propre à ce que la guerre fasse le moins de mal possible ils seront bien près d'aimer mieux la paix que la guerre.
Vous êtes de plus en plus galants pour la Prusse. L'Impératrice elle-même assistant à la tête de son régiment, au service pour M. de Rochoir ! Et le Ministre de la guerre changé, comme Bunsen. Vous serez bien bonne de m'envoyer à Paris le discours de M. de Stahl par la première occasion. Je le prendrai en allant voter le 18 à l'Académie. M de Stahl est l’orateur très distingué d’une opinion qui, en religion et en politique, ressemble fort à une coterie, mais une coterie plus spirituelle et plus respectable que sa nation. Adieu.
Il pleut. Je ne ferai pas ce matin ma promenade ordinaire dans mon jardin avant le déjeuner. C'est mon heure d'inspection et de conversation avec mon jardinier.
J’ai reçu hier une lettre de Mad. la Duchesse d'Orléans, en remerciement de Cromwell. Très gracieuse ; intention évidente de plaire. « Cette oeuvre deviendra l'enseignement de notre époque- " Apres avoir été, pour vous, un noble emploi de la retraite, c’est, pour moi, une utile et charmante distraction de l'exil. " Des politesses pour mes filles.

Midi
Je ne comprends pas ce qu’est devenu mon N°58, et je ne me souviens pas de ce qu’il contenait, rien de nouveau, ni de bien spécial. Je suis sûr de l'avoir mis moi-même à la poste, en allant Jeudi à l'Académie. Ce qui me déplait, c'est qu’à cause de mon voyage vous aurez eu encore une interruption. J’ai été un jour sans écrire, et je suis d’un jour plus loin. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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67. Paris Samedi le 1er octobre 1853

Quel malheur que vous ne soyez pas pour un moment à Londres, ou pour deux mois à Paris. Aberdeen me paraît faire fausse route tout-à-fait. Il court à la guerre & tout de suite. Je m'étonne que vous n'ayez pas lu notre seconde dépêche même date que la première 7 sept. Intitulée examen des modifications turques, et qui donnait notre interprétation de la note de Vienne. On a trouvé à Londres & ici que cet examen ramenait la question à la proposition Menchikoff, et dès lors on a pris fin. Tout le monde même impartial ici on a porté le même jugement. C'était dans tous les journaux. C’est sur cela qu’est venu la recrudescence & l'impossibilité de s’entendre.
Le Cabinet Anglais est convoqué pour après demain le 3. On fait revenir la reine le 5. Ce sera pour la déclaration de guerre ou la convocation du Parlement. Les meetings vous se succéder. Tout le monde est à la guerre en Angleterre. Le mot d’ordre est que la Russie a voulu duper les Anglais. Lord Lansdowne tient le même langage. Il a vu hier l’Empereur, & part demain. Il était ici hier soir, monté contre nous, tout le monde est fou. Le ministère anglais est très uni, il n’est pas question de changement. Constantin m'écrit d'Olmentz grande intimité. Les trois cours dans la plus grande entente. Mon [Empereur] très poli pour les off. français. Il les a invités à Varsovie.
C’est dans le journal des Débats du 24 sept. que vous trouverez la pièce diplomatique qui fait aujourd’hui l'objet de la querelle. Benoist Fould est devenu subitement fou. On dit qu’Achille Fould va quitter le ministère pour prendre la direction de la maison. C'est à la bourse que se débite cette dernière nouvelle. La première (la folie) est positive. On parle d'envoyer 30 m. hommes occuper Constantinople comme on occupe Rome. Croyez- vous cela ? On ajoute que dans ce cas l'Angleterre irait occuper Alexandrie et le faire ! Strange times. Adieu. Adieu.
J’avais hier soir Molé, Lansdowne, Montebello, Kisseleff, d'autres diplomates. Mon salon se reforme. Il faudra quitter tout cela s'il y a guerre. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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70. Paris Vendredi 7 octobre 1853

Je regrette que vous ne disiez rien à Lord Aberdeen, mais vos raisons sont bonnes. Seulement quelques grandes vérités bien frappées lui auraient peut-être donné courage. Enfin, tout est malheureux dans cette malheureuse affaire. Le projet de note d’Olmentz n’a pas été accueilli à Londres. On ne négocie donc plus, et on attend la bataille. Le déclaration de guerre des Turcs n’a pas parue encore. Elle ne peut pas tarder. C’est toujours de cela que dépend l’entrée des flottes.
Vous enverrez dit on 30 m hommes à Constantinople et huit mille de plus à Rome. Aujourd’hui meeting à la taverne de Londres, et réunion aussi de tout le Cabinet anglais. Les Anglais de toutes les classes sont très montés contre nous, je doute cependant que la guerre soit populaire ici. Elle ne l’est pas du tout. Tout à l'heure une lettre de Greville. On croit que les Turcs se seront arrêtés devant la dernière proposition d’Olmentz, cependant on doute, mais la déclaration de guerre n’est pas faite encore. Le conseil de Cabinet à Londres aujour d’hui sera décisif pour L. Aberdeen, il est possible qu'il se retire. Voilà à peu près la lettre de Greville. Le Times d’hier 6 est assez bon, plus disposé à ce qu'on négocie encore. Adieu. Adieu.
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