Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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89 Val Richer, Vendredi 9 Juin 1854

Je ne vous ai pas écrit hier un peu parce que je n'avais rien à vous dire, bien plus parce que je vous aurais écrit trop tristement.
Je trouve que la guerre s’établit, à la fois molle et obstinée, pas intolérable pour les peuples et interminable pour les gouvernements. Les grandes affaires ne se terminent que par la force ou par la raison. Où est aujourd’hui la force ? Où est la raison ? Je dis la force ou la raison capable de décider.
Vous ne prenez pas et probablement vous ne prendrez pas Silistrie. On vous fera peut-être lever le siège ; il semble que les trois armées alliées se préparent à cette opération. Soit qu'elles réussissent, ou qu'elles ne réussissent pas, quoi après ? Les diplomates n'en font pas plus que les généraux. Quand on aura mis le prince Gortschakoff à la place de M. de Meyendorff, inventera-t-il quelque meilleur expédient, ou consentira-t-il à quelque plus grande concession ? Je ne vois point de rayons lumineux ; je n'entends point de coup de foudre efficace. J’attends et je n'attends rien. J'en étais là hier, et c'est pourquoi je ne vous ai pas écrit. J'en suis encore là aujourd’hui.
Il y a bien du vrai dans ce que Morny vous a écrit. On était bien bon à Londres de se tant préoccuper du congrès russe de Bruxelles trois mois d'insignifiance, et le voilà dispersé. Rien n’est plus ridicule que la présence réelle et vaine. Je comprends la satisfaction de Chreptowitch.
Je ne me distrais de tout cela qu’en travaillant. Mais je ni plus de grand homme pour me tenir compagnie. Cromwell est mort. Je ne vis plus qu'avec ses fils, ses conseillers et ses ennemis, tous impuissants, et à le continuer et à faire autre chose que lui. J’aurai bien de la peine à prendre l'Impuissance des petites gens aussi intéressante que celle du grand homme.
Voilà ce pauvre Amiral Baudin mort. On lui a donné un bâton pour l'aider à descendre dans son tombeau. C’était un marin capable, hardi, plein d’entrain et d'entraînement avec les matelots. Charlatan d'ailleurs et peu sûr ; cherchant toujours le vent, cachant la ruse sous l’étalage de la franchise. Le Roi de Portugal, en allant à Bruxelles, épousera-t-il la Princesse Charlotte ? A-t-elle pris son parti entre Lisbonne et Naples ? Êtes-vous sûre que l'Impératrice soit grosse ? De Paris, personne ne me l’a mandé. Il est vrai que mes correspondants sont ou absents, ou très paresseux. Duchâtel est revenu à Paris, et ne va plus à Vichy. Je ne sais pourquoi. C’est Vitet qui me l'a écrit.

Midi
Je ne m'étonne pas que vous ne m'ayez pas écrit, avant hier, en partant de Bruxelles. Mais je n’en serai que plus impatient. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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54 Paris, Dimanche 30 Avril 1854
2 heures

Je rentre de l'Eglise. Avant d'y aller, j'ai été assiégé de visites, suite du discours d’hier. Je n'ai que le temps de vous dire, adieu. Je vous écrirai demain à mon aise. J’ai eu de vos nouvelles par le duc de N. mais je ne l’ai pas encore vu.
Je le verrai dans la matinée ou ce soir. Merci de toutes vos lettres, malgré vos yeux. Je ne puis vous dire, à quel point je suis préoccupé de votre séparation d'Hélène. Je reviens encore à Mlle de Chériny. Les eaux sont un prétexte convenable pour une expérience. Si elle ne vous va pas, vous vous séparerez après, et on cherchera autre chose. En attendant la paix. Montebello est revenu de Brott après avoir embarqué son fils sur l'Hercule. J'insisterai pour qu’il aille vous voir. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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40 Paris, Dimanche 16 avril 1854

J’ai vu hier Marion ; elle est entrée chez moi au moment où je venais de lui écrire, et avant que ma lettre lui eût été portée. Longue conversation. Affectueuse pour vous ; mais ni le père, ni personne de la famille n'a donné comme possible qu’elle aille vivre quelques mois auprès de vous tant que durera la situation actuelle. Cela étonnerait et choquerait tous ceux qui les connaissent. Il n’y a pas moyen d’y penser. J’ai dit tout ce qui se pouvait, tout ce qui se devait dire. Le langage a été catégorique, avec une tristesse sincère, mais sans incertitude. Son oncle lui a offert de la ramener en Angleterre par Bruxelles pour vous voir en passant. J’ai laissé passer cette idée sans l'accueillir. Je ne pense pas que cela vous convienne, et Marion ne le pense pas non plus. Elle est préoccupée de vous, de votre isolement quand la princesse Kotschoubey vous aura quittée. J’ai entrevu qu’en elle-même, elle n'écartait pas toute idée d'aller alors passer quelque temps auprès de vous, mais bien en elle-même, prévoyant beaucoup d'obstacles, et surtout, ne voulant prendre, ni laisser croire qu'elle pouvait prendre aucun engagement. Je vous dis les choses exactement comme elles sont, ni plus, ni moins. Elle cherche quelqu'un qui puisse vous convenir. Les Rothschild lui ont parlé d'une dame Allemande, très bien née, veuve, dont ils disent beaucoup de bien ; Marion doit la voir ces jours-ci. Elle m'en reparlera.
Je dîne avec les Ellice jeudi prochain. chez Duchâtel. L'oncle était venu chez moi jeudi dernier, le soir ; mais je ne recevais pas le Jeudi saint.
Hier soir, chez Mad. de Boigne. Le chancelier. Molé, M. Osmond, M. de La Guiche, le général de La Rue, M. de Solvo. Point d'autre conversation que Cromwell, et les élections de l'Académie. L'évêque d'Orléans accepte ; M. de Sacy et lui seront nommés.
On attend les nouvelles de la Baltique. Point des bouches du Danube. On dit que là, Russes et Turcs, armées et flottes sont à l'état d'attente et ne feront rien de sérieux d’ici à quelque temps. Il pleut beaucoup ; le sol est impraticable et mal soin pour tout le monde. Voilà le Maréchal, St Arnaud parti.
Adieu, Adieu. Je n'ai point eu de lettre d’hier. J'y compte aujourd’hui ; mais elle se fait attendre. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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19 Paris. Jeudi 16 Mars 1854

Si de part et d'autre, on ne voulait réellement que ce qu’on dit, l'occasion serait belle pour arrêter encore, les milliers de bouches à feu près de tirer, voilà les Turcs en train de faire pour les Chrétiens, Catholiques, Protestants ou Grecs, bien plus que vous n'avez jamais demandé, pour eux. Pourquoi votre Empereur ne déclare-t-il pas que cela étant, la guerre n'a plus le motif, qu’il ne veut pas la faire et qu’il demande pourquoi, on l’a lui fait ? On serait peut-être un peu étonné, mais très embarrassé. J’ai peur qu’il ne le fasse pas. Et pourtant, s'il ne le fait pas, ce sera plus que jamais à lui que l'Europe s'en prendra de la guerre, car, pour tout ce qu’il a fait depuis un an, il n’a allégué d’autre motif que le motif religieux, la nécessité, pour lui, de protéger l'Eglise grecque. Et en ce moment, c’est au sentiment religieux de son peuple qu’il fait appel pour populariser la guerre. Voici ce qui arrivera probablement. La Russie fera la guerre, à l'Europe pour garantir aux Chrétiens grecs, de Turquie des privilèges très inférieurs à ceux que la Turquie leur accorde. L’Europe fera la guerre aux Chrétiens grecs pour les forcer à accepter ce que la Turquie leur accorde. En soi, cela est absurde, et bientôt, aux yeux des hommes religieux, cela sera odieux. Et si, comme cela encore est probable, l’Europe est elle-même bouleversée, de nouveau par cette guerre, devenue révolution, un jour ne tardera pas à venir, où il n’y aura ni assez de malédictions, ni assez de sifflets pour les auteurs d’une telle situation.
On n'aura, pour échapper aux malédictions. et aux sifflets, d’autre ressource que de dire qu’on voulait autre chose que ce qu’on disait. Triste apologie quand le jour du jugement est arrivé.
On disait hier, de bonne source, que tout était arrangé avec l’Autriche, qu’elle ne vous déclarerait et ne vous ferait point la guerre, mais qu’elle déclarerait son adhésion morale à la politique qui maintient l’intégrité et l'indépendance de l'Empire Ottoman, et qu'elle se chargerait de maintenir l’ordre, dans la Servie, la Bosnie et le Monténégro. On paraissait espérer que la Prusse en gardant sa neutralité, donnerait, à cette quasi-neutralité de l’Autriche, une approbation explicite. " Si on était sage, disait avant hier Morny, on se contenterait de cela, on le dirait tout haut, et on resterait en intimité avec l’Autriche, à ces termes. " Il a raison ; mais il disait Si. Et si on n’est pas sage, qu’arrivera-t-il ?
Voilà votre numéro 13. Vous avez un peu troublé Molé il y a quelques jours, en lui écrivant, par la poste, que vous aviez chargé M. de Mirepoix de lui remettre une lettre. Cela n’est pas de votre prudence ordinaire, et je ne dirai pas à Hatzfeld que vous m'avez écrit, par la poste aussi, de me servir de son courrier. Je lui ferai demander ce matin si son courrier peut se charger aussi des deux volumes, de Cromwell. Je pense que oui. Sinon, je vous les enverrai par une autre voie. Adieu.
Je vous ai dit, je crois, que je vais au Val Richer lundi, pour trois jours. J'en reviendrai Vendredi matin. Mon projet. est ensuite de partir le 21 mars et d'aller passer cinq jours avec vous, jusqu’au 5 avril au soir, d’un jeudi à un jeudi. On vient assez me voir le jeudi soir, et je ne veux pas y manquer souvent. J'espère que rien ne dérangera mon projet, et qu’il vous conviendra comme à moi. Adieu, adieu. G.
P.S. On m'assure que les nouvelles de Constantinople disent que la négociation en faveur les Chrétiens est loin d’être aussi avancée qu’on le disait. Au bal qu'a donné ces jours derniers le Roi Jérôme, on affirme que son fils Napoléon n’a pas paru, déclarant à son père que dans ces fonctionnaires Impériaux, il y avait tant d'ennemis de leur droit héréditaire qu’il ne voulait pas se mêler à eux. Le Roi de Naples se prêtera à tout ce qu’on voudra de lui ; mais il a demandé à être débarrassé de M. de Maupas qui intriguait trop ouvertement pour les Murat. De là le remplacement de Maupas par de la cour.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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18 Paris. Mardi 15 mars 1854

Hier, un dîner agréable chez Mad. de Caraman ; Broglie, et son fils, Montalembert, et sa femme, Berryer, George d'Harcourt, et Lady William Russell. Spirituelle, et étonnée de découvrir qu'elle ne savait pas bien l’histoire de la mort de César. Je lui ai appris l’existence du récit le plus détaillé, le plus contemporain et le plus politique au fait. Il est vrai que la publication en est récente. Elle prend à l'érudition beaucoup plus d’intérêt qu’à la politique.
On parlait assez du Prince de Hohenzollern, et on ne croyait pas que l’attitude de la Prusse eût été aussi bien prise ici que vous le présumez.

2 heures
J’ai été dérangé par trois visites ; mais elles ne m'ont rien apporté. L'emprunt réussit beaucoup ; il y avait hier grand concours de prêteurs. On dit que Fould n’a pas été d’avis de cette démocratie financière. Je n'ai point entendu dire que le maréchal St Arnaud passât par Vienne. Mais on disait hier qu’il allait passer huit ou dix jours à la campagne pour se reposer avant d’entrer en campagne. Je vous enverrai mon Cromwell qui paraît demain. Si vos yeux s'en accommodent, cela vous amusera. Adieu.
Il faut que je sorte pour affaires. Je vais lundi soir passer trois jours au Val Richer, pour affaires aussi. J'y mène un jardinier. J’irai m'y établir complètement du 1er au 15 mai. Ma fille Pauline sera ici, le 15 avril. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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14 Paris, samedi 11 mars 1854

Je vais ce matin de bonne heure à l'Académie, et j’ai encore à corriger les dernières épreuves de mon Cromwell, qui paraît mercredi. De là le petit papier.
Je voudrais bien croire aux moindres chances de paix ; mais au point où l’on en est venu, cela me paraît impossible. Pour les uns ou pour les autres, ce serait trop ridicule. Et une trop grande reculade. Pourtant Kisseleff et Brunow en permanence à Bruxelles, cela signifie quelque chose. Je souhaite au Roi Léopold tout le succès possible, car je ne doute pas de son bon travail.
L’article du Journal de St Pétersbourg (2 mars) est curieux et bien rédigé. Mais pourquoi se plaindre “ qu’on cède, à l'opinion presque traditionnelle qu’on s'est faite de la politique russe en Orient ? " Pourquoi avoir l’air de nier la politique traditionnelle, de la Russie en Orient au lieu de la justifier en l'expliquant, et en la limitant ? On obtiendrait, par ce second procédé, beaucoup plus de créance que par le premier.
Voilà décidément le Maréchal St Arnaud général en chef. On dit qu’il part la semaine prochaine.
Hier soir chez Mad. de Staël, les Broglie, Rumpff Viel-Castel. On parlait surtout de l'emprunt. Le voilà, ce matin au Moniteur. Il sera promptement couvert. Le mode de souscription nationale est le seul qu’on ait pu trouver pour avoir à la fois le concours de Rothschild et du crédit mobilier, c’est à-dire Fould et Pereyre. Ils souscriront chacun de son côté, sans rien faire en commun. Les receveurs généraux et le public prendront leurs restes. Adieu, adieu.
Je vais déjeuner et je pars aussitôt après. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Au château de Broglie, Jeudi 20 oct. 1853

Je viens d’en lire bien long, la lettre de M. Xavier Raymond, et le manifeste de Raschid Pacha. C'est bien du bruit. Jamais les hommes ne font plus de bruit que lorsqu’ils n'ont pas envie de faire autre chose. Quand on regarde au fond et de ce manifeste et de toutes les pièces de cette affaire depuis l'origine, on trouve le bruit bien ridicule, car au fond, il n’y a rien. Vous demandez qu’on vous redonne ce que vous avez. On refuse de vous le redonner, mais on reconnaît que vous l'avez. Voilà pourquoi on vous déclare la guerre. Vous dites que vous ne l'acceptez pas, et vous avez raison, et je crois qu’on ne vous la fera pas. Pourtant, il y a là un grand secret un secret de Dieu. A-t-il décidé que le moment de la mort de la Turquie est venue, et par conséquent le moment du remaniement, c'est-à-dire du bouleversement territorial de l'Europe au sujet de l'héritage ? C'est possible ; et moins je vois de motifs assignables, de motifs humains à la guerre, plus j'ai peur quelquefois, qu’il n’y ait là une volonté divine, et que ce ne soit bien lui même qui pousse à la guerre, les hommes qui n'en veulent pas. Nous verrons bien.
En attendant, je cause ici, de cela et de tout. J’irai après demain passer 24 heures au Val Richer pour dire adieu à ma fille Pauline qui en par lundi pour le midi. Je reviendrai, après son départ, passer encore ici la semaine prochaine, et je retournerai au Val Richer, le samedi 29 pour le quitter définitivement le 15 ou 16 Novembre. C'est bien des courses, et mon Cromwell, qui touche à sa fin, en est un peu dérangé. Je serais fâché quand j'aurai fini ; c'était une société dans ma solitude, et un but dans mon oisiveté. Il faudra que je m'en fasse un autre.

9 heures
On m’apporte votre lettre, et le duc de Broglie m'en envoie une du Prince de Joinville qui est en effet très inquiet pour la Reine sa mère. La pleurésie allait mieux ; mais le matin même, une inflammation d’entrailles venait de se déclarer et paraissait grave. On attendait le Duc de Nemours qui venait de Vienne avec sa soeur la Princesse Clémentine. Le duc d'Aumale est en Savoie. Ils ont évité de se trouver tous réunis à Genève, de peur de quelque ennui politique. Je crains beaucoup pour la Reine ; elle est prête, fatiguée ; elle a 71 ans. Il y a de bon médecin à Genève. Ecrivez-moi demain à Broglie. Je n'en partirai samedi qu'après déjeuner. Mais dimanche, je vous prie de m'écrire au Val Richer. J'y passerai toute la journée de lundi. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 6 octobre 1853

J’y ai pensé et je crois que je n'écrirai pas. C’est toujours quelque chose de délicat que de donner des conseils surtout quand on ne vous les demande pas. Au moins faut-il bien savoir ce qu’on dit, et dire tout ce qu’on pense. Ces deux conditions me manqueraient. Ce qui se passe depuis vos dernières notes, ce que vous que dîtes de Lord Lansdowne, d'abord doux, puis irrité après avoir causé avec Lord Cowley, les quasi-velléités de guerre d'Aberdeen lui-même, tout cela me fait supposer qu’il y a des choses que je ne sais pas. Et quant aux choses générales, si le disais tout ce que je pense de la situation, j'en dirais trop ; si je ne disais pas tout, je dirais trop peu, et ce n’est pas la peine. J'attendrai, toujours décidé à n'être pas inquiet. Il faudra que je voie la guerre pour y croire.
Je trouve la Patrie, bien embrouillée dans sa réponse à l'Assemblée nationale. Je ne sais à qu’elle source, l'Assemblée avait puisé ses nouvelles ; mais la patrie à l’air de ne les démentir qu’à vous, et avec plus d'humeur que d'autorité.
Avez-vous remarqué la décision du petit conventicule italien qui s’est tenu à Londres autour de Mazzini et où sa politique violente n’a eu que trois voix ?
Marion serait bien aimable de me rendre un petit service. Les Durazzo, si je ne me trompe, sont à Paris. Je trouve, dans l’histoire du Piémont au 17e siècle, un nom que je ne suis pas sûr de savoir correctement ; c'est un marquis de Pianessa qui a joué un rôle dans les affaires des Vaudois et de Cromwell, à cette époque. Lui et sa femme étaient des gens considérables à la Cour de Turin. Quel est vraiment leur nom ? Est-ce Pianessa ou Pianezza ? Les Durazzo savent certainement cela. Marion aurait elle la bonté de le leur demander pour moi ? Je l'en remercie. d'avance.
Puisqu’il ne sait que de Noël, je serai à Paris bien avant le départ de Marion, et nous en causerons. Je ferai de mon mieux pour abréger l’absence.

Onze heures
C'est bien grave, et bien insensé. Il sera dit que les gouvernements n’ont pas plus de bon sens que les peuples. Voici ce que m'écrit M. Monod. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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18 Val Richer. Vendredi 17 Juin 1853

J’ai grand peine à ne pas vivre tout-à-fait dans le 17e siècle au lieu du 19e. Je viens de dater cette lettre de 1653. C'est là que j'en suis avec Cromwell, au moment où il chasse le Parlement.
Je suppose que vous trouverez l'Allemagne très occupée de votre occupation des Principautés. C'est là que la question se transporte. C’est là du moins qu’on s'efforce de la transporter. Le petit travail des journaux du gouvernement pour le décharger de tout embarras m'amuse. Quand l'affaire de Lieux Saints a été finie, ils ont dit : " La question française est vidée, il n’y a plus qu’une question Européenne ou la France n’a plus que sa part " Maintenant, ils disent : " Puisque la Russie déclare qu’elle se barrera à occuper les Principautés, sans faire la guerre à la Porte, il n’y a plus à vrai dire, de question Européenne ; ceci n’est plus qu’une question allemande, c’est à l'Allemagne de savoir si elle veut que la navigation et le commerce du Danube passent tout à fait dans les mains de la Russie. Vous me direz si l'Allemagne est disposée à se charger ainsi seule du fardeau.
Il y a entre la politique de mon temps et celle qui lui a succédé cette différence que l’une à besoin de placer l’intelligence publique trop bas et que l’autre avait besoin de la placer trop haut.
Je vous suppose établie d’hier à Ems Bayrischer hof. Garderez-vous votre fils Paul un peu de temps ? Je le voudrais pour vous et aussi pour lui. Sa société vous est agréable et je crois que la vôtre lui est bonne.
Je ne comprends pas Hélène Kotschoubey de venir à Paris dans cette saison, à moins que ce ne soit pour s'y arranger pendant qu’il fait beau et y passer l'hiver prochain.
Je n’ai absolument rien de Paris depuis votre départ. Personne n’y est plus, que mon petit ami qui me dira bien de temps en temps quelque chose. Je ne sais pas quand Duchâtel et Dumon reviendront de leur voyage, l’un à Vichy, l'autre dans le midi. Le Duc de Broglie a été content de son séjour à Claremont. Les Princes très sensés et bien disposés ; mad. la Duchesse d'Orléans toujours la même ; il n’a point eu de conversation sérieuse avec elle. Le comte de Paris en grand progrès d’intelligence, de taille, de manière et d’apparences fermes et franches. Puisque vous aurez passé un jour plein à Bruxelles, vous y aurez vu du monde intéressant.

Midi
Je n’attendais pas de lettre aujourd’hui. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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10 Val Richer. Lundi 6 Juin 1853

Si le résultat de votre opération sur Constantinople était de refaire l'alliance de l’Autriche, la France et l’Angleterre ; vous y perdriez plus que vous n'y pourriez gagner. Et l’Europe aussi. Mais je ne crois à aucune alliance sérieuse. Vous sortirez de ceci moins bien que vous n'étiez avec tout le monde, et n'ayant pas gagné sur la Porte tout ce que vous vouliez, mais ayant gagné pourtant, et sans guerre européenne. Tout bien considéré, je doute que vous ayez fait de la bonne politique, et même que vous ayez bien fait votre politique. On vous avait fait plus beau jeu que vous n'avez bien joué. Mais votre position est si forte que vous avancez même en bronchant. D'ailleurs, vous avez un but et vous y marchez. Toutes les autres puissances en Europe ne veulent que le Statu quo.
Le temps est redevenu doux et charmant. J’ai marché hier trois heures de suite, sans fatigue. C'est de l'appétit et du sommeil de plus. Je me plains seulement que la journée n'ait pas 36 heures. J’ai pris, une rage de travail et de promenade à la fois à laquelle les 24 heures ne suffisent pas.
Vous aussi les 24 heures ne vous suffisent pas. Au jour du jugement dernier, vous ne direz pas comme ce pauvre Valdegamas. " Mon dieu, j’ai fait des visites. " mais " Mon dieu, on m’a fait des visites ? Je m'amuse de votre amusement.
Andral a trop d’esprit pour vous faire partir de Paris tant que vous vous y amuserez si bien. Je vois que Bourqueney à Vienne et M. Gobineau à Berne se donnent bien de la peine pour raccommoder l’Autriche et la Suisse. Je ne comprends pas que ce soit difficile du moment que l’Autriche est décédée, comme elle le paraît, à ne pas employer la force pour obtenir ce qu'elle demande. Quand on ne veut pas se battre, à quoi bon se quereller ?
Le succès du voyage du Roi Léopold me revient aussi par Claremont où l’on s'en réjouit beaucoup. Il influera grandement pour remettre l’Autriche bien avec l’Angle terre. Evidemment, il s’y est déjà beaucoup employé ! La Reine d'Angleterre est mieux que jamais pour toute la famille d'Orléans. Le cardinal Wiseman a très éloquemment parlé pour la première communion du duc de Chartres. Peu de Français et beaucoup d’Anglais présents.

Onze heures et demie
Je n'ai que le temps de fermer ma lettre. A demain la conversation. Adieu, Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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6 Val Richer, Jeudi 2 Juin 1853
9 heures

Le journal des Débats m’a manqué hier, je ne sais pourquoi. C'est comme si toute la politique me manquait. Il devrait traiter votre question en pleine connaissance de cause et sensément. Je doute que votre politique expéditive soit pratiquée. On craint trop les conséquences de toutes choses pour rien commencer vite. Sauf ce que vous m'écrivez, et ce que je vous écris, il est impossible de penser moins que je ne le fais à ce qui se passe.
Je ne m'occupe que de ce qui se passait il y a deux cent ans. Il y a deux cent ans précisément, Cromwell chassait, en personne le Long Parlement et se faisait Protecteur. Je m'amuse parfaitement à le regarder faire et à le raconter. On m'écrit de Londres pour me presser instamment de publier, mon livre cette année même, au mois de décembre, pour l’anniversaire du protectorat. Partout on se plaît aux coïncidences de dates. Je crois que je leur donnerai cette satisfaction.
Vous ne vous souciez guère de la Chine. Cependant le Galignani me dit que les agents anglais et Français ont promis le secours de leurs vaisseaux pour empêcher cet Empire là de tomber. Soutenir deux Empires à la fois en Orient, c’est beaucoup. La coïncidence est singulière. Je suppose qu’elle ne vous plait pas davantage dans l'Orient asiatique que dans l'Orient européen. Mais vous n'êtes pas engagés à protéger les Chinois contre les Tartares comme les Grecs contre les Musulmans. Bizarre spectacle que celui du monde aujourd’hui ! Ce sont des hérétiques, et des schismatiques qui s'en partagent ou s'en disputent la domination. Le Pape ferait plus sagement de voir en eux des Chrétiens que de s'obstiner à les anathématiser, comme au temps où les catholiques dominaient partout. Je suis encore plus frappé de la décadence d’esprit de la cour de Rome que de celle de sa force. C'est dommage.

Onze heures
Le rappel de Brünnow serait drôle. J’ai point à y croire. Les Débats sont curieux en effet. Ils ont raison. Adieu, adieu. Vous avez raison de ne prendre personne à la place de votre Allemand. Marion vaut un homme et une femme. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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3 Val Richer. Lundi 30 Mai 1853

Je trouve le langage de Lord John très confiant dans la paix, et même assez confiant dans votre Empereur. Je suis de son avis. Le départ du Prince Mentchikoff ne sera pas la guerre, et la guerre, si elle vient, ne sera ni la chute de l'Empire ottoman, ni le bouleversement de l'Europe. Quelque chose d’analogue à vos campagnes de 1827 et 1828, plutôt moins que plus. Vous ferez un pas, on grognera en vous le regardant. faire, et quand vous l'aurez fait, vous vous arrêterez. Je ne vois de grave en ce que l'impression de méfiance qui en restera au fond des coeurs Anglais. Ils la montreront peu, mais ils la garderont. Cela ne vaut rien pour les affaires générales de l’Europe.
Dupin est donc bien changé. Il était si pressé naguères de vous donner Constantinople. Vous lui en saviez beaucoup de gré. Il ne faut jamais se presser de savoir gré à Dupin.
Entendez-vous dire ce que signifie cette commission solennellement instituée, sous la présidence de M. Barthe, pour examiner les comptes de la liste civile ? Est-ce une simple mesure d’ordre, comme pour tous les comptes de l'Etat, ou une mesure de méfiance provoquée par quelque grand désordre ? Je suppose, en tout cas, que cela ne s'est fait que de l’avis de M. Fould.
J’ai un temps admirable. Je voudrais être sûr que vous l'aurez pour votre voyage. Votre fils Paul est-il arrivé, et vous accompagne-t-il ?
Quand vous serez sur les bords du Rhin, je vous enverrai tout ce qui m’arrivera ici de nouvelles ; mais elles seront rares et feront un détour. Attendez-vous à une année, je ne veux pas dire, à des années de stérilité.

10 heures
J’ai été interrompu par l’arrivée de six caisses de livres que je viens de déballer et de ranger. Je voyage avec une bibliothèque. Voilà encore un goût et un plaisir qui vous manquent. Mes livres me tiennent compagnie, ceux que je lis et ceux que je regarde sans les lire. La vieille Lady Holland voyait vivre, et entendait parler les portraits qui garnissaient la bibliothèque de Holland House ; je l’ai trouvée vraiment émue et éloquente un jour sur ces portraits. Mes livres me donnent un peu de cette impression. Je vois et j'entends les personnes.

11 heures
Je comprends l'émotion, mais je persiste. Je ne comprends pas que vous n'ayiez rien eu de moi Dimanche. voici mon N°3. L’histoire de votre allemand me désole. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer Lundi 4 octobre 1852

Puisque vous avez besoin des médecins. Je suis bien aise que vous ayez vu concurremment les deux meilleurs. Le départ de Chomel vous y a obligé. Vous ne pourrez pas les garder tous les deux à son retour ; mais vous comparerez leurs avis et leurs procédés et Olliffe se changera de prendre de l’un et de l'autre, ce qui vous sera bon. Andral est moins agréable de sa personne que Chomel ; mais je lui crois plus d’esprit, et il est extrêmement consciencieux.
Je n’ai absolument rien à vous dire. Rien n’est plus stérile que l’attente d’une chose prévue et regardée comme certaine.
Dans le sentiment public, l'Empire est déjà du passé. Pour moi, je ne vis plus qu’avec Cromwell. Si vos yeux vous le permettent quand il paraîtra, il vous amusera à connaître quoique aucun passé ne vous amuse guère.
C'est le bruit de la bourse, m’écrit-on que le Pape viendra sacrer le nouvel Empereur. Je n'y crois pas. Pourtant, il se fera sacrer. L'exemple de son oncle, et ses propres relations avec le Clergé lui en font une loi. Par qui ? L’archevêque de Paris sera bien petit Il n’ira pas le faire sacrer à Reims. Peut-être un sacre collectif ; tous les cardinaux Français réunis. Je suppose qu’on a pensé à cet embarras.

Onze heures
Adieu, adieu. Les paroles sont aussi vaines sur l'Empire que sur la santé. Il faut attendre. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Mercredi 22 sept. 1849
9 heures et demie

Je suis dans mon Cabinet depuis six heures. Je n'ai pas encore mis le pied dans le jardin quoiqu’il fasse un soleil superbe. Je suis plongé dans mon histoire de la révolution d'Angleterre. Notre temps me sert beaucoup plus pour la comprendre qu’elle ne m'éclaire sur notre temps. Personne, ne me croirait si je disais que je cherche bien plutôt dans le présent des lumières sur le passé que dans le passé des allusions au présent. C'est pourtant très vrai.
Savez-vous un effet qu’on n’a pas prévu ? Il est très probable que ces bruyantes et innombrables démonstrations dont les journaux sont remplis, feront l'Empire ; mais en le faisant, elles l’usent d'avance. On en aura trop entendu parler quand il sera proclamé. On attendra et on demandera autre chose.
Le Constitutionnel allait avant hier au devant des craintes qu'inspirent déjà ces autres choses ; il promettait un Empire qui ne serait pas l'Empire, qui ferait des sociétés de crédit foncier et des chemins de fer une monarchie pacifique et bourgeoise. C’est trop de bruit pour arriver là. Il fallait attendre plus patiemment la nécessité de la monarchie ; elle serait venue, et elle serait venue plus tranquillement, sans blaser d'avance et sans exciter outre mesure. J'en reviens toujours, au chancelier Oxenstiern, qu’il y a peu de sagesse, même dans ce qui réussit !
C'est probablement par mauvais vouloir pour Lord Douro que le Duc de Wellington n’a pas fait de testament ; il a voulu que son second fils, qu’il aime mieux, et qui a des enfants, ont la moitié de sa fortune. Peel et Wellington, jamais les fils n'ont moins ressemblé aux pères ; le contraste est choquant.
Je suis convaincu qu’il y a de la faute des pères en cela, et que des enfants vraiment bien élevés, et en intimité avec leur père, n'en sont jamais si loin, quelque différente que Dieu ait fait la pâte, de toutes les jalousies, celle de père à fils est la seule que je ne comprenne pas du tout. Je ne conçois pas de plus grande satisfaction que de se survivre, et de la perpétuer soi-même dans ses enfants. J’ai pourtant vu de grands exemples de cette jalousie là, et dans de bien frappantes occasions.
Je vous quitte pour faire ma toilette. Je suis impatient de savoir Aggy revenue.

Onze heures
Je remercie Aggy de ses quelques lignes, quoiqu’elles me chagrinent. J’espère qu’un peu de nourriture vous relèvera de votre abattement. Le temps mou et pluvieux paraît vouloir casser ; peut-être qu’un air plus sec et plus vif vous vaudra mieux. Adieu, Adieu, en attendant demain. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 21 sept. 1852

Je regrette cette idée de noviciat pour votre fils Paul ; d’autant plus que, dans l’apparence, il n’y a pas d'objection raisonnable. à y faire ; elle est naturelle. Mais évidemment, pour lui, cela n’est pas du tout nécessaire : c’est ou une pédanterie administrative, ou un mauvais vouloir détourné. Cependant, à moins que sa santé n’y mette tout-à-fait obstacle, si on insiste, il fera bien de se résigner. S'il a envie de rentrer dans les affaires, il ne peut pas espérer qu’il le fera sans ombre de désagrément ou d’ennui. Est-ce que M. de Meyendorff va à Pétersbourg ? Et y va-t-il, en même temps que M. de Nesselrode et Kisseleff ?
Votre calme de Paris n'est rien à côté de celui dans lequel je viens de rentrer ici. Je n’ai, à la lettre, point d'autre bruit que celui du vent, et point d'autres incidents que les alternatives du soleil et de la pluie. C'est bien vraiment le travail au sein du repos. Vie très saine, et au fond. très douce, sauf ce qui me manque.
Je pense avec plaisir qu’Aggy vous revient aujourd’hui. C’est une sécurité pour vous, et aussi pour moi. Marion est une sécurité et un plaisir. Croyez-vous qu’elle vous vienne avec son oncle, vers Noël, pour passer avec vous l’hiver prochain ? Je me figure que cet hiver, la fin surtout, sera très animé, pour les amateurs du mouvement de salon. L'Empire en répandra beaucoup à son début. Plus tard, il lui faudra un autre mouvement, qu’il aura peine à se procurer, du moins à un prix raisonnable.
Vous dit-on à quel moment Lord Palmerston passera à Paris, en conduisant sa femme à Nice ? Il sera bien reçu là. Le gouvernement actuel du Piémont l’a trouvé bienveillant, et le lui rend sans doute. Je trouve que ce gouvernement a un peu l’air de s'affermir. Quelques unes des querelles que le Clergé lui fait sont mauvaises et le servent.
Vos diplomates ont ils rencontré quelque part, M. de Cavour pendant son séjour à Paris ? Il doit avoir vu Thiers. Thiers a été bien venu à Turin.

Onze heures
Puisque Chomel vous voit souvent, je ne crains pas qu’il fasse de grosse faute ; il modifiera à temps le régime. J’attendrai impatiemment la nouvelle.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mardi 24 août 1852

Il vous est plus facile de me faire de loin, la question que vous me faites à propos de Cromwell, qu'à moi d'y répondre. J'y répondrai pourtant très ouvertement. Au fait, je dirais volontiers tout haut, et devant tout le monde ce que j'ai à vous répondre. Je n’ai pas la prétention d'être insensible, au plaisir d’un petit succès. Mais je sais me le refuser pour peu que j'en aie une bonne raison. Ce n’est pas pour me le donner que j’ai publié ce fragment. Quand j’ai de l'humeur, quand je suis impatient, quand j'écoute mes souvenir de parti, je désire que le président suive sa fantaisie et se fasse Empereur. Certainement il s'attirera par là des complications et des difficultés, et des nécessités qui feront faire un pas à la situation. Quand je suis, ce qui est mon ordinaire, de parfait sang froid et détaché de tout sentiment de parti je trouve que le président a et aura grandement raison de ne rien changer à sa situation. Il y est plus fort, pour sa mission d’ordre social, qu’il ne le serait dans aucune autre, et plus sûr, pour lui-même, non seulement du présent, mais de l'avenir de son pouvoir.
J’écris, depuis longtemps, l’histoire de Cromwell. Je suis arrivé au moment où il a eu à décider s'il se ferait Roi. Il ne s’est pas fait Roi. A mon avis, il a très bien fait. C'est à cela qu’il a dû de mourir tranquille dans son lit, à Whitehall, et en pleine possession du pouvoir suprême. J’ai trouvé qu’il y avait là un grand exemple et un bon conseil. Je n’ai pas besoin de vous dire que je n’y ai pas mis ou changé un mot par malice. Il est tel qu’il aurait été publié il y a dix ans. Je suis en dehors de toutes choses, mais non en dehors de toute communication avec mon pays. Il veut bien mettre toujours quelque prix à savoir ce que je pense, et j'en mets à le lui dire. C'est par là que ma vie est encore publique. Je n’y veux pas renoncer. Je ne pense pas qu’il me vienne de là aucun désagrément. J'en serais surpris, et j'en prendrais mon parti. Je suis sûr qu’il n'en viendra aucun à aucune autre personne. Vous êtes la seule dont les désagréments, en ce genre pussent me toucher. Je suis tranquille de votre côté.
J’avais prévu ce qui est arrivé à Berlin. C’est en effet bien maladroit. Le neveu fait très bien d'honorer la mémoire de son oncle ; mais le roi de Prusse ne peut pas oublier sa mère.
La lettre d’Ellice est intéressante. Au fond, ce nouveau pas démocratique qu’il prévoit et qu’il craint ne lui déplait pas. Il est de ceux qui se résignent volontiers à ce mal. Je persiste à penser que l'Angleterre vaut mieux que ceux-là, et que si elle succombe au mal, ce ne sera pas sa faute, mais celle des hommes qui lui auront manqué.

10 heures et demie
Merci de me dire toujours tout. Ce que vous ne savez probablement pas, c’est que Villemain a publié, il y a longtemps, une histoire de Cromwell, qui n’a pas réussi, et que toute même histoire qui réussit un peu lui est un grand crève-cœur. Adieu, adieu.
Ma toux est à peu près partie.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Dimanche 9 nov. 1851

Je viens de finir mon discours, et je vais donner ces deux jours à mes visites et à mes affaires. Que j’ai envie de vous trouver mercredi moins fatiguée ! Mais si vous l'êtes encore beaucoup je vous soignerai enfin. Au moins vous ne vous ennuyez pas.
Singulier spectacle. Quiconque prend l’initiative du moindre mouvement inutile, quiconque dépasse la nécessité de l'épaisseur d’un cheveu est aussitôt condamné et délaissé par le pays. C’est de la politique thermométrique. Il faut avoir le coup d’oeil bien sûr et le pied bien ferme pour marcher droit dans une telle atmosphère. Certainement d’ici la nomination de Vitet et la proposition des questeurs me paraissent deux fautes graves et si j’avais été là, je les aurais déconseillées. Je verrai ce qu’on me dira pour les justifier. Je suis du reste, bien décidé à n'en croire moi-même plutôt que ce qu’on me dira. Ecouter tous les avis et agir toujours selon son propre avis, c’est la bonne règle quand on a du bon sens C'est facile quand on n'est que donneur d'avis, et point acteur. Je ne puis croire que la majorité se laisse mener longtemps par Thiers, et Changarnier ; elle reconnaîtra bientôt qu’ils la mènerait perdre. Les montagnards ont voté pour Vitet évidemment pour brouiller la majorité. Je ne crois pas du tout à M. de Hackereen.
Thiers a-t-il, ou n'a-t-il pas été au service de la Madeleine pour la Dauphine. Je puis encore vous faire une question. Mais mardi, Marion n'aura plus à vous remplacer. pour m'écrire.

4 heures
Je suis charmé que vous recommenciez à manger pourvu que vous digériez. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Samedi 8 nov. 1851

Vous me permettez du bien petit papier, n'est-ce pas ? J'ai beaucoup à faire ces jours-ci. Je veux absolument avoir fini mon discours, et je l'aurai fini. Une visite de matinée à Lisieux, chez les gens qui m'ont donné à dîner. Une visite. dans mes champs, avec mon fermier et mon homme d'affaires, pour voir s’ils sont bien cultivés et en bon état. Riez si vous voulez, de ma science agricole ; elle me prend mon temps comme si elle était bien profonde.
Je lis tout ce que vous m'écrivez, vous et Marion, tout ce qui me vient d'ailleurs, tout ce que me disent mes dix ou douze journaux ; je ne vois pas de raison de changer mon impression et mon pronostic. Je crois la situation où je suis en ce moment très bonne pour juger sainement. Bien informé des faits et loin du bruit. J’y vais rentrer. Je tâcherai de ne pas m'en laisser étourdir au milieu du bruit, on oublie le plus grand des faits, l'état réel du pays lui-même, et on fait des sottises dont on est averti par des catastrophes.
Je sais bon gré à ce bon Alexandre de sa résignation. Je me préoccupe de la situation de votre fils Paul. Nous en causerons si vous voulez et si cette conversation ne vous agite pas trop.
A tout prendre, j’aime mieux que Lord John ne vienne pas à Paris. Dieu sait ce qu’il aurait dit ou conseillé au Président. Les Anglais n'entendent rien à nos affaires et pourtant leurs paroles ont toujours du poids. Vous êtes vous fait lire le discours de Louis Blanc à Londres dans l’une des fêtes de Kossuth ? C'est le vrai programme du parti au moins des émigrés du parti ; il feront ce qu’ils pourront en 1852 pour soulever une grande prise d’armes à moins que nous ne le fassions exprès de les faire réussir, ils échoueront ; mais ils ne pensent guère laisser passer cette époque sans protester contre les anciens échecs.

4 heures
Nous avons bien les mêmes instincts. J’ai été frappé et désolé des fautes qui commencent. Adieu, adieu. Je suis chaque jour plus pressé de vous retrouver. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 7 nov. 1851

Le message est profondément médiocre. Mais je ne crois pas du tout que ce soit un manque de dédain pour l'Assemblée. C’est tout bonnement de la médiocrité naturelle. Les articles du Dr Véron valaient mieux. Je ne trouve pas non plus que Berryer ait bien conduit sa première attaque. Il a été long, confus et hésitant. Mais si j'étais à Paris, je ne dirais pas cela. L’esprit de critique nous domine, et nous sacrifions tout au plaisir de tirer les uns sur les autres. Sur la physionomie de ce début, je crois moins que jamais à de grands coups, de l’une ou de l'autre part. On ne disserte pas si longuement et si froidement, au moment de telles révolutions. Elles sont précédées, ou par de grands signes de passion ou par de grands silences. La montagne épousant systématiquement le Président et sa mesure, cela est significatif et pourrait devenir important. Je doute que cela tienne. Le Président n'en fera pas assez pour eux et ils ne seront jamais pour lui ce qu’il veut, sa réélection. Chacun finira par rentrer dans son ornière.
J’ai mal dormi cette nuit, pas tout-à-fait par les mêmes raisons que vous. Je cherchais deux paragraphes de ma réponse à M. de Montalembert. Ils m'ont réveillé à 2 heures ; je les ai trouvés, je me suis levé, je les ai écrits, et je me suis recouché, pour mal dormir, mais pour dormir pourtant.
Le froid commence. Il gèle fort la nuit. Je vois fumer en ce moment le tuyau de ma serre. Il n’y a plus de fleurs que là. Il est bien temps d'aller retrouver ma petite maison chaude. Je ne vous écrirai plus que trois fois. Je voulais porter d’ici à Marion une belle rose en signe de ma reconnaissance. La gelée me les a flétries. Elle a bien raison d’ajouter à votre lettre des détails sur votre santé. C’est un arrangement excellent, et dont je la remercie encore.
J’ai fait ces jours-ci quelque chose d'extraordinaire dans mes moments de repos, et pour me délasser de mon travail. J’ai lu deux romans, David Copperfield de Dickens et Grantley Manor, de Lady Georgina Fullerton. Le premier est remarquablement spirituel, vrai varié et pathétique ; plein, seulement de trop d'observations et de moralités microscopiques. Le commun des hommes ne vaut pas qu'on en fasse de si minutieux portraits. Pour mon goût, j’aime bien mieux le roman de Lady Georgina, la société et la nature humaine élevée, élégante et un peu héroïque ; mais elle a l’esprit bien moins riche et bien moins vrai que Dickens. Qu'est-ce que cela vous fait à vous qui n’avez lu et ne lirez ni l'un, ni l’autre.

Onze heures et demie
Décidément mon facteur vient plus tard ; mais peu m'importe à présent. Adieu, Adieu. Je voudrais bien que vous ne violassiez pas trop les règles de Chomel. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 2 Novembre 1851

Je ne suis pas malade comme vous, mais j’ai eu hier et cette nuit une forte migraine ; ce qui fait que je me lève tard, et que vous n'aurez qu’une courte lettre.
J’ai beaucoup travaillé depuis quelque temps, et je veux travailler beaucoup cette dernière semaine. Je sais le peu de temps dont je dispose à Paris. Si ma réponse à M. de Montalembert n’est pas tout-à-fait finie quand je partirai, elle en sera bien près.
J’espère bien apprendre ce matin que le mieux s'est soutenu pour vous. Ce sera parfait si je l’apprends de vous-même. Vous aurez vu que j’avais fait grand attention à l'article du Constitutionnel sur M. de Persigny, et que j'en savais le sens. Si cela aboutissait à son renvoi, ce serait en effet très significatif, et une facilité pour reculer.
Je ne suis pas inquiet de la reculade, pourvu que le débats de l'Assemblée n'enveniment pas trop les plaies. Si elle le conduit aussi sensément que sa commission de permanence, si elle cherche le succès plutôt que le bruit, elle aura certainement le succés. L’ajournement de la proposition Créton et probablement aussi de la candidature de M. le Prince de Joinville me paraît être la résultat naturel et obligé de la situation actuelle. Il n'y a de majorité qu'à cette condition.
Le Duc de Montmorency est-il bien réellement parti ? J’ai des nouvelles de Duchâtel. Rien de nouveau. Mêmes observations, même impressions et mêmes conjectures que les miennes. Il ne reviendra qu'à la fin de novembre.

Onze heures
Je suis moins content aujourd’hui qu’hier. Je maudis Pétersbourg. Je sais avec qu’elle lenteur vous vous remettez de secousses pareilles. Adieu, adieu. Je ne vous ferais pas grand bien si j'étais là, mais je suis bien pressé d'y être. Adieu. Je remercie toujours Marion, vrai trèsor. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Samedi 25 octobre 1851

Vous n'aurez aujourd’hui que quelques lignes. Je pars après déjeuner pour Falaise où l’on me donne un dîner choisi ; et demain Guillaume le conquérant. Il faut que je me promène ce matin dans mon jardin pour arranger mon discours, car à Falaise je n'aurai pas un moment de loisir. Vous avez bien mal traité la statue du Roi ; on m'a dit qu'elle est belle. Je suis décidé à la trouver.
La Dauphine me revient toujours depuis hier. Deux choses me touchent également ; la grandeur vertueuse, et malheureuse ; la vertu et le malheur dans une condition pauvre et obscure. Dit-on si elle a regretté de mourir, et si elle espérait beaucoup revoir en France son neveu, et aller elle-même à Saint Denis ? Je ne puis pas ne pas être sûr qu'on fera à Claremont tout ce qui convient. Je suppose qu’à Paris toute la société monarchique prendra le deuil, indistinctement.
Voilà l’arrêt au Conseil de Guerre de Lyon confirmé par le Conseil de révision et la double fermeté du Président mise à l’épreuve. Enverra-t-il à Noukahiva, M. Genti et ses complices ? Adieu.
Je vais me promener. Onze heures Je suis bien impatient de la réponse de Pétersbourg. J’espère qu'elle sera bonne et qu'elle calmera un peu vos nerfs. Que devient la lettre que le duc de Noailles devait m'écrire le lendemain ? Soyez tranquille sur Falaise. Adieu, Adieu.
Je vous écrirai demain de Falaise. Je reviendrai ici lundi matin, de bonne heure. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer 23 Oct. 1851

Je voulais rentrer à Paris du 2 au 5 novembre. Ma réponse à M. de Montalembert exige, absolument huit jours de plus. Je veux l'apporter à peu près terminée, et il n'y a pas moyen pour moi de travailler un peu de suite à Paris surtout quand j’y arrive. Je ne rentrerais donc que du 10 au 12. Et Falaise me fait perdre deux jours. Ce retard me déplaît beaucoup, et à vous, j'espère autant qu'à moi. Bien à cause de vous seule, et de mon plaisir à me retrouver auprès de vous, car je ne me sens aucun empressement à rentrer dans cette atmosphère d'activité bavarde et vaine. La solitude rend sérieux et difficile. Je le deviens tous les jours davantage. D'autant plus que je vois clairement, pour le bon parti, une bonne conduite à tenir, je ne dis pas qui le conduirait promptement à son but mais qui certainement, l’y ferait marcher et qui en attendant, le lierait intimement au pays de l'aveu et de l’appui duquel il ne peut se passer. Mais cette bonne conduite, on ne la tiendra pas ; elle exige trop de bon sens de patience, et de sacrifice des fantaisies personnelles. Connaissez-vous un pire ennui que de voir faire et défaire soi-même de compagnie, des fautes qui déplaisent autant qu'elles nuiront, et de se donner beaucoup de mouvement pour aboutir, le sachant, à beaucoup d'impuissance ?
Le discours de M. de Montalembert est un ouvrage, un long ouvrage beaucoup trop bong, excellent au fond, très hardi, et souvent très beau dans la forme. Ni l'Académie ni son public n’ont jamais rien entendu de si hautement et brutalement anti-révolutionnaire. La vérité y abonde ; la mesure et le tact y manquent. Ceci entre nous. C’est toujours l'homme qui, selon le dire de M. Doudan, commence toujours par les paroles : " Soit dit pour vous offenser " Certainement, ni la Commission de l'Académie, ni l'Académie elle-même, si on est obligé de recourir à elle avant la séance, ne laisseront passer ce discours tel qu'il est. Je m'attends à une vive, controverse intérieure et antérieure. On demandera à M. de Montalembert beaucoup de changements, et le changement d'abrègement sont indispensables, pour son propre succès J'appuierai auprès de lui ces changements-là car je désire son succès autant que lui-même ; d'abord parce qu'il le mérite et aussi parce que son succès sera bon pour la bonne cause Quant au fond des choses, je défendrai son discours contre les gens à qui il déplaira et contre ceux qui en auront peur, sans qu’il leur déplaise. Ne parlez de ceci, je vous prie qu'à des amis de M. de Montalembert ; je ne veux pas qu’il puisse me reprocher d'avoir ébruité d'avant son discours. Mais si vous voyez son beau frère Menode, il n’y à pas de mal qu’il sache un peu mon impression et ma prévoyance.
Berryer a raison de se présenter pour l'Académie. Je crois pleinement à son succès. Cependant il faudra en prendre soin. Bien des gens croiront faire par là de la politique et en auront peur. Le Gouvernement qui, à la vérité, n'a à peu près aucune influence dans l’Académie, lui sera certainement fort contraire. S'est-il assuré de ce que fera Thiers ?
Si vous voyez Vitet soyez assez bonne pour lui demander de ma part des nouvelles de Duchâtel. Il m’a écrit. Je lui ai répondu au moment de la mort de ma petite-fille, depuis, je n'ai rien reçu de lui. Je pense pourtant que ma lettre lui est arrivée.

Onze heures
Il ne faut pas de défaillance et je suppose que Chomel n'a pas compté pour longtemps sur l'artichaut strict. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 7 Oct. 1851

Voici une lettre de M. de Carné qui n'est pas sans intérêt. Je voudrais que vous la fissiez lire au Duc de Noaille, s'il vient un de ces jours à Paris. Il est bon que les légitimistes voient combien le danger est réel, et ce qu'en pense un homme d'esprit, autrefois, un des leurs est devenu l’un des miens. L'expédient qu’il indique de l'Assemblée remettant la question de la révision au vote populaire n’est peut-être pas sans valeur. Renvoyez-moi, je vous prie cette lettre. Il faut que je réponde.
Dimanche 26 octobre, on inaugure à Falaise la Statue équestre de Guillaume le Conquérant. J’ai reçu hier du maire et de la commission municipale, l’invitation d'assister à cette cérémonie où se rendront tous les bons normands. Et on me demande d'y dire quelques paroles en l'honneur de Guillaume et de notre vieille histoire. Je ne puis pas refuser et cela ne me déplait pas. J'irai donc.
Ce ne sera pas loin du moment, très doux, où nous nous retrouverons. Que de choses nous aurons à nous dire ! On se dit bien peu, même en s'écrivant tous les jours. Je voudrais seulement avoir achevé, ou à peu près, mon discours en réponse à M. de Montalembert. Je m’en occupe, quoiqu'il ne m'ait pas encore envoyé le sien. J’espère que je le recevrai le 15, ou le 16 de ce mois.
Vous m'avez appris qu’il y avait au Français, des Demoiselles de St. Cyr. Je ne lis pas les articles Spectacles. J’aimerais mieux que vous vous fussiez amusée. Mon amusement à moi, depuis deux jours, c'est les Mémoires d’Outre tombe. J’avois besoin de revoir les détails de la brouillerie de M. de Châteaubriand avec M. de Villèle. Lecture attachante, quand même. C'est l'explosion désespérée d'un égoïsme malade qui n'ayant pas trouvé en ce monde la satisfaction d’un orgueil et d’une vanité incommensurables, a voulu se donner au moins en mourant le plaisir de les étaler sans gêne, sans la forme du dédain et du dégoût. Cet homme-là a dû beaucoup souffrir, autant qu’on peut souffrir ailleurs que dans le cœur car il avait bien peu de cœur. Mais infiniment d’esprit, presque grand, et de talent, toujours grand et brillant, même dans son déclin ; d'éclatants rayons du soleil couchant, dans un ciel sombre et triste.
Savez-vous qu'Alexis de St. Priest est presque mourant à Mâcon ?

11 heures
Adieu, Adieu. Votre solitude me pèse autant qu'à vous ; mais je pense comme vous que l'apparence de l'agitation stérile ne vaudrait rien du tout pour moi. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mercredi 1 Oct. 1851

Je reviens à ce qu'on vous à dit des alarmes de Thiers. Quoique je le sache très prompt et crédule en fait d'alarmes, il a trop d’esprit pour avoir toutes celles des badauds. Il faut que les coups d'Etat aient été et soient encore dans l’air de l'Elysée, plus que je ne l'ai cru. Je persiste cependant à n’y point croire. On en parle probablement beaucoup ; on les arrange, on les discute ; on ne les fera pas. Race de bavards pleins d'imagination, qui s'amusent de leurs plans et s'enivrent de leurs paroles, mais à qui les plans et les paroles suffisent.
Il m’est bien revenu quelque chose de cette fameuse lettre de Thiers dont vous me parlez, et que Normanby a montrée à Rogier. Mais je n'en sais rien que d'incomplet et de vague. C’était, je crois une désapprobation de la lettre de Rogier. Si vous pouvez me donner, à ce sujet quelques détails un peu précis, soyez assez bonne pour me les donner.
Je vois qu’on me fait aller tous les jours à Champlâtreux et assister à toutes les réunions possibles. L’Assemblée nationale a bien fait de rappeler que je suis ici fort tranquille. Je suis très décidé, et très hautement contre la proposition Créton ; mais il ne me convient pas de paraître toujours présent, et actif dans les réunions purement légitimistes, où on la repousse. C’est une malice de Thiers ou de ses gens à l'adresse de Claremont.
Je vous ai dit que Montalembert m'écrit qu’il n’est pas prêt pour son discours qu’il devait m’apporter ici à la fin de septembre. " Je suis bien confus d'avoir à vous avouer aujourd’hui que je n'ai pas encore terminé ce travail. Pour me justifier, je dois dire que j’ai été indisposé au commencement de la prorogation puis distrait et absorbé par une foule de devoirs et d'ennuis électoraux. Cela ne diminue pas le remords que j'éprouve de ne pas vous tenir parole. Je viens donc vous demander humblement quelques jours de délai. "
Je parie qu'il ne sera pas prêt avant la fin d'octobre. Assez grand ennui pour moi, car je ne puis pas faire mon discours sans avoir vu le sien et il me faut bien autant de semaines qu'il lui a fallu de mois, et un peu de loisir. Ce discours sera fort écouté. Il faut qu’il soit bon.
Montalembert ajoute : " J’ai pris la liberté de faire remettre chez vous tout ce que j'ai jamais dit ou écrit. Il y a beaucoup de générosité de ma part à vous faire cette communication aussi complète, car vous pourrez y trouver plus d'une attaque contre vous et contre le Gouvernement que vous dirigiez. Mais la révolution de Février, si elle m'a donné raison sur quelques points, vous a si bien vengé sur tant d'autres qu'il ne saurait rester de ressentiment dans votre cœur contre ceux d'entre vos anciens adversaires qui étaient au fond vos alliés naturels. "
Il a bien raison. Je n’ai pas le moindre ressentiment contre lui. Je suis assez frappé du Firman de la Porte. au Pacha d’Egypte contre le chemin de fer d'Alexandrie à Suez. Je croyais à Sir Stratford Canning plus de crédit à Constantinople. C'est un gros désagrément pour Lord Palmerston qui met à ce chemin beaucoup d'importance. Vous verrez qu’il finira par prendre le parti d'Abbas Pacha contre le Sultan, comme nous avons pris en 1840, le parti de Méhémet Ali. Êtes-vous pour quelque chose dans cette résistance si décidée de la Porte, ou n’est-elle due qu’au travail de Paris et de Vienne ?

Onze heures
Merci de votre lettre très intéressante. Et j'en remercie aussi un peu Marion, excellent reporter. Le mot, si je ne me trompe est plus poli que celui de rapporteur. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Lundi 15 sept 1851

Vous n'aurez aujourd’hui qu’une bien courte lettre. Je dîne à Lisieux. J’ai beaucoup de petites affaires à régler dans la matinée, partant demain pour Broglie. De plus, des épreuves à corriger et à renvoyer. Et pas grand chose à vous dire.
Je ne suis pas surpris du désespoir du duc de Noailles. Je l’y vois marcher depuis longtemps. Tout ceci est trop difficile et trop long. Il a raison dans ce qu’il dit qu'on ne fera rien que lorsqu'on aura vraiment peur, peur partout. La proposition Creton peut en effet amener cette peur-là. Si les meneurs en font tout ce qu’ils s’en promettent, elle nous lancera dans une nouvelle carrière d'événements et de révolutions. Nous recommencerons au lieu de finir. Aussi j’ai peur de cette affaire-là.
Vous ne lisez pas le journal le Pays. La République modérée est exactement dans la même situation, vis-à-vis du président, que les légitimistes. Elle se prépare à aller à lui pour échapper au Prince de Joinville. M. de Lamartine emploie tout ce qu’il a d’esprit à se préparer et à protester que non. Il cherche, à travers ce gâchis, une chance personnelle à poursuivre. Il ne la trouve pas ; la peur de l'Orléanisme le prend. Il revient autour du Président puis il recommence. Voilà la République ; Lamartine, Changarnier, qui sais-je ? Tous rêvent pour eux-mêmes le pouvoir souverain. Une alternative continuelle de rêve et d'impuissance.
L'article du Journal des Débats d'avant hier fera plaisir au Prince de Metternich. J’oublie ceci depuis quatre jours. Pouvez-vous me savoir l'adresse actuelle de M. de Montalembert ? J'ai besoin de lui écrire, et je ne sais où. M. de Mérode n’est probablement pas à Paris ; mais j’espère que Montebello pourra vous dire cette adresse.

11 heures
Puisque vous allez à Champlâtreux, vous y aurez vérifié ce qu’on m’écrit ce matin : " que M. Molé est fort inquiet de sa santé et qu’il a raison de l'être car M. Cloquet s'en inquiète aussi. " Adieu, Adieu. A demain une lettre moins courte. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Mercredi 16 Juillet 1851
6 heures

Je me lève. Voilà une vie tranquille et saine. J’écrirai, des lettres ou autre chose jusqu'à 10 heures. La poste arrive. C'est mon événement. Je lis mes lettres. Je descends dans le jardin. Je remonte et je fais ma toilette. A 11 heures, je déjeune. Je me promène. Je remonte dans mon Cabinet, et je lis mes journaux. D'une heure à 7, je travaille et je me promène. A 7 heures je dîne. Après mon dîner, j'arrose mes fleurs une demi-heure. Je rentre et je lis jusqu'à 10 heures. Pas une âme, pas une voix, autre que mon valet de chambre et mon jardinier. On va commencer à savoir dans le pays que je suis arrivé, et on viendra un peu me voir. Nous parlerons de l'assemblée et du Président. Mais je resterai encore en grand repos.
Ma petite fille continue à aller mieux ; mais comme elle continue aussi à être fort délicate, je doute que le médecin d'Henriette lui permette de quitter Paris avant quinze jours. Je mettrai ce temps là à profit pour mon travail et pour mon repos.
Voilà donc la révolution Portugaise qui avorte comme les autres. Etrange temps où les révolutions sont si aisées à faire et si impossibles à poursuivre ! On ne les empêche jamais d’arriver ; mais dès qu'elles sont là, on les arrête. Je voudrais que le comte de Thomas vint à Paris l'hiver prochain. Je serais bien aise de le connaître. Que dites-vous de l'aplomb de Palmerston sur Pacifico ? et du bon sens anglais qui laisse tomber cette sottise sans mot dire, étant décidé à n'en pas renverser l’auteur ? Le vice originel du gouvernement représentatif, ce sont les paroles exagérées, et les paroles vaines tous les pays qui en essayent donnent à plein collier dans ce vice-là. L'Angleterre seule s’en défend ; elle sait parler bas, et même se taire.
10 heures
Je viens de lire mes lettres d'abord ; puis un coup d'œil sur les journaux. M. de Falloux me plaît, et le général Cavaignac m'amuse. Je lirai attentivement. J'en ai le temps. La campagne double la longueur de la vie. Vous allez mieux puisque vous ne m'en parlez pas. Vous ne me dites rien de Marion. Il me semble qu’elle doit être une grande ressource de conversation habituelle. A-t-elle autant d’esprit que de mouvement ? Ce n’est pas tout de remuer ; il faut avancer. Point de nouvelle de Paris. C’est vues qu’il faut dire. A qui se rapporte ce mot vu ? De qui parlez-vous ? De vous et de Marion. Vous êtes femmes, donc le mot qui vous regarde doit être au féminin. Vous êtes deux femmes. Donc il doit être au pluriel. Est-ce clair ?
Adieu. Adieu.
Je vais faire ma toilette. Je la fais pour moi seul comme si je devais passer ma journée à voir du monde. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Paris. Vendredi 4 Juillet 1851
Sept heures

On dit que le rapport de M. de Tocqueville sera plus républicain qu’on ne voudrait, et adressé surtout aux républicains de l'assemblée, modérés ou Montagnards, pour les décider à voter en faveur de la révision, seul moyen, selon lui de consolider la république. Une assemblée constituante, fût-elle composée en majorité d'hommes monarchiques au fond, n’osera pas voter le rétablissement de la Monarchie ; elle aura peur des républicains et d'une révolution de plus. Donc elle votera le maintien de la République, et une meilleure constitution républicaine. Les républicains seraient fous de ne pas mettre à profit la timidité des hommes monarchiques. Déjà la première assemblée constituante, qui n’eût point fait la République, l'a bruyamment acclamée (Je répète avec déplaisir ce mauvais mot pour une mauvaise action). L'assemblée législative actuelle, qui ne l'aime pas du tout, l’a reconnue. Une nouvelle Assemblée constituante la confirmera, et l'améliorera en la détestant. Je ne sais si l'argument sera présente dans toute sa crudité ; mais on m’assure qu’il fera le fond du Rapport et que M. de Tocqueville se flatte même qu'à la seconde épreuve, en novembre prochain, les Montagnards, devenus intelligents, voteront en masse la révision qui aura ainsi, les trois quarts des voix à la grande humeur comme à la grande honte des monarchiques pris dans leur propre piège. Le revirement serait bizarre. Je n’y crois pas, et le duc de Broglie doute que le Rapport soit si nettement républicain. Mais rien n'est impossible aujourd’hui.
Voilà votre billet de Bruxelles. Merci. Ce n'est pas le Roi de Wurtemberg qui me fera regretter Ems, quoique je prisse plaisir à l'y rencontrer. Mais je ne puis vraiment pas me donner mon plaisir cette année. Je suis resté à Paris plus longtemps que de coutume. Il me faut un séjour de campagne. J’ai plusieurs choses à faire que je veux avoir faites, et prêtes, pour l'hiver prochain, avant la crise de 1852. Je ne travaille de suite, et vite, qu’au Val Richer. Je serai dérangé par ma course obligée à Claremont. Un autre dérangement dérangerait tout. J’avais du remords quand je n'étais pas sûr que vous seriez bien entourée à Ems. Aujourd’hui je n'ai plus que du regret. C'est bien assez. Malgré ma superbe, si le Roi de Würtemberg vient à Ems, soyez assez bonne pour lui dire qu'à coup sûr je regretterai bien vivement de n’y être pas venu cette année. J’irais plus loin qu’Ems pour causer avec un Roi homme d’esprit.

2 heures
Je reviens de chez Molé. Rien de nouveau. Plusieurs personnes manquaient. Tout le monde part. Molé va demain au Marais jusqu'à Jeudi prochain. Pas la plus petite nouvelle de Montebello à Londres. C'est singulier. La seconde course du duc de Nemours à Vienne est singulière aussi. Ils seront tous réunis à Claremont le 20 août.
Plus on va, plus on apprend que l'accueil fait au Président a été partout froid, et sur plusieurs points hostile. Son discours à Châtellerault a été un acte de défense. Il est revenu triste du voyage, quoique content du succès de son discours. Adieu.
Je vais à l'Académie. Je n'aurai que Dimanche votre billet de Cologne. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°35 Val Richer, Jeudi 8 Juillet 1852

A part la fatigue les bains de Schlangenbad vous ont-ils fait quelque bien ? Vous êtes-vous baignée régulièrement ? Et l'Impératrice, comment s'en est-elle trouvé ? Le mois de Juillet vaudra mieux que celui de Juin pour des eaux allemandes. Par cette chaleur-là, les environs d’Ems doivent être charmants. Je conserve une impression singulièrement vive des lieux qui m'ont plu, et où je me suis plus.
A mesure que les élections anglaises, approchent, il me semble que leur aspect en plus favorable à Lord Derby. La question sera décidé ces jours-ci. Je veux du bien à Lord Derby quoi que je n'en espère pas beaucoup. Si Lord John ou sir James Graham reviennent au pouvoir ils y feront les affaires des radicaux, ce qui fera, sur le continent, les affaires, soit des révolutionnaires, soit des absolutistes. Ni les unes, ni les autres ne sont les miennes. Ceci ressemble presque à une provocation. Ce n’est pourtant pas mon goût. Je n’aime pas du tout à me disputer avec les gens que j’aime. J’aimerais bien que nous fussions toujours du même avis. Mais puisque vous êtes toujours du même avis que le Prince Charles de Prusse, il n’y a pas moyen.
Il m’est arrivé ces jours-ci de l'administration locale, une question très bienveillante, elle m’a demandé, si je voulois être porté au conseil général dont les élections se feront bientôt, comme de raison, j’ai répondu que non, que je voulais rester en dehors des affaires comme de l'opposition. Je n'ai jamais vu l’horizon plus calme. Pour mieux dire, il n’y a rien du tout à l'horizon. C'est même là le mal principal de la situation. Il faut qu’un gouvernement ait devant lui un avenir. Celui-ci est traitement renfermé dans le présent. C’est là ce que je crains pour lui ; il ne se résigne pas à une portée si courte ; il voudra étendre plus loin la main, et il se fera de mauvaises affaires sans nécessité, si ce n’est qu’il faut avoir des affaires.

11 heures
Je suis charmé de vous savoir arrivée même en compagnie de Juifs, vous devez avoir en effet grand besoin de repos. Je vous ai écrit hier qu'à moins de vraie nécessité, je n'irais pas vous voir tout de suite. Cela me dérangerait vraiment beaucoup. Ne vous tourmentez pas trop de l'avenir quant aux Ellice. J’espère bien que vous n'aurez pas à y renoncer. En attendant, vous allez avoir Aggy. Nous verrons ce qu’il faudra faire pour vous l’assurer, elle ou la sœur. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°34 Val Richer 7 juillet 1852

Vous arrivez, je pense, aujourd’hui. à Paris. J’espère que malgré votre vaillance. vous vous serez reposée un jour à Bruxelles. Le voyage, par cette chaleur doit vous fatiguer beaucoup. Je regrette que vous ne jouissiez pas de ce temps-là comme j'en jouis. Je me promène dans mon jardin à toutes les heures. La chaleur, et la lumière, c’est la vie. à moins que vous n'ayez tout-à-fait besoin de moi, je n’irai pas vous voir tout de suite. J’attends quelques visites. Je suis en train d’un travail que je ne voudrais pas interrompre. Je me suis promis de finir cet été plusieurs choses que je tiens en effet à finir d'avance dans la vie, et j'ai l'âme encore assez pleine pour désirer que les années qui me restent ne soient pas vides. J’aimerais mieux aussi placer nos quelques jours de réunion un peu moins loin du terme de notre longue séparation. Quand vous aurez un peu entrevu ce qu’il vous convient de faire dans ce moment, vous me le direz, et j'adapterai mes plans aux vôtres.
J’espère bien qu’Aggy ne se fera pas attendre longtemps. C'est bien dommage que la maladie de cette pauvre Fanny’s soit venue troublée vos arrangements avec ses deux soeurs ; ils étaient bien bons pour vous. Vous garderez, je vois, de votre séjour à Schlangenbad. Un agréable souvenir ; agréable au coeur, ce qui vaut mieux que tout ; et aussi comme agrément d’esprit. Je ne suppose pas qu’à prendre les choses, en grand et dans leur ensemble, vous ayez beaucoup appris là ; il n’y a plus de grands secrets ; mais beaucoup de détails intéressants, et qui rectifient les idées. Il n’y a rien de si commun aujourd’hui que les idées vrais en gros et chargées d’erreurs ou pleines de lacunes. Je n’aime pas cela. J’aime à savoir les grandes choses exactement, et par le menu.
Vous ne lisez pas les feuilles d'havas. Je vous assure qu’elles le mériteraient quelque fois. Il y avait hier, sur les prétentions et le ton du gouvernement anglais dans les affaires Mather à Florence et Murray à Rome, un article excellent. On comparait ces deux affaires à celles du général Haynac et du prêtre Achille, et on demandait à l’Angleterre. si elle avait de quoi être si exigeante, en fait de police et de justice. C’était de la justice amère, et dont il ne faudrait pas tirer des conclusions générales, mais de la justice vraie et topique dans l'occasion.
Je suis curieux de savoir si lord John Russell sera élu dans la cité. Cela se décide aujourd’hui. 11 heures Je n’ai pas de lettre aujourd’hui. Je m’y attendais un peu. J’ai bien envie de vous savoir arrivée à Paris et pas trop fatiguée de cette chaleur. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°33 Val Richer Mardi 6 Juillet 1852
6 heures

J’ai eu hier vos N°27 et 28, Schlangenbad et Stolzenfels. J’espère, pour vous, que vous n'avez pas en la chaleur que nous avons ici depuis trois jours ; avec votre fatigue, vous en auriez été accablée. Vous aurez certainement grand besoin de repos. Je suppose que vous arriverez à Paris demain ou après-demain. Vous y aurez bientôt Aggy, si elle n’y est déjà ; la lettre que je vous ai envoyé était positive sur cela ; elle valait mieux pour le présent que pour l'avenir. Votre navigation sur le Rhin a dû être très agréable. J’aime le Rhin, les bons bateaux et la bonne compagnie. Je serais fâché de savoir que je ne reverrai jamais Stolzenfels.
Malgré la saison, vous ne serez pas seule à Paris, on n’y est jamais seul. C'est le lieu où l’on peut le plus se reposer sans s'ennuyer. Vous y avez toujours vos diplomates. Je regrette pour vous Stockhausen. Connaissez-vous son successeur ? Les hommes du nouveau Roi ne vous seront probablement pas aussi familiers, ni aussi dévoués que ceux de l'ancien. Je n’ai toujours point de nouvelles à vous dire. C'est vous qui m'en direz.
Le discours de la Reine d'Angleterre m’a assez plu, quoique trop long. Il est d’un ton tranquille. On aurait peine à y voir, si on ne le savait pas, qu’elle a changé de ministère et de parti.
Je travaille et je m'amuse vraiment à travailler. Je raconte comment Cromwell a eu envie de se faire Roi, et pourquoi il a eu le bon sens de ne pas se faire Roi. Je n’ai pas choisi récemment le sujet et je ne cherche pas du tout les analogies ; mais je m'amuse à les rencontrer. J’ai peine à croire à l'expulsion de Thiers de la Suisse ; les conservateurs suisses ne sont pas si brutaux et les radicaux suisses auraient tort d'être si rancuniers. Il a défendu les corps francs.

10 h 1/2
Voilà votre N°30. Je suis charmé que ce soit fini. Vous en aviez vraiment besoin. Vous êtes cependant plus forte que vous ne croyez. Ce que vous me dites de votre journée du 3 et de votre matinée du 4 aurait lassé je ne sais qui ; et vous ne vous arrêtez-même pas à Cologne vous allez coucher à Aix-la Chapelle, et vous ne savez pas si vous vous reposerez un jour à Bruxelles. Ne dites pas, je n'en puis plus.
Adieu. Adieu. Vous serez certainement demain à Paris, comme cette lettre. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°27 Val Richer Mardi 29 Juin 1852

Nous allons être encore bien plus sans nouvelles ; le corps législatif finit aujourd’hui. Il ne venait rien de là, mais on en attendait toujours quelque chose. Les feuilles d'havas disent que M. de Montalembert peut bien faire imprimer et distribuer, à ses frais, son discours, mais qu’il ne peut pas le faire vendre chez des libraires, car alors ce ne serait plus à ses frais. J’ai vu que votre pauvre favori Mérode avait perdu un enfant.
N'ayant point de nouvelles à recevoir ni à donner, je travaille ; je vis, avec Cromwell, et les républicains anglais, d’il y a deux siècles. Je les aime mieux que ceux d'aujourd’hui, quoique je ne les aime pas du tout. Si je ne suis pas dérangé, comme je l’espère, j'achèverai bien des choses cet été.
Je suis très aise de la douce impression que vous rapporterez de Schlangenbad sur votre impératrice ; mais je suis fâché de celle que je vois percer en vous sur ces deux pauvres petites Ellice. Vous n'êtes pas juste. Vous avez de l’amitié pour elles, mais ce n’est pas par amitié pour elles que vous les désirez près de vous ; c’est pour vous-même. Elles ont de l'amitié pour vous et elles se trouvent très bien près de vous ; mais leur soeur est plus malade que vous, et bien plus isolée que vous sans elles. Elles ont toujours vécu toutes les trois ensemble, et si elles doivent rester de vieilles filles ce sera en vivant ensemble qu'elles supporteront le mieux leur solitude, et leur vieillesse. Elles pensent probablement à tout cela, et elles sont perplexes. Comme agrément et amusement, elles sont infiniment mieux chez vous que chez elles. Pourquoi donc sont-elles perplexes ? Uniquement par sentiment des devoirs et des affections de famille, et par prévoyance de leur propre avenir. J’espère que l’une d'elles viendra vous retrouver ; vous en avez besoin, comme vous dites, et vous ne trouverez jamais aussi bien qu'elles ; mais soyez juste pour elles, et ne gâtez pas d'avance, par des amertumes de coeur que vous ne cacherez pas longtemps la douceur et le plaisir que vous trouvez dans leur société.
J’ai des nouvelles de Duchâtel, de Vitet, de Mallac, d'Arnaud Bertin, de Molé. Ils n'en savent pas plus que vous et moi. Molé est occupé de la querelle des Évêques, et de l’abbé Gaume sur les livres classiques Païens ou Chrétiens. Je viens de lui écrire quelques lignes de condoléance sur la mort de sa soeur. Je ne crois pas que ce soit pour lui un vif chagrin.
Je n'ai pas entendu parler du duc de Noailles, il est à Maintenon mettant en ordre les lettres de Mad. de Maintenon et cherchant à grand peine les dates qu’elle n’y a pas mises, car vous n'étiez pas là pour la corriger de ce défaut.
Albert de Broglie est revenu d’Angleterre, ramenant sa soeur, son père, qui était allé passer quelques jours en Alsace pour les affaires, est de retour à Broglie. Ils y vivent très paisiblement et très solitairement.
Il n’y a pas encore beaucoup de monde à Trouville ; mais on en attend beaucoup du beau monde ; toutes les maisons sont louées Mad. de Boigne et le chancelier y sont établis. Voilà les nouvelles de ma province, à défaut de Paris.

11 heures
Voilà votre N°21. Grâce à Dieu l'ordre est bien rétabli. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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N°19 Val Richer 20 Juin 1852

Je n'ai pas de goût à vous écrire quand j’attends impatiemment une lettre. Le manque de celle d’hier m’a contrarié plus vivement encore que de coutume. Seriez vous plus souffrante ?
Ni mes lettres, ni mes journaux ne me disent rien. Si nous étions, en temps ordinaire, cette chute de la convention d'extradition entre la France et l'Angleterre, signée et ratifiée par le président et par la reine Victoria, serait un gros échec pour les deux gouvernements, et un gros embarras entre eux. Rappelez-vous ce qui est arrivé quand je n’ai pas fait ratifier la convention sur le droit de visite. Mais aujourd’hui rien ne fait rien. Je suppose pourtant que Lord Malmesbury payera son étourderie.
Décidément les affaires du cabinet Tory vont mal. Lord John est un opiniâtre fellow. Il persiste, en dépit de tout le monde, à être le chef de l'opposition. Il en viendra à bout.
Il pleut. Je me suis levé tout à l'heure par un beau soleil. Mais le ciel redevient tout noir. Je m'en consolerai quand j'aurai une lettre. Je suis plongé dans l’histoire de Cromwell et de son travail pour se faire Roi. Jamais homme n’a eu à la fois tant d’ambition et tant de bon sens. Aspirer à tout et savoir s'arrêter, c’est le seul exemple.

10 heures
Pas de lettre encore aujourd’hui. C'est désolant. Si vous êtes malade, pourquoi ne pas me faire écrire deux lignes, n'importe par qui, par Auguste ou Emilie. La journée sera bien longue. Adieu. Adieu.
On m’écrit : " Il n’y aura point de petite session. Les lois somptuaires seront retirées. Le corps législatif votera le budget sans mot dire, malgré les coups que le Conseil d'Etat, lui a donnés sur les doigts. "

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Vendredi 25 oct. 1850

J’ai trouvé hier en arrivant, et je reçois ce matin une quantité d’épreuves à corriger. Monk, dont l’impression finit. Je veux que ce soit prêt à paraître à mon retour à Paris. De plus, je vais dans une heure, déjeuner à Lisieux. Préface pour dire que ma lettre sera courte. Je n'aime ni à écrire ni à recevoir des lettres courtes. Nous avons tant à nous dire et le temps s'en va si vite. Le courrier m'apporte une lettre de Morny qui m’écrit ce qu’il vous a dit. Il a senti la nécessité d’un peu d’excuse. Je m'attendais à ce qui est arrivé. Je n'en suis point dérangé ; mais je suis bien aise que l'abus soit constaté. Vous savez que je suis décidé à ne pas m'inquiéter des Affaires d'Allemagne.
Salvandy a parfaitement raison. Pour qu'une alliance avec la Prusse fût bonne à quelque chose à la France, il faudrait que la Prusse elle-même fût décidée à céder à la France les provinces du Rhin, en prenant à son tour en Allemagne son dédommagement. On n'en est pas là. Pour faire quelque chose aujourd’hui, il faudrait faire de grandes choses. On ne fera rien.
Je crois un peu à l'engourdissement de Lord Palmerston.Sa dernière lutte l’a laissé atteint. Il n'y a pas à s'y fier. Il est hardi et étourdi. Mais certainement il a envie de se reposer. Je me sais s’il y a quelque chose dans les journaux. Je n'ai pas le temps de les lire avant de partir pour Lisieux. Je crois que le Pape s’est trop pressé de faire un archevêque de Westminster. Il n’est pas assez bien assis chez lui pour s'attirer une forte bouffée de colère populaire anglaise. Palmerston en pourrait tirer grand parti. Je suis frappé de la décadence de l’esprit ecclésiastique Romain. Plus de foi fanatique et plus d'habileté politique ; c’est bien dangereux. On prétend pourtant que le Cardinal Antonelli est un homme d’esprit. Il n’y paraît pas. Adieu, adieu.
J’aurai, d’ici à mardi, je ne sais combien de petites affaires. La mort de mon pauvre juge de Lisieux m'oblige à me mêler de toutes. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Voici l'enveloppe de votre lettre venue ce matin. Le cachet m'étonne et je vous l'envoie. Peut-être avez-vous cacheté votre lettre hors de chez vous. Sinon, c’est trop tard. On n'aura pas eu grand profit à lire l'incluse. Dites-moi, si cette petite tête aisée vient de vous ou d'un étourdi.
Morny s'est évidemment beaucoup servi de mon billet. Tout ce petit bruit des journaux vient de là. Je vous prie toutes les fois que vous en trouverez l'occasion de mettre la vérité à la place du bruit. Je ne cache rien de ce que je pense ; mais je n'accepte que ce que j'ai dit. Le jour où la bonne solution sera possible, je serai contre toute prolongation de pouvoir de qui que ce soit. Jusques là, je suis pour le maintien des seuls pouvoirs possibles, le Président et l'Assemblée. Et quand ils seront au pied du mur, Orléanistes et Légitimistes ensemble où chacun à son tour, seront forcément de cet avis, Bien maintenir ce qui est dans l’état provisoire, provisoire à courte échéance et le maintenir comme provisoire, il n'y a que cela de sensé.
J'envoie à Génie quatre pages de Préface pour le Washington sur la République, qui valent, je crois les dix pages que vous avez lues de la préface à Monk sur la Monarchie. Adieu, adieu, adieu, et encore.
G.

Val Richer 18 0ct. 1850
3 heures

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Mardi 15 oct. 1850

Voici une question que je ne trouve pas, dans ma bibliothèque d’ici, les moyens de résoudre et sur laquelle mon petit visiteur ira peut-être vous consulter. mon libraire veut mettre sur le titre de Washington, les armes des Etats-Unis d’Amérique, et sur le titre de Monk, les armes d'Angleterre. Mais ce sont les armes d’Angleterre sous les Stuart qu’il faut là et non pas les armes d'Angleterre sous la maison de Hanovre. Je ne me rappelle pas bien et je ne puis indiquer d’ici les différences. On fera la vérification, à la Bibliothèque du Roi, (nationale aujourd’hui) et je pense qu’on trouvera là tout ce qu’il faut pour la faire. Mais si quelque renseignement manquait aurait-on, à l'Ambassade d'Angleterre, et votre ami Edwards pourrait-il procurer de là un modèle des armes de Charles 2 en 1660 ? J'espère qu’il ne sera pas du tout nécessaire que vous preniez cette peine, mais je veux vous prévenir qu’il est possible qu’on vienne vous en parler.
Ce que vous a dit de Cazes ne m'étonne pas. Bien des gens le pensent. C'est peut-être le plus grand danger qu’il y ait à courir. J’ai très mauvaise idée de ce que serait le résultat. Probablement encore un abaissement de plus. Mais la tentation serait forte. Je dois dire que les dernières paroles qui m’ont été dites à ce sujet ont été très bonnes et très formelles.
Avez-vous revu Morny ? Je suis assez curieux de savoir, s'il vous dira quelque chose de mes quelques lignes, et de l’usage qu’il en a fait.
La corde est en effet bien tendue en Allemagne. Pourtant il me semble que Radowitz prend déjà son tournant pour la détendre un peu. Que vaut ce que disent les journaux de son travail pour amener l'union restreinte à n'être qu'une union militaire comme il y a une union douanière ? Ce serait encore un grand pas pour la Prusse et je ne comprendrais pas que les petits États se laissassent ainsi absorber par la Prusse sans avoir au moins le voile et le profit de la grande unité germanique. Mais il y aurait là un commencement de reculade. Je persiste en tout cas à ne point croire à la guerre. Personne n'en veut, excepté la révolution qui a peu prospéré en Allemagne. L'indécision même de votre Empereur entre Berlin et Vienne est un gage de paix. Y eût-il guerre, le Président ne serait pas en état, le voulût-il de faire prendre parti pour la Prusse. On ne prendrait point de parti de Paris comme de Pétersbourg et de Londres on remuerait ciel et terre pour empêcher la guerre, qui serait de nouveau la révolution. Je ne viens pas à bout d'être inquiet de ce côté, malgré le duo de bravoure de Radowitz et de Hübner.

10 heures
Je vois beaucoup de bruit dans les journaux et rien de plus. Pas plus de coup d’Etat en France que de guerre en Allemagne. Je n'ai qu'une raison de me méfier de mon impression ; c’est qu’il ne faut pas aujourd’hui trop croire au bon sens. Notre temps a trouvé le moyen d'être à la fois faible et fou. Adieu, adieu.

Je reçois de mauvaises nouvelles du midi de la France. On m’écrit que les rouges y redeviennent très actifs. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 24 sept. 1850

Je suis un peu fatigué ce matin. Un mouvement de bile. Mon repos et un peu de diète m'en débarrasseront en deux jours. Plus j’y pense, plus je suis frappé de l'énorme malhabileté de cette circulaire et de l’excellente occasion ainsi manquée. On pouvait se poser (comme on dit aujourd’hui) à merveille, et on reste très mal posé, plus mal qu’auparavant. C'est savoir bien peu profiter de sa propre sagesse. M. le comte de Chambord se tient tranquille ; il ne veut ni conspiration, ni guerre civile, ni guerre Européenne. Il attend que la France sente elle-même qu’elle ne peut se passer de la Monarchie, et qu’il n’y a pas pour elle deux Monarchies. Quand la France sentira vraiment cela, elle le reconnaitra, tout haut. Comment ? Par qui ? Personne ne le sait aujourd’hui ; mais la France saura bien le trouver quand il le faudra absolument. Et quand la France aura reconnu cela, la monarchie sera rétablie. Voilà ce que dit la conduite qu'on tient. Il n’y avait rien de si aisé que de l’écrire; rien de si aisé que de repousser ainsi l’appel au peuple de M. de La Rochejaquelein, et de maintenir le droit monarchique sans offenser le droit national, bien mieux en le respectant et en agréant au sentiment public. On pouvait faire cela, et on fait ce que vous voyez ! J’ai peur que cette maladresse particulière ne soit le symptôme de la maladresse générale de cette intelligence politique de cette ignorance de l'état et de l’esprit du pays qui depuis si longtemps caractérisent et perdent le parti. C'est fort triste. Tout ce qu'on peut espérer c’est que cette sottise se perde dans la foule avec tant d'autres. Il en vient tant de tous les côtés.
Vous voyez que je ne me gêne guère ; je vous écris tout ce que je pense. Et ce que je vous écris, je le dis aux gens que je vois et à qui il peut être de quelque utilité que je le dise. Pourquoi me gênerais-je? J’ai un avis très décidé sur la situation; je crois qu'il y a un moyen, et qu’il n’y a qu’un moyen de sauver mon pays. Et en même je suis tout-à-fait hors de la mêlée simple spectateur et juge des coups. Je dis tout haut mon jugement C'est là aujourd’hui ma seule action. Je n'en cherche point d'autre. J’ai bien acquis le droit. d'exercer celle-là.

Midi
Je vois, par mes journaux, qu'on est aussi occupé à Paris, de la circulaire que je le suis moi-même dans mon nid. Plutôt on l'oubliera mieux ce sera. Les Débats sont en effet bien vifs contre la République. Ils prennent leurs avantages. Je veux m’arranger pour lire l'Union. Je ne vois pas d'ailleurs la moindre nouvelle qui mérite qu'on en parle. On annonce que la cour de Vienne a pris le deuil pour douze jours, pour le Roi Louis-Philippe. On y sera sensible à Claremont. Il n’y avait point eu de notification là, quand je suis parti. Adieu. Adieu.
Je ne me promènerai pas aujourd'hui. Je resterai tranquille dans mon Cabinet. Adieu. G.
Si vous revoyez Madame de Ste Aulaire, ou lui, faites leur, je vous prie, mes plus tendres amitiés.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Vendredi 20 sept 1850

Je suis charmé que les Danois soient victorieux. Les premiers bruits m’avaient inquiété. Si j'étais à portée, je voudrais savoir le fond des causes de l'obstination des Holsteinois. D'ici elle paraît si absurde qu'on ne la comprend pas. Car ils ne se font certainement pas tuer pour le seul plaisir d’Arnds et de Grimm et de tous ces unitaires Allemands qui ne leur envoient que de très minces secours. Cet acharnement d'un petit pays à ne pas vouloir de la paix, que veulent pour lui tous les grands états, a quelque chose qui n’est pas de notre temps. Je sais assez de l'affaire pour savoir qu'européennement les Danois ont raison. Je voudrais être aussi sûr que localement et selon les traditions et les lois des duchés, ils ont aussi tout-à-fait raison. Quand on n’est que spectateur, on a besoin d'avoir tout-à-fait raison, quand on est acteur, la lutte entraîne. Je trouve ces pauvres paysans Holsteinois plus entraînés qu’ils ne devraient l'être s'ils n’étaient poussés que par les intrigues des Augustenbourg ou par les chimères germaniques. Vous ne lèverez pas pour moi ce doute là, vous n’avez pas assez de goût pour la science.
Si j'étais à Paris, je vous montrerais huit ou dix pages que je viens d'écrire comme préface à la réimpression de Monk. Pas l'ombre de science, mais un peu de politique actuelle, et assez nette. Vous verrez cela avant la publication.
C'est grand dommage que vous ne soyez pas à Bade, entre toutes ces Princesses et Thiers. Cela vaudrait la peine d'être vu et décrit par vous. A coup sûr comme amusement, et peut-être aussi comme utilité. Il a précisément la quantité et la qualité d’esprit qu’il faut pour plaire en quatre ou cinq endroits à la fois. Je doute qu’il fasse rien de bien important ; il est trop indécis pour cela ; mais je ne crois pas non plus qu’il se tienne tranquille. Il est en même temps mobile et obstiné, et il change sans cesse de chemin, mais pas beaucoup de but. Je parierais qu'on ne vous a pas dit vrai au pavillon Breteuil quand on vous a dit qu’il était venu et qu’on l’avait vu. On tient beaucoup là à faire croire que les menées contraires pour les deux branches sont très actives. On vit de la dissidence.

Onze heures
Je vois que j’ai raison de ne pas croire au dire du pavillon Breteuil. J’aurais été fort aise de voir Tolstoy au Val Richer ; mais j’aime bien mieux qu’il soit retourné plutôt à Paris. Il est affectueux pour vous, et il vous est commode. Je vous quitte pour deux visiteurs qui viennent me demander à déjeuner ; M. Elie de Beaumont et M. Emmanuel Dupaty, la géologie et le Vaudeville, l'Académie des sciences et l'Académie française. Ce sont deux hommes d’esprit et deux très honnêtes gens, qui m’aiment et que j’aime. Adieu, adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Trouville, Mardi 27 août 1850.

Est-ce que vous vous sentez plus fatiguée que de coutume ? Vous me parlez de votre besoin de repos en personne vraiment fatiguée. Vous renoncez à passer par Baden qui vous amuserait. Cela me préoccupe. Donnez moi quelques détails. Les eaux fatiguent quelque temps, même quand elles font du bien. Tout le monde le dit. Il me semble que Schlangenbad vous a moins réussi qu’Ems. Je sais gré à Fleischmann d'être venu vous y voir. Il aura un peu rompu votre solitude. Et je suis sûr qu’il ne vous aura pas rendue germaine unitaire. Cette question Allemande me déplait parce que je n'y vois pas clair. J’ai un instinct plutôt qu'un avis. Mais un instinct ne satisfait pas. Je ne veux pas de ce qu’on veut faire, et j’entrevois qu’il y a quelque chose à faire. Cette passion d’unité qui tient tant d'Allemands ne doit pas être uniquement l’ambition Prussienne ou la folie révolutionnaire. Il y a probablement là dessous quelque chose de sérieux et de nécessaire. Comment s'y prendre pour reconstituer la confédération germanique et la diète de Francfort d'une façon qui donne satisfaction à ce qui n’est ni révolution, ni bouleversement territorial ? Ou bien serait-ce là un but chimérique ? Et l'Allemagne, en serait-elle venue à l'une de ces époques où les gens sensés comme les fous, les honnêtes gens comme les coquins, sciemment ou aveuglément, veulent absolument refondre toutes choses et se lancent au hasard dans les nouveautés, n'importe à quel prix. La France en était là en 1789. J’ai peur que l'Allemagne n’y soit à son tour, si cela est, la guerre européenne est infaillible, et nos 34 ans de bon gouvernement et de paix n'auront été qu’une oasis dans le désert, une halte dans le chaos.
Je conjecture et je spécule comme si nous causions. J'ai peur aussi que M. de Nesselrode n'ait raison, et que Wiesbaden n'ait fait plus de fracas qu’il ne convient. Le fracas rouge sur le passage du Président est une compensation. Mais tenez pour certain qu’à son retour il y aura à Paris un effort en faveur d’un ministère tiers-parti.
Je suis bien aise de retourner au Val Richer. Le temps est superbe ce matin. J'ai droit à un beau mois de septembre. Août a été affreux excepté les jours d’Ems.
Je suis très occupé de mon Monk. J’y ai pas mal changé, ajouté. Je crois que c’est amusant et à propos. Une grande comédie politique remise en scène devant des spectateurs acteurs eux-mêmes. Et on veut réimprimer en même temps mon Washington. Comment on rétablit une Monarchie et comment on fonde une République. Choisissez. Pourvu qu'on ne me réponde pas : ni l’un ni l'autre ! Hélas je suis un peu, pour la décadence de mon pays comme Mad. Geoffrin pour les revenants " Je n’y crois pas, mais je les crains. "

Onze heures
Pas de lettre ici. Je suppose que vous m'avez écrit au Val Richer, et que j’y trouverai votre lettre en arrivant. J'ai de bien mauvaises nouvelles de Claremont d'avant-hier. Dumas mécrit : " Il est douteux que l'état du Roi permette que S. M. aille s’installer à Richmond où se trouvent déjà M. la Duchesse d'Orléans et Mad la Duchesse de Saxe Cobourg. Les forces déclinent, tous les organes s'affaiblissent, à l'exception des facultés intellectuelles qui restent entières. J'ai dû faire une absence de quatre jours pour aller porter à Dreux le Corps de l’enfant morte dont est accouchée Mad la Duchesse d’Aumale. J’ai trouvé à mon retour avant hier, les progrès de l'affaiblissement très notables. Le Roi a fait appeler les docteurs Chamel et Fouquier. Mad. la Duchesse d'Orléans est aussi bien que possible. La Reine se maintient en bonne santé. Le Duc de Nemours est très souffrant d’un Anthrax. M. le Prince de Joinville qui a été en Belgigue chercher sa soeur la Duchesse de Saxe Cobourg et qui a dû séjourner deux jours à Ostende, à cause du mauvais état de la mer, y a été l'objet d’un accueil remarquable de la part du grand nombre de Français qui y résident. Cela s’est passé sous les yeux du Roi des Belges. "
Adieu, Adieu. Je voudrais vous envoyer ce soleil. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 25 juillet 1849
8 heures

C’est évidemment à cause du Dimanche que je n'ai pas eu de lettre hier. Dans mon impatience, j’avais mal fait mon calcul. La poste n'est pas partie de Londres dimanche.
La petite scène du Havre a bien tourné. De bons juges m’écrivent de Paris : " Tout compté et bien compté, ce n'est point à regretter. Puisqu'il n’y a rien eu de grave autant vaut au risque de quelques embarras et de quelques inquiétudes, que vos éternels adversaires vos ennemis naturels aient fait la faute de provoquer ce qui a houleusement échoué. Il ne faut pas regretter l'éclat qu’ils ont donné à votre rentrée. Votre retour en France est un fait considérable. Il est considérable pour vos amis comme pour vous-même, en raison de votre passé et probablement aussi en raison de vôtre avenir. On l’a compris on le comprend, et l'on n'a pas su dissimuler sa mauvaise humeur. Encore une fois, tant mieux. "
Je n'ai encore lu Aberdeen et Brougham que dans le Journal des Débats. Mais ce que j'ai admiré, c’est Lord Palmerston sur l’Autriche. Quel aplomb, pour parler poliment ! Il a raison, puisqu'on l’écoute sans lui répondre. Il y a des gens qui lorsqu'ils ont fait des sottises en disant leur mea culpa, comme M. de Montalembert. Lord Palmerston se glorifie, en s’indignant qu'on l'ait cru capable de ce qu’il a fait. Vous voyez bien que le Pape rentrera à ses propres conditions. Pas plus à Paris qu'à Vienne, on ne lui demandera de partager sa souveraineté. J'étais bien violemment attaqué il y a dix-huit mois pour avoir écrit à M. Rossi qu’il ne devait ni ne pouvait le faire. Que de peine se donnent, et que de mal se font les hommes avant de revenir à l'idée juste qui leur aurait tout épargné. Adam Smith dit quelque part : " Telle est l’insolence naturelle de l'homme qu'il ne consent à employer les bons moyens qu'après avoir épuisé les mauvais. "
Je reçois toujours beaucoup de visites. Evidemment ; mes amis n’ont pas peur. Comme je ne mettrai pas leur courage à l'épreuve, il aura le temps de s'affermir. J’attends demain Armand Bertin. vous ne me donnez pas assez de détails sur votre santé. Je les demande à moins que vous ne me disiez que, moins vous en parlez mieux vous vous portez. Votre superstition peut seule me faire accepter votre silence.
Le beau temps a disparu. La pluie revient dix fois par jour. Je me promène pourtant. Les bons intervalles ne manquent pas. Je me lève de bonne heure. J’écris ; ma toilette, la prière. Nous déjeunerons à 11 heures. Promenade. Je fais mes affaires de maison et de jardin. Je remonte dans mon cabinet à une heure. J'y reste, sauf les visites. Nous dînons à 7 heures. Je me couche à 10. Quand le flot des visites se sera ralenti, j'aurai assez de temps pour travailler. Je veux faire beaucoup de choses. Adieu jusqu'à la poste.
Je suis bien aise que votre fils soit revenu. N'allez pourtant pas souvent à Londres si le choléra y persiste. Je crois que vous pouvez affranchir vos lettres. Mes filles en reçoivent souvent de leurs amies Boileau qui arrivent très exactement. Je vous le dis sans scrupule, car je suis écrasé de ports de lettres. Si nous apercevons la moindre inexactitude, nous cesserons.

Onze heures
Deux lettres. Le dimanche et le lundi viennent ensemble le Mercredi. Vous avez raison. Deux lettres et une seule enveloppe. Et deux lettres longues, charmantes. Adieu. Adieu. La poste m’apporte je ne sais combien de petites affaires qu’il faut faire tout de suite. Adieu. Adieu. G.
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