279 Paris Mardi 1er octobre 1839,
Je viens d'écrire un mot à Bulwer pour lui demander ce que vous voulez au sujet de Lord Chatham. J'ai sur le cœur votre rancune, car il y en a beaucoup dans les derniers mots de votre lettre. J’ai passé ma matinée hier à l'entresol avec M. de Pogenpohl, & M. de Valcourt. Il ne me donnera que demain ses idées sur ce que je dois prendre ou laisser. comme tout est long ! Je crois que je me laisserai, entraîner a beaucoup de dépenses ; si vous étiez ici vous m'arrêteriez.
J'ai été le soir chez Madame Appony. Je les ai trouvés seuls et évidemment de mauvaise humeur, ce qui a fait que pour commencer je n’ai rien pu apprendre ; si non le nombre des convives, la promenade & & et tout cela m’intéressait fort peu avec un peu de patience et quelque petites paroles provocantes, je suis parvenue à savoir, que le Roi est excessivement blessé de la conduite de l’Empereur, et furieux contre l'Angleterre. Nous n’avons pas encore dit un mot à la France, c'est un dédain qu’on supporte malaisé ment. Quant à l'Angleterre ce changement subit semble de la plus insigne mauvaise foi. Au surplus personne ne sait encore se l'expliquer. On attend des éclaircissements : on espère encore que la majorité du conseil anglais opposera à la volonté de Lord Palmerston. Quand à celui-ci il est à nous tout-à-fait. Quelle drôle de chose ! Appony, comme je viens de vous le dire est de bien mauvaise humeur et même un peu aigre pour nous. d’abord. C’est qu'on ne nous aime pas et que ce triomphe politique donne à notre diplomatie un lettre qui choque. Et puis, et je sais cela par expérience, un diplomate ne peut pas se défendre d’un peu de partialité pour la cour auprès de laquelle il réside, surtout s'il y est bien traité comme l’est Appony dans la circonstance présente, l'Autriche sera appelée à tempérer un peu le mauvais vouloir de la Russie & de l'Angleterre contre la France, mais au fond Metternich sera fort aise de notre rapprochement avec Londres. Je crois que j'ai deviné votre troisième parti. C’est ne rien faire. On m’y parait assez disposé ici. C’est plus sûr ; ce n’est pas bien grand ! Ah que les choses auraient pu être mieux menés avec d’autres diplomates que ceux que vous employez à l’étranger.
Vous voyez bien que je vous dis à peu près rien. J’aurais tant de choses à vous dire de près. Savez-vous ce qui me chagrine c’est que si nos relations restent aussi aigres qu’elles le sont dan ce moment, Pahlen ne reviendra pas, & que Médem se prolongera ici indéfiniment. Or, pour moi, j'aime bien mieux Pahlen que Médem. Je suis charmée de ce que vous me dites de votre santé aujourd’hui et cependant je persiste à croire que vous habitez un lieu qui ne vous vaut rien parce qu'il est trop entoure de bois, trop humide. Je sais indirectement, que mes fils seront à Londres dans quinze jours ou trois semaines au plus, que Paul y passera l’hiver, et qu’il retourne en Russie au printemps prochain. Alexandre pourra être à Paris vers le 1er Novembre. Avez-vous lu l’ordre du jour de l’Empereur à Borodino ? On est prodigieusement blessé ici. En général tenez pour certain qu'on est de bien mauvaise humeur. Le Roi restera à Fontainebleau assez de temps encore. Après il retournera à St Cloud et ne prendra ses quartiers d’hiver que le 1 Novembre. Les enfants d’Espagne vont à Fontainebleau aujourd'hui pour y rester huit jours. Le maréchal ne revient ici que dimanche. La diplomatie reste donc en vacances. Adieu. Adieu. Au revoir. Je ne sais pourquoi ce mot se trouve là. Il a coulé de ma plume sans ma volonté.