Val Richer Vendredi 17 Août 1849
Une heure
C’est certainement pas grave, et parce qu’il me connait, que Lord Nugent ne m'a pas accolé à Metternich, dans cette intrigue contre Lord Palmerston, " fostered by the criminals whe have been ejected from their own countries by revolutions. " Lord Nugent est un type de l’honnête et grossier badaud libéral. Je ne crois pas que ces meetings et ces discours troublent beaucoup Lord John. C’est une manière d’attirer ou de retenir dans le camp ministériel des radicaux toujours enclin à faire de l'opposition. Palmerston est un recruteur qui va dans des quartiers ou ses collègues ne vont point. Ces meetings ne peuvent déplaire qu'à ceux des Ministres qui ne veulent réellement pas de la politique de Palmerston et voudraient se défaire de sa personne. Mais Lord John n’est pas de ceux-là, moins unscrupulous que lord Palmerston, et plus retenu par la responsabilité de chef, mais, au fond, de son avis.
Je regrette de ne pouvoir vous envoyer le Mémoire publié par M. de Lesseps sur sa mission de Rome. C'est assez curieux quoique très médiocre, et concluant contre lui. Sa conduite a été simplement le reflet des faiblesses de ses chefs de Paris ; faiblesses qui l’ont fait croire au triomphe des rouges. Il est justement puni ; mais d'autres devraient l'être comme lui. Les Lenormant sont partis ce matin fort peu légitimistes, mais bien engagés, et assez influents dans le parti catholique. La brouillerie de Thiers et de Montalembert, leur plaît et ils pousseront à ce qu’elle soit prise au sérieux. Ils reprochaient fort, à Montalembert de se laisser prendre par Thiers.
On me dit aussi ce que vous écrit Lady Holland, que Molé est désolé de cet incident et dit qu’il ne sait plus d’où peut venir le salut. Toutes les dissentions dans le parti modéré tourneront au profit du président, et du Statu quo jusqu'à l'approche des nouvelles élections. Et si le Statu quo va jusque-là, les élections seront perdues, et Dieu sait quoi après. La réflexion me plonge toujours dans le noir ; il n’y a que l’instinct qui m’en défende. M. Fould a quelque esprit à force d’égoïsme, et point de jugement à force de pusillanimité. Il est bon à vous donner des nouvelles de Paris. Il les reçoit plutôt que personne. Pas bon à autre chose, et ne lui dîtes que ce que vous voulez qu'on redise. Vous avez raison de le trouver bien laid. Lui et Crémieux sont les plus bassement laids des juifs, par conséquent des hommes.
Samedi 7 heures
Je me lève. Le soleil est superbe. Si je n’aimais pas mieux vous écrire, j'irais me promener. Dites-moi pourquoi, ou pour qui Mad de Caraman reste à Richmond. Est-ce pour lord Lansdowne ? Tirez-vous d’elle dans le tête-à-tête un peu de conversation moins arrangée et moins complimenteuse ? Voici une lettre que je reçois d'une Ecossaise, Miss Stirling, excellente personne, que je connais depuis longtemps, très bonne musicienne, par exception ce qui fait qu’elle s’intéresse beaucoup à Chopin qui lui a donné des leçons. Chopin est réellement un habile artiste, parfaitement étranger à la politique et fort malade. Pouvez-vous quelque chose pour la charité qu’il demande ? Je ne répondrai que quand vous m'aurez répondu. Après le départ des Lenormant j’ai passé hier ma journée seul, sauf quatre visites pourtant. Mais enfin, je n’avais personne chez moi, j'ai dîné et je me suis promenée sans hôtes. Cela m'a plu. La liberté de la solitude me plaît. Il n’y a que l’intimité qui vaille mieux. Le procès de Madame Lenormant pour les lettres de Benj. Constant à Mad. Récamier va recommencer. Girardin et Madame Colet en appellent. Derrière les lettres de Benj. Constant à Mad. Récamier, il y a pour Girardin un autre intérêt. M. de Châteaubriand a écrit dans ses Mémoires d'Outretombe, un livre (le 10e) entièrement consacré à Mad. Récamier. Le manuscrit de ce livre daté et signé de la main de M. de Châteaubriand, a été donné par lui à Mad. Récamier pour qu’elle en fit ce qui lui plairait et il a mis en même temps dans son testament que toute autre copie de ce 10e livre n’avait aucune valeur, et ne pourrait être public. Mad. Lenormant à l’exemplaire donné par M. de Châteaubriand à Mad. Récamier et n'en veut, comme de raison, aucune publication. Girardin s'est procuré, par un secrétaire de M. de Châteaubriand des fragments, brouillon en copie de ce Livre. Il paye ce secrétaire pour qu'il étende les fragments avec ses souvenirs ou de toute autre manière, et il tient beaucoup à publier ce 10e livre, sans lequel les Mémoires d’outre tombe de son journal seraient incomplets. Le jugement qui vient d'être rendu sur les lettres de Benj. Constant à Mad. Récamier, lui rend cela impossible s'il subsiste. Voilà pourquoi il appelle Mad. Lenormant espère bien gagner son procès en cour d'appel. Elle est très mécontente de la façon dont Chaix d’Estange a planté pour elle. Par ménagement pour Girardin, Mad. Colet, M. Cousin le chansonnier Béranger &, il n’a pas fait usage de plusieurs moyens et pièces curieuses qu’elle lui avait remis. Mad. Colet est une drôle de personne. Naguères fort belle, grande forte une quasi Corinne provençale. Elle a été au mieux avec M. Cousin on prétend même qu’il y a entre eux deux petits cousins. Elle a donné un jour un soufflet à M. Alphonse Karr (l’auteur des Guêpes) parce qu'il avait dit quelque chose dans ses Guêpes sur M. Cousin et sur elle. Il n'y a pas plus à plaisanter avec elle qu'avec M. Pierre Bonaparte. Il y a dans le 10e livre de M. de Châteaubriand des lettres insérées de beaucoup de personnes à Mad. Récamier ; entr’autres quinze lettres de Mad. de Staël. Bien des gens désirent donc que ce livre ne soit pas publié. Adieu jusqu’à la poste. Adieu, Adieu.
Onze heures
Pour Dieu, ne continuez pas à être souffrante. Et dites-moi ce que vous aura dit M. de Mussy. Adieu. Adieu. Je vous parlerai demain de Rome. Adieu, dearest. G.