Guizot épistolier

François Guizot épistolier :
Les correspondances académiques, politiques et diplomatiques d’un acteur du XIXe siècle


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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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30 Boulogne Mercredi le 27 août 1845 7 heures du matin

Je pars, et je veux vous dire adieu. Je prends avec moi le révérend Groves, prêtre Anglais de Boulogne. Bulwer arrive dans ce moment mais ... des aventures. Je vous divertirai. Adieu. Adieu Mille fois adieu.

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Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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31. Rue St Florentin, jeudi 28 août 1845
3 heures

Me voici arrivée à temps pour vous le dire encore aujourd’hui. J’ai bien fait mon voyage. Mon compagnon, un brave homme. Je viens d'envoyer chez Génie demander mes lettres & sa visite. Personne de reste ne sait ma venue. Je suis un peu fatiguée & je pense à Samedi avec transport. J'espère que c'est bien samedi, après demain, le 30. Adieu. Adieu. Adieu.
Voici vos trois bonnes lettres. Merci, merci, mille fois adieu. à Sameit adieu. Ah mon Dieu ! Mon bien aimé Constantin blessé, blessé plusieurs fois. On dit pas de danger comment puis je le croire. Le Malheur me poursuit. Ah que j'ai besoin de vous. Ce cher Constantin. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Samedi 6 7bre 1845 Midi 1/2

J'arrive ; j'ai reçu votre petit mot j’ai vu Génie qui vous a embarqué. J’attends le télégraphe, & quelques visites, & un cache nez brun ou bleu foncé, s'il existe.
Vous oubliez hier en faisant le programme de la marche à dîner qu'Aberdeen doit passer devant vous. Vous faites en France les honneurs au ministre Anglais. Je suis furieuse qu'on pense à toutes petites choses, les bagatelles importantes. Je me tourmente de Constantin.
4 heures, voilà le télégraphe et pas un moment de plus à vous donner. Pas de cache nez trouvable. Beaucoup de monde, Mallkan entre autres devant témoins demandant de vos nouvelles avec beaucoup de sollicitude. Adieu. Adieu mille fois.
Soignez bien votre rhume, c’est à dire envoyez le promener. Prenez garde de l’air de la mer, n’allez pas en bateau à la rencontre. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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3 Château d’Eu Lundi 8 sept. 1845
7 heures du matin

La Reine est signalée. On entrevoit sa petite flottille. Je viens de faire, en toute hâte, une toilette un peu incomplète. J’ai été plus expéditif que le Roi. Je sors de chez lui. Il lui faut encore vingt-minutes. Nous partons immédiatement pour le Tréport. Le temps est superbe et la mer parfaitement calme. Nous serons de retour, ici, je pense vers 10 heures. Nous avons fait hier en mer, à la découverte, une charmante promenade de deux heures. Pas la moindre apparence d'indisposition.
Toute la famille royale était là, même le comte de Paris et le petit Philippe de Wurtemberg. Sauf les personnes indisponibles. Madame la Duchesse de Cobourg, qui vit encore chez elle et Madame la duchesse d’Aumale qui a l’air encore plus fatiguée d'attendre son mari que ses couches. Le soir pas grand chose ; un peu de dépenaillement général ; on allait et venait du salon, dans la galerie Victoria qu'on arrangeait, encore. Pas assez de candélabres. Les lampes pas encore arrivées de Paris. Des impatiences Royales. Des serviteurs empressés et embarrassés sans inquiétude. Il y a de la bonté et de la confiance dans la bonté. Je suis rentré chez moi, et me suis couché à 10 heures. J’ai très bien dormi. Je sors avec ma grosse redingote et mon cache-nez blanc. Il fait frais. Mon rhume va bien. C’est-à-dire moi non pas lui.

Une heure
Je cause avec Lord Aberdeen depuis onze heures un quart. Je suis content. Je crois qu'il l’est aussi. La principale question, l’Espagnole coulée à fond, à sa complète satisfaction. Le Roi l’a abordée sur le champ avec lui, à bord du Victoria-Albert. Plus l’ombre d’un nuage sur ce point. Tahiti et ce qu'on appelle les armements, restent nos deux embarras. Embarras des deux côtés, embarras très ennuyeux. Rien de plus. Il supporte moins bien les embarras que moi. J'ai établi très nettement ce que je pouvais et ce que je ne pouvais pas. Je vous répète que je suis content. Amical au dernier point. Et le Prince Albert beaucoup.
Charmante arrivée. Le temps encore plus beau qu’il y a deux ans. Arrivée au Tréport marée basse. Il a fallu monter dans de petites voitures, pour atteindre le canot royal à travers les sables et les galets. Une demi-heure en canot pour atteindre, le Victoria-Albert. Autant à bord, pour approcher du rivage. Nous sommes descendus dans le canot du Roi, le Roi, la Reine, le Prince Albert, le Prince de Joinville, le Prince de Cobourg et moi. Puis les petites voitures pour atteindre la terre ferme. La Reine gaie comme un entant. Excellent accueil de la population, moins nombreuse qu’il y a deux ans. Presque point de préparatifs : a friendly call between neighbours. Arrivée au château par le grand parc nouveau défilé des troupes dans la Cour. La Reine comme chez elle, reconnaissant les lieux, approuvant les changements. Grand, grand succès de la Galerie Victoria. Les tableaux de quatre jours sauvés par l’intention. On s’est promis qu’ils seraient beaux quand ils seraient faits.
A déjeuner le Prince Albert donnant le bras à la Reine. le Prince de Salerne de l'autre côté. La Princesse de Salerne à la gauche du Roi. Moi à côté de la Duchesse d’Aumale.
J’ai fait vos compliments à Lady Canning, pour elle et pour son mari. Après le déjeuner, établissement dans la galerie Victoria. On s’est écouté successivement. Nous sommes restés seuls, Lord Aberdeen et moi causant toujours. Je viens de l’installer chez lui. A 2 heures, promenade. Tout le monde y va. Ce soir, à 8 heures spectacle. La petite pièce est Le nouveau seigneur. On commence par là. Demain, grande promenade et luncheon dans la forêt, à la Ste Adelaïde. La Reine part entre 4 et 5 heures. Adieu. Adieu.
Il n’y a pas moyen de continuer. L’estafette part. Adieu. G. P.S. Soyez assez bonne pour donner à Génie quelque chose de ces détails.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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3 Beauséjour Lundi le 8 7bre 1845
Onze heures

Merci, merci de vos deux lettres 1 & 2. Je vous imite, celle-ci porte le N°3. Je crois la reine arrivée et vous dans le full time of conversation. J’espère que vous ressortirez de là aussi content que vous l'avez été il y a deux ans.
J’ai eu hier une très longue conversation avec Kisseleff. Le maître n’est pas changé. Caractère, opinion, tout est resté de même. Seulement de plus en plus inaccessible à tout conseil. Personne ne rêve plus à en donner. Vraisemblance qu’il ira de la mer noire en Sicile. Je pense qu'il verra le Sultan un moment. Evénement ! J’ai été chez les Appony le soir ; assez mauvaise humeur mais qu'on cache.

Paris 1 heure. Je suis ici pour un moment. Je viens de voir Vérity. Il me trouve mieux qu'à Londres. Mais ce sera tout. Pas la moindre nouvelle à vous donner. Le plus beau temps du monde. et moi adieu adieu. Voilà tout et toujours.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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4 Château d'Eu Lundi 8 Sept. 1845
5 heures et demie

Au lieu du char à bancs royal et de la forêt, deux heures et demie de promenade à pied, dans le parc, tête-à-tête avec Lord Aberdeen. Très, très bonne promenade, affectueuse, confiante et sensée. Toute utilité à part, j’y ai pris un vrai plaisir. Lui aussi j’en suis sûr. La politique ainsi faite est grande et douce. Il y a plus ; elle semble facile. Ce n'est pas vrai. Les difficultés des choses se replacent bien vite, entre les bons sentiments des hommes. Et les hommes se séparent bientôt. N'importe ; il est impossible que de telles conversations, il ne reste pas beaucoup. Il y a des paroles qui tombent au fond des cœurs, s’y endorment, et se réveillent infailliblement quand le moment arrive où elles sont bonnes à entendre une seconde fois. Nous avons parlé de tout. Nous recommencerons un peu demain ; mais pas avec la liberté et le loisir d’aujourd’hui.
Les arrangements de demain sont un peu changés. A dix heures le déjeuné. A onze heures et demie promenade dans la forêt. pas très loin, et pas de luncheon. On revient à 3 heures dîner à 4, à 5 et demie départ pour le Tréport où la Reine s'embarquera pour être à l’île de Wight Mercredi matin. Et moi je m'embarquerai jeudi avant 7 heures pour être à Beauséjour avant 7 heures du soir. Adieu. Adieu. Je vais m'habiller pour le dîner.

Mardi, 9 sept. 8 heures et demie. Dîner encore à côté de la Duchesse d’Aumale ; Lady Canning à ma droite. Elle a du good sense, de la dignité et de la bonne grâce, mais peu de mouvement et de fécondité dans l’esprit. Lord Aberdeen, à la gauche de la Reine. On le traite très bien et on a très raison. Le spectacle commence trop tard et fini trop tard. Très jolie salle ; sous une immense tente, fort bien ornée et point froide ; au milieu du parc. Le nouveau seigneur a fait rire la Reine. Richard l’a fait pleurer. Nous n'avons ri ni pleuré. Aberdeen, et moi. Nous aurions mieux aimé causer encore.
Je lui demandais hier comment il avait trouvé le Prince des Metternich. Il m’a répété ce qu’il vous a dit, en ajoutant : " Mais vous vous n’avez pas le droit dire que le Prince de Metternich est baissé, car en nous séparant au dernier moment, comme je lui ai dit que j'allais probablement vous voir, il m'a répondu : " Je voudrais bien en faire autant ; il y a bien longtemps qu'on n'a vu en France un tel ministre. "
Je n'étais dans mon lit qu’à une heure moins un quart. Rien n’est changé, pour aujourd’hui aux dispositions d’hier. Voilà votre N°3. Je suis charmé que Verity soit de retour, et qu’il vous trouve mieux qu'à Londres. Nous prendrons les soins qu’il faudra prendre. Je ne fermerai ma lettre qu'entre 3 et 4 heures, en revenant de la promenade, car je crois qu’aujourd’hui il convient d’y aller. Adieu. Adieu jusqu'à 3 heures. Onze heures Je sors de déjeuner. J'envoie une estafette à Génie. Vous aurez ma lettre ce soir. Adieu. Adieu. G.
Pas ce soir. C’est presque impossible. Vous vous couchez de trop bonne heure. Mais demain matin.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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4. Beauséjour Mardi le 9 septembre 1845
Onze heures

Votre lettre d’hier est charmante ful of interesting topics. Je vous vois arriver demain soir ou jeudi de bonne heure dans la journée. C'est là ce qu’il y aura de plus charmant dans ce voyage comme le temps est gracieux pour le roi !
Madame Appony, un Esterhazy cousin, Fleichman, & Mad. Rothschild, voilà ce que j'ai vu dans la journée hier à Anvers la reine d'Angleterre a encore éte maussade ; elle n’est charmante qu'a Cobourg et à Eu. On me dit que Génie est malade. Je vais voir à Paris si je peux le voir pour lui communiquer ce qu’il y a de montrable dans votre lettre, au fond tout pourvu que je n’explique pas l’adieu.
Me voilà en ville, j'ai vu Génie convalescent, je lui ai donné à lire votre lettre dont il a été charmé. No news.

Beauséjour again à 2 heures. Pas plus de nouvelles ici que là. Vous voilà dans la forêt à déjeuner. Derniere conversation avec Aberdeen. J’espère que vous vous séparez contents. Vos filles me disent que c’est jeudi que vous arrivez pour dîner. Ceci est donc probablement ma dernière lettre ; si on vous écrit encore. Je vous écrirai adieu, adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park Mercredi 2 août 1848
Midi

J’ai eu votre lettre à 10 heures en sortant de la prière. Je m'afflige, mais je [ne] me plains pas de sa tristesse. Ni Montaigne, ni Pascal, ni La Bruyère, ni personne n'a dit la moitié de ce qu’il y a à dire sur les contradictions et les incohérences dont notre cœur est plein. Les livres sont toujours, si au-dessous des personnes, et les paroles des réalités. J'en reviens à ce que je vous disais hier matin ; si nous nous étions toujours tout dit, si nous nous disions toujours tout, nous éviterions bien des chagrins, et nous supporterions bien mieux, ceux que nous n'éviterions pas. Voulez-vous que nous essayions une fois de nous dire tout ? Cela se peut-il ? J’ai fait mon voyage sans accident. Sauf un peu de pluie qui pénétrait dans les glaces mal jointes des voitures de seconde classe du railway. Car je me suis mis dans une voiture de seconde, classe très passable d'ailleurs. J’ai trouvé que plus d’une livre, pour cinq personnes était une économie à faire. M. Hallam et sa fille qui venaient par le même train se sont un peu étonnés. Mais c’est un étonnement qui ne me nuit pas. Je suis ici dans une bonne et grande maison de Country gentleman. Sir John est parfaitement content de deux choses, de sa maison et de me la montrer. Orgueilleux d'être anglais. Orgueilleux de descendre d’un Français. Des souvenirs de France étalés avec une complaisance affectueuse au milieu des conforts d'Angleterre. Et au bout de la pièce d’eau qui orne le parc, un pavillon portant mon nom. Whig, et whig plus vif que je ne croyais, il me pardonne tout puisque je lui fais le plaisir d'être son cousin. Mais il veut me réconcilier avec Lord Palmerston. Il m’en a dit hier tout le bien imaginable.
Vous avez raison ; l'Angleterre est heureuse. Tout lui tourne bien. Mais elle a droit d'être heureuse, car elle se conduit bien. Je ne connais pas de justice plus complète que celle de Dieu envers l’Angleterre à propos de l'Irlande en ce moment. L'Angleterre fait honnêtement sensément, courageusement depuis 30 ans, tout ce qu'elle peut pour soulager les maux de l'Irlande, les maux qu’elle lui a faits depuis 300 ans. Elle n'y réussit guères. L'Irlande reste pour elle, un fardeau énorme, une plaie hideuse. Et en même temps que l’ancien crime est puis le bon vouloir actuel est récompensé. L'Irlande ne vient pas à bout de devenir, pour l'Angleterre un danger. La bêtise irlandaise vient en aide à l'impuissance de la sagesse anglaise. Le volcan gronde toujours et n'éclate jamais. Il faudra un temps immense à l'Angleterre bien intentionnée pour guérir le mal et se guérir elle-même du mal de l'Irlande. Mais elle y réussira, si elle en a le temps, et j'espère que Dieu le lui donnera, car elle le mérite. Plus je regarde cette société-ci, plus je lui porte d'estime, et lui veux de bien. Il y a dans la maison., M. Hallam, son fils et sa fille, un dean d'Ely et sa femme. On attend demain l’évêque de Norwich, et je ne sais combien de Stanley. Nous étions déjà 21 ce matin à déjeuner. J’écris à lord Fritz-William pour décliner son invitation. J'attends impatiemment des nouvelles d'Italie. Il est clair qu'entre Autrichiens et Piémontais la mêlée est vive, et qu'aux dernières nouvelles il n’y avait point de vainqueur. Je ne connais rien de plus ridicule que cet immense bruit que font partout les Italiens, laissant d'ailleurs le Roi de Sardaigne à peu près seul aux prises avec l’Autriche. Et si le vieux gouvernement Autrichien avait eu la moitié de l’énergie de son vieux maréchal Radetzky, il aurait certainement réprimé un mouvement si superficiel quoique si général. Je doute beaucoup que Cavaignac ait inventé et suive, dans cette affaire italienne la bonne politique que vous faisiez si bien l'autre jour. Adieu. Adieu. La poste part d’ici à 3 heures, après le luncheon, on ira se promener. Il ne pleut pas. Le pays n’est pas joli. Mais au dessus de beaucoup de navets, il y a beaucoup d'arbres. C’est bien Wymondham. Adieu. Adieu. On n'a pas encore ici le Times de ce matin. Tenez moi bien au courant de votre santé. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham-Park, Samedi, 5 août 1848
8 heures

J’ai eu hier une pénible alerte. Pauline est tombée de cheval. Ce n’est rien. Point d’évanouissement, point de mal de tête. Quelques écorchures et un peu d’ébranlement. Elle n’et pas en peur et s’est relevée sur le champ elle-même. Elle a dormi. Elle est bien. Je compte tout-à-fait que dans deux ou trois jours, il n’y paraîtra plus. Pourtant le long voyage d'Ecosse me préoccupe pour elle. Je suis bien près d'y renoncer. Il faut que je leur fasse prendre des bains de mer sans aller si loin.
Je n'aurai point de journaux français ce matin. Ils vont me chercher à St Andrews. Et peut-être point de lettre de vous, ce qui me déplait beaucoup plus. Car vos lettres tristes me manquent autant que vos lettres contentes.
Plus je pense à la France, plus je trouve que la situation s’aggrave, et s’aggrave sans s'abréger. Charles Albert ne se tirera pas d'affaire tout seul. Si la France ne l’en tire pas, c’est la république en Italie. Si la France l’en tire, c’est la guerre en Europe. Et dans l’une ou l’autre hypothèse, il n’y aura point de résolution assez nette, point d'action assez forte pour en finir réellement et vite. Les hommes sont devenus timides sans cesser d'être fous. On n'avancera pas. On ne tombera pas. On chancèlera, Dieu sait combien de temps, tantôt du bon tantôt du mauvais côté.

Midi
Merci de votre lettre. Je ne l’espérais guère. Vous vous trompez dans vos conjectures, sur mes réticences. Je n’avais aucun projet, même vague, de rester ici plus de trois jours. Je n’y ai consenti que parce que j’ai abrégé de six à huit jours le séjour en Ecosse. Mais vous avez raison, dans vos calculs. Le voyage d’Ecosse serait plus cher que je ne pensais. J'y renonce décidément. Et mes enfants font leur sacrifice de bonne grâce, Dieu leur en saura plus de gré qu'à moi. Et ce sera justice. On me dit qu’il y a ici près sur la côté du Norfolk d'assez bons bains de mer. On me donnera des renseignements dans la matinée. Je vous écrirai demain avec détails. Je n'ose me promettre, de ceci, le retour immédiat et définitif à Brompton. Il me faut, des bains de mer. Mais, en tout cas, plus de grande distance, et l'absence bien moins longue. Et j'espère aussi quelque interruption à l'absence. Vous ne recevrez pas ceci avec plus de plaisir que je ne vous l'écris. Quoique les lettres tristes me manquent autant, les lettres contentes me plaisent davantage. Vous qui me reprochez de ne dire non qu'à vous, vous ne savez pas ce qu’il m'en coute de ne pas vous dire toujours oui.
Charles Albert dictateur, et M. Rossi premier ministre du Pape ! Car il acceptera si le Pape insiste. Vous dites vrai ; le monde est drôle. Mon optimisme est mis à de rudes épreuves. Pourtant je persiste à espérer. Attendons. On attend toujours en ce monde.
J'envoie votre lettre à Duchâtel qui est à Edimbourg ou à Portobello. Quand j'aurai mes renseignements sur les bains de mer d’ici, j'écrirai à St Andrews et à Lord Aberdeen pour leur donner congé. Adieu. Adieu. Il pleut beaucoup. Adieu. G.

4 heures
Je rouvre ma lettre. Je suis très contrariée pour vous. La poste ne part pas d’ici aujourd’hui parce qu’on ne distribuerait pas les lettres à Londres demain dimanche. Vous comprendrez pourquoi vous n’avez pas de lettre. Adieu, à demain. Dimanche 6 août, une heure. Je reviens du sermon. Il faut être correct ici. D'autant que mes hôtes sont affectueux et contents de m'avoir outre mesure. Trés bonnes gens et très bon échantillon de la country gentleman life. Ne soyez pas malade, même en peinture. Il y a des bains de mer à 24 milles d’ici à Cromer, et à 18 milles, à Leicester, près d’Yarmouth. Sir John m'y mène demain avec ses chevaux. J'y choisirai un appartement. On dit qu’il y a un assez bon hôtel. Et puis j'y mènerai mes filles. Pauline est bien. Quoiqu'ayant encore besoin de deux jours de repos. J’ai le cœur bien léger de ne plus aller si loin de vous. J’écris à Glasgow, à Edimbourg, à St Andrews et à Haddo. Pour ravoir mes lettres et faire mes excuses. Et à Brompton pour qu'on m'envoie ici et à Cromer mes journaux. Ils me manquent beaucoup. Votre lettre de ce matin, me met au courant. Si Cavaignac garde Goudchaux avant- un mois, il s’appuiera sur les Communistes. Adieu. Adieu.
Pauvre Aggy ! Le départ du Roi de Würtanberg me frappe. Plus d’un Roi l’imitera. Le dégoût est dans ces rangs là. Par fatigue, par mollesse, par esprit de doute et d’égoïsme. Les grands descendent et les petits ne montent pas. Adieu. Adieu, Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 5 août 1848, Samedi
2 heures

Quand une idée qui me plait s'empare de moi, je la prends pour un fait, & je la travaille. J’ai donc travaillé cette nuit. Et j'ai découvert qu’il ne vous fallait qu’un prétexte pour revenir du Norfolk ici et abandonner le reste de votre voyage. Voulez-vous que ce soit moi, très malade ? Et bien, je serai très malade. Et aussi longtemps qu’il vous plaira. Je n’ai vu personne. Je ne sais donc rien, mais vraiment les journaux donnent assez. Seulement ment je crois que vous n’avez pas les j. français & ce serait dommage. Le National décidément contre l’intervention. Le Constitutionnel aussi certainement elle ne se fera pas mais probable ment médiation menée de la France & l'Angleterre. Le discours de Thiers mercredi a fait beaucoup d’effet. Sa dispute avec Gouchaux semble être un événement. L’Assemblée nationale divisée & la rue de Poitiers en dissidence éclatante avec le Gouvernement. Il me serait très difficile de retrouver dans ma mémoire ce que m’a dit Ellice. Je m'étais hâté de vous l'écrire, et puis je l'ai dismissed de ma tête comme inutile. Le compte-rendu est à Glasgow post office. Aggy va très mal c’est probablement l’hydropisie. Tout cela rend peu probable que les Ellice restent à Brighton qu’elle meure ou qu’elle traine on partira de là. Vous ai-je dit que Bulwer est parti subitement pour Paris pour empêcher sa belle Espagnole d’arriver ? Il veut décidément le mariage. Entre ici et demain, je verrai probablement lord John. J'attends votre lettre d’hier. La voici. Merci, merci. Intéressante curieuse. Vous avez bien de l’esprit et du good sense, que j'aime au moins autant que l’esprit. D’après votre nouvel arrangement de voyage, je pense que je vous écrirai encore demain à Norfolk. Et depuis lundi à Edimbourg ! & depuis Mercredi à St Andrews. Est-ce comme cela ? à moins que ce ne soit Brompton. Hélène me mande que le choléra décroit. Pendant sa durée, l’amant avait perdu sa vertu ou au moins sa force diminue de moitié. N’est-ce pas curieux ? Les savants sont très occupés de cela. L'Empereur toujours inquiet de sa fille. Elle résolue à ne pas abandonner son mari. Le père ? approuve, admire, & pleure. Le Roi de W. est parti, son fils est régent. L’abdication s’en suivra. Adieu. Adieu. Pas un mot de plus de nouvelles.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Ketteringham Park. Mardi 8 août 1848
Onze heures

J’ai cinq minutes. Je vais rejoindre à Norwich le train du chemin de fer qui va à Yarmouth. C’est à Yarmouth que mes enfants prendront quelques bains de mer. Le médecin sort d’ici. Il trouve Pauline pas mal, c’est-à-dire point de vrai mal, mais encore assez ébranlée. Il veut encore deux ou trois jours de repos. Puis quelques bains à Yarmouth, près d’ici, à peine un voyage. Les habitants de Ketteringham viendront nous y voir. A part la raison de santé, je vous dirai mes raisons pour aller à Yarmouth, près d’ici. Vous les trouverez bonnes. Je vous quitte. L’heure du train me presse. Merci de votre longue et bonne lettre qui vient de m’arriver. Je vous écrirai demain à mon aise. Adieu. Adieu. G.

Une heure On m’a fait observer que tout bien calculé, je n’arriverai probablement pas à Norwich à temps pour le train d’Yarmouth. Je n’irai donc que demain matin. Je vais là choisir un logement. Je reviendrai ici, et nous irons à Portsmouth à la fin de la semaine. Toujours pour trop longtemps mais pas pour longtemps. Le médecin n'a point d’inquiétude pour Pauline, mais elle a été [shaked] in her whole frame. Je ne lui ai pas refusé une promenade à cheval par ce qu’il y a beaucoup monté. Soyez tranquille ; je n’y monterai point. Guillaume monte très bien.
Je ne crois plus à l’intervention en Italie. On n'en veut évidemment pas plus à Paris qu'à Londres. L’Autriche cédera sur la Lombardie. On forcera les Italiens de céder sur la Vénétie. Et le Roi Charles Albert battu aura son royaume comme, s'il l’avait conquis. Quoique peu en train de rire, je ne puis m'empêcher de rire de la république ; elle copie, timidement ce qui s’est passé après 1830. La Lombardie sera la contrepartie de la Belgique. On règlera cette question là, comme l'autre, de concert entre Paris et Londres. Mais sans mettre le pied au delà des Alpes. Il faut dire de la République ce qu’on a dit de je ne sais plus qui : " ce qu’elle fait de nouveau n’est pas bon, ce qu’elle fait de bon n'est pas nouveau. "
Je compatis fort au chagrin de l'Empereur sur sa fille Olga. Mais elle a raison. Quelle honte au Roi de Wurtemberg ! Pis que le Roi de Bavière. Je suis humilié de la conduite des Rois comme si j’étais un Roi. J’ai mon Journal des Débats. On est fort en trais de refaire un autre parti conservateur. Et celui-là enterrera un jour la République. Chaque crise révolutionnaire en France fait monter au gouvernement une nouvelle couche de la société, prise plus bas. Et celle-là est à son tour forcée de devenir conservatrice, tant bien que mal. Je ne vois pas comment on s'y prendrait pour descendre plus bas que le suffrage universel. J’ai écrit à Lord Aberdeen. J’aurai demain ou après-demain tout ce qui m'a été envoyé à St Andrews. Ecrivez-moi encore ici, Adieu, Adieu. Quel plaisir quand nous nous retrouverons. Mais que de choses nous nous serions dites que nous ne retrouverons pas ! Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond 8 août 1848, Mardi
Midi

Mon fils a longtemps causé hier avec Tallenay. Celui-ci lui a dit qu’il n'y avait un jusqu’ici que de la conversation avec Palmerston. Le désir de s’entendre, le désir comme d’éviter la guerre, & d’offrir la médiation commune que cependant les prétentions de l’Autriche étaient telles qu'il était fort douteux qu'on puisse les présenter, & que lui Tallenay ne croyait pas du tout à la réussite ni de l’entente ni de la médiation. Et il y croyait moins encore depuis l’article du National que je vous ai envoyé hier, & qu’il regarde comme officiel. Tallenay ayant appris que Marast devait le remplacer a fait comprendre à Paris qu'il ne le souffrirait pas. Que s'étant chargé de les représenter dans un moment où ils n’avaient rien d’honorable & de convenable à envoyer, ni il était en droit d’attendre des égards. Qu'il concevait que lorsque les relations seront établies régulièrement on tient à avoir ici une bonne politique considérable. Mais que c’était lui qui devait rester jusqu'à ce moment, c.a.d. lui faire reconnaître la république. Il a ajouté que d’après ses lettres de Paris, on se conformerait à cela. Montebello a vu des lettres de Paris. Flocon a dit que dans 6 mois personne ne voudrait plus de la République. Cause perdue. Vous voyez comme l’Assemblée nationale s'échauffe. Le rapport sur l’enquête a fait un grand effet. Beaucoup de lettres menaçantes anonymes. Enfin cela va devenir gros. La déclaration de Palmerston hier au Parlement est quelque chose. Cela prouve le travail commencé. Mais il me parait impossible qu’après de si éclatants succès l’Autriche se contente de ce qu’elle demandait lorsqu'elle était en mauvaise situation d’un autre côté comment la France pourrait-elle faire moins qu'assurer la Lombardie à l'union italienne. Ici l’opinion sera un peu combattu. Mais en toute justice peut-on imposer à l’Autriche des sacrifices quand c’est elle qui a été attaquée, chassée, & que c’est elle qui triomphe ! Quel dédale. Et puis Francfort ! Et puis Berlin. ¨Pas d’hommage le 6. Ainsi un commencement de résistance à la volonté de Francfort. Que de choses à nous dire, que de raisonnements à perte de vues ! Comme vous êtes loin ! J’attends votre lettre ; je n'ai rien à vous dire de nouveau que ce qui précède. Ma santé est comme vous l'avez laissée. Je crois que mon fils part demain. Adieu. Adieu. Voici le National. Curieuse.

3 heures. Voici votre lettre. Vous me paraissez être in a perplexing state cela m'inquiète aussi. Vous serez probablement très mal à Cromer sans aucune ressource. Pourquoi ne pas revenir ? La mer du nord est la moins bonne pour les bains de mer. S'il les faut absolument allez donc les chercher sur la côte méridionale. St Leonard, Hastings, Weymouth, si vous ne voulez pas de Brighton. Encore plus chaud. Mieux civilisés. Enfin je ne trouve pas qu’il y ait beaucoup de good sens dans tous vos projets. Pardonnez-moi de croire que si je m’en mêlais cela serait mieux. La presse a reparu hier, je l’ai reçu, pas lu encore. Les Débats se moquent très joliment d’un nouveau journal de l’Etat qu’on veut mettre au monde.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft, Vendredi 25 août 1848

Dans huit jours, je serai en route pour Brompton. Gardez vos doigts. Je serais bien fâché de ne pas les retrouver. Voici ma journée d’hier à Yarmouth. En arrivant deux heures trois quarts à l'Eglise, service, et sermon du matin. Puis deux heures dans le hall de l’hôtel de ville ; luncheon toasts et speeches terminés par un toast pour moi et un speech de moi. Grandissime succès. Mérité. J'ai dit pourquoi j'étais venu à Yarmouth ayant refusé d'aller ailleurs. Pour finir une heure trois quarts à l’Eglise, service et sermon du soir.Très beau sermon de l’évêque d'Oxford. Lord Aberdeen a raison de l'appeler un grand prédicateur. Je suis revenu à Lowestoft par un orage effroyable, pluie, éclairs, tonnerre grêle. Je me porte très bien ce matin. Il fait très beau.
Je tiens qu’Aberdeen a choisi son moment pour la publication de sa lettre dans la Revue rétrospective et dans le Times, et j’en souris, mais je ne lui en veux pas. Je suis fort accoutumé, à ce que les hommes, même les meilleurs, même mes meilleurs amis s’inquiètent peu de me découvrir pour se couvrir et soient plus prudents pour leur compte que braves pour le mien. Dans cette occasion-ci d'ailleurs, je vous le répète cela m'importe peu, car cela ne me nuit point en France et guères ici. Le bien que l’article du Times, fait à Lord Aberdeen me convient plus que ne me contrarie mon petit déplaisir en le lisant.
Hier en lisant les Débats, je valais mieux que vous. J’ai pris plaisir aux explications du gouvernement Cavaignac sur l'Italie. Ma première impression est de me réjouir quand je rencontre un peu de bon goût et de dignité & dans le gouvernement de mon pays. Soyez tranquille ; il n’y en a pas assez pour les faire vivre. Je ne connais pas le Général Le Flô. Je ne me rappelais pas même son nom. Voici le secret des dispositions de l'Europe envers la République, chez vous comme ici. On ne se soucie pas qu’elle ait un accès de folie guerrière dût-elle en mourir. Ce serait un grand tracas, et quelque danger. On ne craint pas son influence en Europe tant qu’elle ne sera folle que chez elle. Elle penche assez dans ce sens, et on l’amadoue pour l'y maintenir. Cela lui donnera peut-être quelques jours de plus, et dans ces jours, quelques bons moments. Pas davantage je crois. Je crois que si Lord Palmerston pouvait être sûr que la République en vivant, restera ce qu'elle est, cela lui conviendrait assez. Il ne craindrait plus la rivalité de la France. Heureusement il ne dépend pas de lui d’arranger ainsi les choses. Je vous ai envoyé tout ce que j'ai de Paris.
Nous allons causer indéfiniment, n'est-ce pas ? J’ai découvert que je pouvais aller à Richmond plus vite, par Putney. L'omnibus de Londres à Putney passe devant ma porte, et à Putney je prendrai le chemin de fer. Je gagnerai certainement trois-quarts d'heure sur la route. Adieu. Adieu.
Je voudrais croire au mieux d'Aggy. Je suis aussi enclin à l'inquiétude dans la vie privée qu'à l’espérance dans la vie publique. J'ai devancé vos prescriptions quant aux promenades même sur la côte. On m’avait proposé une partie sur un beau life-boat qu'on lance aujourd’hui. J’ai refusé. Adieu. Adieu.
De demain en huit. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Lowestoft Jeudi 31 août 1848
9 heures

Voici la dernière. Few words. Je supprime tous ces raisonnements par lesquels, on essaie de se persuader qu'on cause. Le temps est superbe.
J'attends Sir John Boileau et sa femme qui viennent me faire une visite d'Adieu. J’en ferai moi-même trois ou quatre dans la ville, car c'est une jolie petite ville, très propre et très sereine. Je ne veux pas dire gaie. Rien n'est gai en Angleterre, mais il y a beaucoup de sérénité. J’ai fait connaissance à Ketteringham-Park, avec l'existence d’un country gentleman. Ici, avec celle d’un clergyman, un M. Cunningham excellent homme qui ne sait qu'inventer pour me témoigner son amitié. Tout cela fait une société bien réglée, et j’espère bien solide. Je leur ai dit à Yarmouth, en finissant: « Keep your faith, keep yours lands, be faithful to the example, to the traditions ef your ancestors aud I trust god will continue to pour on your conntry, his host, his most abundant, his most fertilising blessings " Most enthousiastick cheers and Vivas, Guizot.
Adieu. Adieu. Je ne fermerai ma lettre qu'après avoir reçu la vôtre. Mais je ne suppose pas qu'elle me donne grand'chose à ajouter. Adieu. Adieu.

2 heures
J’irai samedi par Putney, et j’y serai à 4 heures et demie. Toujours un peu dans la dépendance des omnibus qui passent à Pelham Crescent. Mais en tous cas, j’irai par Putney. Quel dommage de n'avoir pas été ensemble hier 30 ! En Angleterre ! Nous causerons samedi de la médiation de l’appartement et de la loge. Adieu, Adieu. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 1er Septembre 1848 Jeudi
3 heures.

Et moi aussi je ne sais rien dire, aujourd’hui que nous sommes si près de demain. à demain donc à Putney bridge ; intra s'il pleut, extra, s'il ne pleut pas. Je suis bien contente de voir ce beau temps pour votre voyage. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Drayton manor, Samedi 18 Nov. 1848
9 heures

Je me lève avant 7 heures, pour avoir le temps de vous écrire quelques lignes. La poste est mal arrangée ici : elle part tout à l'heure, à 7 heures et demie puis ce soir à 7 heures. Si je ne vous écrivais pas ce matin, vous n'auriez de mes nouvelles que lundi soir. Je suis partisan de la sainteté du dimanche ; mais je voudrais bien que, là aussi, la sainteté se contentât de la religion, et n'eût pas besoin de la superstition.
Long voyage pour vous. Je l'ai pensé vingt fois, en route. Nous ne sommes arrivés à Farnworth qu'à 7 heures un quart, et à Drayton que quelques minutes avant 3 heures. Sir Robert avait pensé à tout. Son fils m'attendait à Tamworth, et lui devant la poste du Chateau. Beau, grand château, neuf, confortable bien plein. Une belle galerie, et une belle bibliothèque en bas. Une autre belle galerie en haut, que je n’ai pas encore vue. Propriétaire content qui a tout bâti lui-même, et qui en jouit et en fait jouir avec une complaisance contenue son prédécesseur ici était le comte de Leicester, le favori d'Elisabeth. Il a fait abattre la maison du Comte de Leicester. J’ai un bon appartement bed room et dressing room, bien pourvu de tout, et chaud. J'ai assez bien dormi. Nous nous sommes couchés tard, à minuit. Rien que mes deux Collègues, Lord et Lady Mahon, Sir Robert. Lady Peel et trois enfants, deux fils et une fille. Jarnac devait venir. Il est tombé malade avant hier. Lord Aberdeen n'a pas pu venir sitôt. Il viendra du monde aujourd’hui ; hier soir, conversation purement littéraire et historique. Nous parlerons d'autre chose aujourd’hui.
Adieu. Adieu. J’espère bien que j'aurai une lettre aujourd’hui. Nous sommes trop loin. Je répartirai Lundi, à 9 heures, pour être à Londres à 2 heures. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond lundi le 7 août 1848
11 heures

J'ai été hier à Holland house. J'y ai rencontré assez de monde. Voici le butin. La France et l'Angleterre travaillent en commun à une médiation entre l’Autriche et Charles Albert. La France fera appuyer cela par une démonstration militaire, mais la guerre non. Ce qui préoccupe le plus la France & tout autant l'Angleterre, c'est l’Allemagne. Ni l'une et l’autre ne veulent de l'unité allemande. Surtout par lord Palmerston. Partout il prêche la réaction, & la fomente avec la même ardeur qu'il mettait à prêcher la révolution. Le mouvement en France est très vif, mais le Roi & le gouvernement comprennent. Quels insensés ! On ne sait pas comment se sera passée la journée d’hier. L’hommage. Peut être y aura-t-on renoncé. Le sentiment public à Hanovre mauvais. Le roi avait été soutenu d’abord chez lui, mais depuis comme aucun souverain ne l’a invité, on a perdu courage et on l’abandonne. On blâme beaucoup la fuite du Roi de Wurtemberg. Lui aussi est allé se divertir & se reposer avec une actrice. la grande Duchesse Olga dans le mouvement ! Est-il possible ? Kielmansegg affirme. Bunsen n’aura pas les Affaires étrangères à Francfort Mais il sera probablement nommé Ambassadeur du [?] ici. Et ici on est très décidé à ne pas reconnaitre la nouvelle Allemagne. En général à ajourner le plus possible toutes les reconnaissances. Etrange situation négocier avec des gens qu'on ne reconnait pas. Conclure des conversations peut être, avec la France & n’avoir aucune relation officielle. On dit qu'on pousse à la république à Vienne pour se ménager les droits d'aller y rétablir la monarchie à la tête de l'armée, alors seulement l'Empereur y rentrera. Far fetehd plan. Les bruits de Paris sont que Cavaignac ne tiendra pas longtemps. Après lui [Lamartine] & Thiers. Après ceux là Changarnier ramenant la Monarchie. L’échec de Goudchaux faisait du bruit, mais on ne dit pas cependant qu'il se retire. Toutes fois c’est le Ministre du dictateur battu. Parmi les choses que m’a dit Ellice j’ai oublié je crois de citer que c’est décidément Marast qui sera envoyé à Londres, si le National règne encore quand on nommera un ambassadeur.

2 heures
Je suis contente, mais seulement à demi contente. L'Ecosse à bas, bon. Mais pourquoi les bannir de ceux en Norfolk, et pourquoi pas près d'ici sur la côte méridionale. Je ne comprends pas. Je vous adresse toujours ici chez M. Boileau. Il faudra me dire où [?] & quand je dois changer d’adresse. Je vous plains de n’avoir pas vos journaux. Vous voyez que toute cette invention de voyage était mauvaise j'espère que l’accident de Pauline n’aura point de suite. Comment n’avez vous pas su dire non quand elle vous a demandé de la laisser monter à cheval ? Sachez bien qu’il n’y a pas un cheval bien dressé en Angleterre, de même qu'il n’y a pas un garçon ni une jeune fille qui ne soit très bon Cavalier. Et bien, excepté Guillaume je crois tout le reste du ménage très peu exercé. Melle Chabaud, je ne sais pas, peut-être, mettez-la à cheval. Je vous conjure donc de n’y pas monter. Sachez donc une fois m’accorder ce que je vous demande. Je m'en vais me mettre à penser à votre Cromer dont je n'ai jamais entendu parler. Je compte que vous vous y amusiez bien, que vous aurez soif de causerie. Enfin, c’est certainement mieux que l’Ecosse. Mais ce n’est pas si bien que vous auriez pu faire. J'ouvre mes journaux. Le National de Samedi ne m’est pas arrivé. je découpe le leading article du journal de hier dimanche. J'ai souligné, ce qui me parait Capital. On laisse à l’Autriche. la Vénétie. Adieu. Adieu. J’ai le cœur plus léger depuis qu’il n’y a plus d’Ecosse. Je voudrais l’avoir content . Cela viendra, quand vous viendrez. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Bedford Hôtel Brighton Dimanche le 29 octobre 1848

Je commence Brighton bien mal. Votre lettre n’est pas venue. Pourquoi ? Vous êtes maladroit en expéditions de lettres. Sans doute trop tard à la poste, car je ne veux admettre, ni maladie, ni oubli, ni paresse. Je vous en prie, ne me faites pas de ces mauvais tours. Vous savez que tout de suite je m'inquiète. Quel temps hier, quel voyage ! Pas même Gale, personne. Avec la multitude d'amis et d’obligés, je manque toujours d’obligeants, tandis que tout le monde en trouve. J'ai eu bien peur, j’ai eu bien froid. Je trouve ici une tempête, de la tristesse, de la solitude, un joli salon mais petit comme une cage avec des courants d'air de tous côtés. Je ne sais comment je pourrai y tenir. La bonne Marion est venue deux fois me recréer la vue & me réjouir le cœur. Aggy va décidément mieux. J'irai la voir aujourd’hui, si la tempête me permet de sortir. Vous ne m'avez pas donné votre adresse pour Cambridge.
Voici Brougham amusant. Hier pas un mot de politique et je n’y ai pas pensé ; savez vous que cela repose. Et que cette continuelle agitation, excitation est très malsaine. Je ne m’agiterai tout le jour, aujourd’hui, que de votre silence, mais c’est bien pire que la politique. Je serai en rhumatisme, en choléra, cependant tout cela n’aurait pas empêché un bout de lettres, et je crois que je resterai encore un peu plus fâchée qu'inquiète.
Le Constitutionnel raconte le discours de Louis Bonaparte. Sans commentaire. La Prusse appuie cette candidature à défaut de Lamartine qu’il regarde comme impossible faute de votants. Je découpe ce qu’il dit sur Thiers ; et que je trouve très bien.
Adieu, Cambridge est loin, bien loin de Brighton. Je voudrais être à vendredi pour vous tenir plus prés. N’allez pas trop manger ou boire dans ce ménage anglais. Dites-moi votre adresse, je crains que vous ne l'ayez pas fait, de sorte que demain j'adresserai ma lettre tout bonnement à Cambridge. Envoyez la chercher à la poste. Adieu. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Brompton. Vendredi, 5 Janv. 1849

Je n’ai que le temps de vous dire que je suis arrivé. Je trouve en arrivant une foule de petites affaires pressées, toutes relatives à la publication de ma brochure. Elle paraîtra à Paris le mardi 9. Il faut qu'elle paraisse ici le même jour. Je n’ai pas une heure à perdre. Point d’accident. Peu froid. Pensant à vous. Achevez de guérir vos yeux. Je m’en suis allé bien malgré moi. Dites je vous prie à Lord Aberdeen combien je le regrette. Je compte que nous nous retrouverons à Brighton, non pas la semaine prochaine, mais dans la suivante. Rien dans mes lettres de Paris. J'extrairai demain le peu qu’il y a. On ne me parle que de mes affaires personnelles. Un seul fait est évident : tout le monde pense et dit que Louis Bonaparte n'est pas une solution. Ce n’est- pas encore ça. Adieu.. Adieu. A demain. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Je suis arrivé hier soir. Je repars ce matin. Que ne vous ai-je pour nous promener au bord de la mer à St Léonard. Mais cette course, si rapide vous fatiguerait. J'espère avoir de vos nouvelles ce soir. Adieu. Adieu.
A demain. Je n’ai pas encore mes journaux. Adieu. G. Samedi matin 7 Juillet 1849

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond jeudi 19 juillet 1849

Votre petit mot de chez Duchâtel m’a fait du bien. Je l'ai reçu chez lord Beauvale où je dînais. Je me suis mieux tenue que je ne l’avais espéré, et les convives m'ont épargné les phrases banales. Brougham a été très aimable. Ellice un peu endormi. Beauvale mange & ne dit pas un mot, il est charmé qu'on l’amuse et qu’on le laisse tranquille. Grand égoïste. Lord Aberdeen est resté longtemps chez moi avant dîner. Il est très décidé à venir à Paris en 9bre et s'en réjouit tout-à-fait, il vous aime tendrement. Il ne s’attend pas à la majorité demain, mais il voudrait une minorité très respectable.
Ellenborough ne vient pas. Il est malade à la campagne, il a écrit à Lord Brougham ( qui me l’a montré) une lettre très sage très sensée sur la discussion de demain. Lord Aberdeen de son côté a fait part à Lord Brougham de votre recommandation de ne rien dire qui peut gêner les mouvements de la diplomatie française en Italie, & Brougham m’a paru très résolu à observer cette recommandation. Nous verrons car c'est une créature si mobile. Il a vivement regretté de n’avoir pas su le jour de votre départ, il aurait beaucoup désiré causer avec vous avant le débat. Lady Palmerston lui a écrit deux autres lettres, bien aigres & bien inquiètes, il raconte cela fort drôlement.
Je ne suis pas contente de moi. Le malaise continue. Il faut que ce soit dans l'air, car Dieu sait que je me ménage. Le temps est froid. Le vent a soufflé cette nuit. Vous concevez que je n’ai pas dormi, je vous voyais malade en mer.

Midi.
Vous voilà donc en France ! Que c'est loin de moi. Je suis charmée de connaître le Val Richer. Je saurai où vous chercher. Vous aurez un grand plaisir à vous retrouver là, à retrouver vos arbres, votre pelouse, Vos sentiers. Tout cela reposera votre âme. Vous avez là tout le contentement intérieur, de la famille, de la propriété. Je vous manquerai c'est vrai, et je crois que je vous manquerai beaucoup, mais vous avez mille plaisirs que je n’ai pas. Et certes dans cette séparation je suis plus à plaindre que vous. Vous le sentez. Je voudrais me mieux porter et j'y prendrai de la peine, pour vous faire plaisir.
La Reine ayant décidé qu’elle ne viendrait plus à Londres, a reçu hier l’ambassadeur de France à Osborne. Simple présentation, après quoi il est revenu à Londres avec lord Palmerston. La reine a gardé quelques ministres à dîner, elle avait tenu conseil. Elle ne prorogera pas le parlement en personne. Son départ pour l’Irlande est fixé au 2 ou 3 août. Hier encore il m’a été dit de bien bonne source qu’elle est plus que jamais mécontente de Lord Palmerston et qu’elle le lui montre. Adieu. Adieu, mille fois. J’espère une lettre du Havre Samedi. Adieu encore & toujours.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Le Havre. Jeudi 19 Juillet 1849
4 heures

Je suis arrivé à 9 heures et demie, par une grosse mer, dans un bateau anglais. J’ai oublié de vous dire cela hier. Je ne pensais qu’au plaisir que m’avait fait votre lettre. J’ai été bien malade, mais de ce mal qui passe en débarquant. Mes enfants plus malades et plus fatigués que moi. J’ai trouvé sur le port le duc de Broglie, MM. Piscatory, Plichon, Herbet, Mallac, Léon Pillet, et assez de foule. Pas un mot agréable, ni désagréable. Des regards curieux ; beaucoup de chapeaux levés. De la déférence dans l’indifférence. Il reste assez de personnes devant l'hôtel de l’Amirauté où je suis logé. Leur attitude me convient. J’ai déjeuné à 11 heures, c’est-à-dire, je n’ai pas déjeuné. Je n'avais pas faim du tout. Je viens de passer quatre heures avec le duc de Broglie et Piscatory. Ils repartent pour Paris par le chemin de fer. Je vais reprendre ces autres messieurs avec qui je dinerai. Nous coucherons ici. Demain à 7 heures, nous passerons du Havre à Honfleur, et je serai entre midi et une heure au Val Richer. Je vous écrirai de là avec détail.
Conversation curieuse le matin. Au fond très rassurante pour l’ordre matériel. La prorogation de l’Assemblée, du 17 août à je ne sais quel jour d'octobre, sera votée, plutôt parce que les Montagnards n'en veulent pas que parce que tous les modérés en sont d'accord. Le Ministère ne sera certainement pas renversé avant la prorogation. Peut-être après. J’ai relu bien des fois votre lettre d’hier. Même malade. Grande preuve du plaisir qu’elle m’a fait car c'est un mal bien déplaisant. Adieu. Adieu. Ces messieurs sont là, qui m’attendent. Je leur dois d'être poli pour eux. Adieu. Adieu, mauvais jour aujourd’hui. Je compte trouve une lettre demain en arrivant. Adieu encore. Adieu toujours. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 20 Juillet 1849
2 heures

J'arrive. Point de lettre de Richmond. Ce n’est pas encore une inquiétude ; mais c’est un mécompte. Je suis sûr que le retard n’est pas de votre fait. Quelque curieux probablement. On me dit qu’il faut prendre garde au nouveau directeur de la poste de Lisieux. Je n'y prendrai point garde. On lira mes lettres si on veut. On y trouvera peut-être quelque amusement, peut-être même quelque profit. On n’y trouvera rien que je sois bien fâché qu’on ait lu. Si j’avais quelque chose à vous dire que je tinsse vraiment à cacher, je saurais bien vous le faire arriver autrement que par la poste. Faites comme moi. Ne nous gênons pas en nous écrivant. Nous n'avons aucune raison pour nous gêner, et nous avons assez d’esprit pour nous ingénier, si nous en avions besoin. Les gens d’esprit sont toujours infiniment plus francs et plus cachés que ne croient les sots.
J’ai passé ce matin du Havre à Honfleur, par une mer encore grosse. J’ai trouvé à Honfleur la calèche qui m’attendait, et je suis venu ici en quatre heures à travers la pluie sans cesse traversée par le soleil.
Ma maison et mon jardin sont en bon état, comme si j’en étais sorti hier. Des fleurs dans le salon, et dans la bibliothèque ; mes journaux sur mon bureau, les allées nettoyées les parquets frottés. Cela m’a plu et déplu. Tant de choses m'ont rempli l'âme depuis que je ne suis venu ici ; je ne puis me figurer qu’elles n'aient laissé ici aucune trace. Et puis cette tranquillité tout autour de moi, cette non interruption du passé et de ses habitudes, cela me plaît, et même me touche, car je le dois aux soins affectueux de deux ou trois personnes, amis ou serviteurs, qui ont pris plaisir à tout conserver ou remettre en ordre, et qui m’attendaient à la porte. J’ai rencontré beaucoup d'affection en ma vie ; je voudrais en être assez reconnaissant.
Je me suis vanté trop tôt hier en vous disant que je n’avais rencontré dans l’accueil du Havre rien d’agréable, ni de désagréable, de la déférence dans l’indifférence. Cela a un peu changé deux heures aprés. Cinquante ou soixante gamins se sont réunis sous les fenêtres de l’auberge où je dînais, et se sont mis à crier : « à bas Guizot ! » et à siffler. Cinquante à soixante curieux ou plutôt. curieuses se sont attroupés autour d’eux. Pas l’ombre de colère ni de menace ; une curiosité mécontente de ce que je ne paraissais pas entendre les cris, et une petite démonstration malveillante organisée par le journal rouge de la ville qui l’avait annoncée le matin en annonçant mon arrivée. J'ai dîné tranquillement au bruit de ce concert, et je suis descendu dans la rue pour monter dans la voiture qui devait me reconduire à l’auberge où je couchais. J’ai trouvé autour de la voiture une douzaine de gentlemen qui en écartant les gamins, l’un m’a dit d’un très bon air : " M. Guizot, nous serions désolés que vous prissiez ce tapage pour le sentiment de la population de notre ville ; ce sont des polissons ameutés par quelques coquins. Non seulement nous vous respectons tous ; mais nous sommes charmés de vous voir de retour et nous espérons bien vous revoir bientôt où vous devez être. " Et ses compagnons m’ont tous serré la main. Les gamins étaient là, et se taisaient. Je suis rentré chez moi, et une demi-heure après, j’y ai vu arriver ce Monsieur qui parlait bien avec cinq autres, qui venaient me renouveler leur excuses pour la rue et leurs déclarations pour eux-mêmes. L’un était le colonel de la garde nationale du Havre, l'autre le capitaine des sapeurs pompiers, deux commissaires de police de la ville et deux négociants. C'était une petite représentation de l'état du pays, les polissons aux prises avec les honnêtes gens, les vestes avec les habits. Et moi entr’eux. Cela n’avait pas la moindre gravité en soi, beaucoup comme symptôme. Rien n’est changé et je ne suis point oublié. Ce matin, sur le bateau du Havre à Honfleur, les gentlemen étaient en grande majorité et m'ont fait fête. On parlait du tapage d’hier soir. J’ai dit que j’avais trouvé au Havre des gamins et des amis. Quelqu’un m’a dit : " C'est comme partout, Monsieur ; mais soyez sûr que les amis dominaient. " A Honfleur, première ville du Calvados, plus de partage ; on est venu me voir dans le salon de l’auberge où je me suis arrêté un quart d’heure, et on a crié : " Vive Guizot ! " dans la rue quand je suis monté en voiture. Ce pays-ci est bien animé, et bien prompt à saisir les occasions de le montrer. Je n’en suis que plus décidé à rester bien tranquille chez moi. Il n’y a absolument rien de bon à faire, et ma position est bonne pour attendre.
J’ai eu au Havre d’autres visites encore Poggenpoll et Tolstoy. Poggenpol est la première personne qui soit entrée chez moi et avec un empressement, un air de plaisir à me revoir que je n'avais pas droit d'attendre. Tolstoy est venu le soir ; il était là pendant la visite des gentlemen amis. Il se trouve très bien à Ingouville, et compte y rester jusqu'à la fin de novembre. Très affectueux et vraiment très bon. Ses enfants sont à merveille. Je lui ai donné vos nouvelles de Pétersbourg et de Hongrie. A demain quelque chose de mes conversations avec les visiteurs de Paris.

Samedi 21, 9 heures
J’ai très bien dormi. J'en avais besoin. Mes bois et mes près sont vraiment bien jolis. Que n'êtes-vous là ? Je viens de relire encore votre lettre de mercredi, si tendre. Je compte bien en avoir une ce matin qui vaudra peut-être celle de Mercredi, mais pas mieux.
Je reviens aux visiteurs de Paris. Les deux principaux décidément très favorables au Président. On ne dit rien de l'avenir. Personne n'en peut rien prévoir, et n'y peut rien faire aujourd'hui. Pour le présent, et pour un présent indéfini, le président est à la fois unique et bon, seul possible pour l’ordre et vraiment dévoué à l’ordre. Point faiseur, point vain, silencieux, autant par bon sens que par peu d’invention et d'abondance d’esprit, entêté, fidèle, très courageux, ayant foi en sa cause et en son droit étranger en France, un vrai Prince Allemand. Partout les honnêtes gens se rallient à lui, et prennent confiance en lui. Mais ils n'en ont pas plus de confiance dans l'ensemble des choses et dans le régime actuel. Régime impossible et qui empêche qu'aucune prospérité, aucune sécurité, aucun crédit, aucun avenir ne recommence. Rien ne recommence en effet. En toutes choses chaque jour, on fait tout juste le nécessaire. Une société ne vit pas de cela. Il faut sortir de cet état. Quand ? Comment ? Le probable aux yeux de la raison, c'est qu’on ira comme on est jusqu'aux approches, des deux élections de l'Assemblée et du Président, et qu'alors on prendra son parti, un parti inconnu, plutôt que de subir une nouvelle épreuve du suffrage universel. Mais ce n'est pas là le probable en fait. Les choses vont plus vite dans le pays-ci. La souffrance, l’impatience et la défiance sont trop grandes. Il arrivera quelque incident qui déterminera quelque acte décisif. Peut-être une prolongation pour dix ans de la présidence, et une refonte de la constitution. Deux choses seulement peuvent être à peu près affirmées ; que la phase actuelle, la phase présidentielle n’est pas près de finir, et qu’elle ne restera pas comme elle est aujourd’hui. Ceci vous conviendra assez ; ce n'est pas bien loin de votre prévoyance, en voyant de loin.
L'impression générale de mes visiteurs surtout du Duc de Broglie toujours très sombre. Moins sombre pourtant au fond de son âme que dans ses paroles. Je reviendrai sur les détails, et sur les autres dires. J’ai trois ou quatre lettres d'affaires à écrire et le facteur qui va arriver ne m'attendra pas tout le jour, si je veux, comme jadis. Cependant il est convenu qu'il attendra une heure chez moi. Cela me suffit. Adieu. Adieu.
Je vous dirai encore un mot, quand j'aurai votre lettre.

Dix heures et demie Voilà votre lettre de jeudi bien bonne, bien douce. Mais, pour Dieu, ne soyez pas malade. C’est à quoi je pense sans cesse. A vous toujours, à vous souffrante, beaucoup trop souvent. Adieu. Adieu. A demain, hélas, seulement pour vous écrire. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 12 Sept. 1849 3 heures

Je pars demain à onze heures pour Broglie, après l’arrivée de la poste qui ne m’apportera rien de vous. Je vous ai dit de m'écrire là hier. J’aurais pu retarder d'un cour. Je compte bien trouver votre lettre-là, en arrivant à quatre heures.
Voici de longs extraits d’une lettre de Piscatory qui m’arrive ce matin. Je vous l’enverrais si vous aviez des yeux pour lire cette infernale écriture. " On vient de me demander, et je viens de refuser d’aller à Berlin. Je ne suis pas de ceux qui couvrent avec de la dignité et de la fidélité, la nonchalance et la crainte de la responsabilité. Mais ce qu’il y a à faire à Berlin, quoique considérable, ne me plait pas, et ne me semble pas avoir une chance suffisante de succès. Aux yeux du public, Berlin est un poste, non pas une affaire actuelle et déterminée. Le choix et l'acceptation ne s'appliqueraient pas. Cependant je passerai par là dessus, si je croyais que le Roi de Prusse et les sujets, jacobins et caporaux, pussent être détournés de la voie dans laquelle ils sont engagés et où Palmerston les entraine. Mais je crois qu’on aura beau faire les derniers efforts pour les retirer ; en échouera. Alors la mission se borne à une observation plus ou moins intelligente. On a mieux à observer à Paris qu'à Berlin. Pour vous prouver que ce n’est pas la peur qui m'arrête, je vous avouerai que si on m'offrait Rome, j'aurais bien de la peine à m'empêcher de courir cette très chanceuse. aventure. " Viennent des détails sur la lettre du Président. Moins précis que ceux que je vous ai donnés : " Barrot explique la lettre en disant que c’est l’épanchement d’un jeune Prince qui cause avec un serviteur fidèle. Qu’il vienne dire cela à la tribune, et les plus modérés des républicains jetteront de beaux cris ... En lisant dans le Moniteur le démenti donné par Falloux à la note communiquée à la Patrie, j'ai cru le Cabinet détraqué ; mais on me dit ce soir que Falloux reste. Je ne sais si on viendra à bout d’apaiser tout cela ; mais certainement, quand l'Assemblée reviendra, l'affaire reprendra sa valeur pour désunir le majorité. Evidemment Dufaure l'emporte ; la lettre est à son profit et sur les consuls généraux il a eu influence. " Raisonnements pour établir que cela est inévitable, et qu’il faut lisser, M. Dufaure tranquille. " Nous devons, travailler à remonter le courant en nageant à côté du bateau, et non pas en ramant dans le bateau. Et d'abord est-il bien sûr que nous soyons décidés à ramer ? Thiers y répugne beaucoup. M. Molé n'a qu’une envie de femme grosse, ou plutôt il a appétit parce qu’il prévoit le moment où il n'aura plus de dents pour manger. " Les gros bonnets ainsi écartés, vient une question. " Peut-être est-il vrai que nous devrions avoir notre part dans le Cabinet. Je ne crois pas que cela fût difficile. Mais si les gens de mon opinion et de ma mesure y entrent un jour, je leur prédis que ce sera en victimes dévouées. " Je vous fais grâce des gémissements de la victime. Elle finit par me demander mon avis sur son sacrifice. Il doute que sa qualité de membre de la commission permanente, lui permette de venir me voir à Broglie. Je compatis fort aux embarras de l’Autriche point aux vôtres avec elle. Persistez dans votre très bonne conduite ; allez-vous en et tenez-vous tranquilles. Vous y grandirez encore, et l'Autriche délivrée de votre poids, pourra respirer et se relever. Il me semble que M. de Metternich doit regretter de ne plus gouverner son pays dans ce moment. C’est un grand moment. Sans doute il est fort dur d'avoir été sauvé ; mais c’est beaucoup d'être sauvé. Et d'ailleurs l’Autriche s'est si bien sauvée elle-même en Italie qu’elle peut le consoler de n'avoir pu en faire autant partout.
Pourquoi cherchez-vous une maison pour Lord Beauvale? Est-ce qu'il va revenir à Richmond ? J'apprends ce matin la mort d’un bon homme, l’évêque de Norwich. Rien étourdi et bruyant pour un évêque. Mais très honnête et très bon. Ami intime de mes amis les Boileau, qui en sont désolés. Je suis bien aise que Madame de Caraman vous soit bonne à quelque chose.

Jeudi onze heures
Adieu, adieu. Je pars. Je vais chercher votre lettre. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Vendredi 12 oct. 1849
huit heures

Ceci va donc vous chercher à Clarendon. Je suis allé vous y chercher il y a dix huit-mois, et neuf jours dans la voiture de Lady Allice ; deux heures après mon arrivée à Londres. Quel long espace dans notre courte vie ? Je comprends que Metternich et Wellington, ne se soient pas dit adieu sans émotion. Ils n’y sont pas fort sujets ni l’un ni l’autre, mais il n’y a point de cœur si froid qui résiste à toutes les scènes de la tragédie humaine. C’est sur eux-mêmes d'ailleurs qu’ils se sont attendris. C'est ce qui finit par arriver à ceux qui ne s'attendrissent sur personne. Il y a tant de quoi avoir pitié dans la vie ! On connait tôt ou tard ce sentiment, pour soi-même, si ce n’est pour les autres. Je suis charmé que vous soyez plus tranquille sur Constantinople. Il n’y a vraiment pas moyen de croire à cette guerre. C'est dommage que l'Empereur ait fait une telle boutade. A moins qu’il ne la retire en en tirant parti. Je suppose qu’il finira par là. Avez-vous lu la lettre de M. de Tocqueville à M. Rush à propos du Poussin de la République aux Etats-Unis ? Je l'aurais mieux aimée autre. Il y a un peu de petit épilogage pour couvrir un peu de faiblesse. Il y avait plus de dignité à convenir franchement et brièvement la grossière bêtise de l’agent qu’on venait de rappeler. Je regrette de voir un homme d’esprit et un galant homme engagé dans un mauvais service, et portant la peine. Boislecomte m’a écrit pour me demander à venir me voir. Il viendra passer ici lundi et mardi. Nous causerons. Il a précisément un esprit de conversation prompt et fécond ; des aperçus à l'infini, et en tous sens. Il ne sait pas toujours bien choisir, ni voir bien clair dans toutes les routes qu'il ouvre, son attitude est très bonne. Certainement après Février, mon régiment s’est fait et m'a fait honneur. Repassez les noms et les conduites. Broglie, père et fils, Flahaut, Dalmatie, Rossi, Bussierre, Bacourt. La Rochefoucauld Piscatory, Glücksbierg, Jarnac. Il n'y a que Rayneval qui ait faibli bien vite. J’espère que Marion viendra vous voir à Londres avant que vous n'en partiez. Est-ce qu’il n’y a vraiment pas moyen de les attirer à Paris ? Vous devriez mettre Bär Ellice dans ce complot. Mais vous ne l’avez pas sous la main. Adieu jusqu'à la poste. Je vais faire ma toilette. Adieu, adieu.

Onze heures
Vous partez donc mardi. Malgré toutes les incertitudes de l'avenir, j'en jouis et j'en jouirai comme si je comptais sur l'éternité. Adieu. Adieu. Voici le billet que je reçois de Guéterin. Il n'y a pas de mal que vous l’ayez. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer samedi 13 octobre 1849
8 heures

Vous arrivez aujourd'hui à Londres. Réglons notre avenir notre prochain avenir. Vous serez le 16 à Folkstone, le 17 à Boulogne, le 18 à Paris. Mad Austin m’arrive le 19 au Val Richer, pour traduire, mon ouvrage sous mes yeux. Il me faut 36 heures pour la mettre en train. Je ne puis partir que le dimanche 21 pour vous voir lundi 22. Je ne pourrai rester à Paris que deux jours. Il faudra que je revienne ici pour achever, mon travail et surveiller la traduction. Je comptais rester au Val Richer, jusqu'à la fin de Novembre, et quelques jours employés à une course à Paris me mettront en retard, par conséquent dans l'impossibilité d'y revenir plutôt. Si au contraire, je ne me détourne pas de mon travail, le 21 Octobre, je pourrai avancer mon retour définitif à Paris. J'y reviendrai alors décidément, le 15 ou le 16 novembre. Je prends le choix des deux jours à cause de l’incertitude des diligences où il me faut beaucoup de places. Il me semble que cela vaut mieux. Si vous étiez revenue à Paris vers le milieu de septembre, selon votre premier projet, il n’y avait pas à hésiter ; notre réunion définitive était trop loin ; j’allais vous voir sur le champ, ne fût-ce que pour deux jours. Vous ne revenez que le 18 octobre. Je puis, en ne m'interrompant pas dans mes affaires d’ici, travail et traduction, retourner définitivement à Paris, le 15 novembre. Ne vaut-il pas mieux faire cela que nous donner deux jours le 22 octobre pour retarder ensuite de quinze jours ou trois semaines notre réunion définitive ? Point de mauvais sentiment, point d'injuste méfiance, je vous en conjure. Le bonheur de vous retrouver de reprendre nos douces habitudes est ma première, ma constante pensée. Que vous y croyiez, ou que vous n'y croyiez pas absolument, que vous en jouissiez ou que vous n'en jouissiez pas parfaitement, il n’en sera pas moins vrai que vous êtes tout ce qui m'est le plus cher, et le plus nécessaire, qu'avec vous seule et auprès de vous seule je suis heureux. Je le sais, moi, je le sens ; et ni vos doutes, ni vos mauvais accès ne changeront rien ni à la réalité, ni à mon sentiment à moi. Laissez-les donc tout-à-fait, sans retour. Ayez confiance et jouissons ensemble de notre affection avec tout le bonheur que la confiance seule peut donner. Nous ne sommes que trop séparés ; trop de nécessités pèsent sur moi, et ne me laissent pas la pleine disposition de moi-même. N'y ajoutons rien dearest. Ne supposez pas que je renonce facilement à vous voir tout de suite après votre retour à Paris, que vous en êtes plus impatiente que moi. Je vous crie d’ici injustice ! Injustice ! Vous voyez ; je vais au devant des impressions qui, si j'étais près de vous me désoleraient et me charmeraient en même temps, car tout ce qui me montre votre affection me charme même votre injustice qui me désole. Mais point d'injustice ; pleine confiance. Cela est mille fois plus doux et il n’y a que cela qui ait raison. Je ne vous parle pas d’autre chose ce matin. Le beau temps est revenu, par un air presque froid. Je voudrais bien cela pour votre traversée. Et je vous voudrais bien Guéneau de Mussy. Je n’ai pas osé lui écrire pour le lui demander formellement. Il aurait été trop embarrassé à me le refuser, s'il ne l’avait pas pu. Mais je voudrais bien qu’il le pût.
Onze heures
Pas de lettre Pourquoi ? Je ne le saurai que demain. C'est bien déplaisant ; adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Richmond le 13 octobre 1849
11 heures

Mon dernier mot d'ici. Je pars pour Londres où je passerai trois jours. Mardi je pars, mais le temps est affreux. Mad. de Caraman dit qu’elle m'ac compagne. J’aurai peut-être Kolb. Pour Mussy, je n'y compte guères. Lord John est vraiment triste de me voir partir. Toujours de bonnes conversations avec lui. Je crois qu'à la longue je serais utile un peu. Mais bonjour ! Rien de nouveau. Je suis convaincue que Strattford Canning est l’auteur de tout ceci. Il pouvait empêcher l’éclat. Il me semble que John est de mon avis. Je suis très fatiguée d’arrangements, quel ennui de se déplacer quand on n’est pas une impératrice. Adieu. Adieu. d'ici. Peut-être j'ajouterai un mot de Londres.
Clarendon Hotel 4 heures Je reviens déjà de chez mon oculiste, & de chez mon banquier. Demain est inutile à Londres, il faut tout faire aujourd’hui, & j'ai beaucoup à faire. J’ai eu une bonne lettre d'Aberdeen bien sensée, je l'envoie à Lord John, c’est du bon commérage. Les deux hommes ont du gout l’un pour l’autre. Votre lettre ne me reviendra de Richmond que ce soir.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Dimanche 14 oct. 1849
8 heures

Je vous écris encore à Londres. Vous en partirez si je ne me trompe après demain, à 1 heure où à 4 heures. Plutôt à 4 heures, qui est l'express-train. Je vous écrirai demain à Boulogne. Je suppose que vous n'en répartirez pas immédiatement pour Paris, vous vous reposerez là le 17. Que je voudrais une bonne traversée ! Il fait du vent ce matin. Impuissance des vœux ! C’est un des plus amers tourments de la vie. Et pourtant il est impossible de ne pas croire à l'efficacité de le prière. Ce serait. supprimer dieu. Nous y croyons invinciblement et je crois que nous avons raison d'y ardé Mais la prière, qui peut être efficace ne l'est pas, ne peut pas l'être infailliblement. Et nous ne savons jamais si elle l'a été, car le lien nous est parfaitement inconnu entre notre prière et l'événement. C’est là le tourment. J’attendais hier des nouvelles détaillées de Paris. Elles ne sont pas venues. Rien n’est venu hier ni les nouvelles, ni votre lettre. Je ne connais rien de plus insipide que les Débats de l'Assemblée. Tout-à-fait la physionomie d'un phtisique, pâle et se trainant. Être certain que ce qu'on fait me vaut rien, et ne savoir comment s’y prendre pour faire autre chose, c'est une triste condition. Je me félicite tous les jours plus de n'être pas là. Qu’avez-vous dit de la lettre de Kossuth à Palmerston ? Je l’ai trouvée pas remarquable et l’air sincère. Elle m'a donné l'idée d’un homme plutôt médiocre, et plutôt honnête. Ce n'est le ton ni d’un homme supérieur, ni d'un révolutionnaire. Elle sera bonne en Angleterre pour Palmerston. La lettre de Mazzini à M.M. de Tocqueville et Dufaure, bien autrement révolutionnaire que celle de Kossuth, est aussi bien supérieure d’idées, et de langage. Mazzini reste un home, et un homme redoutable.

Onze heures
Voilà une lettre, mais seulement celle de jeudi. Je devrais avoir aussi celle de Vendredi. Je n'y comprends rien. Peut-être le vent. S'il est aussi fort mercredi que ce matin, ne passez pas. Attendez, malgré l’ennui. Adieu Adieu. Adieu. J’ai continument au fond du cœur, la pensée de votre retour. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Clarendon Hôtel Dimanche Le 14 octobre 1849

Longue visite hier de Collaredo. Ils me soignent beaucoup. J'avais donné quelques hints à Lord John sur les dégouts que Collaredo ressentait ici. Hier il m’a dit qu'il a donné sa démission. Il ne veut pas rester exposé à être traité comme le fait Lord Palmerston. Il est très décidé. Il passera probablement par Paris en se rendant en Italie où il passera l'hiver. J’ai vu Flahaut aussi. Morny est toujours ici, & ne sait pas du tout quand il partira. J'avais envoyé la lettre de Lord Aberdeen à John Russell. Il me l’a renvoyé avec quelques explications. L’effet de la lettre a certainement Eté bon, car l’opinion d’Aberdeen était appuyée de celle de Peel qui se trouve chez lui. Tous deux trouvent qu'on a beaucoup trop grossi l’affaire ici, & qu'a Constantinople. Canning a été dans son tort. Il y a des nouvelles de Pétersbourg. On connaissait l’événement turc, & on attendait pour ne dire son avis que Fuat Effendi soit arrivé pour expliquer & excuses, car c'est comme excuse que nous prenons son envoi. Je commence à penser aussi que cela s'arrangera.

Lundi matin le 15 octobre envoi de votre lettre. Je n’ai que deux minutes à vous donner. Hier longtemps Brunnow, C. Greville, Flahaut, Morny, & la Marquise Douglas, qui me raconte beaucoup Paris, & le président, le comte de Chambord & sa femme, avec lesquels elle et aussi intime qu’avec son cousin Louis Napoléon. Brunnow croit que cela s'arrange. Il blâme un peu Titoff & beaucoup Canning. Tenez pour certain que c’est lui qui a fait tout le mal. Morny dit qu’à Paris on est très pacifique. & que le Président l’est surtout. Voilà tout en très gros. Quel dommage pour le détail ! Le départ de Collaredo fera sensation ici, contre Palmerston. Adieu. Adieu.
Il souffle très fort & Douvres & Calais & Folkestone & Boulogne sont encombrés de gens qui ne peuvent pas passer. J'attendrai comme eux, s'il faut attendre. Adieu. Adieu, vous aurez encore un mot d'ici demain.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 15 oct. 1849

8 heures
Vous serez donc après-demain en France. Pourtant j’espère que si le vent a continué, vous aurez attendu à Folkstone. A Folkstone et non pas à Londres. Je m’arrange pour partir d’ici le 14 novembre au soir, et être à Paris, le 15 vers 10 heures. Que ce sera encore long ! Mais plus j’y pense plus je me persuade que c'est le seul parti à prendre. Une course de quatre jours me retarderait ensuite d’au moins quinze jours, Il faut absolument que je finisse, qu’on traduise que cela paraisse en même temps à Paris et à Londres. Je suis sûr qu'en restant ici, sans interruption jusqu'au 14 j’aurai fini, ou si près que je pourrai, finir sans peine à Paris pendant qu’on imprimera. J'aime mieux retarder un peu mon plaisir, et l’avoir ensuite tout entier et pour longtemps, que l’entrevoir un moment pour ne le retrouver que plus tard, et avec des ennuis d'affaires retardées. Que je voudrais que vous fussiez tout de suite de mon avis. Je crois que nous avons, devant nous une assez longue période de tranquillité à Paris. Peut-être un peu d’agitation apparente pendant quelques jours, à cause du procès de Versailles ; mais rien de Lisieux, ni seulement de bruyant. J’ai bien envie que rien ne vous tourmente à votre arrivée. Que trouverez-vous là de votre société ? Vous ne m’avez pas dit ce que devenaient les Holland, ni si vous les aviez enfin vus. Je les suppose de retour à Paris. Je regrette Thom pour vous, non pas comme fécondité, mais comme sureté de conversation. Ste Aulaire et Barante n’y seront pas, je crois, avant le mois de décembre. Faites causer Boislecomte. Vous verrez qu’il a bien de l’esprit. Et il est très honnête. Je l’attends ce matin. Adieu, adieu.
Je vous quitte pour vous écrire à Londres. Quel dommage que je ne suis pas à Boulogne pour vous y recevoir, et vous amener à Paris ! Je dois avoir deux lettres ce matin. Je n’ai eu hier que celle de Jeudi que j'aurais dû avoir samedi. J’ai vu que la poste d’Angleterre avait manqué vendredi pour tout le monde. Onze heures Une seule lettre de Vendredi, Toujours une poste en retard. Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer. Lundi 15 oct. 1849
9 heures

Je fais ce que vous désirez. Je regarde comme très possible que vous ne passiez pas après-demain, à cause du vent. Mais j’espère que vous partirez toujours demain de Londres pour Folkstone. Une fois à Folkstone, je suis bien sûr que vous passerez, vous hésitez quelques fois longtemps ; mais vous ne revenez pas en arrière. Comme j’aimerais mieux vous conduire que vous attendre. Et vous attendre encore si longtemps ! Je n’ai pas le cœur à une longue lettre qui probablement ne vous trouvera plus. Adieu. Adieu adieu, adieu. Quel sentiment éprouvez-vous en quittant. l’Angleterre ? Grand, sûr et bon pays. Adieu, adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, mardi 16 octobre 1849
8 heures

Je ne pense pas que même en essuyant aucun retard, vous puissiez être demain soir à Paris. Vous ne partirez certainement pas de Boulogne aussitôt après votre arrivée. Vous y coucherez. Mais je ne veux pas courir la moindre chance qu'en arrivant à Paris vous n'y trouviez rien de moi. C'est bien assez de n’y pas être moi-même. Boislecomte est ici jusqu’à demain soir. Nous avons déjà beaucoup causé. Très noir, mais point démoralisé. Croyant à un avenir possible, mais lointain. Vous en saurez bientôt plus que je ne puis vous en dire. Il me paraît que pour le moment. Rome n’est plus rien. Constantinople pas grand chose ; c’est l'adoption, ou le rejet, ou l'ajournement de la proposition sur les rois bannis qui est la grosse affaire. La réunion du conseil d'Etat en a été bouleversée. Je doute que la majorité reste longtemps intacte et immobile. Il faudra qu'elle avance. Et si elle avance, elle se divise. Etrange pays, où tout le monde parle sans cesse de progrès, et où personne n'en fait aucun ! Cependant j’ai une lettre de Piscatory qui croit l'affaire de Constantinople grosse. Il en est très occupé, ou plutôt préoccupé. La majorité ne paraît avoir aucun goût à s'embarquer, dans la barque de Lord Palmerston. C'est le président qui porte tout son poids de ce côté. Adieu, adieu. Quand vous m'écrirez de Paris, vous m'enverrez les faits, je vous renverrai mes réflexions. En attendant que faits et réflexions nous soient communs. Adieu, adieu, adieu.
P.S. Voici, en résumé, les deux faits. qui me sont signalés comme nouveaux et importants. 1° La France est à la remorque et à la merci de l’Angleterre dans l'affaire de Constantinople. C'est le président qui l’y a mise. Son cabinet était divisé. Molé et Thiers lui conseillaient de n'en rien faire. 2°. La majorité s’est séparée, ou est près de se séparer du Président, sur Rome, sur Constantinople et sur le rappel des bannis. Pronostics d'immense confusion. Armand Bertin était attaché à l'Ambassade de M. de Châteaubriand. Un soir en rentrant M. de Châteaubriand lui dit : " Madame de Lieven me traite bien mal. Elle ne sait pas à qui elle a affaire ni quels sont mes moyens de me venger. Certainement je me vengerai ? " Votre article d’Outretombe a été écrit alors de verve de vengeance. Il y a ajoute depuis ce qui me regarde. Je vous dis ce qu’on vient de me dire. Je ne l’ai pas lu.
Onze heures
Merci de votre second mot de Londres. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Boulogne Mercredi 17 octobre 2 heures

Me voici débarquée depuis une heure. Affreuse traversée tout le monde malade, moi compris. Je suis trop fatiguée pour poursuivre. Je n’irai à Paris que demain. Madame de Caraman & le Duc Kolb m’accompagnent tous deux très utiles. Je trouve ici de singulières nouvelles. Rupture entre le président et la majorité. A propos de Rome ! Hier matin j’ai encore vu du monde à Londres. La grande duchesse Stéphanie entre autres arrivée la nuit d’Allemagne. Elle était descendue au Clarendon. Bonne femme pas beaucoup d’esprit, et pas beaucoup princesse. La fille l’est davantage. Flahaut, Morny. Il se peut que Flahaut vienne à Paris. G. Delassort arrivé la veille. Assez noir sur son pays. Mon fils m’a établie au chemin de fer. Le raisonnement inquiétant de Brunnow est celui-ci. Quand on saura à Constantinople l'explosion dans les journaux anglais à la protection du gouvernement. Les Turcs ne deviendront insolents. Nous rappellerons notre ministre. L'Angleterre sera cause de tout ce qui peut s'en suivre. L’Empereur ne peut pas céder, on aurait pu le fléchir, mais c'est aux Turcs seuls à s’adresser à lui. En compagnie ils n'obtiendront rien.
Adieu. Adieu, je suis encore trop malade de la traversée pour savoir ce que je pense en me retrouvant en France. Je suis bewildered. Adieu. Adieu. Adieu. Voici votre lettre. Les Holland sont à Paris.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mercredi 17 octobre 1849
9 heures

Je suppose que vous voguez déjà, vers la France. Le temps est superbe. Point de vent. Grand soleil. J’espère que vous l’avez comme moi. Vous trouverez une lettre en arrivant à Boulogne. Que je suis impatient de vous savoir débarquée, seulement après-demain. Je suis bien curieux de votre impression sur Paris. Tous les gens qui ont des impressions, un peu sérieuses et vraies me disent que c’est triste. Vous y arrivez dans un moment important. On dit le président de bien mauvaise humeur. Le rapport de Thiers l’a beaucoup blessé. Je ne trouve pas que le silence absolu sur sa lettre soit habile, dans aucune hypothèse. Cela, et la question des bannis, et son attitude dans l'affaire Turque, tout en ce moment le livre à M. Dufaure, et le fait pencher vers la gauche, vous en apprendrez à Paris bien plus que je ne puis vous en dire. On me dit que M. Dufaure a reçu ces jours-ci beaucoup de rapports d’agents intelligents, étrangers à son département, envoyés çà et là par le Ministre des finances pour des inspections financières mais qui ont bien observé, l'état des prêts, l’attitude des fonctionnaires, et ils disent tous au Ministre de l’intérieur que le socialisme est partout en progrès d'une multitude de fonctionnaires le servent, et qu’il y aurait le plus grand danger à tenter de nouvelles élections par le suffrage universel. M. Dufaure écoute, regarde à les pieds, et ne répond rien. Lord John a raison de regretter vos conversations. Elles lui étaient agréables, et certainement aussi un peu bonnes. Que de choses arrivent parce que ceux qui les font n’ont jamais entendu la bonne cloche ! Notre flotte est partie peur Smyrne. L’amiral Parseval, qui la commande, est un homme sensé tranquille et honnête. Il ne dépassera pas et n'échauffera pas des instructions. Herbet m'écrit de Madrid : « L’Espagne est complètement pacifiée. Il faut maintenant qu’elle soit administrée, et ce sera peut-être plus difficile. Il est bien à regretter que le Maréchal Narvaez, n'ait pas la santé qu’il lui faudrait pour accomplir cette grande œuvre. Il est le seul qui compte en Espagne. C’est un Cardinal de Richelieu en épaulettes. J’ai une longue lettre de Barante. Il travaille sérieusement, me dit-il, à une histoire de la Convention. Il espère qu’une affaire l’appellera à Paris vers la fin de Novembre, Sans quoi, il n’y viendrait que deux mois plus tard, par économie. Les Ste Aulaire sont à Etioles. Je m'obstine à vous donner des nouvelles de Paris. La première lettre qui me viendra de vous de là, me fera bien plaisir.
Onze heures et demie
Voilà votre lettre. Si vous avez à Folkstone le même temps que nous ici, vous passerez certainement aujourd’hui. Adieu, adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 18 oct. 1849
8 heures

Vous arriverez aujourd’hui à Paris, par un temps admirable. Votre appartement sera gai, selon sa coutume. Les feuilles des Tuileries ne doivent pas être encore tout-à-fait tombées. Que Dieu protège votre retour et votre séjour ! La confusion me paraît bien grande : ce qu’il y a de faux dans la situation du Président et d’étourdi dans son caractère est près d'éclater. Je penche à croire qu'on se raccommodera. L'explosion met tout le monde en danger et ne peut profiter à personne. Mais des perspectives nouvelles se sont ouvertes. On sait que le président. et la majorité ne marcheront pas jusqu’au bout, dans la même voie, que le président peut vouloir se faire une autre majorité. Plusieurs de ses ministres actuels l'y poussent. M. de Falloux est hors d'état de rentrer dans les affaires et va en sortir définitive ment, si ce n’est déjà fait. Nous ne tarderons pas à voir du nouveau. Le séjour de Morny à Londres est bien singulier dans ce moment. Vous verrez qu'il vous informait mal sur les dispositions du Président dans l’affaire de Constantinople. Affaire qui du reste ne deviendra pas grosse, comme je l’ai pensé dès le premier jour. La démission de Collaredo me frappe. Il est difficile qu’on n'en dise pas tout haut le motif; et certainement cela ne vaut rien pour Palmerston. Mais rien n'y fera rien. Les questions du Cabinet anglais ne se décident pas par la politique étrangère. Nous nous le sommes dit cent fois, et nous l’oublions toujours. Vous serez fâchée d’apprendre en arrivant. que Brignole va à Vienne comme Ministre. Je le regrette. C’était presque le dernier débri de notre corps diplomatique. On me dit que M. de Hübner est homme d’esprit.

Midi
Mon facteur arrive, très tard. Je n'ai que le temps de vous dire, adieu et adieu. Je suis charmé que vous trouviez mes raisons bonnes et je trouve les vôtres bonnes aussi. Donc à la mi-novembre. On m'écrit que la paix est faite entre le Président et la majorité. Le Président a cédé. Il fait bien adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Vendredi 19 octobre 1849
11 heures

Vous n’apprendrez absolument que le fait de mon arrivée. Mais enfin me voilà, depuis hier à 6 heures. Kisselef m’avait attendu longtemps chez moi. Il n’avait plus pu m’attendre. Je ne le verrai aujourd’hui que tard & je n'ai pas encore vu une âme. J’ai dîné, je me suis couchée. Une mauvaise nuit. Merci, merci, de vos trois lettres. Celle de hier me manque encore. Elle viendra. J'éprouve un vif sentiment d'insécurité. Pour vos affaires d’abord, & puis les affaires Turcques, l’affaire est trop engagée à ce qu’il me semble & à ce qu’il semble à Brunnow. Je verrai ce qu’en pense Kisselef. Je ne déballe rien jusqu’à plus ample informée. Vous savez bien que je ne suis en France que jour vous. Mais la République rouge où la guerre à la Russie m'en chassent, c’est clair. Et bien sous ces deux rapports, tout me paraît bien en l’air. Mes deux compagnons de voyage ont été excellents & très utiles. Tout s’est bien fait. Seulement j'apporte un rhume abominable. J’ai trouvé une lettre de Beauvale sur mon hint à Lord John à propos de Collaredo, John a écrit droit à Vienne pour supplier qu'on le nomme ambassadeur. On me prie de tenir cela secret. Bien petit intérêt à côté de tout ce qui se passe. Je vois que Thiers s’est battu hier. Je vous dis Adieu pour le cas où je sois envahie. Vous ne savez pas tout ce que j'ai à faire ! Adieu. Adieu.
2 heures. Voici votre lettre vous n'êtes pas très rassuré non plus. Il me semble que j'ai choisi un mauvais moment, si à présent je suis obligée de m'en aller, Adieu la France pour toujours, Ah quelle tristesse ! Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Mardi 11 juin 1850
10 heures

Je fais dire à Lisieux qu'on me retienne la place de la Malle poste pour samedi soir. Je ne puis pas partir d’ici Vendredi ; j’attends quelqu'un ce jour là qui repartira samedi matin. Je serai à Paris Dimanche à 5 heures du matin. J’en partirai lundi soir pour l'Angleterre. Je tiens beaucoup à savoir quelque chose de ce qu'auront dit là les voyageurs qui doivent en revenir samedi, et de ce qu’on leur aura dit. Cela est important.
Outre mes amis, je désire voir, en passant à Paris, le duc de Noailles et Morny. Soyez assez bonne pour arranger cela. Je crois que le duc de Noailles est déjà à Maintenon. Mais Maintenon est bien près, et le chemin de fer bien prompt.
Quel plaisir de vous revoir, encore avant la grande séparation de l’été ! Que de choses à nous dire déjà ! Hélas beaucoup de celles que nous nous serions dites, si nous ne nous étions pas quittés, sont déjà perdues, et ne se retrouveront pas! Quel gaspillage que la vie ! Je regrette d’aller à St Léonard sitôt après le voyage qui précédera le mien. Cela a trop l’air d’un fait exprès et ôtera un peu de l’efficacité des paroles. Mais il n'y a pas moyen. Mes nouvelles de Londres sont aussi mauvaises que celles que vous me transmettez. Le Roi peut encore traîner, mais il peut manquer d’un moment à l'autre.
Je voudrais bien le rappel de Brünnow. Je crois tout-à-fait à ce que vous dit Ch. Greville. La froideur polie et prolongée des grandes puissances du continent est ce qu’il y a de plus efficace. Mais je doute. Palmerston se rendra. Je le crois. Pourtant je suis frappé de son long marchandage et de son effort pour gagner du temps. De là, surtout mon soupçon de ses intrigues à Athènes. Je persiste à penser que l'argent du président passa. Les légitimistes, qui ne veulent pas le consolider ne peuvent pas le faire ou le laisser tomber. Ils doivent redouter toute crise, de vue [?] d’Elysée. Pour eux, dans l'état actuel des choses, il faut que le Président reste précaire ; mais il faut qu’il dure. Et en définitive, la masse des conservateurs votera pour lui. Adieu.
Je me suis levé tard, et j'ai beaucoup à écrire ce matin. Je suis horriblement enrhumé du cerveau. J'éternue comme vous savez. Adieu, adieu. Je le dis plus gaiement que de coutume, comme si j’allais vraiment vous retrouver. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer, Jeudi 13 juin 1850
Neuf heures

Pas un mot sur la consultation de Chomel ! Voilà ce qui me déplaît de votre lettre. Est-ce que la consultation n’a pas eu lieu ? Duchâtel m'écrit que le voyage de St Léonard est pressant, et me propose de le faire avec moi. Cela me convient. Il est libre à partir de samedi, et il voudrait partir dimanche soir. Je lui réponds que j'aimerais beaucoup mieux lundi. Enfin, je serai là dimanche matin. Nous verrons. Je vous trouve en effet bien en train de lord Palmerston. Dieu vous exauce ! Certainement, si rien n’est fini lundi sa situation sera bien mauvaise. Mais il ne dépend pas de Lahitte que rien ne soit fini. Palmerston n'a qu'à tout céder.
Le discours du Président à St Quentin ne m’a point surpris, ni son succès. Il ressemble à tous ses autres discours. Bonnes intentions vagues et contradictoires. Le vrai et le faux, le pour et le contre le gentleman et le philanthrope, un peu socialiste, l’ordre et la porte entrouverte au désordre. Et c'est à cause de cela que le Président réussit souvent en parlant. L’état général des esprits lui ressemble eux aussi, ils voudraient tout cela à la fois. Changarnier a raison de ne pas faire de bruit. Voilà Emile de Girardin enfin élu. Ce sera dans l’assemblée, un ennui pour le gouvernement et quelques fois un embarras. Il prêtera souvent à la Montagne de l’esprit et de l'audace. Ce n'est nullepart ni jamais un homme indifférent.
Vous ne vous intéressez surement pas à Cuba. Moi, je suis charmé que la piraterie américaine ait échoué honteusement. Je souhaite toutes sortes de bien à l’Espagne et au général Narvaez. Adieu. J’ai tant de choses à vous dire dimanche que je ne vois rien à vous dire aujourd’hui. Je vous écrirai encore demain. Je suis seul absolument seul aujourd’hui dans le Val Richer. Pauline est partie ce matin pour Trouville avec son mari. Henriette arrive ce soir ici avec le sien. Adieu, adieu. G.


Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Je pars ce soir. Ou par la malle poste, au par la diligence, ou en poste avec ma calèche de campagne, je serai à Paris demain matin samedi, je ne sais pas bien à quelle heure précise mais certainement avant midi. Je vous verrai et je serai prêt à partir pour St Léonard demain soir ou dimanche matin, comme voudront Broglie, et Duchâtel. Je suis charmé de les emmener tous deux. Triste et nécessaire voyage. A demain donc. J’ai une foule de petites lettres et de petites affaires. Adieu. adieu.

Val-Richer Vendredi 14 Juin 1850

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Je suis arrivé à 6 heures. Je vais voir Broglie et Duchâtel qui se lèvent de meilleure heure que vous. Voulez-vous que j'aille vous voir entre midi, et une heure ? Quel plaisir ! Adieu, adieu, en attendant. G.

Samedi matin 15 juin 1850
8 heures et demie

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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St. Léonard Lundi 17 Juin 1850, 8 heures

J'ai deux minutes avant le départ de la poste. Arrivé ici hier à 11 heures et demie du soir. Cent lieues de 8 heures du matin à 11 heures du soir ; chemin de fer, mer, chemin de fer, poste- Excellente traversée. Pas une minute de mal de mer. Médiocrement de conversation, comme entre cinq. Le général Jacqueminot est venu. Je sors de mon lit et tous les autres y sont encore. Je ne sais pas encore à quelle heure nous verrons le Roi. Il ne nous attendait que ce soir. Il est un peu mieux, très animé, très causant. Hier il a causé une heure avec MM. Scribe et Halévy, discutant avec eux le plan d’un opéra de Charles VII, et leur indiquant de petits airs populaires anglais qui devraient y prendre place. Après, une heure de conversation politique avec un ancien Préfet, M. Roulleaux du Page qui était là, tout à l'heure, dans ma chambre. Il se promène un peu tous les jours. Même état au fond.
Je repartirai au plutôt mercredi soir. Le Duc de Broglie et le général Jacqueminot partiront demain mardi. Le premier a besoin d'être à Paris mercredi soir, pour la réunion du Conseil d'Etat. Adieu, Adieu. Il fait un temps superbe. Adieu. G.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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J’arrive. J'irai vous voir entre midi et une heure. Voulez-vous avertir le duc de Noailles que je suis arrivé ? Et voulez-vous me donner à dîner demain ? Je ne partirai que demain soir, à 10 heures. Imaginez que je n’ai pas reçu une ligne de vous. Je suppose que vos lettres me reviendront demain de St Léonard. Le Roi continue à aller mieux. Je ne puis rien vous dire de la santé de Lord Palmerston. Adieu. Adieu. G. Jeudi 20 juin 1850
10 heures

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Samedi 29 Juin 1850

Ce n’est pas Aix-la-Chapelle. C'est à Ems que je vais en droiture. Je voulais partir ce soir. Je remets, car il ne fait plus si chaud, et une nuit gâtée peut me fatiguer beaucoup. Ce sera demain matin ou lundi. Adressez toujours ici jusqu’à nouvel avis. Je n'ai qu’un mot de Greville qui convient que le discours de Palmerston a été superbe et qu'il a produit un prodigieux effet. Cependant il ajoute, que le fond manque, & que ce n’est pas du tout une réponse à Graham. En somme Il regarde tout ceci comme d’un effet important & dangereux pour la politique de son pays. Voyons Peel ! Aurait-il parlé ? & qu’aura-t-il dit ?
Hier la journée prise par les adieux, que suis restée toute fatiguée. J'ai reçu Duchatel qui avait passé cinq jours à la campagne. Il ne savait rien. Montebello hier a voté aussi contre la loi des Maires. Il ne dit pourquoi, je l'ai oublié... Je crois que c’était pour ne pas diviser la majorité. Le président est de bonne humeur. Il a donné à dîner aux Normanby avant hier. Mardi Lahitte les fait dîner chez lui. Hubner est parti hier soir pour Vienne. Il est venu me dire adieu très abruptement. 2 heures Ellice d’hier soir. Situation de plus en plus tendue & périlleuse. Beau discours de Gladstone & autres. Les grands n'ont pas encore pris la parole. Peel. John, Disraeli, Cobden. Bright. Le débat ira jusqu'à lundi probable ment. Les chances de bonne majorité diminuent à moins de 37 les ministres se retirent. On dit que les Peelistes font des arrangements avec les protectionnistes, pour le cas où les princes seraient appelés au pouvoir. 1ère condition. Pas de dissolution. Mon opinion est qu’on ferait un ministère mixte. Peelistes & Whigs modérés. Ou bien Protectionnistes modérés, s'il y en a et toujours les amis de Peel ! Que Wellington s'en mêlera. Nous verrons. Toujours c’est bien gros, et peut devenir bien grand. Greville m'écrivait du 27. Ellice du 28.
En sortant de chez le duc de Cambridge jeudi la reine a été frappée au visage, par un officiel en retraite avec la canne de cet officier. Elle a paru à l'opéra le soir, grand enthousiasme pour elle.
Les radicaux veulent donner un grand dîner à Palmerston à un des grands théâtres. Tout cela c'est la révolution. Il faut l’arrêter à temps, & c'est ce qui me fait croire au changement de ministère. Viel-Castel et Kisseleff chez moi ce matin de bonne heure. Mareschalchi parle aussi de déconvenue possible pour le g[ouvernement] mais il n’est pas aussi explicite & détaillé qu’Ellice. Il finit en me disant souligné I think there must be change. Adieu. Adieu. N’est-ce pas triste de partir à la veille de mon triomphe ? Mais vous voyez bien que cela entraîne trop loin ce n’est que le télégraphe de Mardi qui annoncerait le vote. Je ne partirais donc que Mercredi. Trop long. Je suis emballée. Adieu. Ecrivez toujours ici.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Paris Dimanche le 30 Juin 1850

Me voilà encore. J’étais si lasse hier que je n’ai pas pu faire mes derniers arrangements. Londres m’a troublée aussi, & le parlage chez moi. Enfin je ne suis pas partie ce matin, comme j’avais voulu le faire & ce n’est que mardi matin qui je m'embarque pour cet ennuyeux voyage. Je ne m’explique pas la majorité de 46. Pour le ministère. Le Général Lahitte m’a envoyé la dépêche télégraphique hier avant 5 heures. Très bien, rien que le chiffre. Je suis curieuse des détails. Qu’aura fait Peel ? Le coup au visage de la Reine est quelque chose dont on ne revient pas. L'histoire du monde n'offre rien de semblable. Cette brutalité révolutionnaire ! Car l'homme n'est pas fou.
Morny est venu hier, ayant l’air fâché du succès de Pal[merston]. Je lui ai dit que tout le monde l'était, moins un, le Président. Il a peu disputé. Le Prince croit que Pal[merston] est son ami, & qu'Aberdeen serait son adversaire. Comme c’est jugé faussement ! Voilà donc les pièces. Certainement la réponse de Lahitte est sèche. Drouyn de Lhuys va repartir. Il n’y a pas de motif pour ne pas retourner à Londres, & je crois que Mareschalchi est un pauvre correspondant.
Midi. Voici Ellice & lady Allice. Le premier embarrassé. Disant que c'est la guerre entre les deux chambres, & qu'au besoin Lord John pourra bien appeler à son secours les moyens révolutionnaires ou à peu près. La lettre n’a pas de valeur. Lady Allice dit, au moins voilà les partis mais, Peel, Graham, votant avec les Conservateurs & Protectionnistes. Personne ne dit si Peel a parlé. Je croirais que non. De l'aveu de mes deux correspondants, John a fait un mauvais discours. Disraeli aussi. Personne ne dit un mot du coup de canne à la figure de la Reine. J’espère avoir un mot, d’Aberdeen, Cela vient plus tard. Flahaut très Palmerstonnien, voilà ce que me dit lady Allice et ce que vous aviez dit avant elle.
2 h. Je viens de parcourir le Times bien rapidement. Peel a parlé & fortement & bien, du moins c'est ce qu'il me semble avec mes pauvres yeux. Tout cela est d'un longueur excessive. Il ressort de ce débat que les partis sont unis sur la question étrangère. C’est assez bon. Adieu. Adieu. Que vous dites vrai sur les points pas touchés ou faussement touchés par Palmerston Mais what use now ! C’est fait et j'espère que l'Angleterre aura une petite révolution. Adieu. Adieu.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, lundi 1 Juillet 1850

Voilà donc le vote. Il faut bien en prendre son parti. C’est certainement un très mauvais symptôme de l'état des esprits parmi les libéraux anglais. Les révolutions commencent par les badauds. En revanche, elles ne se font pas là où elles n'ont, au début. que 46 voix de majorité. Je suis donc fâché, mais pas inquiet pour l'Angleterre. C’est un bon résultat que l’union de toute l'opposition contre la politique étrangère de Palmerston. La Chambre des Lords et bien près de la moitié de la Chambre des communes, il n’y a pas là de quoi se vanter et si le Cabinet n’avait pas craint d'être tué, il ne se croirait pas sauvé. Profitera-t-il de la leçon ? J’en doute. Il n'en est pas moins bon qu'elle ait été donnée et j’espère que l'opposition du moins en profitera. Voilà mon résumé, après l’évènement.
Aberdeen a plus à se féliciter de ce débat que Palmerston. Je sais gré à Peel d'avoir saisi cette occasion de bien parler de moi. Son discours est très modéré envers le Cabinet, quoique très net sur la question même. Image vraie, par le bon côté de sa situation et de son caractère. Je n’écrirai point à Peel ; mais j'écrirai à Aberdeen, et je le chargerai de quelques mots obligeants pour Peel et Graham. Approuvez-vous ?
Vous partez donc demain. Il vous dîtes demain matin. J'espère que cette lettre vous arrivera avant. Vous ne me dites pas où il faut vous écrire. Sans doute à Ems, poste restante. Quel jour y arriverez-vous ? Vous me direz demain vos instructions. Adieu, adieu.
Je voudrais vous savoir, non pas partie mais arrivée. Le temps est bon aujourd’hui pour voyager. Ni pluie, ni chaleur. Adieu, Adieu G.
Vous reconnaissez donc là vérité de ce que je vous dirais de Flahaut. Vous m'en direz un jour autant d'Ellice. Et peut-être même de Beauvale.

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val Richer Mardi 2 juillet 1850

Je vous écris encore à Paris puisque vous le voulez ; mais vous serez partie quand ma lettre arrivera, puisque vous partez aujourd'hui. Je suppose que vous laissez en arrière un de vos gens qui vous l’apportera. Demain à Ems. Oui, c'est bien loin. Que cela serve au moins à votre santé.
Si les grandes puissances sur le continent et l'opposition en Angleterre gardent envers Lord Palmerston l'attitude qu'elles ont prise, son succès ne lui servira de rien. Il n’y aura même pas de mal à ce que cette situation se prolonge un peu. On verra le radicalisme de Palmerston se développer ; et on sera en état de l'arrêter si le danger devient trop grand. Mais je crains les faiblesses, les désunions, les distractions.
J’ai eu hier la visite du gendre de M. de Villèle, M. de Neuville qui a quitté pour quelques jours l'Assemblée. Il se fait un travail de décomposition dans le parti légitimiste ; les modérés et les emporté ont bien envie de ne plus rester ensemble. Les emportés prennent pour texte l'influence de Thiers sur Berryer, ce qui les remplit de méfiance. Rien ne fait faire aux partis plus de sottises que la méfiance. Ils sont connaisseurs qu'après la prorogation, dès le mois de novembre prochain, on leur proposera la prolongation des pouvoirs du Président. Je ne crois pas que Berryer et les modérés s'y prêtent. Mais les emportés craignent des désertions. L’esprit politique a bien de la peine à pénétrer dans ce monde-là. Je vais écrire à deux ou trois de mes amis pour leur recommander de m'écrire régulièrement et de me dire les nouvelles. Rien autant pour vous les envoyer que pour les avoir. Il y aura, je crois, peu de nouvelles. Nous entrons dans une période de stagnation. Vous arrêterez-vous à Bruxelles ? Je le voudrais. Adieu, adieu.
Le temps d’aujourd’hui convient pour votre voyage. Adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Bruxelles Mardi le 2 juillet 1850
8 h. du soir.

Ah quelle fatigue ! Levée à 4 h. du matin, un accident de route & arrivée ici éreintée. Avant de me coucher je veux vous dire un mot. Neumann est accouru chez moi. Il paraît que le roi ne comprendrait pas que je ne l’allasse pas voir. Cependant je suis si lasse, et si pressée d’arriver à Ems. Hier soir Molé est venu causer avec moi il avait passé quelques jours à la campagne. Il a retrouvé dit-il de l'anarchie dans l’assemblée. ne s’y préoccupait hier beaucoup de l’article du Constitutionnel qui annonce un avènement. Tout le monde croit que l’époque de la prorogation de l’Assemblée sera mise à profit pour tenter quelques chose. Je ne crois pas. mais il faut que Changarnier se tienne bien car on pourrait alors essayer de se débarasser de lui. J’ai bien du regret, il a paru chez moi hier deux fois, & je n'y étais pas. Molé me dit de lui que ses propos sont les mêmes.

Mercredi le 3 juillet onze heures.
La fatigue m’a rendue malade. Mon estomac bouleversé. Il me faut du repos, cependant je veux partir demain. Je déteste de traîner en route. L’accident arrivé à Peel est très grave. On m'écrit de Lundi qu’on doutait qu'il ne revienne. La chute était dit-on une apoplexie. S’il venait à mourir ce serait bien gros ? D'un côté rien ne ferait plus obstacle à l’union des partis, de l’autre si l'Angleterre est menacée d'une crise elle perdrait en Peel le seul homme capable de régler ce mouvement. Quelle destinée ! Nous verrons. Mes correspondants, Greville & Ellice ne me parlent que de cela. Ellice comme d'un great loss for the government. Je sais que la reine déteste plus que jamais lord Palmerston. L'exposition des industries anglaises et étrangères est près de faire naufrage. Le Prince Albert est furieux contre Brougham qui a soulevé à la Chambre des Lords la question du bâtiment à Hyde Park. Adieu. Je ferme ma lettre, voilà l'heure de la poste. J’ai eu la vôtre de Lundi ce matin à mon réveil. Adieu. Adieu. Adieu.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Bruxelles jeudi 4 juillet 7 h. du matin

Je vais partir, bien fatiguée. Je vous ai dit n’est-ce pas que mon fils Alexandre me mène à Ems, il n’y restera avec moi que deux jours. J’ai pris un Médecin allemand Kolb que vous connaissez. Aujourd’hui la princesse Chreptovitz chemine avec moi jusqu’à Cologne. Hier j’ai vu le roi pendant une heure bonne conversation, intéressante, plus que jamais plein de sens, de bonne vue, de jugements excellents sur toutes choses quelques notions de plus sur l'Angleterre. Ainsi Lord Palmerston disant au Ministre du Brésil qu’il lui était bien égal que le Brésil fut république ou Monarchie. La reine des Belges assez bonne mine.
J'ai beaucoup causé avec M. van Pradt, beaucoup d’esprit. Et avec lui la causerie a été à fond sur tout ce qui vous préoccupe en France. J’ai raconté et insisté, sur la minorité de bons conseils là où ils sont si peu écoutés. Il est entré dans tout ce que je lui ai dit avec réserve et intelligence. Neumann m’avait beaucoup dit que je pouvais en sûreté causer avec lui, et que ce serait utile. J’ai vu les Metternich un moment. Enfin ma journée a été pleine. Ma nuit meilleure que l’autre, & je pars en meilleur état que je n'étais arrivée. Voilà mon histoire jusqu’aujourd’hui. What next ? Adieu. Adieu. Adieu

Auteur : Guizot, François (1787-1874)
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Val-Richer, Jeudi 4 Juillet 1850

Voilà Sir Robert Peel mort. J'en ai un vrai chagrin. Il n’avait pas tout, mais il avait beaucoup. Il a fait des choses douteuses mais grandes pour le bien être de bien des millions d'hommes dans son pays. Il avait le goût et le parti pris de la politique honnête. Je l’honorais plus qu'il ne me plaisait ; mais la mort illumine les qualités et élève l'estime au-dessus des dissidences. Puis ses dernières paroles sur moi me restent dans le cœur, encore un exemple, après tant de mille et mille autres, des plus belles et plus heureuses, existences brisées tout à coup misérablement ! C’est bien la peine de devenir grand pour rester à la merci d'un caillou et d'un coup de pied de cheval ! Si le dernier mot de la vie était ici bas, elle ne vaudrait certes pas le souci qu'on en prend.
Quelle sera l'influence de cette mort sur la situation du cabinet Whig et l'état des partis en Angleterre ? Cela me paraît assez obscur. L'opposition en sera plus libre; les Peelistes s’y incorporeront plus intimement. Les Protectionnistes seront peut-être plus modérés, en matière de free trade, n'ayant plus devant eux leur vainqueur. C'est en même temps, sinon un Chef, du moins un grand patron de moins pour une combinaison nouvelle. Dites-moi vos informations, et voir conjectures.
Le Duc de Broglie m'écrit : " Les affaires sont toujours dans le même état. L'assemblée est fort décousue, et a grand besoin de se séparer pour ne pas se quereller. Nous espérons une prorogation de trois mois dans les premiers jours d'août. " - Un autre correspondant : " Les tiraillements dans la majorité et entre la majorité et le Président deviennent tous les jours plus sensibles. Tout le monde est mécontent de tout le monde. Les légitimistes sont les plus aigres, comme toujours. De son côté, la presse va de l'avant, et on demande hautement la révision de la Constitution. On dit que cette question et celle de la prorogation des pouvoirs du Président seront posés sans faute au retour de l'Assemblée. "
Adieu. Je n'attendais pas de lettre ce matin ; elle ne me manque pas moins. Il me tarde bien de vous savoir arrivée, et un peu reposée. Adieu, adieu. G.

Auteur : Benckendorf, Dorothée de (1785?-1857)
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Cologne le 5 Juillet 1850
8 h. du matin

Quelle fatigante journée que celle de hier ! En arrivant ici j'ai pleuré de fatigue, pleuré tout- à-fait. Me voila reposée & je pars. Voilà donc Peel mort. C'est une grande et affreuse nouvelle. Je vois que si cela est bon comme question de part, c'est plein de périls futurs pour le pays en tout cas l’événement à une portée immense. Et pour le moment ce sera une perte sensible pour le gouvernement. Vous songerez à cela bien mieux que je ne saurais le faire. Moi j’en reste bouleversée.
Le Prince de Prusse arrive après-demain à Bruxelles. Cela fait grand plaisir au roi Léopold. Il ne lui dira que de bonnes & utiles choses. Je suis impatiente d’arriver à Ems pour y trouver votre lettre vos lettres peut-être. Je serai avis de me reposer & de me soigner, & de me débarrasser de tout cela le plus tôt possible. Adieu Adieu. Adieu.
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