Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
268 Du Val-Richer, mardi 17 sept. 1839-7 heures

Ma mère me parle d’une jeune fille, agréable et bien élevée qui pourrait peut-être vous servir de lectrice. C’est la fille d’un M. Audebez, l’un des Ministres qui prêchent à la chapelle de la rue Taitbout, homme de bien, qui a une famille nombreuse, comme tous les gens qui prêchent, et a fait élever plusieurs de ses enfants en Angleterre. Mais il y aurait peut-être, pour cette jeune fille, quelque difficulté à aller seule dans les rues le soir, tard, car c’est le soir que vous en avez besoin. Il faudrait que Félix ou quelque autre l'accompagnât. Voulez- vous que je fasse demander, s’il y a là quelque chose qui vous convienne ?
Je ne vous conviendrais pas du tout en ce moment pour ce métier-là. Je suis enroué. J’ai suspendu mes lectures du soir et je prends des laits de poule. Nous avons froid, tout à fait froid. depuis deux jours. Avez-vous lu Pepy's Memoirs sur le règne et la cour de Charles 2 ? Ils vous amuseraient à parcourir. Ils sont chez moi dans le corps de bibliothèque de mon Cabinet. Faites les prendre par Génie si vous en avez envie. Le triomphe a ses embarras.
Dites-moi où nous mettrons D. Carlos. Il faut qu’il soit logé convenablement pour lui et surement pour nous. Le Duc de Valençay ne nous rendra pas Valençay. Madame ne nous prêtera pas Randan. J’ai pensé à Amboise, bon château, point prison, et assez possible à bien observer. Mais je doute fort que le Roi veuille avoir D. Carlos dans une maison à lui, une maison du domaine privé. Ce serait bien de l’intimité et de la responsabilité. Et puis notre peuple voudra des précautions plus strictes, plus apparentes. Nous aurons bien du monde à rassurer, des deux côtés des Pyrénées. Cela finira par un château fort à terme. Je ne vois pas bien lequel. Blaye et Hans sont bien petits et bien forts. La citadelle de Lille est un beau logement. Il y a de quoi admirer la bêtise humaine. On criera beaucoup, on demandera toutes sortes de précautions dans le moment-ci quand D. Carlos n’a évidemment aucune envie de recommencer; et dans un an, deux ans, que sais-je ? Quand l'envie et peut-être les moyens lui seront revenus, on n’y pensera plus, et tout sera relâché. Il faut lui faire signer une bonne renonciation et donner par l'Espagne une bonne pension qu’il ira dans quelque temps manger à Rome. Cela se peut quand vous aurez tous reconnu la reine Isabelle. Nous voilà les mains bien libres en occident. Gage de plus de l'immobilité en orient.

9 heures et demie
Pure, pure mégarde, mégarde de tristesse si ma lettre d'avant-hier ne contenait pas d'adieu. J’en suis désolé. Pardonnez-le moi. Je le mérite. Je vous dis adieu si souvent dans le jour, triste ou gai. Et puis dites-moi toujours tout, toute votre disposition, quelle qu’elle soit. Et laissez-moi en faire autant. Et que rien ne soit jamais retenu, caché entre nous. Nous nous affligerons quelquefois. C'est le droit des cœurs qui s’aiment de s'affliger réciproquement quand ils sont tristes. Mais qu'importe ? Le plus vif chagrin vaut mille fois mieux que le moindre silence. Je veux que vous me disiez tout. Je veux vous dire tout. Et adieu est toujours au bout de tout, pour tout réparer tout, charmer. Adieu. Adieu, dearest ever dearest. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
264. Paris Mardi le 17 Septembre 1839, 9 heures

Je me sens un peu mieux aujourd’hui ce qui fait que j’ai le courage de vous écrire. Hier encore a été une bien mauvaise journée. Mes crampes ont recommencé, mes nerfs ont été dans un état affreux. J’ai passé la journée seule. Si je n’avais pas eu quelque heures de sommeil vous n'auriez pas de lettres ; car décidément je ne risquerai plus de vous écrire lorsque mon cœur ressemble à mes nerfs. Vous avez raison dans tout ce que vous me dites ce matin et mon Dieu, mais ce n’est pas la raison qui est mon culte ; je n’aime pas par raison. Il n’y a rien de raisonnable à aimer. Et vous avez mille fois raison de ne pas aimer à ma façon. C'est une mauvaise façon. On m'a mis ce matin dans un bain d’Eau de Cologne. Je laisse faire sans avoir confiance en rien. Cela ne durera pas longtemps. Je ne m'occupe plus de chercher quelqu'un, je ne m'occupe plus de rien de ce qui me regarde. Je vous ai dit souvent que je craignais de la folie, je la crains plus que jamais parce que je la vois venir.
J'ai une mauvaise affaire sur les bras. Malgré les promesses que j'ai faites à Bulwer de la part de madame Appony il a rencontré sa belle-sœur chez elle hier au soir. Il me le mande dans un billet ce matin, et veut pour conseil. Il regarde ceci comme une insulte personnelle. Il a raison et cependant ce n’est sans doute qu'une bêtise de Madame Appony. Mon conseil sera qu’il n’y retourne pas. Moi, j’ai droit d'être blessée aussi car la promesse m’a été donnée à moi.

1 heures
J'ai eu la visite de Génie. C'est un bon petit homme ; ce qui me prouve ma décadence et ma misère est le plaisir que me fait la visite d'un bon petit homme ! Après lui est venu Bulwer ; j’étais encore dans mon bonnet de nuit. Il n’avait pas fermé l'œil depuis hier, il voulait écrire à Lord Palmerston demander son rappel de Paris à cause de l'insulte des Appony, enfin il était dans un état violent. Au milieu de cela je reçois la réponse de Madame Appony à une petit billet d’interrogation un peu vif que je lui avais écrit, et j’éclate de rire. La belle sœur n’y avait pas été. Bulwer a eu une vision ... Il n'en revient pas. Il soutient qu'il la vue. Je l’ai assuré qu’il se trouvait obligé de croire qu’elle n'y était pas, car mensonge ou non, il est bien certain maintenant qu’elle ne s’y retrouvera plus.
Le billet de Madame Appony est long, plus de tendresses pour Bulwer, d’indignation de ce que nous soyons cru capable de manquer à ses promesses. Enfin c’est fort drôle, et c’est fini. Hier Bulwer causait avec Appony lorsqu'il a eu sa vision. Il a laissé court et est sorti brusquement de la maison.
A propos de maison, Démion est revenu. Je prends l’entresol à 12 mille francs. On dresse un inventaire des meubles. Je prendrai ce qui me conviendra.
Rothschild m’a mandé qu'il avait abdiqué ses droits entre les mains de Démion, il n'y peut donc rien. Et bien, j’ai cet entresol ! Cela ne me fait aucun plaisir, rien ne me fait plaisir. J’ai écrit hier à Benkhausen pour demander les lettres of admisnistration d’après ce que me dit mon frère lui ne le ferait pas. Si j’attends l'arrivée de Paul ce sera encore une complication une fois les lettres obtenues, l'affaire est plus courte & plus nette. Je crois que je m’épargne du temps et des embarras, & que je suis en règle. Le pensez-vous aussi ? Pourquoi attendre. Je chargerai Rothschild de lever le capital et de remettre leurs parts à mes fils voilà qui est simple.
L’affaire de Don Carlos est regardée ici comme un grand triomphe. En effet, c'est une bonne affaire. Si on est sage à Madrid cela peut devenir excellent. Palmerston, & Bulwer ont écrit à M. Lotherne pour qu'il presse le gouvernement de ratifier la convention de Maroto. Mais vu dit qu'il y a de mauvaises têtes dans les Cortes. Adieu, je suis mieux ce matin. Je ne sais comment je serai plus tard. Ne vous fâchez jamais avec moi avec toute votre raison, & laissez- moi vous aimer avec toute ma folie. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
270 Du Val Richer jeudi 19 sept 1839 9 heures

Je suis charmé que vous ayez l’entresol. Il se peut que cela ne vous fasse pas plaisir aujourd’hui ; mais vous en jouirez cet hiver, et puis au printemps et puis l'autre hiver. Il n’y aura pas un rayon de soleil qui ne vous arrive, pas une feuille qui ne pousse, pas un oiseau qui ne chante pour vous. J’en suis charmé. Et puis c’est un démenti à ce que vous appelez votre guignon.
A présent ne vous laissez pas imposer par M. de Jennison les meubles qui ne vous conviendront pas, ne prenez que ce que vous voudrez absolument que ce que vous voudrez, et donnez vous de l’espace à remplir, du nouveau à arranger. Tout cela est bien petit, bien petit dearest, mais vous vous en amusez une demi-heure et le temps marche. Je voudrais vous trouver je ne sais quoi à faire jusqu'à mon retour. Je suis en ce qui vous touche, parfaitement désintéressé et orgueilleux.
Vous avez bien fait décrire à Benkhausen pour qu’il prenne en votre nom les letters of administration. Avec Paul, les Affaires faites valent toujours mieux que les affaires à débattre, et celle-là sera ainsi toute simple et sûre en même temps.
Mad. Appony a trouvé moyen de faire à la belle sœur de Bulwer une politesse et de vous tenir sa parole, Bulwer ne rencontrera certainement plus sa belle sœur. Un petit mensonge est bien commode. Du reste, le mensonge suffit.
Je suis toujours enrhumé. J’ai mal dormi cette nuit. J'étais là dans mon lit depuis deux heures, pensant toujours à vous, quelque fois à Washington qui m’occupe et m'intéresse, homme de beaucoup d’esprit, je vous assure et de beaucoup de sens, et point charlatan, point de Humbog. Il ne vous aurait pas charmée, entraînée ; mais vous auriez été tous les jours plus aise de le connaitre. Je suis bien aise que mon Génie vous convienne un peu.
Je comprends votre sentiment sur votre misère. Mais laissez-moi vous dire une chose. Le monde est bien grand et bien varié ; il faut l'accepter tout entier, et tirer de chacun et de chaque chose tout ce qu’il y a. Vous m’avez dit souvent qu’une fois assise à côté de quelqu'un et forcée de l'avoir pour voisin, vous aviez le talent de le faire parler et de ne pas vous en trop ennuyer. Dans le cours de la vie, on est assis à côté de bien du monde. Ne laissez pas perdre votre talent. Il y a de la coterie partout, en haut, en bas, au milieu. Les petites gens en font, les grands aussi, les Rois eux-mêmes. Tous y perdent. On y perd de la liberté, de la facilité, du mouvement, de l'amusement, de la ressource. On y perd même de l’esprit. Le vôtre est grand, élégant et merveilleuse ment sensé dans son élégance et sa grandeur. Laissez quand l'occasion l'y oblige, se promener en dehors de ses habitudes, ne lui défendez pas, par fierté, d’y prendre intérêt. Soyez tranquille ; vous ne descendrez pas. Cela n’est pas en votre pouvoir. Il s'est fait du vide autour de vous, et c’est là votre misère. Mais elle vous laisse et vous laissera éternellement à votre hauteur, car c’est vous-même qui êtes haute. Plût au Ciel que vous fussiez aussi forte ! Le mal est là. Vous êtes comme mes peupliers de taille superbe et de tige frêle ; la tête s’élève, mais le tronc plié.

9 heures 1/4
Que je voudrais vous envoyer du soleil et autre chose ! Mais je dispose de si peu ! Adieu, adieu. Je vais faire demander ma petite lectrice. Adieu Le plus tendre adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
271 Du Val-Richer, Vendredi 20 sept. 1839 7 heures et demie

Ma petite lectrice a beaucoup d'accent gascon. Elle demeure à une lieue de chez vous. L'envoyer chercher, et la ramener prendrait la soirée de vos chevaux. On me propose en échange une Mademoiselle Mallet, fort recommandable de bonnes façons, assez instruite, qui a élevé une jeune fille dans une famille que je connais. Elle demeure près de chez vous rue Godot-Mauroy n°11. Elle a 45 ans. On dit qu’elle n’est pas jolie. On croit qu'en lui donnant 3 fr. par soirée de 60 à 100 fr, par mois, ce serait convenable, et qu’elle vous lirait bien ce que vous voudriez ; pendant, une heure, une heure et demie. Dites-moi si vous voulez que je vous la fasse envoyer, et à quelle heure vous la voudriez chaque soir.
Vous promenez-vous toujours après votre dîner malgré cette horrible pluie ? Ouvrez-vous votre porte, et à quelle heure ? C’est une vraie maladie que le besoin de savoir tous les détails d’une vie qu'on aime. Vous me dîtes tout bien exactement. Il me semble que j'ignore tout. J’ai raison ; on ignore tout quand on n'y est pas.
Je ne m'étonne pas que les apostoliques soient déconcertés du dénouement espagnol. C’est un gros échec pour eux ; un de ces échecs qui révèlent la faiblesse radicale d’un parti et le terrain qu'il a perdu sans retour. La chance était belle contre la révolution d’Espagne, car elle aussi, elle est faible et bien inhabile, et prêtant bien le flanc à ses ennemis. Ils échouent contre elle, bien plus par leur propre misère que par sa force. Au fond, c’est juste, c’est le parti apostolique ses maximes, ses hommes, son gouvernement qui depuis deux siècles ont laissé ou fait déchoir l’Espagne et le Portugal, déchoir comme puissance au dehors, comme prospéré et dedans, déchoir en esprit comme en richesse, en dignité comme en bien-être. Ils sont punis par où ils ont pêché ; ils se trouvent encore plus déchus eux-mêmes que le pays qu'ils ont fait déchoir. Que l’absolutisme autrichien, prussien, russe même se maintienne et batte chez lui les révolutions, je le comprends ; les peuples prospèrent et grandissent sous lui ; il a droit de durer et de vaincre. Les apostoliques, ne sont vraiment bons qu’à mourir.

9 h. 1/2
Essayez de la jeune fille de Génie. Si vous ne vous en servez pas plus de 12 ou 15 fois par mois, 60 francs me paraissent suffisants. Il faut compter entre 3 fr. et 5 fr. par soirée. Je suis toujours enrhumé. Le temps est détestable. Quand je pourrai prendre l’air à mon ordinaire, & un air un peu doux mon rhume s'en ira. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
268 Paris Samedi le 21 septembre 1839,

Je sors tous les soirs malgré la pluie que voulez-vous que je devienne ? Je tue le temps faute de pouvoir l’employer. La femme la plus sotte ne mène une existence plus bête que la mienne. Les journées deviennent bien courtes. La causerie serait si bonne, si douce quand le jour disparaît. Et vous êtes au Val-Richer et moi seule, seule, seule ici. J'ai vu Armin hier au soir chez lui. C'est un ami de désespoir qui m’a pris. Je l’ai trouvé seul bien établi et bien étonné de ma visite. L'étonnement l’a rendu bavard.
L’affaire d’Orient n’offre plus de danger. L'Angleterre s’entend avec nous. Il n’y a que la France qui soit en bravades, sans doute pour les députés. Aussi n’y fait-on pas grande attention voilà à ce qu'il me semble la situation du moment.
M. de Jennisson ne se presse pas de me faire place. Il a cependant remis son bail à Démion. Moi je suis pressée de sortir d'ici d’autant plus qu'on m'en chasse. Il y a des gens qui me disent qu'il faut me hâter. de signer et de conclure avec M. Démion sans cela, s'il trouve 60 francs au dessus de 12 mille je perds l’appartement. Je vais faire cela aujourd’hui.
Je n’ai rien de mon fils, rien de mon frère. Soyez sûr qu'on ne prendra. pas la peine de m'informer de mes affaires. Génie dit que le Val-Richer est bien humide ; cela va mal à votre rhume. Et comment rester tard dans l’année dans un lieu humide ? Songez à cela, si non pour vous, pour vos enfants, votre mère. Adieu. Adieu, continuez-vous à recevoir des lettres de M. Duchâtel ? Vous ne me dites pas une pauvre nouvelle. Il me semble que vous vivez à Kostromé. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
272 Du Val-Richer Samedi 21 sept. 1839 7 heures

Mon rhume, va mieux, malgré la pluie. Je n’ai pas toussé cette nuit.
La pluie m'ennuie plus que jamais à cause de mes hôtes. Ils ne savent que faire de leur journée et je ne veux pas leur donner toute la mienne. Je passe toujours ma matinée, d'une à 6 heures dans mon Cabinet. On a pu aller chasser hier quelques heures.
Je ne puis pas être inquiet sur l'Orient. Il me semble que Méhémet met de l'eau dans son vin, et tous les autres n'en ont pas besoin. C’est une question de temps. Nous retrouverons cette affaire-là dans trois ou quatre ans. Elle ne finira pas d'elle-même comme l'Espagne. D. Carlos me paraît bien à Bourges. C'est près de Valencay. Il sera là entre MM. Duvergier de Hauranne et Jaubert, tous deux députés et ce département tous deux habitant d’assez belles terres à quelques lieues de Bourges.
J’ai reçu hier une lettre de M. Duvergier de bien mauvaise humeur il finit en me disant : " Je ne sais quand recommenceront nos tristes séances, mais je désire que ce soit le plus tard possible. Au point où en sont les choses, je ne vois rien de bon à faire et je suis fatigué du mauvais. " Je ne sais si M. Jaubert arrivera plus gracieux de Constantinople. Vous serez la première à en savoir des nouvelles. Quand M. de Jennison quitte-t-il l’entresol ?
Vous ne me l’avez pas dit. Entendez-vous parler des affaires de Suisse ? Je m’y intéresse. Je suis curieux de voir aller jusqu'au bout cette expérience radicale. J’entends dire aux gens sensés que l'impossibilité absolue de gouverner, même un si petit pays à de telles conditions deviendra telle qu’il y faudra renoncer. Tcham est l'homme du monde de qui vous en apprendrez le moins. Il a l’air non pas de cacher les affaires de Suisse, mais de s'en cacher.

9 heures et demie
D. Carlos demande déjà à sortir de France. Il annonce l’intention d’aller vivre avec sa famille à Salzbourg. M. de Metternich aurait une volière de prétendants. Je ne pense pas qu’on se hâte de prendre un parti sur la demande de D. Carlos. Je suis bien aise que Bulwer écrive une vie de Canning puisqu'il a de l’esprit. Mais vous avez toute raison de ne pas lui livrer vos papiers. Soyez assez bonne pour lui demander de ma part l’indication de ce qu’il y a de mieux sur la vie et l'histoire de Lord Chatam, le grand Chatam. Je n’ai rien vu qui me satisfît.
Adieu. Adieu. Que vous faites-vous lire par votre petite fille? Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
275 Du Val-Richer, mardi 24 Sept. 1839 7 heures

Je croyais avoir le talent de tout lire. Vous me coûtez la perte de cette illusion. En retour vous me faites connaitre un singulier monde. Sous Louis 14 même sous Louis 15 beaucoup de femmes, de très bonne compagnie, ne savaient pas l'Orthographe ; ma belle-mère Mad. de Meulan était encore de ce nombre ; mais elles étaient spirituelles, élégantes ; à travers l’irrégularité de leurs phrases elles avaient le cour d’esprit fois, délicat ; la grande civilisation était partout, excepté dans leur grammaire.
Cuisinière au fond et dans la forme, c’est drôle pour votre sœur ; passez moi la brutalité de l’expression. Du reste, à force d’étude, j’ai tout lu, excepté les mots que j’ai soulignés. Ayez la bonté de m'en envoyer l’interprétation pour que la peine que j’y ai prise ne soit pas tout-à- fait perdue.
Je suis curieux de savoir comment on s'y prendra pour vous empêcher d'avoir l’argenterie qui vous convient, quand vous ne la demandez qu'en en payant la valeur, au taux de l'estimation. Est-ce que Paul veut aussi l'avoir et l'emporter en Angleterre ? Je vois qu’on trouve tout simple, votre frère même, qu’il ait donné sa démission. Je suppose que c’est la nomination de M. de Brünnow qui l'a déterminé et lui sert d'excuse auprès des moins rebelles. Plus j’y pense, plus il me semble que puisque vous avez demandé les letters of adm., ce que vous avez de mieux à faire, c’est de donner vos pleins pouvoirs à Rothschild, et de faire toucher, par lui, le capital, quand vos fils seront arrivés, à Londres, de telle sorte que jusqu'à leur retour l’argent reste où il est, et que vous et eux, vous touchiez chacun votre part au même moment, mais par votre fondé de pouvoirs direct. Il n'y a là, si je ne me trompe, rien à dire pour personne. Et c’est plus sûr.

9h 1/2
Il me paraît impossible que Démion soit menteur à ce point. Il n’a point d’intérêt commun avec M. de Jénnison. Son intérêt à lui, c’est que vous ayez l’appartement. Vous êtes un bon locataire. Vous me direz cela demain. Certainement, si j'étais là, vous auriez l’appartement. Vous auriez tout ce qui vous plairait. Dîtes-le moi toujours. Je suis charmé de le croire.
Adieu. Adieu. J’ai deux lettres d'affaire à répondre sur le champ. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
270 Paris Lundi 23 Septembre 1839
9 heures

J'ai été hier avec M. de Pogenpohl & M. Démion faire la revue du mobilier de M. Jennisson. J'ai choisi ce qui me convenait et un peu aussi de ce qui ne me convenait pas par complaisance et par crainte. Je crois avoir pris pour 15 mille francs d’effets. M. Démion doit venir ce matin après avoir vu M. Jennisson régler définitivement cette affaire. M Pogenpohl croit avoir démêlé qu’elle ne se fera pas. Que Démion comptait que je prendrais davantage et que cela n'étant pas, et par conséquent M. Jennison mécontent, je n’aurai pas l’appartement Eh bien, M. Démion is a great rogue. Il m’a dit : " l’appartement est à vous, et quant au mobilier je chercherai à débarrasser M. Jennisson de ce qui ne vous conviendra pas. Moi, j’ai sans cesse répété que je ne prendrai que ce qu'il me plairait de prendre. Et cependant vous verrez que je serai dans la rue ! Vous savez que je n’attends jamais de dénouement agréable en rien.
Madame de Talleyrand est encore invisible, et ne veut pas que j’aille chez elle. Elle a des affaires. Le petit Périgord m’a dit que M. Lecouteux est ici. Hier j’ai vu reparaître le Duc de Noailles arrivé de la veille. Il a passé l'été avec M. Thiers dont il raconte mille propos divertissants.
Adieu, adieu. Je passerai ma journée en tracasseries avec M. Démion et j’irai me coucher sans logement ! Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
274 Du Val Richer. Lundi 23 Sept 1839, 8 heures et demie

Je sors tard de mon lit quoique je me sois couché hier de très bonne heure. J'étais fatigué. Au rhume, qui dure encore un peu, s’était jointe la migraine. Le sommeil est ma ressource. Je ne sais si je la conserverai toujours ; mais je l'ai encore. J’ai beaucoup dormi. Je suis bien ce matin. Il fait beau. Le soleil brille. Je me sens en bonne et forte disposition. Quelles mobiles créatures nous sommes, et que les spectateurs qui nous entourent se doutent peu des agitations, des faiblesses, des innombrables vicissitudes, intérieures par lesquelles nous passons !
Si les propositions de D. Carlos sont telles qu’on le dit, elles me paraissent acceptables. Pourvu qu’il ne réserve que ses droits éventuels, en cas d’extinction de la lignée de la Reine Isabelle, masculine et féminine, et que sa renonciation à ses droits actuels, pour lui et les siens, soit bien claires, bien complète. Pourvu aussi que le gouvernement de Madrid y consente, et soit partie contractante dans l’arrangement. A ces conditions l'affaire me paraît finie, autant quelle peut l'être. Et si D. Carlos accepte tout cela, j'ai peine à voir à quel litre et par qu’elle raison on ne le laisserait pas vivre où il voudra même en Autriche, le Capharnaüm, des Prétendants. Nous sommes un grand exemple de l’état ou jettent les grands excès. Il y a cent ans, l’Europe aurait vécu au moins six mois sur un événement comme la chute de D. Carlos. Il y aurait eu là, pendant longtemps, de la pâture pour les esprits, les réflexions, les conversations, les correspondances. Figurez-vous tout ce que M. de St. Simon y aurait vu et fait voir. Aujourd’hui, nous avons tant vu, tant vu que nos yeux sont las et comme hébétés. Nous regardons à peine les plus grosses choses. Je suis sûr que, s’il ne survient point d’incident nouveau dans quinze jours, à Bourges même, D. Carlos vivra sans qu'on pense à lui.
Voilà mon ami, et le vôtre, d’Haubersaert conseiller d'’Etat. Il le désirait beaucoup et on me l’avait promis. Cette nomination de Conseillers d'Etat est une image fidèle du chaos général. On en a donné un à Thiers, un à moi, trois aux 221, trois aux 213. Et tout le monde sera content. Personne n'est difficile. Les troubles pour les grains, sans être sérieux peuvent devenir gaves et embarrassants. Décidément, les récoltes sont insuffisantes ; le pain est déjà cher et renchérira. La crise industrielle se prolonge. L’Angleterre en souffre encore plus que nous. L’hiver s’annonce mal. Si, par dessus le marché, il est froid, la détresse sera réelle.
Le parti radical, devenu parti Buonapartiste, s’agite beaucoup pour remuer le peuple. Il ne peut que cela, mais il peut cela.

9 heures 3/4
Si je commençais, je ne tarirais pas sur votre famille. Je n’ai jamais rien imaginé de pareil. Je vous renverrai demain la lettre de votre sœur. Il me faut bien la journée pour la lire. Je ne comprends pas grand chose, à la lettre de Benkhausen. Je suppose que lorsqu'il aura en main votre signature apposée aux letters of administration, vos plein pouvoirs à votre frère seront considérés comme suffisants, et que celui-ci fera alors toucher, en votre nom, par un délégué de lui, peut-être par Paul lui-même. Il vaudrait beaucoup mieux en effet ne pas faire ce tour du monde, et faire tout simplement toucher, en votre nom, par votre banquier qui remettra à vos fils leur part. Cela est bien plus simple. Vous pourriez, ce me semble, mander cela à Benkhausen. Je ne vois pas quelle objection il y pourrait faire. Vous êtes bien la maîtresse de donner vos pleins, pouvoirs à qui vous voulez, pour cette affaire spéciale ; et il est bien naturel que vous les donniez directement à votre banquier de Londres qui touchera, plutôt qu'à votre père de Pétersbourg qui sera obligé de les déléguer et de faire toucher, par un autre, vous ne savez pas qu' il est évident que vous ne sauriez prendre trop de précautions. Pourquoi, n'aurez-vous pas de vaisselle ? Dans le quart du mobilier qui vous revient de droit vous pouvez toujours prendre ce que vous voulez, au prix d'estimation. Adieu. Adieu. Vous dîtes bien, toutes ces horreurs. Adieu, dearest. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
273 (par erreur cela devrait être 272) Paris Mercredi 25 Septembre 1839
10 heures.

M. Démion est venu hier me porter son bail avec M. Jennisson. Je l’ai gardé pour le faire lire à M. Génie qui m’a fait quelques observations. Demain, je signerai.
J’ai dîné hier chez Pozzo avec un peu de diplomatie et le Duc de Noailles. Le matin j’avais vu chez moi Armin, Brignoles, Lord de Manley, arrivé hier de Londres. Il est whig, frère de Lord Duncannon qui est dans le Cabinet. Il parle mal de la Reine, avec un peu de pitié du ministère. La Reine épousera le Coburg, c'est ce qu’on croit beaucoup en Angleterre. Je ne crois pas que j'aie un mot de nouvelles à vous dire. A propos, la lettre de ma sœur. Vous avez plus compris que moi, et dans ce que vous avez souligné, je devine sur la première page par rapport à l’argenterie, et sur la seconde, vous pouvez écrire au banquier. Voilà tout ce que je sais de plus que vous. Et vous savez au total beaucoup plus que moi.
On m’a raconté hier l'histoire de Paul venue par un voyageur russe de ses amis qui arrive de Pétersbourg. Elle est très grave et très extraordinaire. Il se trouvait sur une liste de promotions présentées par Nesselrode à l’Empereur. Nesselrode avait dit à Paul que cela se ferait que c’était juste, et qu’il lui en répondait. L’Empereur accepte tout, & raye de sa main impériale. Le nom de mon fils. Une heure après il donne sa démission de tout, diplomatie, chargé de cour. (Il était chambellan de l’Empereur.) Il a eu mille fois raison et je suis furieuse. Voilà donc comment l’Empereur se conduit envers la mère et envers le fils de l'homme qu'il appelait " son ami ".
1 heure Adieu. Je vais donc à Champlâtreux, je serai de retour ce soir à 10 heures. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
271 Paris Mardi le 24 septembre 1839
9 heures

J’ai vu hier Madame de Talleyrand, que j’ai trouvé bien maigrie depuis que je ne l'avais vue à Bade. Elle a eu l’air étonnée d’apprendre par moi que le duc de Noailles était à Paris. Est-ce de la comédie ? Le petit Bulwer ne manque jamais de venir au moins tous les deux jours. C'est une bonne petite créature et fort intelligent. Ah, j'ai oublié de lui parler de Lord Chatham, pardon ; ce sera à la première visite. M. Démion est venu m'annonçait qu'aujourd'hui il m'apporterait le bail. Voilà un démenti aux mauvais pressentiments de M. de Pogenpohl. Je ne sais plus rien sur le mobilier de Jennisson. Il se ravise peut être et ne veut plus rien vendre Je suis toujours bien aise que les questions soient séparées. Il se sera passé quelque chose entre le propriétaire et le locataire que j'ignore et dont je n’ai pas à m'inquiéter. Démion dit que j'aurai l’appartement le 15 octobre. Nous verrons.
Lord Clarendon va entrer dans le Cabinet anglais, il sera privy seal. M. Maranley remplace Lord Howick à la guerre. Cela ajouté aux précédentes modifications donne une grande prépondérance au parti radical dans le ministère. 1 heure. M. Démion vient de m'apporter le bail de M. Jennisson. Je vais le donner à Génie pour qu'il le revoie avec attention, et puis je signerai.
Adieu, je suis bien aise du soleil, à cause de votre rhume, et puis un peu pour moi. Je vais demain dîner à Champlâtreux. Je reviens coucher ici. Je crois que cette petite course me fera du bien. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
278 Du Val-Richer, Vendredi 27 sept 1839 8 h 3/4

Je vous écris de mon lit. Non que je sois plus souffrant ; mais hier je me suis trouvé bien d'y être resté quelques heures, et on a voulu que j'en fisse autant aujourd'hui. Je tousse moins et je n’ai presque plus d'oppression. Quand je suis fatigué, mal à l’aise, enfoncé dans mon fauteuil, que vous me seriez douce ! Que votre voix me rafraîchirait la poitrine. Pourtant j’aimerais encore mieux être auprès de vous quand c’est vous qui souffrez.
Génie me mande qu’il vous trouve mieux que les premiers jours où il vous a vue. Il dit que Mad. de Talleyrand vous instruit fort bien sur l'imposition personnelle et mobilière, et qu’il vous a envoyé M. de Valcour dont vous êtes contente. Servez-vous de lui pour que votre tapissier ne vous vole pas trop. Je vous garantis deux choses sur mon monde, leur honnêteté et leur dévouement. J’ai la passion des honnêtes gens et de l'affection, dans tous les états et pour tous les emplois.
Je ne vous parle pas de la pauvre dépêche de Sébastiani. Vous la savez. Le Roi me fait demander où je désire qu’il m'envoie un service de porcelaine qu’il me destine, à Paris ou à la campagne. Je réponds à la campagne. C'est le premier présent que je lui aie vu faire excepté le tableau de Champlâtreux. N'en parlez pas jusqu'à ce qu’il soit arrivé.
Soupçonnez-vous quelque chose du motif de l'Empereur, en rayant votre fils ? Ce ne peut-être à cause de vous. Il l’avait si bien reçu d'abord ! Et puis Paul n’est pas vous aujourd'hui. Il faut qu’il y ait quelque chose de personnel à Paul, quelque propos.
Nous offrons, pour Méhémet, la restitution immédiate du district d'Adana à la Porte et celle de Candie après la mort de Méhémet. Mais nous tenons à la Syrie, et Méhénet me paraît y tenir encore mieux que nous. Il a raison. C’est toujours lui qui a droit de paix et de guerre sur l’Europe.
Vous vous êtes trompé sur le n° de votre lettre de Mercredi. C’est 272 et non 273. Je vais me lever.

10 h. Vos renseignements sur notre pacification d'Orient ne sont pas tout-à-fait d'accord avec les miens. Vous pourriez bien avoir raison. On est sur cette pente là. Rien n'empêche adieu. J’ai le soleil aussi ce matin. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
277 Du Val-Richer, jeudi 26 sept 1839 9 heures

Je me lève. J’ai eu hier un redoublement de mal de gorge et de toux. Je suis resté tard dans mon lit en moiteur. Je me sens mieux ; mais j'en ai encore pour quelques jours. Il faut bien avoir sa part de mal, en tout genre. Je mange peu, je bois chaud, j'évite l'humidité et je pense à vous.
Vous devez avoir l’entresol au 15 oct. ne le payez à partir de cette époque là que si on vous le remet effectivement. Votre damas rouge trouvera-t-il sa place ? Vous ne devez, pour vos arrangements avoir besoin que du tapissier. Je suppose qu’il n’y a rien à faire du tout dans l’appartement.
On dit que Mlle Rachel a tout-à-fait enlevé le Duc de Noailles, à Mad. de Talleyrand. Voilà Mlle Rachel malade. Il reviendra peut-être.
Mes nouvelles d'Orient sont plus à la paix que jamais. Elles n’ont jamais été ailleurs. Nous cherchons ce que Méhémet Ali peut rendre à la Porte en gardant, héréditairement l’Egypte et la Syrie. Nous voulons qu’il rende quelque chose. Nous trouverons quoi. Nous sommes plus contents de l’Autriche. Que de va et vient inutiles ! Mais il faut bien que les hommes s'amusent, même les Rois.
Champlâtreux vous aura plu. C’est un beau lieu, grand, simple et tranquille. J’y suis allé dîner, il y a quelques onze ou douze ans, avec M. de Talleyrand. C’était trop pauvrement meublé. Mais M. Molé l’a fait arranger, je crois, pour la visite du Roi. Le tableau du Conseil y est-il installé ? Il est bien mauvais.

10 heures
Je ne vous en dis pas davantage aujourd’hui. Le courrier m’apporte trois ou quatre lettres auxquelles il faut que je réponde sur le champ. Adieu, Adieu. Génie m'écrit une longue lettre. Je suis fort au courant de votre bail. De loin. Mad. de Talleyrand, qui lui fait concurrence à cet égard, me dit-il, lui parait un très habile, clerc de notaire. Adieu Paul a bien fait. C'est inconcevable. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
276 Paris samedi le 22 Septembre 1839

Décidément, votre rhume est trop long, et un médecin intelligent vous prescrirait un changement d’air. C’est un remède infaillible. Savez-vous donc le grand changement de front politique ? Rien de plus subit ni de plus grave. Nous étions seules il y a quatre semaines. C'est vous qui l’êtes aujourd’hui. Ce que je vous dis est de la dernière exactitude. Je ne puis pas vous dire les détails vous êtes trop loin. Si vous les connaissez dites les moi afin que je voie si vous êtes bien renseigné. qu’allez-vous faire ? Il n’y a plus que deux partis à pendre rester dans cet isolement complet. (Car vous n'auriez d’alliés que le Pacha d’Egypte) ou bien entrer dans l’alliance contre lui, par conséquent ravaler bien des paroles, souffrir bien des actes contre lesquels vous avez protestés. Enfin vous mettre à la suite de la Russie & de l'Angleterre. Il me semble que votre diplomatie éprouve des mécomptes étranges. Comment tout cela a-t-il pu arriver ! Je voudrais bien pouvoir causer avec vous. Le séjour à Fontainebleau sera drôle au milieu de cette confusion politique, l'Autriche, la Prusse, la Russie, l’Angleterre y sont aujourd’hui pour revenir lundi. Je les ai presque tous vus hier. Et au milieu de cela Pozzo qui fait vraiment pitié à voir. En sortant de chez moi il avait absolument perdu le sens. Je crains bien que l’affaire de Paul ne tienne à ses relations avec moi. J'en suis désolée, mais il n'y a que cette explication de possible.

Midi
Génie est encore revenu aujourd'hui. Il m’est toujours très utile. J’attends M. de Valcourt dans une heure, il ira visiter le mobilier. Madame de Castellane est toujours ici et malade je ne le savais pas. J’ai été la voir hier, elle m'a fait une quantité d’exagérations sur le plaisir qu'a fait ma visite à Champlâtreux. Quelle bêtise de mentir comme cela ! Me voilà prête à croire que j’ai paru très désagréable. Décidément la qualité dont je fais le plus de cas c'est la vérité. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
279 Du Val-Richer, samedi 28 sept 1839 9 heures

e vous écris encore de mon lit, et dans une telle moiteur qu’il n’y a pas moyen de vous écrire plus de quatre lignes. On veut absolument que je rentre mes bras. J’ai très bien dormi. Mes nuits sont fort bonnes. Mais ce matin je tousse et je crois bien que quelques heures de lit feront finir cela plutôt.
J'ai demain une fatigue et un grand ennui ; un déjeuner de vingt leaders électoraux Ils sont invités depuis quinze jours. Il n’y à pas moyen d’y échapper. Je les laisserai se promener, sans moi dans le jardin car il pleut et il pleuvra. Mais dans ce pays-ci on se promène à pied comme vous en calèche sous la pluie. Voilà votre n° 275. Je suis bien aise que vous ayez signé, et que Génie vous ait bien défendue. Démion voulait vous avoir à sa discrétion. Décidément, je rentre mes bras. Je crois très bons les soins que vous me prescrivez pour la gorge, et j'en userai dès que je ne tousserai plus. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
275 Paris, vendredi le 27 Septembre. 1839

Je trouve singulier que vous vous obstiniez à tousser. Vous y êtes trop sujet. Il me semble, lorsque vous êtes en santé, que vous devriez vous laver le cou le matin avec de la glace, cela fortifie beaucoup. Si vous n’aimiez pas la glace mettez un peu de vinaigre dans de l’eau, tous ces conseils là sont bons. Mais dites-moi bien vite que vous êtes mieux, que vous êtes bien.
J’ai prié Génie de vous rendre compte de la mémorable scène d’hier avec M. Démion. Imaginez une scène, je crois même qu'il n’a pas été très poli pour moi. J’en avais une grande envie de rire. M. Génie a été d'une bonté parfaire pour moi, mais sa physionomie a singulièrement déplu à Démion. Le dénouement a été que j'ai emporté la clause de sous location et que j’ai fait abandon de toutes les autres que Génie avait en réserve. J'ai signé mais M. Démion n’est plus de mes amis et vraiment je ne sais pourquoi. Que le ciel me préserve d’affaires Je ne suis pas faite pour elles. Démion prétendait que personne ne se mêlât des miennes, que lui !
J'ai été dîner chez Mad. de Talleyrand, et de là chez Mad. Appony, où j’ai trouvé ma diplomatie, avec le petit Nesselrode fils du ministre. Brunnow lui a parlé de mes affaires et lui a dit que j’aurais 50 milles francs. Vous savez que je ne sais encore rien, il a un peu mal parlé de Paul pour ce qui me regarde. On trouve que M. de Brünnow a l'air d'un sot. C'est bien sa mine.
L’Empereur a envoyé de beaux cadeaux à la Reine comme reconnaissance de l’accueil qu’elle a fait à son fils. Le Duc de Wellington se pressait de retourner à Douvres pour m'y recevoir. Le Ministère Anglais est très satisfait de l’état des affaires partout. Même la mort de Runget-Sing ne l’incommode pas du tout. Les affaires d’Orient l’arrangeront. Voilà Lady Cowper. Les Diplomates ici ne me paraissent pas être de très bonne humeur.
Je verrai demain M. de Valcourt et je lui remettrai tout l’arrange ment de mon appartement. Il prendra à M. de Jennisson ce qu’il croira devoir me convenir. C’est le 15 octobre que j’entre dans la maison. Mais c’est du 1er que je paye. M. Démion dit que c'est l’usage. Adieu. Adieu. Guérissez-vous de votre rhume. Pourquoi ne vous prierait on pas à Fontainebleau ? Voilà une idée qui me vient tout à coup. Ah si cela était ! Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
280 Du Val Richer, samedi 28 sept 1839 5 heures

Je ne veux pas faire comme ces deux derniers jours, ne vous écrire que le matin quand je ne le puis plus. Je m'ennuie d'être si peu avec vous. Votre conversation me serait si agréable ! Je suis fatigué, mal à l'aise. Il faut que je me mette à la diète, car quand j’ai mangé, j’ai toujours plus de toux et d'oppression.
Pour une fois, Démion a raison. Quand on entre le 15, on paye à partir du 1er. Ayez en effet le moins d'affaires que vous pourrez. Vous n’y êtes. pas propre. J'attends toujours avec impatience que tout soit revenu de Pétersbourg, vraiment fini, signé. J’ai de tout votre monde, une défiance sans mesure. Les meilleurs sont si indifférents et si légers. C’est sitôt fait d'oublier. Ne trouvez-vous pas qu’il y a dans tous nos journaux un concert de modération pour l'Espagne. Ils semblent tous tremblants que les Cortes ne fassent quelque sottise. La Reine d’Espagne est bien puissante, en ce moment. Quelles vicissitudes !
Bolingbroke, qui venait de chasser du conseil de la Reine son rival le comte d'Oxford et d'être chassé lui même par les Whigs ses ennemis, écrivait à Swift : " Oxford a été renvoyé mardi ; la Reine est morte Dimanche. Quel monde est celui-ci, et comme la fortune se moque de nous ! " On l’oublie toujours.

8 heures
Je voudrais en avoir fini de la journée de demain. Quand je suis en bonne disposition, je m’arrange avec l'ennui ; je m’y prête et cela va. Mais il faut avoir sa voix, ses jambes ; il faut parler et marcher tant qu'on veut.
Est-ce sincèrement ou par diplomatie que Lady Cooper trouve toujours que tout va bien ? Il faut une foi aussi robuste que la vôtre de la mienne dans la bonne constitution de l'Angleterre pour n'être pas inquiet de ce mouvement continue et accéléré sur la pente radicale. Au fond, je ne le suis pas. Je crois toujours qu’on se ravisera & se ralliera à temps. Ce sera un bien grand honneur pour les gouvernements libres, car l’épreuve est forte. Si elle finit bien, il n’y aura pas eu dans le monde, depuis qu’il y a un monde, une plus belle histoire que celle de l’Angleterre depuis cinquante ans. Mais il ne suffit pas qu'elle se tire de là sans révolution. Il faut qu’elle garde un grand gouvernement. C'est là le point le plus difficile du problème.

Dimanche, 9 heures
Je me lève ayant très bien dormi, selon ma coutume, mais toussant toujours et avec de l'oppression. Je vais voir mon médecin qui me dira que c’est un rhume, qu’il faut me tenir chaudement et attendre. Et j'attendrai. Voilà le 276.
Il y a un mois que j’ai écrit à M. Duchâtel d’y bien regarder, que nous finirions par nous trouver seule, et vous avec tous les autres notamment avec l'Angleterre. Encore une des moqueries de la fortune.
Moi aussi, je voudrais bien causer avec vous. Il y aurait bien un troisième parti à prendre. Mais on ne le prendra pas. Vous avez agi habilement. Vous vous êtes faits les plus fermes champions de l’intégrité de l'Empire Ottoman, non plus à vous seuls, mais en commun avec tous ceux qui la voudraient comme vous. N'allant pas à Constantinople, personne n’ira, et vous restez toujours avec le droit d’y aller quand la Porte vous le demandera ! Cette affaire-ci se règle en dehors de vos habitudes. Vous avez plié devant la nécessité, mais sans changer de position. Vous pouvez vous redresser quand le jour viendra.
Adieu. Adieu. J’attends vingt personnes, et j'ai ma toilette à faire. Adieu G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
277 Paris le 29 Septembre 1839 10 heures

Je vous préviens que je suis très inquiète de votre toux. Je vous préviens aussi que je suis un peu en prétention de voir que vous me remettez toujours au dernier moment, & lorsque vous ne pouvez pas m'écrire sans risquer de prendre froid. La journée est longue vous êtes levé pour quoi ne pas m'écrire alors !
Je n’ai rien à vous dire d’hier ; tous mes diplomates sont partis, je n’ai vu que Pozzo. Le matin j’ai été dans des boutiques de curiosité. Cela m’amuse. Le Duchesse de Talleyrand a été longtemps chez moi. Ce ne sont pas des nouvelles qu’elle m’apprend ; ce sont des leçons d’arrangement d’intérieur. J’y serai fort savante.
Je suis curieuse de ce que vous me répondrez à ma lettre d’hier. Ne consulte-t-on personne dans des cas pareils. Croyez-vous que vous serez prié à Fontainebleau ? Votre toux m'ennuie. L’automne m'ennuie, j’attends l’hiver comme les oiseaux attendent le printemps. Toujours attendre, ah que c’est long ! Adieu, adieu car je n'ai plus rien à vous dire.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
281 Du Val Richer. Lundi 30 sept. 1839 9 heures

Je me sens beaucoup mieux ce matin. C’est une singulière chose que la rapidité avec laquelle ce mal de gorge m’envahit s’établit, semble près de devenir une maladie et s'en va. Je suis persuadé qu’en y prenant un peu garde, dans trois ou quatre jours, il n’en sera plus question. Mais c’est bien décidément mon mal.
Je sais peut-être moins de détails que vous sur l'Orient. Quand les affaires ne vont pas à leur satisfaction, ils m'en instruisent plus laconiquement surtout quand l’événement confirme mes avis. J’ai reçu cependant ces jours-ci deux lettres qui sont d'accord avec ce que vous me dites. Mais vous aussi vous êtes trop loin. Deux heures de conversation toutes les semaines nous seraient bien nécessaires. A vous dire vrai, je ne me préoccupe pas beaucoup de cette affaire là quant à présent. Deux choses seules m'importent ; la paix pour le moment, le fond de la question pour l'avenir ; la paix ne sera pas troublée, ni la question au fond résolue. Je tiens l’un et l’autre pour certain. Il ne sortira de tout ceci qu’un ajournement pacifique. Que l’ajournement soit plus ou moins digne, plus ou moins habile, qu’il en résulte plus ou moins de gloire pour les manipulateurs, il m'importe assez peu. Je ne m'étonne pas que Mad. de Castellane vous choque. Elle n'a point de mesure dans la flatterie. Là est la limite de son esprit et le côté subalterne de sa nature. Du reste, rien n'est plus rare aujourd'hui parmi nous que le tact des limites. En toutes choses, nous sommes toujours en deçà ou au delà. C’est le défaut des sociétés renouvelées par les révolutions ; il reste longtemps dans leurs mœurs quelque chose d’informe et de gros, je ne veux pas dire grossier. Il n'y a de fini et d'achevé que ce qui a duré ; ou ce que Dieu lui-même a pris la peine de faire parfait. Mais il ne prend jamais cette peine là pour les peuples.
Voilà votre N°277 et en même temps des détails sur l’orient qui m’arrivent très circonstanciés trop pour la distance où nous sommes.
Vous menez bien votre barque. Vous travaillez à vendre le plus cher possible l'abandon, c’est-à-dire le non renouvellement du traite d'Unkiar-Skelessy. Vous avez tout un plan, dans lequel tout le monde, a son poste assigné contre Méhémet Je ne crois pas à l’exécution. C’est trop artistement arrangé. Je ne suis point invité à Fontainebleau. Je ne sais pas si je le serai. Je suis bien loin. On le sait officiellement. Pour peu qu’on trouve d'embarras à m'inviter moi, et non pas, tel autre, on a prétexte pour s’en dispenser. Adieu. Adieu. Moi aussi, j’attends l'hiver. Je vous en réponds. A propos, je ne sais de quoi, je ferai comme vous avez fait quand j’ai oublié votre commission auprès de Berryer. J’attendrai que je voie Bulwer pour lui demander moi-même des renseignements sur Lord Chatam.
Adieu, quand-même. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
279 Paris Mardi 1er octobre 1839,

Je viens d'écrire un mot à Bulwer pour lui demander ce que vous voulez au sujet de Lord Chatham. J'ai sur le cœur votre rancune, car il y en a beaucoup dans les derniers mots de votre lettre. J’ai passé ma matinée hier à l'entresol avec M. de Pogenpohl, & M. de Valcourt. Il ne me donnera que demain ses idées sur ce que je dois prendre ou laisser. comme tout est long ! Je crois que je me laisserai, entraîner a beaucoup de dépenses ; si vous étiez ici vous m'arrêteriez.
J'ai été le soir chez Madame Appony. Je les ai trouvés seuls et évidemment de mauvaise humeur, ce qui a fait que pour commencer je n’ai rien pu apprendre ; si non le nombre des convives, la promenade & & et tout cela m’intéressait fort peu avec un peu de patience et quelque petites paroles provocantes, je suis parvenue à savoir, que le Roi est excessivement blessé de la conduite de l’Empereur, et furieux contre l'Angleterre. Nous n’avons pas encore dit un mot à la France, c'est un dédain qu’on supporte malaisé ment. Quant à l'Angleterre ce changement subit semble de la plus insigne mauvaise foi. Au surplus personne ne sait encore se l'expliquer. On attend des éclaircissements : on espère encore que la majorité du conseil anglais opposera à la volonté de Lord Palmerston. Quand à celui-ci il est à nous tout-à-fait. Quelle drôle de chose ! Appony, comme je viens de vous le dire est de bien mauvaise humeur et même un peu aigre pour nous. d’abord. C’est qu'on ne nous aime pas et que ce triomphe politique donne à notre diplomatie un lettre qui choque. Et puis, et je sais cela par expérience, un diplomate ne peut pas se défendre d’un peu de partialité pour la cour auprès de laquelle il réside, surtout s'il y est bien traité comme l’est Appony dans la circonstance présente, l'Autriche sera appelée à tempérer un peu le mauvais vouloir de la Russie & de l'Angleterre contre la France, mais au fond Metternich sera fort aise de notre rapprochement avec Londres. Je crois que j'ai deviné votre troisième parti. C’est ne rien faire. On m’y parait assez disposé ici. C’est plus sûr ; ce n’est pas bien grand ! Ah que les choses auraient pu être mieux menés avec d’autres diplomates que ceux que vous employez à l’étranger.
Vous voyez bien que je vous dis à peu près rien. J’aurais tant de choses à vous dire de près. Savez-vous ce qui me chagrine c’est que si nos relations restent aussi aigres qu’elles le sont dan ce moment, Pahlen ne reviendra pas, & que Médem se prolongera ici indéfiniment. Or, pour moi, j'aime bien mieux Pahlen que Médem. Je suis charmée de ce que vous me dites de votre santé aujourd’hui et cependant je persiste à croire que vous habitez un lieu qui ne vous vaut rien parce qu'il est trop entoure de bois, trop humide. Je sais indirectement, que mes fils seront à Londres dans quinze jours ou trois semaines au plus, que Paul y passera l’hiver, et qu’il retourne en Russie au printemps prochain. Alexandre pourra être à Paris vers le 1er Novembre. Avez-vous lu l’ordre du jour de l’Empereur à Borodino ? On est prodigieusement blessé ici. En général tenez pour certain qu'on est de bien mauvaise humeur. Le Roi restera à Fontainebleau assez de temps encore. Après il retournera à St Cloud et ne prendra ses quartiers d’hiver que le 1 Novembre. Les enfants d’Espagne vont à Fontainebleau aujourd'hui pour y rester huit jours. Le maréchal ne revient ici que dimanche. La diplomatie reste donc en vacances. Adieu. Adieu. Au revoir. Je ne sais pourquoi ce mot se trouve là. Il a coulé de ma plume sans ma volonté.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
282 Du Val Richer, Lundi soir 30 sept. 1839 8 heures et demie

Il n’est bruit que de la nouvelle coalition, votre Empereur, Palmerston et les radicaux. Aurait-elle la majorité à Londres ? On en doute fort. Palmerston trouvant bon que vous entriez, vous dans le Bosphore et l'Asie mineure, tandis qu'il ira lui sans nous à Alexandrie, cela sera-t-il bien reçu du Parlement ? On croit que cela ne s’y présentera pas. Même avec le correctif d'un corps d’armée Autrichien pour faire le siège de St Jean d’Acre, où il n’ira pas. Tout cela a un peu l’air des mille et une nuits. Il n’y a guère, dans chaque affaire, qu’une ou deux grandes politiques. Quand on n'en veut pas, on tombe dans les politiques petites et arbitraires. De celles-là, il y en a mille.
En attendant, vous parait-il vrai, comme on me le dit, que le Cabinet anglais est plus sérieusement menacé que jamais ? On l'a dit si souvent que cela finira pas arriver sans que je le croie. Voilà Zéa décidément rentré en scène. Si les Cortes dont dissoutes comme tout l’annonce, un parti bien voisin de lui dominera dans les nouvelles. J’en suis bien aise, même politique à part. Je lui souhaite du contentement. Je ne sais pourquoi le bruit se répand dans notre Province que Don Carlos doit y venir habiter et qu’on y cherche un château pour lui. Ce qu’il y a de sûr c’est qu’on a fait visiter deux grands châteaux à peu près abandonnés, et très convenables pour un Prince abandonné.
N’allez pas vous ruiner en curiosités. Quand vous aurez vos affaires signées, vous ferez tout ce qui vous plaira. Je n’ai de ma vie été si méfiant.

Mardi, 8 heures 1/2
Avez-vous décidément adopté la bibliothèque de l'entresol pour votre chambre à coucher ? Je suis bien impatient de vous voir là. Où seront nos habitudes? Vous trouverez votre maison peuplée. Jaubert est arrivé ; fort peu préoccupé de la politique de l'Orient, à ce qu'on me dit ; il n'y a pas moyen d’en rien tirer à ce sujet. Ce n'est pas du tout un esprit de politique étrangère. Il a rapporté de Constantinople une grande préoccupation des conspirations de l’extrême gauche. Elles continuent de plus en plus basses, comme on dit les eaux sont basses. Singulière société qui ne veut ni du haut, ni du bas, ni du soleil, ni de la boue ! Comment viendra-t-elle à bout de s'organiser et de suffire à ses affaires ? Je ne pense pas à autre chose, en fait de choses, depuis deux mois que je vis en Amérique.

9 heures et demie
J’attends mon médecin aujourd'hui. Je voudrais bien qu’il fût de votre avis qu’il en fût positivement. Quoique ce qu’on appelle la raison me dise que j’ai tort de désirer cela. Je suis désolé du mariage de votre femme de chambre. Mad. de Mentzingen ne pourrait-elle vous envoyer sa pareille ? Vous avez confiance aux allemandes. Il vous faut une femme de chambre qui vous convienne beaucoup, et vous plaise un peu. La petite lectrice que Génie vous a donnée vous convient-elle, dans son état, et vous en servez-vous ? Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
278 Paris lundi 30 septembre 1839,
9 heures

Enfin vous m'avez écrit une lettre mais vous toussez toujours. Je ne suis pas contente. Vous tousserez jusqu'à ce que vous changiez d'air. Parlez en à votre médecin. J'ai été hier à St Cloud, j’y ai mené la Princesse Saltikoff et Nicolas Pahlen. Les gobelins sont beaux. Il y faisait froid, et j'ai eu mal aux dents toute la nuit. J’ai vu hier Mad. de Castellane, Mad. de Talleyrand, pas un mot de nouvelles. J’en saurai dans le courant de la journée ou demain. J’ai grande hâte de me trouver logée, établie. Il faudra encore du temps. Avant hier j’espérais régler la question du mobilier de M. Jennisson, il faut encore attendre jusqu'à cet après midi. Tout est si long de ce qui ennuie et si court de ce qui fait plaisir.
Midi
Voici encore un chagrin et un gros chagrin. Ma femme de chambre me quitte. Elle se marie, elle épouse un fabricant de pianos très riche. Vous ne sauriez croire ce que c’est pour moi il faut donc perdre l’un après. l’autre, tout ! Et cela une personne de confiance tout à fait, une bonne créature, qui m’est bien attachée, outre qu’elle est très habile. Je suis très affligée et dans le plus grand embarras. M. Génie m’a trouvé les yeux rouges encore. J'avais beaucoup pleuré. Je suis charmée que votre médecin aille vous trouver. Si c'est un homme de sens il n'aura qu’un conseil à vous donner c’est de quitter un lieu humide. Car je m'imagine que c’est humide. Parlez-moi bien de tout cela. Ne vous raidissez pas contre mes conseils n'y voyez pas mon intérêt. Je ne pense pas à moi là dedans, je pense à vous. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
Guizot épistolier
280 Paris, le 2 octobre 1839,
9 heures

Ah ! si votre médecin pouvait re connaître en médecin comme moi. J’attends son arrêt avec une espèce d’angoisse. Que j'aimerais ce médecin s'il vous faisait revenir. Dites-moi Dites-moi que vous revenez. Quelle joie ! Bulwerr m'apportera, le lien vers Lord Chatham, mais il croit que vous savez déjà son histoire mieux que tout ce que vous en diraient les le livres. Je conclurai dans la bibliothèque c'est une jolie pièce. Nos habitudes seront probablement dans ce qui était le salon de M. de Talleyrand.
Je n'ai point encore commencé avec la petite lectrice, je suis parvenue à tuer mon temps en sortant après le dîner. Dès que je serai casée ne ne sortirai plus, & c’est alors que j'aurai besoin d’elle dans l’avant soirée. Aurai-je besoin d’elle ? Répondez- moi, demandez-le à votre médecin. Il me semble que moi aussi j’ai besoin de votre médecin. Votre irriitation au gozier a passé dans le mien. J’ai toussé toute la nuit. Le temps cependant est beau.
J'ai été deux heures hier au Marais dans de grandes manifactures de bronze. J'ai choisi de jolies choses. Cela n'a pas le sens commu, car je n’ai pas encore sur quoi coucher, manger & &
Vous êtes parfaitement instruit de nos propositions. Nous verrons. C’est vraiment un moment curieux. Ah, si nous pouvions nous parler ! M. Molé est à Fontainebleau.. La Duchesse de Talleyrand répart demain, et ne reviendra à Paris qu’à la nouvelle année. Midi Génie sort de chez moi, Il avait été très inquiet de vous. Votre médecin lui a écrit un mot dès son arrivée pour le rassurer mais disant que vous avez un rhume. obstiné. Si vous venez, je vous promets de vous laisser à votre travail toute le matin. Je ne vous prendrai rien de votre temps utile. Après le soleil couché vous penseriez à moi, n'est-ce pas ? On dit que la commission de la chambre à Madrid refuse de reconnaître les fueros. Cela serait mauvais. Génie me dit qu’il vous a envoyé hier une lettre de Fontainebleau. Est-ce une invitation ? Que je le voudrais. Je ne suis plus préoccupée que de cela. De façon ou d’autre il me semble que vous devez venir. Cela est si fort entré dans ma tête que le contraire me paraîtrait une horrible injustice. J’attends votre lettre de demain avec un grande impatience. Adieu, adieu. Venez. adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
283 Du Val-Richer, mardi soir 1 octobre 1839 8 heures

Mon médecin me trouve bien. Il a examiné avec grand soin l'état de ma poitrine. Il n’y a rien. C’est un rhume, qui tient bien à une mauvaise disposition des bronches. (c'est le mot savant ) et qu’il faut soigner, mais qui n’a rien du tout de grave. Il pense comme vous, que l’humidité ne me vaut rien et que je ferai bien de ne pas rester ici trop tard. Ma maison n'a pas l'ombre d'humidité ; mais l'atmosphère en a beaucoup, rien n’est plus sûr. Il va passer ici deux jours et me regardera bien. Je me sens beaucoup mieux. J’ai peu toussé aujourd'hui. L’appétit, qui m’avait quitté, me revient.
Pourquoi ne voulez-vous pas que je pense à votre intérêt ? Est ce que ce n’est pas le mien ? Je ne puis m’y donner tout entier à mon regret infini ; mais tout ce que j’y puis donner, j'en jouis autant que vous. D'ailleurs, je ne veux pas arriver enrhumé à la session. Je vais m’arranger en conséquence. Je ne puis vous en dire davantage aujourd'hui. Je tiens trop à la vérité avec vous à la vérité précise. Mais vous pouvez vous fier à moi.
Il y a des gens d’esprit qui ont pensé au troisième parti dont je vous parlais. Ils disent que la coalition de l'Empereur et de Lord Palmerston est très facile à condition que Méhémet ne se défendra pas, car s'il se défend, et fait marcher son fils sur Constantinople jamais Lord Palmerston ne fera trouver bon à l'Angleterre que les Russes soient appelés pour l'arrêter. Du reste le peuple de Paris même celui qui pense à quelque chose, pense bien peu, me dit-on, à l'Orient et au cabinet.
La grande préoccupation, c’est la perspective d’un mauvais hiver, la cherté, la disette, la Banque de Londres chancelante. On dit que la saison vous a maltraités aussi, et que la Russie méridionale est menacée d’une grande disette.
Charlotte me revient à l'esprit. Voulez-vous que je fasse chercher une femme de chambre de Suisse ? Mad. Delessert en a toujours sous la main. Je suis entouré d’un monde très protestant, très pieux, et qui, sous ce rapport là, ne vous donnerait rien que de bon. Ce bon Génie est fort troublé de me craindre malade. Il m'écrit que si je le suis, il viendra s'établir au Val-Richer. Mon médecin lui a écrit ce matin même pour le rassurer.

Mercredi, 9 heures
J’ai très bien dormi. Le sentiment de chaleur et de fatigue que j’avais dans la gorge et la poitrine disparaît dans trois ou quatre jours, il ne restera rien du mal que la nécessité de prévenir ce qui pourrait en amener le retour. Savez-vous si Mad. de Boigne est de retour à Paris, et sinon où elle est ?

9 h. 1/2
Je n’ai pas la moindre rancune de votre oubli de Lord Chatam. J'en avais une vieille à cause de la vôtre pour mon oubli de Berryer. Je me la suis passée dans cette occasion-ci. Et elle est passée. Mon troisième parti vous voyez n’était par aussi terne que celui que vous avez imaginé. Du reste vos présomptions sont justes ; on a beaucoup d'humeur et on espère que les collègues de Lord Palmerston ne seront pas tous de son avis. Adieu. Adieu. Oui au revoir.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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283 Paris samedi 12 octobre 1839, Midi

Vous m'avez à peine quittée que je tombe dans de nouvelles catastrophes M. Jennisson élève aujourd’hui quatre ou cinq chicanes, et je viens de lui envoyer dire bonjour à lui et à son mobilier. J'aime mieux un gros embarras, que cinq chicanes, et puis reste un sujet. M.Pogenpohl me soutient et est tout révolté du procédé de Jennisson. Voici qu’il fait froid. Je m’en réjouis. Si vous me mandez que vous toussez, je crois que je m'en réjouirais aussi. Soyez sur qu’il n’y a rien d’aussi bon pour vous que Paris. Je n’ai pas été triste hier soir, je vois le bonheur si près de moi. J'ai été bien triste le 10 septembre, je croyais le bonheur si loin. Je me suis trompée alors. Mon Dieu pourvu que je ne me trompe pas à présent ! J’attends Génie. J’ai vu déjà cinq ou 6 marchands, j’ai fait une quantité d'affaires, & je suis fatiguée.
1 heure 1/2 Génie n’est pas venu. Qu'est- ce que cela veut dire ! Adieu. Adieu. Je n’ai vu personne à nouvelles. Je n’ai rien à vous mander, qu'adieu, toujours adieu, & bientôt, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
Guizot épistolier
Voici cette note des questions à adresser et des actes à demander. Elle s'accorde s'il m’en souvient bien avec ce que vous avez demandé, à Bruxner. Adieu.
Ce n'est donc plus à la Terrasse que nous nous reverrons. Je lui ai dit hier soir en passant le seuil de la porte, un adieu bien tendre. Mais tout lieu où vous serez où nous serons aura bientôt ce droit là, sur moi. Adieu. Adieu.
G.
Paris.
Samedi 7 heures

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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285. Paris, lundi le 14 octobre 1839

J’ai été voir hier la petite Princesse après ma promenade à pied au bois de Boulogne. J'avais eu avant la visite de Bulwer, & celle du Baron Krudner notre ministre en Suisse, homme d’infiniment d’esprit, de beaucoup d’instruction, et du plus aimable caractère. Il est sourd tout-à-fait. Il passe pour aller s'embarquer au Havre de là à Pétersbourg. Il s'est marié secrètement en Suisse, il y a 22 ans ! L'idée lui vint que puisqu'il a déjà un fils de 19 ans et d’autres enfants il pourrait bien faire quelque chose pour eux, et il va obtenir que son mariage soit reconnu. Il m’a fait toutes ces confidences comme on raconte qu’on vient de dîner.
Le Prince Paul de Wurtemberg m'a fait sa visite hebdomadaire il croit savoir que Don Carlos tout ne prescrivant officiellement à Cabrera & au Comte d'Espagne de cesser les hostilités leur a fait intimer l’ordre de les poursuivre. Il a envoyé des pleins pouvoirs à l'un des deux juntes qui s’est organisée en Catalogne, Je fus dîner chez M. de Brignoles. Le maréchal y vint après. Je le trouve bien maigri et changé. Les diplomates ont été faire leur tour avant-hier à St Cloud. Ils ont trouvé le Roi, très content, parfaite ment sûr de l’échec qu'aurait subit M. de Brunnow. Cela reste à être prouvé, et nous saurons cela dès l'arrivée de Lord Granville qui sera ici demain au plus tard. Je n’ai point de lettres aujourd'hui. Ce n'est qui demain que vous serez arrivé. pour moi au Val Richer. Adieu. Adieu.
A propos, j’ai trouvé un maître d’hôtel qui me parait bien par pur hasard. Voilà un souci de moins. La liste des autres est grande encore. Adieu mille fois. Je vous ai dit, n’est-ce pas, que M. de Médem ne va plus chez le Maréchal. Celui-ci a été très impoli dans la dernière entrevue.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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287 Du Val Richer, Lundi 14 oct. 1839 8 heures

Je ne comprends pas que vous n'eussiez pas vu Génie samedi à une heure et demie. Il m'a quitté à 6 heures emportant une lettre pour vous. Il faut qu’il ait eu quelque affaire obligée. Il vous aura surement vue, dans la journée.
Je suis arrivé hier à 4 heures, point fatigué. Il fait beau, mais je tousse toujours un peu. Je trouve en arrivant quatre invitations à dîner. Je les refuse toutes en disant que mon médecin veut que je me repose pendant le reste de mon séjour à la campagne. Mes enfants sont à merveille. Ma mère pas trop. Rien de grave cependant.
Le procédé de M. Jennison est en effet choquant. Mais il n’y a que lui qui puisse en souffrir. Vous avez votre bail signé. S’il ne voulait vous rien vendre, vous auriez un peu plus d'affaires pour votre arrangement voilà tout. Mais il vous vendra ; ne lui achetez pas plus, et ne le payez pas plus cher que vous ne voulez. Le monde est juif. La dispersion de la race juive a infecté le monde

9 heures et demie
Sans nul doute, les questions à votre fière sont trop péremptoires et il vaut mieux attendre. Quoiqu'il n’y ait rien d’impossible, il me paraît impossible que vous ne receviez pas bientôt la copie textuelle de l’arrangement définitif. Nous verrons alors ce qui manquera. Je vous enverrai demain matin une lettre pour le directeur des Douanes. Vous prierez Génie de la lui porter et de suivre cette petite affaire. Il faut toujours un homme à la suite d’une affaire. Rien ne se fait tout seul. Adieu.
Je trouve ici une foule de petites affaires à régler, et de lettres insignifiantes auxquelles il faut pourtant répondre. Adieu Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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284 Paris, dimanche le 18 octobre 1839

J'espérais bien un peu une lettre d'Evreux, mais je n'y comptais pas. Je vous remercie de m'avoir donné plaisir à mon réveil. J’ai à vous remercier aussi de ce que vous avez remis à Génie et qu'il m’a fait venir tard dans la journée d’hier. Je viens de ré ouvrir une réponse de Bruxner. En voici l’extrait.
D'après cela il me semble que mes questions sont trop péremptoires et qu'il vaut mieux attendre. Qu'en pensez-vous ? Mon frère aura donc reçu avant de conclure encore la lettre dans la quelle je m’oppose à ce qu’il convertisse en rente aucune somme qui pourrait me revenir. Il est difficile de croire qu’il n’aie pas fait comme je le demande.
Jennisson a baissé pavillon, et n’a ici que la honte d’avoir tenté de me duper. J'ai le mobilier que je voulais aux termes que j’avais dit maintenant il ne me manque que l’essentiel, la personne qui doit recevoir tout cela. Je cherche un maître d’hôtel introuvable. L'homme chez Pozzo voyant que je ne lui faisais plus rien dire a conclu avec lui un nouvel arrangement ; ainsi c’est fini et je ne sais où déterrer dans 24 heures ce qu'il me faut ou même à peu près.
Mad. Appony est venue chez moi hier, émue occupée, de toutes petites choses, tendre, inquiète. Mad. Durazzo est venu aussi remplie de l'awkwardnefs de la rencontre de Mesdames Molé & Castellane à Champlâtreux. J'ai fait visite à la Princesse Soltykoff qui vous trouve de bien beaux yeux. Le soir j’ai été chez Pozzo, il était seul, je me suis bien ennuyée.
J'ai oublié Bulwer dans le courant de la matinée. Il soutient que l'Angleterre est plus près de nous que de vous. Nous verrons cela après demain avec Granville. Pardonnez-moi, j’ai pris la feuille double.
A propos, procurez-moi la permission. d’entrée pour les effets que je viens d’indiquer ou bien dites moi ce qu'il faut que je fasse. Est-ce qu'on va me briser le vase en vermeil. Voici du soleil, j’irai voir plus tard la petite Princesse. Adieu. Adieu. J’ai mal dormi, et beaucoup pensé à vous Adieu.

Extrait 18/30 7bre 1839 Nous regrettons infiniment de ne pouvoir rien dire de positif encore relativement au partage de la succession. Tout ce que nous savons c’est qu’on s’en occupe & que Messieurs vos fils sont en conférences fréquentes avec le Comte Bulwer. Ce n’est que lorsque nous recevrons une copie authentique de l’acte de partage, incessamment attendu, que nous en pourrons indiquer à Votre Altesse l d'une manière précise toutes les stipulations. En attendant, toute somme qui rentre provenant de cette succession est versée dans notre caisse et aussitôt que tout ce qui est encore arrivé sera rentré et que nous serons autorisés à en faire la répartition sur les divers comptes, nous nous empresserons de suivre les dispositions que Votre Altesse a bien voulu nous tracer pour la part qui lui en reviendra. quant aux bien et revenus de Courlande nous n'en pouvons rien dire non plus, vu qu’ils ne passent pas par nos mains, et de tous les effets que nous avions en dépôt, il ne reste plus chez nous dans ce moment que les quatre caisses d’argenterie. d’après vos ordres nous expédierons par le bateau à vapeur le Tage Capitaine Pitron qui repart demain pour Le Havre quatre caisses contenant un vase en vermeil. un buste en marbre une pendule 2 vases vieux Sèvres à l'adresse de Messieurs Rotschild & frère. Il ne reste donc plus qu’à obtenir la permission nécessaire pour la vente à l’encan des autres objets de cette succession ce qui n’aura lieu que dans quelques semaines lorsque tout le monde sera rentré en ville afin que cela réussisse mieux. les Princes vos fils sont sur le « point de s'absenter momentanément d'ici, mais toujours dans l'espoir de terminer encore avent leur départ tout ce qui concerne la dite succession.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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286 Paris Mardi 15 octobre 1839

Je suis bien aise de vous savoir arrivé. Il pleut. Il doit faire bien humide au Val-Richer. Voici copie exacte de la lettre de Bruxner, reçue dans ce moment. Expliquez la moi, je ne la comprends pas. Le fait est que je ne comprends rien en fait d’argent.
Hier Bulwer, Zéa, Appony Brünnow le matin. Et puis des courses d'affaires c'est-à-dire de meubles. Après le dîné chez Mad. Appony dans mon lit de bonne heure, je ne me sens pas bien. Je crois que je suis fatiguée, je le serai un peu plus encore aujourd’hui, car je déménage.
J’attends M. de Valcourt qui va prendre possession du mobilier, et puis j’y passerai moi-même. ma matinée se passera à cela.
Je dînerai chez les Appony, si je suis encore capable de sortir. Adieu, Adieu. Je crois que vous vous trompez tous ici. Et que la Russie et l'Angleterre s’entendent. En général je vous trouve ici mal informés. Lord Lansdown est à Vienne ! Vous vous souvenez que j’ai disputé sur cela avec vous. Adieu. Adieu, mille fois.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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288 Du Val Richer, Lundi 14 oct 1839 8 heures et demie

Voici une lettre pour M. Gréterin, directeur des douanes. Je la laisse ouverte pour que Génie la lise et sache bien ce que je demande. Priez-le de la porter de ma part à M. Gréterin après l'avoir cachetée, et de demander la réponse. Je crois qu’il faut une décision du Ministre des finances. Mais M. Gréterin la lui demandera. Je ne veux pas qu'on vous brise le vase en vermeil, et encore moins le buste, en marbre. Est-ce que vous ne pouvez-pas garder Pippin jusqu'à ce que vous ayez trouvé un maître d'hôtel qui vous convienne ? Je sais bien que vous en aurez encore plus de peine à lui faire dire une seconde fois qu’il faut qu'il s'en aille. Cependant j'aimerais mieux cet ennui-là que celui de prendre à la hâte le premier venu. Vous avez quelques fois des hésitations, et quelquefois des précipitations singulières. Entendez-vous dire qu’il y ait quelque chose de sérieux, dans la maladie de Méhémet dont parlent les journaux ? Ce serait encore un dénoue. ment inattendu. Je le regretterais. Le monde n'a pas de gens d’esprit à perdre.

Mardi, 7 heures et demie
Dites moi pourquoi je viens de passer une nuit très agitée, de revoir en rêve toute ma vie, ce qu'elle a eu de plus doux et de plus cruel, vingt cinq ans en quelques heures ! La même Puissance dispose donc de nous, sans nous, la nuit comme le jour, et des chimères comme des réalités. Elle devrait bien laisser la nuit au repos. Je suis brisé ce matin. Quelque confiance qu’on ait dans sa propre vie, si on avait dit au général Sébastiani que son maître d’hôtel, que je connais bien et qui le servait depuis très longtemps serait frappé d’apoplexie avant lui dans Hertford-House, on l'aurait, je crois, bien étonné. Je vous voudrais un maître d’hôtel comme celui-là de fort bonne mine, quoique trop petit, très entendu et très attaché.

Est-il vrai que l'Empereur (il ne me plaît pas de dire votre Empereur) entreprend de miner en Pologne la religion catholique, qu’il a déjà enlevé la moitié des Eglises polonaises au culte catholique pour les donner au culte grec &&. La liberté religieuse était la seule en Russie. C’était même un singulier spectacle que de voir deux états nouveaux, aux deux extrémités du monde, le plus despotique et le plus républicain que le monde ait encore vus, la Russie et les Etats-Unis commencent l'un et l'autre leur carrière, par cette tolérance, qu'au bout de six mille ans le monde civilisé a commencé à peine à entrevoir.

9 h. 1/2
J’aime bien le N°285. Il me rend compte des moindres détails de votre vie, personnes et choses. à cette condition seulement, la séparation est supportable ce qu’elle n'est jamais. Je suis charmé que vous ayez un maître d’hôtel. Mais il faut que le hasard couvre le mal de a précipitation. Cela arrive. Adieu.,Adieu. Non pas mille fois, mais mille vies. G.
J'adresse ma lettre rue Florentin, vous m'auriez averti si quelque chose était changé dans vos projets.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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287 Paris le 16 octobre 1839,
Rue St Florentin 2

Ce serait trop long de vous raconter tout l'ennui, la fatigue de la journée d’hier. Je n’ai vu personne que M. Pogenpohl qui m'est d'un secours extrême. J’ai fermé ma porte à tous les autres. Je n’ai trouvé personne chez les Appony. C’était un dîner de famille pour la Ste Thérèse. Point de nouvelles. Je crois cependant que Médem à reçu un courrier de Londres hier. J’apprendrai quelque chose dans la journée. J'ai mal dormi. Je serai bien ici mais j’y suis encore dans un vrai bivouac.
Je vous remercie mille fois de la lettre pour M. Gréterin. Je vais la remettre à Génie, vous êtes bien bon pour moi. Voilà une phrase parfaitement ridicule. j’attends M. de Valcourt, des tapissiers & &, pendant huit jours encore je serai très mal. Et puis il me semble que je serai bien. Je vous dis adieu déjà, car je crains que je n’aurai pas un moment, dans toute la matinée.
A propos, les rapports de M. de Saint Aulaire annonçant la parfaite approbation du cabinet de Vienne aux projets de pacification du vôtre sont un rêve. Le Roi a dit avant-hier à Appony qu'il n’est rien venu de là. Vous concevez qui si cette bonne nouvelle était venue, le roi aurait eu hâte et plaisir à le dire. Je trouve quelque fois de drôles d'erreurs dans les nouvelles qu'on croit tenir des meilleures sources. Adieu. Adieu. Génie a pris votre billet, il est revenu me dire que les ordres vont être expédiés que votre volonté sera faite et que tout le monde a été très gracieux. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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290 Du Val-Richer, Mercredi soir 16 oct 1839 9 heures

La note de Bruxner est évidemment très obscure. Cependant en voici le sens. Quand il dit : " Nous avons à attendre incessamment l’autorisation nécessaire pour faire payement à M. le Comte du solde stipulé &. " Il veut dire qu’il recevra incessamment de vos fils, l'autorisation de remettre au comte votre frère, comme votre fondé de pouvoirs, le solde stipulé dut, savoir 14 000 roubles argent pour l’année de revenu et 24 000 roubles & &. Il me semble que ces 14 000 roubles argent doivent faire, les 60 et quelques mille francs sur lesquels vous comptiez. Ce que je ne comprends pas, c’est que vous n’ayez pas encore reçu l'acte signé qu’il vous annonce. Votre frère a certainement négligé de vous l'envoyer. Il lui a paru que puisqu'il avait fini, lui, c'était assez pour vous. Il est impossible pourtant que vous ne le receviez pas bientôt.
Puisque, lord Landsdown est à Vienne, vous aviez raison et on était mal informé. Il faudra bien que cela aussi s'éclaircisse comme vos affaires. Je ne m'inquiète pas beaucoup des vicissitudes qu’on traversera. Je crois toujours qu'elles aboutiront au même dénouement. On me mande que Thiers a dû arriver à Paris hier au soir rappelé avec tous les siens par une maladie grave de la mère de Mad. Dodne.

Jeudi 7 heures et demie
L’arrestation de Blanqui, le second ou plutôt le premier de Barbès, fait-elle quelque effet ? Ce sera un grand ennui, et un assez gros embarras pour la Chambre des Pairs. Comment jugera-t-elle autrement qu’elle n'a fait Barbés et comment jugera-t-elle de même. Je suis sûr que le Chancelier en est très préoccupé. On use bien vite les bons instruments dans ce pays-ci. Comme cour de justice, la Chambre des Pairs a fait des miracles depuis 1830. On l’en a dégoûtée. Elle n'en voudra plus faire. Le procès de Blanqui ne sera pas le seul.
Vous n’avez peut-être pas remarqué dans les journaux que Guinard l’un des principaux chefs du procès d'avril est revenu d'Angleterre et s'est constitué prisonnier pour se faire juger. Son père est mort et lui a laissé 40 ou 30 mille livres de rente. On lui a offert sa grâce. Il l'a refusée. Il veut être jugé. Tout cela ne ranimera pas les procès, ni juges, ni accusés. Mais cela fera des embarras, et des embarras ridicules. Du reste le ridicule est mort, comme tant d'autres choses. On ne se moque plus de rien, ni de personne.

9 heures et demie
Je me trompe. Le ridicule n’est pas mort. Ma bonté pour vous le ressuscite. Mais je vous le pardonne. Vous l’avez vu la première. Je rétablis les faits. On n’avait pas, autant qu’il m'en souvient, de nouvelles de Vienne. Mais on avait, de Berlin, une grande approbation, & l’opinion, positivement exprimée, qu’il en serait de même à Vienne. Du reste, vous avez raison, il y a bien du trouble dans les sources les plus pures.
Adieu. Je suis charmé de vous savoir installée, même mal. On est trop heureux quand le bien vient au bout du mal. Le contraire arrive si souvent. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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282. Paris Jeudi le 17 octobre 1839,

Il est très vrai que l’Empereur est devenu intolérant, et persécuteur en matière de religion, et l'on m’a dit hier que nous aurons une grosse querelle avec le Pape qui mettra tout-à-fait dans l'ombre sa querelle avec la Prusse. Le Maréchal Soult a dit hier matin à Appony qu’il n’avait pas un mot de Vienne en réponse aux propositions françaises pour l’affaire de l'Orient. Voilà donc le roi & le maréchal donnant un démenti formel à ce que vous aviez appris par d’autres ministres. Sont-ils donc si désœuvrés qu'ils aient le temps d’inventer des nouvelles. Je demanderai à Tcham ce que vous voulez savoir. Je ne lis pas encore Lord Chatham. Je ne lis que votre lettre dans la journée. Je n’ai pas le temps d’autre chose. Vous ne concevez pas mes ennuis. Et puis deux ou trois avis différents, M. de Pogenpohl, M. de Valcourt, le tapissier. Je m’en vais mettre une tenture en soie dans le premier salon pour terminer le débat. Il se passera bien encore 12 jours avant que je sois complète.
Hier j’ai passé trois heures avec les deux messieurs et puis une heure dans des magasins de tapis. Et puis un moment avec Bulwer, un autre moment avec Le baron de Krudner, je voudrais bien avoir l’esprit fait comme le sien. J’ai dîné chez M. Feichmann, avec les Appony, Médem, Armin, Jennisson qu'on n’appelle plus que Gémissons et quelques autres. Je suis rentrée pour me coucher. J'ai encore mal dormi. J’écris une longue lettre à mon frère par M. de Krudner, mais je ne lui parle de mes affaires que pour le prier de ne pas oublier de m'envoyer l’acte. Adieu, le temps est abominable. Tout juste comme je l'ai désiré pour vous chasser du Val-Richer. Adieu. Adieu.
Armin a vu le roi avant-hier et l’a trouvé de très mauvaise humeur. Il ne sait pas de quoi.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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293 Du Val-Richer, dimanche 20 oct. 1839
7 heures et demie

Il n’y a rien à dire sur tous ces arrangements puisque votre frère avait plein pouvoir pour transiger. Mais il a poussé l'esprit de transaction aussi loin qu’il se pouvait à vos dépends. Je suis surtout choqué que la rente de vos fils ne commence qu’en 1840, et qu'ainsi on vous enlève votre part dans la première année du revenu de la succession. On peut disputer sur les sommes. M. de Pahlen peut s'être trompé quand il a évalué une année de revenu de la terre de Courlande, à 60 milles francs au lieu de 36. On peut faire je ne sais quels calculs sur le revenu de l'arende. Mais sur ceci il n'y a point d’incertitude possible. Vos fils jouiront du revenu de la succession pendant l’année 1839 et vous, vous n'en aurez rien. Paul sait mieux les affaires que M. de Benkendorf, et s’en soucie davantage. Pourtant, je crois qu’il faut tout adopter et tenir tout pour terminé. Légalement, cela est puisque vous avez donné des pleins pouvoirs et en fait, vous ne gagneriez rien à contester. Vous ne me dîtes pas comment a été réglé le partage des meubles et si on a fini par faire ce que vous désiriez pour la vaisselle.
Médem est allé communiquer au Maréchal une dépêche de M. de Brünnow, sur le peu de succès de sa mission à Londres. Le Maréchal a répondu qu’il ne voyait pas pourquoi on lui communiquait cette pièce puisque les propositions de M. de Brünnow n’avaient pas été adressées à la France. Cela me paraît une manière de rentrer en relations sur le fond même de l'affaire et pour des propositions nouvelles. Je retire ma modeste rétractation. On ne vous a pas tout dit. Il y avait des nouvelles de Vienne non pas définitives, non pas complètes mais favorables à nos propositions.
La Maladie de Méhémet n’a rien de grave. Les affaires de la Reine d’Espagne vont bien. Le Roi de Hollande va la reconnaître. C'est le seul prince d’Europe qui ne tâtonne pas. Il tient cela de ses ancêtres les princes, à la fois les plus réservés et les plus résolus de l’histoire moderne. On va faire quelques Pairs.

10 heures
Le mobilier de Courlande n'a pas été oublié puisque Paul d’après votre lettre d’hier, en a fait insérer l'abandon complet dans l’arrangement, bétail, magasins, tout. Puisqu'il y a si exactement pensé, il se refusera à tout retour. Quand vous aurez fait l’épreuve certaine de votre revenu, s’il ne vous suffit pas, faites-vous dix ou douze mille rentes de plus avec vos diamants. A moins que vous n’aimiez mieux en vendre quelques uns, à mesure que vous en aurez besoin pour combler chaque année votre petit déficit. Vous êtes bien informée sur le courrier de Médem, et sur l'état actuel des relations des Cours. Soignez Palmerston. C’est votre point d'appui. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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292 Du Val Richer, samedi matin 19 Oct. 1839
7 heures et demie

Hier au soir à 9 heures, en traversant la bibliothèque pour rentrer dans mon Cabinet, je me suis arrêté devant le plus beau clair de lune du monde. La bibliothèque en était éclairée. J’ai transporté cette lumière blanche et douce, ces bois, ces prairies, le bruit de l’eau et vous et moi, à deux cents lieues vers le midi, sous un ciel chaud et embaumé. C’était charmant. Gardez, je vous prie votre esprit comme il est fait. Je n'accepte pas en place celui du baron de Krudener. Sa mère était-elle vraiment aussi séduisante, qu’on l'a dit ? Elle a fait un roman qui s’appelle Valérie et qui a charmé ma toute première jeunesse. Mais cela ne prouve rien. Je me fais tort pourtant, tous les romans ne me charmaient pas. Aujourd'hui, je les trouve bons au dessous de ce qui se pourrait et se devrait. L’expérience de la vie, m'a appris qu'un jour une heure d'affection et de bonheur vrai est infiniment au dessus de toute l'éloquence et de toute la passion des plus beaux romans.
Je comprends vos ennuis de meubles, & j'en suis touché. Mais pas outre mesure. Ce que je crains beaucoup pour vous, ce sont les ennuis vides. Les ennuis pleins et pressés sont plus supportables. Je ne comprends pas comment vous mettrez la paix entre vos conseillés avec une tenture de soie dans le premier salon. N'a-t-il pas dû toujours y en avoir une ? N'était-ce pas là la place du meuble rouge à ramages jaunes de M. Jennison ? Puisqu'il n’y a pas réussi ; je suis bien aise qu’il ait essayé de vous duper. Il ne m’a jamais plu.
Je vois qu’en effet vous êtes sur le point de vous brouiller avec le pape. On dit que les évêques de Pologne lui ont écrit que l'Empereur avait formé, et commençait à exécuter le projet de renverser systématiquement toute la constitution religieuse et tous les rapports religieux de leur pays. Vous finirez par fournir un fait de plus à l'argument que M. Fox puisait contre la traite des nègres, dans la démence fréquente des capitaines négriers.

9 h.et demie
Quelle façon de faire les affaires d’une mère et d’une sœur ! Je suis pourtant bien aise que ce soit fini. Je ne crois guère à la possibilité de réclamer pour le mobilier de la terre de Courlande. Les plein- pouvoirs donnés à votre frère comprenait celui de transiger à ce sujet. Il en a usé et abusé, mais c’est fait. D'ailleurs, qui vous représenterait qui vous soutiendrait efficacement dans une contestation ? Vous ne pouvez pas avoir de contestation, à cette distance, dans un pays de loups, pour une affaire de vaches et de moutons. Laissez l'affaire là ; partagez le capital de Londres, et si vous dépensez rue St Florentin un peu plus d'argent que vous n'en avez, vendez quelques diamants. Ils vous donneront plus d'agrément en bons fauteuils et un jolis tapis que dans votre écrin. Adieu. Adieu. Nous trouverions bien assez de temps pour placer un Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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290 Paris, le 19 octobre samedi 1839

Je n’ai vraiment pas le temps ni la force de copier les papiers et les explications que m’a envoyés mon frère. J’en suis fâchée, car je voudrais vous tout montrer. J'ai fait lire tout cela hier à M. de Pogenpohl. Voici l’explication. La loi ne me donne que la 7ème part aux arendes comme aux biens fonds. Ainsi c’est en règle. Le question de la partie mobilière en Courlande a été évidemment, parfaitement oubliée. Il est d’avis que je dois la reproduire rigoureusement Paul peut refuser d'entrer en discussion, mon abandon étant complet, honorablement il ne le peut pas. Ce serait un tort de plus. Voici donc maintenant ma fortune. 2 mille francs de pension. Et le quart du Capital Anglais. Cela fera 36 milles francs en tout et pas davantage. Les 52 milles francs car ce n’est pas plus de l’année de veuve, couvriront ma dépense depuis juin et l'achat du mobilier. Je ne compte pas sur cinq sols des capitaux qui peuvent se trouver en Russie. D'abord il est clair par la lettre de mon frère que Paul ne veut pas même dire ce qu'il y a avant d’avoir touché le capital Anglais. Et quand il l’aura touché il est probable qu’il ne se trouvera rien, ou peu de chose. Les effets sont encore à partager, ma sœur est chargée de cela pour mon compte. Vous savez comme je comprendrai ses lettres. Au bout de tous mes calculs je trouve qu'en tout y compris toutes mes propres ressources, j'aurai 60 milles francs de rente & pas davantage. vous verrez que c’est exact. Mes fils auront chacun 110 mille francs de rente. Voilà assez parler d’affaires.
Le courrier de Médem venait de Londres. L'Angleterre n’a pas accepté nos propositions. Ses contre propositions ne sont pas très claires. Le question reste à peu près comme elle était mais il y a quelque rapprochement entre Londres et Pétersbourg dans l'ensemble de nos relations. J'aurai des tapis qui vous plairont. Le dîner de M. Fleichman valait mieux que son invitation. Je ne sais pas si on rappelle Ponsonby. Je le demanderai, mais j’en doute, on ne voudra pas encore fâcher Lord Grey. et les mémoires à payer à vérifier. Ah quelle bagarre, et comment vous écris je deux lignes qui aient le sens commun. Adieu. Adieu.
Je n’ai pas fait de promenade depuis 5 jours. Je ne parviens pas à bouger de chez moi. Adieu. Adieu. God bless you. Voyez comme je vous écris des lettres élégantes. Si vous me voyez entre les tapisseries, les lampistes, les marchands de bronze, et les changements de maître d'hôtel & de femme de chambre

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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292 Paris lundi 21 octobre 1839

J'ai reçu hier Lady Granville, Cela m’a fait un gros plaisir. J’ai passé une heure de la soirée avec elle. Voici l’extrait. Le ministère est bien pauvrement établi. Mais il n’y a pas moyen que les Torry entrent, par conséquent ceux-ci resteront. Melbourne plus puissant que jamais, tout puissant. Il ne bouge pas de Windsor. Palmerston ditto. La Reine a reçu son courrier froidement. Elle n’a pas l'air de faire attention à lui. L’entourage le trouve charmant, beau, bien élevé, du tact. Il est un peu embarrassé du peu d'accueil que lui fait la Reine. On désire en Angleterre qu’elle l’épouse on croit que cela rétablirait un peu sa réputation qui est bien ébréchée. Melbourne ne presse ni ne retarde le mariage. La vraisemblance est qu’il se fera.
J'ai fait un bout de chemin à pied hier au bois de Boulogne. J'avais besoin d’air. J’étais restée enfermé presque toute la semaine. Je ne dors pas assez. Je me tracasse l’esprit et je sais bien cependant que cela n'en vaut pas la peine. Je suis fatiguée & cependant bien contente d'être sur la place Louis XV. C’est charmant tous les jours, et tout le jour. Que vous avez bien fait de m'encourager à prendre cet appartement ! Je vais dîner chez Lord Granville.aujourd’hui. J’essayerai de le faire parler. Cela ne me réussira pas si bien cependant qu’avec le gentleman of the Press.
Vous savez que le 1er Novembre c'est-à-dire dans dix jours je me mettrai à vous rendre la vie dure. Tous les jours je vous demanderai quand vous venez. Adieu Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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294 Du Val-Richer, dimanche soir 20 oct. 1839
9 heures

J’ai eu du monde sans relâche toute la matinée. Parce que je refuse tous les dîners, on se croit obligé de venir me voir deux fois, davantage. J’aimerais mieux discuter avec vos ouvriers. Je ne tousse plus du tout. J’y aurais regret si je n’arrangeais pas déjà mon retour à peu près pour l'époque que je vous ai dite. Il continue pourtant de faire beau.
Vous trouverai-je tout-à-fait arrangée ? Ne vous ruinez pas. Je crains vos goûts de perfection bien naturels et de bien bon goût, Limitez-vous pourtant dans votre perfection. L’appartement est déjà cher pour vous. N'aggravez pas trop le mal. Pippin, vous a-t-il quittée ? Comment Felix prend-il son petit changement de condition. Avez-vous eu le courage de l’en informer ? Je doute que vous eussiez été un bon ministre d’un gouvernement représentatif. Dire oui n’est que la moitié du talent. Non est l’autre moitié. Celle-ci vous eût manqué. Vous ne savez que plaire.
Don Carlos me paraît pressé d'avoir ses passeports. Et le Roi presse de les lui donner. Les Ministres veulent attendre l’issue de l'affaire de Cabrera. Ils ont raison. D’autant plus raison que Don Carlos a donné sous main, ordre à Cabrera de continuer la guerre. Entendez-vous dire quelque chose de Thiers ?

9 heures et demie
Vous avez tout-à-fait le droit, et vous aurez raison avant de faire la partage du capital de Londres, de demander à être informée de ce que vous aurez à toucher en argent et en effets à Pétersbourg. Je ne pense pas que vous puissiez désormais exercer aucun recours légal, ni que vous fissiez bien de le tenter, même indirectement. Mais ce qui se pourra pour embarrasser et pour arracher de la mauvaise honte quelques lumières, et quelques sommes de plus, il faut le faire. J’approuve donc tout-à-fait que vous adressiez à Londres votre question. Parlez aussi à votre frère de l'oubli de vos droits sur le mobilier de Courlande. Il ne faut pas qu’il ignore tout-à-fait sa propre légèreté, ni qu’il croie qu'elle a passé inaperçue. Je suis charmé que ce coup de pierre ne soit rien. J’ai la Reine à cœur. Après les assassins, les fous. Ceux-là aussi passeront.
Adieu. Adieu. J’ai ma petite Pauline un peu indisposée. Ce n’est rien. Adieu G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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291 Paris dimanche 20 octobre 1839

Je n'ai vu hier que Bulwer le matin, & Pozzo le soir. J’ai trouvé Mad. de Boigne chez lui. Elle reste en ville jusqu'à pied et puis elle va à Pontchartain pour 3 semaines. Il ne s’est rien dit, et je n'avais rien appris le matin qui mérite de vous être rapporté. Toute la Diplomatie hier est allée à St Cloud à la suite de l'accident de la veille, la Reine ne s’est pas ressenti de ce coup. Je dois très mal. Le bruit est bien plus fort ici qu'à la Terrasse. Cette nuit j’ai entendu des soupirs sous mes fenêtres comme ils ne me sont pas adressés cela m’incommoda beaucoup. Je vais aviser à des sourderies renforcées. J'ai reçu hier une lettre de mon fils Alexandre. Il restait encore à Pétersbourg jusqu'à la décision de ses affaires de service. Il ne mande que tout le reste est terminé et que Paul partait le 5 pour Londres. Il doit y être arrivé. Je suppose qu'il va entrer en relations indirectes avec moi pour l’affaire du Capital. Voulez-vous bien me dire avant d'en faire le partage je n’ai pas le droit de demander à être informée de ce que j'aurai à toucher en argent et en effets à Pétersbourg ? Si je vous ai déjà adressé cette question, pardonnez-moi la répétition. Je n’ai pas vu Tcham depuis votre lettre. Adieu. Il fait un bien beau soleil à Paris, presque aussi joli que votre Lune du Val Richer mais venez-vous chauffer ici. Adieu. Adieu. Adieu. Dites-moi si en répondant à mon frère je dois faire mention de l'oubli dans lequel on a laissé mes droits.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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293 Paris Mardi le 22 octobre 1839

Messieurs Eymard & Châteauvieux sont à Genève. Félix n’a pas voulu mettre la livrée, en conséquence de quoi ... je le garde par dessus le marché ! Je suis sure que vous vous attendiez à ce dénouement. Peprin est parti, ce n’est pas moi qui lui ai annoncé notre séparation, Charlotte s'en est chargé, avec bien des paroles douces. Il a été bien fâché, et vraiment, c’est devenu une affaire de sentiment de part et d’autre. Et d’autres choses encore de ma part. Ma nouvelle femme de chambre est en fonction depuis deux jours. Elle ne me plaît pas encore. Charlotte me quitte après demain. Voilà du vrai chagrin. Maintenant vous savez tout je crois, excepté un valet de pied qui est bien.
J'ai été faire des emplettes hier quelques meubles encore qu'il me fallait, et je n’ai pas fini ; soyez tranquille je ne me ruinerai pas, et puis comme vous dites j'ai mes diamants. Nous n'étions que l'Ambassade hier a dîné chez Granville. Ils dînent trop tard cela me dérange. Mes nuits sont toujours mauvaises. Quand retrouverai-je du sommeil ? Il n’y a vraiment pas de nouvelles. Je n’ai pas entendu nommer Thiers. Génie me soigne beaucoup. Remerciez le je vous en prie, d'être si bon pour moi. Je me loue beaucoup aussi de M. de Valcourt. Tout votre monde vous obéit. Le temps est laid, triste, et je suis triste. J’attends le beau mois de novembre. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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295 Du Val-Richer, mardi 22 octobre 1839
7 heures

Pauline va bien. Je sors de sa chambre. Elle a parfaitement dormi. C’est un enfant prodigieusement nerveux, un petit instrument toujours tendu et qui retentit toujours. L’immobilité et le sommeil sont pour elle de vrais remèdes. Je ne sors jamais sans un serrement de cœur de la Chambre de mes filles. Il n'y a point de sécurité où il n'y a pas une mère. La mienne est excellente pour mes enfants, et de la tendresse la plus dévouée. Mais elle a 75 ans.
Votre appartement doit être en effet très bruyant. Mais vous devez pouvoir vous en défendre à force de sourdines. A côté du bruit, il y a de l’espace pour que le bruit s'y répande et s'y perde. Vous jouirez beaucoup du printemps. La verdure, le soleil et les oiseaux reviendront pour vous aux Tuileries plutôt que pour personne.
A propos de retour, les Granville sont-ils revenus ?
Il faut à présent que quelque incident survienne qui fasse faire à la question d'Orient un nouveau pas. Nous sommes tous en Occident arrivés au point où nous resterons sur cette affaire. Je ne vois pas d’où viendraient la concession et le mouvement. Le statu quo indéfini ne se peut pourtant pas. Je compte sur Méhémet. Avez-vous remarqué, dans le Constitutionnel l'humeur de Thiers sur les faveurs de Madrid pour le Maréchal, la toison la grandesse &.. ? Il va, en fait, de jalousie, sur les brisées de M. Molé. On dit que le Maréchal grogne un peu des 30 000 fr que lui coûte le brevet de la Toison. Voici ce qu’on me dit : " Thiers est ici ricanant. beaucoup, mais sans tapage. Ses amis sont très sombres. Ils sont chargés de faire quelques avances aux centres. Mais le mot d’ordre varie tous les jours. Il n’y a qu’un sentiment qui ne change pas, c’est la fureur contre Dufaure et Passy. " M. Passy a gagné quelque chose auprès du Roi. Le Roi le trouve plus intelligent que les autres sur les Affaires étrangères, et aussi plus large, un peu plus aristocratique en fait de Gouvernement. Il a consenti en effet à demander une dotation pour M. le duc de Nemours. Le Roi traitera toujours bien MM. Passy et Dufaure. Il leur sait un gré infini de ce que Thiers ne leur pardonne pas ! M. Dufaure s'affectionne beaucoup au Ministère.

10 heures
Vous m’arrivez à travers un brouillard effroyable. Vous avez le pouvoir de dissiper tous ceux du dedans. Mais ceux du dehors vous résistent. Je suis charmé que Lady Granville, soit de retour. Je reviendrai aussi. Et plus vous me presserez, plus je serai charmé de revenir. La coquetterie est indestructible. N'est-ce pas ? Adieu. Adieu. Ne vous tracassez pas. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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294. Paris, le 23 octobre 1839

Toute la diplomatie a été fort divertie hier des révélations du Thiers au sujet d’un entretien qu’aurait eu mon Empereur avec un étranger. Votre gouvernement n'en est pas fâché ; nos bons alliés non plus. Cela fera quelque bruit au palais à Pétersbourg, car le public ne sera pas les journaux qui rapportent cela. J’ai eu un long entretien hier avec Médem sur mes Affaires, et puis sur les affaires. Il m’a donné quelques conseils sur les premiers & quelques soupirs sur les secondes. J’ai eu une lettre de mon Ambassadeur. Il l'annonce pour le 10 Décembre, s'il ne survient pas d'obstacle impérial. Il se réjouit fort de me trouver à l'hôtel Talleyrand. Je suis sûre qu’après vous c'est lui qui aura le plus de plaisir à m'y voir bien établie, vraiment j'y serai bien. Mon appartement. sera arrangé pour votre arrivée, mon ménage pas encore, car pour cela il faut que je sache si j’ai ou si je n’ai pas la vaisselle.
J'ai été hier au soir chez Mad. de Boigne. J’y ai vu le chancelier, il dit qu’il faut relâcher Don Carlos.
Il me semble qu’il n’y a des nouvelles de nulle part. Lord Lansdown a été voir le prince Méternich au Johanisberg. Médem parle de M. de Brunow avec beaucoup de dédain & trouve fort naturel et assez agréable qu'il ait échoué dans sa mission, car le naufrage est sûr. Paul est arrivé à Londres je ne le sais qu’indirectement. Bunkhausen ne m’a point envoyé encore les lettres of administration quoique j'aie accompli toutes les formalités requises pour les obtenir. Je n’ai pas encore répondu à mon frère. Je ne sais pas comment faire pour me plaindre un peu et ne pas le choquer. Car Médem aussi ne comprend pas qu'on ait mis ainsi un oubli mes droits en Courlande et il croit qui c’est une grosse affaire, parce que cette terre est très riche en toute chose. Le prince Metternich n'écrit rien encore au sujet du mariage de Rodolphe Appony. Ce qui fait que la chose est parfaitement en suspens ici ; tandis qu’elle est publique à Pétersbourg. Adieu. Adieu. Je suis bien contente d’apprendre que Pauline est remise, et je suis transportée de joie en vous voyant bien résolu à revenir bientôt. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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297 Du Val-Richer Jeudi 24 Oct 1839
7 heures et demie

Je vois que vous commencez à jouir de votre entresol. Que sera-ce ce printemps ? Les journaux s'amusent à remarquer que vous avez pris l’appartement de M. de Talleyrand. Cette maison et son maître m'ont frappé en 1814, au moment de la Restauration. C’est son grand moment, le seul à vrai dire. Il y a été déployé à ce moment là, un grand savoir-faire sur de grandes choses, et avec infiniment d’aisance, de bon goût, de rapidité, de résolution. A toutes les autres époques, faveur ou disgrâce, je n’ai vu là qu’un homme d’esprit très aimable, gracieux d’un commerce doux d'une conversation agréable, et très habile à plaire, au fait, il avait de grandes habitudes, mais pas de grandeur naturelle, involontaire et permanente. Vous ne m’avez jamais bien dit comment il avait été à Londres en 1830, et qu’elle était vraiment là, sa situation.
Montrond qui est venu me voir la veille de mon départ, m'a parlé de lui une demi-heure, avec le plus singulier mélange d'affection et d'indifférence, un regret très vrai et parfaitement sec. J’aurais été touché et choqué tour à tour si Montrond pouvait me toucher et me choquer. Les journaux reviennent sans cesse sur les embarras du Roi. Guillaume à propos de son projet de mariage. Est-il vrai que ce soit devenu une affaire, et qu’il rencontre de vives résistances dans sa famille ? Je m'intéresse à ce vieux Prince entêté. S'il lui plait de finir sa vie avec une ancienne amie auprès de lui, il fera bien de mettre là aussi, son entêtement.
Je crois comme vous qu'il n'y a point de nouvelles. Il ne m'en est point venu du tout. depuis plusieurs jours. Il serait plaisant que la session s’ouvrit tout simplement, tout paisiblement ; par les seules affaires. C'est peut- être ce qui vaudrait le mieux pour tout le monde.

9 heures et demie
Si vous avez quelque moyen un peu sûr et un peu prompt d'avoir des renseignements sur le mobilier de la terre de Courlande, usez-en ; ne fût-ce que pour savoir ce qu’on a si légèrement jeté à l'eau de votre bagage. Le comte Frédéric de Pahlen est ; il encore en Courlande ? Vous auriez pu vous adresser à lui. Sérieusement je n’espère rien de cette réclamation, avec de tels agents et de tels adversaires. Mais il vaut la peine de savoir au juste ce qui en est, et qui sait peut-être dans l’intervalle, surviendra-t-il quelque moyen de succès. Je m'étonne que vous n'ayez pas reçu les letters of adm. Je crains quelque coup fourré. J’ai ri aussi du Times. Il n’y a pas de mal. Adieu. Adieu. Je me lasse de ceux là. Je vous promets de ne me lasser jamais des autres. Adieu donc. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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295. Paris jeudi 24 octobre 1839

Lord Brougham est mort. Il a été tiré en se promenant en voiture dans son parc ; les chevaux l'ont emporté et tout brisé, il a été jeté de la voiture, foulé aux pieds des chevaux & roues ensuite. C’est horrible. Voilà une des gloires de l'Angleterre qui a disparu, car bien que fou, c’était un esprit très supérieur, très universel, et vous verrez que tous les partis s’uniront en Angleterre pour le reconnaître et proclamer cela une perte nationale. Savez-vous qu'on dit que Lady Clauricarde avait pour lui un sentiment très tendre et qu’elle sera très malheureuse de cette mort ?
Thiers est venu chez moi hier, mais il ne m’a pas trouvé, j’en suis fâchée. J'ai dîné chez les Granville, il n’y avait que Montrond. Ils étaient bien troublés de la nouvelle de Brougham. J’ai pris froid hier en courant les boutiques. Décidément il y a rien de plus malsain que de se meubler. Le temps est affreux, J’ai des douleurs à la têtes, je crains un retour de ma fluxion. Adieu.
Je suis tourmentée de mille petites tracasseries, ma nouvelle femme de chambre est partie. Elle n’a pas aimé la rivalité de l'Anglaise, et comme celle ci me plait extrêmement je n’ai pas hésité à me séparer de l'autre. Je cherche donc de nouveaux et cette pauvre Charlotte est malade du chagrin de tous ces retards. Je vous conte toutes mes peines. Adieu. Adieu.
Midi Bulwer me fait dire dans ce moment que Brougham n’est pas mort. Je ne conçois pas cette étrange mystification. Le duc de Bedford est mort. On accuse M. d'Orsay de la fausse nouvelle sur Brougham. J'ai reçu la réponse de Burkham. Les lettres of administration sont entre ses mains pour être remises à mon fondé de pouvoir quand je le désignerai.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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299 Du Val Richer Samedi 26 oct. 1839 7 heures et demie

Je répète ce que nous avons dit souvent ; quand on approche du terme la route devient assommante ; quand on est près de se revoir on ne prend plus de plaisir à s’écrire. Il ne s’est rien passé depuis que nous nous sommes quittés. J’ai des milliers de choses à vous dire, et l’insuffisance des lettres me choque plus que jamais. Il fait très beau et très froid ce matin. J’ai été me promener hier sur ma nouvelle route par laquelle je m'en irai, et qui va être achevée enfin. Tout le monde dit qu’elle a été faite avec une rapidité inouïe. Il est vrai qu'on l’a commencée, l’année dernière. Pour moi, il me semble qu’on y travaille depuis un temps infini, et qu’elle s’est fait attendre outre mesure. C’est qu’on m'en a et que j'en ai beaucoup parlé. La parole allonge et use extrêmement les choses. C’est ce qui fait que, de nos jours, tant des gens sont blasés en un clin d’œil, ou même d'avance. On parle trop. Au fait, ma route sera fort jolie.
Je suis charmé que Lord Brougham ne soit pas mort. Je lui ai enfin répondu il y a huit jours. Lady Clauricard me revient beaucoup. Est-ce depuis le mariage du marquis de Dauro, ou auparavant ? Vous avez peut-être vu dans les journaux l'histoire de cette comédie de Mad. de Girardin, qui a été reçue à l'unanimité par les comédiens dont l’autorité hésite à permettre la représentation, et qui excite beaucoup de curiosité me dit-on. C’est une vengeance de femme. Elle s’appelle l’Ecole des Journalistes. C'est l'histoire du Mariage de Thiers et de toute sa vie politique et privée. M. Duchâtel paraît décidé à ne pas permettre et il a raison. Mais ces Girardins ont bec et ongles. Ils feront du bruit.
L'ouverture de la session pour le 16 ou le 20 décembre. On voudrait bien avoir quelque chose de plus à dire sur l'Orient. On espère un peu que d'orient même, il viendra quelque chose qui fera faire un pas. Au fond, je ne suis pas convaincu que le Roi soit pressé. Il aime assez à avoir sur les bras, un embarras dont il n’a pas peur.

9 heures et demie
Je suis bien aise que vous ayez 24 mille francs de plus. Mais j'ai peur d’une femme de chambre qui ne l'a jamais été. Comment ferez -vous cette éducation là ? Par un drôle de hasard, trois ou quatre de mes amis m’écrivent aujourd’hui même qu'ils ont vu Thiers, et leurs dires s'accordent parfaitement avec votre conversation. Je vous en parlerai demain. D'après ce qu’on me mande, l'Orient est tout à fait immobile, et on ne compte plus sûr quelque chose de nouveau avant la session. Adieu.
Si vous étiez ici, vous ne resteriez pas dans votre chambre. Il fait vraiment aujourd’hui un temps admirable pour se promener. Il y a des gens qui aiment passionnément les beaux jours d’automne, parce que ce sont les derniers. J'aime mieux les beaux jours du printemps, parce que ce sont les premiers. J’aime l'avenir, ce que j’aime encore mieux, c'est ce qui est éternel. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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296. Paris, le 25 octobre 1839
Midi

J’ai passé toute la journée dans ma chambre. Je n’ai vu personne que Thiers il est venu à 2 h. et ne m’a quittée qu’après cinq heures. Beaucoup d’Orient, presque rien que cela. Beaucoup d’esprit sur ce sujet. Ce qu’il aimerait le mieux, c’est que nous nous arrangeassions cela. Au fond c'est son vieux refrain et le refrain de beaucoup de gens ici. " Donnez-nous le Rhin, & nous vous donnerons Constantinople. " Mais il y a une petits écueil là-dedans, c’est que nous pouvons prendre Constantinople, & que nous ne pourrons ni ne voudrons donner le Rhin. Je l'ai un peu plaisante sur la coalition il a fort mal pris mes plaisanteries et a soutenu fort et ferme qu’elle avait accompli ce qu’elle s'était proposé. Tuer le ministère, que c’était beaucoup, que c’était tout, & que les gens d’esprit n’avaient pas un autre devoir. Les Turcs tous les uns après les autres, de façon à y arriver après que tout le monde sera mort. Je vous assure que je vous ai dit là tout ce qu’il a tourné et retourné pendant 3 heures. Il parle fort bien de vous, mais sans affectation, il dit qu’il est à merveille avec le roi.
J’ai eu une lettre de mon frère qui m'envoie les comptes de Brünnow. J'aurai 24 milles francs de plus que les 56 mille en tout 80 mille qui me seront remise quand je voudrai, à ce que dit mon frère. Il a jouté " Vous n'aurez plus qu’à régler la question du capital anglais Paul part pour Londres à cet effet, il a un vif désir de se réconcilier, avec vous. " (écrit comme cela.) Je voudrais voir trace de ce désir ! Ce que vous me dites de M. de Talleyrand est d'une parfaite vérité, de grandes habitudes mais pas de grandeur naturelle. Adieu.
Me voici en face d’une jolie femme de chambre, qui ne l'a jamais été mais qui a l’air si doux que je veux me résigner à toutes le gaucheries. Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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298. Du Val Richer Vendredi 25 octobre 1839 7 heures

J’ai remarqué que Médem, quand vous le consultiez ; était toujours de votre avis, entrait dans votre sens ; ce qui n'empêchait pas que, après le conseil, le moment de l'action venu, il ne fit rien pour vous. Lui avez-vous demandé de vous procurer sur la valeur du mobilier de la terre de Courlande, des renseignements un peu précis ? Il me semble qu’il le pourrait. Son père, si je ne me trompe, avait là, ou tout près, une partie de sa fortune. Je me méfie fort des gens qui disent toujours comme moi, et ma confiance comme mon estime, ont besoin qu'on me contrarie souvent.
Je suis charmé que Pahlen revienne ; pour vous d’abord, et aussi pour nos rapports avec vous ; bons ou mauvais, ils seront convenables et tranquilles. A présent que votre tentative sur Londres est manquée, je trouve qu'elle a été faite avec trop d’éclat. L’envoi de M. de Brünnow était une façon de monter à l'assaut ; il fallait emporter, la place. Tout cela du reste est de peu d’importance pour l’événement ; il sera le même. Ce sont de petites vicissitudes de situation et de petites agitations d'amour propre qu’on se donne comme passe-temps.
En fait de passe-temps, j’en ai un depuis deux jours qui m'amuse fort. Je lis ces mémoires de Mirabeau ou plutôt des Mirabeau, que je n’avais jamais fait que regarder. C’est une étrange famille, une fougue de passion, un besoin de suivre sa fantaisie et de faire sa volonté, une mon habitude d’énergie bizarre & d'emportement spirituel, transmis de génération en génération, comme une physionomie et un caractère de caste. Il faudra que vous lisiez cela. Mon libraire me les a envoyés avec d’autres livres, dont j’avais besoin. Je les rapporterai à Paris pour vous. Vos yeux continuent-ils de se trouver un peu mieux ?
Qu'arriverait-il si M. de Metternich refusait à Rodolphe Appony l'autorisation dont il a besoin. ? Irait-il de l'avant dans le mariage ? Mais cela n’arrivera pas.

10 heures

J’espère que la mort de Lord Brougham n’est en effet qu’une étrange mystification. Vous avez mille fois raison. Quand une gloire nationale disparaît, tout le pays s’en ressent et doit s'en affliger. Il a moins de soleil sur son horizon. donne. L'Angleterre sait bien cela. Aussi mérite-t-elle des gloires. Je ne me serais jamais douté du sentiment de Lady Clauricard ! Je ne mets pas, bien ces deux personnes là ensemble. Je suis charmé que vous ayez les letters of adm. Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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297 Paris, le 26 octobre 1839, Samedi.

Imaginez-vous que Brougham à forcé M. Shafto, un de ses amis résidant avec lui à le Campagne d'écrire à Londres le récit circonstancié de sa mort, pour voir l’effet que produirait cette nouvelle. Une pure plaisanterie. Concevez-vous pareille chose. Le prince Metternich a répondu. Appony épouse, et a la promesse d’un poste indépendant en attendant il sera attaché ici. Vous ai-je dit que mon frère me parle de ce mariage aussi, et se réjouit que sa fille sera auprès de moi? Cela veut dire qu'il sera ravi que je reste à Paris. Il n’a pas de termes d'improbation assez forte pour l’affaire secrète et surtout pour le cordon donné à Espartero ! Point de nouvelles de tout.
Le Roi a été enchanté de revoir Lord Granville. J’ai été encore courir les boutiques de vieux meubles hier, le soir chez Mad. Appony et puis Lady Granville. Je ne laisse entrer chez moi personne, j’ai un peu des coquetteries pour mon appartement et je ne veux pas le montrer qu’il ne soit prêt. Je ne reçois qui Bulwer & Lord Granville, & Thiers l’autre jour dans ma chambre à coucher.
On me dit que tout sera arrangé la semaine prochaine. Le tout me coûtera 30 mille francs & j'espère pas d'avantage. vous êtes fort heureux de ne pas vous trouver auprès de moi dans ce moment, je ne vous parlerais que tapissiers et ébénistes. Peut être cependant que je vous dirais autre chose aussi ! Adieu. Adieu mille fois.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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302 Du Val-Richer, mardi 29 octobre 1839
8 heures

Je me lève tard. Décidément le froid s’établit. Je fais des feux énormes, qui ne me réchauffent pas autant que le plus petit feu au coin de votre cheminée. Votre appartement sera très chaud. Sous le règne de M. de Talleyrand c'était une étuve. Mais vous êtes une Reine du Nord. Vous ouvrez les fenêtres.
Est-ce le frère de Bulwer qui vient à Paris à titre de commissaire pour les négociations commerciales ? Il me semble que toute la famille le pousse. Je n’ai pas lu un seul des romans qu’ils ont faits car ils en ont fait tous deux, si je ne me trompe. Les connaissez-vous ? L'Empereur devrait bien ne pas perdre son argent aux sottises du Capitole. Si peu qu’il en donne, elles ne le valent pas. Il y a une région où les souverains font très bien de semer l'argent ; il y fructifie. Mais trop bas, il ne sert absolument à rien. Que de pauvretés je vous dis là ! J’ai pourtant beaucoup mieux à vous dire.

10 heures
Comment ? Votre aigreur pour votre appartement avait été jusqu'à Lady Granville. Je suis ravi qu’elle soit ravie. Je veux que vous soyez très bien. Je me plais à penser que vous resterez là toujours, que je vous y soignerai toujours, que vous y mènerez une vie douce, agréable. J’arrange l’agrément de cette vie. Je cherche ce qui pourra s’y ajouter. Vous n’avez pas d’idée de l'activité de mon imagination sur les gens que j'aime. J’ai tort de dire sur les gens. Il n'y a pas de pluriel en ceci.
Les mêmes nouvelles que vous avez sur l'Impératrice, me viennent par notre gouvernement. On s'attend à une fin, très prochaine. J’ai une immense pitié pour un tel malheur, n'importe sur quelle tête.
Ma mère est décidément beaucoup mieux. C’est une affaire que de lui faire quitter la campagne où elle se plaît beaucoup, et où elle se persuade qu'elle est mieux pour sa santé parce qu'elle marche et se promène. Cependant il est déjà convenu que nous serons à Paris pour le milieu de Novembre. A présent, je prépare la fixation et l'avancement du jour. Ce que je dis là n’est guère français. Mais peu importe. Vous parlez des tracas de votre intérieur. Ce n’est rien du tout que les tracas de meubles. J’aimerai mieux avoir à arranger trente salons que trois personnes. Henriette m’aide déjà en cela. Elle est pleine de tact sur ce qui peut plaire ou déplaire, embarrasser ou faciliter. Elle a l’instinct de la conciliation.
Adieu. Adieu. Je suis au coin du feu, j’ai les doigt gelés. Mais seulement les doigts. G.
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